Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 17

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CHAPITRE XVII.

DU JUGEMENT DE CHARLES, DUC DE BOURBON, PAIR, GRAND CHAMBRIER ET CONNÉTABLE DE FRANCE.

Ce fameux Charles de Bourbon, qui avait tant contribué à la gloire de la France, à la bataille de Marignan, qui fit depuis son roi prisonnier à la bataille de Pavie, et qui mourut en prenant Rome d’assaut, ne quitta la France, et ne fut la cause de tant de malheurs que pour avoir perdu un procès. Il est vrai qu’il s’agissait de presque tous ses biens[1].

Louise de Savoie[2], mère de François Ier, n’ayant pu obtenir de lui qu’il l’épousât en secondes noces, voulut le ruiner ; elle était fille d’une Bourbon, et cousine germaine de Susanne de Bourbon, femme du connétable, laquelle venait de mourir.

Non-seulement Susanne avait laissé tous ses biens par testament à son mari, mais il en était héritier par d’anciens pactes de famille, observés dans tous les temps. Le droit de Charles de Bourbon était encore plus incontestable par son contrat de mariage, Charles et Susanne s’étant cédé mutuellement leurs droits, et les biens devant appartenir au survivant. Cet acte avait été solennellement confirmé par Louis XII, et paraissait à l’abri de toute contestation. Mais la mère du roi, régente du royaume pendant que son fils allait à la guerre d’Italie, étant outragée et toute-puissante, conseillée par le chancelier Duprat, ce grand auteur de plus d’une infortune publique, intenta procès devant le parlement de Paris, et eut le crédit de faire mettre en séquestre tous les biens du connétable.

Ce prince, d’ailleurs maltraité par François Ier, ne résista pas aux sollicitations de Charles-Quint ; il alla commander les armées de l’empereur, et fut le fléau de ceux qui l’avaient persécuté.

Aux nouvelles de la défection du connétable, le roi différa son voyage d’Italie. Il donna commission au maréchal de Chabanes, grand-maître de sa maison, au premier président du parlement de Normandie, et à un maître des requêtes, d’aller interroger les confidents du connétable, qui furent d’abord mis en prison.

Parmi ces confidents ou complices étaient deux évêques, celui d’Autun et celui du Puy. Un secrétaire du roi servit de greffier. C’est encore ici une marque évidente que les formalités changeaient selon les temps et selon les lieux.

Le reste de l’instruction fut fait par de nouveaux commissaires : Jean de Selve, premier président du parlement de Paris ; Jean Solat, maître des requêtes ; François de Loyne, président aux enquêtes ; Jean Papillon, conseiller.

Le roi ordonna, par des lettres réitérées, du 20 septembre, du 15 et du 20 octobre 1522, de faire le procès au connétable absent, et à ses complices emprisonnés.

Les quatre commissaires conseillèrent au roi de renvoyer l’affaire au parlement de Paris ; et le roi, par une lettre du 1er novembre, leur témoigna qu’il désapprouvait beaucoup ce conseil.

Ces commissaires instruisirent donc le procès des prisonniers à Loches. Mais enfin le roi, incertain de la manière dont il fallait juger deux évêques, et craignant de se commettre avec Rome, renvoya l’affaire au parlement de Paris. Il ne fut plus question des deux évêques, on n’en parla plus ; les laïques seuls furent condamnés : ils furent jugés au mois de janvier 1523, les uns à mort, les autres à d’autres peines. Le seigneur de Saint-Vallier, entre autres, fut condamné à perdre la tête, le 16 janvier 1523. C’est lui dont on prétend que les cheveux blanchirent en peu d’heures, après la lecture de son arrêt[3]. La tradition ajoute que François Ier ne lui sauva la vie que pour jouir de Diane de Poitiers, sa fille. Cette tradition serait bien plus vraisemblable que l’autre si Diane n’avait pas été alors un enfant de quatorze ans, qui n’avait pas encore paru à la cour[4].

