Histoire des Vampires/III/Chapitre III

CHAPITRE III.

De quelques causes physiques qui ont pu favoriser le Vampirisme.

Venons maintenant à ces cadavres qu’on a trouvés, dit-on, pleins d’un sang fluide, et dont la barbe, les cheveux et les ongles se sont renouvelés. Avec beaucoup de bienveillance on peut d’abord rabattre les trois quarts de ces prodiges ; et encore faut-il être bien complaisant pour en admettre une petite partie. Tous ceux qui raisonnent connaissent assez combien le crédule vulgaire et même certains historiens sont portés à grossir les choses qui paraissent tant soit peu extraordinaires. Cependant il n’est pas impossible d’en expliquer physiquement la cause.

On sait qu’il y a certains terrains qui sont propres à conserver les corps dans toute leur fraîcheur : les raisons en ont été si souvent expliquées qu’il n’est pas nécessaire de s’y arrêter ici. On montre encore à Toulouse, dans une église de moines, un caveau où les corps restent si parfaitement dans leur entier, qu’il s’en trouvait en 1789 qui étaient là depuis près de deux siècles, et qui paraissaient vivans. On les avait rangés debout, contre la muraille, et ils portaient les vêtemens avec lesquels on les avait enterrés.

Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que les corps qu’on met de l’autre côté de ce même caveau deviennent, deux ou trois jours après, la pâture des vers.

Quant à l’accroissement des ongles, des cheveux et de la barbe, on l’aperçoit très-souvent dans plusieurs cadavres. Tandis qu’il reste encore beaucoup d’humidité dans les corps, il n’y a rien de surprenant que pendant un certain temps on voie quelque augmentation dans des parties qui n’exigent pas l’influence des esprits vitaux.

Le Glaneur hollandais remarquait en 1733 (N°. IX) que tous les peuples chez lesquels on a vu des Vampires étaient plongés dans la plus épaisse ignorance, extrêmement crédules, et que, s’il se trouvait parmi eux des médecins ou des gens tant soit peu instruits, ils étaient à l’abri des attaques de ces spectres ; enfin que le Vampirisme, terrible dans les villages, n’osait presque jamais se montrer dans les villes ; et il en concluait naturellement que cette épidémie funeste était l’effet des imaginations frappées.

Cette maladie était encore augmentée par la mauvaise nourriture des paysans qui en étaient attaqués. Ces malheureux (serfs de la glèbe pour la plupart, et accablés de toutes les misères) ne mangeaient que du pain fait d’avoine, de racines et d’écorces d’arbres, aliment qui ne peut engendrer qu’un sang grossier, et par conséquent très-disposé à la corruption.

Pour le cri que les Vampires font entendre lorsqu’on leur enfonce le pieu dans le cœur, rien n’est plus naturel. L’air qui se trouve renfermé dans le cadavre, et que l’on en fait sortir avec violence, produit nécessairement ce bruit en passant par la gorge : souvent même les corps morts produisent des sons sans qu’on les touche.

Voici encore une anecdote qui peut expliquer quelques-uns des traits de Vampirisme : le lecteur en tirera les conséquences qui en dérivent naturellement. Cette anecdote a été rapportée dans plusieurs journaux anglais, et particulièrement dans le Sun du 22 mai 1802.

Au commencement d’avril de la même année, le nommé Alexandre Anderson, se rendant d’Elgin à Glasgow, éprouva un certain malaise, qui l’obligea d’entrer dans une ferme qui se trouvait sur sa route, pour y prendre un peu de repos. Soit qu’il fût ivre, ou qu’il craignît de se rendre importun, il alla se coucher sous une remise, où il se couvrit de paille, de manière à n’être pas aperçu. Malheureusement, après qu’il fut endormi, les gens de la ferme eurent occasion d’ajouter une assez grande quantité de paille à celle où cet homme se trouvait enseveli. Ce ne fut qu’au bout de cinq semaines qu’on le découvrit dans cette singulière situation. Son corps n’était plus qu’un squelette hideux et décharné ; son esprit était si fort aliéné qu’il ne donnait plus aucun signe d’entendement : il ne pouvait plus faire usage de ses jambes. La paille qui avait environné son corps était réduite en poussière, et celle qui avait avoisiné sa tête paraissait avoir été mâchée.

Lorsqu’on le retira de cette espèce de tombeau, il avait le pouls presque éteint, quoique ses battemens fussent très-rapides, la peau moite et froide, les yeux immobiles, très-ouverts, et le regard étonné.

Après qu’on lui eut fait avaler un peu de vin, il recouvra suffisamment l’usage de ses facultés physiques et intellectuelles, pour dire à une des personnes qui l’interrogeaient que la dernière circonstance qu’il se rappelait était celle où il avait senti qu’on lui jetait de la paille sur le corps ; mais il paraît que, depuis cette époque, il n’avait eu aucune connaissance de sa situation. On suppose qu’il était constamment resté dans un état de délire, occasionné par l’interception de l’air, et par l’odeur de la paille, pendant les cinq semaines qu’il avait ainsi passées, sinon sans respirer, du moins en respirant difficilement ; et sans prendre de nourriture que le peu de substance qu’il put extraire de la paille qui l’environnait, et qu’il eut l’instinct de mâcher.

Cet homme vit peut-être encore. Si sa résurrection eût eu lieu chez des peuples infectés d’idées de Vampirisme, en considérant ses grands yeux, son air égaré, et toutes les circonstances de sa position, on l’eût brûlé avant de lui donner le temps de se reconnaître ; et ce serait un Vampire de plus.