Histoire du chevalier Grandisson/Lettre 88

Nouvelles lettres angloises, ou Histoire du chevalier Grandisson
Traduction par Abbé Prévost.
(tome VIIp. 17-19).

LETTRE LXXXVIII.

Le Seigneur Jéronimo-della-Porretta
au Chevalier Grandisson.

Boulogne, 15 septembre..

Vos tendres Lettres écrites de Lyon, mon très-cher Ami, nous ont causé la plus vive joie. Clémentine languissoit dans cette attente. Comment avez-vous pu lui écrire avec cette chaleur d’affection, & cependant avec une délicatesse dont un Rival ne pourroit pas s’allarmer ? Elle vous répond : il ne m’appartient point, ni, je crois, à personne de nous, de dire un mot sur le principal sujet de sa Lettre : elle ne l’a montrée qu’à sa Mere & à moi. Chere Sœur ! Que n’avons-nous pu la faire renoncer à ses idées ! mais comment vous proposer de seconder les desirs de la Famille ? Cependant si vous les croyez justes, je suis sûr que vous ferez cet effort sur vous-même. Mon cher Grandisson ne connoît point d’intérêt propre, quand la justice & l’avantage de ses Amis y sont opposés. Toute ma crainte est qu’on n’y apporte plus de précipitation, qu’il ne convient à l’état de cette chere fille.

Plût au Ciel, que vous fussiez devenu mon Frere ! c’étoit la premiere passion de mon cœur ; mais vous reconnoîtrez par sa Lettre, la moins inconstante qu’elle ait écrite de long-tems, qu’il ne lui en reste aucune idée. Elle nous déclare qu’elle vous souhaite heureusement marié dans votre Patrie ; & nous souhaitons nous-mêmes à présent de pouvoir lui donner votre exemple pour motif. Ne doutez pas que je ne fasse le voyage d’Angleterre. Si ce que nous desirons pouvoit arriver, je m’imagine que vous auriez toute la famille. Nous ne pensons qu’à vous, nous ne parlons que de vous ; nous recherchons les Anglois, pour leur faire honneur en considération de vous. Madame Bemont est ici : elle nous conseille de garder des ménagemens ; mais sans désapprouver nos mesures présentes, parce qu’elle sait que nous ne pouvons jamais consentir à laisser entrer ma Sœur dans un Cloître. Cher Grandisson, n’en aimez pas moins cette vertueuse Dame, pour la grace qu’elle nous fait d’entrer dans nos vues. M. Lowther vous écrit ; ainsi je ne vous dis rien d’un homme, à qui j’ai tant d’obligations.

On souhaiteroit que je vous écrivisse avec un peu de force sur un certain sujet, dont je ne désavoue pas l’importance ; mais je réponds que je ne puis, que je n’ose, & que je n’en ferai rien.

Cher Ami, ne cessez jamais d’aimer votre Jeronimo. Votre amitié rend la vie digne de mon attachement. Elle a fait ma consolation, lorsqu’il ne m’en restoit plus d’autre, & que l’ombre de la mort étoit répandue autour de moi. Vous serez importuné par mes Lettres. Mon plus cher, mon plus fidele Ami, mon Grandisson, adieu.