Histoire des Abénakis/Texte entier

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HISTOIRE
DES
ABÉNAKIS
depuis 1605 jusqu’à nos jours.
par
L’Abbé J. A. Maurault.
« Lorsque sous la cuirasse d’acier vous découvrirez un cœur animé d’ardeur pour la religion de Jésus-Christ, lorsque vous verrez apparaître ces hommes qui se consacrent sans réserve à la défense de la Religion, renonçant à tout ce que peut offrir le monde, plus doux que les agneaux, plus courageux que les lions, selon une parole de Saint-Bernard, alors vous serez rempli de joie. »
(Balmès. Le Protes., comparé avec le Catho., — Vol II. p. 37.)

IMPRIMÉ
à l’atelier typographique de la « gazette de
sorel. »

1866.
Enregistré suivant l’Acte de la Législature, en l’année mil huit cent soixante et six, par le Propriétaire de cet ouvrage, au Bureau du Régistrateur de la Province du Canada.


PRÉFACE


Ce livre est l’histoire d’une tribu sauvage, qui aujourd’hui compte à peine 350 âmes en Canada : cette tribu est celle des Abénakis.

Quelques uns penseront peut-être que cet ouvrage est inutile, et prétendront qu’il n’était pas nécessaire, pour ne rien dire de plus, de faire des recherches dans le but d’écrire l’histoire de cette petite tribu, qui s’éteint graduellement, et qui, dans un avenir non éloigné, disparaîtra complètement de notre pays.

Mais lorsqu’ils se souviendront que ces sauvages sont les descendants d’une grande nation, qui, pendant cent-cinquante ans, remplit un rôle très-important au milieu des colonies de la Nouvelle-Angleterre et de la Nouvelle-France, et qui, pendant cette longue période, fut constamment alliée aux Français, pour lutter contre les Anglais ; lorsqu’ils se souviendront surtout que ces sauvages furent, pendant près de quatre-vingts ans, d’un grand secours aux Français du Canada, pour se défendre contre les invasions de leurs ennemis, ils avoueront alors avec nous, nous pensons, qu’il n’est pas tout-à-fait inutile de recueillir les antiques traditions et les curieuses légendes de ces anciens alliés et amis de nos ancêtres, de raconter leurs longues luttes, leurs défaites comme leurs victoires, afin de conserver d’eux quelques souvenirs.

La reconnaissance que nous devons à ces sauvages, pour les importants services qu’ils ont rendus à nos pères, a été pour nous un motif assez puissant pour nous engager à ce travail.

Quand la tombe sera fermée sur le dernier des Abénakis, on lira avec un vif intérêt l’histoire de cette antique tribu, qui, pendant si longtemps, unit ses armes à celles des Français, pour combattre un ennemi commun. Et quand le temps, qui détruit tout, aura effacé en Canada la dernière trace du dernier de ces sauvages, les Canadiens aimeront encore à relire les anciennes traditions et les intéressantes légendes de ces amis de leurs ancêtres.

Chargé depuis vingt-cinq ans de la desserte de ces sauvages, nous avons pu étudier leur histoire plus facilement que tout autre, et nous avons pensé que la Providence nous imposait aussi la tâche d’en écrire les principaux évènements.

Cet ouvrage, nous l’avouons, est, quant à la forme, rempli de défectuosités ; mais nous osons espérer que, quant au fond, il offrira au lecteur quelqu’intérêt.


INTRODUCTION.



Quelques uns ont pensé que nos Abénakis sont des aborigènes du Canada. C’est une erreur. Ces sauvages sont les descendants de la grande tribu des Canibas, qui résidait sur la rivière Kénébec.

Les Abénakis occupaient le Maine et s’étendaient dans le New-Hampshire, le Nouveau-Brunswick et jusque sur les bords de la Nouvelle-Écosse. Ils commencèrent à émigrer au Canada en 1680, pour fuir les persécutions des Anglais, comme nous le verrons.

Jusqu’à cette époque, quelques uns d’eux venaient de temps en temps en Canada ; mais ils n’y étaient considérés que comme des étrangers. Ils se rendaient jusqu’à Québec, soit pour y conduire leur missionnaire, soit pour acheter des fourrures, soit pour conclure quelque traité d’alliance avec les sauvages du Canada. Nous citerons quelques uns de ces voyages.

En 1637, quelques Abénakis vinrent à Québec, pour acheter des peaux de castor, et manifestèrent le dessein d’aller plus loin. Un Chef montagnais le leur défendit. Malgré cette défense, ils se rendirent aux Trois-Rivières pour faire la traite avec les Algonquins. Le Chef montagnais porta plainte contr’eux devant le gouverneur, M. de Montmagny, et offrit ses services pour aller fermer les rivières par où ces étrangers pouvaient retourner en leur pays. Il représenta au gouverneur que ces sauvages venaient en Canada acheter des peaux de castor pour les porter aux Anglais. Alors les wiguams des Abénakis furent visités, et les effets qu’ils avaient échangés contre leur wampum furent confisqués ; puis on leur enjoignit de retourner immédiatement dans leur pays[1].

En 1640, un Anglais arriva en Canada, accompagné de vingt Abénakis. Le gouverneur ayant été informé de ce fait, ne permit pas à cet Anglais de se rendre à Québec ; il envoya quelqu’un lui signifier l’ordre de retourner immédiatement dans son pays ; mais l’Anglais ne pouvant le faire, parceque les rivières par où il était venu étaient presque desséchées, fut forcé de se livrer aux Français. M. de Montmagny le fit conduire à Tadoussac, où il fut embarqué sur un vaisseau partant pour l’Europe. Quelques jours après, les Abénakis furent renvoyés dans leur pays[2].

Ainsi, il est bien clair que les Abénakis étaient alors considérés en Canada comme des étrangers, et qu’on ne leur permettait pas d’y demeurer. Cette faveur ne fut accordée qu’à quelques uns, qui, s’étant convertis, restèrent à Sillery pour continuer leur instruction religieuse.

Il en fut ainsi jusqu’en 1680. La raison de cette apparente sévérité contre les Abénakis était qu’on craignait que les Anglais n’établissent, par leur intermédiaire, un commerce de fourrures avec les sauvages du Canada.

Le nom « Abénakis » prouve d’une manière bien évidente que ces sauvages ne sont pas originaires du Canada. Ce mot vient de « Abanki», terre du Levant, nom que les Algonquins donnaient au pays des Canibas et des autres sauvages de l’Acadie. De là, les Français appelèrent ces sauvages « Abénaquiois » ; ce qui veut dire : ceux de la terre du Levant.

Ce nom désigna d’abord tous les sauvages de l’Acadie ; mais, plus tard, il fut plus particulièrement donné à ceux de la rivière Kénébec, parceque c’était le pays des Canibas, ancêtres des Abénakis du Canada. Les différentes bourgades, répandues dans le Maine et le Nouveau-Brunswick, avaient des noms particuliers, sous lesquels elles étaient alors connues, comme nous le verrons.

On voit sur la carte du Maine un grand nombre de mots abénakis, ce qui prouve encore que ces sauvages viennent de ce pays.

On sait que les Anglais ont toujours eu l’habitude de donner aux nouveaux établissements de leurs colonies des noms tirés de la langue des naturels du pays. Ainsi, le mot « Massachusetts » vient du nom d’une tribu sauvage, qui résidait en cet endroit : les « Massajosets », ceux de la grosse montagne, ainsi appelés à cause de la grosse montagne du Massachusetts, située dans leur voisinage[3]. Le mot « Connecticut » vient aussi d’une expression sauvage. Les Canibas appelaient la rivière Connecticut « Kunateku », la rivière longue ; et ils disaient : « Kunateguk », à la rivière longue. De là, le mot Connecticut.

La carte des États-Unis contient beaucoup de mots sauvages, qui viennent de la langue des anciens habitants de ces contrées.

Quant au Maine, tous les mots sauvages qu’on y remarque sont abénakis. L’expression sauvage est ordinairement un peu défigurée ; mais il est néanmoins facile de la reconnaître. Nous citerons quelques uns de ces mots, donnant pour chacun la véritable locution abénakise et sa signification.

Kénébec — Kanibesek, qui conduit au lac. Chaque année, au temps de la grande chasse de l’hiver, les Canibas se rendaient en grand nombre au « lac à l’orignal » [4], en suivant la rivière Kénébec[5]. C’est pour cela qu’ils appelaient cette rivière « le chemin qui conduit au lac » [6].

Penobscot — Pena8ôbskets. C’est le nom d’une tribu abénakise, qui résidait sur cette rivière. Ce nom veut dire : ceux de la terre qui est couverte de pierre. Il y a en effet tant de pierre dans les environs de la rivière Penobscot qu’en certains endroits la terre en paraît entièrement couverte.

Arostook. — 8arasteku, rivière dont le lit renferme du clinquant. C’est le nom que les Abénakis donnaient à la rivière Saint-Jean.

Woolastook — 8lasteku, rivière dont les torrents sont si impétueux que les eaux y sont toujours égales, qu’elles ne montent jamais.

Masquacook — Mask8atekn, rivière à l’écorce.

Pemadumcook — Pemh8damteku, rivière qui est la continuation d’une autre. Pemadumcook fait partie de la rivière Penobscot.

Mattawamkeag — Metta8akik, à la terre de la querelle, qui s’est élevée à cause du peu de nourriture.

Umbagog — Nidôbakik, à la terre de mon camarade. C’était le commencement des terres des Patsuikets, frères des Abénakis.

Skouegan — Sk8aigen, c’est pointu. En cet endroit la rivière Kénébec fait un détour, ce qui forme une pointe de terre.

Sagadahock — Sakkadag8k, à l’endroit où le terrain est plat et uni.

Saco — Sok8ai, du côté du midi. Les Abénakis appelaient cet endroit « Sok8aki », terre du midi, et ils nommaient les sauvages qui y résidaient « Sok8akiak », ceux de la terre du midi. De là, les Français les appelèrent « Sokoquiois », et plus tard, « Sokokis ».

Narraguagus — Nar8ikag8s, c’est embrouillé, ce n’est pas clair. En cet endroit il y a tant d’îles et de baies qu’il est difficile de trouver la rivière Narraguagus.

Ossipee — Osibi, lac formé par l’élargissement d’une rivière.

Baskanegan — P8skenigan, tombe. Lieu où les sauvages avaient probablement fait quelques sépultures.

Passadumkeag — Passarumskik, à la terre des joncs.

Damapscota — Pamapskota, où il y a des habitations. Cet endroit est situé à l’embouchure de la rivière Kénébec ; les sauvages l’appelèrent ainsi probablement à cause du fort Georges, bâti par les Anglais en 1607.

Pemaquid — Pemhakik, à la terre qui continue. Depuis la rivière Kénébec jusqu’à Pemaquid, le rivage de la mer est sans cesse interrompu par des rivières et des baies très-profondes. Depuis Pemaquid ces interruptions sont bien moins fréquentes. C’est pour cela que les sauvages appelaient cet endroit « terre qui continue ».

Monhigin — Mahigan, loup. De là, le nom des « Mahiganiaks », les loups, sauvages qui résidaient sur cette île et au Connecticut.

D’un autre côté, nous ne voyons que trois mots abénakis sur la carte du Canada : « Coaticook, Memphrémagog et Mégantik ». Coaticook vient de « Koakiteku », rivière de la terre du pin ; Memphrémagog, de « Mamhrobagak », grande étendue d’eau, et Mégantik, de « Namesokânjik » lieu où se tiennent les poissons.

Cependant les Abénakis, après leur émigration en Canada, donnèrent des noms aux différents endroits qu’ils y fréquentèrent ; mais ces noms n’étaient que pour leur usage et n’étaient connus que d’un petit nombre de Français. Voilà pourquoi ils n’ont pas été conservés. Voici quelques uns de ces noms.

Sillery. — Mek8amki, terre où il y a du tuf.

Le fleuve Saint-Laurent. — 8sôgenaisibô, rivière des Algonquins.

La rivière Etchemin. — Akig8iteku, rivière au loup-marin.

Le Cap-Rouge. — Psigask8is, petite planche, parceque ce cap, vu de loin, a l’apparence d’une petite planche.

Trois-Rivières. — Madôbalodenik, du mot algonquin « Metapelodin », décharge au vent. Cette expression ainsi abénakise, veut dire : à l’endroit où les vents sont toujours contraires.

Gentilly. — Namasak, les poissons, parcequ’on prenait beaucoup de poisson à la pointe de Gentilly.

Bécancourt. — 8ôlinak, rivière qui fait beaucoup de détours.

Nicolet. — Bidigan, entrée, parceque c’est le lieu où l’on entre dans le lac Saint-Pierre.

La Baie du Febvre. — Podebaguk, à la baie.

Saint-François. — Alsigânteku, rivière aux herbes traînantes.

Yamaska. — 8ig8amadenik, où il y a plusieurs maisons.

L’introduction que les Abénakis ont faite d’un grand nombre de mots Anglais dans leur langue est une preuve que ces sauvages ont eu de longues relations avec les Anglais. Voici quelques-uns de ces mots :

Pelajemôn de Frenchman  Français.
Iglismôn
 
Englishman
 
Anglais.
Ka8s
 
Cow
 
Vache.
Akson
 
Ox
 
Bœuf.
Piks
 
Pig
 
Cochon.
Azip
 
Sheep
 
Mouton.
Padatesak
 
Potato
 
Patates
Tsannaps
 
Turnip
 
Navet.
Kabits
 
Cabbage
 
Chou.
Ases
 
Horse
 
Cheval.
Spônioliases
 
Spanish-horse
 
Ane
Silôn
 
Shilling
 
Chelin.
Tlaps
 
Trap
 
Piège.
Môni
 
Money
 
Une piastre.
Timli
 
Chimney
 
Cheminée.
Sogal
 
Sugar
 
Sucre.
Pizal
 
Pease
 
Pois.

Sanda  Sunday  Dimanche.
Ti
 
Tea
 
Thé.
Melases
 
Molasses
 
Melasse.
Manistel
 
Minister
 
Ministre.
Sidel
 
Cider
 
Cidre.
8itnes
 
Witness
 
Témoin.

En général, les Abénakis se servent de mots anglais pour exprimer les choses dont l’usage leur a été enseigné par les Européens. Ces mots sont tellement Abénakisés qu’il est impossible de les distinguer dans la conversation, sans avoir quelques connaissances de la langue abénakise.

Il est certain que ces sauvages employaient ces mots en 1700, car on trouve tous ceux que nous venons de citer dans un vocabulaire abénakis, fait vers 1712, par le P. Joseph Aubéry, alors missionnaire à Saint-François ; d’où il faut conclure que ces relations avec les Anglais ont eu lieu avant cette date, et que conséquemment ces sauvages n’étaient pas du Canada, parcequ’avant cette date, il leur eût été impossible d’y avoir avec les Anglais assez de relations pour introduire ces mots dans leur langue.

Il est d’ailleurs certain que les ancêtres de nos Abénakis du Canada ont eu des relations avec les Anglais dès le commencement du 17e siècle. Un mot seul de leur langue le prouve d’une manière évidente : c’est « kinzames, » roi. Ce mot vient de « King James, » roi Jacques[7]. Les premiers colons Anglais du Maine dirent aux sauvages que leur roi s’appelait « King James, » et ceux-ci, de ces deux mots, formèrent celui de « Kinzames, » qui chez eux signifie « un roi. » Ce mot est si bien abénakisé que pas un seul sauvage ne se doute qu’il veuille dire « roi Jacques. » L’introduction du mot « Boston » dans la langue de nos Abénakis est encore une preuve que ces sauvages viennent du Maine. La province de Sagadahock ayant été réunie au Massachusetts, toutes les affaires de quelqu’importance, concernant cette province, se règlaient à Boston. Les Abénakis s’y rendaient souvent pour traiter d’affaires avec le gouverneur. Et comme cette ville était le chef-lieu de la Nouvelle-Angleterre, les sauvages désignèrent ce pays par le mot « Baston » [8]. Ainsi chez eux le mot « Bastonkik » signifiait « à la terre de la Nouvelle-Angleterre. » Nos Abénakis ont conservé ce mot, mais il lui donnent une signification plus étendue : il signifie aujourd’hui « les États-Unis. » Voici quelques exemples de l’emploi de ce mot.

Traduction littérale. Signification actuelle.
Bastonki
La terre de Boston
États-Unis.
Bastoniak
Ceux de Boston
Américains.
Bastonuji
Chose qui vient de Boston
Chose qui vient des E.-U.
Bastonkik
À la terre de Boston
Aux E.-U.
Bastonia
Chose qui est de Boston
Chose qui est des E.-U.
Bastonimôni
Argent de Boston
Argent Américain.

De plus, ces sauvages ont conservé quelques usages des Anglais de la Nouvelle-Angleterre. Ainsi, ils comptent l’argent par piastres et demi-piastres ; leur « silôn », chelin, est le « York Shelling ».

Nous conclurons donc :

1o. Que les Abénakis ne sont pas des aborigènes du Canada.

2o. Que jusqu’en 1680, ils ont été considérés en ce pays comme des étrangers.

3o. Qu’ils ont émigré de l’Acadie en Canada.

Quoique notre but dans cet ouvrage ne soit que d’écrire l’histoire des Abénakis, nous avons cru devoir y ajouter un court abrégé de celle des sauvages de la Nouvelle-Angleterre, parceque nous avons remarqué une si grande ressemblance entre tous ces sauvages que nous les considérons tous comme appartenant à une même nation. Cet abrégé du reste servira à faire plus connaître l’origine de la haine des Canibas contre les Anglais.

L’histoire des Abénakis est divisée en trois époques. La première, comprend un abrégé de l’histoire des sauvages de la Nouvelle-Angleterre, et celle des Abénakis, de 1605 à 1680, lors de leur émigration en Canada ; La seconde, renferme l’histoire des Abénakis en Canada, de 1680 à 1760, lors de la capitulation de Montréal ; la troisième, contient la continuation de l’histoire des Abénakis en Canada jusqu’à nos jours.

quelques regles pour aider à prononcer les mots abénakis.

Nous croyons devoir donner ici quelques règles, qui aideront à prononcer les mots sauvages qui se trouvent dans cet ouvrage.

a se prononce comme dans « patte », « natte ».
e
me, te.
i, o,
les mots français.
u
comme ou.
ô
on.
j
tz ou dz.
ch
ts ou ds.
ân
aiénné
8 devant une consonne, se prononce comme ou, et devant une voyelle, comme w.

Le petit u placé à la fin d’un mot, comme dans « teku, » donne un son qui répond à celui de ou, prononce du gosier.

Les consonnes sont toujours sonnantes, et se prononcent comme dans la langue latine.

B et P ont à peu près le même son et s’emploient indifféremment l’un pour l’autre.

C et Q sont toujours remplacés par K.
D et T se prononcent presque de la même manière.
F est toujours remplacé par P.
G se prononce comme dans « gateau ».

HISTOIRE
DES
ABÉNAKIS.

PREMIERE ÉPOQUE. — 1605-1680.

CHAPITRE PREMIER.

Les sauvages de la nouvelle-angleterre et de l’acadie.


Quand les Anglais commencèrent à coloniser la Nouvelle-Angleterre, et les Français, l’Acadie, ils trouvèrent dans ces contrées un grand nombre de sauvages, divisés en différentes tribus, dont voici les principales[9].

1o Les « Massajosets », ceux de la grosse Montagne. Ils occupaient la Baie de Massachusetts et étaient par conséquent les maîtres de l’endroit où est située la ville de Boston. Cette tribu a donné son nom à l’État du Massachusetts. Ces sauvages furent appelés « ceux de la grosse montagne », parcequ’ils résidaient près de la grosse montagne du Massachusetts, qu’on apercevait de la mer. C’est ce que nous apprend John Smith, qui explora ces pays en 1614[10].

2o Les « PekSanokets », ceux de la terre où l’écorce des arbres se lève facilement. Ils habitaient la partie Sud-Est du Massachusetts ; l’endroit où est situé Plymouth leur appartenait.

3o Les « Naragansets », ceux qui sont sans peur. Ils habitaient aussi le Massachusetts, dans le voisinage du Rhode-Island.

Ces trois tribus furent alliées aux Anglais pendant quelques années.

4o Les « Nibenets », ceux de l’été. Ils occupaient le Rhode-Island. La douce température de ce pays, en toutes saisons de l’année, et la magnificence de ses prairies faisaient dire aux sauvages que c’était le pays de l’été. Voilà pourquoi ceux qui l’habitaient étaient appelés « ceux de l’été ».

Quelques auteurs anglais ont appelé ces sauvages « Wabanoaks », ceux de l’aurore. C’est ce qui les a fait nommer « Abénakis » par quelques uns. On leur donnait ce nom parcequ’ils étaient du côté de l’aurore par rapport aux Naragansets.

5o Les « Mahiganiaks », les loups. Ils résidaient sur l’île Monhigin, près des côtes du Maine, et sur la rivières Thames, Connecticut. On en voyait aussi quelques familles sur le littoral de la mer, entre les rivières Penobscot et Kénébec. Ils furent appelés « Mohicans » par les Anglais, et depuis ils ont toujours été connus sous ce nom. On les appelait loups, parcequ’ils étaient aussi dangereux que ces animaux. On les considérait comme des larrons, parcequ’ils pillaient et faisaient sans cesse des ravages sur les terres de leurs frères.

Quoique ces sauvages ne fussent pas nombreux, ils se rendirent célèbres par leurs brigandages et surtout par leur alliance avec les Anglais. Ils ne rompirent jamais cette alliance, et combattirent toujours avec les Anglais contre leurs frères. Leur grande habileté à la guerre et leur courage remarquable, toujours ranimé par les secours qu’ils recevaient de leurs alliés, les rendaient formidables aux autres tribus.

6o Les « Pek8atsaks », ceux qui sont reculés dans les terres. Ils résidaient sur la rivière Connecticut, à une assez grande distance de la mer. C’est de là que vient leur nom. Ils furent appelés « Pequots », et furent connus depuis sous ce nom. Cette malheureuse tribu fut la première attaquée par les Anglais en 1636 ; elle fut presqu’entièrement détruite en un seul jour.

7o Les « Kinnipiaks », ceux de la grande eau, ainsi appelés parcequ’ils étaient plus rapprochés du grand Océan que les autres sauvages. Ils occupaient le New-Haven. Ces sauvages, étant peu nombreux, n’osèrent faire la guerre aux Anglais. Ils reculèrent, se soumirent aux exigences de ces envahisseurs, et consentirent à leur vendre leurs terres. Ce fut un ministre anglais, du nom de Devonport, qui conclut cette transaction avec eux en 1638. Pour le paiement de ces terres, il leur donna deux douzaines de capotes, une douzaine de haches, un pareil nombre de cuillères et d’écuelles, deux douzaines de couteaux et quatre petites boîtes de couteaux et ciseaux français[11]. Ainsi ce fut pour ces bagatelles que les Anglais acquirent tout le territoire du New-Haven !

Les sauvages avaient réservé le droit de chasse et de pêche sur ces terres ; mais, pour éviter les persécutions des nouveaux propriétaires, ils furent forcés d’y renoncer et de fuir vers l’Ouest.

Ces sept grandes tribus, et un grand nombre d’autres plus petites, étaient les sauvages proprement dits de la Nouvelle-Angleterre. Ce sont ces tribus que les P. P. Jésuites appelaient « ces grands bourgs de Naraghenses » [12]. Ces tribus avaient chacune de 3000 à 6 000 guerriers.

Les Abénakis appelaient le pays de ces sauvages « Alem8siski », la terre du petit chien, parcequ’il y avait beaucoup de petits chiens dans les prairies de ce territoire. De là, les Français appelèrent ces sauvages « Almouchiquois » [13], ce qui veut dire : ceux de la terre du petit chien.

8o Les « Abénakis », ceux de la terre du Levant. Ils habitaient le Maine et s’étendaient dans le New-Hampshire, le Nouveau-Brunswick et jusque sur les côtes de la Nouvelle-Écosse. Cette tribu était divisée en plusieurs autres, dont voici les principales.

1o Les « Kanibesinnoaks », ceux qui demeurent près des lacs. Les Françaises appelèrent « Canibas », retranchant la particule « innoaks » de leur nom.

2o Les « Patsuikets », ceux de la terre de la fraude, ainsi appelés parcequ’il y avait parmi eux beaucoup de sauvages de la Nouvelle-Angleterre, qui, suivant les Abénakis, s’étaient établis en cet endroit par fraude. Cette tribu résidait sur la rivière Merrimack[14], New-Hampshire, et s’étendait jusqu’à la rivière Connecticut ; elle n’était qu’une division de celle des Sokokis.

3o Les « Sok8akiaks », ceux de la terre du midi, ainsi appelés parcequ’ils étaient du côté du midi par rapport aux Canibas. Ils résidaient dans la partie Sud-Ouest du Maine et dans le New-Hampshire. Les Français les appelèrent « Sokoquiois », et plus tard, « Sokokis ».

4o Les « Nurhântsuaks », ceux qui voyagent par eau, ainsi appelés parcequ’ils résidaient dans le haut de la rivière Kénébec et sur le bord des lacs, sur lesquels ils voyageaient souvent.

5o Les « Pentagoëts »[15]. Ils furent appelés aussi « Pena8ôbskets », ceux de la terre couverte de pierre. Ils résidaient sur la rivière Penobscot, dont les environs, en certains endroits, sont couverts de pierre.

6o Les « Etemânkiaks », ceux de la terre de la peau pour les raquettes. Ils résidaient sur les rivières Sainte-Croix[16] et Saint-Jean, Nouveau-Brunswick. Les Abénakis appelaient ce territoire « Etemânki », terre de la peau pour les raquettes, parcequ’il y avait en ces endroits une grande quantité d’orignaux et de caribous, dont les peaux font de très-bonnes raquettes. De là, les Français appelèrent ces sauvages « Eteminquois », et plus tard, « Etchemins ». Ils ont toujours été connus depuis sous ce dernier nom[17].

7o Les « 8arasteg8iaks », ceux de la rivière dont le lit renferme du clinquant. Ils résidaient sur la rivière Saint-Jean, dont le lit renferme en effet en certains endroits de petites lames d’or. Plus tard, les Abénakis les appelèrent « M8sk8asoaks », rats-d’eau, parcequ’ils vivaient sur les bords de la rivière, comme des rats-d’eau. Les restes de cette tribu et de celle des Etchemins sont appelés aujourd’hui « Malécites »[18]. Ces sauvages résident actuellement dans le Nouveau-Brunswick[19].

Ces sept tribus étaient abénakises. Les P. P. Jésuites les considéraient ainsi, car on voit dans leurs relations qu’en 1660 la mission abénakise s’étendait depuis la rivière Saint-Jean jusqu’au pays des Patsuikets, New-Hampshire[20]. Mais plus tard le nom d’Abénakis désigna plus particulièrement les Sauvages de la rivière Kénébec ; les autres tribus conservèrent les noms que nous avons mentionnés. Aujourd’hui nos Abénakis du Canada nomment encore « Pena8ôbskets » leurs frères de la rivière Penobscot, et « M8sk8asoaks » ceux du Nouveau-Brunswick.

Quelques uns ne seront peut-être pas satisfaits de la classification des tribus abénakises que nous donnons, car elle ne semble pas conforme à ce qu’ont écrit sur ce sujet des auteurs fort remarquables. Cependant, quelques auteurs ont pensé, comme nous, que tous ces sauvages étaient des Abénakis.

On sera surtout étonné de voir figurer parmi ces tribus celle des Etchemins.

Remarquons d’abord que le mot « Abénakis » veut dire « les gens du Levant », et que, si l’on s’en tient à cette signification, il désigne en général tous les sauvages du Levant, sans exception. Si nous avons classé tous ces sauvages, excepté les Micmacs, parmi les Abénakis, c’est pareequ’ils parlaient tous la langue abénakise, ce qui nous a fait conclure qu’ils étaient tous d’une même nation.

Il est certain que les Pena8ôbskets et autres parlaient la même langue que les Canibas. Nous avons nous-même eu l’occasion de rencontrer quelques uns de ces sauvages, car il en existe encore aujourd’hui à Penobscot et au Nouveau-Brunswick, et nous avons pu constater ce fait. Les Malécites et les Pena8ôbskets n’ont pas la même prononciation que les Abénakis du Canada, mais ils s’entendent fort bien avec eux, à peu près comme les Têtes-de-Boules de la rivière Saint-Maurice s’entendent avec les Algonquins.

Quant aux Etchemins, il est certain aussi qu’ils parlaient la langue des Canibas.

Le P. Druillettes, dans un voyage qu’il fit chez les Abénakis, en 1651, était accompagné d’un Etchemin, avec, lequel il s’entendait par le moyen de la langue abénakise[21]. Chez les Abénakis, ce sauvage fut fort réprimandé par un Chef, parce qu’il avait maltraité le Père pendant le voyage ; alors il fit une longue harangue en abénakis, pour manifester publiquement son repentir et demander pardon de sa faute au missionnaire[22].

On dira peut-être que cet Etchemin avait pu être adopté par les Abénakis et apprendre leur langue. Nous ne pensons pas qu’il en fut ainsi, car le Chef lui dit en cette occasion « qu’il ne pouvait le châtier pour cette faute, parcequ’il n’avait pas d’autorité sur lui, n’étant pas de sa nation »[23]. Cet Etchemin était donc considéré comme étranger chez ces Abénakis.

Lorsque le P. Biard alla à la rivière Kénébec, en 1611, il était accompagné de deux Etchemins, qui lui servirent d’interprètes auprès des sauvages de cette rivière[24]. Ces deux Etchemins parlaient donc l’abénakis.

Nous lisons dans les relations des Jésuites que des Canibas, des Etchemins et autres sauvages de différentes tribus vivaient ensemble dans une même bourgade[25] ; en Canada les Etchemins et les Abénakis demeurèrent ensemble sur la rivière Etchemin. Ceci indique clairement que ces sauvages parlaient la même langue.

Ainsi, il nous paraît bien certain que toutes les tribus que nous donnons comme appartenant à la nation abénakise parlaient la langue des Canibas.

Tous les sauvages de l’Acadie et de la Nouvelle-Angleterre suivaient les mêmes coutumes, les mêmes usages, et vivaient de la même manière. Ils avaient tous la même humeur guerrière, et combattaient de la même manière ; les ruses ou stratagèmes de guerre, les armes, les cris ou chansons de guerre étaient les mêmes chez tous.

Mais le plus digne de remarque c’est qu’ils parlaient tous le même langage, excepté les Micmacs. Ceci est incontestable. Le célèbre ministre Eliot, qui passa un grand nombre d’années au milieu des sauvages de la Nouvelle-Angleterre, Bancroft, Hildreth et plusieurs autres sont de cette opinion[26]. Généralement tous ceux qui ont étudié un peu l’histoire de ces sauvages pensent la même chose.

L’opinion d’Eliot surtout est d’un grand poids dans cette question. Il était très-versé dans cette langue, et, pendant son long séjour dans la Nouvelle-Angleterre, il eut certainement l’occasion de rencontrer des sauvages de l’Acadie et de constater lui-même ce fait.

Le P. Druillettes dans ses deux voyages à la Nouvelle-Angleterre, en 1650 et 1651, s’entretenait avec les sauvages de ce pays par le moyen de la langue abénakise.

Le P. Aubéry, dans son vocabulaire abénakis, au mot « Mahigan », loup, ajoute : « Mahiganiak, les loups, nation sauvage, qui réside dans la Nouvelle-Angleterre et qui parle la même langue que les Abénakis. »

Nous lisons dans les relations des Jésuites que « ces grandes nations de la Nouvelle-Angleterre parlaient abénaquiois »[27].

Nous voyons dans l’histoire des États-Unis que chaque fois que les Anglais allaient attaquer une tribu sauvage, au moment d’arriver sur l’ennemi, ils entendaient invariablement ce cri : « A8anuts »[28], voici l’Anglais[29]. C’était le cri d’alarme de la sentinelle sauvage placée, tantôt sur le haut d’un grand arbre, tantôt sur une éminence, et chargée d’avertir la tribu de l’approche de l’ennemi. Toutes les tribus avaient le même cri d’alarme.

De là, il nous paraît évident que tous ces sauvages appartenaient à la même nation. Nous ne dirons pas qu'ils étaient tous des Abénakis ; mais nous dirons, et nous pensons être dans le vrai, que les Abénakis faisaient partie d’une grande nation sauvage, qui habitait l’Acadie et la Nouvelle-Angleterre.

Ces sauvages furent pendant longtemps un grand obstacle à la colonisation de la Nouvelle-Angleterre. Ce fut, en grande partie, ce qui engagea les Anglais à leur déclarer une guerre d’extermination en 1636. Les sauvages montrèrent tant de vigueur, de courage et d’habileté que les Anglais en furent toujours étonnés. Cette guerre d’extermination dura 43 ans. Cependant il y eut des intervalles de paix dans cette longue période de guerre. Cette lutte se termina en 1679 par la destruction presque complète de tous ces braves et courageux sauvages.

Une seule tribu, celle des Mohicans, ne fut pas détruite, parcequ'elle était alliée aux Anglais, Ces sauvages furent à l’égard des Anglais dans la Nouvelle-Angleterre ce que les Abénakis, les Hurons et les Algonquins furent à l'égard des Français dans le Canada.

Cette alliance fut fort avantageuse aux Anglais. Les Mohicans les guidaient à travers les forêts, et leur enseignaient tous les stratagèmes de guerre de leurs ennemis. Par ce moyen, les Anglais évitaient les coups des sauvages et pouvaient pénétrer jusque dans les endroits les plus reculés de la forêt, pour aller répandre la mort et la destruction dans les bourgades, les attaquant à l’improviste, détruisant et exterminant tout ce qui tombait sous leurs mains.


CHAPITRE DEUXIÈME.

caractère, mœurs, coutumes et usages de ces sauvages.


Ces sauvages étaient d’une taille au delà de la moyenne. Ils avaient généralement une grande force ; mais cette force les rendait plus aptes à supporter les rudes fatigues des voyages et de la chasse que celles d’un dur travail. Leurs membres étaient bien proportionnés et souples. On ne remarquait que très-rarement des difformités corporelles chez eux. Leur figure, ordinairement bien régulière, était d’un brun jaune ou rouge. Leurs cheveux étaient plats, noirs et longs.

Ils n’avaient ordinairement pour vêtement qu’une chemise, ou une couverte, dont ils s’enveloppaient. Avant l’établissement des Européens parmi eux, ils ne s’habillaient que de peaux. Les femmes étaient toujours vêtues plus décemment que les hommes.

Leurs wiguams[30] étaient de misérables loges construites de branches ou de jeunes arbres, plantés dans le sol, réunis et liés ensemble vers le haut et recouverts d’écorces de bouleau. Dans ces loges la terre nue servait à la fois de plancher, de lits et de sièges ; le feu s’y faisait au milieu, et la fumée s’échappait par une ouverture pratiquée vers le haut de la loge. Les wiguams étaient ordinairement construits près d’une rivière, d’un ruisseau ou d’une source d’eau. Lorsque le bois ou l’eau venait à manquer en cet endroit, les sauvages allaient s’établir ailleurs. Plusieurs familles vivaient ensemble dans une même loge.

Les objets de ménage qu’on y remarquait ne consistaient qu’en quelques vases de bois ou d’écorce de bouleau, et en quelques instruments de bois ou de pierre. Les haches et couteaux étaient de pierre très-dure ; ces couteaux étaient assez aiguisés pour couper les cheveux et faire les arcs et les flèches.

Ces sauvages se nourrissaient ordinairement de la manière la plus dégoûtante : la plus grande partie de leur nourriture consistait en entrailles d’orignal, de caribou, d’ours et d’autres animaux. Le poisson et les reptiles étaient pour eux des mets délicieux. Ils cultivaient quelques petits champs et récoltaient du maïs et des fèves, ce qui formait la partie la moins dégoûtante de leur nourriture. Ils écrasaient le maïs entre deux pierres, afin d’en faire une espèce de bouillie qu’ils appelaient « Nsôbôn »[31] et dont ils étaient très-friands.

Les hommes étaient d’une indolence extrême. Toutefois c’était, à leurs yeux, une bonne qualité, car ils prétendaient que le travail dégradait l’homme et ne convenait qu’à la femme, que l’homme n’avait été créé que pour faire la guerre, la chasse, la pêche, construire les canots et les wiguams, et que la femme était chargée, par le Créateur, de faire tous les autres ouvrages nécessaires au soutien de la famille. Aussi chez eux la femme était extrêmement active et laborieuse.

Ces sauvages supportaient avec le plus grand calme un malheur ou un accident imprévu et inattendu. Dans ces circonstances, ils montraient toujours un courage et un sang-froid réellement étonnants, ne laissant jamais paraître sur leur figure la moindre impression de souffrance ou d’affliction. S’ils tombaient entre les mains de leurs ennemis, ils conservaient toujours leur calme ordinaire, et, afin de paraître entièrement indifférents à la vue de la mort affreuse qui les attendait d’un instant à l’autre, ils mangeaient avec autant d’appétit que leurs vainqueurs.

Ils étaient ordinairement mornes, silencieux et réfléchissaient beaucoup, ne parlant jamais sur un sujet quelconque sans l’avoir longtemps médité. Dans les conseils, chacun parlait à son tour, suivant son rang, son âge, sa sagesse et les services qu’il avait rendus à la nation. Pendant les harangues, tous observaient le plus strict silence, n’interrompant jamais l’orateur. S’il s’agissait d’adresser la parole à des étrangers, ils devenaient alors plus gais et plus loquaces, et faisaient de très-longues harangues.

Ils étaient charitables et bienfaisants envers leurs frères : si quelqu’un d’eux n’était pas heureux à la chasse, ou s’il lui arrivait quelqu’accident, ils se hâtaient de le secourir. Tous ceux de la même bourgade vivaient dans une telle union et une telle intimité qu’on eût dit qu’ils étaient de la même famille. Ils formaient une espèce de communauté, où souvent les biens étaient communs. C’est pour cette raison que dix à douze familles pouvaient vivre en paix réunies dans une même loge.

Ils étaient hospitaliers et généreux envers l’étranger, qui se présentait chez eux en qualité d’ami ; souvent, ils lui offraient ce qu’ils avaient de plus précieux. Mais ils se montraient implacables à l’égard de leurs ennemis ou de ceux qui avaient offensé leur nation. Ils ne manifestaient jamais leur mécontentement ou leur haine par des jurements ou des blasphèmes[32], mais ils conservaient dans leurs cœurs leurs ressentiments et leurs projets de vengeance, jusqu’à ce qu’ils rencontrassent une occasion favorable pour se venger. Rien ne pouvait les engager à renoncer à ces projets de vengeance. Les plus longues distances n’y mettaient aucun obstacle. Ils franchissaient, avec une étonnante rapidité, d’épaisses et interminables forêts, souffrant la faim, la soif, et supportant courageusement les grandes fatigues de ces pénibles voyages, pour aller, par des routes détournées ou inconnues, surprendre leur ennemi, tomber sur lui à l’improviste et le faire prisonnier, afin de jouir du suprême plaisir de se venger en lui faisant souffrir les tourments les plus cruels et les plus barbares. Une longue suite d’années ne suffisait pas pour apaiser leur haine. Si un sauvage ne rencontrait pas pendant sa vie l’occasion de se venger, il transmettait comme un héritage sa haine à ses enfants, avec injonction de le venger un jour. Cette haine passait de générations en générations jusqu’à ample satisfaction.

Ils étaient très-sensibles à l’amitié et poussaient même ce sentiment jusqu’au ridicule. Chacun, à l’âge de faire la chasse et de combattre l’ennemi, se choisissait un ami, à peu près de son âge, qu’il appelait « Nidôba »[33], mon camarade. Ces deux sauvages s’unissaient intimement par un engagement mutuel, promettant de braver tout danger pour s’assister et se supporter l’un et l’autre. Ils demeuraient amis intimes jusqu’à la mort. Cette amitié était poussée si loin qu’elle chassait même la crainte de la mort, que ces deux amis ne considéraient que comme une séparation temporaire, étant persuadés qu’ils seraient réunis dans l’autre vie, pour ne plus être séparés.

Ces sauvages croyaient en l’immortalité de l’âme. Ils pensaient qu’après la mort l’âme était transportée, vers le Sud, dans une région inconnue, mais fort agréable ; qu’elle y était heureuse pour toujours ; que ce bonheur consistait en la jouissance non-interrompue de toutes sortes d’amusements, comme la chasse, la pêche, la danse et autres choses semblables. Ils croyaient que les méchants étaient envoyés dans une région, très-éloignée, où ils étaient malheureux pour toujours.

Ils se montraient absolument indifférents aux progrès de l’industrie. L’habileté des Européens dans les arts et métiers n’excitait aucunement leur émulation, quoiqu’ils fussent forcés d’avouer quelquefois que ces étrangers savaient beaucoup de choses. Suivant eux, la véritable habileté consistait à se rendre remarquable dans la guerre, la chasse et les voyages forestiers. En dehors de cette sphère, tout n’était que de peu d’importance pour eux. Aussi, lorsqu’ils entendaient parler d’un Européen qui se distinguait dans les voyages et la chasse, qui pouvait conduire un canot dans les rapides les plus dangereux, qui connaissait leurs ruses de guerre, qui voyageait sans guide à travers la forêt, et supportait courageusement la faim, la soif et les fatigues, ces récits les intéressaient à un très-haut degré. Ils exprimaient alors hautement leur admiration pour un si grand homme, disant qu’il était presqu’aussi habile qu’un sauvage. C’était, suivant eux, le compliment le plus flatteur qui pût être adressé à un Européen.