Quant au connétable de Bourbon, le roi vint le juger lui-même au parlement, le 8 mars 1523, accompagné seulement de deux nouveaux pairs, un duc d’Alençon, et un duc de Bourbon-Vendôme ; les évêques de Langres et de Noyon furent les seuls pairs ecclésiastiques qui s’y trouvèrent : ils se retirèrent, ainsi que tous les conseillers-clercs, quand on alla aux opinions. Il fut seulement ordonné qu’on ajournerait le connétable à son de trompe.

Cette vaine cérémonie se fit à Lyon, parce que cette ville passait pour être la dernière du royaume du côté de l’Italie, le Dauphiné, qui appartenait au dauphin, n’étant pas regardé comme province du royaume.

Pendant qu’on faisait ces procédures, le connétable commandait déjà l’armée ennemie : il entrait en Provence pour répondre à son ajournement, et comparaissait en assiégeant Marseille. Le roi, irrité que le parlement de Paris n’eût pas jugé à mort tous les complices de ce prince, nomma un président de Toulouse avec cinq conseillers, deux présidents de Bordeaux et quatre conseillers, deux conseillers du grand conseil, et un président de Bretagne, pour juger avec le parlement de Paris le reste des accusés, auxquels on n’avait pas encore fait le procès. Nouvel exemple bien frappant de la variété des usages et des formes[5].

Cependant on poursuivit lentement le procès contre le connétable ; il fallait trois défauts de comparaître pour qu’on jugeât, comme on disait alors, en profit de défaut ; mais toutes ces poursuites cessèrent quand le roi fut vaincu et pris à Pavie par l’armée, dans laquelle un des chefs était ce même Charles de Bourbon. Il fallut, au lieu de lui faire son procès, lui restituer, par le traité de Madrid, toutes ses terres, tous ses biens, meubles et immeubles, dans l’espace de six semaines, lui laisser le droit d’exercer ses prétentions sur la souveraineté de la Provence, et promettre de ne faire aucune poursuite contre ses amis et ses serviteurs. Le roi signa ce traité.

Il crut, quand il revint en France, que la politique ne lui permettait pas de tenir la parole à ses vainqueurs ; et après la mort du connétable, tué en prenant Rome, François Ier le condamna, le 26 juillet 1527, dans la grand’chambre du parlement, assisté de quelques pairs. Le chancelier Duprat prononça l’arrêt qui « damnait et abolissait sa mémoire et renommée à perpétuité », et qui confisquait tous ses biens, meubles et immeubles.

Pour ses biens, on en rendit une partie à sa maison ; et pour sa renommée, elle a toujours été celle d’un héros qui eut le malheur de se trop venger d’une injustice qu’on lui avait faite.



  1. Voyez le chapitre CXXIII de l’Essai sur les Mœurs.
  2. Connue dans l’histoire sous le nom de duchesse d’Angoulême.
  3. Il n’eut sa grâce que sur l’échafaud, et resta malade d’une fièvre à laquelle on a donné le nom de Saint-Vallier, pour indiquer une fièvre causée par la peur. (B.)
  4. Le procès de Saint-Vallier est de 1523. Diane, sa fille, est morte le 26 avril 1566, âgée de soixante-six ans trois mois et vingt-sept jours, suivant Dreux du Radier ; ou de soixante-six ans vingt-sept jours, suivant Bayle (différence qui vient peut-être de ce que les mots trois mois auront été oubliés dans la note transmise à Bayle par un de ses amis). Mais Dreux du Radier, au lieu de porter la naissance de Diane au 3 septembre 1499, aurait dû la placer au 31 décembre 1499, ce qui n’a point encore été remarqué. La différence entre Dreux du Radier et Bayle n’est, au reste, que des trois mois. Diane avait donc vingt-trois ans, et non quatorze ans, lors de la condamnation de son père : elle était mariée depuis près de dix ans, ce qui contredit les paroles de Mézeray, qui prétend que François Ier n’accorda la grâce au père qu’après avoir pris de sa fille ce qu’elle avait de plus précieux. Dreux du Radier pense que Louis de Brézé, mari de Diane, n’eut point à se plaindre de la fidélité de sa femme. Ce ne fut qu’après son veuvage qu’elle devint la maîtresse de François Ier.
  5. Consultez les collections de Pierre Dupuy, garde de la Bibliothèque du roi,