Histoire des Canadiens-français, Tome VII/Chapitre 11

Wilson & Cie (VIIp. 141-154).

CHAPITRE XI


Les débuts de la littérature. — Le journalisme. — Le théâtre. — Élèves du séminaire de Montréal. — Recensement de 1790. — Liste des membres du clergé à la même date. — La langue française.

O
n va s’étonner de nous entendre dire que la littérature canadienne a pris naissance à la fin des troubles qui ont marqué les commencements du régime anglais. C’est pourtant la vérité. Le moindre coup d’œil sur notre histoire, depuis cent ans, montre que, au lendemain des crises, il y a toujours eu chez nous un réveil en faveur des belles-lettres. C’était le vieux fond qui revenait à la surface, car nos gens ont par nature le goût des choses de l’esprit. Nous ne serions pas Français sans cela. Aux heures de repos nos pensées vont à l’étude, le plus souvent avec trop de légèreté, mais enfin nous ne nous renfermons pas dans l’indifférence — ce serait contre nature. Les petits vers et la conversation enjouée, tel est notre début en toute occasion. Les travaux sérieux n’en sont ni gênés ni amoindris — au contraire. Plus on cultive de genres, plus on est complet.

À l’origine des littératures on rencontre les poètes. L’homme cherche instinctivement à exprimer ses plus belles pensées dans le plus beau langage. Ainsi avons-nous fait. Le lecteur comprendra donc que l’examen de nos mœurs et coutumes, si fréquemment exposé dans ce livre, nous amène à rechercher le sentiment et la forme littéraire des anciens Canadiens.

Avec les compagnons de Champlain, les paysans de Normandie, les soldats de Carignan sont arrivés ici les couplets de la France, ces légendes rimées, ces refrains joyeux ou tristes, ces chants caractéristiques dont le pays de la vigne et de la bonne humeur conserve le privilège depuis des siècles. Nous les avons bien un peu remodelés pour les besoins d’une situation nouvelle, mais au fond ils restent français comme au premier jour. Les « voyageurs » et les « habitants » se les sont transmis d’âge en âge. Qui de nous ne les sait par cœur et quel est le poète canadien qui ne s’en soit inspiré ?

La chansonnette fut de tout temps une arme dans la bouche de nos aïeux. Or, pour chanter des couplets, il faut en premier lieu des poètes qui les composent. Le Canada n’a jamais manqué de rimeurs ; il en a produit qui, pour être inconnus aujourd’hui, n’étaient pas moins en vogue, pas moins écoutés de leur vivant. Les recueils manuscrits du siècle dernier que nous avons eu la bonne fortune de feuilleter, nous montrent que, même aux époques les plus critiques de notre histoire, le génie poétique, la verve gauloise, l’esprit frondeur existaient dans les cercles canadiens. Les gens instruits, en bon nombre, se permettaient d’aiguiser une épigramme, de polir une strophe badine que l’on faisait courir sous le manteau ou qui s’apprenait par cœur. C’est ainsi que les Français se vengent le plus souvent de leurs ennemis, flagellent les ridicules et se consolent des maux qu’ils ne peuvent éviter. Nos vieilles chansons populaires forment à elles seules un monument remarquable ; sans elles il faudrait renoncer à toute étude de ce côté, à moins que l’on ne découvre, l’un de ces jours, ce qui a pu être caché jusqu’à présent.[1]

Boileau était mort depuis plus de vingt ans, lorsqu’un Canadien entreprit d’écrire un poëme héroï-comique, rappelant le souvenir du Lutrin, à propos de certains démêlés[2] survenus (1728) dans l’église du Canada. L’auteur fut l’abbé Étienne Marchand, curé de Boucherville depuis 1734 jusqu’à 1774. La date de son ouvrage en vers n’est pas connue, mais on la place en 1732. Il est agréablement tourné, d’un style clair et vivant et tout à fait de la bonne école. Le sieur Jean Taché, qui vint s’établir parmi nous en 1737, a composé un Tableau de la mer qui n’est pas sans mérite. Ces deux poètes formaient sans doute partie du cercle littéraire dont parle Bougainville et qui ne nous est connu que par la mention que cet auteur en fait dans son mémoire de 1757.

La guerre de Sept Ans vit éclore force chansons et satires, dirigées contre les Anglais et aussi contre les ministres de Louis XV — lesquels le méritaient bien, on le sait. M. le docteur Hubert Larue en cite quelques unes dans ses Chansons historiques

Anglais, le chagrin t’étouffe.
Dis-moi, mon ami, qu’as-tu ?
Tes souliers sont en pantouffe.
Ton chapeau z’est rabattu.

Il est regrettable que si peu de productions canadiennes du dix-huitième siècle soient venues jusqu’à nous, car si l’on en juge par les bribes de chansons restées dans la mémoire des vieillards, la mine était riche et le répertoire populaire devait être aussi complet que varié. De temps à autre on en exhume quelques morceaux : c’est une satire, village contre village ; le récit d’une aventure drôlatique ; le plus souvent un madrigal ou une brûlante déclaration.

M. Bibaud a dressé une liste d’écrits dûs à la plume de gentilshommes canadiens : mais si intéressante qu’elle soit, cette liste ne nous montre, jusqu’à la conquête à peu près, rien que l’on puisse regarder comme œuvre purement littéraire ou comme les débuts d’une littérature nationale. Ce sont des rapports sur l’état du pays, des relevés militaires, des récits d’expéditions lointaines, utiles aux historiens seulement. Nos ancêtres faisaient l’histoire où vont s’inspirer les écrivains de nos jours.

Les livres n’étaient pas rares dans notre pays sous les premiers gouverneurs anglais. On a constaté qu’il y avait soixante mille volumes dans les bibliothèques, ce qui correspond à un volume par âme. De nos jours, il serait curieux de voir si nous en avons autant, proportions gardées. Ces livres étaient venus de France avant 1760. Ils traitaient de philosophie, d’histoire et de littérature en général, mais on peut affirmer qu’il ne s’y rencontrait aucun ouvrage propre à nous éclairer sur le mode de gouvernement le plus praticable et le plus juste dans une colonie. Les instincts de ceux qui lisaient étaient donc à la littérature et point à la politique. Il aurait été impossible de tirer le moindre petit journaliste de notre population, mais nous formions des poètes. Ni l’enseignement ni la liberté du côté du pouvoir ne nous étaient donnés. Nous commencions seulement à tenter la vie publique, attendant les circonstances pour nous exercer. Aussi nos premiers journalistes furent-ils des Français d’importation directe, comme on le sait. Néanmoins, l’élément qui donne naissance au journalisme avait déjà parmi nous une sorte de consistance et se faisait sentir dans les affaires publiques. Nous voulons parler de la profession d’avocat, que l’on voit surgir dès 1766, date où il fut permis aux Canadiens, moyennant certaines restrictions, d’exercer devant les cours de justice. Avec des avocats sous la main, un peuple mal gouverné n’attend pas longtemps l’heure de l’agitation.