Aussi, la vie aventurière des Français de l’Acadie causa tant d’admiration parmi les sauvages qu’elle contribua pour beaucoup à attirer leur amitié. Les Anglais n’eurent pas cet avantage, car ils ne purent jamais se faire à cette vie d’aventures.

Voici comment ces sauvages célébraient leurs mariages. Le jeune homme, qui voulait se marier, offrait à la fille, qu’il désirait prendre pour sa femme, des bracelets, une ceinture et un collier de wampum[34]. Si la fille acceptait ces présents, les deux jeunes gens s’unissaient pour quelque temps. Après ce temps d’épreuve, si la fille plaisait encore au garçon, le mariage se célébrait, et l’union était faite pour toujours ; mais si la fille ne lui plaisait pas, il perdait ses présents et se choisissait une femme dans une autre famille. Ces unions étaient contractées en présence des Chefs et des parents des époux.

Leurs mœurs étaient généralement pures. Il est vrai qu’ils ne considéraient les femmes que comme des esclaves, mais ils ne les insultaient jamais. Un jeune homme qui osait commettre cette faute était sévèrement puni.

Comme toutes les autres nations sauvages, ils avaient une idée de la Divinité. Dieu, suivant eux, était un Grand-Esprit, qu’ils appelaient « Ketsi Ni8asku ». Ce Grand-Esprit résidait sur une île du grand lac (l’Océan Atlantique). Ils avaient une grande confiance en sa protection. Ils croyaient que le meilleur moyen pour attirer sur eux cette protection était de s’efforcer à devenir de braves guerriers et de bons chasseurs, étant persuadés que plus ils se rendaient remarquables en ces deux choses, plus ils devenaient agréables aux yeux du Grand-Esprit.

Ils croyaient aussi à l’Esprit du Mal, qu’ils appelaient « Matsi Ni8asku ». Cet Esprit était très-puissant dans le monde. Ils pensaient que les maladies, les accidents, les malheurs et tous les autres maux de ce genre venaient de lui. Comme ils craignaient beaucoup ces maux, l’Esprit du Mal était le principal objet de leur dévotion, et ils s’adressaient sans cesse à lui, le priant de ne leur faire aucun mal.

Ils croyaient, en outre, qu’il y avait d’autres Esprits, d’un ordre supérieur à l’homme ; que ces Esprits étaient toujours portés au bien, et qu’ils protégeaient l’homme contre l’Esprit du Mal ; c’est pourquoi, ils leur demandaient protection.

Ils avaient des idées fort curieuses sur la création de l’homme. Ils voyaient tant de différence entre les blancs, les nègres et les sauvages qu’ils prétendaient que ces trois nations n’avaient pas été créées par le même Dieu, et que chacune avait eu son Dieu créateur ; que le plus ancien, mais le moins habile de ces Dieux, avait été celui des blancs ; que ce premier Dieu avait d’abord créé sa nation ; que le second avait ensuite créé les nègres, et que le troisième, plus habile que les deux autres, avait plus tard créé les sauvages, en corrigeant les imperfections qu’il avait remarquées dans les deux autres nations. Ainsi, suivant eux, la nation sauvage était la plus parfaite ; elle était, de plus, privilégiée et particulièrement protégée par le Grand-Esprit, qui avait ordonné et réglé sa manière de vivre. C’est pourquoi, ils croyaient que leurs coutumes étaient plus parfaites que celles des blancs.

Ils croyaient que le premier homme et la première femme sauvages avaient été créés d’une pierre ; que le Grand-Esprit, non satisfait de ce premier coup-d’essai, avait détruit ce premier couple, et en avait créé un autre d’un arbre ; que ce second couple était presqu’aussi parfait que le Grand-Esprit, et que les sauvages en descendaient.

Ces sauvages avaient une grande affection pour leurs petits enfants. La mère montrait toujours pour son enfant un attachement extraordinaire, et ne le perdait jamais de vue. Si elle voyageait ou s’éloignait, même momentanément, du wiguam, elle le portait toujours sur son dos. Pour cette fin, l’enfant, bien emmailloté, était couché sur le dos sur un morceau de forte écorce ou sur un éclat de bois, où on le liait de la tête aux pieds. La mère, par le moyen d’une courroie qui lui passait sur le front et dont les deux extrémités étaient attachées au haut de cette sorte de berceau, portait l’enfant sur son dos sans le faire souffrir. Dans les campements, le berceau était suspendu à une branche d’arbre près de la mère.

Lorsque l’enfant, devenu plus âgé, faisait quelque faute, il était puni, malgré la grande affection que ses parents avaient pour lui. Dans ces occasions, la punition la plus ordinaire qu’on lui infligeait était de lui noircir la figure, et de le mettre hors du wiguam. On lui faisait subir ce châtiment quelquefois un jour entier. Lorsqu’il avait atteint l’âge de cinq ou six ans, on lui mettait en mains un arc et des flèches, pour l’exercer à la chasse ; à l’âge de dix ou douze ans, il commençait à prendre part aux excursions de chasse du père. La mère accoutumait de bonne heure sa petite fille à l’ouvrage ; elle la tenait toujours occupée, afin de lui obtenir la réputation de fille industrieuse.

Ces sauvages avaient un grand respect pour leurs morts. Ils les inhumaient décemment, et déposaient sur leurs tombes des objets, dont ils avaient fait usage ou qu’ils avaient affectionnés pendant leur vie, comme des arcs, des flèches, des pipes et du tabac, afin qu’ils ne manquassent de rien à leur arrivée dans l’autre monde.

Ils étaient beaucoup plus affligés de la mort d’un enfant que de celle d’une personne d’un âge mûr, parce qu’ils croyaient que cette personne pouvait se procurer elle-même les choses nécessaires dans l’autre monde, tandis qu’un enfant, ne le pouvant pas, y était malheureux. La mère était inconsolable à la mort de son enfant ; elle versait d’abondantes larmes et demeurait longtemps dans le deuil, qui consistait à se couper les cheveux, et à se peindre la figure en noir. Le père était aussi plongé dans une grande douleur. Pour le consoler, les sauvages lui offraient alors des présents, et, en retour, un festin leur était donné.

Chaque tribu avait deux grands Chefs : celui de la guerre et celui qui était chargé de veiller au bon ordre dans la tribu. Ces Chefs avaient une grande influence sur les sauvages ; mais il ne leur était pas permis de les commander impérieusement, car chaque sauvage, se regardant comme libre et indépendant, méprisait toute injonction donnée sous forme de commandement. Les Chefs n’avaient le droit que d’aviser les jeunes gens sur ce qui devait être fait, et leurs avis étaient toujours immédiatement suivis sans murmures.

Ces sauvages avaient deux Conseils : le Grand et le Général.

Le Grand Conseil se composait des Chefs de la tribu et de ceux de chaque famille. On y traitait de tout ce qui pouvait être avantageux à la tribu. Les Chefs y parlaient beaucoup ; leur parole était naturelle et facile, leur voix, forte et expressive, leur style, figuratif et laconique. C’était dans ce Conseil que l’on prononçait les sentences de mort. Car la peine de mort était en usage chez ces sauvages. Celui qui, hors le temps de la guerre, tuait l’un de ses frères était invariablement mis à mort.

Le Conseil Général se composait de tous les sauvages de la tribu, y compris les jeunes gens et les femmes. Ce Conseil ne se réunissait que lorsqu’il s’agissait de la guerre. Les femmes y donnaient leur avis comme les hommes. Lorsque la nécessité de la guerre était reconnue, le Chef de la guerre se levait, et, tenant son tomahawk[35] élevé, s’écriait : « Qui de vous ira combattre contre cette nation ? Qui de vous nous ramènera des captifs pour venger la mort de nos frères, afin que notre honneur et notre renommée soient conservés aussi longtemps que les rivières couleront, que l’herbe poussera et que le soleil et la lune subsisteront ? » Alors l’un des principaux guerriers haranguait l’assemblée, et terminait en invitant les jeunes gens à le suivre contre l’ennemi.

Lorsqu’il s’agissait d’une affaire importante, la tribu faisait un festin, auquel tous les sauvages prenaient part ; ce festin était suivi de la danse, qui était toujours accompagnée de cris inspirant la terreur. S’il s’agissait de faire la guerre, on faisait cuire, pour le festin, un ours ou tout autre animal. Chaque sauvage, avant la danse, arrachait un morceau de cet animal, et le dévorait en disant : « Puissé-je dévorer ainsi nos ennemis ! »

Chaque tribu avait ses armoiries, qui consistaient en la figure d’un animal, ou d’un oiseau, ou d’un poisson. Chaque guerrier peignait ordinairement sur ses bras, ses jambes et sa poitrine les armes de sa tribu. Quand les sauvages allaient en voyage ou en excursion, ils peignaient leurs armes sur des arbres à chaque campement, surtout lorsqu’ils avaient réussi dans quelque campagne. Ils faisaient aussi connaître, par ce moyen, le nombre de leurs prisonniers et celui des chevelures qu’ils avaient levées.

À la guerre, ces sauvages se peignaient la figure en rouge. Pendant tout le temps de la guerre, leurs principaux amusements consistaient à chanter, à danser autour d’un feu et à raconter leurs principaux faits d’armes, afin d’animer le courage des jeunes guerriers. Dans les combats, ils se servaient d’arcs et de flèches, de tomahawks et de lances. Ils avaient souvent un commandant pour chaque division de dix hommes, et un général était nommé lorsque le nombre des guerriers était de cent.

Comme ce général ne commandait que par avis et qu’il ne pouvait, ni récompenser, ni punir ses guerriers, chacun de ces derniers était libre de retourner à son wiguam lorsqu’il le désirait ; si quelques uns jugeaient à propos de se séparer des autres pour une expédition privée, ils n’étaient pas tenus de rendre compte de cette décision.

Lorsque les sauvages arrivaient d’une expédition, où ils avaient réussi, ils réglaient leur marche de manière à n’arriver à leur village que vers le soir, et envoyaient deux ou trois d’entr’eux pour annoncer aux Chefs l’heureuse nouvelle de leurs succès. Le lendemain, dès l’aurore, ils faisaient la toilette de leurs prisonniers : cette toilette consistait à les revêtir d’habits nouveaux et à leur peindre la figure de différentes couleurs. Ceci fait, le capitaine de la bande poussait autant de cris qu’il avait de prisonniers et de chevelures. Alors tous les sauvages du village se rendaient au rivage. À l’arrivée des guerriers, les sauvages de l’expédition entonnaient le chant de guerre, et conduisaient en triomphe leurs prisonniers au wiguam, où ils devaient recevoir leur sentence. Le calumet de paix, porté par deux jeunes gens, précédait la marche.

Le maître du wiguam, où les prisonniers étaient conduits, avait le droit de les condamner à la mort, ou de leur sauver la vie. Une femme qui avait perdu dans la guerre son mari, ou un frère, ou un fils, avait le droit de choisir et d’adopter l’un d’eux pour remplacer celui qu’elle avait perdu.

Le sort des prisonniers était donc immédiatement connu. Ceux d’entr’eux qui étaient adoptés par des sauvages, étaient conduits par des jeunes gens chez leurs nouveaux maîtres, qui les recevaient avec bonté, les traitaient comme des amis et des frères, et les considéraient bientôt comme leurs enfants. Mais ceux qui étaient condamnés à la mort, étaient traités avec la plus grande cruauté. À peine cette sentence était-elle prononcée, que tout le village poussait le cri : « mort ! mort ! » et les malheureux prisonniers étaient immédiatement livrés aux supplices les plus affreux.

À voir ces sauvages montrer tant de bonté à l’égard de ceux qu’ils adoptaient, et tant de cruauté à l’égard des condamnés, on eût dit qu’ils ne connaissaient pas de milieu entre les actes de bonté et les excès de cruauté.

Voici les principaux genres de supplices que ces sauvages faisaient subir à leurs prisonniers.

Le supplice le plus ordinaire était celui-ci. Ils enfonçaient dans le sol deux poteaux de neuf ou dix pieds de long, à quatre ou cinq pieds de distance l’un de l’autre, et liaient à ces poteaux deux pièces placées horizontalement, l’une à un pied de terre et l’autre cinq ou six pieds plus haut. Ceci fait, ils dépouillaient le prisonnier de ses vêtements, et le forçaient de monter sur la pièce inférieure, sur laquelle ils lui attachaient les pieds, puis lui étendaient les bras et les liaient fortement à la pièce supérieure. Alors, ils le faisaient brûler lentement, en promenant sur son corps des torches enflammées, enduites de poix.

Tous les sauvages, y compris les femmes et les enfants, se réunissaient autour des prisonniers, et prenaient part aux cruautés. Chacun tourmentait les suppliciés, selon qu’il lui plaisait, et encourageait les autres à la cruauté.

Quelquefois, lorsqu’ils n’étaient pas d’humeur à tourmenter longtemps les prisonniers, ils les assommaient d’un coup de tomahawk, et les égorgeaient.

D’autres fois, ils les liaient à des poteaux plantés dans le sol, et les faisaient mourir au milieu des flammes en allumant un grand feu autour d’eux ; ou bien, ils mutilaient leurs membres de la manière la plus cruelle, et leur levaient la chevelure.

Ces cruautés se continuaient tant que les prisonniers donnaient signe de vie. Lorsqu’ils avaient rendu le dernier soupir, on les abandonnait sur la place jusqu’au lendemain, pour se livrer, le reste du jour et la plus grande partie de la nuit suivante, aux réjouissances.

Lorsque le prisonnier, était un sauvage, car ces sauvages faisaient souvent la guerre entr’eux, il supportait ces horribles tourments avec une force extraordinaire, sans se plaindre et sans paraître souffrir. Loin de se plaindre, il provoquait sans cesse ses bourreaux, les insultant et les injuriant. Au milieu de son supplice, il publiait hautement ses propres exploits, racontait à ses bourreaux toutes les cruautés qu’il avait lui-même exercées contre leurs frères, leur reprochait leur ignorance et leur inhabileté en cruauté, et leur prédisait qu’ils verraient bien autre chose lorsque ses frères tireraient vengeance de sa mort.

Les sauvages conservaient précieusement les chevelures levées sur l’ennemi : elles étaient les plus beaux trophées de leurs campagnes comme les plus grandes preuves de leur bravoure. Ils les suspendaient dans leurs wiguams, et, dans les grandes solennités, les exposaient publiquement. En certains jours, les jeunes gens, qui avaient levé ces chevelures, recevaient de nouveaux titres, suivant la qualité des personnes qu’ils avaient scalpées. Ces titres, suivant eux, étaient une récompense suffisante pour les dangers et les fatigues de leurs campagnes, parcequ’ils les rendaient honorables au milieu de leurs frères, et formidables à leurs ennemis.

Trois choses étaient singulièrement précieuses chez ces sauvages : le wampum, le calumet et le tomahawk.

Le wampum était formé de petits grains noirs et blancs, de porcelaine ou de coquilles, de forme cylindrique, percés au milieu, dans le sens de leur longueur, et réunis ensemble par le moyen de ficelles ou de petites racines[36]. Cet objet était considéré parmi les sauvages comme l’or et l’argent le sont parmi nous : c’était leur plus grande richesse et leur plus bel ornement. Ils l’échangeaient contre les effets qu’ils achetaient, en faisaient des ceintures, des colliers et des bracelets, en ornaient leurs couvertes et autres vêtements de mille figures différentes, le peignaient de diverses couleurs pour signifier différentes choses, exprimant de cette manière tout ce qu’ils voulaient, et communiquant leurs pensées à leurs frères, comme nous le faisons par l’écriture,

Dans les transactions importantes, des ceintures de wampum étaient envoyées d’une tribu à l’autre. Ces ceintures étaient précieusement conservées dans les loges des Chefs, comme souvenirs de ces transactions, et elles ne devaient plus servir dans des occasions semblables.

Le calumet, ou pipe de paix, était en grande vénération chez ces sauvages. La tête du calumet était faite d’une sorte de pierre rouge ; le manche était de bois, long quelquefois de cinq ou six pieds, peint de différentes couleurs et orné de diverses figures, comme des têtes de différents animaux.

Les sauvages se servaient du calumet lorsqu’ils faisaient quelqu’alliance ou prenaient quelqu’engagement important. L’usage du calumet était alors pour eux comme un serment solennel, dont la violation était une infamie, qui devait être expiée dans l’autre vie.

Lorsqu’on traitait de la guerre, le calumet était peint en rouge ; si l’offense commise contre la nation n’était pas très-considérable, il n’était rougi que d’un côté.

Les dimensions de la tête et du manche du calumet et la richesse des décorations étaient proportionnées à la qualité des personnes auxquelles il était présenté.

Le tomahawk était un instrument d’une grande importance chez ces sauvages. C’était une ancienne arme, dont ils se servaient autrefois dans les combats. Quand ils eurent connu le fer et l’acier, la petite hache et le couteau le remplacèrent, mais l’usage en fut conservé pour les transactions importantes.

La tête de cet instrument était une petite masse de bois très-dur, assez pesante pour servir à assommer et à abattre un homme du premier coup. La partie supérieure de cette masse était ronde, et la partie inférieure avait la forme du tranchant d’une hache. Cette masse était traversée au milieu par un long manche, et du côté opposé de ce manche était une longue et très-forte pointe, qui servait à percer comme avec une lance. Le tomahawk était peint et orné comme le calumet.

Quand le Conseil s’assemblait pour délibérer touchant la guerre, un tomahawk, peint en rouge, était placé près du président. Si l’on décidait de faire la guerre, l’un des Chefs entonnait le chant de guerre et dansait, tenant ce tomahawk élevé. On envoyait alors à chaque tribu un tomahawk et une ceinture de wampum, et l’acceptation de ses présents était comme un traité d’alliance entre les tribus pour combattre un ennemi commun.

La jonglerie était en grande vénération chez ces sauvages, et les jongleurs jouissaient d’une très-grande influence auprès d’eux. Ces pauvres gens, extrêmement superstitieux, avaient une telle confiance aux sortiléges de ces imposteurs qu’ils se soumettaient aveuglement à toutes leurs ordonnances, les considérant comme venant de l’autre monde. Les jongleurs, suivant eux, évoquaient les Esprits du Mal, qu’ils appelaient « Madaôdos », avaient le pouvoir de les vaincre, prédisaient le beau temps et le mauvais temps, l’heureuse ou la mauvaise fortune dans la chasse, les accidents qui devaient arriver dans un voyage, le résultat d’une expédition contre l’ennemi, et mille autres choses. Les sauvages avait une telle confiance aux sentences des jongleurs qu’ils n’entreprenaient jamais une chose de quelqu’importance sans les consulter.

Chaque sauvage recevait d’eux certains objets, qui étaient appelés « Madaôdos ». Ces objets étaient des petites pierres, ou des os, ou des morceaux de certains bois, ou autres choses semblables. Les sauvages conservaient ces objets dans des sacs, et les considéraient comme un grand préservatif contre les attaques des Esprits du Mal. Plusieurs conservaient un grand nombre de ces « Madaôdos »[37].

La jonglerie solennelle était une chose qui inspirait de l’horreur. Elle se faisait dans les circonstances importantes, comme à la veille d’une guerre, pour en connaître d’avance le résultat. Voici comment se faisait cette jonglerie. Le jongleur s’enfermait seul dans une petite cabane, faite ordinairement d’écorces de bouleau. Alors, il évoquait hautement l’Esprit du Mal. Il passait quelquefois plusieurs heures dans cette cabane à se débattre et à crier comme un démon. Les sauvages se tenaient à une certaine distance de la loge aux sortiléges, attendant avec une grande anxiété la prophétie favorable ou défavorable. Lorsque le jongleur en était rendu à un tel état d’épuisement qu’il ne pouvait plus crier, il sortait de sa loge, le corps tout ruisselant de sueurs, et annonçait le résultat de son sortilége. Sa parole était alors reçue comme venant du ciel.

Les jongleurs soignaient les malades, prédisaient leur guérison ou leur mort, évoquaient et chassaient les « Madaôdos » qui les tourmentaient et les faisaient souffrir.

Lorsqu’un jongleur était appelé auprès d’un malade, il déclarait ordinairement de suite qu’un « Madaôdo » voulait faire mourir ce malade. Il sortait alors du wiguam, faisant mine d’aller à la recherche de cet Esprit ; puis revenait bientôt, et annonçait qu’il était caché sous terre, à un endroit qu’il indiquait, mais qu’il saurait bien l’en arracher et le détruire. Voici ce qu’il faisait alors. Il enfonçait profondément dans le sol un poteau, auquel il attachait une longue corde, par le moyen de laquelle les sauvages devaient réunir leurs efforts pour l’arracher. Ordinairement les premiers efforts des sauvages étaient inutiles. Alors le jongleur, faisant mine d’aller menacer le « Madaôdo » obstiné, remuait la terre au pied du poteau, qui, après plusieurs essais, était enfin arraché. Le jongleur, tout rayonnant de joie, montrait alors aux sauvages étonnés des arêtes de poisson, des os ou autres objets, fixés à l’extrémité du poteau qui sortait de terre, disant que ces objets étaient les restes du « Madaôdo » qu’il venait de détruire. Les sauvages, ignorant que le jongleur avait lui-même préalablement fixé ces objets au poteau, admiraient ce grand prodige.

Si la maladie ne diminuait pas à la suite de ce sortilége, le jongleur annonçait que le malade mourrait dans trois ou quatre jours. Alors, le pauvre malade, effrayé par cette prédiction, et convaincu désormais qu’il allait mourir, refusait de prendre toute nourriture, et mourait d’inanition, à peu près au temps fixé par le jongleur.

Ces sauvages n’atteignaient pas ordinairement un grand âge, et la pluspart mouraient fort jeunes. C’est un fait qui paraît bien constaté. L’état de surexcitation où ils étaient toujours dans leurs guerres presque continuelles, les misères de toutes sortes qu’ils enduraient dans leurs voyages continuels, surtout les jeûnes quelquefois très-prolongés, abrégeaient considérablement leurs jours et leur donnaient une vieillesse prématurée. Aussi ordinairement un sauvage de quarante ans paraissait aussi âgé qu’un Européen de cinquante à cinquante-cinq ans.

On a remarqué que les relations avec les Européens ont causé beaucoup de maladies aux sauvages ; mais on pense généralement que ces maladies doivent être principalement attribuées à l’abus que les sauvages ont fait des choses qu’ils ont reçues des Européens.

Dès la première année de ces relations, les sauvages, étant fréquemment malades, s’imaginèrent que les Européens voulaient les empoisonner, et songèrent à les chasser. Mais il fut bientôt constaté que ces fréquentes maladies chez les sauvages étaient causées par leur gloutonnerie : ils prenaient avec trop d’abondance une nourriture à laquelle ils n’étaient pas habituées. Les sauvages reconnurent en effet la cause de ces maladies, et ne parlèrent plus de chasser les Européens.

Plus tard, l’abus des spiritueux causa d’affreux ravages parmi eux. Cet abus s’est malheureusement continué presque sans interruption jusqu’à nos jours ; et nous pensons que, depuis le temps où ces sauvages ont connu ces boissons, l’ivrognerie, à elle seule, en a fait mourir un plus grand nombre que toutes les maladies ensemble.

Il est d’ailleurs certain qu’avant leurs relations avec les Européens, ils étaient quelquefois frappés par de terribles épidémies, qui en enlevaient un grand nombre. Ainsi, quelques années avant l’arrivée des Anglais à la Nouvelle-Angleterre, une horrible maladie, qui ressemblait aux fièvres jaunes, tomba sur les sauvages de ce pays et en fit mourir un très-grand nombre. Les sauvages, effrayés d’une si grande mortalité, s’enfuyaient dans les forêts, sans donner la sépulture à leurs morts.


CHAPITRE TROISIÈME.

les anglais et les sauvages
de la nouvelle-angleterre.

1614-1633.


En 1614, John Smith, le célèbre aventurier de la Virginie, partit d’Angleterre, avec deux vaisseaux, dans le but d’aller faire des découvertes sur les côtes de la Virginie. Mais, ayant fait fausse route, il alla débarquer sur l’île Monhigin, près des côtes du Maine. Ayant résolu de faire des explorations en ces endroits, il construisit plusieurs berges pour faciliter ses voyages. Il explora avec soin les côtes, depuis la rivière Pentagoët (Penobscot) jusqu’au Cap-Cod. De retour en Angleterre, la même année, il prépara une carte de tout le littoral qu’il avait visité, donnant des noms aux caps, aux baies, aux îles et aux rivières qui s’y trouvent. Cette carte fut présentée au fils de Jacques I, qui nomma ce territoire : « la Nouvelle Angleterre. »

Smith avait laissé en Amérique l’un de ses vaisseaux sous le commandement de Hunt, auquel il avait donné ordre de prendre une charge de poisson pour le marché espagnol. Hunt, au lieu d’exécuter l’ordre qu’il avait reçu, se rendit au Cap-Cod, et s’y occupa à donner la chasse aux sauvages. Il fit prisonniers vingt-sept sauvages pekuanokets, qu’il alla vendre aux Espagnols comme esclaves[38]. Cette grave faute fut plus tard pour les Anglais la cause de beaucoup de maux, car les Pekuanokets, irrités de cette insulte, promirent de se venger, et ils n’oublièrent jamais cette promesse.

De ces infortunés captifs, un seul put s’échapper. Il se rendit à Londres, où il passa près de cinq ans, puis il revint dans son pays en 1619, et y servit plus tard d’interprète aux Anglais[39]. Les autres furent conduits en Espagne, d’où ils ne revinrent jamais.

Six ans après cette échauffourée de Hunt, dix-neuf familles de Puritains partirent d’Angleterre, dans le but d’aller établir une colonie en Amérique. Après une pénible et dangereuse navigation de plus de deux mois, ces nouveaux colons arrivèrent au Cap-Cod. À peine eurent-ils mis pied à terre, qu’ils se virent cernés par un grand nombre de sauvages, qui lancèrent sur eux une nuée de flèches en poussant des cris et des hurlements tels qu’ils n’en avaient jamais entendus.

Ces sauvages étaient des Pekuanokets, qui, se souvenant de l’injustice de Hunt, voulaient venger leurs frères par la mort de tous ces Anglais. Mais lorsqu’ils entendirent la mousqueterie de ces étrangers, ils en furent tellement effrayés qu’ils s’enfuirent promptement dans la forêt, se croyant menacés de la foudre.

Tous les sauvages de ces contrées montrèrent pendant longtemps une extrême crainte des armes à feu ; et l’on peut assurer que ce fut en grande partie cette crainte qui, pendant quinze ans, les empêcha de déclarer la guerre aux Anglais. Ceux-ci, le connaissant, se gardaient bien de leur procurer de ces armes, et s’efforçaient de les entretenir dans cette crainte.

Cependant, en 1628, un nommé Morton, entraîné par l’amour du gain, se rendit chez les Pekuatsaks pour faire la traite avec eux, ; il leur vendit des mousquets et de la poudre, et leur enseigna la manière de s’en servir[40]. Cette étourderie fut très-funeste aux Anglais, car les sauvages s’accoutumèrent aux armes à feu, perdirent peu-à-peu la crainte qu’ils en avaient, et déclarèrent alors la guerre aux colons.

Les Puritains construisirent à l’Ouest du Cap-Cod un fort, qu’ils appelèrent « Plymouth, » et s’y réfugièrent vers la fin de Décembre de la même année, 1620.

Ils souffrirent beaucoup pendant l’hiver, Cette grande misère leur causa de sévères maladies, et bientôt la mort fit de grands ravages parmi eux. À leur arrivée au Cap-Cod, leur nombre était de cent, et au printemps suivant, il se trouva réduit à quarante-six. Dans cette grande détresse, quelques sauvages seulement eussent suffi pour achever de les détruire entièrement ; mais, heureusement pour eux, ces pauvres gens étaient tellement sous l’empire de la crainte qu’ils ne songèrent pas même à aller les attaquer ; au contraire, ils s’enfuyaient dans la forêt à l’approche d’un Anglais.

Dans le cours de l’hiver, les Pekuanokets, les Massajosets et les Naragansets tinrent de Grands Conseils au sujet de ces étrangers, et déclarèrent qu’il était prudent et nécessaire de faire un traité de paix avec ces hommes puissants, qui portaient la foudre et qui pouvaient les faire mourir.

Au mois de Mars, les Pekuanokets députèrent, dans ce but, leur grand Chef Samoset[41] au fort Plymouth[42]. Les Anglais, dans leur alarmante position, craignaient beaucoup les sauvages ; aussi ils profitèrent de cette occasion pour les flatter. Ils reçurent le Chef avec solennité, lui firent beaucoup de politesses, et lui donnèrent de l’eau-de-vie, chose qu’il ne connaissait pas. Ce sauvage fut si surpris et si émerveillé de l’effet que cette boisson produisit sur lui, qu’il se crut alors le plus heureux des hommes. Dans ce moment de surexcitation, il accorda aux Anglais tout ce qu’ils lui demandèrent, et leur promit de revenir au fort dans quelques jours avec les Chefs de plusieurs tribus. Fidèle à sa parole, il reparut bientôt à Plymouth avec un grand nombre de sauvages et plusieurs Chefs, à la tête desquels était le célèbre Massasoit[43], Chef des Narangansets.

Le gouverneur Carver, ne voulant pas laisser entrer les sauvages dans le fort, envoya Winslow à leur rencontre pour parlementer avec eux. Celui-ci leur donna des présents et les harangua. Les sauvages furent si satisfaits qu’ils conclurent un traité de paix avec le gouverneur[44].

Peu de temps après, les Anglais eurent l’occasion de raffermir leur alliance avec Massasoit. Les Nibenets de Mount-Hope, Rhode-Island, ayant déclaré la guerre aux Narangasets, les Anglais intervinrent en faveur de Massasoit ; et forcèrent les Nibenets de se retirer. Ceux-ci en conçurent une grande haine contre les colons, et promirent de se venger un jour. Ils ne renoncèrent jamais à ce projet de vengeance. Aussi, cinquante ans plus tard, en 1671, ils devinrent, sous le commandement de leur roi Philippe, très-redoutables aux Anglais, comme nous le verrons.

Massasoit fut si satisfait de la conduite des Anglais en cette occasion qu’il se lia pour toujours avec eux d’une étroite amitié. Ce fut cette amitié qui l’engagea plus tard à prendre part à la guerre contre les Pequots, ce qu’il ne fit toutefois qu’avec la plus grande répugnance, et qui le porta à user de toute son influence auprès des sauvages, pendant le reste de sa vie, pour étouffer leurs murmures contre les colons, calmer leurs mécontentements et les engager à conserver la paix. Aussi, l’on peut assurer que les Anglais ne durent le succès de la colonie du Massachusetts qu’à la protection de ce puissant et fidèle ami. Le tribut de reconnaissance qu’ils lui payèrent, cinquante ans plus tard, fut l’extermination complète de sa tribu et le lâche assassinat de son fils Philippe. C’est ainsi qu’ils vénérèrent la mémoire de ce Chef, qui les avait sauvés mille fois par sa généreuse et bienfaisante protection.

Les Anglais s’allièrent facilement aux Mohicans. Ces sauvages ne vivaient que fort peu de temps sur leurs terres. Ils erraient sans cesse çà et là, faisant la chasse et la pêche sur les terres de leurs frères, et commettant des déprédations partout où ils passaient, ce qui causait de fréquentes querelles avec les autres tribus. En outre, ils se rencontraient souvent, depuis plusieurs années, avec des pêcheurs anglais, et sympathisaient avec eux. Ils avaient établi avec eux un petit commerce de fourrures, et les considéraient comme des frères. Dans ces relations, plusieurs d’entr’eux avaient appris à parler l’anglais d’une manière assez passable[45]. Ainsi, leurs difficultés continuelles avec les autres sauvages et leur sympathie pour les Anglais les engagèrent de suite à conclure le traité d’alliance demandé, et ils y furent toujours fidèles. Aussi prirent-ils une part active dans toutes les guerres des Anglais contre les sauvages.

Peu de temps après ces traités de paix et d’alliance avec les sauvages, la colonie de Plymouth fit une perte sensible dans la personne du gouverneur Carver, qui mourut à la fin de Mars. Il fut remplacé par le gouverneur Bradford, qui fut l’historien de cette Province.

Dans le mois de Novembre de la même année, 1621, un vaisseau, portant trente-cinq nouveaux émigrants, arriva d’Angleterre. Il en arriva encore les années suivantes. De sorte qu’en 1624, le fort de Plymouth comptait trente-deux maisons et cent quatre-vingts habitants.

Pendant ce temps, de nouveaux établissements furent faits dans la Baie de Massachusetts. En 1622, un marchand de Londres, Thomas Weston, vint avec cinquante à soixante hommes construire le fort Weymouth.

L’année suivante, les sauvages Massajosets résolurent de détruire ce fort ; mais Massasoit les apaisa et les engagea à vivre en paix avec leurs nouveaux voisins. En conséquence, un traité de paix fut conclus entr’eux et les autorités de Weymouth[46].

En 1625, un établissement fut fait à Braintree, sur une élévation, qui fut appelée Mount-Wollaston.

Vers 1628, on procéda à l’établissement des villes de Salem[47], Charlestown, Dorchester, Watertown, Roxbury et Boston[48] ; et en 1629, ces établissements furent incorporés sous le nom de « Colonie de la Baie de Massachusetts ».

Pendant ce temps, les sauvages du Massachusetts murmuraient fortement. Ils voyaient que les Anglais s’emparaient de leurs terres, sans leur offrir d’indemnité, et que ces envahisseurs, au lieu de les traiter avec bonté, les maltraitaient et n’affectaient pour eux que le plus grand mépris. Ces injustices, ces mauvais traitements et ces mépris remplissaient leurs cœurs de haine. Chaque année, des révoltes se tramaient secrètement parmi eux contre les colons. Mais Massasoit était partout pour apaiser ces soulèvements. Il voyageait sans cesse d’une tribu à l’autre, et réussissait toujours à convaincre les sauvages que la révolte contre des hommes si puissants serait une folie et causerait inévitablement la perte de toutes les tribus.

De leur côté, les Anglais étaient parvenus, à force de présents, à acheter un certain nombre de sauvages, qui étaient devenus leurs fidèles esclaves. Ils envoyaient constamment ces sauvages dans les tribus, avec ordre de raconter aux sauvages mille contes touchant la bravoure, le courage des Anglais, l’effet extraordinaire de leurs mousquets, de leurs canons, et l’impossibilité de résister à ces terribles armes[49]. Les sauvages, croyant tous ces contes, n’osaient plus parler de leurs projets de vengeance.

C’est ainsi que se passèrent les choses jusqu’au temps où la guerre éclata contre les Pequots.


CHAPITRE QUATRIÈME.

destruction des pequots — guerre contre les naragansets et les nibenets.

1633-1644.


En 1633, des Hollandais allèrent faire un établissement sur la rivière Connecticut, à peu près à l’endroit où est Hartford ; mais cet établissement fut bientôt abandonné. En 1635, soixante colons du Massachusetts allèrent établir Hartford et Wethersfield. La même année, le fils du gouverneur du Massachusets, accompagné de vingt hommes, alla bâtir le fort de Saybrook.

Les Anglais firent ces établissements sans s’occuper le moins du monde, suivant leur habitude, de prendre quelqu’arrangement avec les sauvages.

Alors les Pequots, sauvages de cette contrée, réunirent leur Grand Conseil, et décidèrent de faire la guerre à ces nouveaux colons. Ils les considéraient comme des étrangers et des envahisseurs qui, n’avaient aucun droit de s’établir sur leurs terres sans leur consentement, et qui, conséquemment, devaient en être chassés.

Les Anglais du Massachusetts, informés de cette détermination des Pequots, essayèrent de les appaiser ; ils tentèrent même de corrompre leur grand Chef de guerre, Sasakus[50], par les plus flatteuses promesses ; mais celui-ci tint ferme, et méprisa souverainement ces promesses. Plusieurs autres moyens furent employés pour appaiser la colère des sauvages ; mais tout fut inutile.

Les Pequots commencèrent donc leurs hostilités contre les nouveaux colons. Ils attaquèrent et détruisirent plusieurs habitations, et tuèrent dix à douze colons.

Cependant les Anglais, comprenant que la guerre avec les Pequots pouvait soulever tous les sauvages de la Nouvelle-Angleterre contr’eux, résolurent d’employer un dernier moyen pour les calmer : ce fut de députer Massasoit auprès d’eux. Ce moyen parut d’abord réussir. Massasoit sut si bien faire comprendre à ces sauvages la grandeur de l’imprudence qu’ils faisaient en prenant les armes contre les colons, et leur représenta si clairement tous les maux que cette guerre ferait retomber sur leur tribu, qu’ils consentirent à la paix. Alors, ils envoyèrent au gouverneur des présents de wampum, et des Chefs furent députés pour aller traiter de la paix à Boston.

Les conditions de paix que les Anglais proposèrent furent : « Que les Pequots leur livreraient ceux de leurs frères, qui étaient coupables du meurtre des colons ; qu’ils renonceraient, en faveur des colons, à tous leurs droits sur les terres de la nouvelle colonie du Connecticut, et qu’ils considéreraient et traiteraient toujours les colons comme des amis »[51].

Les Pequots, loin d’être satisfaits des clauses de ce traité, n’en furent que plus irrités. Ils refusèrent donc d’accepter ces conditions de paix, parcequ’ils les considéraient comme très-injustes.

Quelque temps après, ils tuèrent quelques Anglais, qui avaient remonté la rivière Connecticut pour faire la traite avec eux, et attaquèrent Wethersfield, où plusieurs personnes furent tuées ou faites prisonnières.

L’année suivante, 1636, un parti de Pequots, de 150 guerriers, assiégea le fort Saybrook ; mais il fut vivement repoussé. Les Anglais, munis de plusieurs pièces de canon, empêchèrent les sauvages d’entrer dans le fort. Après plusieurs attaques inefficaces, ceux-ci se retirèrent sur l’île Block.

La colonie du Massachusetts, grandement alarmée par ces hostilités, envoya le capitaine Endicot, avec quatre-vingt-dix hommes, pour punir les coupables. Endicot partit de Boston le 20 Août pour l’île Block. En arrivant à cette île, il apperçut sur le rivage une soixantaine de sauvages, qui s’enfuirent aussitôt dans la forêt, où il lui fut impossible de les découvrir. Alors il détruisit leurs wiguams et leurs canots[52], puis il fit voile vers leurs terres. À peine fut-il arrivé à leur village, que 500 sauvages s’avancèrent sur le rivage ; mais, comme ils n’étaient pas préparés au combat, ils s’enfuirent précipitamment dans la forêt dès qu’ils s’aperçurent du dessein hostile des Anglais. Endicot, ne pouvant rejoindre ses ennemis, détruisit leurs wiguams, et leurs canots, puis il retourna à Boston.

La crainte que les Anglais inspiraient alors aux sauvages était fort étonnante. Évidemment ce fut ce qui sauva en cette occasion, Endicot et sa petite troupe. Car, n’eût été cette crainte qui leur enlevait tout courage, les sauvages eussent pu dans quelques heures réunir près de 2,000 guerriers et détruire entièrement cette poignée d’Anglais, D’ailleurs cette fuite de 500 sauvages devant 90 Anglais ne peut s’expliquer que par cette grande crainte.

Les Pequots, prévoyant que les Anglais ne s’en tiendraient pas là et qu’ils reviendraient les attaquer, s’adressèrent à toutes les tribus, leur demandant de s’unir à eux pour combattre leur ennemi commun. Ils leur représentèrent que les Anglais étaient des envahisseurs, qui s’emparaient injustement de leurs terres ; que bientôt ils se rendraient maîtres de leur pays ; que tous les sauvages en seraient chassés, et que, si elles souffraient la destruction de leur tribu, toutes les autres auraient certainement tôt ou tard le même sort.

À cet appel, toutes les tribus se soulevèrent contre leur ennemi commun. Mais les Anglais envoyèrent immédiatement leurs messagers, dans toutes les directions, pour menacer sévèrement les sauvages. Ces messagers, au moyen de leurs contes ordinaires et aidés de l’influence de Massasoit, réussirent à appaiser l’indignation des tribus et à les tenir dans la neutralité.

Cependant les Naragansets hésitèrent longtemps. Un de leurs grands Chefs, Miantinomi[53], ne partageait pas les opinions de Massasoit, et persévérait dans sa résolution de s’unir aux Pequots ; ce qui inquiétait fort les Anglais ; car ce Chef était puissant et influent dans sa tribu. Le gouverneur le fit venir à Boston, lui donna de l’eau-de-vie, suivant son désir, lui fit des présents et le fit consentir, à force de promesses, à prendre les armes contre ses frères[54].

Les Pequots ne se découragèrent pas dans leur isolement, et se décidèrent à se défendre vigoureusement. De leur côté, les Anglais se préparèrent à la guerre.

