Histoire du Privilége de Saint Romain/1628 à 1642


1628. La fierte levée par le baron de Virieu.

En 1628, la fierte fut levée par haut et puissant seigneur le baron de Virieu (du Lyonnais), lieutenant d’une compagnie de chevau-légers. Un nommé Jacquemon chassait sans cesse sur les terres de ce gentilhomme, malgré les défenses expresses et fréquentes qui lui avaient été intimées. Un jour, le baron de Virieu, accompagné du sieur Hémonnet, juge de sa baronnie, et suivi de plusieurs domestiques, ayant aperçu Jacquemon qui chassait encore sur ses domaines, résolut de l’arrêter, pour le livrer, disait-il, à la justice. Jacquemon se refugia dans une maison du village, où il fut assiègé par le baron de Virieu et ceux de sa suite. Il blessa plusieurs domestiques, refusant opiniâtrement de se rendre, quoiqu’on lui promît de ne lui faire aucun mal. Enfin, il fut atteint d’un coup de pistolet, et mourut à l’heure même. Le baron de Virieu quitta ses terres et servit le roi avec distinction pendant plusieurs années, ayant avec lui le sieur Hémonnet, juge de sa baronnie, et Jean Roux, qui l’avaient assisté lors du meurtre de Jacquemon. Les services signalès du baron de Virieu lui valurent de bons témoignages auprès du roi, qui écrivit au parlement et au chapitre pour les prier de lui accorder la fierte. Tous les trois l’obtinrent en 1628.


1629. Marc, huissier au parlement, obtient la fierte.

L’année suivante, les suffrages du chapitre se réunirent sur Jean-Maximilien Marc, huissier au parlement de Rouen, et sur Barbe Lefebvre sa complice. Maximilien Marc étant allé, le jour des Rois, voir un nommé Hamon, tailleur d’habits, son compère, le trouva ivre et prêt à battre sa femme qui ne voulait plus lui donner à boire. Marc chercha à défendre cette femme contre la brutalité de son mari ; mais ce dernier, outré de colère, l’appela voleur, ce qui lui valut un soufflet. « A l’instant, Hamon tira de sa pouchette un petit cousteau vulgairement appelè une jambette, menaçant Marc tle l’en vouloir frapper. » Alors, Marc tira son épée du fourreau, et donna à Hamon deux ou trois coups de plat d’épée sur les épaules ; et « néantmoins, inopinément, le dict Hamon se trouva blessé au costé d’un coup de pointe, ce qui m’estonna grandement (disait Marc dans sa confession devant le chapitre), ne croyant que le dict Hamon fust blessé. » Hamon mourut quelques heures après. Marc quitta la ville, et n’y revint que pour solliciter la fierte, qu’il obtint du chapitre, avec Barbe Lefebvre, veuve de Hamon, arrêtée, depuis quelque tems, comme complice du meurtre de son mari. Le parlement consentit que Marc et la veuve Hamon levassent la fierte ; mais il y eut dans le dictum que prononça le premier président, des réserves qui semblaient menacer Marc d’être arrêté après la cérémonie. De plus, à l’époque du meurtre de Hamon, Marc avait été interdit de son office d’huissier à la cour. Le parlement, en l’admettant à lever la fierte, déclara que « néantmoins, il estoit déclaré incapable d’exercer jamais aucun office royal, et à luy enjoinct de se deffaire de son office d’huissier en la court, dans trois mois, à faulte de quoy faire il seroit tenu pour vacant. » Le chapitre, estimant que cette clause portait atteinte au privilège, envoya des députés chez le premier président, pour demander qu’elle fût rapportée. Ce magistrat leur répondit que « La court n’avoit eu aucune intention ou desseing de préjudicier au privilége ; et que ç’avoit esté le seul intérest d’icelle qui l’avoit portee à prononcer les dictes modifications, ne désirant se servir du dict Marc, à raison de la faulte par luy commise. » Il leur dit de venir, le lendemain, faire leur remontrance à la cour, et leur promit de faire ce qu’il pourrait pour décider le parlement à lever cette modification. Il ne paraît pas toutefois que le parlement soit jamais revenu sur sa première décision. Pour en finir sur l’élection de Marc, la cérémonie, qui avait été suspendue pendant ces pourparlers, eut lieu après le retour des chanoines députés. Mais elle fut troublèe par deux incidens. D’abord « il y eut un grand désordre, par l’insolence de quelques clercs du parlement, qui voulurent se saisir du prisonnier et le conduire du Palais au hallage, au préjudice de ceux de la Cinquantaine et des arquebusiers, qui d’ordinaire en avoient la garde[1]. » On ne vint à bout qu’avec peine de les faire renoncer à leur projet. L’autre incident fit plus de sensation. Marc avait su quelque chose des réserves contenues dans l’arrêt du parlement ; et les clercs n’avaient, sans doute, voulu lui servir d’escorte, que pour assurer son évasion. Le peu de succès de cette tentative ne découragea point le prisonnier. Au moment où il arrivait a la Vieille-Tour, il saisit l’instant propice, et (dit un journal manuscrit du tems) s’enfuit, sans dire adieu à personne ; en sorte que Barbe Lefebvre leva seule la fierte.


