Histoire du chevalier Grandisson/Lettre 23

LETTRE XXIII.

Miss Byron à Miss Selby.

Vendredi, 24 Février.

Monsieur Reves s’est hâté de faire dire à la Sœur de ce Wilson, que son Frere peut s’appliquer à quelque chose d’honnête, sans craindre le moindre obstacle de notre part. On est résolu ici de se conduire par les avis de mon Libérateur. Quelle Lettre que celle de Wilson ! Car Sir Charles avoit joint l’original à la sienne. Quels hommes il y a dans le monde ! Nous en avons vu des exemples dans nos lectures ; mais je ne me serois pas crue menacée d’avoir jamais rien à démêler avec eux.

Nous sommes plus inquiets que Sir Charles, sur l’avertissement qui regarde sa vie. M. Reves a su de divers côtés que Sir Hargrave ne demeurera point tranquille, & qu’il roule mille projets de vengeance. Pourquoi suis-je revenue à Londres !

On m’apporte un paquet de Lettres, où je reconnois la main de mes Parens, de mes Amis, & de tout ce que j’ai de cher au monde. Que je vais prendre de plaisir à leurs félicitations !

Doux momens, que j’ai donnés à la plus délicieuse lecture ! Mais vous, ma chere, qui m’écrivez ordinairement pour toute la famille, comme tout ce que j’écris est sous votre nom ; avec quelle tendresse & quel art vous réunissez tous les sentimens qui sont répandus dans cinq ou six Lettres ! Où trouverai-je des termes pour exprimer tous les miens ?

Vous me demandez donc une peinture particuliere du caractere & de la figure de Sir Charles Grandisson, & de son aimable Sœur. Étoit-il besoin de me faire cette demande ? & comment avez-vous pu vous imaginer, qu’après avoir employé ma plume à vous tracer le portrait de tant de personnes, qui ne méritoient pas d’être tirées du rang commun des Mortels, je fusse capable d’en oublier deux, qui font l’ornement de leur siécle, & même celui de la nature humaine ? Vous ne doutez pas, dites-vous, que si j’entreprends leur éloge, la chaleur de ma reconnoissance n’éleve mon stile jusqu’au sublime ; & vous prévoyez qu’il faudra réduire à de justes bornes toutes les belles choses auxquelles Mr Reves vous a déja préparée. Peut-être ne vous trompez-vous pas dans cette attente ; car on me reproche, il y a long-tems, un peu d’enthousiasme dans ma reconnoissance. Cependant si vous trouvez en effet que je m’emporte au-delà des bornes, n’attribuez mes excès qu’à cette cause.

Commencerai-je par le Frere, ou par la Sœur ? Vous me menacez de votre pénétration : ah ! chere Lucie, comptez que je vous entens. Mais soyez sûre que je ne me connois pas d’autres sentimens que ceux de la reconnoissance.

Vous m’embarrassez néanmoins ; car je suis persuadée que si je commence par le Frere, vous vous joindrez à mon Oncle, pour vous écrier, en secouant la tête ; ah ! chere Henriette ! Et si je commence par la Sœur, ne direz-vous pas que je réserve mon sujet chéri pour le dernier ? Il est bien difficile d’éviter la censure, entre des juges qui veulent prendre absolument la qualité de censeurs. Mais soyez aussi pénétrante qu’il vous plaira, ma chere Lucie ; je vous répons que cette crainte n’imposera pas la moindre réserve à mon cœur, & que ma plume lui sera fidelle. Qu’ai-je à redouter, dans la confiance où je suis, que les traits de mes Amis ne peuvent me porter que des coups utiles & salutaires ?