Au mois de Mai, 1637, le capitaine John Mason partit de Boston à la tête de 150 hommes, Anglais et Mohicans, avec ordre de se joindre aux Naragansets, pour aller attaquer les Pequots. Les Mohicans, au nombre de soixante-et-dix, étaient commandés par leur célèbre Chef Uncas[55].

Mason arriva le 21 du même mois chez Miantinomi, l’informa du but de son expédition et lui enjoignit de se joindre à lui, comme il l’avait promis. Miantinomi, qui avait regretté ces promesses, faites trop précipitamment dans un moment de surexcitation, parut hésiter et remit sa décision au lendemain. Le jour suivant, il représenta à Mason qu’il faisait une grave imprudence en allant attaquer la puissante tribu des Pequots, que ces sauvages étaient de braves guerriers, que l’année précédente, à la vérité, ils avaient fui devant les Anglais, mais que, cette fois, ils étaient décidés à se défendre courageusement, et que les Anglais seraient certainement battus. Cependant, vivement pressé par Mason, il consentit à lui fournir un certain nombre de guerriers, qui, avec ceux de Massasoit, formèrent une troupe de 200 Naragansets.

Le 24, Mason se rendit auprès d’une autre tribu des Naragansets, dans le but d’y faire une autre recrue de guerriers. Le Chef de cette tribu lui dit franchement qu’il n’approuvait pas cette expédition, et que ses guerriers ne s’uniraient pas à lui[56]. Mais Mason, lui fit tant de menaces que la crainte le força de lui livrer 150 hommes.

Mason se voyant alors à la tête de 500 hommes, se mit de suite en marche vers ses ennemis.

Cependant la plupart des Naragansets ignoraient complètement on les conduisait. Lorsqu’ils furent informés qu’ils allaient faire la guerre aux Pequots, ils manifestèrent hautement leur mécontentement et voulurent prendre la fuite[57]  ; mais Mason les ayant menacés de la mort s’ils osaient tenter de déserter, ils continuèrent à marcher contre leurs frères.

Le 26, Mason arriva au village des Pequots. À quelques pas du village, il entendit le cri d’alarme de la sentinelle ennemie : A8anuts ! A8anuts ! Voici l’anglais, voici l’anglais ! Alors, il s’arrêta, et se prépara à l’attaque.

Le village fut attaqué avec impétuosité, et les sauvages se défendirent courageusement. Il s’ensuivit un rude combat, qui dura plus de deux heures. La victoire demeura longtemps indécise, mais elle parut enfin se décider en faveur des sauvages. Lorsque Mason s’apperçut que ses troupes pliaient et commençaient à reculer, il ordonna de mettre le feu au village. En un instant tous les wiguams, au nombre de près de cent, furent livrés aux flammes. Ce fut ce qui sauva les Anglais d’une complète défaite. Les sauvages, poursuivis par l’incendie et cernés par l’ennemi, se précipitaient dans les flammes, où ils périssaient. Environ 600 Pequots, hommes, femmes et enfants, périrent en cette journée, suivant Bancroft[58], et au delà de 800, suivant Thrumbull[59]. Beaucoup furent faits prisonniers, et 400 à 500 purent s’échapper et s’enfuir dans les forêts.

Pendant cet affreux carnage, les Naragansets, qui avaient été conduits malgré eux à cette attaque, se tinrent en arrière, et demeurèrent simples spectateurs de cette horrible scène.

Un mois plus tard, le 27 Juin, Mason attaqua de nouveau les Pequots, en tua un grand nombre et fit cinquante prisonniers, parmi lesquels se trouvèrent deux Chefs. Dans cette expédition, il rencontra plusieurs autres partis de ces sauvages qu’il détruisit.

Ayant été informé que Sasakus, qui jusqu’alors avait été insaisissable, était encore à la tête d’un grand nombre de ses guerriers, il résolut de le poursuivre et de le détruire, car il était convaincu qu’il ne réussirait pas à exterminer la tribu des Pequots, tant qu’elle aurait à sa tête ce courageux et habile Chef.

Le 30, il arriva à New-Haven, où il fut informé que les Pequots, commandés par Sasakus, étaient campés dans un marais. Il se dirigea vers cet endroit, et arriva le 1er Juillet sur le bord de ce marais. Environ 600 sauvages y furent massacrés, et plusieurs furent faits prisonniers. Sasakus put encore s’échapper, avec quelques uns de ses guerriers[60].

Ce malheureux Chef, se voyant poursuivi par les Anglais dans les endroits même les plus reculés de la forêt, fut obligé de s’enfuir, et d’aller s’établir sur la rivière Hudson, avec le reste de sa tribu. L’année suivante, 1638, ces sauvages furent détruits par les Iroquois ; Sasakus fut tué, et sa chevelure fut apportée à Boston[61].

Ainsi fut détruite la grande tribu des Pequots. Plus de 2,000 sauvages avaient été tués, et près de 1,000 faits prisonniers. La plupart de ces prisonniers furent transportés aux Indes, où ils furent vendus comme esclaves.

Peu de temps après la destruction de cette tribu, les Naragansets, irrités de la cruauté des Anglais et n’étant plus retenus par les conseils de Massasoit, qui venait de mourir, résolurent de venger leurs malheureux frères, en attaquant les amis des Anglais, les Mohicans. Les Nibenets de Mount-Hope, qui depuis dix-sept ans conservaient dans leurs cœurs des projets de vengeance contre les Anglais, projets qu’ils n’avaient pu jusqu’alors mettre à exécution à cause de leur faiblesse, s’unirent volontiers aux Naragansets. Alors, Miantinomi leva, dans les deux tribus, une armée de 1,000 guerriers, et marcha contre les alliés des Anglais.

Cependant Uncas, Chet des Mohicans, ayant été informé de ce projet, eut le temps de se procurer le secours des troupes du Connecticut, et marcha à la rencontre de ses ennemis, avec une armée de 500 hommes. Les deux armées se rencontrèrent à quatre milles du village des Mohicans.

Miantinomi, qui ne s’attendait pas à rencontrer l’ennemi en cet endroit, fut attaqué à l’improviste. Les Anglais et les Mohicans tombèrent sur son armée avec impétuosité, et la mirent en déroute. Plus de cinquante Naragansets et Nibenets furent tués. Miantinomi fut fait prisonnier, avec un grand nombre de ses guerriers, et, quelques jours après, il fut impitoyablement mis à mort, à l’endroit même où son armée avait été défaite[62].

Cette défaite ne fit qu’augmenter la rage des vaincus, qui continuèrent encore la guerre pendant près de six ans, mais toujours sans succès. Ces sauvages, n’ayant plus à leur tête de Chefs habiles pour les conduire, dirigeaient mal leurs attaques, et étaient toujours repoussés. Les Mohicans, plus habiles qu’eux et toujours secourus par les Anglais, leur faisaient subir des pertes considérables.

Ces hostilités continuèrent jusqu’en 1644, où les Anglais décidèrent d’y mettre fin par la destruction de ces ennemis. Ils envoyèrent un député auprès des Naragansets, pour les informer de cette détermination, et les engager à se soumettre. Ce député fut mal reçu. Le Chef de ces sauvages déclara « qu’il tuerait tout Anglais ou Mohican qu’il rencontrerait ; que la guerre continuerait, et qu’il ne serait satisfait que lorsqu’il posséderait la tête d’Uncas. »

Les Anglais, irrités et provoqués par cette déclaration, levèrent une petite armée de 250 hommes, pour être unie à celle des Mohicans, et se hâtèrent de faire les derniers préparatifs d’une expédition contre ces ennemis obstinés.

Mais les sauvages, se rappelant le malheur des Pequots et considérant qu’un sort semblable leur était réservé s’ils étaient attaqués par l’armée anglaise, se décidèrent à demander la paix ; ce qui leur fut accordé aux conditions suivantes : « qu’ils vivraient perpétuellement en paix avec les Anglais et leurs alliés ; qu’ils remettraient aux Mohicans tous les captifs et les canots qu’ils leur avaient enlevés, et qu’ils leur payeraient annuellement 1,000 brasses de wampum »[63].

Ces conditions étaient sévères et onéreuses ; néanmoins, elles furent aceptées par les Naragansets et les Nibenets, et la paix fut rétablie dans la Nouvelle-Angleterre entre les Anglais et les Sauvages.


CHAPITRE CINQUIÈME.

longue période de paix — destruction des sauvages — mort du roi philippe.

1644-1679.


Le traité conclu avec les Naragansets et les Nibenets fut suivi d’une paix qui dura vingt-sept ans. Pendant cette longue période, les colonies du Connecticut, de Mount-Hope et du Massachusets firent de grands progrès ; chaque année, elles virent augmenter considérablement leur population par de nombreux émigrants.

Cependant, les Anglais tenaient toujours la même conduite à l’égard des sauvages, les traitant comme des esclaves. Ils s’emparaient chaque année de quelques parties de leurs terres, sans leur consentement et sans leur donner d’indemnité. Toute réclamation à ce sujet était toujours méprisée. Aussi, les sauvages étaient toujours mécontents, et haïssaient souverainement leurs persécuteurs. Souvent, ils méditaient des projets de vengeance, et songeaient à la révolte ; mais ils étaient toujours retenus par Philippe, l’un de leurs grands Chefs.

Philippe était fils de Massasoit. Après la mort de son père, les Nibenets le choisirent pour leur grand Chef. Il fut le plus remarquable de tous les sauvages de la Nouvelle-Angleterre. Il se distingua par son courage, son énergie et surtout par une incroyable activité. Comme son père, il fut l’ami intime des Anglais, et, comme il jouissait d’une grande influence auprès des sauvages, on peut dire que ce fut uniquement par sa protection que les colons anglais purent vivre en paix avec eux pendant vingt-sept ans.

En 1671, ce Chef se révolta contre les anglais, et se déclara leur ennemi. Depuis longtemps, il gémissait à la vue de toutes les injustices que l’on faisait aux sauvages. Il osait quelquefois donner à ses amis quelques avis à ce sujet, dans le but d’obtenir quelqu’amélioration à la pénible condition de ses frères ; mais ces avis étaient toujours méprisés. Enfin, voyant que ces injustices augmentaient sans cesse, il abandonna ses amis, et se révolta contr’eux

Cette révolte fut comme un coup de foudre pour les Anglais. Ils se virent privés d’une puissante protection, et se trouvèrent en face d’un redoutable ennemi. La révolte de Philippe fut un véritable malheur pour les colonies ; mais ce malheur n’arriva que par la faute des Anglais, car ce Chef ne fut porté à se révolter contr’eux que par leurs imprudences et leurs injustices à l’égard des sauvages. C’est ce qu’avoue Bancroft[64].

Philippe parcourut toute la Nouvelle-Angleterre, et visita toutes les tribus sauvages, depuis la Province de Sagadahock jusqu’au Connecticut. À son appel, tous les sauvages se levèrent comme un seul homme contre leur ennemi commun. Mais il était trop tard pour le vaincre. Cet ennemi, qui devait les détruire bientôt, avait grandi pendant vingt-sept années de paix, et était devenu plus fort qu’eux. Philippe, malgré sa grande habileté et son incroyable activité, ne put sauver sa nation ; cependant, il se couvrit de gloire, et se fit un nom illustre.

En 1671, les Nibenets détruisirent plusieurs établissements, et tuèrent quelques Anglais. Le gouverneur de Boston demanda alors à Philippe de lui livrer ceux qui s’étaient rendus coupables de cet acte ; celui-ci s’y refusa, prétendant que ces sauvages avaient usé de représailles contre leurs persécuteurs.

Pendant ce temps, Philippe réunissait des guerriers de toutes les tribus, et, au printemps de 1672, il se vit à la tête d’une armée de plus de 5,000 sauvages[65].

Alors, il attaqua le village de Swanzay. Environ soixante-et-dix Anglais y furent tués, et le village fut livré aux flammes.

À cette nouvelle, le Gouvernement de Massachusetts envoya sept compagnies de troupes, sous le commandement des capitaines Henchman, Prentice et Church, au secours de la colonie de Mount-Hope. Les troupes arrivèrent à Swanzay le 28 Juin ; mais elles n’y rencontrèrent pas les sauvages : ils s’étaient retirés à Mount-Hope, après la destruction du village.

De Swanzay, une compagnie de cavalerie fut envoyée, sous le commandement de Prentice, à la découverte des sauvages. Bientôt, cette compagnie fut attaquée et mise en déroute par un détachement des guerriers de Philippe. Une seconde compagnie, venue au secours da la première, eut le même sort. Près de 150 Anglais furent tués ou blessés dans cette rencontre[66].

Le 30, le major Savage, nommé commandant-en-chef de cette campagne, arriva à Swanzay, avec un renfort de troupes. Le lendemain, l’armée se mit en marche pour Mount-Hope.

Philippe, apprenant l’arrivée des Anglais, divisa ses guerriers en plusieurs bandes, puis se retira dans la forêt, où il attendit l’attaque de ses ennemis.

Le 4 Juillet, Savage divisa ses troupes en quelques compagnies, et leur ordonna de s’avancer dans la forêt, en différentes directions, à la recherche de l’ennemi. Bientôt, les compagnies, commandées par Church et Henchman, rencontrèrent un parti de sauvages et l’attaquèrent. Il s’en suivit un rude combat, où les Anglais furent battus avec une perte de près de cinquante hommes. Comme une nouvelle compagnie arrivait au secours de celles qui venaient d’être mises en déroute, les sauvages s’éloignèrent dans la forêt.

Church, furieux de sa défaite, se précipite à la poursuite de l’ennemi. Les sauvages, s’apercevant de cette poursuite, se couchent ventre à terre, et demeurent dans cette position jusqu’à ce que les troupes ne soient qu’à quelques pas d’eux. Alors, ils se lèvent avec la rapidité de l’éclair, lancent une nuée de flèches sur les Anglais, puis, armés de leurs couteaux et de leurs haches, se précipitent avec impétuosité sur eux, et en font un horrible carnage. Des trois compagnies anglaises qui furent engagées dans cette action, dix-sept hommes seulement purent s’échapper, parmi lesquels fut Church[67].

Les colonies furent grandement alarmées par ces défaites et, surtout, par les rapides succès de Philippe. Deux mois après, pendant que l’assemblée générale était en session, délibérant sur les moyens à prendre pour arrêter les hostilités de ce terrible ennemi, on apprit qu’il avait attaqué Brookfield, distant d’environ soixante-et-cinq milles de Boston. Alors, dix compagnies furent envoyées au secours de ce village, sous le commandement du major Willard.

Philippe avait tué presque tous les habitants de Brookfield ; ceux qui en restaient s’étaient retirés dans une maison, et ils étaient sur le point de se rendre lorsque Willard y arriva. Alors, il s’engagea entre les troupes et les sauvages un terrible combat, qui dura la plus grande partie du jour. Beaucoup d’Anglais tombèrent, et plus de 500 sauvages furent tués ou blessés. Philippe fut forcé de prendre la fuite [68].

Le gouverneur de Boston, apprenant le sort des malheureux habitants de Brookfield, envoya à Willard un renfort de trois compagnies de cavalerie, avec ordre de se joindre à trois autres du Connecticut, et de marcher à la poursuite des sauvages.

Pendant ce temps, Willard, informé qu’une partie de l’armée de Philippe s’était retirée à Hatfield, envoya à sa poursuite deux compagnies, commandées par Lathrop. Lorsque ces troupes furent arrivées à environ trois milles de Hatfield, les sauvages, au nombre de plus de 1,000, tombèrent sur elles avec impétuosité, et les massacrèrent impitoyablement. Trois hommes seulement de ces deux compagnies purent s’échapper[69].

Dans le mois d’Octobre, Philippe détruisit et pilla Springfield, après en avoir tué tous les habitants, puis il se retira à Mount-Hope, pour ses quartiers d’hiver, avec plus de 4,000 guerriers.

Cependant, les colonies décidèrent d’aller attaquer leur ennemi dans son campement d’hiver, pendant qu’il ne s’y attendait pas. Une armée de 1,100 hommes fut levée dans ce but, et placée sous le commandement du major Winslow. Cette armée, à laquelle se joignit un fort parti de Mohicans, se mit en marche vers Mount-Hope le 7 Décembre.

Les Anglais arrivèrent pendant la nuit au camp de Philippe, et se précipitèrent avec fureur sur les sauvages. Ceux-ci, attaqués à l’improviste, ne purent se défendre, environ 4,000 de ces sauvages furent impitoyablemenf massacrés. Philippe put s’échapper, avec environ 200 de ses guerriers[70]. Beaucoup d’Anglais furent tués ou blessés.

En revenant de cette expédition, l’armée anglaise souffrit tellement du froid que tous ses blessés et un grand nombre d’autres moururent. Les Anglais perdirent dans cette campagne au delà de 800 hommes, y compris un certain nombre de Mohicans.

Cependant, le major Willard voyagea pendant tout l’hiver à la recherche des ennemis, tua beaucoup de sauvages, fit un grand nombre de prisonniers, et détruisit environ 3,000 wiguams[71]. Dans cette campagne, il acheva presque l’œuvre de la destruction des deux grandes tribus des Naragansets et des Nibenets.

Ces échecs furent de terribles coups pour Philippe. Cependant, son courage ne l’abandonna pas. Dès le retour du printemps, 1673, il recueillit les restes de ses infortunées tribus, et se retira dans les forêts, afin d’éloigner ses frères de leurs persécuteurs.

Cependant, il ne resta pas longtemps dans l’inaction. Bientôt, il commença à voyager dans la Nouvelle-Angleterre, dans le but de réunir une seconde armée de sauvages. Mais une grande famine, qui s’éleva alors parmi eux et qui régna pendant plusieurs années, le força de reculer pendant cinq ans l’exécution de ses projets de vengeance contre les Anglais.

Enfin, à force d’activité et de ruses, il réussit dans sa difficile et dangereuse entreprise, et, à la fin de l’année 1677, il avait sous son commandement une armée de près de 5,000 guerriers. Cette armée était composés de Massajosets, de Pekuanokets, de Patsuikets et des restes des autres tribus.

Il résolut d’attaquer ses ennemis dès le commencement de l’année 1678, et partagea son armée en plusieurs détachements, afin d’assaillir à la fois différents établissements anglais.

Le 10 Février, Lancaster fut assailli par l’un de ces détachements, et un grand nombre d’habitants y périrent. Le 21, douze Anglais furent tués à Medfield.

Alors, deux compagnies furent envoyées, sous le commandement du capitaine Pierce, pour détruire ces sauvages ; mais, ceux-ci, au nombre de 500 à 600, tombèrent avec fureur sur ces troupes et les détruitsirent entièrement : cinq Anglais seulement purent s’échapper. Près de 100 sauvages tombèrent dans cette rencontre[72].

Le 25 Mars, un parti de sauvages attaqua et détruisit Weymouth et Warwick, et massacra la plupart des habitants. Le 10 Avril, un autre parti détruisit et pilla Rohebeth et Providence.

Le 1er Mai, les Anglais envoyèrent une compagnie et 150 Mohicans, sous le commandement du capitaine Dennison, à la poursuite de ces sauvages. Les troupes rejoignirent les ennemis près de Groton, et les attaquèrent à l’improviste. Ce parti de sauvages, de plus de 500, fut complètement détruit[73].

Le 23, trois compagnies et 100 Mohicans attaquèrent, sur la rivière Connecticut, un autre parti de sauvages, qui fut aussi détruit[74].

Dans le même temps, les habitants de New-London, Norwick et Stonington, ayant pris les armes, détruisirent, dans trois expéditions, près de 1,000 sauvages[75].

Le gouverneur de Boston, étant informé qu’un parti de 500 à 600 sauvages était caché près de Lancaster pour attaquer ce village, envoya, dans le mois de Juillet, trois compagnies de cavalerie, pour défendre cette place. Les troupes y furent battues ; mais près de 150 sauvages furent tués ou blessés[76].

Le 15 du même mois, un engagement eut lieu près de Groton entre une compagnie de cavalerie et 300 sauvages. Cette compagnie fut complètement détruite, et plus de 100 sauvages furent tués[77].

Le 12 Août, un parti de sauvages attaqua Westfield et massacra beaucoup d’habitants. Le 17, un autre parti attaqua Northampton ; mais il fut repoussé avec une grande perte par les troupes qui y stationnaient.

Une compagnie fut envoyée, le 9 Septembre, pour repousser 200 sauvages, qui étaient près de Sudbury. Les troupes arrivèrent pendant la nuit au campement des sauvages. Ceux-ci dansaient autour d’un grand feu ; se croyant alors cernés par un grand nombre d’Anglais et se pensant perdus, ils se précipitèrent dans les flammes et y périrent tous[78].

Le 25, un parti de 600 à 700 sauvages attaqua Marlborough. Trois compagnies, envoyées pour la défense de cette place, furent complètements détruites ; mais les sauvages, ayant perdu plus de 300 guerriers, se retirèrent[79].

Philippe, voyant qu’il avait perdu près de 3,000 hommes depuis le 10 Février et que ses guerriers étaient épuisés de fatigue, reconnut qu’il lui était impossible de continuer plus longtemps cette rude campagne. Il interrompit donc ses hostilités, et alla prendre ses quartiers d’hiver.

Cependant, les Patsuikets de la rivière Merrimack, voulant venger la mort de tant de frères, reprirent les armes à l’automne, et ravagèrent les établissements de la nouvelle colonie du New-Hampshire. Ils détruisirent, dans le cours de Novembre, plusieurs villages, et massacrèrent un grand nombre de colons.

Le gouverneur de Boston envoya, le 12 Décembre, quatre compagnies de cavalerie pour détruire ces ennemis. Le 26, les troupes rencontrèrent sur la rivière Merrimack un parti considérable de sauvages qu’elles détruisirent complètement. Quelques jours après, un détachement de troupes tua environ 100 sauvages près de Amherst.

Dans le mois de Janvier, 1679, un parti de 500 à 600 sauvages fut attaqué pendant la nuit à l’improviste, et fut entièrement détruit. Les troupes firent plusieurs autres rencontres, où elles massacrèrent un grand nombre de sauvages puis elles retournèrent à Boston dans le mois de Février.

Les Anglais détruisirent dans cette expédition la tribu des Patsuikets ; mais ils perdirent plus de la moitié de leurs quatre compagnies[80].

Les restes de cette malheureuse tribu se dispersèrent. Quelques centaines de ces sauvages se retirèrent vers le roi Philippe, d’autres émigrèrent vers l’Ouest, sur la rivière Hudson, et quelques-uns se réfugièrent en Canada[81], où ils se joignirent bientôt aux Abénakis, qui furent aussi forcés d’y émigrer pour fuir les persécutions des Anglais. Ceux qui se retirèrent sur la rivière Hudson furent bientôt attaqués et détruits par les Iroquois[82].

Philippe, retiré dans son camp de Mount-Hope, gémissait sur les malheurs de ses infortunées tribus, lorsque la nouvelle de la destruction de celle des Patsuikets vint augmenter sa douleur. Il comprit que sa cause était décidément perdue. Cependant, les quelques centaines de Patsuikets qui s’étaient réfugiés auprès de lui ranimèrent un peu son courage, et il résolut de faire un dernier effort pour venger sa nation. Il recueillit soigneusement les restes de ses tribus, et, au printemps de 1679, il se trouva à la tête d’une armée de près de 3,000 guerriers.

Il savait bien que cette petite armée serait vaincue et détruite ; mais il voulait sacrifier sa vie et celle de ses braves guerriers pour venger la mort de tant d’infortunés frères par celle d’un grand nombre d’Anglais.

Comme l’année précédente, il partagea ses troupes en plusieurs détachements, afin d’attaquer ses ennemis en différents endroits.

Vers le 20 Mars, les sauvages firent plusieurs prisonniers près de Swanzay. Philippe, pour se moquer des Anglais, leur renvoya l’un de ces prisonniers, après lui avoir fait couper le nez et les oreilles.

Le 22, un nègre prisonnier chez les sauvages s’étant échappé, alla informer les Anglais que les sauvages avaient formé le projet d’attaquer Taunton et les villages voisins, que Philippe était campé près de Warcester avec 1,000 guerriers, que la plupart de ces sauvages étaient armés de mousquets, et que, quelques jours avant son évasion, un parti de sauvages était arrivé avec plusieurs prisonniers anglais et un grand nombre de chevelures.

Alors le gouverneur de Boston envoya trois compagnies de cavalerie pour la défense de Taunton. Ces troupes ne rencontrèrent pas les sauvages, car ils s’étaient éloignés à la nouvelle de l’approche des Anglais.

La colonie du Connecticut leva trois compagnies de cavalerie, et les envoya vers l’Ouest, sous le commandement du major Talcott, pour repousser les sauvages qui y causaient des dommages considérables. Le 11 Avril, Talcott rencontra un parti de 400 à 500 sauvages, qu’il attaqua à l’improviste et qu’il détruisit entièrement. Il voyagea pendant plus de quatre mois, exterminant tous les sauvages qu’il rencontrait[83].

Le 27 Août, il arriva à Hadley, assez tôt pour sauver cette ville d’une entière destruction. Un parti d’environ 500 sauvages était sur le point d’attaquer cette place. Les habitants de la ville, encouragés par ce secours inattendu, se joignirent aux troupes. Le combat qui s’engagea alors fut long et sanglant, et la victoire fut longtemps contestée. Les sauvages eussent certainement battu les Anglais, n’eût été le feu continuel de plusieurs pièces de canon, habilement dirigé sur eux par les gens de la ville, et qui faisait un terrible ravage dans leurs rangs. Ayant perdu plus de la moitié de leurs guerriers, les sauvages furent forcés de céder et de prendre la fuite, après avoir fait éprouver une grande perte aux Anglais[84].

Le trois Septembre, Talcott recommença ses excursions avec un renfort de nouvelles troupes et un parti de 100 Mohicans, commandé par le Chef Onéco[85]. Le 5, il découvrit un parti de 300 à 400 sauvages, campé au pied d’une éminence. Il fit cerner ces sauvages, et les attaqua à la fois de toutes parts. Ceux-ci, quoiqu’attaqués à l’improviste, se défendirent courageusement, et firent essuyer à leurs ennemis des pertes considérables ; mais, accablés par le nombre, ils succombèrent, et furent tous massacrés, ou faits prisonniers, parcequ’il leur était impossible de fuir. Ce parti de sauvages était commandé par une sauvagesse, qui fit preuve d’un courage extraordinaire[86].

Dès que le combat fut terminé, les prisonniers furent mis à mort par les Mohicans, sur le champ de bataille même, et en présence des Anglais, qui parurent approuver les horribles supplices que l’on fit subir à ces malheureux [87].

Quelques jours après, tous les sauvages qui restaient encore dans les environs de Plymouth allèrent se constituer prisonniers. Le 15, le major Bradford en surprit 150 près de Pautuxet, et les fit prisonniers ; parmi eux, se trouvait la femme de Philippe. Le lendemain, il en attaqua 150, près de Dedham, et les défit complètement. Quelques jours après, plus de 200, pressés par la famine, se rendirent aux Anglais [88].

À cette date, la destruction des sauvages de la Nouvelle-Angleterre était complète. Mais la vengeance des Anglais n’était pas encore satisfaite, il lui fallait de plus la tête de Philippe, qui jusqu’alors avait été insaisissable. On envoya des espions dans toutes les directions, pour découvrir l’endroit où il s’était réfugié. Enfin le gouverneur fut informé, le 20 Octobre, qu’il était caché dans un marais, près de Mount-Hope, avec une centaine de ses guerriers.

Alors le capitaine Church fut envoyé, avec un détachement de troupes et un parti de Mohicans, pour détruire ce terrible ennemi. Church arriva, le 27, au lieu de la retraite de Philippe. Il fit cerner le marais, pour empêcher l’évasion de l’ennemi, et l’infortuné Chef fut impitoyablement massacré avec ses guerriers. Sa tête fut apportée au gouverneur de Boston [89].

C’est ainsi que les Anglais assassinèrent lâchement celui qui, par sa seule influence, avait conservé, pendant près de trente ans, les colonies de la Nouvelle-Angleterre. C’est ainsi qu’ils firent périr le fils de Massasoit, qui leur avait rendu de si importants services, pendant dix-sept ans.

La plupart des sauvages qui échappèrent à la destruction s’enfuirent, et émigrèrent vers l’Ouest. Aujourd’hui, l’on rencontre dans l’Ouest quelques petites bourgades qui ont le même langage que les Abénakis du Canada. Ces sauvages sont probablement les descendants des restes des malheureuses tribus de la Nouvelle-Angleterre.

Cependant, l’on vit encore des sauvages dans la Nouvelle-Angleterre longtemps après cette guerre d’extermination. Cent ans après, on en comptait de 900 à 1,000, qui étaient des descendants des Mohicans et des prisonniers. Ces sauvages sont tous disparus aujourd’hui.

Les Mohicans, toujours protégés par les Anglais, ont subsisté plus longtemps que les autres sauvages. Il n’y a que peu d’années que le dernier des Mohicans a disparu.

Ces sauvages eurent toujours le plus grand respect pour la mémoire de leur célèbre Chef Uncas. Ce Chef avait choisi lui-même, près de Norwick, le lieu de sa sépulture. Il ordonna que ses restes seraient déposés en cet endroit, ainsi que ceux de tous ses descendants. Cette dernière volonté fut religieusement exécutée, et le dernier des Uncas fut inhumé au milieu des restes de ses ancêtres[90].

La destruction des sauvages de la Nouvelle-Angleterre est un fait de cruauté fort regrettable. En lisant le récit de ces affreux massacres, on se sent pénétré d’un sentiment d’horreur. Les colons de la Nouvelle-Angleterre agirent alors à l’égard de ces sauvages comme le font actuellement les Yankees des États-Unis à l’égard de ceux de l’Ouest. On sait que les Yankees donnent aujourd’hui la chasse aux sauvages, comme aux bêtes féroces, les poursuivant et les exterminant partout où ils peuvent les rencontrer, dans les vastes prairies de l’Ouest et dans les interminables forêts de l’Orégon.

Pour justifier les colons de la Nouvelle-Angleterre de ces actes de barbarie, on prétexte que les sauvages s’étaient révoltés contre eux. Mais on sait que les Anglais causèrent eux-mêmes cette révolte, ce qui est avoué par quelques historiens américains, et qu’ils lassèrent la patience de ces malheureux à force d’injustices, de persécutions, de mauvais traitements et d’insultants mépris. On peut donc dire que ces sauvages furent des victimes, immolées à l’orgueil et à l’ambition des Anglais.

Cependant, nous devons remarquer que les guerres ne furent pas la seule cause de destruction chez ces sauvages, car différentes épidémies, qui survinrent parmi eux, en firent périr un très-grand nombre. Ainsi, quelques années avant l’établissement des Puritains à Plymouth, une affreuse maladie, ressemblant beaucoup aux fièvres jaunes, fit disparaître plus de la moitié de leur population. De 300 sauvages, qui habitaient une petite île de Massachusetts, 250 moururent[91] ; il en fut à peu près de même pour les autres. Les sauvages étaient tellement effrayés par ces nombreux décès qu’ils fuyaient dans toutes les directions, sans donner la sépulture à leurs morts. Quelques années plus tard, les Anglais trouvèrent, sur le rivage et dans les forêts, les ossements de ces malheureux. En 1633, la petite vérole fit un affreux ravage parmi ces sauvages. On a calculé que leur population fut diminuée des deux tiers par ces différentes épidémies[92].

Ainsi, les épidémies et les guerres formèrent une longue suite de maux et de malheurs pour ces sauvages. Mais ils eurent un autre malheur, encore plus grand que ceux-là : ce fut de ne pas connaître la vérité. Comme ils furent toujours en relations avec les hérétiques, beaucoup embrassèrent le protestantisme. Des ministres protestants, Mayhew et Eliot, résidèrent au milieu d’eux. Eliot est considéré par les protestants comme l’apôtre de ces sauvages. Il passa un grand nombre d’années à voyager au milieu d’eux, et à leur lire la bible, qu’il avait traduite en leur langue[93].

Des P. P. Jésuites du Canada pénétrèrent jusque chez eux, en 1650, 1651 et vers 1660[94]. Mais ces voyages furent sans succès, car les sauvages étaient trop imbus des erreurs de l’hérésie.

Ainsi, ces infortunés n’eurent pas le bonheur de connaître la véritable religion, qui seule peut consoler dans le malheur. Ils étaient malheureux pendant toute leur vie, et mouraient sans consolations.

Leurs frères abénakis furent plus heureux. Ils eurent l’avantage d’avoir des relations avec les Français, qui leur procurèrent des missionnaires. Ils apprirent à prier et à servir Dieu, ce qui les rendait heureux, et les attachait aux Français. C’est ce qui fut bien exprimé dans une admirable réponse d’un Chef abénakis à un Anglais. Celui-ci, ayant demandé à ce Chef pourquoi les Abénakis avaient plus d’attachement pour les Français que pour les Anglais, en reçut cette réponse : « C’est parceque les Français nous ont appris à prier, tandisque les Anglais ne l’ont jamais fait » [95].

CHAPITRE SIXIÈME.

les abénakis — les anglais et les français.

1604-1611.


En 1524, François I, roi de France, avait envoyé le Florentin Vérazzani en voyage d’exploration en Amérique. Vérazzani explora les côtes, depuis le Rhode-Island jusqu’à la Nouvelle-Écosse. Il trouva dans les pays des Armouchiquois[96], des Canibas, des Penawôbskets et des Etchemins des hommes « plus forts et plus rudes que ceux qu’il avait rencontrés vers le midi »[97]. Les Français essayèrent d’entrer en pourparlers avec ces sauvages, mais ils ne purent y réussir. Vingt-cinq hommes, bien armés, débarquèrent et pénétrèrent un peu dans la forêt ; mais ils furent bientôt repoussés par un grand nombre de sauvages, qui lancèrent une nuée de flèches au milieu d’eux. Ils furent alors forcés de se retirer, et les sauvages s’enfuirent. Les Français durent donc renoncer à toute autre tentative pour s’entendre avec les aborigènes[98].

Il parait qu’avant ce voyage de Vérazzani, ces territoires avaient été visités par des Bretons. C’est ce que dit Vérazzani lui-même. « Cette terre, » dit-il, « fut reconnue par les Bretons dans les temps passés. »

Depuis ce voyage de Vérazzani jusque vers 1605, aucun voyageur n’explora ce pays.

Vers 1605, le capitaine Weymouth, cherchant, vers le Nord-Ouest, un passage pour les Indes Orientales, découvrit la rivière Pentagoêt. Il fut le premier Anglais qui fit une découverte dans ce nouveau pays.

Weymouth arriva précisément au milieu des Abénakis, dans la tribu des Pentagoëts ou Penawôbskets. Les sauvages admirèrent d’abord le vaisseau anglais ; mais lorsqu’ils virent les Anglais mettre pied à terre, ils passèrent subitement de l’admiration à la crainte. La figure, le langage et l’accoutrement de ces étrangers étaient choses si nouvelles pour eux qu’ils en conçurent une grande inquiétude. Ce fut alors qu’ils s’écrièrent : « A8aniuji » ? D’où vient celui-ci ? C’est de là, comme nous l’avons déjà dit, que vient le mot « A8anuts, » mot dont les sauvages se servirent plus tard pour désigner un Anglais ou un Européen. Lorsqu’ils entendirent les détonations des mousquets, ils pensèrent que ces étrangers portaient la foudre et pouvaient les tuer. Alors, saisis de frayeur, ils s’enfuirent dans la forêt.

Weymouth ne séjourna pas longtemps en cet endroit. Il explora la Baie de Pentagoët, pénétra un peu à l’intérieur du pays, où il donna la chasse aux sauvages, et fit cinq prisonniers ; puis il retourna en Angleterre, y emmenant, ces cinq sauvages[99]. Ces Abénakis furent un sujet de curiosité et d’amusement pour les gens de la cour. Le fils du roi, qui fut plus tard Charles I, prit un intérêt tout particulier au sort de ces sauvages. Aussi, ils furent toujours bien traités pendant leur séjour en Angleterre. Cependant, leur nouveau genre de vie, si différent de celui qu’ils avaient l’habitude de suivre, ne leur convenait pas ; ce qui leur causa une maladie, dont l’un d’eux mourut[100].

Weymouth fit une faute grave en faisant ces prisonniers chez les Abénakis. Il est probable qu’en s’emparant de ces sauvages, il n’était poussé que par un motif de curiosité ou de vanité, voulant se procurer la satisfaction d’amuser ses compatriotes avec ces captifs de l’Amérique ; mais les sauvages pensèrent qu’il agissait ainsi par un motif d’hostilité contre’eux, et que, par cette action, il leur déclarait la guerre.

Le capitaine anglais ne connaissait pas le caractère de ces sauvages. Il ne prévoyait pas toute la haine que cette action pouvait faire naître dans leurs cœurs, ni tous les dommages qui pouvaient en résulter, plus tard, pour les nouvelles colonies anglaises.

Cette imprudence du Weymouth et beaucoup d’autres de ce genre, commises plus tard par les colons anglais, furent cause que les Abénakis, se défiant et craignant toujours, ne purent jamais s’allier sincèrement aux Anglais, et furent facilement engagés à prendre les armes contr’eux.

Les Français, qui s’établirent en Acadie, agirent plus prudemment à l’égard des sauvages. Dès qu’ils se trouvèrent en contact avec eux, ils les traitèrent avec bonté, et leur inspirèrent de suite une grande confiance. Ils firent de suite avec eux une alliance, qui ne fut jamais rompue. Aussi, plus tard, tandis que les colonies anglaises étaient sérieusement menacées par ces sauvages, on voyait les Français vivre paisiblement au milieu d’eux.

Cette alliance des Français et des sauvages fut solidement affermie par des mariages. Beaucoup de Français se marièrent à des sauvagesses. Des notables même contractèrent de semblables unions. Ainsi, l’on vit le Baron de Saint-Castin, ancien capitaine au régiment de Carignan, aller s’établir à Pentagoët, épouser la fille du grand Chef des sauvages de cet endroit, et demeurer trente-huit ans au milieu d’eux. Le Sieur Enaud, seigneur de Nipisiguy, contracta une semblable union. Ces mariages furent si fréquents, surtout de 1607-1675, époque où les femmes européennes étaient bien plus rares en Acadie que les hommes, qu’on prétend qu’il y a actuellement peu de familles acadiennes qui n’aient quelques gouttes de sang sauvage dans les veines[101].

Vers le temps de l’expédition de Weymouth, deux compagnies avaient été formées en Angleterre, l’une à Plymouth et l’autre à Londres, dans le but de faire explorer les côtes de la Virginie, et d’y commencer de nouveaux établissements. En 1606, la compagnie de Plymouth nolisa deux vaisseaux, pour cette fin, et les mit sous le commandement des capitaines Chalong et Prynne.

Chalong emmena avec lui deux des sauvages de Weymouth. Mais il ne put se rendre en Amérique. Il fut fait prisonnier par des Espagnols et conduit en Espagne, avec son équipage et ses deux sauvages. Ceux-ci ne revinrent jamais dans leur pays[102].

Prynne fut plus heureux. Il se rendit au Maine, qu’il explora avec soin puis il retourna en Angleterre, où il fit un brillant rapport touchant les hâvres, les rivières, les forêts et les pêcheries qu’il avait explorés.

Prynne n’eut rien à démêler avec les sauvages dans ce voyage, parcequ’à son arrivée, ceux-ci s’enfuirent promptement, et ne reparurent au rivage qu’après son départ pour l’Angleterre. Si les sauvages parurent effrayés, Prynne, de son côté, n’était pas sans inquiétude ; car l’affaire des cinq sauvages de Weymouth lui faisait craindre des représailles de la part de leurs frères ; c’est pourquoi, il s’abstint de chercher à les rencontrer.

L’année suivante, 1607, cent aventuriers, encouragés par le rapport de Prynne, s’embarquèrent sur deux vaisseaux et firent voile vers l’Amérique, dans le but d’y aller chercher fortune. Ils pensaient trouver l’or, l’argent et les pierres précieuses dans les forêts de ce nouveau pays. Ils emmenèrent avec eux les deux Abénakis, restés en Angleterre.

Ils touchèrent d’abord à l’île Monhigin, près des côtes du Maine, puis ils allèrent débarquer à la rivière Kénébec, en un endroit appelé par les sauvages « Sakkadaguk »[103], et qui fut nommé plus tard par les Anglais « Sagadahock ».

Les Abénakis, effrayés à la vue de cette troupe d’Anglais, s’enfuirent d’abord ; mais bientôt, ils se réunirent, et décidèrent de détruire ces étrangers, pensant qu’ils venaient leur donner la chasse, comme l’avait fait Weymouth à la rivière Pentagoët. Les Anglais furent sauvés en cette occasion par les deux prisonniers sauvages. Les Abénakis furent si contents de revoir ces deux frères, absents depuis deux ans, qu’ils se calmèrent et consentirent à entendre la harangue des étrangers.

Pendant leur séjour en Angleterre, ces deux sauvages avaient appris assez l’anglais pour servir d’interprètes. Par ce moyen, les Anglais purent faire comprendre facilement aux sauvages qu’ils ne venaient pas en leur pays pour leur nuire, ni pour leur faire la guerre, mais qu’ils voulaient vivre en paix avec eux, comme avec des frères. Les sauvages parurent d’abord avoir peu de foi en ces paroles ; cependant, encouragés et fortement conseillés par les deux interprètes, ils consentirent à la paix[104]. Alors, les Anglais se retirèrent sur l’île Parker, où ils bâtirent un fort, auquel ils donnèrent le nom de « George ».

