Depuis l’automne 1657, jusqu’à l’automne 1658, au départ des vaisseaux du Canada.


Nous avons une histoire bien funeste pour commencer cette année, si toutefois nous pouvons trouver quelque chose qui puisse être commencé de la sorte entre les gens de bien, la chose arriva ainsi : Le 25 octobre 1657, un excellent menuisier nommé Nicolas Godet que la compagnie du Montréal avait fait venir ici avec toute sa famille par Normandie dès l’an 1641, son gendre nommé Jean St. Père, homme d’une piété aussi solide, d’un esprit aussi vif et tout ensemble, dit-on, d’un jugement aussi excellent qu’on ait vu ici, furent cruellement assassinés à coup de fusils avec leur valet, en couvrant leurs maisons, par des traîtres Iroquois, qui vinrent parmi nous, comme n’ayant plus de guerre les uns avec les autres depuis cette paix dernière et solennelle, dans laquelle ils nous avaient rendu nos gens et nous leur avions remis ceux des leurs qui étaient dans nos prisons. Certes cette perfide rupture nous fut bien fâcheuse, car il est bien difficile de retrouver des gens tels que nous les perdons, il est bien sensible de voir périr les meilleurs habitants qu’on ait par des lâches infâmes qui après avoir mangé leur pain, les surprennent désarmés, les font tomber comme des animaux de dessus le couvert d’une maison ; au reste le ciel trouva cette action si noire, que ces barbares s’enfuyant ici trop vite pour recevoir la punition de leur crime, il les punit par des reproches qu’il tira de la langue d’un de ceux qu’ils avaient tués ; ce que j’avance est un dire commun qui prend l’origine de ces mêmes assassinateurs, lesquels ont assuré que la tête de feu St. Père qu’ils avaient coupée leur fit quantité de reproches en l’emportant, qu’elle leur disait en fort bon Iroquois, quoique ce défunt ne l’entendait pas de son vivant ; “ Tu nous tues, tu nous fais mille cruautés, tu veux anéantir les Français, tu n’en viendras pas à bout ; ils seront un jour vos maîtres et vous leur obéirez, vous avez beau faire les méchants ; ” Les Iroquois disent que cette voix se faisait entendre de temps en temps le jour et la nuit à eux, que cela leur faisant peur et les importunant, tantôt ils la mettaient dans un endroit et tantôt dans un autre ; que même parfois, ils mettaient quelque chose dessus pour l’empêcher de se faire ouïr, mais qu’ils ne gagnaient rien, qu’enfin ils l’écorchèrent et en jetèrent le crâne de dépit, que toutefois, ils ne laissaient pas d’entendre la voix du côté où ils mettaient la chevelure, que si cela est, comme il n’y a pas d’apparence que ceci soit une fiction sauvage, il faut dire que Dieu sous les ombres de ce mort voulait leur faire connaître en leur faisant ces reproches ce qui a arrivé depuis, que si on en veut douter, je donne la chose pour le même prix que je l’ai reçue de personnes dignes de foi, entre lesquelles je puis dire que la dernière qui m’en a parlé et qui me dit l’avoir ouï de la propre bouche de ces Iroquois. est un homme d’une probité très-avancée, qui entend aussi bien la langue sauvage que je puis faire du Français ; cela étant, j’ai cru devoir vous rapporter la chose dans l’ingénuité qu’on y peut remarquer et je croirais manquer si je la laissais dans l’obscurité du silence. Depuis ce désastre arrivé, on recommença mais un peu trop tard à se mettre sur ses gardes et à ne pas souffrir les Iroquois plus proche que la portée du fusil, ce qui fit qu’ils gagnèrent fort peu sur nous le reste de cette année, et que tout ce qu’ils firent tourna à leur désavantage. Le petit printemps nous fournit une histoire qui mérite d’avoir ici son lieu et sa place ; ce fut l’arrivée de 50 Français, lesquels arrivèrent ici le 3 avril sous le commandement de Mr. Dupuys, à la conduite des RR. PP. Jésuites qui avaient été obligés de quitter la mission de Onontahi crainte d’être cruellement brulés par ces barbares ; plusieurs de leurs gens moins disposés à ce genre de mort et à toute autre qu’il plairait à la providence d’envoyer, en eurent une telle frayeur qu’ils n’en furent guéris qu’à la vue du Montréal, lequel a fait plusieurs fois de semblables miracles ; au reste tout ce monde arrivé on tâcha de leur faire les meilleures réceptions qu’il fut possible et pour tâcher d’y réussir, on les sépara et on mit une partie au château et l’autre en cette communauté, à laquelle on accorda la grâce d’y précéder les RR. PP. Jésuites ; depuis cette flotte arrivée ici, il ne se passa rien qui mérite d’être écrit jusqu’aux nouvelles de France, lesquelles apprennent que le tonnerre qui avait menacé l’an dernier nos quatre missionnaires comme nous avons vu, avait fait grand bruit en plusieurs endroits du royaume, ce qui fit que Mr. l’abbé de Quélus quitta Québec pour venir consoler le Montréal de sa présence, et il y vint demeurer au grand contentement de tout le monde mais surtout de messieurs