1630. La fierte est accordée au sieur Du Solier

En 1630, le choix du chapitre tomba sur Sylvain De Bridiers, sieur du Solier, gentilhomme du Berry. Ses aïeux avaient été les fondateurs et bienfaiteurs de l’église de Chasseneuil près d’Argenton en Berry, et, à ce titre, avaient toujours joui des honneurs seigneuriaux dans cette église. On voyait dans le chœur leurs armoiries et leurs tombeaux. Les cinq fils du sieur Du Solier, dont le père avait joui paisiblement de ces droits honorifiques, se virent, en 1618, troublés dans leur possession par le sieur De la Flipière et par son frère, prieur des bénédictins de l’abbaye de Maubec, qui, depuis les guerres civiles, jouissaient entièrement du revenu de ce bénéfice. Ils le faisaient desservir fort mal par un prêtre auquel ils ne donnaient que trente livres de gages et le tronc de l’église. La messe s’y disait à la commodité du sieur De la Flipière, quelquefois avant l’heure ordinaire ; et, par ce moyen, les habitans étaient souvent privés de l’entendre. Ce prêtre, tout entier à la dévotion des La Flipière, oubliait à dessein, dans les prières publiques, les sieurs Du Solier, fondateurs et bienfaiteurs de l’église qu’il desservait. Lorsque La Flipière ou quelqu’un des siens assistait à l’office, cet ecclésiastique ne faisait aucune bénédiction de pain, afin d’éviter de rendre aux sieurs Du Solier ce qui leur était dû. Les habitans de Chasseneuil et les sieurs Du Solier se plaignirent à l’archevêque de Bourges, et l’official leur promit de leur donner un curé. Le prieur de Maubec, furieux contre les sieurs Du Solier, alla un jour, armé jusqu’aux dents, accompagné d’un de ses religieux et d’un domestique armés d’arquebuses, se mettre en embuscade ; et tous les trois attaquèrent un des frères Du Solier et un gentilhomme qui était avec lui. Comme le sieur Du Solier exhortait ce prieur belliqueux à se souvenir qu’il était ecclésiastique, le prieur répondit qu’il mettoit sa qualité à part, et que cela ne debvoit empescher. Ils se battirent donc, mais sans résultat. Bientôt l’archidiacre de Bourges étant venu visiter l’église de Chasseneuil, déposa le desservant, et le remplaça par un prêtre de la ville de Saint-Marceau, qu’il chargea les sieurs Du Solier de protéger. Mais le sieur De la Flipière et le prieur de Maubec, son frère, n’en continuèrent pas moins de faire faire le service par leur prêtre interdit, et « le conduisoient tous les jours à l’église, avec armes. » Un des frères Du Solier, imbécille, interdit judiciairement, et déchu, par cette raison, de son droit d’aînesse, ayant fort mal à propos insulté ce prêtre, les La Flipière dirent que « les sieurs Du Solier avoient faict jouer la marotte par ung fol, mais qu’ilz la paieraient. » Ce propos menaçant fut rapporté aux quatre autres frères Du Solier, qui, à l’instant, se dirigèrent vers l’église, armés de pistolets, accompagnés de leur cinquième frère, et suivis de deux valets armés de carabines et d’épées. Ils venaient d’arriver près de l’église, lorsque survinrent les La Flipière, accompagnés de domestiques armés. Un combat s’engagea aussi-tôt. Un des valets des sieurs Du Solier eut les deux bras rompus d’un coup d’arquebuse : le sieur Des Ouches, un des cinq frères, fut blessé à la jambe ; un autre frère fut atteint de cinq postes dans un bras et de trois balles dans une cuisse. Les deux autres furent frappés de coups d’épée dont ils moururent à l’heure même. Mais le sieur De la Flipière succomba, et le prieur de Maubec, son frère, qui, long-tems spectateur passif du combat, avait cherché à assassiner lâchement par derrière un des sieurs Du Solier tombé de cheval, fut tué lui-même dans le cimetière de Chasseneuil, près l’église. Ainsi finit cette sanglante tragédie, dans laquelle sept acteurs avaient péri !