Quelques jours après, les sauvages entièrement décidés de vivre en paix avec les nouveaux colons, députèrent leur grand Chef, pour conclure un traité de paix avec eux. Le Chef arriva au fort anglais, accompagné de son fils et de quelques autres sauvages, portant tous des arcs et des flèches. Il était facile de distinguer le Chef parmi les autres. Il était revêtu d’une peau de bête, ornée de wampum et retenue autour de son corps par une ceinture de wampum ; il portait sur sa tête une espèce de calotte, surmontée de plumes d’oiseaux de différentes espèces ; ses cheveux étaient noirs et longs, surtout sur le derrière de la tête ; sa taille était haute et imposante ; il se tenait droit et marchait lentement, affectant toujours l’air le plus solennel ; il portait un arc, des flèches et un long calumet[105]. Sa réception au fort fut solennelle. Avant de traiter d’affaires, on lui donna un peu d’eau-de-vie. Ce fut la première fois que ces sauvages virent des boissons enivrantes. Le peu qu’ils en prirent leur causa une joie inconnue, qui leur fit oublier complètement la crainte qu’ils avaient des Anglais[106].

Le Chef des Abénakis reconnut le roi d’Angleterre pour son souverain, et promit que sa tribu lui serait désormais soumise. Il fut réglé de plus que les sauvages vivraient toujours en bonne intelligence avec les colons, et qu’un commerce de fourrures serait établi entr’eux[107].

Ce fut en cette occasion que les Abénakis, ayant appris que le roi d’Angleterre s’appelait « King James, » introduisirent ces deux mots anglais dans leur langue, et en formèrent le mot « Kinjames, » qui, comme nous l’avons dit, signifie chez eux « un roi ».

Au mois de Décembre, les vaisseaux repassèrent en Angleterre, avec une grande partie des colons. Il ne resta au fort George que quarante-cinq hommes.

Bientôt, les nouveaux colons oublièrent les promesses qu’ils avaient faites aux sauvages, et commencèrent à les maltraiter. Ils ne leur permettaient pas de demeurer près du fort ; ils les chassaient de leurs maisons, parfois même à coups de bâtons, les faisaient mordre par leurs chiens, et affectaient à leur égard le plus grand mépris, ne les considérant que comme des animaux inférieurs à leurs chiens [108].

C’est ainsi que se passa l’hiver de 1607-1608. Les sauvages supportaient patiemment ces insultes et ces mépris, car ils étaient naturellement bons[109]. Ils voulaient vivre en paix avec les colons, comme ils l’avaient promis, et ne croyaient pas que ces mauvais traitements fussent une raison suffisante pour les engager à manquer à leur parole. Chaque fois qu’ils étaient ainsi maltraités ou méprisés, ils se retiraient silencieux et profondément affligés.

Mais au printemps, voyant que ces injustices augmentaient, ils résolurent de chasser les Anglais de leur pays. Heureusement pour ceux-ci qu’un vaisseau, arrivant d’Angleterre, venait de jeter l’ancre devant le fort. À la nouvelle du soulèvement des sauvages, ils s’y réfugièrent, et retournèrent en Angleterre, abandonnant leur nouvelle colonie.

On leur reprocha en Angleterre d’avoir abandonné si vite leur entreprise. Ils cherchèrent à se disculper et prétextant que le sol de ce pays était trop pauvre et le climat trop rigoureux pour y établir une colonie[110]. Mais la compagnie de Plymouth ne fut pas satisfaite par ces prétextes.

Ces aventuriers eussent mieux fait de dire la vérité, en avouant franchement qu’ils avaient été chassés par les Abénakis[111].

L’année suivante, 1609, Hudson alla jeter l’ancre à l’embouchure de la rivière Pentagoët, mais il ne put s’y établir, parce qu’il fut chassé par les sauvages[112]. De là, il se rendit au Cap Cod, et, croyant qu’il en était le premier découvreur, il l’appela « Nouvelle Hollande », parcequ’il avait beaucoup de Hollandais avec lui. Du cap Cod, il alla faire des explorations sur la rivière Hudson.

Tandis que les Anglais étaient chassés du Maine par les Abénakis, les Français s’établissaient en Acadie, et sympathisaient avec ces sauvages et avec les Micmacs.

En 1604, Pierre du Gua, Sieur de Monts, fut chargé par Henri IV, roi de France, d’aller établir une colonie dans l’Amérique. Quatre navires furent équipés, dont l’un était destiné à faire la traite des pelleteries à Tadoussac ; Pontgravé avait ordre de conduire le second à Canceau, et les deux autres étaient destinés à transporter les nouveaux colons.

De Monts, quoique calviniste, s’était engagé à établir la religion catholique parmi les sauvages de la nouvelle colonie. Il était un fort honnête homme, et jouissait de toute la capacité nécessaire pour réussir dans l’entreprise dont il s’était chargé[113].

Il partit du Havre-de-Grâce le 7 Mars, accompagné du Baron Jean de Poutrincourt et d’un certain nombre de colons. Il arriva heureusement en Amérique, et alla jeter l’ancre dans la Baie de Fundy, qu’il appela Baie Française. Bientôt, il entra dans un bassin spacieux. Poutrincourt, enchanté de la beauté de cet endroit, s’y établit avec sa famille. De Monts lui donna cette place en concession, et cette concession fut confirmée, plus tard, par le roi de France[114].

De Monts, continuant sa route vers le Sud, alla débarquer sur une île, située à l’embouchure de la rivière Sainte-Croix. Pendant l’hiver suivant, se trouvant sans eau douce et sans bois, il y souffrit beaucoup ; à ces maux vint se joindre la terrible maladie du scorbut, qui enleva trente-six colons. Au retour du printemps, 1605, il se hâta de quitter son île, et alla explorer les côtes de la Nouvelle-Angleterre jusqu’au Cap-Cod ; mais, ne trouvant aucun endroit qui lui parut assez avantageux pour s’établir, il retourna en Acadie, où Pontgravé venait d’arriver, avec quarante nouveaux colons. Alors, les premiers colons, encouragés par ce secours, venu si à propos, se dirigèrent vers l’établissement de Poutrincourt, où ils jetèrent les fondations de Port-Royal, qui porte aujourd’hui le nom d’Annapolis[115].

Les Abénakis et les Micmacs, qui habitaient ces contrées, accueillirent les Français avec bienveillance. Ils manifestèrent d’abord quelques craintes et un peu de méfiance ; mais, dès qu’ils reconnurent que ces étrangers voulaient vivre en paix avec eux, ils se montrèrent généreux et pleins de bonté, et firent de suite avec eux une alliance, qui ne fut jamais rompue, malgré toutes les tentatives que les Anglais firent plus tard dans ce but [116].

Poutrincourt affectionnait beaucoup ces sauvages, et ceux-ci de leur côté, étaient fort reconnaissants de ces marques d’affection. C’est ce qui contribua beaucoup à les attacher aux nouveaux colons[117].

À l’automne de 1605, de Monts et Poutrincourt repassèrent en France, et l’été suivant, le dernier revint en Acadie, avec de nouveaux colons[118].

Ce fut alors que les travaux de colonisation commencèrent avec activité dans l’Acadie. Des chemins furent ouverts dans les forêts ; on construisit un moulin à farine, et l’on fit du charbon de bois. « Enfin, » dit Garneau, « tous les procédés des pays civilisés étaient mis en usage pour faciliter les travaux dans le nouvel établissement »[119].

Les sauvages étaient émerveillés à la vue de toutes ces choses nouvelles pour eux ; ces améliorations les étonnaient grandement, et ils étaient forcés d’avouer que « ces étrangers savaient beaucoup de choses »[120]. « Ils commençaient alors à s’apprivoiser, » dit le P. de Charlevoix[121].

Cependant, en 1607, la société formée en France pour l’établissement de cette colonie ayant été dissoute, les colons furent forcés d’abandonner leurs travaux, tandis qu’ils se réjouissaient de leurs succès, après trois années de pénibles efforts. Port-Royal fut donc abandonné.

À la nouvelle du prochain départ de Poutrincourt, les sauvages manifestèrent la plus grande douleur, car ils étaient déjà fortement attachés aux Français, et ils considéraient le départ de leur protecteur comme un grand malheur pour eux[122].

Aussi, ils versèrent d’abondantes larmes, en le reconduisant au rivage, et le supplièrent hautement de revenir au milieu d’eux aussitôt qu’il lui serait possible[123]. Poutrincourt, touché d’une si grande affection, les consola un peu, en leur déclarant qu’il partait avec le dessein de revenir bientôt.

Les Français de l’Acadie ne repassèrent pas tous en France ; un grand nombre y restèrent et se dispersèrent parmi les sauvages. La plupart se marièrent à des sauvagesses, et passèrent le reste de leurs jours avec les sauvages, adoptant leur manière de vivre. C’est de cette époque que datent les premiers mariages des Français avec les sauvages de l’Acadie[124].

Poutrincourt s’occupa activement en France à former une nouvelle société pour continuer l’établissement de sa colonie. Mais ce ne fut qu’en 1610 qu’il put conclure un arrangement à cet effet, avec deux marchands de Dieppe, Dujardin et Duquêne. Alors, il revint en Acadie, accompagné de nouveaux colons. Les sauvages le reçurent avec un véritable enthousiasme de joie. Poutrincourt fut fort surpris de trouver son fort de Port-Royal et les maisons dans le même état qu’il les avait laissés. Rien n’y avait été dérangé ; les meubles même des maisons étaient encore à leurs places[125]. Ceci nous fait bien connaître le respect et l’amour que ces sauvages avaient alors pour les Français.

Poutrincourt avait refusé d’emmener des Jésuites en Acadie, parcequ’il les craignait. Quoique sincèrement attaché à la religion catholique[126], il avait des préjugés contre ces religieux, préjugés qu’il avait puisés dans les calomnies des prétendus réformés. C’est pour cette raison qu’il préféra emmener à Port-Royal un prêtre séculier, M. Jessé Fléché, du Diocèse de Langres [127].

Dès son arrivée à Port-Royal, M. Fléché commença à exercer ses fonctions de missionnaire parmi les sauvages. Dans les années précédentes, un grand Chef, du nom de Membertou, ses enfants et ses proches parents avaient été instruits des vérités chrétiennes par les Français. Quelques mois après son arrivée en Acadie, M. Fléché baptisa ce Chef avec vingt autres sauvages. Cette cérémonie eut lieu le 24 Juin 1610[128]. Plusieurs autres sauvages furent baptisés la même année. Alors, Poutrincourt envoya au roi une liste de vingt-cinq sauvages, qu’on avait ainsi baptisés à la hâte[129].

Il est reconnu que le missionnaire alla trop vite, et qu’il n’éprouva pas assez ces sauvages avant de leur conférer le baptême ; car ils continuèrent ensuite à vivre dans la polygamie, comme auparavant, malgré les défenses qu’on leur fit à ce sujet.

Cette trop grande précipitation fut aussi, plus tard, une cause de difficultés entre Poutrincourt et les P. P. Jésuites, qui agirent bien différemment.

Le Chef Membertou jouissait d’une haute réputation et d’une grande influence parmi les sauvages. Il était très-avancé en âge, mais il avait tellement conservé ses forces qu’on ne lui aurait pas donné plus de cinquante ans. « C’était un homme, » dit Lescarbot, « qui avait de la dignité, d’une haute taille et portant grande barbe. » Il était fort intelligent et comprenait facilement les vérités chrétiennes[130].


CHAPITRE SEPTIÈME.

les abénakis et les p. p. jésuites.

1611-1613.


En 1611, Poutrincourt fut forcé, par Marie de Médicis, d’admettre des Jésuites en Acadie. Ses associés, qui étaient huguenots, ne voulant pas y consentir, se retirèrent de la société. Ils furent remplacés par la Marquise de Guercheville, qui prit la mission de l’Acadie sous sa protection. La Marquise reçut de Marie de Médicis des secours assez considérables pour l’établissement de cette mission. Elle acheta de M. de Monts ses droits sur l’Acadie, et bientôt après, elle força de Biencourt, fils de Poutrincourt, de conclure avec elle un marché fort avantageux pour les missionnaires[131].

Quelques uns ont prétendu que la Marquise de Guercheville avait trop suivi, en cette occasion, les mouvements de sa générosité, et que les avantages accordés aux missionnaires n’étaient propres qu’à arrêter les progrès de la colonie. M. de Champlain, qui connaissait mieux que tout autre les affaires de l’Acadie, n’est pas de même avis. Il justifie la Marquise au sujet de ce traité, et ajoute : « C’est ce contrat d’association qui a fait tant semer de bruits, de plaintes et de crieries contre les P. P. Jésuites, qui en cela et en toutes autres choses se sont équitablement gouvernés selon Dieu et la raison, à la honte et confusion de leurs envieux et médisans »[132].

Les P. P. Pierre Biard et Enemond Masse furent choisis pour cette mission. Ils partirent de France, le 26 Janvier 1611, et arrivèrent à Port-Royal, le 22 Mai. Le principal but de leur voyage était la conversion des sauvages.

Bancroft dit que « l’arrivée des Jésuites en Acadie fut signalée par un grand nombre de conversions parmi les sauvages »[133]. Ces sauvages étaient préparés à recevoir l’instruction religieuse et ils la désiraient ardemment. Aussi, ils reçurent les Pères avec la plus grande joie, et les écoutèrent attentivement. Dès la première année, beaucoup d’entr’eux embrassèrent la vérité, et plusieurs furent baptisés, lorsque les Pères les jugeaient en danger de mort[134]. De toutes les parties de l’Acadie, les sauvages se rendaient auprès des missionnaires pour se faire instruire. Le P. Biard alla, avec de Biencourt, à la rivière Sainte-Croix, pour y visiter les sauvages. Il n’y séjourna que peu de temps. À son retour à Port-Royal, il trouva, dans sa propre demeure, le Chef Membertou, qui était dangereusement malade. Le P. Masse avait installé le malade chez lui, afin de pouvoir le soigner plus facilement. Ce Chef mourut dans d’excellentes dispositions, quelques jours après l’arrivée du P. Biard[135].

Au mois d’Octobre de la même année, le P. Biard partit pour la rivière Saint-Jean, avec de Biencourt, onze Français et deux Etchmins, qui devaient lui servir de guides et d’interprètes. Il s’arrêta sur une petite île, située à l’embouchure de la rivière Saint-Jean, et y dit la messe. Il visita un peu les Abénakis de cet endroit, puis il se dirigea vers la rivière Kénébec[136], où il arriva à la fin d’Octobre. Il remonta cette rivière environ neuf milles, puis il retourna sur ses pas, et alla camper sur un ilôt, situé à l’embouchure de la rivière, où il dit la messe.

À l’arrivée des Français, les sauvages de Kénébec se réunirent en grand nombre, pour aller à leur rencontre. Les Français, pensant d’abord que les sauvages avaient quelque dessein hostile, furent sur le point de faire feu sur eux ; mais les Chefs, s’appercevant de ce malentendu, leur firent aussitôt comprendre qu’ils ne venaient que pour leur faire une bienveillante réception et les traiter comme des amis, qu’ils avaient entendu parler de leur bonté à l’égard des sauvages, et que pour cela ils les aimaient déjà[137].

Les sauvages racontèrent au missionnaire qu’en 1608 et 1609, ils avaient chassé les Anglais, qui avaient tenté de s’établir parmi eux, parcequ’ils en avaient reçu de mauvais traitements. Ils lui dirent que ces étrangers leur fermaient leurs portes, les chassaient de leurs maisons à coups de bâtons, et les faisaient mordre par leurs chiens[138].

Le P. Biard reconnut bien vite que ces sauvages n’étaient pas méchants, et qu’ils montraient de bonnes dispositions à embrasser la religion chrétienne. Il alla les visiter plusieurs fois, leur donna quelques instructions, qu’il leur fit interpréter par l’un de ses guides, et leur distribua des images et autres objets de dévotion[139].

Les sauvages écoutèrent le missionnaire avec la plus grande attention, et reçurent ces objets de dévotion avec les plus grandes marques de joie. Ils répétaient à leurs enfants ce qu’ils avaient entendu, et leur faisaient faire le signe de la croix[140].

Le P. Biard ne demeura à Kénébec que jusqu’au 5 Novembre. Il avait d’abord eu l’intention de se rendre chez les Armouchiquois ; mais comme la saison était déjà avancée, il fut forcé de retourner sur ses pas et de se diriger vers Port-Royal.

Il arrêta, en passant, à la rivière Pentagoët, où il trouva environ 300 sauvages qui l’attendaient. Son passage chez les Abénakis de Pentagoët fut marqué par une guérison miraculeuse, que nous allons rapporter.

Il y avait alors plusieurs malades, parmi ces sauvages. Le Père alla les visiter. Il en trouva un qui lui parut sur le point d’expirer. Ce malade ne parlait plus, et les sauvages attendaient son dernier soupir d’un instant à l’autre. Il le baptisa et le résigna à la mort. Il pria sur lui, puis lui suspendit au cou une petite croix, en lui faisant comprendre le secours qu’il pourrait recevoir de Dieu, par le moyen de cette croix. Le lendemain, il fut fort étonné de voir arriver à sa barque ce pauvre sauvage complètement guéri, tandis qu’il le croyait mort. Ce bon sauvage portait sa petite croix sur sa poitrine, avec une joie indicible[141].

Les Français furent reçus partout si cordialement par les Abénakis qu’ils s’aperçurent dès lors qu’ils auraient dans cette nation une barrière contre des voisins trop entreprenants, qui voudraient envahir leur colonie[142].

Quelques mois après le retour du P. Biard à Port-Royal, le P. Masse partit pour aller visiter et instruire les sauvages de la rivière Saint-Jean. Il était accompagné de Louis Membertou, fils du Chef mort à Port-Royal l’été précédent[143].

Des maladies et une affreuse disette règnaient alors parmi les sauvages de cet endroit. Le Père y souffrit tellement, par les jeûnes prolongés et par toutes sortes de misères, qu’il tomba bientôt dangereusement malade. Alors, Membertou, fort inquiété du danger où se trouvait le missionnaire, alla le voir, et lui dit : « Écoute, Père, tu vas mourir, je le devine. Écris donc à Biencourt et à ton frère que tu es mort de maladie, et que nous ne t’avons pas tué. — Je ne le ferai pas, » reprit le missionnaire en riant, « car tu me tuerais peut-être lorsque tu aurais cette lettre en ta possession. — Eh bien, dit le sauvage, prie donc Jésus qu’il t’accorde ta guérison, afin qu’on ne nous accuse pas de t’avoir fait mourir » [144].

Le Père recouvra la santé, et retourna à Port-Royal, après avoir passé plusieurs mois à la rivière Saint-Jean.

Tandis que les P. P. Jésuites travaillaient activement à la conversion des sauvages, de graves dissensions éclatèrent entre Poutrincourt et la Marquise de Guercheville. Poutrincourt, aveuglé par ses préjugés contre les Jésuites, porta de fausses accusations contr’eux, surtout contre le Frère Gilbert du Thet, qui était venu en Acadie et était retourné de suite en France. Le Frère Jésuite se défendit et se justifia complètement, et Poutrincourt fut convaincu d’imposture. Alors, la Marquise de Guercheville, irritée de l’injuste conduite de son associé, se retira de la société, et songea à former un nouvel établissement en Acadie[145].

Voici quelle était la principale cause du mécontentement de Poutrincourt contre les Jésuites. Il aurait voulu porter en France une longue liste de sauvages baptisés, et il s’était imaginé que les Jésuites s’empresseraient de baptiser tous ceux qui se présenteraient. Mais ces religieux avaient vis-à-vis des sauvages des idées bien différentes de celles de M. Fléché. Ils savaient qu’on ne devait pas trop se fier à leurs promesses ; et la mauvaise conduite de ceux qui avait été baptisés trop vite les confirmait dans leur opinion. Ils crurent donc qu’il était prudent de les éprouver beaucoup avant de les admettre au baptême. Poutrincourt, fort désappointé, conçut de la mauvaise humeur de ce retard. Lescarbot lui-même parait croire que les Pères auraient dû être plus tolérants. « Les sauvages », dit-il, « ayant par la liberté naturelle l’usage de la polygamie, c’est-à-dire, de plusieurs femmes, ainsi qu’aux premiers siècles de la naissance et renaissance du monde, ils les ont d’abord voulu réduire à la monogamie, chose qui ne se pouvait faire sans beaucoup de scandale à ces peuples, ainsi qu’il est arrivé. Fallait que cela fût venu de gré à gré, ou autrement laisser les choses en l’état qu’elles se trouvaient, par une tolérance telle que Dieu l’avait eue envers les anciens frères, auxquels la polygamie n’est en nul lieu blâmée ni tournée à vice »[146].

Les P. P. Jésuites étaient trop éclairés et trop attachés à leur devoir pour se laisser influencer par ce faux raisonnement, et autres semblables, que leur faisait Poutrincourt. Ils reconnurent de suite que ces raisonnements n’étaient pas catholiques ; et, comme il n’est pas permis de transiger avec l’erreur, ils persévérérent dans leur manière d’agir à l’égard des sauvages, sans s’occuper du mécontentement de Poutrincourt.

La Marquise de Guercheville fut approuvée dans son projet de former en Acadie un nouvel établissement pour la conversion des sauvages. En 1613, aidée de Marie de Médicis, elle équipa un vaisseau, qui fut mis sous le commandement de la Saussaye. Alors, le P. Claude Quentin et le Frère Gilbert du Thet furent choisis pour être envoyés en Acadie.

La Saussaye partit de Honfleurle 21 Mars, et arriva à la Hève le 16 Mai[147]. Le P. Quentin y célébra la messe et y éleva une croix, sur laquelle il apposa les armoiries de la Marquise de Guercheville. De là, on se rendit à Port-Royal.

La Saussaye avait ordre de prendre avec lui les Jésuites, qui y résidaient, et de se rendre à la rivière Pentagoët, où l’on devait faire le nouvel établissement. Après avoir été retenu cinq jours à Port-Royal par les vents contraires, il fit voile vers cette rivière ; mais, une forte brume l’ayant empêché de s’y rendre, il alla jeter l’ancre à une île, que les Abénakis appelaient « Pemhajik »[148].

Dès que les sauvages aperçurent le vaisseau français, ils firent une grande fumée, pour signifier que les étrangers étaient les bien-venus, et qu’ils pouvaient aller à eux, s’ils avaient besoin de leurs services[149]. Aussitôt qu’ils eurent appris que les P. P. Jésuites étaient dans ce vaisseau, ils allèrent les supplier d’aller s’établir chez eux. Ils avaient déjà vu le P. Biard, lors de son voyage à la rivière Kénébec, et ils le considéraient comme un envoyé du ciel. Aussi, manifestèrent-ils la plus grande joie en le revoyant. « Il faut que tu restes avec nous, » lui dirent-ils ; « de plus, il faut que tu viennes de suite voir notre Chef Asticou »[150], « qui est bien malade. Si tu ne viens pas, il mourra sans baptême, et n’ira pas au ciel. Tu en seras la cause car pour lui, il voudrait bien être baptisé »[151]. Le Père alla visiter ce Chef, qui était à une distance d’environ neuf milles, et examina en même temps le terrain où on l’invitait à s’établir. Revenant de visiter le malade, il entendit de loin des cris et des lamentations, et fut bientôt informé, par un jeune sauvage qu’il rencontra, que ces cris étaient l’expression de la douleur des sauvages à la vue d’un enfant, qui était sur le point de mourir[152]. « Coursvite, » dit le jeune homme, « afin de baptiser cet enfant, car dans quelques instants il sera mort[153]. Le missionnaire se rendit auprès des sauvages, qu’il trouva réunis en grand nombre. L’enfant, à demi mort, était entre les bras de son père, qui poussait des cris affreux chaque fois que son petit malade faisait entendre une plainte, et les Sauvages faisaient chorus aux cris de douleur de ce père affligé. Touché de compassion à la vue d’une scène à la fois si horrible et si déchirante, le missionnaire fit apporter l’enfant et le baptisa. Les convulsions cessèrent aussitôt, et le malade fut parfaitement guéri. Le Père profita de cette circonstance pour adresser quelques paroles aux sauvages, puis il leur ordonna de se retirer dans leurs wiguams[154].

Les P. P. Jésuites ayant trouvé cet endroit propre à leur établissement et croyant que Dieu les y appelait, cédèrent aux pressantes invitations des sauvages et y débarquèrent. Le premier ouvrage qu’ils y firent fut l’érection d’une croix. La Saussaye commença de suite son établissement, qu’il appela Saint-Sauveur.

Les Abénakis, qui avaient une grande vénération pour les P. P. Jésuites, surtout pour le P. Biard[155], parurent alors au comble de la joie. Ils venaient de toutes parts auprès des Pères et demandaient à être instruits dans la religion des Français. Chaque jour, ils se réunissaient, soir et matin, au pied de la croix pour prier[156]. Bancroft dit à cette occasion « que la France et la religion de Rome avaient envahi le sol du Maine »[157].

Le principal but de cet établissement étant la conversion des sauvages, il est facile de comprendre que tout alla bien d’abord. Les succès dépassaient même les espérances, lorsqu’un malheur inattendu vint ruiner l’établissement.

Les Anglais prétendirent qu’ils avaient des droits sur le territoire de Saint-Sauveur, et les Français soutinrent le contraire. Alors, le capitaine Argall, de la Virginie, voulant trancher la question, résolut, de lui-même, d’aller détruire l’établissement français. Il se dirigea donc dans ce but vers les Monts-Déserts, avec un vaisseau de quatorze canons ; mais, ayant été dérangé dans sa route par une forte brume, il ne put s’y rendre directement. Quelques Abénakis, ayant rencontré ce vaisseau en mer, se dirigèrent vers lui, croyant qu’il portait des Français. Argall s’informa d’eux si les Français étaient en grand nombre à Saint-Sauveur, et si leur vaisseau était bien grand. La réponse des sauvages parut lui causer beaucoup de joie. Alors, l’un d’eux consentit à le conduire chez les Français, croyant toujours qu’il était un ami des P. P. Jésuites. Cet Abénakis ne s’aperçut qu’il avait été trompé que lorsqu’Argall se prépara à attaquer Saint-Sauveur. Alors, il abandonna les Anglais, pleurant amèrement sa faute involontaire et maudissant ceux qui l’avaient ainsi trompé. Les sauvages, croyant qu’il avait agi par malice, s’irritèrent contre lui et voulurent venger le malheur des Français par sa mort ; mais il fut sauvé par la protection des missionnaires[158].

Argall arriva tout-à-coup devant Saint-Sauveur. Les habitants, qui n’étaient pas préparés à la défense, furent épouvantés à la vue de ce vaisseau, qu’ils prirent pour un corsaire.

Le Frère Gilbert du Thet, voulant se mettre en défense, fut tué par un coup de mousquet. Il mourut comme il le désirait ; car, en partant de France pour l’Acadie, il avait demandé à Dieu, comme une grâce spéciale, de mourir en travaillant à la conquête des âmes et au salut des sauvages. Il fut inhumé au pied de la croix, plantée par les P. P. Jésuites quelques mois auparavant[159].

Les Anglais pillèrent et détruisirent complètement l’établissement français. Après cet acte de piraterie, Argall proposa aux Français de le suivre à Jamestown, leur promettant qu’ils y seraient bien traités, et que, plus tard, ils seraient rendus à leur pays. Les P. P. Biard et Quentin et douze hommes se décidèrent à aller en Virginie. Les autres Français, ainsi que le P. Masse et la Saussaye, purent repasser en France.

Les P. P. Biard et Quentin, ainsi que les autres prisonniers, furent traités à Jamestown comme des pirates. Ils furent condamnés à mort, et jetés en prison[160]. Argall eut beau représenter au Gouverneur qu’il leur avait donné sa parole qu’ils seraient bien traités, qu’ils demeureraient libres, et qu’ils ne s’étaient rendus à lui qu’à cette condition, celui-ci lui répondit que, puisque la Saussaye n’était pas muni d’une commission, il ne pouvait se dispenser de regarder ces gens comme des pirates. Alors, Argall, pour sauver la vie des prisonniers, se vit dans l’obligation d’avouer la supercherie qu’il avait commise. Il déclara qu’il s’était emparé des papiers de la Saussaye, parmi lesquels était une commission du roi de France, qui l’autorisait à faire un nouvel établissement à la rivière Pentagoët. Ainsi, il racheta la vie des prisonniers français au prix de la confusion que lui causa un tel aveu [161].

Cependant, les Anglais ne s’en tinrent pas à ce premier exploit, et résolurent de détruire Port-Royal. Trois vaisseaux furent mis sous le commandement d’Argall, qui partit de suite pour cette expédition, emmenant les deux Jésuites et les prisonniers français[162]. Il se rendit d’abord à Saint-Sauveur, y abattit la croix plantée par les P. P. Jésuites, et en érigea une autre, sur laquelle il grava le nom du roi d’Angleterre[163]. De là, il se dirigea vers la rivière Sainte-Croix, pour aller détruire ce qui restait de l’ancien établissement de M. de Monts. Comme il ne connaissait pas cette route, il voulut se faire conduire par le P. Biard ; mais celui-ci s’y refusa, ce qui lui causa des mauvais traitements. On le menaça même de la mort[164]. Cependant, Argall, après beaucoup de détours et se guidant sur des cartes qu’il avait trouvées parmi les papiers de la Saussaye, put se rendre à l’ancien établissement de M. de Monts, et détruisit ce qui en restait[165].

Il ignorait aussi la route de Port-Royal ; alors, il s’adressa aux sauvages pour s’y faire conduire ; ceux-ci s’y refusèrent d’abord, mais, à force de promesses et de menaces, il parvint à engager l’un d’eux à y consentir.

Les habitants de Port-Royal étaient alors absents. Argall s’empara du fort sans combat, le pilla et le réduisit en cendres[166].

Poutrincourt, complètement ruiné par cette dernière perte, se retira en France pour ne plus revenir en Acadie, et les malheureux habitants de Port-Royal se réfugièrent parmi les sauvages[167].

Après cette expédition, le vaisseau qui portait les P. P. Jésuites ne put se rendre à la Virginie ; une furieuse tempête l’ayant poussé loin dans l’Océan, il passa en Angleterre. Bientôt, sur la demande de l’ambassadeur de France, M. de Biseau, les P. P. Jésuites furent mis en liberté, et retournèrent en France[168].

Bientôt, la nouvelle des malheurs des Français se répandit parmi les sauvages. Ces actes de piraterie, commis en pleine paix, augmentèrent leur haine contre les Anglais. Le malheur de leurs amis les affligea profondément, et le départ des P. P. Jésuites leur parut comme une grande calamité pour eux.

C’est ainsi que fut ruinée la première mission établie chez les Abénakis.


CHAPITRE HUITIÈME.

les abénakis — les anglais et les français.

1613-1647.


Après la destruction de Port-Royal, en 1613, les Anglais n’occupèrent pas l’Acadie. Ils se retirèrent, car ils comprirent qu’il n’était pas prudent d’y faire alors de nouveaux établissements, à cause de la haine des sauvages contr’eux.

En 1621, le Chevalier Guillaume Alexander obtint du roi d’Angleterre l’Acadie en concession, pour y établir des Écossais. Cette concession comprenait tout le territoire situé à l’Est de la rivière Sainte-Croix. Ce territoire reçut le nom de « Nouvelle-Écosse  » .

En 1622, Alexander fit partir d’Angleterre des émigrants, pour coloniser cette contrée. Ces émigrants passèrent l’hiver à Terreneuve. Au printemps, ils se remirent en route vers l’Acadie ; mais, y ayant trouvé des Français, ils n’osèrent s’y établir, et retournèrent en Angleterre.

Quelques années plus tard, en 1628, les Anglais, à la suite d’une défaite en Europe, résolurent, pour se venger, d’attaquer Québec. Alors, Alexander profita de ce moment favorable pour essayer de chasser les Français de l’Acadie. Dans ce but, il demanda l’aide du Chevalier David Kerth, qui devait être envoyé avec dix-huit vaisseaux contre les colonies de la Nouvelle-France. Kerth accéda à cette demande. Tandis qu’il faisait voile vers Québec, il envoya son lieutenant, le capitaine Stuart, attaquer le Cap-Breton. Stuart s’empara de ce pays, sans éprouver de résistance, et y bâtit un fort.

Cependant, le capitaine Daniel résolut de s’emparer du fort Stuart, et de remettre le Cap-Breton sous la domination française. Il réussit à cette entreprise, et détruisit le fort anglais. Stuart et la plupart de ses hommes furent faits prisonniers. Daniel construisit un autre fort, et y laissa une garnison de trente-huit hommes, avec deux P. P. Jésuites, les P. P. Vincent et Vieuxpont.

L’année précédente, 1627, le jeune la Tour, ayant obtenu de Louis XIII le commandement de l’Acadie, était allé s’établir au Cap-de-Sable[169].

Son père, Claude la Tour, ayant été fait prisonnier par les Anglais, fut conduit en Angleterre, où il fut fort bien traité, ce qui l’engagea à passer honteusement au service des Anglais. Il épousa une dame d’honneur de la reine, et fut nommé baronet de la Nouvelle-Écosse. Ayant obtenu une concession de terres sur la rivière Saint-Jean, il prit des arrangements avec Alexander pour y établir une colonie écossaise. Il s’engagea aussi à faire tout son possible pour obtenir la soumission de son fils, commandant au Cap-de-Sable. On lui donna deux vaisseaux, et il partit pour l’Acadie, tandis que Kerth allait attaquer Québec.

Le jeune la Tour ne se laissa fléchir, ni par les menaces, ni par les flatteuses promesses de son père. Il lui fit cette noble réponse : « Le roi, mon maître, m’a confié cette place, je la défendrai jusqu’à mon dernier soupir. »

Claude la Tour fut vaincu par son fils[170]. N’osant alors reparaître, ni en France, ni en Angleterre, il demeura quelques années en Acadie, dans une maison que son fils lui fit bâtir[171].

À cette époque, quinze années s’étaient écoulées depuis le départ des P. P. Jésuites de Saint-Sauveur. Pendant cette période, les Abénakis n’avaient pas vu un seul prêtre. Ils étaient donc demeurés sans secours religieux. Ils ne pouvaient en attendre de Québec, car alors il n’y avait aucune communication entre le Canada et l’Acadie. Les nouvelles ne se communiquaient entre ces deux pays qu’en passant par la France[172].

Aussi, la plupart de ces sauvages avaient presque complètement oublié les instructions des Pères, et étaient retombés dans leurs anciennes superstitions. Quelques-uns d’eux cependant avaient retenu quelque chose de ces instructions, et continuaient à prier. Ces bonnes gens apprirent bientôt la nouvelle de l’établissement des P. P. Jésuites au Cap-Breton. Ils en furent remplis de joie, car ils espéraient que l’un de ces missionnaires viendrait les visiter. Ces bons sauvages, profondément affligés d’être privés de tout secours religieux depuis quinze ans, furent consolés et encouragés par cette espérance.

Depuis la destruction de Saint-Sauveur, les Abénakis n’avaient pas cessé de sympathiser avec les Français, restés en Acadie. Ils les recevaient avec joie dans leurs bourgades, les adoptaient pour frères, et vivaient avec eux comme tels. Ils prenaient toujours part aux peines et aux luttes de leurs nouveaux frères, et voyaient d’un mauvais œil les efforts continuels des Anglais pour les chasser de l’Acadie.

Du côté du Maine, la colonisation anglaise n’avait pas encore progressé.

Après l’abandon du fort George, en 1608, et l’expulsion d’Hudson de la rivière Pentagoët, en 1609, les Anglais hésitèrent longtemps, à commencer de nouveaux établissements dans ce pays. Ils prétextaient l’aridité du sol ; mais, il est bien constaté que la crainte seule, que leur inspiraient les Abénakis, les éloignaient de cette contrée.

En 1627, quelques aventuriers hivernèrent à l’embouchure de la rivière Saco. Plus tard, quelques autres hivernèrent sur l’île Monhigin. Mais ce ne fut que vers 1626 que les Anglais firent leur premier établissement permanent dans le Maine. Ce fut le fort Pemaquid, qui fut placé à l’Est de la rivière Kénébec. Comme cet établissement ne fut fait que dans un but de commerce avec les sauvages, l’agriculture n’y fit aucun progrès.

Vers le même temps, quelques aventuriers allèrent s’établir à la Baie de Casco[173]. En 1630, d’autres émigrants y allèrent aussi dans ce but ; mais, ne pouvant y réussir, ils se retirèrent l’année suivante au Massachusetts. Il est probable que cette retraite fut causée par quelques difficultés, survenues entre les sauvages et ces colons.

En 1636, le territoire compris entre Pemaquid et la colonie du New-Hampshire renfermait. 150 habitants anglais. Cette contrée était alors connue sous le nom de « Province de Sagadahock » qui fut unie au Massachusetts.

À cette époque, William George fut envoyé pour gouverner cette province, et il n’y resta qu’un peu plus d’une année. Six Puritains du Massachusetts et du Connecticut furent alors nommés pour le remplacer ; mais, ils n’acceptèrent pas cette charge. Cette province demeura alors dans l’anarchie jusqu’en 1640, où le vieux Ferdinand George en prit le gouvernement. Il y établit plusieurs villages, dont l’un fut nommé « Georgeana ». Ce fut dans ce village qu’il mourut en 1647.

Après la mort de George, la province de Sagadahock demeura longtemps dans le même état, et l’on n’y vit aucun progrès. Les Anglais, toujours repoussés par les Français et gênés par les Abénakis, n’y firent que peu d’établissements pendant le reste du dix-septième siècle. Le Baron de Saint-Castin, à lui seul, y retarda la colonisation anglaise, pendant plus de trente ans[174].

En Acadie, les Français étaient redevenus les maîtres de tout le pays en 1632. Par le traité de Saint-Germain-en-Laye, ils s’étaient fait rendre la partie de ce pays, dont les Anglais s’étaient emparés. Alors l’Acadie fut divisée en trois provinces, qui furent séparées entre Razilli, la Tour et M. Denis. Razilli fut nommé Gouverneur-en-chef de ces provinces. Il avait une grande influence auprès des Abénakis et des Micmacs, et en était très-estimé[175]. L’acte le plus remarquable de son administration fut la prise de Pemaquid et l’expulsion des Anglais de ce fort. Il mourut en 1647.

Pendant que ces évènements se passaient en Acadie, quelques tribus abénakises furent visitées par les P. P. Jésuites, qui demeurèrent en ce pays de 1629-1659[176]. Nous sommes porté à croire que quelques uns de ces missionnaires pénétrèrent jusqu’à la rivière Pentagoët, vers 1635, car, dans leurs relations de cette époque, il est fait mention des Etchemins et des Pentagoëts[177].

Ces sauvages furent aussi évangélisés par des P. P. Capucins, qui s’établirent en Acadie vers 1640. Quelques uns de ces religieux allèrent établir un petit hospice à la rivière Pentagoët[178], où ils résidèrent une dizaine d’années.

Mais la tribu des Canibas, la plus considérable de toutes celles des Abénakis, ne fut visitée, ni par les P. P. Jésuites, ni par les P. P. Capucins. Elle demeura complètement abandonnée, et ne vit aucun prêtre depuis 1611. Aussi, ces sauvages, plongés dans les ténèbres de l’ignorance et de la barbarie, avaient contracté l’habitude de toutes sortes de vices. Comme les Anglais, pour favoriser leur commerce avec eux, leur fournissaient des boissons enivrantes, autant qu’ils en désiraient, ils étaient tous très-adonnés à l’ivrognerie.

Mais ces sauvages, malgré leurs vices, avaient de bons cœurs. C’est pourquoi, Dieu jeta sur eux des yeux de miséricorde, et voulut les retirer de l’abîme où ils étaient plongés, en leur envoyant des missionnaires. Dans les chapitres suivants nous nous occuperons spécialement d’eux. Nous ferons connaître le soin qu’en prit la Providence, et la docilité avec laquelle ils obéirent à la voix de Dieu.

CHAPITRE NEUVIÈME.

les abénakis de kénébec
et les
algonquins du canada.

1640-1644.


Un Algonquin polygame, du nom de Makheabichtichiou, se retira, en 1640, sur la rivière Kénébec, pour se soustraire aux réprimandes qu’il avait méritées, en refusant opiniâtrement d’obéir à son missionnaire. Dans le cours de l’hiver suivant, il fut tué par un Abénakis, qui était ivre. Ses deux femmes revinrent en Canada, et, dans ce voyage, l’un de ses fils mourut misérablement, sans recevoir le baptême[179].

Dans le cours de l’été suivant, deux Abénakis vinrent à Québec, pour annoncer la mort de cet Algonquin. Ils déclarèrent que ce meurtre avait été causé par l’ivrognerie ; que leur nation avait fort désapprouvé ce crime, et qu’ils étaient députés auprès de la nation algonquine, pour offrir satisfaction aux parents du défunt.

Comme ces parents résidaient aux Trois-Rivières, ces Abénakis s’y rendirent, accompagnés de quelques Algonquins, parmi lesquels étaient deux Chefs de Sillery, Jean Baptiste Etinechka8at et Noël Negabamat.