Souart et Gallinier qui ne craignirent pas de s’avancer bien loin dans les bois sans crainte des ennemis, afin d’aller au devant de sa barque pour lui témoigner la joie qu’ils avaient de son retour. Or Mr. l’Abbé de Quélus ôtant au Montréal, aussitôt Mlle. Mance qui était depuis 18 mois estropiée d’un bras par l’accident que nous avons marqué, lui dit : "Mr. voilà que mon bras s’empire au lieu de se guérir, voilà qu’il est déjà quasi tout desséché et me laisse le reste du corps en danger de quelque paralysie ; je ne le puis nullement remuer, même on ne peut pas me toucher sans me causer les plus vives douleurs, cet état m’embarrasse fort surtout en me voyant chargé d’un hôpital, auquel je ne puis subvenir dans l’incommodité où je suis et l’état où je me vois obligée de rester pour le reste de mes jours, cela étant, voyez ce qu’il serait à propos que je fasse, ne serait-il pas bon que j’allasse en France trouver la fondatrice tandis qu’elle est encore vivante et que parlasse à Messieurs de la compagnie du Montréal afin d’obtenir de la fondatrice, s’il se peut, un fonds pour des religieuses, puisqu’aussi bien la compagnie du Montréal n’est pas présentement en état de faire cette dépense avec les autres que ce lieu requiert, je ne puis plus vaquer aux malades ; que si je puis réussir, j’amènerai de ces bonnes religieuses de la Flèche, avec lesquelles feu Mr. Ollier et les autres associés ont il y a déjà longtemps passé un contrat pour le même dessein ; qu’en dites-vous, Monsieur ? ” “Vous ne pouvez mieux faire,” lui dit-il : témoignant beaucoup de joie et de cordialité là-dessus. De là à quelque jours, Mr. Souart part pour Québec, Mr. L’abbé lui ayant dit qu’une des mères Hospitalières de ce lieu là avait grand besoin d’air, que comme c’était une personne de mérite, il fallait tâcher de lui sauver la vie, qu’il ferait bien de descendre pour cela, parce que ayant la connaissance de la médecine outre son caractère sacerdotal, aussitôt qu’il donnerait son suffrage à ce qu’elle monta ici pour changer d’air, on ne manquerait pas de la faire venir ; ce bon Monsieur ayant ouï ce discours, se disposa de partir au plus vite, pressé par cette même charité qui sans lui donner le loisir de réfléchir le porte tous les jours chez les malades afin de les assister quand qu’il en est requis, selon que Sa Sainteté a trouvé bon de lui permettre, si ce Monsieur descendit promptement à Québec, il remonta encore au plus vite au Montréal avec cette bonne religieuse malade et une de ses compagnes. Ces deux bonnes religieuses étant à terre, Mr. l’abbé de Quélus qui n’avait pas manqué à dire la raison pour laquelle il avait envoyé Mr. Souart à Québec, soudainement vint avertir de tout ceci Mlle. Mance qui ne savait pas ce qui se passait lui disant, “Voilà deux bonnes filles Hospitalières qui arrivent parceque l’une d’elle a besoin de changer d’air ; elles vous vont venir saluer et demander le couvert ; » après cela, ces deux bonnes filles entrèrent ; auxquelles cette bonne demoiselle un peu interdite fit la meilleure réception qu’elle put, ensuite de quoi elle leur dit agréablement : « Vous venez, mes mères, et moi je m’en vais : ” Que si cette repartie d’esprit, fit voir son soupçon, cela lui était bien pardonnable d’autant que l’innocence de cette conduite eut paru un peu jouée à beaucoup d’autres ; Après avoir causé quelque temps avec elle, elle prit son temps pour aller voir Mr. de Maison-neufve, lequel croyant qu’elle avait fait venir ces deux religieuses, était étonné de ce qu’elle ne lui en avait rien dit, c’est pourquoi il la regarda un peu froid, surtout parcequ’il soupçonna quelque dessein d’établissement contre le contrat que feu M. Ollier avait fait conjointement avec les associés en faveur des religieuses de la Flèche ; mais un peu d’éclaircissement lui ayant fait connaître qu’ils n’étaient pas plus savants l’un que l’autre en cette matière et que ces bonnes filles ne venaient que pour prendre l’air afin de se guérir, ils se mirent à rire de la fausse alarme, se séparèrent bons amis, et Mlle. Mance s’en retourna trouver ses chères hôtesses, avec lesquelles elle fut deux jours et deux nuits, après lesquelles elle les laissa dans sa maison de l’hôpital et s’embarqua pour la France, toute remplie d’un religieux amour vers ces deux bonnes et pieuses filles aussi bien que pour toute leur maison où Dieu est admirablement bien servi, d’où elle aurait bien voulu dérober pour toujours un aussi riche trésor que ces deux hôtesses, sans que les filles de la Flèche auxquelles elle pensait uniquement à cause de l’élection qui en avait été faite. Etant à Québec, elle y resta 8 jours à l’hôpital où elle fut fort régalée en témoignage de reconnaissance du bon accueil qu’elle avait faite à leurs sœurs au Montréal, ensuite de quoi elle s’embarqua, pour ne mettre pied à terre que dans l’Europe.