En 1630, le sieur Sylvain Du Solier vint à Rouen solliciter la fierte. Le duc de Longueville, gouverneur de Normandie, appuya cette demande avec instance et chaleur. « Ceste affaire, disait-il, estoit ung pur malheur, et debvoit inspirer la commisération. » Ce prince déclarait « avoir tousjours faict beaucoup d’estime du sieur Du Solier, comme plein de toutes bonnes et louables conditions. » Du Solier fut élu par le chapitre ; mais le jour de l’Ascension devait être, cette année là encore, fécond en incidens. Au parlement, comme on venait de lire le cartel par lequel le chapitre demandait, pour jouir du privilège, Sylvain De Bridiers, sieur du Solier, et pendant que les huissiers étaient allés chercher ce prisonnier, on apporta au parlement une requête de Pougnant Huet, prisonnier à la conciergerie, qui demandait à lui être préféré. Enfant natif de ceste ville de Rouen, détenu depuis huit mois, il avait été interrogé par le chapitre, et avait fait sa confession, comme prétendant à la fierte. Il avait, disait-il, plus de droits à cette faveur que l’élu du chapitre, né dans une autre province et prisonnier depuis trois jours seulement. Tandis qu’un conseiller rapporteur lisait cette requête au parlement, survinrent les huissiers qui avaient été chargés d’amener De Bridiers ; ils se plaignirent d’en avoir été empêchés par les prisonniers de la conciergerie qui s’étaient révoltés. Pougnant Huet, surtout, leur avait opposé une résistance énergique, et le plus grand désordre règnait dans la prison. Le procureur-général dit que la requête de ce Pougnant Huet était une nouvelle forme « jusques à présent encore non veue. » Il n’y avait rien à prescrire aux chanoines sur le choix qu’ils faisaient d’un prisonnier pour lever la fierte. Ses députés allaient aux prisons interroger les détenus qui prétendaient au privilège, le chapitre choisissait parmi ces divers prétendans celui qu’il estimait en être le plus digne, et la cour en jugeait ; mais aucun des prétendans n’était en droit de se plaindre. Il requit une information sur la rebellion des prisonniers, et dit qu’en tout cas la cour ne devait pas s’arrêter à la requête. Cette requête fut, en effet, écartée. Le parlement envoya à la conciergerie « des huissiers en nombre suffisant pour faire monter le sieur Du Solier. » Ils avaient ordre de dire au concierge de mettre au cachot ceux des prisonniers qui voudraient l’empêcher, et qui tenteraient de commettre quelque rebellion. Enfin, le sieur Du Solier fut amené, « nud teste, vestu de son manteau et ayant les fers aux pieds. » Le parlement, après l’avoir interrogé sur la sellette, ordonna qu’il serait délivré ; mais l’arrêt ne parlait point des complices, que le chapitre avait, toutefois, mentionnés dans son cartel. Le maître de la confrérie de Saint-Romain, et le prisonnier lui-même, supplièrent la cour d’ordonner, conformément au cartel d’élection, que Sylvain De Bridiers jouirait du privilège de saint Romain, pour lui et ses complices. Le parlement ordonna que le sieur Du Solier jouiroit seul du privilège, à cause que ses complices n’estoient présents. Il était six heures lorsque cet arrêt parvint à la connaissance des chanoines assemblès. Après une délibération assez longue, le chapitre arrêta que « la procession et cérémonie seroit sursise à faire, jusqu’à ce que le privilège eût sorti son entier effet pour le regard des complices du sieur De Bridiers du Solier, suivant le cartel envoyé au parlement, et que le reste de l’office de ce jour seroit faict sans sonner les cloches. » Une députation se rendit chez le premier président, et lui fit des remontrances sur l’exclusion prononcée contre les complices du sieur Du Solier. Ce magistrat accueillit fort bien les envoyés du chapitre, et leur exposa en détail les motifs de cette décision. Il fut arrêté qu’une autre députation irait le lendemain faire des remontrances à la grand’chambre. Cependant, on brûla dans la salle capitulaire, conformément à l’usage, les confessions des prisonniers non élus, et à dix heures du soir, les chanoines sortirent du chapitre pour aller à la grand’messe et assister au reste de l’office, qui, on le conçoit, finit fort avant dans la nuit. Le lendemain, six chanoines députés allèrent représenter au parlement que sa restriction de la veille « seroit au déshonneur et diminution du privilège. » Ils demandèrent instamment que l’arrêt prononcé en faveur du sieur De Bridiers fût rendu commun à ses complices. Le parlement décida « qu’il n’y avoit lieu de rien ordonner sur ceste requeste », et qu’elle serait rendue sans réponse, sauf au chapitre, s’il avait de nouvelles pièces, à les remettre par devers le procureur-géneral du roi. Le samedi, dès six heures et demie du matin, plusieurs chanoines députés par le chapitre vinrent à la première audience de la grand’chambre, supplier le premier président de convoquer le parlement pour délibérer sur leur requête de la veille. Ils prièrent qu’on les excusât « s’ilz n’estoient en habit décent de longues robes, et seulement avec leurs longs manteaux. » Le premier président, Charles de Faucon, leur accorda leur demande, et le même jour, à dix heures, les députés du chapitre revinrent ; mais, cette fois, « revestus de leurs longues robes, avec bonnetz carréz. » C’étaient les abbés Nicolas Le Royer, Adrien Béhotte (ardent apologiste du privilège, lors du procès de 1608), Georges Ridel, Nicolas Du Tot, et Jean Le Vandanger, tous chanoines. Ils prièrent la cour de les vouloir entendre par la bouche de maître Centurion de Cahaignes, leur avocat. Le premier président, après avoir pris l’avis de la compagnie, leur répondit qu’il n’y avait point de procès pour plaider par advocat, et qu’ils pouvoient eulx-mesmes faire leur requeste. Alors, l’abbé Le Royer prit la parole ; « Les chanoines de Rouen, dit-il, supplioient très-humblement la cour, avec le respect qui luy estoit deu, qu’il luy pleust avoir aggréable que, conformément aux lettres de concession du privilège saint Romain, declarations des roys, et vérifications d’icelles en ce parlement, et suivant l’usage du dict privilège, dans l’arrest prononcé le jeudi précedent, les chambres assemblées, il fût employé que le prisonnier esleu par le chappitre joyroit du dict privillège, tant par luy que par ses complices ; ils supplioient, à cette fin, de considérer que le prisonnier qui avoit esté esleu estoit le chef et l’auteur principal de l’acte, et que la déclaration de 1597, qui leur estoit opposée, n’estoit que pour empescher que les principaux auteurs n’envoyassent lever la fierte par leurs valetz, pour se dispenser, eux, de comparoître. » Déjà la cour avait rendu plusieurs arrêts qui (les principaux auteurs de l’acte étant présens) avaient décidé qu’ils jouiraient de la grâce, pour eux et leurs complices absens. M. De Bretignières, procureur-général, prit la parole. Il montra que, depuis la déclaration de 1597, le parlement en avait usé diversement pour le fait des complices. Il prouva cette diversité de jurisprudence, en citant tous les arrêts rendus depuis 1597 dans les affaires où il y avait eu des complices. De ces arrêts, les uns avaient déclaré la grâce du privilège commune aux complices absens, et les autres l’avaient restreinte aux complices présens. Il ajouta néanmoins que, par la plus grande partie de ces décisions, le parlement avait manifesté l’intention que les complices ne pussent jouir du privilège, s’ils n’étaient présens en personne. Pour lui, il persistait dans ses conclusions conformes à l’arrêt contre lequel réclamait le chapitre. L’abbé Le Royer supplia le parlement de réflechir aux inconvéniens qui pouvaient résulter de cette jurisprudence. Souvent les complices étaient absens, soit pour cause de maladie, soit parce qu’ils étaient au service du roi. Les complices du sieur Du Solier se trouvaient précisément dans ce dernier cas, ils étaient à l’armée du roi en Italie. Le procureur-général invoquait contre leur prétention des arrêts qui ne leur avaient jamais été signifiés. Ils priaient la cour de leur faire connaître, à l’avenir, les décisions qu’elle pourrait rendre sur la fierte, afin qu’ils pussent s’y conformer. Le parlement, après avoir délibéré per vota, ordonna que son arrêt du jour de l’Ascension tiendrait, et serait délivré aux chanoines de Rouen, ainsi qu’il avait été prononcé, pour être exécuté selon sa forme et teneur. Le premier président dit aux députés que « si les chanoines vouloient continuer leur procession et cérémonie, interrompue le jour de l’Ascension, la cour le leur permettoit pour ceste foys seulement, sans que, pour l’advenir, ils la pussent différer comme ils avoient faict ceste année. » Le duc de Longueville, gouverneur de la province, qui avait sollicité vivement l’élection du sieur Du Solier, témoigna au chapitre le désir que la cérémonie retardée fût faite promptement, sauf au chapitre à se pourvoir auprès du roi pour faire lever la restriction. De plus, le chapitre acquit la certitude que l’arrêt du jour de l’Ascension ne portait point : « pour jouir du privilège luy seul et non autrement », comme on le lui avait rapporté, mais disait : « pour jouir du privilège en la manière accoustumée », ce qui était bien différent. Le privilège de saint Romain n’étant en rien méconnu, il fut alors décidé, au chapitre, que la cérémonie aurait lieu le dimanche, entre nones et vêpres. Le dimanche, on commença nones à une heure et demie. Puis toutes les cloches de la ville furent mises en volée ; la procession se rendit à la Vieille-Tour ; les paroisses de Rouen y assistaient, ainsi que les quatre écoles des pauvres. Les dignitaires du chapitre avaient leurs soutanes rouges, et, au retour de la procession, se mirent dans leurs chaires de dignités pendant que l’on chantait vêpres et complies. En un mot, tout eut lieu comme si c’eût été le jour de l’Ascension, excepté qu’il ne fut point chanté de grand’messe, celle du dimanche ayant été célébrée à l’heure ordinaire.