Les Algonquins des Trois-Rivières voulurent d’abord tuer les Abénakis. Mais lorsqu’ils comprirent que le meurtre avait été causé par l’ivrognerie, qu’il n’était que le fait d’un seul sauvage, et qu’il avait été désapprouvé par la nation abénakise, ils consentirent à un arrangement ; et un traité de paix fut alors conclu entr’eux et les Abénakis[180].

Depuis ce traité, les Abénakis ont toujours été les alliés inséparables des Algonquins. Avant leur émigration en Canada, ils envoyèrent chaque année quelques députés à Québec, pour renouveler cette alliance ; et depuis leur émigration, on les vit toujours unis aux Algonquins, pour combattre avec eux soit les Iroquois soit les Anglais.

Il est probable que, longtemps avant ce traité, les Abénakis avaient eu des relations amicales avec les Algonquins du Canada. Il parait même que quelques familles algonquines s’étaient autrefois retirées dans leur pays. Nous lisons dans les relations des Jésuites qu’en 1642, lorsque les Français célébrèrent à Montréal, pour la première fois, la fête de l’Assomption, quelques Algonquins assistèrent à cette solennité. Après la fête, plusieurs Français se rendirent sur le sommet de la montagne, accompagnés des sauvages. Alors l’un de ceux-ci, indiquant de la main les collines, situées vers le Sud et l’Est de la montagne, dit aux Français : « Voilà où il y avait des bourgades très peuplées. Les Hurons, qui pour lors étaient nos ennemis, ont chassé nos ancêtres de cette contrée. Les uns se retirèrent vers le pays des Abénakis, d’autres allèrent trouver les Iroquois, et une partie se rendit aux Hurons mêmes et s’unit à eux. Voilà comme cette terre est restée déserte » [181].

Cette tradition était déjà ancienne en 1642, et était confirmée par des vieillards, dont les parents avaient vécu en ce lieu.

Nous avons vu qu’en 1613 le P. Biard rencontra chez les Abénakis de Saint-Sauveur un sauvage, qui se nommait et « Asticou »[182]. Or, ce mot « Asticou » vient de la langue algonquine. Il est donc probable que ce sauvage était algonquin, et qu’il était l’un de ceux qui s’étaient retirés dans le pays des Abénakis, ou l’un de leurs descendants.

À l’automne de 1643, un Algonquin de Sillery, du nom de Charles Meïachka8at, excellent chrétien, se rendit chez les Abénakis de Kénébec, dans le but de leur parler de Dieu et de la foi chrétienne. Il était accompagné d’un jeune Abénakis, récemment converti, et qui s’était réfugié en Canada. Ce jeune sauvage lui servit d’interprète à Kénébec [183].

Meïachka8at passa l’hiver chez les Abénakis. À cette époque, ces sauvages n’avaient pas vu un seul prêtre depuis trente ans ; ils n’étaient en relations qu’avec les Anglais, qui employaient toutes sortes de moyens pour les détourner du catholicisme et les entraîner dans l’erreur. Cependant, comme ils avaient des dispositions à embrasser le christianisme et comme ils haïssaient les Anglais, ils écoutèrent attentivement les discours du bon Charles, et en furent vivement impressionnés. Plusieurs manifestèrent même le désir d’être instruits, et de recevoir le baptême.

Dans le cours de l’hiver, Meïachka8at alla visiter les Anglais ; ceux-ci voulurent se moquer de sa foi, ainsi que des objets de dévotion qu’il se faisait un honneur de porter sur lui ; mais il se montra si ferme qu’il mit ces hérétiques dans la confusion. « Tu méprises le fils de Dieu et sa Mère, » dit-il à l’un d’eux, en présence de quelques Abénakis qui l’avaient accompagné, « c’est le diable qui te fait parler et qui met ces paroles dans ta bouche. Tu brûleras dans l’enfer, puisque tu méprises ce que Dieu a fait et ordonné »[184]. Depuis ce temps, les Anglais le laissèrent en paix.

Au printemps, 1644, l’un des Chefs abénakis et quelques uns de sa tribu l’accompagnèrent en Canada, afin de se faire instruire. Ce Chef était l’un de ceux qui étaient venus à Québec, en 1641, pour conclure le traité de paix avec les Algonquins. L’orateur Algonquin, annonçant cette paix, lui avait dit : « Si tu veux lier nos deux nations par une parfaite amitié, il faut que nous professions la même foi. Fais-toi baptiser et que tes gens fassent la même chose. Ce lien sera plus fort que tous les présents. Nous prions Dieu et nous ne connaissons pas d’autres amis ou frères que ceux qui prient comme nous. Comment aimerons-nous ceux que Dieu hait ? Or, Dieu hait ceux qui ne prient pas. Si tu veux donc nous avoir pour frères et pour amis, apprends à prier comme l’on nous a enseigné »[185]. Le Chef Abénakis, fortement impressionné par cette harangue, avait promis de revenir à Québec pour se faire baptiser. Ce fut pour accomplir cette promesse qu’il accompagna Meïachka8at.

Quelque temps après son arrivée à Québec, les Abénakis qui l’avaient suivi ayant commis quelques insolences, furent chassés dans leur pays[186]; cependant, sur sa demande, trois d’entr’eux eurent la permission de rester à Québec.

Ce Chef fut logé à Sillery, où on le mit sous les soins du P. de Quen. Ce bon sauvage désirait ardemment le baptême. Il ne manquait jamais de demander une instruction chaque jour, assistait régulièrement aux prières qui se faisaient en commun, soir et matin, et entrait souvent dans l’église, dans le cours de la journée, pour visiter le Saint-Sacrement et demander à Dieu la grâce d’être bientôt baptisé. Le P. de Quen l’éprouva plusieurs fois, lui faisant des reproches, et lui disant même des choses rebutantes. Ainsi, il lui disait quelquefois « qu’il n’avait pas le temps de s’occuper de lui, qu’il devait plutôt penser aux autrès sauvages, qui étaient mieux disposés que lui, qu’il était un étranger, qu’on ne se fiait pas à sa parole et qu’on avait des raisons de penser qu’il voulait tromper les Pères. » À quoi l’Abénakis répondait, avec la plus grande humilité : « Qu’il s’agissait du salut de son âme, qu’il était plus pressé et plus en danger que les autres sauvages, qu’il savait déjà les prières et le catéchisme, que Meïachka8at lui avait enseigné tout cela pendant l’hiver qu’il avait passé avec lui, qu’à la vérité il était étranger, mais que le Ciel était fait pour ceux de sa nation comme pour les autres, qu’il avait laissé son pays et renoncé à sa charge de Chef pour venir se faire instruire des vérités chrétiennes, qu’il voulait toujours demeurer avec les chrétiens de Sillery, afin de conserver sa foi et continuer son instruction, qu’il ferait un voyage en son pays pour y régler ses affaires et qu’il reviendrait à Québec »[187].

Enfin, après une longue épreuve, le P. de Quen, voyant son courage et sa persévérance, lui conféra le baptême. M. de Montmagny fut son parrain, et lui donna le nom de « Jean Baptiste »[188].

Après son baptême, ce bon sauvage alla remercier le P. de Quen de toutes ses bontés à son égard, et lui assura, en même temps, qu’il n’avait jamais ressenti une joie pareille à celle de ce jour. « Non », dit-il, « je ne serais pas si joyeux quand même on m’aurait retiré des mains des Iroquois » [189].

Les Iroquois haïssaient les Abénakis, parcequ’ils étaient les alliés et les amis des Français. Ils les attaquaient partout où ils les rencontraient, et massacraient impitoyablement tous ceux qu’ils faisaient prisonniers. Aussi, à cette époque, les Abénakis ne craignaient rien tant que ces cruels ennemis.

Quelque temps après, le nouveau chrétien partit pour son pays. Il était bien décidé de revenir en Canada pour résider à Sillery, comme il l’avait, promis. Mais il eut le malheur de tomber entre les mains des Iroquois, et fut probablement mis à mort par ces cruels sauvages[190], car il ne reparut, ni à Kénébec, ni en Canada.

Plusieurs jours après son départ de Québec, quelques Abénakis y arrivèrent par la route qu’il avait suivie, et annoncèrent à Sillery qu’ils ne l’avaient pas rencontré, mais qu’ils avaient trouvé sur leur route un canot d’Iroquois, qu’ils pensaient que le Chef et ses compagnons étaient tombés entre les mains de ces sauvages, qui les avaient probablement massacrés et s’étaient emparés ensuite de leur canot[191].

CHAPITRE DIXIÈME.

premier voyage du p. gabriel druillettes
chez les abénakis.

1646-1647.


Au printemps de 1646, quelques uns des nouveaux chrétiens abénakis, qui résidaient à Sillery, résolurent de faire un voyage dans leur pays, pour engager leurs frères à consentir à recevoir l’instruction religieuse. Les P. P. Jésuites les encouragèrent à mettre à exécution ce pieux et louable dessein. Ces courageux chrétiens se rendirent donc à Kénébec, visitèrent plusieurs tribus abénakises, et en virent les principaux Chefs, qui leur assurèrent qu’ils prêteraient volontiers l’oreille aux prédications de l’Évangile.

Contents de ce premier succès, ils revinrent à Québec, où ils arrivèrent le 14 Août de la même année. Le lendemain, après avoir assisté à la solennité de la grande fête de l’Assomption, ils se présentèrent chez les P. P. Jésuites, auxquels l’un d’eux adressa la harangue suivante.

« Je vous avais promis ce printemps que je me transporterais en mon pays, que j’y porterais les bonnes nouvelles de l’Évangile et que je saurais des anciens quel amour ils pourraient avoir pour notre foi. Comme ils ont beaucoup d’affection pour mon frère Noël Negabamat que voici, j’ai jeté dans leurs oreilles les paroles qu’il m’a mises en bouche. Je leur ai dit que mon frère était sensible à leur amitié, mais que cette amitié serait bien courte, puisqu’elle se terminerait avec la vie, que pour s’aimer encore après la mort, il fallait croire en Dieu, et que, sans cela, leur séparation serait éternelle. Je leur ai parlé de la beauté du ciel, et des horreurs de l’enfer. »

« Après m’avoir entendu, trente hommes me dirent qu’ils embrasseraient notre religion, et dix femmes m’assurèrent la même chose. Tous les autres m’exhortèrent à venir chercher un Père à Québec, me disant qu’ils seraient bien aise de l’entendre avant d’engager leur parole. »

« Un Chef, qui a vu la piété des chrétiens de Sillery, se trouvant dans ce conseil, raconta les merveilles que notre foi opère[192]. Il assura qu’il se ferait baptiser au plus tôt, et qu’il ne souffrirait auprès de lui aucun sauvage qui refuserait de se faire instruire. Voilà les pensées et les résolutions de mes frères. Voyez si vous voulez me donner un Père. Mes frères doivent se réunir l’hiver prochain dans un même endroit, afin d’entendre la voix de celui qui leur sera envoyé » [193].

Les P. P. Jésuites se rendirent au pieux désir de ces bons chrétiens, et choisirent le P. Gabriel Druillettes pour aller établir une mission à la rivière Kénébec.

Comme le jour de cette décision coïncidait avec celui de l’arrivée de ce Père à Québec[194], cette nouvelle mission fut appelée « l’Assomption de Kénébec »[195].

Le P. Druillettes partit de Sillery le 29 Août 1646, accompagné de quelques Abénakis. Il remonta la rivière Chaudière, et se rendit, par cette route, à la rivière Kénébec. Ce Père fut le premier Européen qui remonta la rivière Chaudière[196] ; mais il ne fut pas le premier Européen qui fit le voyage du Canada en Acadie, à travers les forêts ; car, en 1640, un Anglais, accompagné de vingt Abénakis, avait remonté la rivière Kénébec, et, des sources de cette rivière, s’était rendu au fleuve Saint-Laurent, à quelques milles plus bas que Québec[197].

Dès que le Père fut arrivé à Kénébec, les sauvages se réunirent pour le rencontrer, et des malades se firent transporter d’une assez grande distance pour venir le voir. Tous lui témoignèrent de la bienveillance. Reconnaissant par là que ces sauvages avaient de bons cœurs, il s’efforça de leur faire comprendre la joie qu’il en ressentait, et le désir qu’il avait de les secourir, autant qu’il lui serait possible.

Après ces premiers entretiens, qui se firent par interprète, il s’appliqua à l’étude de la langue abénakise. Pendant ce temps, il instruisait les malades, qui venaient à lui de toutes parts[198].

Après un court séjour au milieu des sauvages, il descendit la rivière Kénébec, accompagné d’un Abénakis, pour aller visiter le fort Taconnock[199], établissement anglais situé sur cette rivière. Il fut bien reçu par les Anglais.

Au retour de ce petit voyage, il reprit avec ardeur l’étude de la langue abénakise, et fit tant de progrès dans cette étude que trois mois après il entendait et parlait passablement cette langue. Les sauvages en étaient fort étonnés[200].

Il avait une extrême charité pour les malades. Il gagnait les âmes de ces malheureux par les soins qu’il donnait à leurs corps. Il les veillait pendant la nuit, leur portait lui même leur nourriture et la leur servait. Dieu le récompensa de cette grande charité, en accordant la guérison à des malades, dont la mort paraissait certaine[201].

Dans le cours de l’automne, il descendit à la mer, guidé par un sauvage, visita sept à huit habitations anglaises ; puis, il se rendit à la rivière Pentagoët, où il trouva un petit hospice de Capucins, érigé en cet endroit depuis quelques années. Le P. Ignace, supérieur de cet établissement, lui fit la meilleur accueil possible. Après un court séjour avec ce bon religieux, il retourna sur ces pas, remonta la rivière Kénébec, et alla s’arrêter à environ trois milles plus haut que le fort Taconnock. Les sauvages se réunirent en cet endroit, y érigèrent une petite chapelle, et construisirent quinze grandes loges pour leur logement[202].

Ce ne fut qu’alors que le missionnaire, possédant suffisamment la langue abénakise, commença à instruire ses sauvages d’une manière suivie. Il s’efforça alors de leur faire comprendre l’importance de connaître Dieu, qui les avait créés et qui devait un jour les punir ou les récompenser suivant leurs œuvres.

Lorsqu’il vit que la plupart aimaient à l’entendre et qu’ils paraissaient disposés à suivre ses avis, il commença à s’élever contre les désordres qu’il remarquait parmi eux.

Les principaux désordres, qui régnaient alors parmi les Abénakis, étaient l’ivrognerie, les querelles et la jonglerie[203].

Le missionnaire leur ordonna d’abandonner l’usage des boissons enivrantes, leur faisant comprendre qu’ils ne pourraient, ni se rendre agréables à Dieu, ni attirer sur eux sa protection sans ce sacrifice. Ils y consentirent et promirent d’éviter les excès auxquels ils se livraient si souvent. Ils furent assez fidèles à cette promesse[204].

Il leur recommanda ensuite de vivre paisiblement ensemble, et de faire disparaître les jalousies et les querelles qu’on voyait souvent parmi eux.

Il y avait parmi ces sauvages des Abénakis de différents endroits du pays, ce qui occasionnait de fréquentes querelles entr’eux. On a remarqué chez tous les sauvages que ceux d’une même bourgade sympathisaient toujours ensemble, et ne se querellaient jamais, tandis que ceux de différentes bourgades avaient toujours quelques petites jalousies les uns contre les autres[205].

Les Abénakis se décidèrent à mettre fin à ce désordre, et promirent de s’aimer les uns les autres. Plus tard, lorsque deux sauvages oubliaient cette promesse, et se querellaient, ils allaient à la chapelle, pour, se réconcilier et se demander pardon l’un et l’autre. Un jour, un sauvage, poussé par le repentir, à la suite d’une querelle, se rendit à la chapelle, où il se donna lui-même une forte discipline, et demanda pardon à Dieu de sa faute, en présence de tous les sauvages[206].

Le troisième désordre, la jonglerie, était plus difficile à faire disparaître.

Les Abénakis avaient leurs jongleurs, ou sorciers, qui leur annonçaient leur bonne ou mauvaise fortune. Ils comptaient sur ces prédictions comme si elles fussent venues du ciel. Chaque sauvage recevait des jongleurs quelques objets, comme des petites pierres, des os ou autres choses semblables, qu’il conservait précieusement. Quelques sauvages conservaient un grand nombre de ces objets, qu’ils appelaient « Madaôdos ». Ils prétendaient que ces Madaôdos les protégeaient contre les accidents et les malheurs, et leur obtenaient une bonne fortune à la chasse, au jeu et à la guerre[207].

Le missionnaire s’appliqua à faire disparaître ces abominables superstitions. Il déclara aux sauvages que les jongleurs étaient des imposteurs, qui les trompaient sans cesse, qu’ils n’étaient ni plus savants ni plus puissants qu’eux, qu’ils ne se servaient de ces supercheries que pour obtenir d’eux des récompenses. Il leur défendit d’écouter désormais ces imposteurs, et leur ordonna de jeter au feu leurs Madaôdos, qui n’avaient aucune vertu.

Les sauvages furent d’abord comme foudroyés par ce discours. Ilss étaient convaincus que le Père commettait une grave injustice, en parlant de la sorte contre des gens, qui, suivant eux, méritaient tant de confiance, et que, de plus, il faisait une imprudence en les attaquant, parcequ’ils étaient très-puissants et qu’ils avaient des communications avec les esprits de l’autre monde. Les uns étaient très-étonnés de cette conduite du Père, d’autres, qui avaient déjà de l’affection pour lui, en étaient profondément affligés. Tous étaient unanimes à croire qu’il succomberait aux coups de leurs prophètes.

De leur côté, les jongleurs s’irritèrent et se soulevèrent contre le Père. Ils prétendirent qu’il n’était lui-même qu’un imposteur, puisqu’il osait révoquer en doute leur science et leur puissance, tandis que ces choses étaient si bien connues par la nation, et prouvées depuis longtemps par un grand nombre de faits éclatants. Ils déclarèrent que, par la puissance de leurs sortilèges, ils sauraient bien le punir de cette audace, et que bientôt il se repentirait d’une conduite si injuste et si téméraire.

Les sauvages hésitèrent pendant quelque temps, ne sachant quel parti prendre. Mais Dieu avait jeté des yeux de miséricorde sur ce pauvre peuple ; il voulait le retirer des ténèbres de l’ignorance, et briser les chaînes, qui le retenaient depuis si longtemps sous l’esclavage du démon. Il permit alors plusieurs faits extraordinaires, qui ouvrirent les yeux à ces pauvres gens, et leur prouvèrent, d’une manière évidente, la véracité et la force des paroles de son ministre comme le ridicule et l’impuissance des menaces des jongleurs[208]. Nous citerons bientôt quelques-uns de ces faits.

Alors, la plupart des sauvages se séparèrent des jongleurs, et abandonnèrent leurs superstitions, protestant hautement que désormais ils n’auraient recours qu’à Dieu.

Cependant, quelques-uns ne consentirent pas de suite à abandonner leurs superstitions, et n’approuvèrent pas les autres. Ils pensaient qu’on introduisait parmi eux une nouveauté, qui pouvait leur devenir funeste. Bientôt, ils voulurent employer la jonglerie pour obtenir la guérison d’un malade ; mais celui-ci, étant dans de bonnes dispositions et croyant tout ce que le missionnaire avait dit à ce sujet, ne consentit pas à cette affreuse superstition. Il déclara hautement « que s’il recouvrait la santé, ce ne serait que par le secours de Celui qui seul peut conserver ou ôter la vie, selon sa volonté »[209].

Le missionnaire résida à sa petite chapelle jusqu’au mois de Janvier, 1647, instruisant les sauvages et les faisant prier, visitant et secourant les malades. Pendant son séjour en cet endroit, il avait baptisé une trentaine de malades, qu’il avait préparés à la mort ; mais il n’avait pas jugé à propos de baptiser des adultes en santé ; il voulait les instruire et les éprouver plus longtemps[210].

Au commencement de Janvier, lorsque les sauvages se préparaient pour leur grande chasse, où le missionnaire devait les accompagner, les jongleurs essayèrent de les effrayer. Ils publièrent que tous ceux qui priaient seraient malheureux à la chasse, et mourraient bientôt, que le Patriarche[211] et tous ceux qui le suivraient seraient faits prisonniers et massacrés par les Iroquois[212]. Mais les sauvages ne se laissèrent pas intimider par ces menaces, et continuèrent à prier comme à l’ordinaire.

Le temps de la chasse étant arrivé, ils remontèrent le Kénébec pendant dix jours, accompagnés du missionnaire, et allèrent s’arrêter au lac à l’orignal, où ils passèrent quelques jours, puis ils se séparèrent en plusieurs partis de chasse. Le missionnaire suivit l’un de ces partis dans toutes ses courses[213].

Après la chasse, les sauvages se réunirent de nouveau au lac, où ils s’étaient donné rendez-vous.

Ce fut alors que les jongleurs achevèrent de perdre leur crédit auprès des sauvages ; car le missionnaire et ceux qui priaient n’étaient pas tombés entre les maints des Iroquois, et ils avaient fait une abondante chasse[214].

Après avoir séjourné quelque temps au lac, le Père retourna à sa chapelle, où il continua l’exercice de son ministère auprès des malades.

Lorsque le temps de son départ pour Québec fut arrivé, il annonça aux sauvages qu’il allait bientôt les quitter, mais qu’il espérait que ce ne serait pas pour longtemps et qu’il reviendrait au milieu d’eux. Cette nouvelle affligea profondément ces pauvres gens. « Tu affliges nos cœurs », lui dirent-ils, « quand tu nous parles de ton départ et de l’incertitude de ton retour. Nous dirons, le Père Gabriel ne nous aime pas, puisqu’il nous abandonne et nous expose à mourir sans secours »[215].

Il leur représenta qu’il était peiné lui-même d’être obligé de les abandonner pour quelque temps ; mais qu’il devait obéir à son supérieur, qui lui avait ordonné de retourner en son pays.

Les sauvages versèrent d’abondantes larmes à son départ. Trente d’entr’eux le reconduisirent jusqu’à Québec, où il arriva le 15 Juin 1647, entièrement satisfait de ses heureux succès dans la mission de l’Assomption de Kénébec[216].

Voici quelques faits que Dieu permit, pendant le séjour du P. Druillettes chez les Abénakis, pour confondre les jongleurs et leurs partisans.

Un jongleur était tombé dangereusement malade et se voyant abandonné de ses gens, fit venir le Père et le supplia de l’instruire, l’assurant qu’il voulait croire et prier. Le Père lui enseigna les principales vérités de la religion, le fit renoncer à ses sortilèges, puis, pensant qu’il allait bientôt mourir, le prépara à la mort et le baptisa. Bientôt après, le malade éprouva un grand soulagement et fut guéri. Il fut fidèle à sa promesse, et n’eut plus recours à ses superstitions[217].

Un autre ayant été guéri subitement, pendant que le Père priait et jetait de l’eau bénite sur lui, publia partout « qu’il tenait la santé de Dieu par l’entremise de l’eau qui donne la vie. » Mais ce malheureux, étant allé chez les Anglais et s’étant enivré, retomba aussitôt dangereusement malade. Il en attribua la cause à son péché. « Celui qui a tout fait, » dit-il, « m’avait guéri par sa bonté et sa puissance, mais l’ivrognerie m’a rejeté dans mon malheur »[218].

L’un des sauvages qui avaient amené le Père du Canada étant tombé malade, les jongleurs lui annoncèrent qu’il allait mourir, et que, si toutefois il guérissait de cette maladie, il ne verrait pas le printemps, parcequ’un Iroquois le tuerait, ce qui serait un juste châtiment de la faute qu’il avait commise en amenant une robe noire dans le pays des Abénakis. Mais, malgré cette prédiction, le malade recouvra la santé, et ne tomba point entre les mains des Iroquois [219].

Cependant, il arriva un malheur à ce bon chrétien. Il n’avait qu’un fils, qu’il aimait plus que lui-même, et il eut la douleur de le perdre. Alors, craignant que les sauvages n’attribuassent cette mort à sa croyance, il leur fit la harangue suivante :

« Je n’avais qu’un fils, que j’aimais plus tendrement que ma vie, et il est mort. Dieu me l’a enlevé, et il a bien fait, car je l’ai mérité. Il l’avait guéri de ses maladies, ayant peut-être écouté mes prières, ou voulant peut-être me récompenser de mon obéissance à ses commandements. Mais, l’ayant offensé grièvement depuis quelque temps, il m’a justement châtié par la mort de mon fils. Je ne suis ni triste ni affligé de la mort de cet enfant, car il est au ciel ; mais je suis affligé d’avoir offensé celui qui a tout fait »[220].

Ces faits et un grand nombre d’autres, non moins extraordinaires, étonnèrent les sauvages, les convainquirent que le Père leur avait dit la vérité, et que les jongleurs étaient véritablement des imposteurs. Alors, ils refusèrent de les écouter, les méprisèrent, et les forcèrent bientôt d’abandonner leur infâme métier. Voici comment ils raisonnaient.

« La vie de notre Père », disaient-ils, « est bien différente de celle des jongleurs, et le Dieu qu’il adore a un pouvoir bien plus grand que celui de leurs madaôdos. Il faut bien que ce Dieu soit puissant, puisqu’il guérit si parfaitement les maladies les plus graves et les plus contagieuses, ce que ne sauraient faire les madaôdos des jongleurs. Il faut bien que ce Dieu soit grand et qu’il ait un grand esprit, puisqu’il fait que cet homme étranger entende et parle notre langue en deux ou trois mois. Il faut bien que ce Dieu soit bon et puissant, puisqu’il ôte à cet homme la crainte des maladies contagieuses, et lui donne une force suffisante pour se moquer des menaces des jongleurs. Cet homme est bien différent des jongleurs. Ceux-ci demandent toujours et ne recherchent que des peaux de loutre et de castor, celui-là ne demande rien et ne regarde pas même ces objets du coin de l’œil ; ceux-ci ne demeurent presque pas avec nos malades, celui-là y passe les jours et les nuits. Les jongleurs font bonne chère, tandis que notre Père jeûne souvent. Il a passé cinquante jours sans vouloir manger de viande, ne prenant qu’un peu de maïs. Il faut donc que son Dieu le soutienne beaucoup. Nous voyons bien qu’il est d’une constitution délicate, qu’il n’est pas habitué à nos courses et à nos fatigues ; cependant, il supporte cela comme nous. Il est considérable parmi les siens, et cependant il veut bien souffrir autant et plus que nous. Il est toujours joyeux dans les dangers et les fatigues d’un long voyage et d’une route difficile. Il est toujours occupé de nous, de nos enfants et de nos malades. Les Français de Pentagoët l’ont caressé, et, ce qui est bien plus étonnant, les Anglais, qui ne sont ni du même pays ni de même langage que lui, l’ont respecté. Tout cela fait voir que son Dieu est bon et puissant »[221].


CHAPITRE ONZIÈME.

second voyage du p. druillettes
chez les abénakis.

1650-1651.


Les Abénakis qui avaient reconduit le P. Druillettes à Québec, demandèrent avec instances qu’il leur fut rendu, après quinze jours de repos ; mais les P. P. Jésuites, pour de justes raisons, ne purent accéder à cette demande, et les sauvages retournèrent dans leur pays fort affligés de ce refus.

L’année suivante, 1648, ils revinrent à Québec, pour réitérer leur demande. Les P. P. Jésuites, pensant que les Abénakis de Kénébec pouvaient être secourus par les P. P. Capucins de l’Acadie[222], et ayant alors besoin des services de tous leurs Pères pour les missions du Canada, ne jugèrent pas à propos d’y envoyer un missionnaire

Ce nouveau refus ne découragea pas les Abénakis. Aussitôt après le retour de leurs députés, ils en envoyèrent d’autres vers les P. P. Capucins, pour leur exposer leurs misères et leurs besoins. Alors, le P. Côme de Mante, vivement touché des pieux sentiments de ces bons sauvages, leur donna une lettre, adressée au supérieur des Jésuites à Québec. Cette lettre était ainsi conçue :


« Nous conjurons vos révérences par la sacrée dilection de Jésus et de Marie, pour le salut de ces pauvres âmes qui vous demandent vers le Sud, de leur donner toutes les assistances que votre charité courageuse et infatigable leur pourra donner, et même si en passant à la rivière de Kinibequi vous y rencontriez des nôtres, vous nous ferez plaisir de leur manifester vos besoins ; que si vous n’en rencontrez point, vous continuerez, s’il vous plait, vos saintes instructions envers ces pauvres barbares et abandonnés, autant que votre charité le pourra permettre »[223].

Dans le mois d’Août 1650, quelques Abénakis portèrent cette lettre à Québec. Alors, les P. P. Jésuites, convaincus que ces sauvages n’avaient aucun secours des P. P. Capucins, leur donnèrent encore le P. Druillettes, qui partit avec eux le 1er Septembre, accompagné de Noël Negabamat. Le voyage fut fort heureux.

Aussitôt après son arrivée chez les Abénakis, le Père descendit au fort Taconnock, avec son compagnon algonquin, et de là, se rendit à Boston, dans le but de traiter d’un projet d’alliance avec les Anglais, pour protéger les Abénakis et les Algonquins contre les Iroquois[224]. Le gouvernement de Boston, après avoir délibéré sur ce sujet, donna à entendre qu’il accorderait quelques secours pour repousser ces sauvages.

Le Père fut accueilli à Boston avec bienveillance, et logé chez le major général Gibbons. Voici ce qu’il dit de cet Anglais. « Il me donna une clef d’un appartement de sa maison où je pourrais avec toute liberté faire ma prière et les exercices de ma religion, et me pria de ne point prendre d’autre logis pendant que je séjournerais à Boston »[225].

Voici ce qu’il dit de la Nouvelle-Angleterre. « Toute la Nouvelle-Angleterre est une république, composée de quatre colonies. La première, et la plus considérable, est celle de Boston, qui a, dit-on, quarante bourgs ou villages dans son ressort ou district. La deuxième est celle de Plymouth, à quatorze lieues d’ici ; elle a vingt bourgs ou villages, dont Plymouth est le principal, mais beaucoup moindre que celui de Boston, quoiqu’il soit le plus ancien de tous ; il est situé vers le cap de Mallebarre. La troisième est celle de Kenetigouk[226], à trente ou quarante lieues de la deuxième. Celle-ci a environ dix bourgs. Kenetigouk est la rivière des Sokokiois. La quatrième est celle de Kouinopeia[227], à dix lieues de la troisième »[228].

Le P. Druillettes dit « que la rivière Kenetigouk. « était celle des Sokokiois. » Mais ceci ne veut pas dire que ces sauvages résidaient au Connecticut. Ils résidaient au Sud-Ouest de la rivière Kénébec et s’étendaient dans le New Hampshire, jusqu’à la rivière Connecticut. Ils voyageaient très-souvent sur cette rivière, et descendaient, par cette voie, jusqu’à la mer ; voilà pourquoi on appelait cette rivière « celles des Sokokis. »

Dans ce voyage la Père visita, à Roxbury, le ministre Eliot, appelé par les Anglais l’apôtre des sauvages. Ce ministre dut être fort étonné en voyant le missionnaire Jésuite, qui parlait la langue sauvage aussi bien que les sauvages eux-mêmes et dont « l’habit et l’équipage le rapprochaient plus d’un sauvage que d’un Français de médiocre condition »[229]. Cependant, il le reçut avec bienveillance. « Le Ministre », écrit le Père, « nommé maître Héliot, qui enseignait quelques sauvages, me retint chez lui, à cause que la nuit me surprenait, et me traita avec respect et affection, et me pria de passer l’hiver avec lui »[230].

Il visita aussi quelques bourgades sauvages. Il put s’entretenir longuement avec ces sauvages, parcequ’ils parlaient la même langue que les Abénakis.

Lorsqu’il eut rempli sa mission à Boston, il retourna à la rivière Kénébec, où il passa dix mois à évangéliser ses sauvages. Il fut de plus en plus étonné de leurs admirables dispositions. Cinq choses excitèrent singulièrement son admiration : leur foi, leur ferveur, leur affection et leur respect pour le missionnaire, leur courage à mettre en pratique ce qui leur avait été enseigné et leur désintéressement en embrassant la religion chrétienne.

1o. Il admira leur foi. Ces sauvages n’avaient pas eu de missionnaire depuis trois ans pour faire croître cette première semence, qui avait été jetée dans leurs cœurs, comme en passant, dans la première mission ; cependant, il s’aperçut de suite qu’elle y avait produit des fruits abondants, et que leur foi, loin de diminuer avait augmenté.

Ceux qu’il n’avait pu instruire que fort légèrement avaient récité chaque jour les prières qu’il leur avait enseignées. Ceux qui avaient recouvré la santé, après avoir été baptisés, publiaient partout que le baptême leur avait rendu la vie. Comme ils avaient appris qu’il faut confesser les péchés commis après le baptême, ils s’accusaient publiquement de leurs fautes, suppliant leurs frères de les punir pour ces fautes légères. L’un d’eux répétait partout : « Je marchais comme les bêtes à quatre pieds, je ne pouvais me tenir debout, et, aussitôt après mon baptême, j’ai marché et couru comme les autres. »

On présentait au Père des petits enfants qu’il avait baptisés lorsqu’ils étaient dangereusement malades. « Voilà, » disait-on, « ceux que tu as ressuscités par l’eau que tu as versée sur leurs têtes »[231].

Quelques uns l’entretenaient jusqu’à une heure fort avancée de la nuit, lui rendant naïvement compte de leurs consciences. Ils lui racontaient toutes les attaques que les jongleurs leur avaient livrées au sujet de leurs malades, voulant les guérir à leur mode, par des cris, des hurlements et des sortilèges. « Ils ont été cause, » disaient-ils, « que nous avons redoublé nos prières, demandant à Dieu la santé de nos malades, afin qu’on ne nous forçât pas de les mettre entre leurs mains. Nous avons souvent été exaucés sur le champ, et, de cette manière, un grand nombre de nos malades ont recouvré de suite la santé. Après avoir adressé à Dieu toutes les prières que nous savions, et lui avoir dit tout ce qui nous venait au cœur, nous ajoutions : Tu connais nos cœurs. Nous voulons faire pour le bien des malades ce que fait notre Père. Nous voulons te dire tout ce qu’il te dit ; tu le sais et nous le savons. Regarde ce qu’il fait, et écoute ce qu’il te dit : c’est ce que nous voulons faire et te dire »[232].

Il rencontra un vieillard, âgé de près de cent ans, qu’il avait baptisé en 1647, le croyant alors sur le point de mourir. Lors de son baptême, ce bon vieillard était malade depuis trois ou quatre ans, et tout portait à croire qu’il était sur le bord de sa tombe ; mais, par le baptême, il reçut la santé du corps comme la vie de l’âme. Ce bon néophyte fut souvent un sujet d’édification pour ses frères. « Vous savez bien, » leur disait-il, « que j’étais mort avant mon baptême ; je ne vivais plus, je ne pouvais plus me remuer. Deux jours après, l’on me vit en santé. Cet hiver j’ai tué quatre orignaux, que j’ai rejoints à la course ; j’ai assommé deux ours et j’ai mis à mort une grande quantité d’autres animaux. Je pense sans cesse à Celui qui a tout fait ; je parle souvent à Jésus ; il me fortifie et me console. Je suis demeuré seul de ma famille. J’ai vu mourir ma femme, mon fils et mes petits neveux. J’en ai ressenti quelque douleur au commencement ; mais dès que je me suis mis en prières, mon cœur a été consolé, sachant que ceux qui croient et qui sont baptisés vont au ciel. J’ai remercié Celui qui a tout fait de ce qu’ils étaient morts chrétiens, et je sens une grande joie dans mon âme, sachant que je les verrai bientôt dans le ciel. Quand mon cœur veut s’égarer dans la tristesse, je me mets à genoux devant Dieu, et la prière me fait retrouver mon cœur »[233].

Un autre vieillard, qui avait aussi été baptisé, était devenu un véritable saint. Il était si adonné à l’oraison qu’il passait la plus grande partie de la nuit à s’entretenir seul avec Dieu, tandis que les autres se livraient au sommeil. Le Père, étant une nuit couché dans le wiguam de ce saint vieillard, l’entendit se lever et se mettre en prières, prenant les plus grandes précautions pour ne pas éveiller ceux qui dormaient près de lui ; c’est ce qu’il faisait toujours. Cette fois le Père veillait, afin de le surprendre dans cette pieuse ruse. Ce saint néophyte commença son oraison par les prières qui lui avaient été enseignées, puis en ajouta un grand nombre d’autres, qui exprimaient de si beaux sentiments que le Père en fut ravi d’admiration[234].

Lee sauvages assuraient que ce saint vieillard obtenait souvent par ses prières la guérison des malades, ou d’autres faveurs qui les étonnaient toujours.

Plusieurs dirent au missionnaire que leurs enfants, morts après le baptême, leur avaient apparu, venant du ciel pour les encourager à pratiquer les vertus chrétiennes. « Cette vue », disaient-ils, « nous comblait d’une joie que nous ne pouvons exprimer, et quelques uns d’entre nous, étant malades, guérissaient tout-à-coup. » Les mères le conduisaient sur les tombeaux de ces petits anges, le priant de remercier Dieu avec elles de les avoir placés dans le ciel. L’une d’entr’elles lui dit : « Avant qu’on nous eût parlé du ciel, nous étions inconsolables à la mort de nos enfants ; nous pleurions longtemps la mort de nos moindres parents. Mais maintenant mon cœur est bien changé ; il ne ressent plus ces angoisses, même à la mort de mon mari ou de mes enfants. Mes yeux jettent bien quelques larmes au commencement ; mais dès que je viens à penser que leurs âmes sont au ciel avec Dieu, ou qu’elles y entreront bientôt, je sens une grande joie dans mon cœur, et toute ma pensée n’est que de prier Dieu qu’il les mette bientôt avec lui. Si le démon veut par fois me jeter dans la tristesse par la pensée de la perte de quelqu’un que j’aimais, j’ai aussitôt recours à celui qui a tout fait, et il me fait connaître que celui qui est avec lui n’est pas perdu »[235].

Peut-on concevoir une foi plus vive que celle de ces sauvages ? En lisant les naïves et sublimes paroles de ces bons néophytes, ne se croirait-on pas transporté aux premiers siècles de l’Église, où la foi des chrétiens étonnait les rois et les empereurs, désarmait quelquefois les tyrans, et entraînait les infidèles vers la religion chrétienne !

2o Ces bons néophytes priaient avec tant de ferveur et de piété que le missionnaire en fut étonné. Rien aussi n’était plus admirable que leur ardeur pour apprendre les prières et les vérités qui leur étaient enseignées. Ils passaient des nuits entières à répéter dans leurs wiguams ce qu’ils avaient entendu le jour précédent. Leur émulation dans cette étude était telle, qu’elle causait une véritable lutte entr’eux. Les plus petits luttaient avec les plus grands, et les enfants, ayant la mémoire plus heureuse, devenaient les instituteurs des vieillards. Quelques uns écrivaient leurs leçons à leur mode. Un petit morceau de charbon servait de plume, et une écorce de bouleau prenait la place du papier. Les caractères qu’ils traçaient étaient des espèces d’hiéroglyphes particuliers à chacun d’eux ; l’un ne pouvait ni connaître ni comprendre l’écriture de l’autre[236]. De cette manière, ils notaient les principales choses qu’ils entendaient, surtout ce qui frappait leur imagination, et étudiaient ces notes pendant la nuit. Le lendemain, le missionnaire était fort étonné de les entendre répéter, avec la plus grande exactitude, presque tout ce qu’il leur avait dit le jour précédent[237].

Il était surtout admirable à voir comme les petits enfants montraient de l’empressement et du courage pour apprendre les prières. Ils assistaient régulièrement à la prière qui se faisait en commun à la chapelle, soir et matin. Ils suivaient toujours, en grand nombre, le missionnaire, lui demandant de leur enseigner les prières. Ils se mettaient alors à genoux, joignaient dévotement leurs petites mains, et prononçaient posément et distinctement les paroles qu’il leur faisait répéter. Ils ne manquaient jamais à ce pieux et édifiant exercice[238].

3o. Le missionnaire admira souvent la grande affection que ces bons sauvages lui témoignaient. Dans leurs festins, ils l’honoraient toujours du mets qu’ils servaient aux Chefs. En voyage, on lui donnait le meilleur canot ; s’ils prenait un aviron, on le lui enlevait des mains, en disant que son ouvrage était de prier Dieu. « Prie pour nous, » disaient les sauvages, « et nous ramerons pour toi »[239]. Dans les portages, où il fallait porter le bagage et les canots, il n’était chargé que de sa petite chapelle de voyage[240], et souvent quelques uns le priaient de la placer sur les sacs qu’ils portaient, disant « que ce petit fardeau de Jésus ne ferait que diminuer la pesanteur de leurs charges » [241].

Si quelqu’un laissait échapper contre lui quelques paroles blessantes, il en était aussitôt sévèrement réprimandé. En voici un exemple assez remarquable. Se trouvant un jour dans une bourgade voisine d’une habitation anglaise, un domestique assista à l’une de ses instructions. Cet homme, soit par malice, soit parcequ’il n’avait pas compris, dit à son maître que le missionnaire avait parlé contre les Anglais. Les sauvages apprenant que cet Anglais en était fâché, allèrent le trouver, et lui firent la harangue suivante.