Un cercle littéraire se forma à Québec vers 1777, aussitôt après l’invasion, mais il n’est pas fait mention de journal de combat. Placé directement sous l’œil du gouvernement, le cercle n’avait qu’à bien se tenir pour n’être pas suspect, c’est-à-dire condamné. Il s’y composait sans doute des couplets frondeurs, méchants, qui mordaient en riant et auxquels la clandestinité ajoutait un titre nouveau. Rien ne nous en reste aujourd’hui. L’heure était propice aux faiseurs de refrains. Plus d’une épigramme circula sous le manteau, même après que Haldimand eut pris les rênes de l’administration, car, semblables aux Français, nos frères, la vengeance en rimes riches est pour nous un plaisir des dieux.

Tant pis tant mieux avait été étouffé en 1780. Pendant cinq ou six années, nous n’entendons plus parler de journaux ni de journaliste. En 1784, Ducalvet dit que la presse continue à être captive, elle va devenir clandestine ; nous ne savons si la chose eut lieu comme il le prédisait, mais il est certain que la Gazette de Québec régnait seule et tenait avec persistance son rang de gazette « la plus innocente de la domination britannique. » William Brown, son fondateur, mourut en 1789, au moment où M. John Neilson, qui devait l’illustrer, commençait à y publier des articles. Brown mourut sans avoir perfectionné le texte français de sa gazette, preuve que les Canadiens instruits n’y attachaient pas grande importance, car ils eussent pu inspirer aux propriétaires plus de respect pour cette partie de leur œuvre. La Gazette était publiée dans les deux langues par un esprit de calcul des propriétaires, qui comptaient l’introduire chez les Canadiens, et par un motif de prudence du gouvernement de la colonie, qui ne voulait pas trop montrer son désir de méconnaître la langue française garantie par les traités. C’est du moins ce qui semble véritable. On vit paraître, en 1788, le Quebec Herald dont l’existence fut de courte durée. La même année, Fleury Mesplet établit, à Montréal, la Gazette Littéraire. Nous n’entendons plus parler de Jotard. Depuis deux ans, le pays était de nouveau gouverné par Carleton qui nous respectait, et comme nous nous sentions à l’aise sous sa protection, un commencement de travail littéraire se manifestait de place en place. La Gazette de Mesplet venait à point servir les pionniers des lettres en Canada. Le mouvement littéraire s’accentuait avec des périodes d’acalmie et des élans de vigueur. Les premiers hommes de plume qui se montrèrent parmi nous furent aussi nos premiers journalistes. La littérature, la politique, le journalisme, trois arts qui débutaient en Canada, marchaient ainsi en se donnant la main, tombaient et se relevaient ensemble.

La presse, née de la discussion, c’est-à-dire de la liberté politique, commençait timidement à paraître du moment où un semblant de franchise nous était accordé. Il est intéressant de suivre ses vicissitudes à mesure que le pouvoir public serre la poigne ou se montre plus conciliant. Les phases les plus critiques de notre histoire parlementaire offrent des exemples curieux de cet état de chose. Avant d’arriver à l’époque où réellement les journaux prirent naissance pour ne plus disparaître (1830), soixante années de luttes avaient eu lieu pendant lesquelles des feuilles françaises de diverse valeur s’étaient montrées pour répondre aux besoins du temps — mais toutes étaient tombées sous les coups des gouverneurs qui redoutaient leur influence.

Après dix-huit mois d’existence la Gazette Littéraire fut supprimée, parce que ses tendances étaient évidemment à l’annexion du Canada aux États-Unis. Les chefs de cette entreprise, incapables de saisir le vrai point de vue de notre politique, ne voulaient que nous pousser dans les bras des voisins ; ils ne s’apercevaient pas que nous étions sortis de nourrice à la suppression du régime français.

Encore aujourd’hui, la surprise des Français et des Anglais de l’Europe est grande lorsqu’on leur dit que les Canadiens-Français ne veulent appartenir ni à la France ni à l’Angleterre ; ils ne comprennent pas qu’une population d’Amérique, si peu forte comme nombre, ait la prétention de se maintenir dans un état qui frise l’indépendance politique et administrative la plus large. C’est précisément là que nous voyons le beau côté de l’histoire de nos ancêtres, depuis les temps de Champlain jusqu’à l’année 1880 où nous entrons en ce moment. Les Canadiens-Français, voulant rester ce qu’ils étaient, ont eu le courage de s’exposer à la colère du conquérant de leur pays, et ils ont refusé toute alliance avec leur voisin, qui parlait de liberté, afin de conserver le précieux dépôt de la nationalité, lequel était pour le moins aussi exposé au milieu des Américains que parmi les Anglais.

Après 1784 plus de guerre, tout revint dans nos cercles instruits à la littérature. Le culte des vers se personnifia dans Joseph Quesnel. Tandis que Paris enlevait la Bastille au chant de la Carmagnole, les paisibles citoyens de Québec et de Montréal applaudissaient, au théâtre et au coin du feu, la verve du Petit Bonhomme.

 

Ah ! si de ma maîtresse
Vous m’obtenez la main,
Je veux, par politesse,
Vous prier du festin.

En amour plein d’expérience,
Je sais l’art de gagner les cœurs ;
Si l’on résiste à mon ardeur
Il faut céder à ma persévérance.

Quand on est franc, honnête et sans malice,
Si l’on n’est pas un peu futé,
Vient un méchant qui, par son artifice,
Surprend bientôt notre bonté.

Et ainsi de suite, durant des années.