1632. Élection du sieur De Sérans.

L’élection de 1632 fut signalèe par des scènes bien autrement tumultueuses. Dès huit ou dix jours avant l’Ascension, le bruit courait que les suffrages du chapitre seraient pour « frère Jacques De Sérans, chevalier de l’ordre de Saint-Jehan de Jérusalem », gentilhomme de Basse-Normandie. Ce jeune homme, âgé seulement de vingt ans, était déjà coupable de deux viols et de trois meurtres. Il avait commis un de ces meurtres à Paris, dès l’âge de quinze ou seize ans, le second à Falaise, le troisième à Guibray. Les deux premiers furent a peine aperçus, le troisième mérite quelques détails. Depuis long-tems en querelle avec les sieurs De Fresné Tassilly et D’Omblainville, qui avaient désarmé deux soldats de son père, Jacques De Sérans étant allé à la foire de Guibray, accompagné de son jeune frère et des deux soldats qui naguère avaient été désarmés, rencontra dans la rue de Guibray les sieurs D’Omblainville et De Fresné Tassilly, assistés d’un grand nombre de gentilshommes. Ils se provoquèrent mutuellement. Les plus prompts mirent l’épée à la main. Le jeune frère de Jacques De Sérans, avant d’avoir eu le tems de tirer la sienne du fourreau, fut tué d’un coup de dague qu’il reçut dans l’estomac. Jacques De Sérans, furieux, se jeta dans la mêlée et blessa mortellement le sieur d’Omblainville, meurtrier de son jeune frère ; un autre l’acheva. Jacques De Sérans donna aussi des coups d’épée au sieur De Fresné Tassilly, qui fut blessé mais n’en mourut pas. La famille De Fresné Tassilly ayant appris, peu de tems après, que Jacques De Sérans sollicitait la fierte, mit tout en œuvre pour l’empêcher d’être élu. De leur côté, les parens du chevalier de Sérans n’épargnèrent pas les démarches pour assurer son élection. Huit ou dix jours avant l’Ascension, « il se faisoit dans Rouen de grands amas de gentilshommes et autres de leurs amis, de part et d’autre. » Le président Le Roux de Saint-Aubin en parla à la grand’chambre ; il craignait, dit-il, que le jour de l’Ascension, « il n’arrivât quelque désordre et violence à quoy l’on ne pourroit pas aisément remédier, et luy sembloit à propos d’y pourvoir avant que d’en attendre l’inconvénient. » Ces paroles du président De Saint-Aubin firent peu d’impression sur la compagnie. Tout le monde savait qu’il protégeait pour la fierte un autre que le chevalier de Sérans, et qu’il était mal disposé envers le chapitre, dont quelques membres, trop peu discrets, avaient déjà manifesté l’intention de préférer ce gentilhomme. Sa proposition n’eut donc pas de suites. Le lendemain, on ne fit guères plus d’attention à une requête des parties civiles du chevalier de Sérans, par laquelle le parlement était supplié de « voir et délibérer les charges et informations des crimes dont le chevalier estoit prévenu, crimes qui, disait la requête, le rendoient indigne du privilège, vu leur énormité. Le parlement, ajoutaient les suppliants, après avoir vu qu’aux termes de la déclaration du roi, ces crimes sont exclus du privilège, y aura esgard en délibérant sur le cartel, au cas où le prisonnier seroit esleu et nommé par le chapitre. »