« Nous entendons mieux notre langue que ton serviteur. Nous étions près de notre père quand il parlait ; nous l’écoutions attentivement et toutes ses paroles sont venues droit à nos oreilles. Sois assuré qu’il n’a jamais dit du mal des Anglais. Il nous enseigne que Dieu haït, condamne et punit le mensonge, et qu’il faut l’éviter puisque nous voulons suivre sa loi et lui obéir. Conserve ces paroles dans ton cœur : ces gens là ne mentent pas.

« Au reste il est bon que tu saches qu’il est maintenant de notre nation, que nous l’avons adopté pour notre compatriote, que nous le considérons et l’aimons comme le plus sage de nos Chefs, que nous le respectons comme l’ambassadeur de Jésus, auquel nous voulons nous donner entièrement. Par conséquent, quiconque l’attaque attaque tous les Abénakis[242].

Convaincu qu’il avait été trompé, l’Anglais pria le missionnaire d’oublier le passé, et lui assura qu’il ne croyait rien de ce qui lui avait été rapporté.

Les sauvages dirent dans cette harangue « qu’ils avaient adopté le missionnaire comme leur compatriote » ; en effet, les Nurhantsuaks, qui formaient une tribu considérable située dans le haut de la rivière Kénébec, voulant lui donner une preuve d’affection et de confiance, l’incorporèrent à leur nation dans un grand Conseil. Le grand Chef, nommé Umamanradok[243] dit dans sa harangue « que le Père était non seulement leur maître en la foi, mais qu’il était de plus la meilleure tête du pays, pour traiter d’affaires, qu’il le regardait comme un vieillard rempli de sagesse, et que, quoiqu’il regardât pourtant le soleil depuis longtemps, il ne se considérait que comme un enfant auprès de lui »[244].

4o. Le missionnaire admira le courage de ces sauvages à mettre en pratique ce qu’il leur avait enseigné, et à éviter ce qu’il leur avait défendu. Nous donnerons une idée de ce courage admirable par les discours de ces bons néophytes.

« Tu nous as commandé, » disaient-ils au missionnaire, « de combattre les démons qui nous attaquent. Nous l’avons fait, et nous le ferons encore. Ces démons sont en grand nombre ; mais leurs forces diminuent de jour en jour, et notre courage augmente.

« Le démon qui excitait et fomentait les querelles parmi nous est chassé pour toujours. Tu n’entends plus de bruit dans nos wiguams. Les femmes ne se querellent plus entr’elles. La mort soudaine de l’un de nos Chefs, à la suite d’un différend avec le Chef de ceux qui résident à l’embouchure de cette rivière, nous avait fait croire qu’il avait été tué secrètement par le moyen de sortilèges. Les anciennes inimitiés que nous avons eues avec cette nation se réveillaient dans nos cœurs, et nous étions sur le point de lui déclarer la guerre ; mais tes paroles ont chassé le démon qui nous portait à cette vengeance. Tu es notre Père, sois aussi notre arbitre. Parle dans nos Conseils, et tu seras écouté. Nous remettrons toujours nos différends entre tes mains. Nous voyons bien que tu nous aimes, puisque tu souffres et pries jour et nuit pour nous.

« Quant au démon de l’ivrognerie, que tu avais chassé de nos wiguams en ton premier voyage, les Anglais l’ont ramené aussitôt que tu nous as quitté. Mais il faut maintenant l’exterminer pour toujours, car il nous ôte la vie, nous cause des meurtres, nous fait perdre l’esprit, nous rendant semblables à des enragés. Nous irons trouver le commis des Anglais et nous lui dirons : toi, commis de Plymouth et de Boston, peins nos paroles sur le papier, et envoie les à ceux de qui tu dépends ; dis leur que tous les sauvages de la rivière Kénébec haïssent l’eau-de-feu et que s’ils en font encore apporter pour leur vendre, ils croiront qu’ils veulent les exterminer. Peins ces paroles, et notre Père nous servira d’ambassadeur, et ira lui-même les porter à tes Chefs.

« Le démon qui nous portait à croire aux superstitions des jongleurs a complètement perdu son crédit parmi nous. Nous comprenons la vanité et l’impuissance des jongleurs et de leurs sortilèges. Depuis que tu nous as instruits sur ce point, nous avons souvent vu des personnes, que nous pensions ensorcelées, revenir à la santé, après avoir prié celui qui est le maître de tous les démons. Maintenant tous les jongleurs avouent leur faiblesse, et reconnaissent le pouvoir de Jésus »[245].

Les jongleurs cédèrent, en effet, devant le missionnaire, et reconnurent que son autorité venait de Dieu. Quelques uns l’invitèrent dans leurs wiguams, et le reçurent avec bienveillance. Le plus célèbre d’entr’eux Aranbino[246], qui, trois ans auparavant avait levé sur lui la hache pour l’assommer, revint comme les autres à de meilleurs sentiments, et fit même profession ensuite d’être son intime ami[247].

« Quant au démon qui nous a fait aimer la polygamie, » ajoutaient les sauvages, « il est fort décrié parmi nous, car nous voyons bien les inconvénients et les désordres qui proviennent de la pluralité des femmes. Celui qui prétend être nommé Chef parmi nous ne le sera jamais, s’il ne quitte l’une de ses femmes. Et quand même quelqu’un d’entre nous ne voudrait pas avoir de l’esprit, ceci n’empêcherait pas que les autres ne se fissent chrétiens. Prends donc courage et demeure avec nous, puisque nous voulons t’obéir. Tu es notre compatriote ; nous sommes maintenant tous d’une même nation. Tu es notre maître, nous sommes tes disciples. Tu es notre Père, nous sommes tes enfants. Ne nous abandonne pas à la furie des démons. Ne crois pas qu’ils soient bien éloignés de nous. Ils viendront nous égorger dès que tu seras parti. Délivre-toi, et nous aussi, de la peine et des dangers de tant de longs voyages pour aller te chercher en Canada. Nous sommes témoins que les principaux Anglais de ces contrées te respectent. Les Pères de l’Acadie nous ont dit qu’ils t’avaient écrit, et que tu pouvais revenir en notre pays : quand tu voudrais. Que deviendront ceux qui mourront sans baptême et sans confession en ton absence »[248].

Ces discours touchaient le missionnaire, l’attendrissaient jusqu’aux larmes, et l’attachaient tellement à ces bons néophytes qu’il n’eût jamais songé à laisser leur pays, n’eût été la voix de Dieu qui l’appelait à Québec.

5o. Enfin, il admira le désintéressement de ces sauvages dans leur empressement à embrasser le christianisme. Les sauvages du Canada pouvaient attendre des secours temporels des P. P. Jésuites et des Français, tandis que les Abénakis ne pouvaient espérer de leur missionnaire que leur instruction religieuse, parcequ’ils le voyaient vivre dans la pauvreté comme eux, n’ayant pour demeure que leurs wiguams, et pour lit que la terre nue. Ils n’attendaient aucune faveur des Anglais par l’influence du missionnaire. Ils n’étaient donc pas engagés à embrasser le christianisme par l’espoir de récompenses temporelles. La grâce seule agissait sur leurs cœurs, et les portait à recevoir avec ardeur les enseignements qui leur étaient donnés. Dieu seul mettait dans leurs cœurs cette affection qu’ils avaient pour son ministre ; c’était un moyen qu’il employait, dans sa miséricorde envers ce pauvre peuple, pour l’appeler à lui.

Au mois de Janvier, le missionnaire accompagna ses sauvages à la grande chasse, comme il l’avait fait en 1647, et au retour de cette excursion, il songea à partir pour le Canada.

Il lui fut pénible de laisser ses chers néophytes, qu’il aimait plus que lui-même. Ce fut donc avec regret qu’il quitta sa mission de l’Assomption, pour se mettre en route vers Québec, où il arriva dans le mois de Juin 1651[249].



CHAPITRE DOUXIÈME.

troisième voyage du p. druillettes chez les abénakis
— autres jésuites chez ces sauvages.

1651-1660.


Les P. P. Jésuites furent si étonnés et si touchés des merveilles qui s’opéraient parmi les Abénakis par le ministère du P. Druillettes, qu’ils lui permirent de retourner de suite auprès de ses chers néophytes. Après quinze jours de repos, le courageux missionnaire repartit pour Kénébec, accompagné d’un Français, Jean Guérin, de Noël Negabamat et de quelques Abénakis, qui l’avaient suivi jusqu’à Québec[250].

Il avait été assez heureux dans les deux autres voyages. Il y avait éprouvé des fatigues, mais sa vie n’avait pas été en danger. Dieu lui réservait cette misère pour le troisième voyage, qui ne fut qu’une suite de fatigues, de souffrances et de dangers.

Son guide prit une route qu’il ne connaissait pas et qui était extrêmement dangereuse. Tous ceux qui avaient suivi cette route jusqu’alors y avaient souffert beaucoup, et un grand nombre y avaient perdu la vie.

Après une marche pénible et dangereuse de quinze jours, nos voyageurs arrivèrent à la rivière Saint-Jean, à peu près à l’endroit qui se nomme aujourd’hui Madawaska[251]. Grande fut leur surprise lorsqu’ils s’aperçurent qu’ils n’étaient qu’à peu près au tiers de leur voyage, tandis qu’ils croyaient être dans les environs de la rivière Kénébec ; et pour comble de malheur, leurs vivres étaient épuisés.

Dans cette grande détresse, le missionnaire eut recours à Dieu. Il offrit le saint sacrifice de la messe dans ces immenses forêts, pour conjurer le Seigneur de le secourir. À peine avait-il terminé les cérémonies de la messe, qu’un catéchumène vint lui annoncer joyeusement qu’il avait tué trois orignaux. Cette manne, qui sauvait la vie des voyageurs, fut reçue comme venant du ciel. Tous reconnurent en cette chasse, tout-à-fait inattendue, un secours extraordinaire, et s’empressèrent de remercier Dieu de cette protection si visible[252].

La viande d’orignal fut séchée et fumée, pour servir de nourriture pendant le reste du voyage.

Il fallut alors s’embarquer sur les canots pour remonter la rivière Saint-Jean jusqu’à sa source. C’était un voyage extrêmement dangereux, car en ces endroits les torrents de cette rivière sont si impétueux que la vie du voyageur y est sans cesse en danger. Les voyageurs rencontrèrent tant de chûtes, de cascades et de longs rapides qu’un sauvage etchemin, qui conduisait le canot où étaient le Père et Jean Guérin, en fut tellement découragé qu’il menaça de tourner le dos au pays des Abénakis de Kénébec pour se rendre à Pentagoët ; mais le catéchumène, qui avait été l’heureux-chasseur, lui ayant fait quelques représentations, il reprit courage et continua la route.

Le troisième jour de cette pénible marche, le pauvre Etchemin tomba encore dans le découragement, et devint bientôt d’une humeur fort acariâtre. Il s’imagina que le Père était la cause des fatigues et des souffrances du voyage, et à tout instant il déchargeait sur lui le poids de sa colère, qui augmentait à mesure que les difficultés et les souffrances croissaient[253]. Pour appaiser cet importun, le Père fut obligé de se séparer de son compagnon, qui embarqua sur un autre canot.

Enfin, après un pénible voyage de vingt-trois ou vingt-quatre jours, les voyageurs arrivèrent au haut de la rivière Kénébec, chez les Nurhântsuaks. Le Chef de ces sauvages, Umamânradok, au comble de la joie, embrassa le missionnaire, en disant : « Je vois bien maintenant que le Grand-Esprit, qui commande dans les cieux, nous regarde de bon œil, puisqu’il nous renvoie notre Père »[254]. Il s’informa ensuite si le missionnaire s’était bien porté dans le voyage et si on l’avait bien traité. Apprenant la conduite du sauvage etchemin, il le réprimanda en ces termes : « En manquant de respect à notre Père, tu as fait paraître que tu n’as pas d’esprit. Tu as voulu le quitter au milieu du chemin et tu l’as obligé de se séparer de son compagnon. Si tu étais de mes sujets ou de ma nation, je te ferais ressentir le déplaisir que tu as causé à tout le pays »[255].

Ce pauvre sauvage, touché des justes reproches du Chef, avoua sa faute et la regretta sincèrement. « Il est vrai, » dit-il, « que je n’ai pas d’esprit d’avoir maltraité une personne que je devais respecter et qui même m’a rendu service ; car je dois déclarer que, pendant ce voyage, le Père m’a rendu la santé par ses prières. Pendant la maladie que j’eus alors, il veillait toute la nuit auprès de moi, chassant par sa prière le démon, qui voulait m’ôter la vie. Plus tard, me voyant encore faible, il ne se contentait pas de porter son bagage, il se chargeait encore du mien. Cet homme obtient tout de Celui qui a tout fait. Les eaux où nous passions étant trop basses, il demanda de la pluie, et il fut exaucé. La faim étant sur le point de nous faire mourir, il pria pour nous, et Celui qui est le maître des animaux nous donna de la nourriture plus qu’il n’en fallait pour le reste de notre voyage. Lui, il ne mangeait presque pas de viande ; il pêchait, pendant la nuit, quelques petits poissons, dont il se contentait, nous laissant les bons morceaux. Dans les endroits où les eaux n’étaient pas assez profondes, il abandonnait le canot pour nous soulager, et marchait des jours entiers, à travers les broussailles et d’épouvantables rochers. Il ne mangeait presque pas dans ces durs travaux, et le soir il se trouvait plus frais, plus gai et plus content que nous. Ce n’est pas un homme, c’est un Esprit, et moi, je suis un chien de l’avoir tant maltraité. Quand je criais contre lui ou le menaçais, l’accusant d’être la cause de notre malheur, il gardait le silence, ou, s’il parlait, l’on eut cru qu’il était coupable et que j’avais raison de le disputer, tant ses reparties étaient douces et pleines de bonté. Oui, il est vrai, je n’ai pas d’esprit, mais je veux désormais en avoir. Je veux aimer la prière, et me faire instruire par le Père[256].

Lorsque l’Etchemin eût fini sa harangue, on n’entendit que réjouissances dans tous les wiguams. Tous les sauvages, hommes, femmes et enfants, s’empressaient de venir témoigner au missionnaire la joie que leur causait son retour. « Enfin, te voilà, » lui disaient-ils ; « nous te voyons enfin. Tu es notre Père et notre compatriote, car vivant comme nous et demeurant avec nous, tu es Abénakis comme nous. Tu ramènes avec toi la joie dans tout le pays. Nous étions dans la pensée de quitter notre patrie pour aller te chercher. Voyant que plusieurs mouraient en ton absence, nous perdions l’espoir d’aller au ciel. Ceux que tu as instruits faisaient tout ce qu’ils ont appris de toi, mais lorsqu’ils étaient malades, leurs cœurs te cherchaient et ne pouvaient te trouver. Tous te regrettaient avec larmes. Mais enfin te voilà de retour »[257].

Quelques uns lui faisaient d’affectueux reproches. « Si tu nous as fait beaucoup de bien par ta présence », disaient-ils, « tu nous as causé de grands maux par ton absence. Si tu étais demeuré parmi nous, tu nous aurais instruits plus parfaitement. Maintenant nous ne sommes chrétiens qu’à demi. Le démon a désolé notre pays, parceque nous ne savions pas suffisamment comment il faut avoir recours à Jésus »[258].

Un chef fit une harangue qui le toucha jusqu’aux larmes. « J’aime mes enfants plus que moi-même », lui dit-il. « J’en ai perdu deux depuis ton départ. Leur mort n’est pas ma plus grande douleur ; mais tu ne les as pas baptisés, et c’est ce qui me fait mourir. Il est vrai que je leur ai fait ce que tu m’as recommandé, mais je ne sais si je l’ai bien fait et si jamais je les verrai dans le ciel. Si tu les avais baptisés toi-même, je ne les regretterais pas, et ne serais pas triste de leur mort ; au contraire, j’en serais consolé. Du moins si, pour bannir ma tristesse, tu nous promettais de ne pas penser à Québec d’ici à dix ans et de ne pas nous abandonner pendant ce temps là, tu ferais voir que tu nous aimes et j’oublierais entièrement mon malheur »[259].

Un jeune homme, qui était venu de loin pour le rencontrer, l’étonna par ses admirables sentiments. « Je viens de bien loin », lui dit-il : « je n’ai pas coutume de paraître en ces quartiers. Il y a fort longtemps que quelqu’un, que je ne connais pas, me presse et me sollicite au fond du cœur de venir te trouver, et de faire ce que tu m’ordonneras. Me voici donc entre tes mains. Instruis-moi, et si je ne pratique pas ce que tu me diras, châtie-moi. Je te dirai tout ; mon cœur te sera ouvert, et tu y écriras ce qui est dans le livre de Jésus »[260].

Aussitôt que la nouvelle de l’arrivée du missionnaire fut portée dans les autres bourgades abénakises, on vint à lui de tous côtés pour le prier d’aller instruire les sauvages dans tout le pays. Il se rendit à ces invitations ; aussi, cette mission ne fut qu’une suite de voyages parmi les sauvages. Il visita douze à treize bourgades d’Abénakis, sur les rivières Kénébec et Pentagoët, et sur les côtes de l’Acadie. Il fut reçu partout comme un messager du ciel, et son cœur fut rempli de consolations.

Voici comment il exprime lui-même les joies et les consolations qu’il éprouva dans cette mission. « J’en ay ressenty de si grandes, qu’on ne les peut exprimer, voyant que la semence évangélique que j’avais jettée il y avait quatre ans, dedans des terres qui ne produisaient depuis tant de siècles que des ronces et des épines, portait des fruits dignes de la table de Dieu. Pourrait-on bien, sans ressentir un plaisir plus grand que celui des sens, voir des vieillards et des malades languissans mourir quasi de joye, ayant reçue leur passeport pour le ciel ? Leur peut-on fermer les yeux dans cette allégresse sans y participer ? La mort qui fait peur à tout le monde, réjouyt un sauvage nouvellement baptisé, et la foy de ses parens change leurs hurlemens et leurs grands cris en des actions de grâces et en des réjouissances de ce qu’ils se verront bientost les uns les autres en Paradis. Voilà comme se comportent les a vrais fidèles au jour de leur trespas »[261].

Lorsqu’il eût terminé les visites des bourgades, il retourna à sa mission de l’Assomption, d’où il partit aussitôt pour Boston, accompagné de Noël Negabamat. Il était chargé d’aller conclure avec les Anglais le traité d’alliance, dont il avait été question l’année précédente. Il portait une lettre des conseillers de Québec. Cette lettre, datée du 20 Juin 1651, donnait les raisons qui devaient engager les Anglais à conclure cette alliance contre les Iroquois. Dès son arrivée à Boston, le Père fut fort étonné de voir que l’opinion des Anglais à cet égard était complètement changée depuis un an. On lui signifia de suite que le Gouvernement aimait mieux renoncer à tous les avantages qu’il pourrait retirer de ce traité, que s’exposer à s’engager dans une guerre avec les Iroquois ; qu’en conséquence, les Algonquins du Canada et les Abénakis de Kénébec ne devaient pas attendre le secours qu’ils demandaient[262].

Ce refus irrita les Abénakis, augmenta la haine qu’ils avaient déjà contre les Anglais, et les engagea à se lier encore plus étroitement aux Français[263].

Le missionnaire retourna à Kénébec, où il passa le reste de l’hiver avec ses sauvages. À l’approche du printemps, il leur annonça son prochain départ pour Québec. Comme cette nouvelle les plongea dans la plus grande douleur, il leur dit, pour les consoler, qu’il était obligé d’aller rendre compte de sa mission, mais qu’il reviendrait au milieu d’eux[264].

Après avoir employé plusieurs jours à consoler et à instruire ces bons sauvages, à visiter et à baptiser les malades et les infirmes, il partit pour Québec, au commencement du mois de Mars, accompagné de quelques sauvages.

Ce voyage fut rempli de misères. La grande quantité de neige et d’autres difficultés rendirent la marche fort lente. Par suite de ce retardement, le voyage fut si long que les vivres manquèrent complètement. Quelques sauvages perdirent la vie dans les neiges. Le Père et son compagnon français pensèrent mourir de faim et de froid. Ils passèrent dix jours entiers sans prendre de nourriture. Enfin, ils s’avisèrent de faire bouillir leurs souliers et leurs camisoles, qui étaient de peaux de caribou. Lorsque la neige fut presqu’entièrement fondue, ils firent aussi bouillir les cordes et les tresses de leurs raquettes. Ces mets leur paraissaient de bon goût[265].

Après un pénible voyage de plus d’un mois, ils arrivèrent à Québec, le 8 Avril, à demi-morts d’épuisement. Le Père avait peiñe à marcher ; il était si amaigri qu’il ressemblait plutôt à un squelette qu’à un être vivant[266]. L’état d’épuisement où il était réduit le mit dans l’impossibilité de retourner à Kénébec, comme il l’avait promis à ses chers néophytes ; mais un autre Père Jésuite y fut immédiatement envoyé pour le remplacer[267].

Les P. P. Jésuites continuèrent leurs missions chez les Abénakis jusqu’en 1660. Nous voyons par leurs relations qu’à cette époque, 1660, la mission abénakise s’étendait depuis la rivière Saint-Jean jusqu’à celle des Sokokis, et comprenait les sauvages de la Nouvelle-Angleterre[268]. En effet vers ce temps, un missionnaire se rendit jusqu’à Boston et Plymouth pour évangéliser les sauvages ; mais cette mission fut sans succès. À cette époque, les sauvages étaient sans cesse en difficulté avec les Anglais. Entièrement absorbés par leurs projets de vengeance contre leurs ennemis, ils étaient peu disposés à recevoir l’instruction religieuse, Ceux qui étaient les amis des Anglais, étaient tellement imbus des erreurs de l’hérésie que le missionnaire ne peut rien faire avec eux.

En 1660, les irruptions des Iroquois forcèrent les P. P. Jésuites d’abandonner leurs missions abénakises. Les féroces Iroquois partaient alors de leurs cantons et se répandaient dans les forêts, qu’ils remplissaient pour ainsi dire jusque vers le bas du fleuve Saint-Laurent, semant partout sur leur passage la destruction et la mort, ce qui rendait le voyage au pays des Abénakis si dangereux que les P. P. Jésuites furent forcés d’y renoncer.


CHAPITRE TREIZIÈME.

les abénakis et les iroquois.

1661-1662.

En 1661, la rage et la cruauté des Iroquois semblèrent augmenter. Ils se jetèrent avec fureur sur les. Français et les sauvages du Canada, et semèrent la mort et la désolation dans tout le pays, au Sud comme au Nord du Saint-Laurent.

Dans le cours de l’hiver précédent, certains signes. vus dans l’air et quelques évènements extraordinaires avaient jeté l’émoi et l’épouvante parmi les habitants, qui étaient convaincus que ces choses pronostiquaient quelques grands malheurs. On vit d’abord une comète, que quelques uns considérèrent comme un signe de guerre ; puis, un tremblement de terre épouvanta les habitants de Montréal. Aux Trois-Rivières, on entendit des voix lamentables au-dessus de la ville. Aux environs de Québec, on vit dans l’air des canots enflammés[269]. On était partout convaincu que ces évènements annonçaient la guerre avec les Iroquois.

Vers la fin de l’hiver, un parti de cent soixante Iroquois tomba à l’improviste sur l’île de Montréal. Les habitants, surpris à leurs travaux et nullement préparés à la défense, prirent la fuite. La plupart purent s’échapper, mais treize d’entreux tombèrent entre les mains de l’ennemi. Le plus grand nombre de ces infortunés captifs furent impitoyablement massacrés, et les autres furent dispersés dans les bourgades d’Iroquois, pour y passer le reste de leurs jours, dans une servitude plus dure que la mort[270].

Cette expédition fut suivie, la même année, de quatre ou cinq autres, où les Iroquois firent chaque fois des prisonniers. De sorte que, pendant le cours de l’été suivant, les habitants de Montréal furent sans cesse exposés aux attaques de ces terribles ennemis.

La ville des Trois-Rivières ne fut pas épargnée. Quatorze français y furent faits prisonniers. Bientôt après, une trentaine de sauvages Attikamègues[271] et deux Français rencontrèrent, non loin de cette ville, quatre-vingts Iroquois, et se battirent vigoureusement avec eux. Ils purent soutenir cette lutte inégale pendant deux jours ; mais à la fin, ils succombèrent, accablés par le nombre.

Cependant, pas un seul d’entr’eux ne consentit à se rendre à l’ennemi, et tous préférèrent être ensevelis dans leur sang que dans les feux de ces cruels sauvages. Les femmes furent en cette occasion aussi courageuses que les hommes, et aimèrent mieux se faire tuer que de tomber entre les mains de l’ennemi[272].

Les Attikamègues étaient commandés dans cette rencontre par le fils de M. Godefroy. Ce jeune homme signala son courage par une longue et généreuse résistance. Il soutint l’attaque des Iroquois avec une hardiesse et une intrépidité propres à le faire croire invulnérable, se tenant toujours à la tête de ses sauvages, les encourageant par ses paroles et son exemple, tandis que les ennemis dirigeaient sur lui un feu continuel. Enfin, il tomba, couvert de blessures, pour mourir avec ses courageux compagnons. Un seul de ces malheureux put s’échapper, pour aller annoncer ce massacre aux Trois-Rivières[273].

Les Iroquois ne s’en tinrent pas là. Ils ravagèrent aussi les établissements du côté du Sud du Saint-Laurent, jusqu’en bas de Québec, et allèrent se mettre en embuscade dans l’île d’Orléans. M. de Lauzon partit alors de Québec pour aller les chasser de leur position, mais il ne put y réussir. Il fut tué avec ceux qui l’accompagnaient. Un seul homme de sa petite troupe put s’échapper pour aller annoncer à Québec cette triste nouvelle[274].

Tout le pays, depuis Tadoussac jusqu’à Montréal, fut pour ainsi dire bouleversé par ces cruels sauvages. Cent quatorze personnes, Français et sauvages, furent massacrées. Parmi ces victimes furent deux respectables ecclésiastiques de Montréal, M. M. le Maistre et Guillaume Vignal[275].

Cependant, la vengeance des Iroquois contre les Français n’était pas encore satisfaite. Ils résolurent de pénétrer jusqu’à la rivière Kénébec, pour aller y attaquer les Abénakis, parcequ’ils étaient les amis des Français.

Les Abénakis considéraient les Iroquois depuis longtemps comme des ennemis cruels et dangereux. Un grand nombre de leurs chasseurs ou voyageurs avaient été, en différents temps ; pillés et massacrés par eux ; mais jusqu’alors, ils n’avaient pas encore eu de guerres avec eux. Ils avaient vécu paisiblement dans leur patrie, qu’ils considéraient comme le plus beau pays du monde. En effet, les bords de la rivière Kénébec et des lacs de l’intérieur étaient si pittoresques que l’ensemble formait un charmant pays[276].

Il existait à ce sujet chez les Abénakis une ancienne et curieuse tradition, qui enseignait « que le Fils de Celui qui a tout fait ayant voulu se faire « sauvage », chercha par toute la terre une place digne de lui, afin de s’y fixer, et qu’ayant trouvé que le pays de Kénébec était le plus beau du monde entier, il s’y établit »[277].

Cette tradition, ridicule en apparence, est fort intéressante, puisqu’elle nous apprend que ces sauvages avaient une idée de l’Incarnation du Fils de Dieu avant leurs relations avec les Français. Peut-être avaient-ils puisé cette idée dans leurs rapports avec les Bretons, qui résidèrent en leur pays, parait-il, longtemps avant le voyage que Vérazzani y fit en 1524. Toutefois, une étude sur l’origine de cette idée serait fort intéressante.

Les Iroquois résolurent donc de porter leurs armes sur cette terre de délices, prétextant une insulte qu’ils avaient reçue des Abénakis. Quelque temps auparavant, voulant exiger une sorte de tribut de ces sauvages, ils leur avaient député trente des leurs, pour traiter de cette affaire. Les Abénakis, irrités d’une pareille exigence, tuèrent vingt-neuf de ces députés, s’emparèrent du dernier, lui coupèrent les lèvres, lui arrachèrent les cheveux et le renvoyèrent en cet état porter la nouvelle de ce qui s’était passé à l’égard de ses frères, avec ordre de dire à ses Chefs que tous les Iroquois auraient le même sort, s’ils persistaient dans leurs prétentions[278].

Les Iroquois, sous prétexte de venger cette insulte, armèrent un parti considérable de guerriers, et l’envoyèrent vers la rivière Kénébec.

Dans cette expédition, une bourgade abénakise, située dans le voisinage des Hollandais, fut entièrement détruite[279]. Les sauvages de cette bourgade, ayant déjà oublié les avis et les défenses du missionnaire, avaient acheté des Hollandais des boissons fortes, et s’étaient enivrés. Ils furent punis de cette faute sur le champ ; car ils étaient encore dans leur état d’ivresse lorsque les Iroquois tombèrent avec fureur sur eux. Incapables alors de se défendre, ils furent tous massacrés. Les femmes et les enfants furent brûlés. Un vieillard seul fut épargné, parcequ’il n’était pas ivre[280].

Les Iroquois retournèrent en leur pays très-satisfaits de ce succès, et emmenèrent ce vieillard en captivité. Ce bon sauvage, quoique captif, fut considéré parmi les Iroquois comme un homme vénérable, à cause de son grand âge et de sa sobriété. Après quelque temps de captivité, il fut par malheur rencontré par cinq ou six Iroquois ivres, qui s’emparèrent de lui et l’attachèrent à un poteau. Ces misérables lui firent endurer tous les tourments que la barbarie peut inventer, et il expira au milieu des plus horribles souffrances[281].

CHAPITRE QUATORZIÈME.

les abénakis, les français et les anglais.
— extermination des abénakis et des sokokis.
— leur émigration en canada.

1647-1680.


Razilli, gouverneur de l’Acadie, étant mort en 1647, ses possessions furent cédées à Charles d’Aulnay de Charnisay, qui fut nommé gouverneur. L’Acadie fut alors divisée entre Charles la Tour et lui, D’Aulnay alla s’établir à Pentagoët, et la Tour se fixa à la rivière Saint-Jean[282].

La mésintelligence se mit bientôt entre ces deux hommes, et leurs difficultés furent poussées si loin qu’ils se déclarèrent la guerre, au grand détriment de la colonie, parceque ces difficultés paralysaient tout progrès.

Ces difficultés furent aussi préjudiciables aux Abénakis, parcequ’elles mirent la division parmi eux. D’Aulnay avait beaucoup d’influence sur les sauvages de Pentagoët. Quoique sévère et dur, il se montrait bon à l’égard des sauvages ; ceux-ci, en retour, le respectaient, ce qui les engagea à embrasser son parti. De son côté, la Tour, qui avait été élevé dans le pays, au milieu des sauvages, se fit des amis parmi ceux de la rivière Saint-Jean[283].

Jusqu’alors ces sauvages avaient toujours sympathisé entr’eux et vécu en bonne intelligence. Mais alors, embrassant le parti de leurs Chefs français, ils se trouvèrent divisés, et se virent bientôt dans la triste nécessité de prendre les armes les uns contre les autres, ce qui causa entre les Etchemins et les Pena8ôbskets une haine qui dura plusieurs années. Les. Abénakis de la rivière Kénébec ne prirent aucune part à ces difficultés.

D’Aulnay eut d’abord l’avantage sur la Tour, quoique celui-ci fût aidé par les Anglais de la Nouvelle-Angleterre ; mais il ne jouit pas longtemps de ses conquêtes et des concessions qu’il obtint de la Cour de France. Il mourut en 1650, trois ans après avoir été nommé gouverneur de l’Acadie.

La Tour passa alors en France, et, après s’être justifié un peu de sa conduite à l’égard d’Aulnay, il fut nommé gouverneur de l’Acadie, en 1651. Cette nomination ne rétablit pas la paix dans Acadie. Emmanuel le Borgne s’empara de la succession d’Aulnay, et entreprit de chasser la Tour de l’Acadie[284].

En 1654, les Anglais profitèrent de l’état de faiblesse où ce pays était réduit, par suite de ces luttes intestines, pour l’attaquer. Ils s’emparèrent de la majeure partie, qu’ils conservèrent pendant treize ans[285].

Ce fut pendant que les Anglais jouissaient de cette conquête que les P. P. Jésuites et les P. P. Capucins laissèrent l’Acadie[286]. À cette époque, les Anglais étaient plus que jamais remplis de préjugés contre les catholiques, qu’ils considéraient comme des idolâtres. On voit que lorsque la Tour alla à la Nouvelle-Angleterre demander du secours contre d’Aulnay, on hésita beaucoup à Boston à accéder à sa demande, parcequ’il était catholique. On prétendit qu’il n’était pas permis de secourir des idolâtres, et il s’éleva de grands débats dans le Gouvernement à ce sujet[287].

La tolérance religieuse n’était pas alors admise dans la Nouvelle-Angleterre. On voit encore aujourd’hui dans les annales de Plymouth et de Boston les traces des persécutions qui furent alors suscitées contre les catholiques. Ainsi, on y voit qu’en 1647 le Gouvernement de Boston défendit aux Jésuites et à tout ecclésiastique, « ordonné par l’autorité du Pape de Rome, » d’entrer dans les limites de la juridiction du Massachusetts, sous peine de bannissement, pour la première contravention, et de mort, pour la seconde.

Ainsi, les Anglais de la Nouvelle-Angleterre considéraient alors les religieux et les ecclésiastiques comme des hommes dangereux et des fanatiques, qui devaient être chassés de leur pays.

Avec des maîtres si fanatiques et si intolérants la position des religieux de l’Acadie n’était plus tenable, et ils furent forcés de s’éloigner.

Le départ des P. P. Jésuites plongea les sauvages dans le deuil. Ils en attribuèrent justement la cause aux Anglais ; alors de graves mécontentements s’élevèrent parmi eux contre ces nouveaux maîtres de leur pays.

En 1667, lors de la restauration des Stuart, cette partie de l’Acadie, qui avait été enlevée par les Anglais, fut restituée aux Français, par le traité de Bréda, et M. Hubert d’Andigny Chevalier de Grand-Fontaine fut nommé gouverneur de ce pays[288].

C’est de cette époque seulement que datent les progrès suivis de cette colonie. Avant ce temps, elle avait sans cesse été troublée par les luttes des seigneurs aventuriers, qui se disputaient ce territoire. Dans ces difficultés interminables, ces aventuriers ruinaient les colons, arrêtaient complètement les progrès de l’agriculture, et finissaient par se ruiner eux-mêmes.

Mais lorsque M. de Grand-Fontaine fut nommé gouverneur, et que ces seigneurs aventuriers furent chassés de la colonie, on commença de suite à y voir de véritables progrès. Aussi, dès 1671, le nouveau gouverneur s’aperçut, par un recensement qu’il fit faire, que sa colonie avait déjà progressé[289].

Les colons, n’étant plus exposés à se voir ruiner par les guerres de leurs seigneurs, purent se livrer sérieusement à l’agriculture. Appuyés sur le secours des Abénakis, leurs alliés inséparables et leurs parents par les femmes, et instruits par leur longue expérience du pays, ils purent enfin surmonter les obstacles qui retardaient leur établissement depuis plus de cinquante ans.

Mais cette petite colonie, ne comptant alors que quatre cents habitants français, abandonnée à ses seules ressources, et sans cesse en guerre contre les puissantes colonies de la Nouvelle-Angleterre, ne pouvait pas aller bien loin en fait de progrès. Cependant, elle fit plus qu’on ne pouvait espérer. Les colons, par leur isolement presque complet et par la nécessité où ils se trouvaient de se défendre, avaient contracté une humeur guerrière, qui les rendait fort redoutables aux Anglais. Aidés des Abénakis, ils attaquaient leurs ennemis sur mer comme sur terre, et rapportaient souvent un riche butin[290].

Jusqu’à cette époque, ces colons n’étaient guère qu’un composé de pêcheurs, de soldats et d’aventuriers de toutes sortes. Comme il n’y avait que peu de femmes européennes parmi eux, la plupart se mariaient à des sauvagesses. On vit des unions d’Acadiens avec des Abénakises même après l’année 1700. Ces colons allaient s’établir au milieu des sauvages, adoptaient leur manière de vivre, les accompagnaient dans leurs excursions de chasse, de pêche, et finissaient par trouver tant de charmes dans cette vie aventureuse qu’ils passaient le reste de leurs jours dans les forêts[291]. Des colons même assez remarquables contractèrent de semblables unions et menèrent cette vie d’aventures. Ils établirent des villages, y réunirent des sauvages autour d’eux, et y vécurent comme des souverains, jouissant de la plus grande influence sur leurs sauvages, les conduisant et les commandant dans les guerres contre les Anglais[292].

L’un des plus remarquables parmi ces aventuriers fut le Baron de Saint-Castin, capitaine au régiment de Carignan. Saint-Castin était Béarnais. Après le licenciement de son régiment, il laissa le Canada, vers 1679, et alla, à travers les forêts et les montagnes, s’établir au milieu des rochers de Pentagoët. Il réunit autour de lui un grand nombre d’Abénakis, et épousa la fille du grand Chef de ces sauvages.

La vie aventures lui plaisait tellement que l’on peut dire qu’il s’estima heureux dans son fort de Pentagoët. Il put goûter parmi les Abénakis l’entière satisfaction d’une vie de voyages, d’embuscades, de pillages, de combats et de dangers. Il était brave, courageux, doué d’une force remarquable, adroit à tous les exercices du corps, et jouissait, en outre, d’un esprit d’entreprise et de ressources fort remarquable. Ces qualités et la grande affection qu’il avait pour les Abénakis le rendirent l’idole de ses hôtes sauvages.

Sa réputation se répandit rapidement dans l’Acadie et dans la province de Sagadahock, et son influence auprès des sauvages devint considérable. À l’appel de ce Chef vénéré, les sauvages prenaient les armes et venaient, de toutes parts, se réunir au fort de Pentagoët, pour aller courir sus aux Anglais[293].

Saint-Castin recula les Anglais pendant tout le temps qu’il demeura parmi les Abénakis : il paralysa, pour ainsi dire, pendant trente ans la colonisation anglaise au Maine, et empêcha les empiètements sur les terrains des sauvages. Aussi, chaque page des chroniques puritaines de cette époque est remplie d’imprécations contre ce terrible ennemi[294].

Saint-Castin demeura à Pentagoët jusqu’en 1708, où il repassa en France, pour y recueillir un héritage qui lui était échu à Béarn, laissant son fort et ses entreprises à son fils aîné, qu’il avait eu de sa femme sauvage. Il ne revint plus à Pentagoët, et mourut à Béarn en 1722.

Le jeune Saint-Castin se montra le digne successeur de son père, du moins quant à sa bonne volonté, et lutta courageusement contre les Anglais. Cantonné, tantôt sur la rivière Pentagoët, tantôt sur celle de Kénébec, il rassemblait les Abénakis, poussait des pointes dans les établissements anglais et y causait de graves dommages. Mais il manquait de l’habileté, de l’audace : et surtout de la bonne fortune de son père.

Plusieurs années après la prise de Port-Royal par Nicolson, les Anglais devenus maîtres de l’Acadie, le vainquirent. En 1722, il fut fait prisonnier et jeté dans les cachots de Boston. Quelque temps après, craignant son évasion, on l’envoya en Angleterre, où il eut la bonne fortune de s’échapper. Il passa alors en France, et arriva à Béarn assez tôt pour recueillir l’héritable de son père, qui venait de mourir. Il revint en Acadie en 1631, et mourut au milieu des sauvages, dans un âge assez avancé[295].

Ainsi, l’on voit qu’à l’époque de l’établissement du Baron de Saint-Castin à Pentagoët, les Abénakis avaient de fréquentes difficultés avec les Anglais. Leur haine contre ces injustes ennemis augmentait toujours. Les mauvais traitements qu’ils en avaient reçus de tout temps, les empiétements sur leurs terrains, le refus de les secourir contre les Iroquois, et surtout tant de guerres injustes contre leurs alliés, les Français et leurs frères de la Nouvelle-Angleterre, les avaient irrités depuis longtemps. Mais ils n’avaient pas encore osé se lever en masse contre la colonie de Sagadahock.

En 1676, cette haine, si longtemps étouffée, éclata : enfin. Voici à quelle occasion,

Depuis plusieurs années, des navigateurs Anglais venaient jeter l’ancre à l’embouchure des rivières Pentagoët et Kénébec, trompaient les sauvages par un commerce frauduleux, et leur causaient des dommages considérables[296]. Cette injustice mit le comble à la haine des Abénakis, et fit éclater, en 1676, l’orage qui menaçait la colonie de Sagadahock depuis un grand nombre d’armées.

Les sauvages, encouragés par leurs Chefs Français, se levèrent comme un seul homme, et tombèrent avec fureur sur les établissements anglais. « Près de la moitié de ces établissements furent détruits en détail »[297]. La plupart des habitants furent tués ou emmenés en captivité.

Le Gouvernement de Massachusetts, effrayé d’un pareil désastre, invita alors les Iroquois à venir faire la guerre aux Abénakis[298]. Mais ces sauvages, étant alors en paix avec les Français, n’osèrent marcher contre les alliés de ceux-ci, et, en conséquence, n’acceptèrent pas cette invitation.

