Histoire du chevalier Grandisson/Lettre 46

Nouvelles lettres angloises, ou Histoire du chevalier Grandisson
Traduction par Abbé Prévost.
(tome IVp. 1-2).

LETTRE XLVI.

Miss Byron à Miss Selby.

18 de Mars.

Vous trouverez, sous cette enveloppe, une Lettre de Sir Charles à sa Sœur, qui contient l’heureux succès d’une entreprise dont nous n’attendions pas sitôt la fin. Sir Charles, comme vous le verrez, n’accuse pas sa Sœur de précipitation. Il ne l’auroit pu, sans faire violence à sa justice. Ô chere Charlotte ! que votre orgueil est humilié, de la bassesse de l’homme ! Mais n’en parlons plus, ma chere, puisque vous avez la Lettre devant les yeux. Vous me la renverrez, s’il vous plaît, par le premier ordinaire.

Elle est accompagnée d’une autre, dont j’ai obtenu la communication du Docteur Barlet. C’est une récompense de ma franchise, qui semble exciter la sienne. Il m’accorde quelquefois l’entrée de son Cabinet, où je suis charmée de lui dérober un quart-d’heure d’entretien, au milieu de ses profondes occupations. Il m’a promis l’Histoire de sa liaison avec Sir Charles ; & je l’attends avec d’autant plus d’impatience, qu’elle contient, dit-il, quelques circonstances de la conduite du jeune Chevalier, dans les premieres années de ses voyages, de celle du plus cher de ses Amis, qui se nomme M. de Beauchamp, & que le Docteur appelle un second Sir Charles Grandisson. Il a toutes ses relations par écrit ; & dans sa bonté pour moi, il s’est engagé à me faire lire ce qu’il peut communiquer sans indiscrétion. Mais je n’ose pousser trop loin la hardiesse. Miss Grandisson, moins timide, a juré de lui faire révéler tout ce qui n’est point absolument un secret. Si le premier, dit-elle, n’a pu résister à une femme, comment le Docteur se défendra-t-il contre trois, dont aucune n’est pas moins curieuse que la premiere, qui l’aiment toutes trois, & qu’il fait profession d’estimer ? Vous voyez, ma chere, que Miss Grandisson a retrouvé fort heureusement ses esprits.