Histoire des Vampires/III/Chapitre V

CHAPITRE V.

Des Résurrections miraculeuses et naturelles. — Histoire d’un mort ressuscité par S. Stanislas. — Anecdotes diverses de personnes ressuscitées.

Les résurrections ont fortifié encore la foi aux apparitions, et amené toutes les sortes de spectres. On sait par quels miracles Hippolyte et quelques autres ont eu le bonheur de revivre après avoir été morts. Plutarque parle d’un mauvais fripon nommé Thespesius qui se cassa le cou, et mourut : mais après trois jours, comme on allait faire ses funérailles, il éternua, demanda à boire, raconta qu’il venait de faire un petit voyage dans l’autre monde, et vécut depuis en honnête homme, converti qu’il était par la peur de l’enfer.

Un certain Pamilius, tué à la bataille, resta dix jours parmi les morts, et ressuscita lorsqu’on le portait sur le bûcher.

« Toutes les vies des saints sont si pleines de résurrections de morts qu’on en pourrait composer de gros volumes : ces résurrections ont un rapport manifeste avec la matière que nous traitons ici, puisqu’il s’agit de personnes mortes, ou tenues pour telles, qui sortent du tombeau en corps et en âme, et apparaissent aux vivans[1]. »

Nous citerons, entre autres histoires, l’aventure de S. Stanislas, évêque de Cracovie, qui ressuscita, si l’on en croit les Bollandistes, un homme mort depuis trois ans. La chose s’est passée en Pologne, où par la suite les Vampires devinrent si communs.

S. Stanislas, ayant acheté d’un gentilhomme nommé Pierre une terre située sur la Vistule, en donna le prix au vendeur, mais sans marché, sans quittance, sans écrit quelconque : il en jouit pendant trois ans sans être tourmenté dans sa possession, quoique les fils du gentilhomme qui avait vendu la terre la réclamassent comme leur bien. Enfin trois ans après la mort de leur père ils citèrent l’évêque devant le roi Boleslas. L’évêque soutint qu’il avait payé la terre ; mais il ne put produire de témoins. Il allait être condamné : aussitôt il s’écria qu’il demandait un délai de trois jours, promettant d’amener devant le roi le gentilhomme même qui lui avait vendu la terre. Toute ridicule qu’était cette proposition, elle fut acceptée.

Le troisième jour S. Stanislas se rend en habits pontificaux, avec tout son clergé, au tombeau de Pierre ; il lui ordonne de sortir et de venir rendre témoignage. Le mort se lève : on lui donne un manteau ; on le conduit au roi. Le spectre, qui était méconnaissable, prend la parole, déclare qu’il a reçu le prix de sa terre, et gourmande ses fils de leur impiété. Stanislas lui demande ensuite s’il veut rester en vie ; mais il répond que non, et retourne en paix à son tombeau[2].

Cet événement aurait dû faire un effet prodigieux sur les Polonais : il paraît cependant que le roi ne s’y laissa pas séduire, ou plutôt qu’il avait le cœur bien endurci, puisque quelque temps après, sans respect pour un saint à miracles, il fit mourir Stanislas comme un séditieux.

On lit un trait pareil à celui-là dans les vies des SS. Pères. On accusait un religieux d’avoir tué un homme riche pour lui prendre une grosse somme d’argent qu’il portait sur lui. L’abbé du couvent se mit en prières, et ordonna au mort de dire la vérité. Le défunt se leva incontinent, proclama l’innocence du religieux, et dit qu’il avait été tué par un autre ; sur quoi le saint abbé lui dit : Dormez en paix. Et le mort s’endormit et mourut.

S. Augustin raconte qu’un paysan des environs d’Hippone, nommé Curma, mourut un matin, et demeura deux ou trois jours sans sentiment. Comme on allait l’enterrer, il rouvrit les yeux, et demanda ce qui se passait chez un autre paysan du voisinage, qui comme lui se nommait Curma : on lui répondit que ce dernier venait de mourir à l’instant où lui-même était ressuscité. « Cela ne me surprend pas, dit-il ; on s’était trompé sur les noms : on vient de me dire que ce n’était pas Curma le marguiller, mais Curma le maréchal qui devait passer. » Il raconta en même temps qu’il avait vu les enfers ; et il se fit baptiser.