Le jour de l’Ascension, vers une heure après midi, le chapitre envoya au parlement un cartel où était inscrit le nom du chevalier de Sérans. Alors furent présentées à cette compagnie, tant par le père du prisonnier que par les parties civiles, des requêtes de récusation qui portaient sur un si grand nombre de magistrats, « qu’il ne resta aucuns des présidents et conseillers de la grand’chambre pour pouvoir les juger. » C’est du moins ce que dit le registre secret ; mais le chapitre, dans une lettre manuscrite que j’ai sous les yeux, accuse le président De Saint-Aubin de n’avoir pas voulu permettre au parlement de mettre en délibération le cartel d’élection, marry qu’il estoit (dit encore cette lettre) que les chanoines avoient préféré le prisonnier à un autre que luy-mesme avoit en recommandation. Le registre secret atteste que plusieurs propositions furent faites, et qu’on ne put parvenir à s’entendre. Le président Le Roux de Saint-Aubin déclara que s’il y avait quelqu’un qui pût présider, il était prêt à répondre aux moyens de récusation présentés contre lui. Mais on ne put convenir de rien ; et, « après avoir demeuré en la chambre dorée jusques à sept heures du soir, enfin la cour se résolut de désemparer. » Un huissier vint dire aux chapelains et aux quatre maîtres de la confrérie de Saint-Romain, qui avaient apporté le cartel à une heure, « qu’ilz eussent à se retirer et que la court ne délibéreroit rien ce jour-là. » Le chapitre, aussi-tôt qu’il connut cette réponse, envoya au palais quatre chanoines chargés de faire des représentations. Mais tous les membres du parlement s’étaient retirés. « Ce jour-là se passa donc sans avoir esté la cérémonie du privilège accomplie, ni la fierte levée. » Le lendemain, quatre chanoines s’étant rendus au Palais, le premier avocat-général Du Vicquet leur dit que « la cour ne les entendroit point, et qu’ilz eussent à présenter requeste. » Le chapitre, poussé à bout, déclara qu’il « se pourveoiroit vers le roy. » On conçoit que tout cela ne put pas avoir lieu sans beaucoup d’agitation dans le parlement, de mouvement dans le Palais, de bruit parmi la multitude immense qui remplissait la ville. Le registre secret parle d’assemblées, d’entreprises, d’esmotions, d’armements et de tumultes. Les gentilshommes, parens et amis du prisonnier et de ses parties civiles, divisés en diverses troupes, et tous armés d’épées et de pistolets, parcouraient les rues de Rouen, se regardant, se défiant, se prodiguant les menaces, les insultes ; et l’on dut s’estimer heureux qu’il n’y eût pas de sang versé. Des amis du président De Saint-Aubin dirent que si le chevalier de Sérans eût été délivré, le trouble aurait été encore plus grand. L’arrêt, ajoutaient-ils, était fondé sur la prévoyance d’une sédition populaire, que n’aurait pas manqué d’exciter la délivrance de ce prisonnier. Le roi envoie Louis XIII fut promptement instruit de ce qui s’était passé. On lui dit que, même au palais, des scènes fâcheuses avaient eu lieu entre les membres du parlement. D’Abbeville, où il était alors, il se hâta d’envoyer à Rouen M. De Pâris, maître des requêtes, pour informer de tous ces désordres et en dresser procès-verbal. M. De Pâris vint au parlement où il fut honorablement reçu ; il prononça devant les chambres assemblées, un discours dans lequel il montrait que le roi, et lui commissaire envoyé par S. M., croyaient que des scènes violentes et tumultueuses avaient eu lieu et dans la ville et au parlement, dans le secret de la chambre du conseil. Le président Le Roux de Saint-Aubin dit que « les récusations présentées par les parties du prisonnier et par le prisonnier lui-même, avoient donné quelque sujet de contention et empesché toute délibération. Depuis ce jour, toutes choses s’estoient passées dans l’ordre accoustumé ; et la compagnie avoit toujours rendu tesmoignage du service et fidélité qu’elle debvoit au roy. » A ces paroles succéda un assez long silence, qui fut enfin rompu par M. De Bonissent, conseiller aux enquêtes. « L’attitude de toute la compaignie fait assez connoître, dit-il, l’union qui est entre nous. L’énoncé des lettres du roy montre que S M. a cru qu’en ce qui s’est passé icy le jour de l’Ascension, il y avoit eu de la chaleur de la part de MM. des enquestes. Et, d’aultant que la contention meue le dit jour n’a esté aultre que celle qui a accoustumé de se rencontrer dans la diversité des advis, et pour savoir ce que l’on debvoit faire sur les causes de récusation qui avoient esté proposées par les parties, je supplie la cour, en la présence de monsieur le commissaire, de tesmoigner de vive voix et par ung concert universel, ce qui a esté faict, tant pour l’honneur de la compaignie en général, que pour faire cognoistre le procédé de MM. des enquestes, qui n’estiment avoir en rien manqué à l’honneur, service et respect qu’ils doivent au roy et à la cour. » Un murmure favorable accueillit ces paroles. Le président Le Roux de Saint-Aubin prit les avis, en présence du commissaire du roi ; puis il dit à haute voix : « Les contestations qui se passèrent en la compaignie, le jour de l’Ascension, sur la présentation de l’acte de l’élection faicte par le chapitre, de Jacques De Sérans, pour joyr du privilège sainct Romain, n’ont altéré, ni en rien diminué l’affection que toute la compaignie a tousjours eue au bien du service du roy, à l’administration de sa justice, et à maintenir le repos et tranquillité publique, et ses subjects en l’obéissance qu’ils luy doibvent. » Après ce préambule, il prononça un arrêt qui ordonnait qu’on remettrait au commissaire du roi les procès-verbaux de ce qui s’était passé, le jour de l’Ascension, tant au parlement que dans toute la ville, avec des listes et rôles de toutes les personnes qui étaient venues loger aux hôtelleries de Rouen pourvoir la fête. De plus, pour prévenir les désordres qui pourraient arriver en telles occurrences, pour empêcher l’abus des récusations qui pouvaient paralyser des chambres entières du parlement, il fut arrêté que l’on supplierait le roi d’ordonner que les parties seraient contraintes de réduire au tiers les récusations qui envelopperaient toute la compagnie. Enfin, pour obvier aux abus et contraventions qui se faisaient par le chapitre dans l’élection du prisonnier, le jour de l’Ascension, il fut arrêté que les chanoines seraient tenus de se régler selon la déclaration de Henri IV, sans quoi le cartel d’élection serait nul.

