Histoire des fantômes et des démons/Histoire des bergers de Brie

HISTOIRE DES BERGERS DE BRIE.

Après l’édit de 1682, pour la punition des maléfices, la race des sorciers diminua sensiblement en France, mais il restait encore, dans la Brie, aux environs de Paris, une malheureuse cabale de bergers, qui faisaient mourir les bestiaux, attentaient à la vie des hommes, à la pudicité des femmes et des filles, commettaient plusieurs autres crimes, et s’étaient rendus formidables à la province : il y en eut enfin d’arrêtés ; le juge de Pacy instruisit leur procès ; et par les preuves, il parut évidemment que tous ces maux étaient commis par maléfices et sortiléges. Les sorts ou poisons dont ces malheureux se servaient, pour faire mourir les bestiaux, consistaient dans une composition qu’ils avouèrent au procès ; et qui est rapportée dans des factums ; mais si remplie de sacriléges, d’impiétés, d’abominations et d’horreurs, qu’on frissonnerait en la lisant. Ils mettaient cette composition dans un pot de terre, et l’enterraient, ou sous le seuil de la porte des étables aux bestiaux, ou dans le chemin par où ils passaient ; et tant que ce sort demeurait en ce lieu, ou que celui qui l’avait posé était en vie, la mortalité des bestiaux ne cessait point ; c’est ainsi qu’ils s’en expliquèrent dans leurs interrogatoires ; et une circonstance fort singulière de leur procès, prouve victorieusement qu’il y à avait un vrai pacte entre eux et le Diable, pour commettre tous ces maléfices. Voici comment la chose se passa ; elle est trop curieuse pour en priver le public.

Ils avouèrent bien, comme il vient d’être observé, d’avoir jeté ces sorts sur les bestiaux du fermier de la terre de Pacy, proche de Brie-Comte-Robert, pour venger l’un d’entre eux, que ce fermier avait chassé et mis hors de son service. Ils firent le récit exact de la composition ; mais jamais aucun d’eux ne voulut découvrir le lieu où ils avaient enterré le sort, et on ne savait, après de semblables aveux, d’où pouvait venir cette réticence sur ce dernier fait. Le juge les pressa de s’en expliquer, et ils dirent que, s’ils découvraient ce lieu, et qu’on levât le sort, celui qui l’avait posé mourrait à l’instant.

Enfin, l’un de leurs complices, nommé Étienne Hocque, moins coupable que les autres ; et qui n’avait été condamné qu’aux galères, était à la chaîne, dans les prisons de la Tournelle : on gagna un autre forçat, nommé Béatrix, qui était attaché proche de lui. Ce dernier, à qui le seigneur de Pacy avait fait tenir de l’argent, fit un jour tant boire Hocque, qu’il l’enivra, et en cet état, le mit sur le chapitre du sort de Pacy. Il tira de lui le secret qu’il n’y avait qu’un berger, nommé Bras-de-Fer, qui demeurait près de Sens, qui pût lever le sort, par ces conjurations. Béatrix, profitant de ce commencement de confidence, engagea Hocque à écrire une lettre à Nicolas Hocque, son fils, par laquelle il lui mandait d’aller trouver Bras-de-Fer, pour le prier de lever ce sort, et lui défendait surtout de dire à Bras-de-Fer, qu’il fût condamné et emprisonné, ni que c’était lui Hocque, qui avait posé le sort.

Cette lettre écrite, Hocque s’endormit. Mais à son réveil, les fumées du vin étant dissipées, et réfléchissant sur ce qu’il avait fait, il poussa des cris et des hurlemens épouvantables, se plaignant que Béatrix l’avait trompé, et qu’il serait cause de sa mort. Il se jeta en même temps sur lui, et voulut l’étrangler ; ce qui excita même les autres forçats contre Béatrix, par la pitié qu’ils avaient du désespoir de Hocque ; en sorte, qu’il fallut que le commandant de la Tournelle vînt, avec ses gardes, pour apaiser ce désordre, et tirer Béatrix de leurs mains.

Cependant la lettre fut envoyée au seigneur, qui la fit remettre à son adresse. Bras-de-Fer vint à Pacy, entra dans les écuries ; et, après avoir fait plusieurs figures et des imprécations exécrables, il trouva effectivement le sort qui avait été jeté sur les chevaux et les vaches ; il le leva, et le jeta au feu, en présence du fermier et de ses domestiques ; mais à l’instant il parut chagrin, témoigna du regret de ce qu’il venait de faire, et dit que le diable lui avait révélé que c’était Hocque, son ami, qui avait posé le sort en cet endroit ; et qu’il était mort, à six lieues de Pacy, au moment que ce sort venait d’être levé.

En effet, par les observations qui furent faites au château de la Tournelle, il y a preuve qu’au même jour et à la même heure que Bras-de-Fer avait commencé à lever le sort, Hocque, qui était un homme des plus forts et des plus robustes, était mort en un instant dans des convulsions étranges, et se tourmentant comme un possédé, sans vouloir entendre parler de Dieu, ni de confession.

Bras-de-Fer avait été pressé de lever aussi le sort jeté sur les moutons ; mais il dit qu’il n’en ferait rien parce qu’il venait d’apprendre que ce sort avait été posé par les enfans de Hocque, et qu’il ne voulait pas les faire mourir corme leur père. Sur ce refus, le fermier eut recours aux juges du lieu. Bras-de-Fer, les deux fils et la fille de Hocque furent arrêtés avec deux autres bergers, leurs complices, nommés Jardin et le petit Pierre. Leur procès instruit, Bras-de-Fer, Jardin et le petit Pierre, furent condamnés à être pendus et brûlés ; et les trois enfans de Hocque bannis pour neuf ans. (Lamarre.)