En 1678, les Anglais se virent forcés de conclure avec les Abénakis un traité de paix, tout à l’avantage de ces sauvages. Chaque Anglais de Sagadahock était obligé de leur payer un tribut[299]. Mais ce traité fut absolument inutile, car la paix était devenu impossible entre les Abénakis et les Anglais. Aussi, dès l’année suivante, les sauvages recommencèrent leurs hostilités.

Alors le Gouvernement de Massachusetts résolut d’exterminer cette nation ennemie. Il envoya pour cette fin six compagnies de troupes, sous le commandement des majors Wallis et Bradford[300].

La première rencontre des troupes avec les Abénakis eut lieu, le 2 Novembre, à Newchewannick[301], établissement anglais situé sur la rivière Kénébec, à quelques milles de la mer. Un parti de 700 à 800 sauvages, Abénakis et Sokokis tomba sur ce village, ne s’attendant pas à y rencontrer des troupes. Il s’en suivit un terrible combat. Les sauvages attaquèrent vigoureusement les troupes, et, après une longue lutte, les chassèrent du village. Les Anglais, irrités de cet échec, se rallièrent et attaquèrent les sauvages avec la détermination de vaincre ou mourir. Ce second combat dura deux heures. Les Anglais eussent certainement été défaits n’eût été une ruse de Bradford. Lorsqu’il vit que ces troupes commençaient à reculer, il envoya, par un long détour, une compagnie de cavalerie attaquer les sauvages par derrière. Alors ceux-ci, pressés par les chevaux et se croyant attaqués par un renfort de troupes considérable, prirent la fuite. Dans cette rencontre, les sauvages perdirent près de 200 guerriers, et les Anglais, plus de la moitié de leurs troupes[302].

Les sauvages, pour se venger de cette défaite, détruisirent, dans le cours du mois de Novembre, le village de Casco et plusieurs habitations sur la rivière du même nom.

Alors Bradford, ayant reçu de Boston un renfort de troupes, marcha de nouveau contr’eux. Il arriva, le 1er Décembre, à la rivière Kénébec, près de endroit où ils étaient campés, et les attaqua, le 3. Les sauvages, au nombre de 800 à 900, se défendirent vigoureusement et firent un grand ravage parmi les troupes. La victoire demeura longtemps douteuse et incertaine. Enfin, après un long et rude combat, les Anglais commencèrent à reculer. Bradford, voyant qu’il était battu, eut encore recours à une ruse, qui le sauva et perdit complètement les Abénakis. Il avait mis en réserve une compagnie d’infanterie. Lorsqu’il s’aperçut que ses troupes faiblissaient, il lança impétueusement cette compagnie sur les sauvages. Ceux-ci, effrayés par cette attaque inattendue, prirent la fuite. Les soldats les poursuivirent longtemps, et en firent un affreux carnage. Plus de 700 sauvages furent tués ou blessés mortellement[303].

Ainsi les Abénakis de Kénébec et les Sokokis perdirent dans ces deux rencontres près de 1000 guerriers. Alors, ils furent forcés de mettre bas les armes.

Quelques uns d’eux se soumirent aux Anglais ; d’autres se réfugièrent vers leurs frères de Pentagoët et de l’Acadie ; mais la plupart émigrèrent en Canada, où ils rejoignirent les quelques familles de Patsuikets (Sokokis), qui y avaient aussi émigré la même année, après leur défaite sur la rivière Merrimack[304].

C’est ainsi que les Abénakis et les Sokokis commencèrent à émigrer en Canada, dans le cours du mois de Décembre 1679.



SECONDE ÉPOQUE 1680-1760.

CHAPITRE PREMIER.

les abenakis en canada et en acadie — guerre contre les iroquois — expéditions dans la nouvelle-angleterre et la nouvelle-york — traité de paix avec les iroquois.

1680-1701.


Les premiers émigrants abénakis arrivèrent en Canada dans un temps de paix. Les Iroquois avaient mis bas les armes depuis quinze ans, et vivaient en bonne intelligence avec les Français. Cependant, un nouvel orage commençait à se former du côté de ces barbares. L’influence du voisinage des Anglais se faisait de plus en plus sentir parmi eux. Le colonel Thomas Dungan, gouverneur de la Nouvelle-York, était sans cesse occupé à les rallier aux intérêts des Anglais. Ceux-ci vendaient leurs marchandises à meilleur marché que les Français, et payaient les fourrures beaucoup plus cher qu’eux. Dungan faisait valoir habilement auprès des sauvages ce motif de commerce, et les attirait vers lui par ce moyen. Il était clair qu’il allait bien vite s’emparer de toute la traite de ces contrées.

Le Comte de Frontenac, gouverneur du Canada, prévoyant que cette nouvelle difficulté ne pourrait être règlée que par une guerre, et qu’il aurait alors besoin du secours des Abénakis, reçut les premiers émigrants avec bienveillance, et leur permit de s’étendre sur le territoire situé au Sud du fleuve St. Laurent, depuis la rivière Chaudière à celle des Iroquois[305]. Un certain nombre de ces sauvages se répandirent alors sur les rivières Chaudière, Etchemin[306] et des Abénakis[307], et les autres, parmi lesquels étaient les Sokokis, allèrent se fixer dans les environs des Trois-Rivières, sur les rivières qui furent appelées plus tard « Bécancourt et Saint-François »[308]. Dès lors, tout le territoire qui s’étendait, d’un côté, depuis la rivière Chaudière à celle des Iroquois, et de l’autre, depuis le fleuve Saint-Laurent à la Nouvelle-Angleterre, fut considéré comme appartenant à ces sauvages. C’est ce qui explique les prétentions qu’ils eurent, plus tard, sur la partie Nord du territoire, connu aujourd’hui sous le nom de New-Hampshire, lorsque les Anglais voulurent y faire de nouveaux établissements, comme nous le verrons.

La même année, ou la suivante, les P. P. Jésuites réunirent à Saint-Joseph de Sillery un certain nombre de ces sauvages, et formèrent, avec ceux qui y étaient déjà[309], une mission abénakise de 500 à 600 âmes. En 1683, ils établirent sur la rivière Chaudière une autre mission abénakise plus considérable, qu’ils appelèrent Saint-François de Sales[310].

En 1682, la guerre avec les Iroquois paraissait imminente. Des difficultés survenues entre le commandant de Michillimackinac et ces sauvages, les avaient presqu’entièrement détachés des Français. Le comte de Frontenac, quoique sans cesse occupé à conserver leur commerce et à éviter une rupture avec eux, n’y parvenait, malgré sa grande habileté, qu’à force de présents. Ces sauvages, recherchés à la fois par les Français et les Anglais, étaient devenus prétentieux. Les Anglais flattaient leur orgueil, en vantant leur courage, et leur promettaient des secours, ce qui leur donnait une audace sans bornes. Aussi, des conférences que le gouverneur eut avec leurs ambassadeurs n’eurent aucun bon résultat.

Dans ces circonstance critiques, la Cour de France fut obligée de rappeler le Comte de Frontenac, par suite de regrettables difficultés qu’il avait avec Monseigneur de Laval, les Sulpiciens et le gouverneur de Montréal. Frontenac, colère et violent, traitait avec hauteur tous ceux qu’il considérait comme ses ennemis. C’est ce qu’il fit fort injustement à l’égard du vénérable évêque de Québec et des Sulpiciens de Montréal.

Il fut remplacé par M. Lefebvre de la Barre.

Aussitôt après son arrivée à Québec, le nouveau gouverneur, effrayé de la guerre qui menaçait le pays, convoqua une assemblée des notables, pour délibérer sur les moyens à prendre, afin d’éviter un tel malheur[311]. Dans un danger si imminent, il fut décidé de demander du secours à la France. Mais Louis XIV n’eut alors que 200 soldats à envoyer à Québec, pour protéger un pays quatre fois plus grand que la France ! Il informa cependant M. de la Barre qu’il s’était adressé à la cour d’Angleterre pour l’engager à empêcher ses colonies de soulever les sauvages contre le Canada, et que Charles II avait en conséquence ordonné au gouverneur de la Nouvelle-York d’entretenir la bonne intelligence avec les Français[312].

Mais cet ordre n’empêcha pas Dungan de continuer à exciter les Iroquois contre le Canada. Bientôt, il parvint à les engager à déclarer la guerre aux Illinois, alliés des Français.

À cette nouvelle, M. de la Barre envoya, au commencement de Février 1684, un messager auprès des Onnontagués. Ce député arriva à Albany la veille du jour où les sauvages devaient partir pour l’expédition projetée. Il fut bien reçu par eux, mais il ne put réussir à les appaiser. Un Chef iroquois lui répondit avec hauteur et fierté : « Nous ne nous sommes pas éloignés de nos routes. Mais lorsqu’Ononthio[313], le Chef du Canada, nous menace de la guerre, fuirons-nous ? Resterons-nous dans nos maisons ? Nos chasseurs de castor sont braves, et le chasseur de castor doit être libre »[314].

À peine le messager de M. de la Barre se fut-il retiré, qu’une armée d’Iroquois se mit en marche contre les Illinois. Cette armée était destinée à s’emparer du fort Saint-Louis. Les Iroquois rencontrèrent sur leur route quatorze Français, qui allaient faire la traite avec les Illinois et qui ne s’attendaient pas à cette rencontre ; ils les firent prisonniers, leur enlevèrent des marchandises pour la valeur de 15,000 francs, puis continuèrent leur route vers le fort Saint-Louis, qu’ils croyaient enlever par surprise, Mais ils furent vivement repoussés par les Français, qui y stationnaient, et se retirèrent, après avoir perdu un grand nombre de leurs guerriers[315].

Alors le gouverneur résolut d’aller punir ces sauvages. Il invita pour cette expédition les Abénakis, qui consentirent volontiers à s’unir aux autres alliés, Algonquins, Hurons et Iroquois chrétiens. Plus de 100 guerriers abénakis partirent immédiatement de Sillery, de la rivière Chaudière et des environs des Trois-Rivières, pour aller rejoindre à Montréal l’armée de l’expédition. Le gouverneur partit pour le lac Ontario, le 6 Juillet, avec une armée de 600 Canadiens, 400 sauvages et 300 hommes de garnison. Il était accompagné de M. de Bécancourt. À peine fut-il rendu au lac Ontario, que les exhalaisons malsaines des marais du voisinage causèrent dans son armée des fièvres, qui s’y propagèrent tellement qu’elles la rendirent bientôt incapable de combattre. Il se trouva alors dans l’obligation de demander la paix aux sauvages qu’il voulait combattre. Après quelques débats entr’eux, ces sauvages consentirent à la paix, avec la condition que les Illinois ne seraient pas compris dans ce traité de paix, et que l’armée française partirait dès le lendemain[316]. Un Chef iroquois prononça alors la harangue suivante : « Ononthio a été notre père depuis dix ans ; et depuis longtemps Corlaer[317] a été notre frère ; mais c’est parceque nous l’avons voulu. Ni l’un ni l’autre est notre maître. Celui qui a fait le monde nous a donné cette terre que nous foulons. Nous sommes libres. Vous nous appelez sujets. Nous, nous disons que nous sommes frères. Nous devons prendre soin de nous-mêmes. J’irai à mon père parcequ’il est venu à ma porte, et parcequ’il désire me dire des paroles raisonnables. Nous embrasserons la paix au lieu de la guerre. La hache sera jetée dans une eau profonde »[318].

Le gouverneur fut forcé d’accepter ce disgracieux traité, laissant ses alliés à la merci de leurs ennemis.

Comme nos historiens ne parlent point de la présence des Abénakis dans cette expédition, nous allons prouver qu’ils en firent partie. Voici ce qu’écrivait à ce sujet, en 1684, le P. Jacques Bigot, alors missionnaire de ces sauvages sur la rivière Chaudière.

Le Père, après avoir raconté un accident où il faillit périr en remontant la rivière pour se rendre à sa mission, ajoute : « Le canot qui nous secourut fut celuy de Monsieur le Général envoyé à l’Acadie promptement pour y porter ses présents et inviter tous les Abnaquis qui restent à l’Acadie pour se venir joindre à ceux que nous avons icy, et à aller en guerre avec les François contre les Iroquois. On vous escrit d’ailleurs l’estat où sont les choses qui concernent nostre mission qui va probablement s’augmenter extrêmement par la venue des gens qui viendront en guerre et seront accompagnez de leurs femmes et enfans. Ceux qui sont partis ce matin, 6 Juin, pour les inviter à venir en guerre sont nostre Dogique Etienne Nek8teneant[319], et deux de ses frères qui sont tous trois des plus braves que nous ayons icy, et pour la piété et pour le courage.

« On fait beaucoup espérer à nos sauvages si le tout réussit, et tous les plus considérables François du pays disent qu’on attend plus du courage et de la fidélité des Abnaquis que du secours de tous les autres sauvages nos alliez[320]

« Je ne scay si j’accompagneray mes sauvages à la guerre, mais je vois bien, soit que j’y aille soit que je demeure icy, que je ne manqueray pas d’occupation : celle que j’ay maintenant, outre les instructions ordinaires et les visites de nos cabanes et de nos champs, est de les faire travailler à ce que leur ordonne Monsieur le Général et à chercher des vivres[321].

« La pluspart des premiers arrivez sont allez en guerre, nous en avons icy encore une trentaine qui attendent les premiers ordres de Monsieur le Général pour l’aller joindre : il y a plus de soixante des gens de nostre mission qui sont avec luy : je n’y en ay point envoyé qui n’ait plus de vingt ans parcequ’on m’avait prié de n’envoyer point de bouches inutiles.

« Monsieur le Général a témoigné à nos sauvages une estime particulière d’eux. Il leur dit qu’il ne vouloit d’abord que des Abnaquis, dont il estoit assuré du courage et de la fidélité pour le dessein qu’il avait d’envoyer faire quelque découverte sur l’Iroquois, il ne prit pour ce premier dessein que trente de nos gens avec 200 François ; le reste partit quelques jours après ; nous en attendons encore tous les jours de l’Acadie avec ceux qui sont icy : on n’a pas eu de l’Acadie tout le monde qu’on attendoit. Monsieur de Saint-Castin à qui Monsieur le Général avoit fait adresser les ordres et les présens pour inviter les Abnaquis de l’Acadie de se venir joindre à ceux de nostre mission, a esté fort molesté de l’Anglois qui l’a sommé trois fois cet hiver de quitter le poste de Pentagoët où il est. Cela à ce qu’il escrit icy l’empesche de venir avec les sauvages qu’on souhaitoit de ce costé là »[322]

« Tous ceux qui sont arrivez de l’Acadie avec les nostres ont tesmoigné une passion furieuse de donner sur l’Iroquois, et on m’escrivoit il y a deux jours de Montréal que tout le monde estoit extrêmement content de nos gens On me dit hier, onzième Aoust, que nos Abnaquis avoient desjà grande réputation en France »[323]

« Ny mon frère[324] ny moy n’avons suivy les sauvages à la guerre : il a quelque occupation à la mission des Iroquois du Sault qu’on a jugez plus nécéssaire et pour moy on ne m’a pas voulu faire quitter un sy grand nombre de sauvages qui restent icy pour aller avec environ 100 guerriers qui sont en tout les Abnaquis et les Soquoquis qui sont allez d’icy[325].

 

« Ce 27 Septembre, il y a près de trois semaines qu’il nous a fallu changer quasy tout l’ordre du jour de nostre mission pour nous occuper à instruire et soulager les malades qui sont de retour de la guerre[326]. Il n’y en a qu’un ou deux de tous ceux qui ont accompagnez Monsieur le Général qui n’ait pas esté attaqué d’une fièvre venimeuse qui tient icy tous les autres dangereusement malades[327]……

« Monsieur le Général et tous les principaux François aussy bien que nos Pères qui avoient accompagné l’armée ont tesmoigné qu’ils avoient esté surpris de la manière chrestienne dont s’estoient comportez tous nos Abnaquis, et de la ferveur admirable qu’ils faisoient paroistre tous les jours à faire plusieurs fois leurs prières. On attendoit beaucoup d’eux à ce que tout le monde me dit, et un de nos Pères m’a ajousté que dans le traité de paix qu’on a fait, les Iroquois avoient tesmoigné l’estime qu’ils faisoient du courage des Abnaquis. À leur retour j’entendois dire de tous costez dans Kébec qu’il falloịt les soulager dans leurs maladies, et qu’on pouvoit beaucoup attendre d’eux »[328].

Ainsi, l’on voit, par ces extraits d’un document de la plus grande authenticité, que les Abénakis des environs de Québec et des Trois-Rivières prirent part à l’expédition de 1684 contre les Onnontagués. On voit aussi que, de tous les alliés, ces sauvages étaient non seulement les plus dociles à la voix de Dieu, mais encore les plus fidèles aux Français, et les plus courageux dans les combats. Ils étaient aussi inébranlables dans leur attachement pour leurs alliés qu’indomptables sur le champ de bataille. Aussi, le gouverneur du Canada, dans toutes ses expéditions, soit contre les Iroquois, soit contre les Anglais de la Nouvelle-Angleterre ou de la Nouvelle-York, ne manqua jamais d’avoir sa troupe de guerriers abénakis, pour encourager les autres par leur exemple. Partout, dans la marche comme dans les combats, ces sauvages étaient toujours à la tête des autres. Ils faisaient toujours partie de l’avant-garde de l’armée, et combattaient aux premiers rangs.

La nouvelle du disgracieux traité avec les Onnontagués parvint bientôt en France. Alors le rappel de M. de la Barre fut décidé ; et l’année suivante, 1685, le Marquis de Denonville fut envoyé pour le remplacer.

On avait spécialement recommandé au nouveau gouverneur de protéger les alliés, que M. de la Barre avait négligés, d’abattre l’orgueil des Iroquois, et de les soumettre ; mais ces sauvages, ne mettant plus de bornes à leur insolence, méprisèrent ces recommandations, et se moquèrent des Français.

Denonville, voyant qu’il n’avait pas assez de forces pour réduire ces fiers ennemis, demanda des secours à la France, et proposa en même temps de bâtir un fort à Niagara, représentant au Ministre que ce nouveau fort et celui de Frontenac rendraient le Canada maître des lacs, en temps de guerre comme en temps de paix[329].

La demande et les suggestions du gouverneur furent approuvées en France, et au printemps de 1687, on lui envoya 800 hommes de troupes, avec des secours pour bâtir un nouveau fort à Niagara. Alors, il organisa de suite son armée pour marcher contre les Iroquois. Il envoya des députés chez les Abénakis, pour les inviter à prendre part à cette expédition. La population de ces sauvages avait augmenté depuis trois ans ; car un grand nombre de familles abénakises avaient quitté l’Acadie, pour venir s’établir à la mission de la rivière Chaudière et embrasser le christianisme. Tous ces sauvages « témoignaient une passion furieuse de donner sur l’Iroquois » ; aussi reçurent-ils l’invitation du gouverneur avec une grande joie. Comme leur population avait augmenté, un plus grand nombre qu’en 1684 purent aller en guerre. Environ 250 guerriers, y compris ceux des environs des Trois-Rivières, prirent immédiatement les armes, et se rendirent à Montréal, pour y rejoindre l’armée de l’expédition.

Denonville commença ses démarches contre les Iroquois par un acte d’injustice, qui déshonora le nom français aux yeux de ces sauvages. Ceux-ci, à la demande de leur missionnaire, le P. Lamberville, avaient envoyé quelques uns de leurs Chefs à Cataracoui ; le gouverneur fit ces Chefs prisonniers et les envoya en France chargés de chaînes[330]. Cette injustice irrita les sauvages, et ne servit qu’à augmenter leur fierté et leur insolence. On craignit beaucoup pour les jours du P. Lamberville, mais il fut sauvé par la générosité de quelques Chefs, qui, convaincus qu’il n’avait pris aucune part à cette insulte, le firent conduire en lieu de sûreté, par des routes détournées, « On ne saurait disconvenir », dirent-ils alors au Père, « que toutes sortes de raisons ne nous autorisent à te traiter en ennemi, mais nous ne pouvons nous y résoudre. Nous te connaissons trop pour n’être pas persuadés que ton cœur n’a pas eu de part à la trahison que tu nous as faite ; et nous ne sommes pas assez injustes pour te punir d’un crime, dont nous te croyons innocent, que tu détestes sans doute autant que nous, et dont nous sommes convaincus que tu es au désespoir d’avoir été l’instrument. Il n’est pourtant pas à propos que tu restes ici, tout le monde ne t’y rendrait peut-être pas la justice que nous te rendons, et quand une fois notre jeunesse aura chanté la guerre, elle ne verra plus en toi qu’un perfide, qui a livré nos Chefs à un rude et indigne esclavage, et elle n’écoutera plus que sa fureur, à laquelle nous ne serions plus les maîtres de te soustraire »[331].

Ce fut un Iroquois du nom de Garankonthié qui fut le principal auteur d’un procédé si noble. Ce sauvage était fort attaché au P. Lamberville, qui, de son côté, le regarda depuis comme son libérateur.

Cependant, Denonville se mit en marche pour son expédition, le 11 Juin 1687. Son armée, montée sur 200 berges et 200 canots, était composée de 832 soldats, environ 1000 Canadiens et 400 sauvages. Il alla établir son campement au lac Ontario, où il fut bientôt rejoint par un renfort de 600 hommes, venant du Détroit. Après quelque temps de repos, il se remit en marche, à la recherche des ennemis. Son armée souffrit beaucoup de la chaleur et des grandes fatigues d’une pénible marche, à travers le pays marécageux des environs du lac Ontario. Les Abénakis, accoutumés à de pareilles fatigues, montrèrent plus de vigueur que les autres. Ils étaient d’ailleurs encouragés par l’espoir de se rencontrer bien vite avec leurs plus grands ennemis, et de pouvoir enfin satisfaire les désirs de vengeance qu’ils nourrissaient contr’eux depuis tant d’années. Ils formaient l’avant-garde de l’armée, avec quelques Canadiens et sauvages alliés, et devançaient les autres de beaucoup. Cependant, comme ce pays, entrecoupé de montagnes, de marais et de ruisseaux, était très-favorable aux embuscades, ils s’avançaient avec prudence et précaution, afin de n’être pas surpris par l’ennemi. Malgré ces précautions, ils furent attaqués à l’improviste.

Un prisonnier iroquois, ayant pu s’échapper des mains des Français, était allé annoncer à ses frères la nouvelle de l’approche de l’ennemi. Alors, les Tsonnonthouans, après avoir incendié leur village, partirent, au nombre de 800, et allèrent se placer en embuscade sur la route de l’armée française. 500 se cachèrent dans un marais rempli d’herbes fort hautes et 300 se placèrent dans un ruisseau. Ces derniers devaient laisser passer les ennemis, puis les attaquer subitement par derrière, afin de les jeter dans la seconde embuscade.

Les Abénakis arrivèrent à la première embuscade bien avant le corps de l’armée. Les Iroquois, prenant l’avant-garde des Français pour leur armée entière, poussèrent le cri de guerre, et se jetèrent sur elle avec fureur. À cette attaque inattendue, la plupart des alliés se découragèrent et prirent la fuite. Mais les Abénakis tinrent ferme[332]. Aidés des Canadiens, ils combattirent vigoureusement, ne cédèrent pas un pouce de terrain, et résistèrent à cette impétueuse attaque jusqu’à l’arrivée d’un secours. Au plus fort de la mêlée, un détachement de Canadiens arriva au pas de course. Alors les Iroquois épouvantés, s’enfuirent vers ceux qui étaient cachés dans le marais ; ceux-ci, saisis à leur tour d’une terreur panique, prirent aussi la fuite. Quarante-cinq Iroquois furent tués en cette rencontre et environ soixante furent blessés. La perte des Français fut peu considérable[333].

Ainsi, il est bien évident que l’avant-garde de l’armée française fut sauvée en cette rencontre par le courage et la vigueur des Abénakis. Par leur héroïque intrépidité en faisant face aux Iroquois dans ce moment de si grande surprise, ils épargnèrent aux Français une perte considérable, et assurèrent le succès de l’expédition.

Denonville, craignant de tomber dans de nouvelles embuscades, établit son campement de nuit sur le champ de bataille.

Les sauvages passèrent la plus grande partie de cette nuit dans les réjouissances. Ils se saisirent des corps des Iroquois, tombés dans le combat, les mirent en pièces, et en firent un horrible festin[334] ; puis, ils dansèrent et chantèrent jusqu’à une heure fort avancée de la nuit[335]. Mais les Abénakis ne prirent aucune part à cet horrible festin, car, comme l’observent la plupart des auteurs français, entr’autres le P. de Charlevoix, ils n’ont jamais été anthropophages, ainsi que les Micmacs[336].

Le lendemain, Denonville se rendit au village incendié des Tsonnonthouans. Il n’y trouva pas un seul de ces sauvages, car ils avaient pris la fuite. Ce village était avantageusement placé sur une montagne, dont le sommet était couronné de nombreuses tours, remplies de maïs, que les sauvages n’avaient pas eu le temps de détruire. Les Français demeurèrent dix jours en cet endroit, et les Abénakis purent jouir pendant ce temps du plaisir de ravager les terres de leurs ennemis. Tout fut détruit : le maïs fut brûlé[337], et les animaux furent tués.

Les Abénakis demandèrent alors avec instances à marcher contre les autres cantons iroquois, représentant que l’occasion était favorable pour exterminer tous les Iroquois, puisqu’ils étaient tous sous l’empire de la terreur. Mais, Denonville refusa obstinément de se rendre aux suggestions de ces sauvages[338]. Il renvoya alors ses alliés et la plupart des troupes, et alla bâtir un fort à Niagara[339], où il laissa le Chevalier de la Troye et une garnison de cent hommes. Bientôt après, une terrible maladie s’étant déclarée dans le fort, M. de la Troye et sa garnison toute entière y périrent. Peu de temps après, le fort de Niagara fut abandonné et ruiné[340].

Denonville s’arrêta trop vite dans cette expédition chez les Iroquois, et laissa son entreprise inachevée. Il n’aimait pas les sauvages ; il en avait une telle horreur qu’il avait peine à en soutenir la vue[341]. Il croyait qu’il était impossible à un sauvage de donner un avis sage et sensé. C’est probablement pour cette raison qu’il ne fit aucun cas de celui des Abénakis en cette occasion. Ce fut un malheur, car cette expédition inachevée fut plus nuisible qu’utile à la colonie. La retraite du gouverneur fut le signal des représailles, et les Iroquois menacèrent aussitôt de la guerre, en disant : « Ononthio a volé nos Chefs et a cassé nos traités de paix »[342]. Alors des bandes d’Iroquois vinrent commettre des insolences aux forts de Frontenac et de Chambly ; mais elles furent repoussées ; quelques unes pénétrèrent jusque dans l’île de Montréal, où elles jetèrent l’épouvante et firent quelques ravages[343].

Les Abénakis, toujours prêts à venger les insultes faites aux Français, se réunirent et pénétrèrent dans le canton des Agniers, y firent des ravages et levèrent quelques chevelures. Comme ils savaient que les Anglais excitaient les Iroquois contre les Français, ils se rendirent dans la Nouvelle-York, pillèrent plusieurs habitations, et massacrèrent quelques personnes[344].

En 1688, des négociations de paix furent ouvertes entre les Français et les Iroquois. Dungan y intervint ; mais les conditions qu’il proposa ne furent pas acceptées. Les Iroquois envoyèrent alors en Canada des députés, accompagnés de 1,200 guerriers qui épouvantèrent les habitants de l’île de Montréal. Le harangueur de cette ambassade, Haaskouaun, commença à exprimer, en termes extrêmement emphatiques, la situation avantageuse où se trouvait sa nation, et parla ensuite avec mépris de la faiblesse des Français. « Pour moi », ajouta-t-il, « je les ai toujours aimés, et je viens d’en donner une preuve qui n’est point équivoque ; car, ayant appris le dessein. que nos guerriers avaient formé de venir brûler vos forts, vos maisons, vos granges et vos grains, afin qu’après vous avoir affamés, ils pussent avoir bon marché de vous, j’ai si bien sollicité en votre faveur, que j’ai obtenu la permission d’avertir Ononthio qu’il pouvait éviter ce malheur, en acceptant la paix aux conditions proposées par Corlaer. Au reste, je ne puis vous donner que quatre jours pour vous y décider ; et si vous différez davantage à prendre votre parti, je ne vous réponds de rien »[345].

Denonville répondit qu’il consentirait volontiers à la paix aux conditions suivantes : que tous ses alliés y seraient compris, que les cantons d’Agnier et de Tsonnonthouan lui enverraient aussi des députés, que toute hostilité cesserait de part et d’autre, et qu’il aurait la liberté de réparer le fort de Frontenac[346].

Ces conditions furent acceptées, et l’échange des prisonniers fut réglé sans difficulté. Le gouverneur écrivit aussitôt en France pour demander les prisonniers iroquois, alors détenus à Marseille[347]. Mais ce traité de paix ne fut pas de longue durée.

L’année suivante, 1689, le Chevalier Andros, gouverneur de la Nouvelle-York, essaya d’attirer à lui les Abénakis, et de les engager à abandonner la cause des Français[348]. Il fit plusieurs tentatives dans ce but, mais elles furent inutiles. Ces sauvages lui déclarèrent qu’il ne s’uniraient jamais aux Anglais, qu’ils préféraient s’exposer aux plus grands dangers que d’abandonner les Français, de qui ils tenaient le bonheur de connaître Dieu, et qu’ils aimaient mieux mourir que de consentir à une union, où ils feraient cause commune avec les Iroquois. Andros fut donc obligé de renoncer à son projet. Le P. de Charlevoix dit « qu’il aurait réussi sans l’attachement invincible que les Abénakis avaient pour leur religion et leurs missionnaires »[349].

Bientôt, les Iroquois prouvèrent d’une manière éclatante qu’ils n’avaient pas été sincères dans leur traité de paix de l’année précédente. Le 25 d’Août, tandis que tout le monde vivait dans la plus grande tranquillité, et que rien n’annonçait quelque soulèvement du côté des cantons, 1,500 Iroquois viennent au milieu de la nuit débarquer au village de la Chine, près de Montréal, poussent leur cri de guerre, lorsque les habitants sont plongés dans le sommeil, pénètrent dans les maisons, y égorgent tous ceux qui leur tombent sous la main, hommes, femmes et enfants, puis livrent le village aux flammes. Deux cents personnes périrent dans cet horrible massacre ; beaucoup furent faites prisonnières et emmenées dans les cantons, pour y souffrir les plus affreux supplices.

Après le massacre de la Chine, les Iroquois se divisèrent en plusieurs bandes, et se répandirent dans les campagnes, où ils détruisirent et ravagèrent tout ce qu’ils rencontrèrent. Ils semèrent la mort et l’épouvante depuis les Trois-Rivières jusqu’à Michillimackinac[350].

Ce fut dans ce temps de deuil et de désolation que le Comte de Frontenac revint en Canada. L’expédition contre les Tsonnonthouans avait causé une mauvaise impression en France et amené le rappel de Denonville. Le Comte de Frontenac, envoyé pour le remplacer, arriva à Québec le 22 Novembre.

Cependant, les Abénakis, profondément affligés des maux que les colons avaient soufferts dans le cours de l’été, et sachant que le gouverneur de la Nouvelle-York était le principal instigateur du soulèvement des Iroquois, résolurent de venger le malheur des Français sur les colonies Anglaises. Alors, un parti de guerriers Abénakis du Canada se rendit en Acadie, pour rejoindre ceux de Pentagoët. Bientôt ces sauvages, commandés par le Baron de Saint-Castin, se mirent en marche contre Pemaquid. Ils surprirent les habitants des environs du fort, et tuèrent ceux qui voulurent se mettre en défense. La garnison de Pemaquid fit une vigoureuse résistance, pendant deux jours, mais à la fin elle fut forcée de se retirer et de livrer la place aux sauvages, qui rasèrent le fort, firent brûler les maisons des environs, puis retournèrent à Pentagoët avec un riche butin et plusieurs prisonniers[351]. Mais ils n’en restèrent pas là. Ils se jetèrent aussitôt avec fureur sur les frontières de la Nouvelle-Angleterre, y détruisirent douze ou treize établissements, et massacrèrent plus de 200 colons. Cette sanglante expédition répandit l’épouvante dans la Nouvelle-Angleterre[352].

C’est ainsi que les Abénakis vengèrent le massacre de la Chine.

Les Anglais, perdant alors tout espoir d’engager ces sauvages à embrasser leur cause, résolurent de les exterminer, comme en 1679. Mais ce n’était pas facile, car les choses étaient bien changées depuis dix ans. Les Abénakis, désormais protégés et secourus par les Français, et ayant un refuge sûr en Canada, pouvaient se moquer des menaces de leurs ennemis. D’ailleurs les colons anglais étaient si épouvantés qu’ils n’osaient prendre les armes contre ces terribles ennemis. Dans cet embarras, les Anglais s’adressèrent aux Iroquois et les invitèrent à s’unir à eux pour faire une invasion chez les Abénakis. Des commissaires furent envoyés à Albany, pour y rencontrer les Iroquois et traiter de cette affaire. Ceux-ci répondirent : « Nous avons brûlé Montréal, nous sommes les alliés des Anglais ; nous ne voulons pas rompre le lien qui nous unit à eux, mais nous ne pouvons aller faire la guerre aux Abénakis »[353]. La Nouvelle-Angleterre fut donc forcée de renoncer à son projet de guerre d’extermination contre les Abénakis.

CHAPITRE DEUXIÈME.

suite du précédent.

1680-1701.


Le Comte de Frontenac apprenant le succès des Abénakis et l’épouvante qu’ils avaient jetée dans la Nouvelle-Angleterre, se hâta de préparer trois expéditions, pour frapper à la fois sur trois points des colonies anglaises, conformément aux ordres qu’il avait reçus en France.

La première expédition fut organisée à Montréal et mise sous le commandement de MM. d’Ailleboust, de Mantet et Lemoine de Sainte-Hélène, auxquels se joignit d’Iberville, le héros de la Baie d’Hudson. Les troupes de cette expédition se composaient d’environ 200 Canadiens et sauvages, Abénakis de Saint-François et Iroquois du Saut Saint-Louis.

Cette troupe partit de Montréal, le 18 Janvier 1690, et, après une marche dans les neiges de vingt-deux jours, à travers les forêts et les marais, arriva à Chenectady, le 8 Février. Les chefs de l’expédition voulaient aller de suite attaquer Albany ; mais les sauvages s’y opposèrent, prétendant que cette entreprise serait trop hasardeuse.

Les habitants de Chenectady n’étaient pas préparés à la défense. On les avait pourtant prévenus de se tenir sur leurs gardes, mais ils avaient négligé de le faire, croyant qu’il était guère possible aux Canadiens de venir, d’une si grande distance, les attaquer en plein hiver.

Les Canadiens arrivèrent à Chenectady pendant la soirée. Vers 11 heures, tandis que les habitants. étaient plongés dans le sommeil, ils entrèrent dans le fort, attaquèrent à la fois toutes les maisons, au nombre de quatre-vingts, tuèrent la plupart des Anglais qu’ils rencontrèrent, firent vingt-sept prisonniers, puis incendièrent le fort. Ce fut de nouvelles représailles du massacre de la Chine. Soixante personnes seulement, vieillards, femmes et enfants, furent épargnées et arrachées à la fureur des sauvages. Le reste de la population prit la fuite vers Albany, et vingt-cinq de ces fugitifs eurent les membres gelés dans cette fuite. Les Canadiens tuèrent les animaux, et ne réservèrent que trente chevaux pour transporter leur butin[354].

En revenant de cette expédition, les Abénakis suivirent les Canadiens, mais les Iroquois du Saut se séparèrent d’eux et suivirent une route détournée, ce qui leur fut funeste, et causa un regrettable incident. Ils rencontrèrent bientôt un petit parti d’Abénakis et d’Algonquins, qui revenait d’une excursion dans la Nouvelle Angleterre. Les Abénakis, prenant ces sauvages pour des ennemis, les attaquèrent aussitôt. Le Chef iroquois, le Grand Agnier, et six de ses gens furent tués, deux Français et deux prisonniers anglais furent blessés, et l’on fit des prisonniers de part et d’autre. Ce ne fut qu’alors qu’on se reconnut. Le regret fut extrême des deux côtés. Mais les Iroquois, ne pouvant se consoler de la mort de leur Chef, refusèrent de rendre leurs prisonniers abénakis. Ce refus piqua vivement les Abénakis ; on s’aigrit des deux côtés, et les deux partis se séparèrent fort mécontents.

On avait beaucoup à craindre de ce ressentiment mutuel, qui était un commencement de grandes difficultés entre les alliés. Cependant, le Comte de Frontenac, après beaucoup de négociations, conduites avec prudence et habileté, parvint à faire disparaître cette difficulté.

Les Abénakis envoyèrent au Saut Saint-Louis des députés avec un collier de wampum, pour protester qu’il n’y avait eu que de la méprise dans tout ce qui s’était passé, et demander que les prisonniers des deux côtés fussent échangés. Le harangueur abénakis dit alors des choses fort sensées et même touchantes. « Donnons des larmes aux morts, » dit-il en concluant, « mais n’altérons pas une amitié qui est fondée sur la religion »[355].

La seconde expédition fut organisée aux Trois-Rivières et confiée à François Hertel[356]. Sa petite troupe se composait de cinquante deux Abénakis et Canadiens, y compris trois de ses fils et deux de ses neveux[357]. Il partit des Trois-Rivières à la fin de Janvier, remonta la rivière Saint-François jusqu’au lac Memphrémagog, se rendit à la rivière Connecticut, puis, se dirigeant vers l’Est, arriva le 27 Mars à Salmon-Falls[358], sur la rivière Piscataqua[359]. C’était la place qu’il voulait attaquer. Le lendemain avant l’aurore, il tomba avec impétuosité sur ce village. Les habitants firent une vigoureuse résistance, mais les Abénakis se battirent avec tant de courage et de vigueur qu’ils les forcèrent de prendre la fuite. Quarante-trois Anglais furent tués et cinquante-quatre faits prisonniers. Vingt-sept maisons furent réduites en cendres, et 2,000 pièces de bétail périrent dans les étables, où l’on avait mis le feu[360].

Hertel retraita alors environ dix-huit milles, et alla s’arrêter près d’un autre village, appelé Peskadouët[361], aussi situé sur la rivière Piscataqua. Les Anglais s’étant ralliés, se présentèrent vers le soir de l’autre côté de la rivière, au nombre d’environ 200. Tandis qu’ils étaient engagés sur le pont, jeté sur la rivière en cet endroit, les Abénakis et les Canadiens se précipitèrent sur eux avec fureur, en tuèrent une vingtaine et forcèrent les autres de prendre la fuite. Dans cette rencontre, le fils aîné de Hertel fut blessé et son neveu Crevier fut tué[362].

Les Abénakis revinrent en Canada avec un riche butin.

La troisième expédition fut organisée à Québec et mise sous les ordres de M. de Portneuf, troisième fils du Baron de Bécancourt.

Portneuf, à la tête d’un détachement d’Abénakis et de Canadiens, remonta la rivière Chaudière, et alla rejoindre à Kénébec le Baron de Saint-Castin, qui l’y attendait avec une troupe de guerriers abénakis. Il arriva, le 25 Mai, à douze milles de Casco, village situé sur le bord de la mer, près de l’embouchure de la rivière Kénébec.

Le fort de Casco était bâti solidement, bien pourvu de munitions et de vivres, et défendu par une batterie de huit canons.

Pendant la nuit du 25 au 26, quatre sauvages et deux Canadiens allèrent se mettre en embuscade près du fort. Le 26, au point du jour, un Anglais tomba dans cette embuscade et fut tué. Le cri de guerre des sauvages donna l’alarme au fort. Vers midi, cinquante hommes de la garnison s’avancèrent en bon ordre jusqu’à environ dix pas de cet endroit ; alors les sauvages firent feu sur ces soldats, et, sans leur donner le temps de se reconnaître, se précipitèrent sur eux la hache à la main. De ces cinquante Anglais, quarante six furent tués et les quatre autres se rendirent au fort couverts de blessures.

Il y avait près de Casco quatre petits forts, que les Anglais abandonnèrent bientôt pour se retirer dans le principal fort.

Portneuf fit commencer les travaux du siége, dans la nuit du 26 ou 27. Ces travaux avancèrent si rapidement que dès le soir du 21, les Anglais demandèrent à parlementer. Portneuf leur déclara qu’il voulait avoir leur fort et tout ce qu’il y avait de vivres et de munitions. Les assiégés demandèrent six jours pour délibérer, mais on ne leur accorda que la nuit, et le lendemain, ils furent forcés de livrer le fort et de se constituer prisonniers, au nombre de soixante-et-dix, sans compter les femmes et les enfants. Le fort fut rasé et le village incendié, ainsi que toutes les maisons, à six ou sept mille à la ronde[363].

Ces expéditions, si bien dirigées, jetèrent la terreur dans les colonies anglaises, apprirent aux Anglais qu’un chef habile et énergique conduisait les opérations des Français, et firent cesser les négociations qui avaient lieu entre les alliés de l’Ouest et les Iroquois, pour former une ligue contre le Canada.

