Histoire des fantômes et des démons/La Devineresse

LA DEVINERESSE.

La Voisin, qui passait pour une grande sorcière sous le règne de Louis xiv, cherchait à duper le public, par les intelligences qu’elle se vantait d’avoir avec le diable. Lorsqu’on allait la consulter sur diverses choses, et qu’on voulait lui expliquer le fait : « Taisez-vous, s’écriait-elle, je ne veux point savoir vos affaires ; c’est à l’esprit qu’il faut les dire, car c’est un esprit jaloux, qui ne veut point qu’on entre dans ses secrets ; je ne puis que le prier pour vous et lui obéir. » Elle allait ensuite chercher du papier, qu’elle disait être charmé : elle donnait les noms, les titres et les qualités de l’esprit ; et, après avoir dicté le début de la lettre, elle laissait la liberté de l’achever, et d’y dire ses petites raisons au plus juste. Quand on avait achevé de mettre les questions par écrit, la rusée magicienne venait, avec un réchaud plein de braise à la main et une boule de cire vierge dans l’autre : « Pliez, disait-elle, cette boule dans votre lettre, et vous verrez consumer l’une et l’autre par le feu ; car l’esprit sait déjà ce que vous avez à lui dire, et, dans trois jours, vous pouvez venir savoir la réponse. » Cela dit, la Voisin prenait le paquet de la main de la personne, et le jetait dans le feu, où il était d’abord entièrement consumé. Cependant, trois jours après, on avait une réponse positive à tout ce qu’on avait écrit, que l’on trouvait toute cachetée chez la prétendue sorcière. L’adresse de la Voisin faisait tout le prestige : cette femme avait dans la main une boule de cire, pliée dans un papier écrit ; le papier était de même forme et de même grosseur ; et tout consistait dans la subtilité avec laquelle elle escamotait celui qu’on lui présentait, et jetait l’autre dans le feu. Elle savait, par ce moyen, ce qu’on demandait à l’esprit ; et il lui était aisé, pendant les trois jours qu’il fallait laisser écouler avant d’avoir la réponse, de s’instruire plus particulièrement des affaires et de l’humeur de la personne, et de lui écrire, sous le nom de l’esprit, des choses que le hasard et les intrigues qu’elle avait, faisaient souvent réussir.

C’est par de semblables pratiques que cette femme s’était acquis un droit, sur la crédulité des superstitieux et des ignorans. (Mme Desnoyers.)