Miss Grandisson, car ma plume commence d’elle-même par la Sœur, quelque finesse que ma Lucie veuille y entendre ; Miss Grandisson est âgée d’environ vingt-quatre ans. Sa taille est noble, & parfaitement bien prise. Elle a de la dignité dans le port, de grands yeux noirs fort pénétrans, dont elle fait ce qu’elle veut, & qui s’attirent la premiere attention dans sa physionomie. Ses cheveux sont de la même couleur, d’une beauté extraordinaire, & naturellement bouclés. Elle n’est pas d’une blancheur éclatante ; mais elle a le teint clair & délicat. Ses traits sont généralement réguliers ; & son nez, qui est un peu aquilin, leur donne une sorte de majesté. Ses dents sont fort blanches & fort égales. Je n’ai rien vu de si aimable que sa bouche. Un air de modestie & de réserve, qui accompagne le plus charmant sourire, inspire tout à la fois le respect & l’amour : lorsqu’elle commence à parler, toute sa contenance est remplie de graces.

Elle dit elle-même qu’avant le retour de son Frere, on la croyoit fiere, hautaine, & malicieuse ; mais j’ai peine à l’en croire : il me paroît impossible que dans l’espace d’un an, qui est à peu près le tems depuis lequel Sir Charles est revenu en Angleterre, on puisse se défaire assez parfaitement d’une mauvaise habitude, pour n’en conserver aucune trace.

Elle est d’une vivacité charmante. Je juge qu’elle a la voix belle, sur les airs qu’on lui entend fredonner, à chaque pas qu’elle fait du matin au soir. Il ne manque rien à sa politesse ; cependant si on lui en connoissoit moins, une veine de raillerie, qui lui est comme naturelle, pourroit faire craindre pour le repos de ceux qui vivent avec elle. Mais je suis sûre qu’elle est franche, ouverte, d’une humeur agréable, & l’art qu’elle a, de faire tourner tout le mérite qu’on lui attribue à l’honneur de son Frere, doit faire juger qu’elle n’est pas moins humble & moins modeste. Il n’y a pas long-tems, si l’on s’en rapporte à elle, qu’elle a pris du goût pour la lecture ; mais je suis portée à me défier de tout ce qu’elle dit à son désavantage. Elle prétend qu’elle étoit trop gaie & trop légere, pour se réduire à des amusemens sédentaires. Cependant on s’apperçoit, lorsqu’elle y pense le moins, qu’elle est versée dans l’Histoire & la Géographie. Elle ne désavoue point qu’elle ne sache fort bien la musique ; sa femme de chambre, qui prenoit plaisir, pendant les soins qu’elle m’a rendus, à me faire l’éloge de sa Maîtresse, m’a dit qu’elle sait parfaitement le François & l’Italien, qu’elle écrit avec tout l’agrément possible, & qu’elle se fait adorer par son esprit, sa discrétion & ses manieres obligeantes. Elle lui attribue un autre mérite, dont je me réjouis, pour l’honneur de Miss Clemer & de toutes les jeunes personnes qui aiment la lecture ; c’est d’entendre admirablement tout ce qui regarde l’administration domestique, & de ne pas dédaigner d’y donner régulièrement ses soins.

Jenny, qui est sa femme de chambre & qui ne manque point d’éducation pour une Fille de cet ordre, m’a dit en confidence que sa Maîtresse avoit deux humbles adorateurs. Mon étonnement est qu’elle n’en ait pas deux douzaines. L’un est le Chevalier Watkins, qui a des biens immenses ; & l’autre, milord G… fils du comte de C… Mais il ne paroît pas, jusqu’à présent, que son inclination se soit déclarée pour l’un ou l’autre.

Telles sont les qualités qui font de Miss Charlotte Grandisson une des plus charmantes personnes du monde. Je serai trop heureuse, si, lorsque nous nous connoîtrons mieux, je parois la moitié aussi aimable à ses yeux qu’elle l’est aux miens. N’en soyez point jalouse, chere Lucie ; j’ai le cœur assez spacieux pour y donner place à cinq ou six tendres Amies de mon sexe ; oui, ma chere, quand vous y supposeriez des affections d’un autre ordre. Celle même que je devrois à un Mari de mon choix, si je me déterminois enfin pour le mariage, n’y feroit jamais tort à l’amitié.

