Histoire des fantômes et des démons/Armées aériennes

ARMÉES AÉRIENNES.

On trouve le conte suivant, dans les entretiens sur la cabale, publiés sous le nom du Comte de Gabalis.

Le fameux cabaliste Zédéchias se mit dans l’esprit, sous le règne de Pepin-le-Bref, de convaincre le monde, que les élémens sont habités par des peuples d’une nature différente de la nôtre[1]. L’expédient dont il s’avisa fut de conseiller aux sylphes de se montrer en l’air à tout le monde. Ils le firent avec magnificence. On voyait dans les airs ces créatures admirables, en forme humaine, tantôt rangées en bataille, marchant en bon ordre, ou se tenant sous les armes, ou campées sous des pavillons superbes ; tantôt sur des navires aériens, d’une structure merveilleuse, dont la flotte volante voguait au gré des zéphirs.

Qu’arriva-t-il ? le peuple crut d’abord que c’était des sorciers qui s’étaient emparés de l’air, pour y exciter des orages et pour faire grêler sur les moissons. Les savans, les théologiens et les jurisconsultes furent bientôt de l’avis du peuple. Les empereurs le crurent aussi ; et cette ridicule chimère alla si avant, que le sage Charlemagne, et après lui, Louis-le-Débonnaire, imposèrent, de grièves peines à tous ces prétendus tyran de l’air.

Les sylphes voyant le peuple, les pédans et les têtes couronnées même, se gendarmer ainsi contre eux, résolurent, pour faire perdre cette mauvaise opinion qu’on avait de leur flotte innocente, d’enlever des hommes de toutes parts, de leur faire voir leurs belles femmes, leur république et leur gouvernement, puis de les remettre à terre en divers endroits du Monde. Ils le firent, comme ils l’avaient projeté. Le peuple qui voyait descendre ces hommes, y accourait de toutes parts, prévenu que c’étaient des sorciers qui se détachaient de leurs compagnons, pour venir jeter des venins sur les fruits et dans les fontaines ; suivant la fureur qu’inspirent de telles imaginations, il entraînait ces innocens au supplice. Il est incroyable quel grand nombre il en fit périr par l’eau et par le feu ; dans tout le royaume.

Il arriva qu’un jour entre autres, on vit à Lyon descendre de ces navires aériens trois hommes et une femme ; toute la ville s’assemble alentour, crie qu’ils sont magiciens, et que Grimoald, duc de Bénévent, ennemi de Charlemagne, les envoie pour perdre les moissons des Français.

Les quatre innocens ont beau dire, pour leur justification, qu’ils sont du pays même ; qu’ils ont été enlevés depuis peu par des hommes miraculeux, qui leur ont fait voir des merveilles inouies, et les ont priés d’en faire le récit : le peuple entêté n’écoute point leur défense, et il allait les jeter dans le feu, quand le bon homme Agobard, évêque de Lyon, qui avait acquis beaucoup d’autorité, étant moine dans cette ville, accourut au bruit.

Ayant ouï l’accusation du peuple et la défense des accusés, Agobard prononça gravement que l’une et l’autre étaient fausses, qu’il n’était pas vrai que ces hommes fussent descendus de l’air, et que ce qu’ils disaient y avoir vu était impossible.

Le peuple crut plus à ce que disait son bon père Agobard qu’à ses propres yeux, s’apaisa, donna la liberté aux quatre ambassadeurs des sylphes, et reçut avec admiration le livre qu’Agobard écrivit pour confirmer la sentence qu’il avait donnée : ainsi le témoignage de des quatre témoins fut rendu vain.

Cependant, comme ils échappaient au supplice, ils furent libres de raconter ce qu’ils avaient vu : ce qui ne fut pas tout-à-fait sans fruits ; car les sylphes et les sylphides étant mieux connus, contractèrent des alliances amoureuses avec les hommes et les dames de ce temps-là. Ce commerce produisit des héros et des femmes héroïques ; de là sont venues toutes ces histoires de fées, qu’on trouve dans les légendes amoureuses du siècle de Charlemagne. Toutes ces fées prétendues n’étaient que des sylphides et des nymphes.

  1. Selon la doctrine des cabalistes, les élémens sont peuplés d’esprits, invisibles au commun des hommes. Le feu est rempli de salamandres ; l’air, habité par les sylphes ; la terre, par les gnomes ; les ondins ou nymphes sont les hôtes de la mer, des rivières et des fleuves.