Cependant les chanoines, très-mécontens de ce que la fierte n’avait pas été levée cette année, s’étaient plaints au roi et au conseil. Par arrêt rendu contradictoirement entre eux et les parties civiles du chevalier D’Andrieu, toute cette affaire fut renvoyée au parlement de Bretagne. Aussi-tôt, le chapitre de Rouen écrivit à l’évêque de Rennes, pour le prier d’interposer son autorité et le crédit de ses amis « à ce qu’il ne fust faict bresche à un privilège si authentique, dernière marque qui restoit encore des anciennes prérogatives de l’esglize, et que, conformément à l’élection du chapitre de Rouen, le chevalier d’Andrieu fût mis en liberté. Le principal motif qui nous a portés à faire ceste élection (disait le chapitre), a esté la recommandation de l’ordre des chevaliers de Malthe, les quels exposant journellement leurs vies contre les ennemis de nostre foy, nous avons pensé que nous ne debvions refuser à leurs prières ceste faveur pour la délivrance d’un de leurs confrères, affin qu’ilz soient d’autant plus encouragée à la deffense de l’esglize, voyant que les ecclésiastiques se souviennent d’eux aux occasions. » Dans une seconde lettre à ce prélat, les chanoines, en le remerciant de ce qu’il avait déjà fait pour eux, le priaient de leur continuer ses bons offices. « La conservation de ce privilège nous est d’autant plus chère (lui disaient-ils), qu’il s’agit d’une des marques qui restent encore de l’ancienne franchise et liberté de l’église, que nous avons, jusques à présent, maintenue contre les entreprises de tous ceux qui l’ont voulu heurter en ces derniers temps. En quoy nous sommes d’autant plus favorables, que ce sont en partie les huguenots qui se meslent maintenant en ceste affaire et nous y veulent troubler, essayant, par voyes obliques, de donner quelque atteinte à l’église ; nous espérons que, par vostre moyen, ces nuages se dissiperont. » Par une lettre à la même date, le chapitre de Rouen remercie vivement les chanoines de la cathédrale de Rennes, qui, sans avoir attendu ses prières, « s’estoient portés puissamment à la protection des droits et prérogatives de l’église de Rouen, comme si c’eût été leur affaire propre. » — « Vous nous avez engagez et attachez à vous (leur écrivait-il) par des nœuds et liens si fermes qu’ilz ne se rompront jamais, et nous transmettrons le souvenir et la reconnoissance de ce bienfait à ceux qui viendront après nous, pour estre à perpétuité vouéz et obligéz au service de vostre compagnie. » Cette affaire languit long-tems. Enfin, le parlement de Bretagne, par un arrêt du 5 janvier 1634, décida que le chevalier de Sérans d’Andrieu jouirait du privilège de saint Romain, au jour accoutumé, suivant la nomination du chapitre de Rouen. Mais, eu égard à de nouveaux excès commis dans la conciergerie de Rennes par cet incorrigible gentilhomme, entre autres sur le sieur De Bréon qu’il avait frappé d’un coup de couteau, l’arrêt portait qu’il serait banni des provinces de Bretagne et de Normandie pour dix ans, sous peine de mort, s’il rompait son ban. Les chanoines de Rouen, regardant cette dernière clause comme contraire au privilège de la fierte, dont l’effet_était de restituer les impétrans en leur bonne renommée et en pleine liberté de leurs personnes, supplièrent le parlement de Bretagne « de vouloir bien, interprétant son arrêt du 5 janvier, dispenser le chevalier d’Andrieu du bannissement qui y estoit prononcé ; d’autant qu’il diminuoit la force du privilège, estant une mort civile qui les empeschoit de pouvoir l’admettre aux cérémonies ordinaires et requises à l’effet du privilége de la fierte. » Ils prièrent cette cour de déclarer, du moins, que la condamnation au bannissement ne pourrait préjudicier à leur privilége, ni apporter aucune restriction aux lettres de concession à eux données par les rois de France. Mais cette démarche n’eut aucun succès ; et le parlement de Bretagne ordonna, le 4 mai, que son arrêt du 5 janvier précédent serait exécuté selon sa forme et teneur, sans préjudice des droits et privilèges des chanoines de Rouen. Par suite de ces arrêts, il y eut, en 1634, le jour de l’Ascension, deux prisonniers qui levèrent la fierte ; savoir : le chevalier d’Andrieu de Sérans, pour l’année 1632, et un gentilhomme du pays de Caux, nommé Gréaulme, pour l’année présente (1634).

Au moment où la procession de Notre-Dame, se rendant à la Vieille-Tour, passait devant la conciergerie de la cour ecclésiastique (rue Saint-Romain), Jacques De Sérans se présenta à la porte de cette prison, les fers aux bras et une couronne de fleurs sur la tête. Deux des anciens maîtres de la confrérie de Saint-Romain, assistés des officiers de l’église, l’emmenèrent avec eux, derrière la procession, jusqu’à la Vieille-Tour où il leva la fierte avant le sieur De Gréaulme, prisonnier élu pour cette année. Au retour de la procession, il marchait à la droite du sieur De Gréaulme, portant, avec lui, la châsse de Saint-Romain. Lorsqu’on fut arrivé à l’èglise, le chapelain les présenta ensemble à tous les membres du chapitre, qui leur adressèrent la remontrance d’usage. Ce cérémonial avait été ainsi réglé à l’avance[2].