Joseph Quesnel, né à Saint-Malo, le 15 novembre 1749, avait terminé ses études à l’âge de dix-neuf ans. Destiné par sa famille à la profession de marin, il s’était embarqué pour Pondichéry et au retour séjourna à Madagascar, à la côte de Guinée et au Sénégal. Repartant presque aussitôt (1773) de sa ville natale, il visita la Guyanne française, les Antilles et le Brésil. En 1779 on lui confia le commandement d’un navire destiné à New-York, chargé de provisions et de munitions de guerre, mais, à la hauteur des bancs de Terreneuve, une frégate anglaise l’enleva et le conduisit captif à Halifax. De là, après quelques jours, il obtint permission de se rendre à Québec, muni d’une lettre de recommandation pour le général Haldimand qui, d’ailleurs, avait connu la famille Quesnel en France. Le gouverneur lui fit accorder des lettres de naturalisation, puis, cédant de nouveau au goût des aventures, il parcourut la vallée du Mississipi. Poète et musicien, il ne voyageait pas sans être accompagné de Molière, Boileau, et de son violon. Revenu en Canada, il se maria, à Montréal, et fixa sa résidence à Boucherville, où il mourut le 3 juillet 1809.

Nous lui devons la principale part du réveil littéraire qui se manifesta parmi nous après la fin des hostilités en Amérique (1783). Au milieu de l’isolement où nous étions, la visite d’un écrivain français, quelque fût sa valeur, était pour nous une bonne fortune. Il apportait des idées nouvelles. Les belles-lettres ont autant d’influence parmi nous que la politique et le commerce chez d’autres nations. Chacun prend son bien où il le trouve. Colas et Colinette qu’il composa en 1788 et qu’il fit jouer à Montréal en 1790, marque le moment où le théâtre et les cercles littéraires occupaient la société polie et instruite du Canada. Entre la guerre américaine, terminée depuis sept ans, et les transes de la révolution française qui allaient survenir, on s’amusait à Québec et à Montréal, on dépensait de l’esprit, on créait une petite littérature du genre provincial, toute intime, toute gaie, sans prétention, mais de vive source. Outre des pièces de vers fugitives, Quesnel a laissé quatre de ses ouvrages de théâtre dont la musique est également de lui : Lucas et Cécile, opéra ; Colas et Colinette, comédie-vaudeville, imprimée, à Québec l’Anglomanie, comédie en vers, non imprimée ; Les Républicains Français, comédie en prose, imprimée à Paris ; aussi un petit traité sur l’art dramatique, écrit en 1805, pour une société de jeunes amateurs de Québec. Ses ouvrages en musique sont : plusieurs symphonies à grand orchestre, des quatuors et des duos, nombre d’airs de chanson, ariettes, etc., et des motets, puis de la musique sacrée, composée pour l’église paroissiale de Montréal — on retrouve celle-ci au répertoire de l’orgue de Notre-Dame. Il composait avec une si grande facilité qu’il ne croyait pas à son talent, parce que le vers lui venait à l’esprit tout formé. Ses incorrections doivent être attribuées au trop grand naturel de sa verve. Ne tournant jamais autour des mots, il les plaçait sur le papier et son humeur joviale emportait la pièce. On l’a surnommé, de son temps, « le poète, le père des amours » — n’est-ce pas assez pour faire comprendre que nous lui devons un souvenir national ? Ses productions devraient être réunis en volume.

« Les représentations scéniques, écrit M. Gérin, étaient devenues, paraît-il, fort en vogue à Québec, vers 1791. On voit que le prince Edward, duc de Kent, accompagnés des gouverneurs Clark et Simcoe, assista, le 18 février 1792, à la représentation de la Comtesse d’Escarbagnac et du Médecin malgré lui  ». Jusque là, nous avions été assez indifférents au besoin de produire des œuvres littéraires. Nous ne manquions pas d’hommes instruits, cependant. Mais l’état de sujets entièrement soumis aux volontés d’un pouvoir ombrageux nous imposait en quelque sorte la nécessité de ne faire paraître nos talents que le moins possible. C’eut été offenser les juges, les fonctionnaires, le parti des « pétitionnaires » que de leur montrer que nous possédions plus d’études et de connaissances qu’eux !

Cependant, il y avait dans l’air un vent de littérature. On annonçait la publication du Magasin de Québec, recueil anglais et français. Des brochures se répandaient : « Papiers sur l’Angleterre, » « Lettres de l’évêque de Capse » (Mgr  Bailly de Messein) au sujet de l’établissement d’une université ; « L’ancienne et la nouvelle constitution du Canada » ; « La nouvelle constitution de la France » ; puis un poème anglais : Abraham’s Plains.

Le séminaire de Montréal ne manquait jamais, dans ses fêtes annuelles, de faire représenter des pièces et de donner des compositions en vers, dont quelques-unes nous ont été conservées par M. L.-A. Huguet-Latour. En 1776, fut représentée au collège Saint-Raphaël[3] une tragédie en trois actes, intitulée Jonathas et David, dont les rôles étaient ainsi distribués : Ignace-Bourassa Laronde récite le prologue ; Saül, roi d’Israël, Charles-Roch de Saint-Ours ; Jonathas, Louis-Charles Foucher ; David, Mathieu-Guillaume de Lorimier ; L’ombre de Samuel, Pierre Lescuyer ; Doeg, Henry Gastien ; Phinéas, Edme Henry ; Abiathar, Benj. Cherrier (de Chambly) ; bergers : Joseph Ducondu (de la Valtrie), Jean Makaye, Louis-Amable (?), Pierre Mondelet (de Chambly), Ignace Giasson, François Brunet, Louis Laboissière ; gardes : Alexandre Macdonell, (écossais), J.-B. Gadot (Cadot ?) (du Sault Sainte-Marie), Emmanuel Vildrequier (de la Longue-Pointe), Antoine Girouard (de Boucherville), Guillaume Pélissier (des Trois-Rivières), François Laronde de la Thibaudière (de Montréal). Au même collège, en 1778, le général Haldimand assista à une représentation du Sacrifice d’Abraham et donna cent guinées à l’établissement, outre cinquante guinées à l’hôpital général de la ville.

