Histoire des Vampires/I/Chapitre XI

CHAPITRE XI.

Histoire du Vampire Polycrite.

Un citoyen d’Étolie, nommé Polycrite, fut élu par le peuple pour gouverner le pays, à cause de sa probité et de ses talens. Pendant qu’il jouissait de sa dignité il épousa une dame de Locres, avec laquelle il se flattait de l’espoir d’être heureux ; mais il mourut la quatrième nuit de ses noces, laissant sa femme enceinte d’un hermaphrodite, dont elle accoucha neuf mois après.

Les prêtres et les augures ayant été consultés sur ce prodige, conjecturèrent que les Étoliens et les Locriens auraient guerre ensemble, parce que ce monstre avait les deux natures. On décida qu’il fallait, pour prévenir ces maux, conduire la mère et l’enfant hors des limites d’Étolie, et là les brûler tous deux.

En conséquence de cette sage conclusion les sacrificateurs et les victimes se mirent en marche, accompagnés d’une grande foule de peuple. Mais comme on était sur le point de faire l’exécution, le spectre de Polycrite apparut sur le bûcher, et se plaça auprès de son enfant ; ce spectre était vêtu d’une robe noire. Les spectateurs effrayés voulurent prendre la fuite ; il les rappela, les invita à ne rien craindre, et fit ensuite, d’une voix grêle et basse, un discours où il montra à ses compatriotes que, s’ils brûlaient sa femme et son fils, ils tomberaient dans des calamités extrêmes.

Mais voyant que, malgré ses remontrances, les Étoliens n’étaient pas moins décidés à faire ce qu’ils avaient résolu, ce spectre prit son enfant, et, tout vivant qu’il était, il le mit en pièces et le dévora… Le peuple fit des huées d’horreur contre lui, et lui jeta des pierres pour l’éloigner. Il fit peu d’attention à ces insultes, brava les coups de pierre, et continua de manger son fils, dont il ne laissa que la tête. Après cela le Vampire disparut.

Ce prodige sembla si effroyable qu’on voulait envoyer consulter l’oracle de Delphes, lorsque la tête de l’enfant, s’étant mise à parler, prédit en vers tous les maux qui devaient tomber dans la suite sur les Étoliens[1].

Ce conte d’ogre se trouve aussi dans les fragmens de Phlégon, affranchi de l’empereur Adrien. Si l’on s’était proposé pour cet ouvrage un espace plus étendu, on pourrait citer encore d’autres historiettes du même genre ; mais tout ce qu’on a déjà dit suffira sans doute pour prouver que les Vampires n’étaient pas inconnus aux anciens, et que nous n’avons fait que les perfectionner.

  1. Dictionnaire infernal, au mot Spectres.