Venons au Frere, à mon généreux Libérateur ! Vous m’avez prévenue, chere Lucie, sur ce que j’ai à redouter de votre pénétration. Je suis persuadée que vous vous attendez à jouir du tumulte de mon cœur, dans le portrait que je vais faire d’un homme à qui j’ai tant d’obligations. Que direz-vous si votre attente est trompée, & si je ne laisse pas néanmoins de rendre justice à des perfections auxquelles je n’ai jamais rien connu d’égal ? Que direz-vous, si dans cet homme, dont j’admire le mérite, je trouve quelques défauts que je n’ai pas remarqués dans sa Sœur ? Orgueilleuse Henriette ! crois-je vous entendre dire ; continuez votre récit, & laissez-nous le soin de vous pénétrer. Prenez garde même que ses défauts, que vous prétendez découvrir, ne soient une couleur qui serve à trahir vos sentimens. Je vous rends graces de l’avis, ma chere ; mais il ne me sera d’aucune utilité. Ma plume suivra les inspirations de mon cœur ; & s’il est aussi honnête pour moi, que j’ose dire qu’il l’est pour tout le monde, je n’ai rien à craindre, ni de votre pénétration, ni de celle de mon Oncle Selby, qui est encore plus redoutable.

Si vous voulez connoître le Chevalier Grandisson du côté de la figure, c’est réellement un très-bel homme. Sa taille est au-dessus de la médiocre, & d’une parfaite proportion. Son visage forme un bel ovale, qui offre toutes les apparences d’une santé florissante, & confirmée par l’exercice. Il auroit eu naturellement le teint trop délicat pour un homme ; mais on s’apperçoit qu’il l’a peu ménagé, & qu’il se sent d’un air plus chaud que celui du Nord. Aussi ne s’est-il pas contenté de faire le tour de l’Europe. Il a visité quelques parties de l’Asie & de l’Afrique, particulièrement l’Égypte.

Je ne sais de quel besoin il est pour un homme d’avoir les dents & la bouche aussi belles, que le Chevalier Grandisson pourroit s’en vanter, s’il étoit capable de cette vanité.

Il a dans l’aspect quelque chose de grand & de noble, qui annonce un homme de distinction. Si la bonne mine étoit un titre pour le Trône, Sir Charles Grandisson auroit peu de Concurrens. Ses yeux… en vérité, ma chere Lucie, on voit briller, s’il est possible, plus de noblesse & d’esprit dans ses yeux, que dans ceux de sa Sœur. De grace, point de subtilités, mon cher Oncle. Vous savez tous que j’attache peu de prix à la beauté d’un homme. Cependant cet air de grandeur est accompagné de tant d’ouverture & d’aisance dans les manieres, qu’il ne s’attire pas moins d’affection que de respect. Personne n’est plus accessible : sa Sœur dit qu’il est toujours le premier à bannir les défiances & les réserves, qui accompagnent ordinairement les nouvelles connoissances. Ce rolle est facile pour lui, car dans tout ce qu’il dit & ce qu’il fait, il est sûr de plaire. Je n’exagère point, ma chere Lucie ; secouez la tête autant qu’il vous plaira. En un mot, cet air libre & poli, qui lui est comme naturel, non-seulement dans son langage & dans toutes ses actions, mais dans sa maniere de se mettre, où le bon goût domine toujours sans aucune espece de singularité, le feroit regarder comme un des plus agréables hommes du monde, quand il ne seroit pas distingué par tant d’autres avantages.

Sir Charles Grandisson n’a pas perdu son tems dans ses voyages. Sa Sœur a dit à Mr Reves qu’il ne se marieroit pas sans faire un grand nombre de Malheureuses ; & réellement, ma chere, il a trop d’avantages personnels pour la tranquillité d’une femme qui prendroit des sentimens particuliers pour lui. Le foible presque général de notre sexe, est pour les hommes d’une figure éclatante ; des femmes se laisse gouverner par les yeux. Je sais que vous me recommanderez ici de ne pas grossir le nombre de ces Imprudentes. Votre conseil, chere Lucie, ne sera pas négligé.