On pense bien que des jongleries de cette sorte, souvent répétées, n’étaient pas faites pour diminuer les croyances superstitieuses. La religion chrétienne, comme toutes les autres religions, se servit des revenans, des résurrections et des apparitions surnaturelles pour avoir des nouvelles de l’enfer, et gouverner par l’épouvante.

Ces moyens ne sont plus de mode dans le siècle où nous vivons, parce que, quand même les morts ressusciteraient après deux ou trois jours de léthargie, on n’y verrait point de miracle. On sait qu’il y a beaucoup de morts apparentes, et l’on reconnaît en gémissant qu’on enterre quelquefois des personnes vivantes : aussi est-il à désirer que la France adopte enfin l’usage d’ouvrir les corps avant de les ensevelir, afin de s’assurer que l’on ne commet pas des homicides.

Le fameux docteur Scot fut enterré vivant à Cologne ; et lorsqu’on eut occasion d’ouvrir son tombeau on trouva qu’il s’était rongé les bras…

Dans le 17e siècle on fit à Rome les funérailles d’une grande dame, qui reprit le sentiment et la vie pendant qu’on chantait l’office des morts sur son cercueil.

Le médecin Zacchias parle d’un jeune homme qu’on crut mort deux fois, et qui deux fois ressuscita au moment où l’on allait le mettre en terre.

On enterra une femme d’Orléans en lui laissant au doigt une bague précieuse, qu’on ne put retirer. La nuit suivante un domestique ouvrit le tombeau, brisa le cercueil, et voulut couper le doigt qui portait la bague. La défunte poussa aussitôt un grand cri : le valet prit la fuite. La pauvre femme se débarrassa comme elle put, revint chez elle, et survécut à son mari.

Le chirurgien Benard vit tirer du tombeau vivant et respirant un religieux de Saint-François qui y était enfermé depuis trois ou quatre jours, et qui s’était rongé les mains : il mourut aussitôt qu’il eut pris l’air.

La femme d’un conseiller de Cologne ayant été enterrée en 1571 avec une bague de prix, le fossoyeur ouvrit le tombeau pendant la nuit pour avoir la bague : mais la dame, que l’on croyait morte, sortit du cercueil, et alla frapper à la porte de sa maison. On la prit d’abord pour un fantôme : on lui ouvrit enfin ; et elle eut depuis trois fils, qui furent gens d’église.

Tout le monde connaît les aventures de François de Civile, qui, blessé au siége de Rouen par Charles IX, fut enterré une demi-journée, abandonné ensuite pendant cinq jours sur un lit où il ne donnait aucun signe de vie, jeté enfin comme mort sur un fumier, et qui revint cependant en santé parfaite.

Dans une grande peste qui désola Dijon, en 1558, une dame, réputée morte de la maladie épidémique, fut jetée dans une fosse avec plusieurs corps morts. Elle revint à elle le lendemain matin, et fit de grands efforts pour sortir ; mais sa faiblesse et le poids des corps dont elle était couverte l’en empêchèrent. Elle demeura quatre jours dans cette situation : alors les enterreurs la ramenèrent chez elle, où elle se rétablit entièrement[3].

On pourrait multiplier les anecdotes de ce genre, qui montrent au moins qu’il peut se trouver des résurrections naturelles. Le charlatanisme s’en est emparé pour en imposer aux crédules esprits, et la superstition en a fait des épouvantails.

  1. D. Calmet, Dissert. sur les Revenans et Vampires. IV.
  2. Au 13e siècle, dans un canton de l’Allemagne, un abbé de moines s’empara de la terre d’un gentilhomme, et publia que ce gentilhomme la lui avait donnée en mourant. Or le gentilhomme n’était point mort ; on l’avait enfermé dans un cachot du couvent, où il languit sept années. Au bout de ce temps, ayant trouvé le moyen de s’échapper, il se remontra, et réclama son bien ; mais on le fit passer pour un spectre. Le peuple et les moines allaient procéder contre lui s’il n’eût pris la fuite. On ne sait ce qu’il devint.
  3. Ces traits sont cités dans la Dissertation de D. Calmet.