Le collège Saint-Raphaël comptait, en 1773,[4] cinquante-deux pensionnaires et à peu près pareil nombre d’externes. Le palmare de l’année scolaire 1773-74 porte les noms suivants, dont plusieurs devinrent célèbres parmi nous : François Papineau, Pierre-Amable de Bonne de Misècle, Antoine Malouin, Jean Godet, Louis Bonent, Pierre-Joseph Chevrefils, François Poitras, Louis-Gabriel Lenoir, Remi Gagnier, Pierre Lafond, Joseph Deschenaux, Louis Plessis, Pierre Panet, Laurent Ducharme, Henri Gatien, Mathieu-Guillaume de Lorimier, Eustache Beaubien. Pierre Hubert, Joseph Lemoine, Pierre-Joseph Lécuyer, Charles de Saint-Ours, Pierre-Joseph Dubois, Louis Olivier, François Hamelin, Antoine Panet, Eustache (François ?) Vassal, Pierre Mézières, François Dubois, Jean-Bte Regaud, Laurent Thècle, Esprit Chenet, Louis-Charles Foucher, François Brunet, Joseph Ducondu. Dans les années qui suivirent se rencontrent les noms d’autres élèves remarquables : Jacques Lartigue, Michel Bibaud, Louis-Charles Foucher, Denis-Benjamin Viger, François Plessis, Charles Chaboillez, Pierre Baby, Daniel Baby, Antoine Chaboillez, Joseph Cartier, Pierre Mondelet, Auguste Quesnel, Jean-Philippe Leprohon, Jacques Baby, Jean-Baptiste Duberger, Jean-Marie Mondelet, Gabriel Franchères, Jacques Viger, Antoine Papineau, Louis Cadieux, Jacques-Antoine Cartier, René-Joseph Kimber, Pierre Bédard, Hypolite Laforce. Le collège Saint-Raphaël enseignait les humanités et la rhétorique. En 1789, on y établit une chaire de philosophie et une classe de langue anglaise, qui s’accrédita tellement que, en moins de quatre ans, elle fit tomber presque toutes les écoles protestantes de la ville, où les enfants catholiques étaient envoyés, jusque là, par leurs parents. Les classes anglaises de cette institution comptaient ordinairement de quinze à vingt élèves. Il n’est pas étonnant que la plupart des hommes que nous venons de nommer se soient vus plus tard en position de figurer avec honneur dans la vie publique, car instruits dans les deux langues ils pouvaient parler et écrire correctement et aussi tenir tête à leurs adversaires moins favorisés qu’eux.

Après vingt et un ans d’existence, ce collège n’était pas encore reconnu par la loi du pays, et cependant les Anglais ne cessaient d’accuser les Canadiens d’indifférence en matière d’instruction publique.[5] Le 1er  septembre 1794 quelques sulpiciens étant arrivés de France, il en fut choisi trois, MM.  Jean-Henri-Auguste Roux, Claude Rivières et Antoine Sattin, qui s’ajoutèrent aux professeurs et surent donner un nouvel élan aux classes déjà si bien conduites de cette institution nationale. Nous l’appelons ainsi, vu que le pouvoir était loin de lui prêter main forte.


POPULATION, SEXES, ÉTAT DE MARIAGE — 1790.


Localités Population Sexes Mariés et veuvage Enfants et non mariés Cond. omi.
H. F. H. F. Total H. F. Total H. F.
   DISTRICT DE QUÉBEC.
Québec (14,000)*
Malbaie 254 123 131 43 42 85 78 85 163 2 4
Petite Rivière 174 88 86 18 19 37 67 62 129 3 5
Baie Saint-Paul 1,291 643 648 167 173 340 439 436 875 37 39
Île-aux-Coudres 566 287 279 68 75 143 206 189 395 13 15
Éboulements 545 291 254 75 79 154 202 165 367 14 10
Saint-Joachim 507 280 227 61 67 128 200 140 340 19 20
Saint-Féréol 276 135 141 46 46 92 79 92 171 10 3
Sainte-Anne de Beaupré 478 223 255 76 83 159 132 159 291 15 13
Château-Richer 640 344 296 78 80 158 227 190 417 39 26
Ange Gardien 478 254 224 74 63 137 168 133 301 12 28
Beauport 870 458 412 122 125 247 303 256 559 33 31
Charlesbourg 1,854 924 930 275 296 571 589 549 1,138 60 85
Lorette 1,558 896 662 200 198 398 656 439 1,095 40 25
Sainte-Foye 411 207 204 61 60 121 134 136 270 12 8
Saint-Augustin 1,998 1,015 983 300 300 600 610 671 1,281 105 12
Pointe-aux-Trembles 847 418 429 118 120 238 273 272 545 27 37
Écureuils 311 142 169 44 48 92 91 110 201 7 11
Cap Santé 1,218 602 616 210 215 425 371 374 745 21 27
Deschambault 453 226 227 84 82 166 130 133 263 12 12
Les Grondines 335 170 165 45 58 103 113 102 215 12 5
Saint-Jean-Deschaillons 222 112 110 33 35 68 76 66 142 3 9
Lotbinière 713 358 355 106 112 218 227 228 455 25 15
Sainte-Croix 591 299 292 81 93 174 194 181 375 24 18
Saint-Antoine 774 395 379 131 130 261 248 238 486 16 11
Saint-Nicolas 696 360 336 124 122 246 219 190 409 17 24
Pointe Lévis 1,407 709 698 216 247 463 459 384 843 34 67
Beaumont 561 274 287 77 85 162 181 181 362 16 21
Île d’Orléans Saint-Laurent 499 264 235 74 63 137 168 148 316 22 24
Île d’Orléans Saint-Jean 652 329 323 89 97 186 216 195 411 24 31
Île d’Orléans Saint-François 242 113 129 32 31 63 74 90 164 7 8
Île d’Orléans Saint-Pierre 643 316 327 78 86 164 217 213 430 29 28
Île d’Orléans Sainte-Famille 884 416 468 114 123 237 273 315 588 27 30
Saint-Henri 1,177 569 608 205 215 420 337 378 715 27 15
Saint-Charles 1,406 748 658 193 216 409 490 404 894 65 38
Saint-Gervais 1,180 623 557 215 217 432 391 329 720 17 11
Saint-François de la Beauce 518 262 256 78 82 160 170 168 338 14 6
Saint-Joseph de la Beauce 813 406 407 109 118 227 274 272 546 23 17
Sainte-Marie de la Beauce 1,128 560 568 174 183 357 360 363 723 26 22
Saint-Michel 1,337 644 663 194 207 401 417 419 836 33 37
Saint-Valier 1,160 569 591 159 173 333 390 389 779 20 29
Berthier 672 324 348 84 100 184 220 232 452 20 16
Saint-François du Sud 1,030 531 499 153 148 301 339 308 647 39 43
Saint-Pierre du Sud 871 419 452 126 124 250 258 293 551 35 35
Saint-Thomas 1,598 812 786 177 216 395 575 526 1,101 60 44
Cap Saint-Ignace 991 503 488 133 144 277 337 309 646 33 35
Îles aux Grues et aux Oies 160 90 70 23 23 44 61 43 104 8 4
Îlet 1,279 652 627 171 188 359 449 415 874 32 24
Saint-Jean Port Joly 1,103 549 554 162 166 328 367 366 733 20 22
Saint-Roch des Aulnais 1,458 724 734 236 222 458 457 487 944 31 25
Sainte-Anne de la Pocatière 1,316 648 668 183 272 455 443 370 813 22 26
Rivière Quelle 1,859 959 900 254 272 526 663 595 1,258 42 33
Kamouraska 1,706 883 823 254 220 474 593 575 1,168 36 28
Rivière-du-Loup 461 204 157 59 51 110 138 103 241 7 3
Îlet du Portage 338 175 163 47 51 98 123 109 232 5 3
Île Verte 355 190 165 55 48 103 127 110 237 8 7
Trois-Pistoles 196 118 78 28 25 53 88 51 139 2 2
Rimouski 333 175 158 57 54 111 114 98 212 4 6
Madawaska 174 96 78 32 27 59 62 50 112 2 1
   DISTRICT DES TROIS-RIVIÈRES.
Trois-Rivières 1,213 573 640 159 182 341 373 426 799 41 23
Cap de la Madeleine 324 147 177 35 35 70 98 131 229 14 11
Champlain 358 175 183 45 54 99 120 119 239 10 10
Batiscan 374 186 188 42 42 84 131 135 266 13 11
Sainte-Geneviève 713 349 364 107 109 216 227 231 458 15 24
Saint-Stanislas 194 99 95 31 33 64 66 58 124 2 4
Sainte-Anne de la Pérade 991 534 457 153 145 298 226 288 550 19 24
Pointe-du-Lac 456 225 231 65 73 138 144 141 285 16 17
Yamachiche 1,669 879 700 241 260 501 590 488 1,078 48 42
Rivière-du-Loup 1,829 984 845 286 302 588 651 515 1,166 47 28
Maskinongé 1,155 588 567 163 128 291 399 413 812 26 26
Saint-Pierre les Becquets 371 197 174 57 57 114 135 107 242 5 10
Gentilly 378 195 183 62 65 127 121 111 232 12 7
Baie-du-Febvre 1,411 690 721 210 212 422 453 482 935 27 27