1633. Dubosc, qui avait levé la fierte en 1633, est pendu, à Rouen, en 1634, pour un autre crime.

En 1633, la fierte avait été sollicitée par Nicolas Dubosc, jeune homme de Rouen, clerc au tabellionnage, et par Anne Le Thuillier, qui, de complicité, avaient tué un homme dans un mauvais lieu de Rouen. La famille Dubosc, qui était très-protégée, avait commencé par obtenir que le procès serait évoqué au parlement de Paris ; puis le conseil avait défendu à ce parlement d’en connaître ; et bientôt, rapportant son premier arrêt, lui avait enfin renvoyé cette affaire. Mais pendant toutes ces procédures, suscitées par la famille Dubosc pour gagner du tems, arriva le jour de l’insinuation du privilège de saint Romain. Alors les geoliers des prisons du bailliage de Rouen, qui, jusque-là, se fondant sur la contrariété des arrêts du conseil, avaient refusé de livrer Dubosc et sa complice aux huissiers de Paris envoyés pour les chercher, refusèrent plus explicitement encore, se fondant maintenant sur l’insinuation du privilége, formalité après laquelle aucun prisonnier ne devait plus être transporté hors la ville. On somma le chapitre de consentir l’enlèvement des deux prisonniers. Le grand-chantre répondit que messieurs du chapitre estoient maistres des prisons, attendu l’insinuation du privilége de monsieur sainct Romain ; et que l’arrêt du parlement défendait qu’aucun prisonnier fût transféré hors la ville. Conséquemment, ils ne pouvaient tolérer l’enlèvement de Dubosc et de la femme Le Thuillier. Bientôt les espérances de la famille Dubosc furent réalisées. Le jour de l’Ascension, Nicolas Dubosc et sa complice levèrent la fierte. Nul doute que, sans toutes ces longues procédures, ils auraient été condamnés et exécutés avant l’insinuation. Le danger imminent qu’avait couru Dubosc aurait dû être pour lui un avertissement de mieux vivre à l’avenir. Mais les inclinations perverses de ce jeune homme étaient incorrigibles. Précédemment il avait tué en duel, sur les bruyères de Saint-Julien, près Rouen, le précepteur des enfans de M. Châlon. Dès l’année qui suivit celle où il avait levé la fierte, il tua, près de la porte Cauchoise, à Rouen, le fils d’un tavernier de Dieppe, pour un sujet des plus frivoles. Cette fois, l’indulgence des hommes était épuisée pour lui ; arrêté et mis en jugement à raison de ce troisième meurtre, Nicolas Dubosc, âgé de vingt-sept ans seulement, fut condamné à mort, et pendu le 16 août 1634 sur la place du Vieux-Marché, à Rouen.


1638. Un prisonnier est refusé au chapitre, parce que la date de son écrou était douteuse. On finit, toutefois, par le délivrer.

En 1638, le jour de l’Ascension, le chapitre avait élu Raulin Dubusc, jeune homme de Rouen, qui avait tué son frère. Le parlement cassa l’élection, non pas à cause du crime en lui-même, que les circonstances rendaient excusable jusqu’à un certain point, mais parce que le prisonnier n’avait pas été enregistré suivant la déclaration du roi et les arrêts de la cour ; sauf au chapitre à faire choix d’un autre. Le chapitre, averti de cette décision à cinq heures du soir, fit venir le concierge de la Chambre des Comptes, qui, après avoir prêté serment entre les mains de l’archevêque, attesta que sa liste était sincère, et que Raulin Dubusc avait été continuellement prisonnier sous sa garde, depuis trois semaines ; il signa sa déposition. Des députés du chapitre allèrent trouver MM. du parlement, et exhibèrent cette déclaration faite sous la foi du serment. Si le concierge avait commis une faute, une omission, pouvait-elle, dirent-ils, être imputée au chapitre ? Sans doute le parlement maintiendrait ce corps dans ses libertés et possessions anciennes. M. Charles De Faucon, premier président, leur objecta la déclaration de 1537, et l’arrêt du parlement, qui exigeaient qu’un prisonnier, pour être admis à lever la fierte, eût été écroué dans les prisons avant l’insinuation du privilége. L’écrou de Raulin Dubusc n’étant point produit, on en devait conclure qu’il ne s’était constitué prisonnier que depuis l’insinuation ; il ne pouvait, conséquemment, être admis à lever la fierte. Il invita le chapitre à procéder à une nouvelle élection, en lui donnant l’assurance que le parlement attendrait son second cartel. Les chanoines députés répondirent que l’élection du chapitre ayant été faite selon les formes ordinaires et observées de tems immémorial, « avec la candeur et la bonne foi requises en telle élection », on ne pouvait exiger qu’ils procédassent à un nouveau choix. L’affaire étant d’importance, ils demandèrent instamment que les avis de MM. du parlement fussent recueillis de nouveau, espérant que les explications qu’ils venaient d’entendre les auraient satisfaits. La cour y consentit, et la conjecture du chapitre se trouva vraie ; car bientôt on fit venir enfin Raulin Dubusc, qui fut interrogé sur la sellette. A huit heures et demie du soir, tut prononce un arrêt qui ordonnait que ce prisonnier serait délivré au chapitre, pour jouir du privilège, mais pour la cérémonie du jour seulement. La procession partit de Notre-Dame à plus de neuf heures du soir. Raulin Dubosc leva la fierte à la Vieille-Tour, et l’apporta jusque sur le maître autel du chœur. Alors, sur le bruit qui courut qu’on vouloit se saisir de sa personne, en vertu de l’arrêt du parlement qui l’avait délivré pour la cérémonie seulement, il sortit sans bruit de la cathédrale, à la faveur de la nuit. La grand’messe fut célébrée comme elle l’était ordinairement à pareil jour ; et sans doute elle ne finit pas avant minuit.