Le caractere sensé de Sir Charles n’est pas sujet à des caprices ou des inégalités d’humeur. Il est supérieur aux disputes qui n’ont que des bagatelles pour objet. Il l’est encore plus aux fausses complaisances qui pourroient engager la conscience ou l’honneur. Miss Grandisson me disoit un jour, en parlant de son Frere : ce n’est pas sa bonne mine, ni sa naissance, ni son bien, qui le rendent cher à ceux qui le connoissent ; c’est le plus parfait assemblage de toutes les qualités qui forment essentiellement l’honnête homme. Elle me disoit, une autre fois, que la regle de sa vie étoit dans son propre cœur ; & que, malgré le bonheur qu’il avoit de plaire à tout le monde, il ne mettoit le jugement, ou l’approbation d’autrui, qu’au second rang. En un mot, mon Frere, ajouta-t-elle, & ce nom sembloit lui causer une sorte de fierté, n’est pas capable de se laisser éblouir par une fausse gloire, ni refroidir par une fausse honte. Il nomme ces deux erreurs, les grands piéges de la vertu. Quel homme, chere Lucie ! quelle sublimité d’ame ! Et quelle femme, que celle qui est capable de faire toutes ces distinctions entre les grandes qualités de son Frere ! Mais que suis-je, moi ! si je me compare à l’un ou à l’autre ? Cependant j’ai mes Admirateurs. La plus défectueuse Créature a peut-être les siens, parmi ses inférieurs. Un peu de bon sens devroit nous rappeler à ces utiles comparaisons ; & ne suffit-il pas de lever les yeux au-dessus de nous, pour obtenir la grace de l’humilité ?

Cependant il me semble, ma chere, que Sir Charles n’est pas aussi indépendant de l’opinion d’autrui que sa Sœur se l’imagine, lorsqu’elle assure que la regle de sa vie est dans son propre cœur. Premiérement, il n’est pas ennemi des modes. Il les suit, quoiqu’à la vérité sans affectation ; mais il est toujours mis richement, & sa noble physionomie en tire un nouveau lustre. La vivacité, qui éclate dans ses yeux, semble se communiquer à toute sa figure. Jenny m’a dit en secret qu’il porte l’admiration fort loin pour les belles femmes. Ses équipages sont d’un goût recherché, qui vient moins de l’amour du faste, que d’une sorte d’émulation, qu’il veut inspirer, ou dont il est assez rempli lui-même pour ne vouloir céder à personne. On le voit rarement voyager sans une suite nombreuse ; & ce qui paroît sentir un peu la singularité dans un équipage d’homme, jamais ses chevaux n’ont la queue coupée. Elle est liée simplement, lorsqu’il est en marche, comme j’eus l’occasion de le remarquer en revenant à Londres. Vous voyez, ma chere, que je lui cherche des foibles, du moins dans l’extérieur, ne fût-ce que pour vous paroître impartiale, malgré la reconnoissance & la vénération que je lui dois. Mais s’il juge que le but de la Nature, en donnant des queues à ces nobles Animaux, n’a pas moins été de leur fournir une défense contre d’importuns insectes, que d’ajouter un ornement à leur beauté, & s’il n’a pas d’autre vue que de les soulager, comme ses gens même l’ont dit à M. Reves ; croyez-vous, ma chere, que ce motif mérite quelque blâme, & que l’humanité, dans un exemple de cette nature, ne marque point ce qu’on peut attendre du même cœur, dans les grandes occasions ?

Avec l’air vif & galant, avec tout l’éclat que je vous ai représenté dans Sir Charles, vous jugerez aisément que sans un effroi mortel, sans la crainte du traitement dont je me croyois menacée, & si j’avois eu le moindre espoir d’une autre protection, je n’aurois pas imité l’Oiseau poursuivi par un Vautour, suivant la comparaison de Sir Charles, que M. Reves m’a répétée, & qui me paroît exprimer assez tendrement ma situation, mais qui me laisse quelque embarras, lorsque je m’en rappelle les fâcheuses circonstances. En vérité, ma chere, j’ai peine encore à ne pas baisser la vue, au souvenir de la figure que j’ai dû faire en habits de Bal ; les bras autour du cou d’un jeune homme… Trouvez-vous rien de plus humiliant que cette idée ? Cependant, ne suis-je pas peut-être ici dans le cas de cette fausse honte, à laquelle Sir Charles est si supérieur ?