Bécancour 1,027 520 507 134 157 291 356 323 679 30 27
Saint-François du Lac 840 430 410 112 113 225 301 282 583 17 15
Village Sainte-Marguerite 447 228 219 62 65 127 156 142 298 10 12
Nicolet 884 479 405 128 127 255 334 264 598 17 14
Saint-Michel Yamaska 1,324 674 650 195 223 418 438 391 829 41 36
   DISTRICT DE MONTRÉAL.
Montréal (18,000)*
Lachine 618 357 261 77 74 151 244 164 408 36 23
Pointe Claire 1,195 636 559 189 192 381 212 337 749 35 30
Sainte-Anne (Petit Rapide) 513 273 240 83 92 175 175 138 313 15 10
Île Perrot 586 303 283 89 101 190 200 170 370 14 12
Soulanges 971 511 460 155 173 328 321 272 593 35 15
Saint-Laurent 1,316 640 676 108 137 245 417 485 902 115 54
Sault-au-Récollet 1,017 545 472 145 166 311 370 275 645 30 31
Longue Pointe 490 237 263 86 92 178 135 156 291 16 15
Pointe-aux-Trembles 844 408 436 130 123 253 240 290 530 38 23
Rivière des Prairies 508 270 238 75 77 152 179 146 325 16 15
Île Jésus Saint-Martin 1,637 812 825 252 281 533 514 510 1,024 46 34
Île Jésus Sainte-Rose 1,089 551 538 177 186 363 335 324 659 39 28
Île Jésus Saint-François 480 237 243 136 95 231 94 137 231 7 11
Île Jésus Saint-Vincent 1,447 836 611 128 112 240 608 415 1,023 100 84
Saint-Eustache (Riv. du Chêne) 2,385 1,254 1,131 389 339 728 812 760 1,572 53 32
Sainte-Thérèse de Blainville 794 400 394 128 141 269 243 234 477 29 19
  — — (partie) 180 92 88 33 33 66 56 51 107 3 4
Sainte-Anne de Mascouche 724 371 353 116 124 234 235 216 451 26 13
Sainte-Geneviève de Montréal 1,607 883 724 264 256 520 582 431 1,013 37 37
Terrebonne 1,114 593 521 181 205 386 367 289 656 45 27
Saint-Henri de Mascouche 1,251 605 648 206 229 435 356 379 735 41 40
Lachenaye 532 314 228 183 82 265 121 136 257 10 10
Saint-Roch de l’Achigan 1,313 670 643 230 240 470 415 382 797 25 21
Saint-Jacques (Nouvelle Acadie) 855 436 419 142 152 294 270 256 526 24 11
L’Assomption 2,620 1,312 1,308 358 409 767 862 813 1,675 92 86
Repentigny 1,282 624 658 164 185 349 412 443 855 48 30
Saint-Sulpice 793 413 380 90 109 199 295 250 545 28 21
La Valtrie 558 282 276 89 94 183 175 164 339 18 18
Saint-Paul de la Valtrie 693 367 326 111 117 228 239 207 446 17 2
Lanoraie 653 333 320 95 103 198 214 220 434 21 17
Île Dupas 399 189 210 62 73 135 114 128 242 13 9
Berthier 2,415 1,226 1,189 1,383 410 793 779 734 1,513 64 45
Saint-Cuthbert 1,467 707 760 231 248 479 428 475 903 48 37
Châteauguay 1,452 748 704 252 256 508 483 421 904 13 27
Sault Saint-Louis 676 332 344 227 218 445 94 105 199 11 21
La Prairie 1,704 847 857 163 295 458 622 514 1,136 62 48
Saint-Constant 1,259 632 627 204 213 417 401 392 793 27 22
Saint-Philippe 1,686 894 792 214 285 529 600 476 1,076 50 31
Blairfindie
   Sainte-Marguerite
1,774 907 867 292 299 591 564 516 1,080 51 52
Vaudreuil 1,579 835 744 249 257 506 550 462 1,012 36 25
Longueuil 1,613 830 783 301 297 598 505 468 973 24 18
Boucherville 1,492 768 724 257 270 527 468 519 987 43 35
Varennes 2,334 1,208 1,126 332 356 688 330 722 1,552 46 48
Contrecœur 840 421 419 130 140 270 260 263 523 31 16
Verchères 1,686 802 884 159 269 428 586 576 1,162 57 39
Sorel 1,208 630 578 202 221 423 398 330 728 30 27
Pointe Olivier, Rivière Chambly 1,544 763 781 196 314 510 527 445 972 40 22
Saint-Denis 1,694 858 836 269 285 554 544 518 1,062 45 33
Saint-Antoine 1,285 669 616 194 202 396 450 384 834 25 30
Belœil
   Saint-Mathieu
1,702 851 851 269 296 565 540 520 1,060 42 35
Saint-Joseph de Chambly 1,732 865 867 275 299 574 550 532 1,082 40 36
Saint-Charles 1,324 711 613 206 216 422 465 360 825 40 37
Saint-Hyacinthe 1,360 701 659 249 258 507 435 384 819 17 17
Saint-Ours 1,606 800 801 260 276 536 511 499 1,010 29 31
129,311 66,013 63,298 19,375 20,569 39,944 42,920 39,604 82,524 3,718 3,125
*Québec
*Montréal   32,000 — Total
161,311