1641. Trois frères lèvent la fierte, pour avoir tué un homme qui avait déshonoré leur sœur.

En 1641, la fierte fut donnée à trois gentilshommes coupables d’un meurtre dont les circonstances étaient affreuses, mais qu’excusait, jusqu’à un certain point le sentiment bien naturel qui paraissait avoir animé ses auteurs. Les sieurs De Bérard, gentilshommes de Touraine, étaient avertis qu’une intimité criminelle existait entre un sieur Postel d’Ormois et Marguerite De Bérard, leur sœur. L’un de ces gentilshommes, page du prince de Guéméné, avait épié les deux amans, et, par l’ouverture de la serrure, « les avoit veu faire une action non licite qu’aux gens mariés. » Il en avertit ses deux frères, et ils résolurent tous les trois de tâcher de surprendre le sieur D’Ormois et leur sœur « en l’estat que leur jeune frère les avoit veus, affin de les faire espouser ensemble », et réparer ainsi l’offense faite à leur maison. C’était au manoir de la Grillonnière, appartenant à leur mère, que se passaient ces scènes honteuses. Accompagnés de deux gentilshommes, leurs cousins, ils s’y rendirent une nuit, fort secrètement. Arrivés aux portes du château, après s’être tous débottés pour faire moins de bruit, ils furent introduits par des valets. Ils entrèrent dans la chambre de leur sœur ; l’un d’eux écarta les rideaux du lit… il n’y avait plus lieu d’en douter… leur sœur était déshonorée. Cependant, aussi-tôt qu’il les avait aperçus, le sieur D’Ormois s’était jeté sur son épée, puis la lampe qui éclairait la chambre étant venue à s’éteindre, il s’était enfui en chemise, et était allé se barricader dans une des chambres de l’étage supérieur. Bientôt, voyant les issues du château fermées pour l’empêcher de s’évader, il demanda aux sieurs De Bérard ce qu’ils lui voulaient. « Il fault, lui dirent-ils, que vous espousiéz celle que vous avez déshonorée. » — « Je mourrois plustost, répondit-il ; je n’ay rien attenté contre l’honneur de madamoiselle vostre sœur ; je causois avec elle, mais c’estoit sans aulcun mal. » Cette réponse était peu faite pour contenter les trois frères. Après bien des pourparlers, D’Ormois, voyant que c’était fait de lui, résolut de vendre cher sa vie. Lui et son domestique se présentèrent à leurs adversaires, l’épée et le pistolet à la main ; de part et d’autre on tira ; des deux côtés, les balles portèrent. D’Ormois étant blessé, on lui dit qu’il estoit encore assez temps d’espouser Marguerite De Bérard, et qu’il y avoit ung prestre non loin de là. Mais il répondit qu’il voulait qu’on l’achevât, et, en disant ces mots, coucha en joue le sieur Thomas De Bérard, qui, voyant cela, l’étendit mort à ses pieds. Aussi-tôt les meurtriers s’enfuirent, on instruisit contre eux. Des indices graves donnèrent lieu de penser que cette tragédie était le résultat d’un complot honteux, ourdi entre Marguerite De Bérard, sa mère et ses frères, pour contraindre le sieur D’Ormois à un mariage auquel il répugnait invinciblement. Le trop célèbre Laubardemont, envoyé en Touraine pour faire le procès aux coupables, les condamna par contumace, les uns à être rompus vifs, les autres à avoir la tête tranchée. Enfin, en 1641, les sieurs De Bérard vinrent à Rouen solliciter la fierte. Bouthillier-Chavigny, secrétaire d’état aux affaires étrangères, proche parent des Bérard, écrivit à François De Harlai, premier du nom, archevêque de Rouen, et au chapitre, en leur faveur. « Il seroit difficile à ces gentilshommes (écrivait-il) de se mettre en seûreté par autre voie que la fierte. » Et comme le chapitre l’avait invité à recourir plutôt à la grâce du roi, ce ministre répondit : « Si le crime dont les sieurs de la Grillonnière sont accusés eust permis d’implorer la grâce du prince, j’oze vous dire que le Roy m’eust peut estre faict l’honneur de me l’accorder pour eux. Ce sont gentilshommes de condition, qui sont tombés dans ce crime par un malheur extrême. Il y a quatre ans qu’ils en font pénitence, et ils espèrent, dans le repentir et très-grand déplaisir qu’ils ont de leur faulte, qu’ils obtiendront le remède qu’ils cherchent pour mettre fin à leurs peines en levant la fierte. » Le duc de Longueville écrivit aussi en faveur de ces gentilshommes, « qu’il avoit veu, disait-il, signaler souvent leur valeur dans les armées. C’est principalement, ajoutait-il, pour les personnes de leur mérite et condition que le privilège de la fierte a esté introduit. » Ces sollicitations eurent un succès complet. La fierte fut accordée aux sieurs De Bérard de la Grillonnière. Mais, pendant plusieurs années encore, ils continuèrent d’expier leur crime par les persécutions qu’ils eurent à essuyer de la part de la famille du sieur D’Ormois. Marguerite De Bérard, qui n’avait pas levé la fierte, était plus tourmentée que les autres, et on était parvenu à la faire arrêter. Après de longues procédures, le conseil renvoya cette affaire au jugement du parlement de Rouen, qui, par un arrêt du 22 août 1648, ordonna que les prisons seraient ouvertes à Marguerite De Bérard, la renvoya en la possession de ses biens, et la mit hors de procès. Ainsi se termina cette affaire, après onze ou douze années d’angoisses pour la famille De la Grillonnière. Ce qu’il y a de piquant, c’est que l’esclandre qu’avait faite ce procès n’empêcha pas Marguerite De Bérard d’être recherchée en mariage : peu de tems après la mort tragique du sieur Postel d’Ormois, elle avait épousé un sieur Jacques De Sarcilly, sieur des Fourneaux.


1642.

Un baron de Ris (je ne sais s’il était de la famille des Faucon de Ris qui a donné plusieurs premiers présidens au parlement de Rouen) ayant assassiné le vicomte de Montmartin, le parlement de Paris l’avait condamné à mort par contumace. En 1642, Le roi (Louis XIII), informé que ce gentilhomme « poursuivoit pour lever la fierte de sainct Romain, et obtenir, par ce moyen, l’impunité de son crime », écrivit au chapitre « qu’il estoit à propos que l’on n’abusât point de ce privilège, l’estendant à toutes sortes de personnes qui, par faveur, estoient admises à s’en prévaloir, ce que si l’on toléroit quelquefois, il estoit bon, néantmoins, que ce ne fût pas tousjours. Vous ferez donc en sorte, pour ceste fois-cy, ajoutait-il, qu’un autre que le dict baron de Ris lève la dicte fierte. »

Le chapitre eut égard à cette lettre ; et le privilège fut accordé, cette année, à un sieur Olivier Dagouët de la Giraudière, qui avait tué son beau-père (le mari en secondes noces de sa mère).


FIN DU PREMIER VOLUME.

  1. Registres du parlement.
  2. Délibération du chapitre, en date du 23 mai 1634, deux jours avant l’Ascension.