Mais je crois avoir quelque chose à blâmer, dans le caractere d’un homme que sa Sœur croit presque sans défaut. C’est d’après elle même que j’ai fait cette remarque. Un jour qu’elle faisoit gloire d’avoir le cœur fort ouvert, elle me dit qu’elle regrettoit néanmoins de ne s’être pas mieux observée, dans une occasion où son Frere avoit reçu froidement ses ouvertures. Elle ajouta que sans aucune apparence de curiosité, il avoit l’art de tirer du cœur d’autrui ce qu’on pensoit le moins à lui communiquer ; & qu’elle s’étoit ainsi comme enferrée d’elle-même, séduite insensiblement par un air de complaisance, & par un sourire flatteur, avec lequel il sembloit prendre plaisir à l’entendre : que dans le petit chagrin, de s’être surprise elle-même au milieu d’un récit qu’elle n’avoit pas eu la moindre intention de commencer, elle avoit voulu essayer à son tour de l’engager finement à s’ouvrir sur quelques points qu’il paroissoit lui cacher ; mais qu’après y avoir employé toute son adresse, elle avoit désespéré d’y réussir.

Bon Dieu ! m’écriai-je, en regardant Miss Grandisson ; où suis-je ? Et je m’arrêtai aussi-tôt, pour chercher dans ma mémoire s’il ne m’étoit rien échappé d’indiscret avec son Frere.

Au fond, ma chere, cette réserve pour une Sœur telle que la sienne, & sur des points qu’elle croit important pour elle de ne pas ignorer ; c’est ce que je ne puis approuver dans Sir Charles. Une Amie ! Une Sœur ! Et pourquoi du secret d’un côté, lorsqu’il n’y en a point de l’autre ? Sir Charles, apparemment, ne sera pas moins réservé pour sa Femme. Cependant, le mariage n’est-il pas le plus haut dégré de l’amitié humaine ? Et concevez-vous, ma chere, que la réserve soit compatible avec l’amitié ? Sa Sœur, qui ne lui reconnoît aucun défaut, cherche à l’excuser & prétend qu’en tirant d’elle ses secrets, il n’a point d’autre vue que de se rendre plus capable de la servir. Mais vous conclurez du moins de mon observation, que tout attachée que je suis à Sir Charles, par le lien d’une immortelle reconnoissance, je juge de lui sans partialité. Il m’est impossible de le trouver excusable, s’il a pour sa généreuse Sœur une défiance & une réserve qu’elle n’a pas pour lui. Dans le commerce, que je me flatte de continuer avec des Amis si dignes de mon attachement, du moins si leur bonté ne se refroidit pas pour ceux qu’ils ont comblés de bienfaits, je veillerai de près sur toute la conduite de cet homme extraordinaire, avec l’espérance néanmoins de le trouver aussi parfait qu’on le publie, & dans la vue d’en faire hardiment le sujet de mes éloges, comme son excellente Sœur fera l’objet de mon admiration. Si je remarquois dans Sir Charles quelques défauts considérables, ne doutez pas que la reconnoissance ne me rendît indulgente : mais celui que j’ai nommé suffiroit seul pour défendre mon cœur, si je m’appercevois jamais que la reconnoissance le mît en danger.

À présent, mon cher Oncle, n’ai-je pas droit de vous demander un peu de justice pour votre Niéce ? Je suis sûre, & très-sûre, de n’avoir point encore à me défier de mon cœur. Si je m’apperçois qu’il me trahisse, j’en avertirai de bonne foi ma chere Lucie. De grace, mon Oncle, ne me faites donc point la guerre sur de simples conjectures.

Je n’ai pas dit la moitié de ce que je m’étois proposé sur cet homme, que je ne me lasse point de nommer un homme extraordinaire. Mais la vive amitié que j’ai pour son admirable Sœur m’ayant aidée à découvrir en lui quelques défauts, mon impartialité m’a menée si loin, que j’aurois peine à revenir sur mes pas. D’ailleurs, cette Lettre est déja si longue, que je me reduis à mêler ce qui me reste à dire dans les autres relations dont je ne cesserai pas de vous fatiguer.