Voici la liste du clergé catholique à la même date :

Récollets venus de France : — Carpentier, 1746 ; Pétrimoulx, 1758 ; Dugast, 1773.

Récollets canadiens : — Berey, 1743 ; Demers 1757.

Sulpiciens canadiens : — Latour Dézéry, 1766 ; Guillemin, 1774 ; Borneuf, Marchand, 1786 ; Leclair, Hubert, 1787 ; Bédard, 1789.

Sulpiciens venus de France : — Beauzèle, 1748 ; Poncin, 1749 ; Davaux, 1750 ; Montgolfier, 1751 ; Guichard, Brassier, Curateau, 1754 ; Huet, 1755.

Jésuites venus de France : — De Glapion, 1747 ; Well, 1748 ; Cazot, 1766.

Prêtres venus d’Europe : — Mgr  Briand, 1741 ; Renoyer, Mangue-Garault-Saint-Onge, 1745 ; Girault, Mangue-Garault-Saint-Onge, 1747 ; Féré-Duburon, 1750 ; Bédard, 1752 ; Vizien, Gravé de la Rive, Pétrimoulx, 1754 ; Mennard, 1764 ; Thorel, 1780 ; Leroux, McDonnell 1784.

Prêtres canadiens : — Filion, Sarault, Brassard, 1749 ; Youville, 1752 ; Bériau, 1753 ; Renault, Gamelin, 1754 ; Marchand, Truteau, 1755 ; Mgr  Hubert, Verreau 1766 ; Mgr  Denaut, Bailly de Messein, Hubert, 1767 ; Corbin, 1768 ; Chevrier, Lefebvre, 1769 ; Berthiaume, 1770 ; Lemaire-Saint-Germain, 1771, Martel, Pouget, Bro, 1772 ; Baumont, 1773 Hubert, Payet, Racine, Noiseux, Compain, Foucher, 1774, Dubois, Bédard, Martel, Pinet, 1775 ; Bertrand, Conefroy, Brassard-Deschenaux, Mailloux, Perrault, 1776 ; Derome, Dumouchel, Fortin, Picard, Verreau, 1777 ; Archambault, Hubert, Huet, Mgr  Panet, 1778 ; Panet, Guichard, Deguire, Faucher-Chateauvert, 1779 ; Perrault, Gagnon, Jean, Durouvray, Labadie, 1780 ; Vézina, Chauvaux, Thomas, Lemaire-Saint-Germain, Lenoir, Rinfret, 1781 Paquet, Robert, 1782 ; Ducharme, Ecuyer, Griault, Hamel, Leclair, Roy, 1783 ; De Lorimier,. Lanctot, Aubry, Lamotte, Morin, Alinotte, Deguise, Fréchette, 1784 ; Landriaux, Serrand, Girouard, 1785 ; Chenet, Gaillard, Duchouquet, Mgr  Plessis, Brunet, Prevost, 1786 ; Gatien, Marchetau, Lelièvre, Poulin de Courval, Boucher-Belleville, Desforges, Gagnon, Genest, Ducondu, 1787 ; Coyteux, Masse, Hébert, Robitaille, Bégin, Belair, 1788 ; Cazeneuve, Boissonnault, Dubord, Keller, Lamothe, 1789 ; Leclerc, Sabrevois de Bleury, Paquet, Paquet, Vidal, 1790.

Cette liste porte les noms de cent cinquante prêtres de tous ordres, dont quarante-trois-Canadiens-Français ordonnés de 1784 à 1790 inclusivement. M. Huguet-Latour[6] dit que, en 1783, lorsque MM. Adhémar et Delisle passèrent en Europe, ils se chargèrent de tâcher d’obtenir des prêtres, vu, ajoute-t-il, que soixante et quinze paroisses étaient alors sans curés. Le nombre total des paroisses en 1790 paraît avoir été à peu près de cent trente, d’après le recensement de cette année.

À plusieurs reprises nous avons dit un mot de la langue française et des écoles françaises, comme avec la vie parlementaire qui commence en 1792, la question du maintien de la langue de nos ancêtres devint de première importance, il est à propos de préparer le lecteur sur ce sujet.

Tout d’abord, on se demandera : quel langage ont parlé autrefois les Canadiens et jusqu’à quel degré avait-il pu s’altérer où se transformer trente ans après la cession du pays.

Les premiers Canadiens sont venus des côtes nord et nord-ouest de la France ; puis des bords de la Loire. Le groupe normand est arrivé en tête. Les percherons suivirent de près. Entre eux, il n’y a pas de différence bien notable. Le normand ne s’effraya point de ceux qui vinrent après lui : on sait par l’histoire de France qu’il est absorbant et meurt plutôt que de ne pas dominer. Il s’est rendu maître des gens de la Rochelle, du Poitou, de Paris même. La place se trouva prise, quant à l’accent. Sous le rapport des termes, des locutions, de la construction des phrases, il s’est quelque peu modifié, mais il en a enrichi son fond normand.

La population française du Canada se compose des descendants de cultivateurs et de militaires arrivés durant le dix-septième siècle. Après 1720 ce courant était arrêté. Une fois la conquête accomplie (1760) nous n’avons rien tiré de la France. Un siècle et demi s’est écoulé sans aucun mélange avec un nouvel élément. Depuis dix ans à peine, les agents d’immigration nous ont expédié quelques Français, la plupart gens de métiers et fixés dans les villes.

Au temps de l’établissement du Canada, la langue parisienne était moins correcte que celle de la région d’où sont sortis les premiers Canadiens. Les œuvres classiques de l’âge le plus brillant de la littérature française font voir que la prononciation actuelle des Canadiens-Français est la même que celle de l’époque de Henri IV, Richelieu, Louis XIII, Mazarin et Louis XIV — soit de 1575 à 1700, et même après cette date — la période par excellence des lettres, des salons et surtout du théâtre français. C’est au théâtre et chez les poètes que se conserve le mieux une langue ; les rimes de Chapelain, Boileau, Molière, Racine, Scarron, Scudéri, La Fontaine, Racan, Malherbe, Corneille, Perrault, Benserade, Quinault, justifient la prononciation « barbare » des Canadiens.

À la date même de la mort de Colbert (1682), La Bruyère écrivait : « L’air de cour est contagieux ; il se prend à Versailles, comme l’accent normand à Rouen ou à Falaise. » C’est précisément avant cette époque que le Canada reçut ses colons fondateurs — et à peu près tous venaient du nord de la France ; ils avaient apporté leur accent ; les soldats licenciés qui s’établirent à côté d’eux par la suite, en petit nombre, subirent l’influence du premier groupe, quant à la langue comme pour le reste. À la fin du dix-septième siècle, les sons du vieux langage étaient devenus comme étrangers à Paris et à Versailles, mais Rouen et Falaise, pays d’origine des Canadiens, les avaient conservés. Ce n’est pas le français du Canada qui a changé ou dégénéré, mais plutôt celui de Paris qui, pressé par l’influence croissante de l’accent des basses classes, ou des salons étrangers, a mis graduellement de côté la vieille et bonne prononciation pour en adopter une toute de convention, qui est encore plus éloignée de celle du Canada que des sources du latin du moyen-âge.

C’est en France, dans les localités d’où sont sorties nos familles qu’il faut étudier l’origine de notre accent. En veut-on une preuve ? elle s’est produite plus d’une fois. Les voyageurs français nous disent, à mesure qu’ils nous visitent : « Vos gens parlent à la manière de chez nous (Rouen, Brest, Nantes, La Rochelle, Poitiers, Tours), cependant ce n’est pas tout-à-fait comme chez nous ; il y a un je ne sais quoi qu’il faudrait analyser pour s’en rendre compte.

D’où vient que nous n’avons pas de patois ? Notre histoire l’explique. Au dix-septième et au dix-huitième siècles, l’influence des directeurs et des directrices de nos institutions publiques a décidé de la question. Écoles, hôpitaux, collèges, cures, tous avaient à leur tête des hommes et des femmes instruites, originaires de diverses parties de la France et qui, en très peu de temps, parvinrent, sans peut-être y faire attention, à fondre les accents de ceux qui étaient en rapport avec eux, en un seul et unique idiome où domina, nécessairement, le ton de la Normandie et des bords de la Loire. Ces curés, ces hospitalières, ces maîtresses, ces professeurs enseignaient aux jeunes Canadiens à parler correctement, à bien prononcer les mots, à saisir le génie de la langue française. Dans ce petit monde, chacun connaissait son voisin ou son supérieur — quelles conditions plus favorables peut-on exiger pour atteindre à l’uniformité et à l’exactitude du langage chez le peuple ?

Que le Canada ait été, sous le régime français, le pays du beau langage, c’est, dit M. Bibaud « ce dont il n’est pas permis de douter, tant les témoignages à ce sujet s’offrent en foule et se pressent. » Nous avons cité les pères Leclercq et Charlevoix, la mère de l’Incarnation, La Potherie et Kalm dont les témoignages sont tout-à-fait élogieux sur ce point. L’abbé d’Olivet ajoutait : « On peut envoyer un opéra en Canada, il sera chanté à Québec note pour note, et sur le même ton qu’à Paris, mais on ne saurait l’envoyer à Bordeaux ou à Montpellier et faire qu’il y soit prononcé syllabe pour syllabe comme à Paris. »

N’avons-nous pas, dans nos chansons populaires, une preuve manifeste de la modification en mieux du langage des anciens Canadiens ? La plupart de ces petits poèmes se sont conservés en France, mais leur valeur littéraire n’égale plus celle des couplets que nous connaissons ici. La cause en est que, grâce à une instruction plus générale, et à des avis donnés, selon toute évidence, par les missionnaires, les militaires, les fonctionnaires qui avaient tant de rapports avec les habitants et les « voyageurs, » les vers en question se sont policés, ont pris un cachet plus élégant, et, sans perdre leur caractère d’expression naïve et poétique, ont gagné un charme que l’on chercherait en vain dans les versions conservées en France.

Est-il vrai, comme on le dit, que la langue française ait dégénéré subitement après la cession du pays à l’Angleterre ? Nous en doutons. Plus que cela : une telle chose est impossible. Le sens commun veut qu’il s’écoule au moins deux générations avant que les hommes n’oublient assez la valeur des mots de leur langue pour la corrompre. Un habitant qui, en 1750, parlait de telle manière, n’a pas dû changer son langage dix ou quinze ans après pour plaire aux nouveaux venus. La classe instruite nous avait quittés, mais elle n’avait pas emporté la langue dans ses bagages. Il est vrai que le gouvernement britannique nous priva d’écoles ; cela dut avoir de l’influence sur l’instruction de la seconde génération, de 1770 à 1790, à peu près ; en d’autres termes la lecture et l’écriture subirent une dépression. Est-il croyable, néanmoins, que la langue parlée s’oublia et que des mots étrangers, patois ou anglicismes, firent invasion dans nos campagnes ? Qui ne voit que cela est erroné puisque ces mots de patois nous sont inconnus, et qui ne sait que les Anglais (quelques rares commerçants établis dans les villes) étaient trop nouvellement arrivés pour exercer le moindre empire sur une population compacte, toute chaude de ses traditions, et qui, à cette époque, voyait sortir de son sein un clergé conservateur des traditions françaises ? Que penser aussi des prêtres, tous hommes de hautes études, que la révolution française nous procura (en les chassant) et qui furent placés à la tête de nos principales institutions ? C’était aussi l’heure où nos collèges entraient dans la grande voie d’enseignement, c’était le début si remarquable de nos luttes constitutionnelles. Où trouverons-nous donc les preuves de l’assertion que notre langue avait dégénéré !

Il nous semble que, en cela comme en plusieurs autres choses, nos contemporains donnent trop de poids aux dires de quelques touristes peu éclairés, ou préjugés, qui alors, ainsi que de nos jours, croyaient entrevoir la décadence de notre idiome. On a cité John Lambert, un officier anglais qui nous visita, en 1806 :

« Avant la conquête du pays par les Anglais, écrit-il, on y parlait, a-t-on dit, la langue française aussi correctement qu’en France même. Depuis cette époque, les Canadiens ont introduit dans leur langage plusieurs anglicismes, et ils se servent de plusieurs tournures de phrase qu’ils tiennent probablement de leurs liaisons avec les nouveaux colons. Pour froid, ils prononcent frette ; pour ici, ils disent icite ; au lieu de prêt, ils disent paré. Ils se servent en outre de nombre de mots surannés que je n’ai pas présents à la mémoire. Ils corrompent encore le langage en prononçant la consonne finale en bien des mots, contre la coutume des Français d’Europe. Cela peut encore venir de la fréquentation des Anglais : autrement, on n’aurait jamais pu dire à leur louange qu’ils parlaient purement le français. » Si on eût dit à Lambert qu’il pataugeait, sa surprise eut été grande. Frette pour froid, se prononce ainsi dans l’est de la France ; nous ne disons pas que cela soit correct, mais il est visible que nous ne l’avons pas inventé, ni emprunté des Anglais. Il en est de même pour ici que nos gens prononcent icite ; c’est un reliquat du vieux langage. Paré est une expression maritime qui veut dire prêt ; nos gens disent aussi « amarre ton chapeau » pour « attache ton chapeau », « embarque en voiture » pour « monte en voiture. » Ce n’est pas l’Anglais qui nous a valu ces expressions : elles sont venues de France avec cette partie de notre population adonnée à la vie de la mer. Chez un grammairien elles auraient lieu de surprendre, mais non pas dans le peuple. Et remarquons bien qu’elles n’ont rien du patois puisqu’elles sont françaises de point en point — mais seulement un peu mal appliquées.

Les mots surannés, hors d’usage, dont nous nous servons, sont tout simplement charmants. Ils donnent à notre conversation une teinte d’antiquité des plus jolies ; les hommes instruits de l’Europe les comprennent et aiment à les entendre dans notre bouche.

La consonne finale, dont parle Lambert, ne se fait sentir que rarement parmi nous. Un Canadien dira endroite pour endroit, alphabète pour alphabet, juillette pour juillet, martinette pour martinet, et encore cela ne se rencontre pas partout.

La coutume des touristes est de saisir, çà et là, quelques expressions et de les généraliser. Défions-nous de ce système.

Les termes impropres sont choses communes dans la bouche de tous les peuples du monde. Nous en avons moins que dans bien des pays.

Vers 1804, le poète Thomas Moore, qui ne savait pas le français, mais qui se vantait de le comprendre, et même de le juger en connaisseur — mentionnait la « prononciation barbare » des Canadiens.

Il y a trente ans, M. Ampère, visitant la montagne de Montréal, racontait qu’une « bonne femme, occupée à jardiner, me dit, avec un accent de cordialité et très normand : montais m’sieu, il y a un biau chemin. Il ajoute : Ainsi qu’on vient de le voir, l’accent qui domine à Montréal est l’accent normand. » Nous ne le voyons pas du tout, pour l’excellente raison que les choses ne sont pas ainsi. Nos habitants disent : montez, messieu, y’a un biau ch’min. Sur huit mots, M. Ampère en a faussé six ! La contraction m’sieu n’est pas connue en Canada. Montais non plus. Biau est absolument étranger parmi nous. Ch’min pour chemin, se dit dans tout le Bas-Canada. Il y a n’est jamais employé par le peuple, mais seulement y a. Comment se fait-il que M. Ampère, qui a fréquenté l’historien Garneau, M. Lafontaine et dix autres Canadiens de marque, se soit plu à aller chercher dans la basse classe des expressions si étranges — ou plutôt qui n’y existent pas ?

M. Kowalski a entendu dire à une Québecquoise : « Voilà ma flotte qui dévale » — ce qui signifierait : « Ma famille passe ». Ce n’est pas la seule fausse note dont ce musicien a su agrémenter son livre.

M. de Parieux, dans un article sur l’unification des monnaies, qui a été lu et admiré par toute l’Europe, cite certaines dispositions de nos lois à cet égard, et il a le soin d’observer qu’il donne le texte tel qu’il est, « dans le langage français du Canada ». Eh bien ! ce texte écrit dans le langage français du Canada est tout simplement le français le plus pur et le plus correct qui se puisse trouver. Il a de quoi tenir, du reste, nous l’avons emprunté aux lois que nous a données Colbert, et, tel qu’il est, avec sa droiture d’expression et son sens net et clair, il a bonne mine à côté des textes du temps présent ! Le français de Corneille dont il est frère et qu’il rappelle incessamment, se moque bien du langage à la mode d’aujourd’hui.


  1. Nos compatriotes doivent beaucoup de reconnaissance à M. Ernest Gagnon pour avoir conservé plus de cent compositions de ce genre qui étaient en risque d’être oubliées.
  2. La sépulture de Mgr de Saint-Valier.
  3. Transporté, le 1er  octobre 1773, de la Longue-Pointe au château Vaudreuil de Montréal, le collège de M. Curatteau avait pris le nom de Saint-Raphaël, et était gouverné par les prêtres du séminaire de Saint-Sulpice.
  4. L’année précédente, François Dupéron Baby s’était rendu à Londres, porteur des plaintes et des suppliques des Canadiens. À ses instances réitérées pour que l’on permît au collège Saint-Raphaël de se procurer deux professeurs en France, il lui fut répondu que c’était une grosse question et qu’il valait mieux attendre.
  5. Dès 1776, Anbury, officier anglais, qui visitait le Canada, remarquait des écoles dans presque tous les villages.
  6. Annuaire de Ville-Marie, 122.