Cependant, bientôt les colonies anglaises, revenues un peu de leur terreur, s’étonnèrent qu’un si petit peuple que celui du Canada pût ainsi troubler leur repos. Considérant leur population et leurs ressources, elles crurent qu’elles devaient aviser aux moyens de s’emparer du Canada. Des députés furent nommés pour délibérer sur ce sujet. Ces députés se réunirent en Congrès à New-York, dans le mois de Mai, et décidèrent qu’il fallait attaquer le Canada à la fois par terre et par mer ; qu’une armée, appuyée des Iroquois, l’envahirait par le lac Champlain, et qu’une flotte remonterait le Saint-Laurent, pour aller s’emparer de Québec. Tel fut le projet du Congrès.

Dans le cours du mois d’Août, un sauvage causa une grande alarme à Montréal. Ayant appris le projet des Anglais d’attaquer le Canada et croyant qu’ils étaient déjà en marche, il vint y annoncer qu’une grande armée d’Anglais et d’Iroquois était occupée à faire des canots au lac Saint-Sacrement. À cette nouvelle, le Comte de Frontenac réunit aussitôt à Montréal un grand nombre d’Abénakis et autres alliés, et leur fit un grand festin, où tous lui témoignèrent de leur fidélité aux Français et de leur grand désir d’aller combattre l’ennemi. Le gouverneur leur répondit qu’il était bien aise de les voir dans la disposition de ne faire ni paix ni trève avec les ennemis ; qu’il s’agissait d’aller au devant d’eux jusqu’au lac Saint-Sacrement, et de les y attendre de pied ferme ; alors, s’armant lui-même de la hache, il entonna le Chant de guerre, pour leur montrer qu’il voulait combattre à leur tête.

Bancroft dit « que le Comte de Frontenac, malgré son grand âge, conduisit lui-même les sauvages au lac Champlain, où il arriva le 29 Août »[364]. Ceci ne nous paraît pas exact. Voici ce que dit le P. de Charlevoix à ce sujet. « Le 29 d’Août le Chevalier de Clermont, qui avait eu ordre de remonter la rivière de Sorel pour observer les ennemis, arriva à Montréal et rapporta qu’il en avait vu un très grand nombre sur le lac Champlain, et qu’il en avait même été poursuivi jusqu’à Chambly ; sur quoi des signaux furent donnés pour assembler les troupes et les milices. Le 31ème le Comte de Frontenac passa de grand matin à la Prairie de la Magdelaine, où il avait assigné le rendez-vous général, et les sauvages, qu’il y avait invités, s’y rendirent le soir, sans laisser même un seul homme dans leur quartier, pour y garder leurs marchandises

Le jour suivant, les découvreurs revinrent et assurèrent qu’ils n’avaient rien vu, ni remarqué aucunes pistes, sur quoi l’armée fut licenciée »[365].

Cependant, les colonies anglaises se préparaient avec activité pour envahir le Canada. L’armée, qui devait pénétrer dans le pays par le lac Champlain, fut mise sous le commandement du général Winthrop, et la flotte, qui devait s’emparer de Québec, fut confiée au Chevalier Guillaume Phipps. Aux premiers jours d’Octobre, Winthop alla établir son campement sur le bord du lac Saint-Sacrement, pour marcher sur Montréal, dès que Phipps serait arrivé à Québec. Bientôt, la petite vérole se répandit dans son armée, et se communiqua aux Iroquois, dont plus de 300 périrent en quelques jours. Ces sauvages, effrayés d’une si grande mortalité, et croyant que les Anglais voulaient les empoisonner, désertèrent l’armée et s’enfuirent. Winthop se vit alors forcé d’abandonner son projet d’invasion et de se retirer[366].

Pendant ce temps, un Abénakis, parti de la rivière Piscataqua, vint en douze jours à Québec pour y annoncer que les Anglais s’étaient emparés de Port-Royal, et qu’une flotte de trente vaisseaux était partie depuis six semaines de l’Acadie pour remonter le Saint-Laurent, et venir attaquer Québec[367].

À cette nouvelle, le Comte de Frontenac se hâta de descendre à Québec, où il trouva tout bien préparé pour soutenir une attaque.

Voici ce qui était arrivé en Acadie. Au printemps de 1690, ce pays était dans un état d’abandon complet. Le gouverneur, M. de Manneval, n’avait à Port-Royal que quatre-vingt-six hommes de garnison et dix-huit pièces de canon. Il y manquait de tout. Les autres postes étaient aussi mal pourvus que celui-là.

Les Anglais profitèrent de cet état de faiblesse et d’abandon pour s’emparer d’une partie de ce pays. Phipps parut, le 20 Mai, devant Port-Royal, avec une escadre. Le gouverneur, se trouvant dans l’impossibilité de se défendre, livra la place à l’ennemi. De là, Phipps alla ravager la Gaspésie, puis continua sa route vers Québec, où il arriva le 16 Octobre.

Après cet échec des Français en Acadie, M. de Villebon rassembla les Abénakis de ce pays, les exhorta à continuer à venger les malheurs de leurs amis, et leur dit que les Anglais s’étaient emparés de deux vaisseaux, portant des présents que le roi leur envoyait. Les sauvages lui répondirent, avec un admirable désintéressement, que le gouverneur du Canada leur ayant envoyé des balles et de la poudre, cela leur suffisait, que les pertes des Français les affligeaient beaucoup plus que les leurs propres, et qu’ils allaient partir, au nombre de 150, pour recommencer leurs courses contre les Anglais[368].

Aussitôt que le Comte de Frontenac fut arrivé à Québec, il fit venir les Abénakis de la rivière Chaudière et les Hurons de Lorette pour aider à la défense de la ville ; puis il envoya M. de Longueuil, avec un détachement de ces sauvages, pour examiner les mouvements de la flotte ennemie. Comme il attendait des vaisseaux de France, il envoya quelques Abénakis à leur rencontre, pour les informer de ce qui se passait à Québec. Ces sauvages, montés sur leurs frêles canots d’écorce, descendirent le Saint-Laurent, en suivant la côte Nord, jusqu’à environ cent milles de Québec ; puis, apercevant les navires français, ils se dirigèrent vers eux et les conduisirent dans le Saguenay, d’où ils ne sortirent qu’après le départ de la flotte anglaise[369].

Phipps, qui croyait s’emparer de Québec sans résistance, envoya dès le jour de son arrivée sommer le gouverneur de lui livrer la place. Celui-ci manda à l’amiral anglais « qu’il allait lui répondre par la bouche de ses canons »[370]. Bientôt, les Anglais reconnurent que Québec était plus en état de se défendre que Port-Royal.

Le 18 Octobre, 1,500 Anglais débarquèrent à Beauport et se rangèrent en bataille. Le gouverneur n’envoya que 300 hommes, des milices de Montréal et des Trois-Rivières, et un parti de sauvages, Abénakis et Hurons, pour repousser ces ennemis. Les Canadiens et les sauvages se dispersèrent, se cachèrent dans le bois et sur les rochers, et firent feu de toutes parts sur les Anglais, qui se tenaient en bataillons serrés. Le combat dura une heure. Alors les Anglais, ne pouvant supporter plus longtemps ce feu meurtrier, s’enfuirent en disant qu’il y avait des sauvages cachés derrière tous les arbres[371].

Le même jour et le lendemain, Phipps canonna la ville ; mais ce fut sans succès, et il fut forcé d’éloigner ses vaisseaux.

Le 20, les Anglais, débarqués à Beauport, se mirent en mouvement vers Québec. Ils rencontrèrent à la Canardière les Canadiens et les Abénakis, qui les repoussèrent et les forcèrent de s’enfuir dans un bois[372]. Ils recommencèrent le lendemain leur marche vers la ville, avec quelques pièces de canon, que l’amiral leur avait envoyées pendant la nuit. Les Canadiens et les sauvages s’opposèrent à leur marche, et dirigèrent sur eux un feu si bien nourri qu’ils parvinrent à les arrêter. Le combat dura jusqu’à la nuit, où les Anglais furent forcés de s’enfuir, après avoir fait des pertes considérables. Les Abénakis les poursuivirent longtemps et leur enlevèrent leurs canons, 109 livres de poudre et quarante à cinquante boulets[373].

Phipps, voyant que toutes ses tentatives pour s’emparer de Québec étaient inutiles, leva l’ancre et se retira. Bientôt, la flotte anglaise fut assaillie par de furieuses tempêtes. Un vaisseau fit naufrage sur l’île d’Anticosti, et plusieurs périrent en mer. Les Anglais perdirent plus de 1,000 hommes dans cette expédition.

La nouvelle de ce désastre fut apportée à Québec par un Abénakis de l’Acadie, dans le mois de mars 1691[374].

Les colonies anglaises furent grandement humiliées et découragées par ce désastre, qui leur causa une si grande perte, et par le double échec qu’elles venaient d’essuyer. Les Abénakis de l’Acadie profitèrent de ce temps de découragement pour remplir la promesse qu’ils avaient faite à M. de Villebon, et venger le malheur des Français de leur pays. Cent-cinquante de leurs guerriers prirent aussitôt les armes, se jetèrent avec plus de fureur que jamais sur les établissements anglais, et passèrent la plus grande partie de l’hiver 1690-1691 à ravager les frontières de la Nouvelle-Angleterre. Ils ruinèrent plus de 150 milles de pays. « Les frontières, » dit Bancroft, « étaient remplies de terreur et d’affliction, de captivité et de mort »[375].

Dans le mois d’Août suivant, 1691, le major Schuyler, de New-York, parut tout-à-coup à la Prairie avec un détachement de troupes et un fort parti d’Iroquois. Le but de cette expédition inattendue était, ou d’engager les Iroquois à continuer leurs déprédations sur le Canada et les empêcher de faire la paix avec les Français, comme le pensent quelques uns, ou seulement, comme Bancroft le prétend[376], « d’obtenir quelque succès dans une escarmouche. » Schuyler attaqua résolument le fort de la Prairie, mais il fut vivement repoussé.

Comme le fort Chambly se trouvait exposé à être assailli par ces ennemis, le Comte de Frontenac envoya immédiatement M. de Varennes, avec un détachement de Canadiens et d’Iroquois du Saut Saint-Louis, pour le secourir, et fit avertir les Abénakis de Saint-François d’aller en toute hâte rejoindre cette troupe. Schuyler, repoussé à la Prairie, se dirigeait vers la rivière Richelieu lorsqu’il rencontra de Varennes, qu’il attaqua avec fureur. Les Abénakis et les Iroquois se couchèrent aussitôt ventre à terre, derrière des arbres renversés, pour essuyer le premier feu des Anglais, puis, se levant avec rapidité, se précipitèrent sur eux avec tant d’impétuosité et de vigueur qu’ils les mirent en fuite. Schuyler rallia ses troupes deux fois, et fut chaque fois vivement repoussé. Enfin, après un combat de deux heures, il fut forcé de s’enfuir, laissant ses drapeaux et ses bagages sur le champ de bataille[377].

Les Abénakis brûlaient du désir de poursuivre les fuyards, mais ils étaient tellement épuisés de fatigue qu’ils furent forcés d’y renoncer pour prendre quelque repos. Ils avaient laissé leurs wiguams avec tant de précipitation pour obéir à l’ordre du gouverneur, qu’ils ne s’étaient pas même pourvus de vivres pour le voyage. La marche forcée qu’ils avaient faite, et le rude combat qu’ils venaient de soutenir, sans prendre de nourriture, les avaient réduits à un état d’épuisement complet.

Les Iroquois, voyant qu’ils n’étaient pas poursuivis, retournèrent bientôt sur leurs pas, se divisèrent en plusieurs bandes, et se répandirent au Nord et au Sud du Saint-Laurent pour ravager les campagnes. Ils brûlèrent les villages de Saint-Ours et de Contrecœur. Les Abénakis arrivèrent assez tôt pour les chasser de cette dernière place, mais ils ne purent sauver le village, car il était déjà livré aux flammes.

Pendant ce temps, une bande d’Iroquois se dirigeait vers le fort de Saint-François. Les habitants de cette place, attaqués à l’improviste, ne purent se défendre et furent presque tous massacrés[378].

Tandis que les Iroquois ravageaient les campagnes du Canada, les Français reprenaient le commandement en Acadie.

Depuis que Phipps avait fait la conquête de ce pays, l’Angleterre ne paraissait pas fort ambitieuse de le conserver, et Port-Royal appartenait à ceux qui s’y trouvaient les plus forts, tantôt aux Français, tantôt aux Anglais.

Après la prise de Port-Royal, en 1690, M. de Villebon se rendit à Québec, et de là, passa en France. Il représenta au Ministre qu’il était aussi facile qu’important d’empêcher les Anglais de s’établir en Acadie, et assura qu’il pourrait y réussir avec le seul secours des Abénakis, si on voulait le placer à leur tête. La Cour de France lui accorda ce qu’il demandait. Le roi le nomma commandant de l’Acadie, et lui enjoignit de s’embarquer au mois de Juin 1691 pour Québec, où il recevrait les ordres du Comte de Frontenac. Il écrivit alors à ce dernier qu’étant informé de l’affection des Abénakis à l’égard des Français, de leur courage et de tout ce qu’ils avaient fait contre les Anglais, et que voulant maintenir la possession de l’Acadie avec le secours de ces braves et fidèles sauvages, il voulait qu’on leur fournit, dans leur pays, toutes les munitions qu’ils demandaient, afin qu’ils n’eussent point la peine de les aller chercher à Québec ; qu’il avait enjoint à M. de Villebon d’aller se mettre à la tête de ces sauvages, en qualité de commandant de l’Acadie, avec quelques officiers, qui seraient choisis par le gouverneur.

Le comte de Frontenac fit remettre à M. de Villebon tout ce qu’il avait ordre de lui fournir ; et celui-ci partit de Québec, au commencement de Novembre, pour Port-Royal, où il arriva le 25 du même mois. Ne trouvant aucun Anglais dans cette place, il s’en empara et y arbora le pavillon français. Le lendemain, il assembla les habitants, et prit possession, en leur présence, de Port-Royal et de toute l’Acadie, au nom du roi de France[379].

Dans le cours de l’hiver 1691-1692, le Comte de Frontenac résolut d’aller attaquer les Agniers à l’improviste, pour les punir des insolences qu’ils avaient commises en Canada, pendant l’été précédent. Ces Iroquois étaient les plus rapprochés du lac Champlain, et les plus acharnés contre le Canada.

Une expédition fut donc organisée contr’eux, et les Abénakis furent invités à y prendre part. Au commencement de Janvier, une troupe de 600 hommes, Canadiens, Abénakis et autres sauvages, partit du fort Chambly, remonta la rivière Richelieu, le lac Champlain, pénétra dans les cantons, et alla fondre à l’improviste sur les trois villages des Agniers. Un grand nombre de ces sauvages furent tués, beaucoup faits prisonniers et leurs villages livrés aux flammes. Les Abénakis revinrent en Canada chargés de butin.

Au printemps, les Iroquois, pour venger ce désastre, firent une terrible irruption sur le Canada. Ils se jetèrent à la fois sur la rivière Yamaska, Saint-Lambert, la Rivière-du-Loup, l’Île-Jésus, Boucherville, le lac Saint-François et plusieurs autres localités ; ils poursuivirent et harcelèrent tellement les habitants qu’ils les empêchèrent d’ensemencer leurs terres[380]. Alors, les Abénakis et les Iroquois du Saut Saint-Louis reprirent les armes. Aidés des Canadiens, ils poursuivirent ces ennemis, les chassèrent de la rivière Yamaska et du lac Champlain, puis allèrent les éloigner du lac Saint-François[381].

En Acadie, M. de Villebon s’était cantonné à la rivière Saint-Jean, attendant des secours de France, qui devaient le mettre en état de s’établir à Port-Royal. Le gouverneur de la Nouvelle-Angleterre, Phipps, résolut de le chasser de cette position. Il envoya un vaisseau de quarante-huit canons et deux brigantins, avec 400 hommes. Villebon, incapable de résister à cette force, voulut du moins faire mine de se défendre. Il envoya à l’embouchure de la rivière un détachement de Français et d’Abénakis, afin de pouvoir être averti à temps de la descente de l’ennemi. Les Anglais, croyant ce détachement fort considérable, n’osèrent l’attaquer, et se retirèrent[382].

Ce coup manqué chagrina Phipps ; mais il eut bientôt l’occasion de s’en consoler. Les Anglais avaient depuis peu rétabli le fort Pemaquid, et incommodaient beaucoup les Abénakis de ce canton. Villebon représenta au Comte de Frontenac qu’il était nécessaire de les chasser pour toujours de ce poste, Le gouverneur, comprenant l’importance de ce projet, envoya aussitôt d’Iberville, pour se joindre au commandant de l’Acadie, et s’emparer de Pemaquid. Villebon devait marcher avec les Abénakis contre le fort, et d’Iberville, l’attaquer par mer.

Les Anglais, ayant été informé de ce projet, se préparèrent à la défense. D’Iberville trouva donc le fort en état de faire une vigoureuse résistance, et n’osa s’engager dans un combat dans un endroit qu’il ne connaissait pas, parcequ’il n’avait pas de pilote. On abandonna donc le projet de s’emparer du fort. Les Abénakis, accourus en grand nombre avec l’espoir d’être bientôt délivrés d’un voisinage qui les incommodait, retournèrent sans avoir rien fait, ce qui les mécontenta beaucoup[383].

Le Comte de Frontenac fut bientôt informé qu’on préparait secrètement en Angleterre une flotte considérable pour la conquête du Canada, mais qu’on allait lui envoyer de France les secours nécessaires pour se défendre. Alors, il députa quelques Abénakis en Acadie pour avertir leurs frères de ce pays de se tenir prêts à venir au secours du Canada, s’il était nécessaire, et leur recommander d’épier avec soin tout ce qui se passerait à Boston, relativement à la guerre projetée, pour l’en informer. Ces sauvages lui répondirent qu’il pouvait, comme par le passé, compter sur eux, et qu’ils seraient toujours prêts à aller à son secours.

La flotte anglaise, destinée à s’emparer de Québec, fut mise sous le commandement de Francis Wheeler, et partit d’Angleterre au commencement de l’hiver 1692-1693. Wheeler se rendit d’abord à la Martinique, où il fut défait. De là, il fit voile vers la Nouvelle-Angleterre. Bientôt, les fièvres jaunes éclatèrent dans ses vaisseaux, et lorsqu’il arriva à Boston, il avait déjà perdu 1,300 matelots et 1,800 soldats. Les Anglais furent alors forcés d’abandonner leur projet de s’emparer de Québec.

Pendant que cette flotte était en route pour venir attaquer le Canada, le Comte de Frontenac préparait une expédition pour aller punir les Iroquois des déprédations qu’ils avaient faites dans le pays, dans le cours de l’été précédent. Une troupe de 600 hommes, Canadiens, Abénakis, Hurons, Algonquins et Iroquois du Saut, fut mise sur pied. Cette petite armée partit de Montréal, le 25 Janvier 1693, pénètra dans les cantons, tua un grand nombre d’Iroquois, fit environ 300 prisonniers et incendia trois villages. Dans sa retraite vers le Canada, elle fut attaquée par un détachement de troupes anglaises, qui lui enleva quelques uns de ses prisonniers iroquois[384].

Dans le même temps, quelques Abénakis de l’Acadie, intimidés par les menaces des Anglais, consentirent à faire un traité de paix avec eux[385]. Mais ils regrettèrent aussitôt cette faiblesse, et quelques mois après, pour rompre ce traité, qui leur avait été arraché par ruse, ils allèrent, sous le commandement de M. de Jullieu, attaquer un village anglais, sur la rivière Oyster, New-Hampshire, et le détruisirent complètement. Quatre-vingt-dix Anglais furent tués et un grand nombre faits prisonniers.

Ces Abénakis avaient alors deux Chefs fort remarquables, dont l’un était nommé Madaôdo[386] et l’autre Taksus[387]. Le premier se distingua beaucoup en cette occasion. Le second, déjà célèbre par sa bravoure et son attachement aux Français, fit un acte héroïque. Aussitôt après le destruction du village anglais, il choisit quarante hommes des plus braves de sa troupe, et, après trois jours de marche, alla attaquer en plein jour un fort près de Boston. Dans le rude combat qui s’en suivit, il vit tomber deux de ses neveux à ses côtés, et reçut lui-même douze balles dans ses habits. Il réussit à s’emparer de ce fort, et alla ensuite faire des ravages jusqu’aux portes de Boston[388].

Après l’excursion de la rivière Oyster, un Abénakis partit de la rivière Piscataqua, et vint offrir au Comte de Frontenac la chevelure d’un Anglais, comme témoignage de la fidélité de ses frères à l’égard des Français, et du repentir de la faute qu’ils avaient commise[389].

Les Anglais essayèrent encore à attirer les Abénakis vers eux, employant tour à tour menaces et promesses pour y réussir. Mais tout fut inutile, et les sauvages persévérèrent dans leur fidélité à l’égard des Français.

En 1695, sept Abénakis furent faits prisonniers à Pemaquid. Trois d’eux furent conduits à Boston et jetés dans les fers, et les quatre autres furent massacrés en chemin. Les Abénakis reclamèrent leurs frères. On leur répondit par des reproches et des menaces. Les sauvages répliquèrent sur le même ton. Lorsqu’ils apprirent qu’on avait massacré quatre de ces prisonniers, ils entrèrent dans une furieuse colère, et promirent de venger cette injustice[390].


CHAPITRE TROISIÈME.

suite.

1680-1701.


En 1696, la Cour de France ordonna au Comte de Frontenac de chasser les Anglais de Pemaquid, et de soumettre à tout prix les fiers Iroquois, qui, malgré leurs échecs, continuaient leurs hostilités contre le Canada.

Le gouverneur commença aussitôt les préparatifs d’une campagne contre ces sauvages. Il réunit à la Chine 2,300 hommes, Canadiens, Abénakis, Hurons, Algonquins et Iroquois du Saut Saint-Louis. Quoiqu’alors âgé de soixante-et-quatorze ans, il voulut commander lui-même cette expédition. Il partit de la Chine, le 6 Juillet, et remonta le Saint-Laurent jusqu’au fort Frontenac, où il séjourna quelque temps, attendant un renfort de Michillimackinac. Mais ce renfort ne vint point, parce que les sauvages de l’Ouest refusèrent de prendre part à cette expédition. De là, il traversa le lac Ontario, se rendit à l’embouchure de la rivière Oswégo, puis se dirigea du côté des Onnontagués. Bientôt, il trouva suspendu à un arbre, un faisceau de 1434 roseaux, indiquant qu’un pareil nombre d’Iroquois l’attendaient et le défiaient au combat[391]. Il n’en continua pas moins sa marche, et vers le soir il aperçut une grande lueur du côté des Onnontagués. Ces sauvages avaient incendié leur village, et pris la fuite.

Bientôt, les Onneyouths s’avancèrent à la rencontre des troupes et demandèrent la paix. Le gouverneur leur répondit qu’elle ne leur serait accordée qu’à la condition qu’ils quitteraient leur pays pour aller s’établir en Canada.

Le lendemain, les terres des Onnontagués furent ravagées. Tous les sauvages avaient pris la fuite. On n’y trouva qu’un vieillard, qui n’avait pu fuir, à cause de son grand âge. Les sauvages de l’expédition le firent mourir, après l’avoir tourmenté pendant longtemps. Avant d’expirer, ce vieillard leur adressa cette parole pleine d’orgueil et de fierté : « Vous auriez dû employer plus de temps à me tourmenter, afin d’apprendre à rencontrer la mort en homme. Je meurs content, car je n’ai aucune bassesse à me reprocher »[392].

Les Abénakis demandèrent à pousser leurs exploits plus loin ; mais le gouverneur, pensant que ses ennemis étaient suffisamment humiliés, s’y refusa et retourna à Montréal, malgré les murmures des sauvages[393].

Cette expédition rendit aux Français leur influence sur tous les alliés, et réduisit les Iroquois pour toujours. Les sauvages vinrent alors de toutes parts, même de la vallée du Mississipi, pour rendre leurs hommages au Grand-Ononthio et se soumettre à lui[394].

Avant son départ pour le lac Ontario, le Comte de Frontenac avait mandé à d’Iberville d’aller attaquer : le fort Pemaquid, avec le secours qui devait arriver de France.

La Cour de France tenait beaucoup à s’emparer de ce fort ; car cette place fortifiée, située au milieu des Abénakis, donnait lieu de craindre qu’à la fin ces sauvages, si nécessaires à la Nouvelle-France, ne fussent accablés par les Anglais, ce qui serait certainement arrivé, si les gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre eussent été plus habiles, ou ne se détachassent de l’alliance des Français, ne recevant aucun secours.

Mais heureusement que les Anglais n’employaient, pour les attirer vers eux, que des moyens qui n’étaient propres qu’à les en éloigner. Ainsi, quelques mois auparavant, des Abénakis allèrent à Pemaquid, parcequ’on leur avait donné à entendre qu’on leur remettrait les prisonniers de leur nation. Ils y furent d’abord bien traités ; mais, tandis qu’ils se croyaient en sûreté, plusieurs Anglais se présentèrent armés, et, sans avoir été provoqués, firent feu sur eux, en tuèrent deux et se précipitèrent sur les autres pour les faire prisonniers. Ceux-ci, quoique surpris, se défendirent long- temps avec leur valeur ordinaire. Deux autres sauvages furent alors tués, mais il en coûta la vie à deux des assaillants. Les autres sauvages, parmi lesquels était le célèbre Chef Taksus, demeurèrent prisonniers. Pendant qu’on les conduisait en prison, Taksus tua deux de ses conducteurs et s’échappa[395].

M. de Bonaventure, envoyé par la Cour de France. pour aller attaquer Pemaquid, alla rejoindre d’Iberville à l’île de Terreneuve, où il arriva dans le mois de Juin. De là, ils allèrent tous deux rejoindre M. de Villebon, à la rivière Saint-Jean, et le Baron de Saint-Castin, à Pentagoët, d’où ils partirent, au commencement d’Août, avec 200 Abénakis, 100 Micmacs et un petit nombre de troupes régulières. Ils arrivèrent devant Pemaquid, le 10, et investirent la place le lendemain. Le même jour, le commandant anglais fut sommé de livrer le fort, à quoi il répondit que lors même que la mer serait couverte de vaisseaux français, et la terre, de sauvages, il ne se rendrait pas. Alors les sauvages commencèrent la fusillade. Le lendemain, la garnison, voyant qu’il était impossible de résister à cette attaque et craignant de tomber entre les mains des sauvages, força le commandant de se rendre. Le fort fut alors livré, à condition que la garnison serait conduite à Boston, pour y être échangée contre les prisonniers français et sauvages.

En entrant dans le fort, on trouva un Abénakis chargé de chaînes. Ce prisonnier était dans un état si pitoyable que la vue de ce malheureux rendit les sauvages tellement furieux qu’on eut beaucoup de peine à les calmer[396]. Alors le fort fut rasé.

Pemaquid était la forteresse la plus considérable des Anglais en Amérique. Ce fort avait coûté des sommes considérables à la Nouvelle-Angleterre, et était alors pour les Anglais dans l’Est ce que Niagara fut pour les Français dans l’Ouest.

M. de Villebon, en retournant à la rivière Saint-Jean, fut surpris par une escadre anglaise de sept vaisseaux et fait prisonnier, avec les Micmacs qui l’accompagnaient ; mais il fut aussitôt relâché. Les Anglais continuèrent leur route jusqu’à Beaubassin, où ils incendièrent toutes les habitations françaises et l’église[397]. De là, ils se dirigèrent vers la rivière Saint-Jean, pour aller attaquer l’établissement de M. de Villebon. Celui-ci reçut cette nouvelle, le 12 Octobre. Il réunit aussitôt ses Abénakis et se prépara à la défense. Le P. Simon, Récollet, qui avait une petite mission dans les environs, lui amena trente-six guerriers sauvages.

Les Anglais, munis de plusieurs pièces d’artillerie, arrivèrent près du fort, le 18, et en commencèrent aussitôt le siège. Les Français et les Abénakis défendirent la place si courageusement que les assiégeants, après deux jours de tentatives pour s’en emparer, furent forcés de lever le siège et de se retirer avec précipitation[398].

À la suite de ces expéditions, la crainte et le désespoir régnèrent sur les frontières des colonies anglaises. Ces succès des Français annonçaient de loin aux colons la présence des Canadiens et des Abénakis. Les colons ne tournaient plus leurs regards vers le Nord qu’avec effroi, croyant à chaque instant voir sortir des forêts ces redoutables ennemis, qui ne laissaient que ruines sur leur passage. Cet état de malaise règna dans les colonies anglaises jusqu’au traité de Riswick, où la paix fut signée entre les Français et les Anglais, le 20 Septembre 1697. Mais ce traité ne décida pas la question de propriété du pays des Iroquois, ni celle des frontières de l’Acadie et de la Nouvelle-Angleterre. Aussi, dès l’année suivante, de graves discussions s’élevèrent à ce sujet. Les Français avaient des prétentions sur la rivière Kénébec. Les Anglais reclamaient le pays des Abénakis, jusqu’à la rivière Sainte-Croix, et celui des Iroquois, et prétendaient que leurs possessions de l’Ouest s’étendaient jusqu’à Michillimackinac.

Mais ils dirigèrent principalement leur attention sur les terres des Abénakis. En 1699, le Gouverneur de la Nouvelle-Angleterre, ayant proposé à ces sauvages d’entrer en pourparlers sur cet important sujet, ils lui firent signifier les articles suivants.

1o Que le Gouvernement de la Nouvelle-Angleterre devait retirer immédiatement et pour toujours les Anglais du pays des Abénakis.

2o Que le gouverneur anglais n’était pas leur maître, que ni lui ni ses prédécesseurs ne l’avaient jamais été, que les sauvages s’étaient soumis volontairement au roi de France, et qu’ils ne prétendaient recevoir des ordres que de lui ou de ses généraux.

3o Qu’ils ne permettraient jamais aux Anglais d’avoir des établissements sur leurs terres, qu’ils n’accordaient cette permission qu’aux Français.

4o Qu’ils étaient fort surpris d’entendre dire que le gouverneur anglais songeait à leur donner des missionnaires protestants, qu’ils étaient bien aise de l’informer qu’ils ne voulaient pas changer de religion, et qu’ils n’en professeraient jamais une autre que celle qui leur avait été enseignée par les Français, qu’ils avaient combattu pour la défense de cette religion et qu’ils combattraient encore jusqu’à la mort[399].

Les Iroquois reclamèrent aussi à peu près dans le même sens contre les prétentions de la Nouvelle-York sur leurs terres.

Bientôt, les Anglais s’imaginèrent que les P. P. Jésuites étaient les principaux instigateurs de ces démarches. Alors, ceux de la Nouvelle-York, héritiers du fanatisme des Puritains de la Nouvelle-Angleterre passèrent une loi qui défendait sous peine de mort à tout prêtre ou religieux d’entrer dans les limites de leur Province[400].

Ainsi, par cette loi, les P. P. Jésuites étaient exclus du pays des Iroquois. Ces sauvages en furent irrités, car un grand nombre d’entr’eux étaient chrétiens et fort attachés à leurs missionnaires. Aussi, ce fut principalement cet acte de fanatisme des Anglais qui les engagea enfin à faire avec les Français un traité de paix, qui devait toujours durer.

Dans le cours de l’été, 1700, ils envoyèrent dix députés à Montréal pour règler les conditions de la paix. Ces députés furent reçus avec solennité dans une assemblée, présidée par le gouverneur, M. de Callière[401]. Les Abénakis, les cinq nations iroquoises, les Hurons, les Iroquois du Saut Saint-Louis et les Outaouais étaient représentés dans cette assemblée.

Le harangueur iroquois fit connaître l’indignation que les règlements et les menaces des Anglais avaient soulevée parmi les gens de sa nation, et ajouta : « qu’ils avaient refusé de s’y soumettre, que ce refus pourrait peut-être leur attirer la guerre, et que, dans ce cas, il espérait qu’ils trouveraient au fort Frontenac les munitions et les armes qui leur seraient nécessaires. »

Le député des Abénakis dit « qu’il n’avait point d’autre hache que celle de son Père, et que celui-ci l’ayant enterrée, il n’en avait plus. » Les Iroquois du Saut Saint-Louis firent la même déclaration.

Le député des Hurons, le célèbre Chef Kondiaront, surnommé « le Rat », prit ensuite la parole, et dit : « J’ai toujours obéi à mon Père, et je jette ma hache à ses pieds ; je ne doute point que les gens d’en haut ne fassent de même. Iroquois, imitez mon exemple. » Les Outaouais parlèrent à peu près sur le même ton[402].

Les articles du traité de paix entre les Français, les Iroquois et les alliés furent arrêtés et signés, le 8 Septembre 1700. Les sauvages tracèrent sur le papier les armes de leurs tribus. Les Abénakis tracèrent un chevreuil, les Onnontagués et les Tsonnonthouans, une araignée, les Goyogouins, un calumet, les Onneyouths, un morceau de bois en fourche avec une pierre au milieu, les Agniers, un ours, les Hurons, un castor, et les Outaouais, un lièvre[403].

Les Anglais employèrent tous les moyens en leur pouvoir pour empêcher la confirmation de ce traité. Mais ce fut en vain, car les Iroquois étaient entièrement décidés à enterrer la hache pour toujours. L’année suivante, ce traité fut confirmé dans une assemblée, tenue à Montréal le 4 Août. 1,300 sauvages vinrent s’asseoir dans cette assemblée. On y voyait des Abénakis, des Iroquois, des Hurons, des Algonquins, des Miâmis, des Outagamis, des Outaouais, des Sauteurs, des Illinois et autres. Trente-huit députés signèrent le traité, et l’on chanta le Te Deum avec grande solennité, puis le reste de ce grand jour se passa en réjouissances[404].

Lorsque l’on considère le rôle que jouèrent les Abénakis dans les évènements qui arrivèrent en Canada et en Acadie, pendant la période 1680-1701, il nous paraît évident que ces sauvages étaient des instruments dans la main de Dieu pour protéger la colonie de la Nouvelle-France. Nos historiens sont unanimes à dire que cette petite colonie ne fut conservée, pendant cette période de longues et sanglantes luttes, que par une protection toute spéciale de la Providence ; car il est impossible de méconnaître le doigt de Dieu dans ces épidémies, ces naufrages et autres accidents qui décimèrent les armées des Anglais et détruisirent leurs flottes, chaque fois qu’ils prirent les armes contre la Nouvelle-France. Au reste, le fait seul que cette colonie, qui comptait alors à peine 10,000 âmes, ait pu se maintenir contre les puissantes colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre et de la Nouvelle-York, dont la population était vingt fois plus considérable, nous démontre clairement que Dieu veillait sur elle et la protégeait.

Nous pensons donc que Dieu se servit de la nation abénakise pour protéger le petit peuple canadien, qu’il voulait sauver.

Il donna à ces sauvages tant de bravoure, de valeur et d’intrépidité pour combattre qu’ils devinrent très-redoutables aux ennemis des Français. En effet, la terreur qu’ils inspiraient aux colonies anglaises et aux Iroquois est une chose fort étonnante. Les Anglais les redoutaient tellement qu’ils employèrent tous les moyens en leur pouvoir pour les attirer vers eux. La présence seule de cinq ou six de ces sauvages auprès d’un village anglais était suffisante pour y jeter l’épouvante, et faire fuir les habitants. Les Iroquois les craignaient tellement qu’ils ne consentirent pas à aller les attaquer chez eux, malgré les pressantes invitations des Anglais. Or, la nation abénakise ne compta jamais plus de 3,000 guerriers. N’est-ce pas une chose très-étonnante que cette petite nation ait inspiré tant de crainte à des colonies de 250,000 âmes et à des sauvages féroces et cruels, qui comptaient de 12,000 à 15,000 guerriers ?

Dieu mit aussi dans le cœur des Abénakis un tel attachement pour les Français qu’ils furent leurs alliés inséparables, et qu’ils eurent toujours la plus grande ardeur pour leur cause. Cet attachement était si grand que ces sauvages étaient plus sensibles aux pertes des Français qu’aux leurs propres, et qu’ils étaient toujours prêts à marcher pour les secourir ou venger leurs malheurs, tantôt en ravageant les cantons iroquois, tantôt en semant la désolation et la mort dans les colonies anglaises. Leur ardeur pour la cause de leurs alliés était telle qu’ils épiaient sans cesse les mouvements des Anglais pour en informer le gouverneur du Canada.

Les Français de la colonie reconnaissaient l’importance des services que ces sauvages leur rendaient. Nous avons vu qu’en 1690 M. de Villebon représenta à la Cour de France « qu’il pourrait se maintenir en Acadie avec le seul secours des Abénakis. » On savait en Europe que le secours de ces sauvages était nécessaire à la Nouvelle-France. Aussi, en 1696 Louis XIV recommanda au Comte de Frontenac de s’emparer à tout prix du fort de Pemaquid et d’en chasser les Anglais, qui incommodaient ces sauvages, afin de conserver leur alliance, absolument nécessaire à la colonie. Le P. de Charlevoix dit plusieurs fois, dans l’histoire de la N. France, « que les Français n’auraient pu se maintenir en Canada sans le secours des Abénakis, qu’en Acadie ces sauvages furent leur principal boulevard et formèrent une digue infranchissable entre la Nouvelle-Angleterre et la colonie française, qu’ils furent enfin placés en Canada, sur les rivières Saint-François et Bécancourt, pour former une barrière aux Iroquois et arrêter leurs irruptions. »

Tout cela nous démontre, de la manière la plus évidente, que la petite nation abénakise a joué dans la Nouvelle-France un rôle si important et tellement au-dessus de ses forces, qu’il serait inexplicable si on n’y reconnaissait pas une intervention de la puissance de Dieu.

On conçoit facilement que les ennemis des Français avaient le cœur rempli de haine contre ces sauvages. Nous rapporterons ici un fait bien propre à le prouver, et qui ne manque pas d’intérêt.

Dans le cours de l’été, 1695, un parti d’Iroquois se réfugia un jour sur une petite île du lac Champlain, pour y passer la nuit. Cinq ou six Abénakis, occupés à faire la chasse près de ce lac, les ayant aperçus, résolurent aussitôt de les attaquer. Mais il fallait auparavant prendre quelque connaissance du lieu où étaient ces ennemis. Ils envoyèrent donc l’un d’eux dans ce but. L’Abénakis se rendit à l’île, à la nage ; puis, se glissant le plus légèrement possible, à travers les herbes et les broussailles, il alla se cacher à quelques pas du campement ennemi, de manière à voir ce qui s’y passait et à entendre ce qui s’y disait.

Trente Iroquois étaient assis autour d’un feu et formaient des projets de vengeance contre les Abénakis, tandis qu’une énorme tête de bœuf, qui devait être le mets de leur repas, cuisait suspendue au-dessus de ce feu. Après le repas, l’un d’eux amassa les os et les jeta loin derrière lui, en s’écriant : « Puissions- nous dévorer tous ces chiens d’Abénakis, comme cette tête, et les traiter ainsi ! » Bientôt, ils se couchèrent autour du feu et ne tardèrent pas à s’endormir profondément.

L’Abénakis se glissa alors jusqu’aux canots des ennemis, y pratiqua, avec son couteau, de larges ouvertures, puis retourna vers ses frères.

Les Abénakis se rendirent aussitôt dans l’île, et, profitant du sommeil de leurs ennemis, se jetèrent sur eux la hache à la main, en poussant d’horribles cris : Ils en tuèrent plusieurs sur le champ. Les autres, saisis d’une terreur panique, et se croyant attaqués par un grand nombre d’Abénakis, se précipitèrent dans leurs canots pour s’enfuir, et se noyèrent.

Les Abénakis nommèrent cette île « Otepsek, » l’île à-la-tête, à cause de la tête de bœuf.

Ce fait nous donne une idée de la haine et de la crainte que les Iroquois avaient pour les Abénakis, ainsi que des ruses que ces derniers employaient pour détruire leurs ennemis.

Quoique le P. de Charlevoix ne parle pas de ce fait, il est très-probable qu’il le connaissait, car sur sa carte du lac Champlain il donne à cette île le nom « d’île-aux-têtes. »


CHAPITRE QUATRIÈME.

missions abénakises en canada. — saint-joseph de sillery. — saint-françois de sales
de la rivière chaudière.

1680-1701.


Aussitôt après l’arrivée des Abénakis en Canada, les P. P. Jésuites songèrent à réunir ces sauvages dans la mission de Saint-Joseph de Sillery. Les deux Pères Bigot, Vincent et Jacques[405], furent choisis pour être leurs missionnaires. Ces Pères les visitèrent et en engagèrent un grand nombre à venir s’établir à Sillery. Aussi, dès l’année suivante, la nouvelle mission abénakise comptait déjà 500 à 600 âmes. Ces sauvages étaient alors presque tous infidèles, et vivaient dans la plus grande ignorance ; ce qui n’est pas étonnant, puisqu’ils n’avaient pas vu de missionnaire depuis vingt ans ; car on sait que la mission abénakise de l’Acadie avait été abandonnée en 1660, à cause des guerres des Iroquois. Cependant les Pères remarquèrent de suite en eux un grand désir de recevoir l’instruction religieuse et d’embrasser le christianisme. Aussi, dès l’année suivante, ces nouveaux néophytes édifièrent leurs frères chrétiens par leur piété et leur ferveur.

La nouvelle du bon accueil des Abénakis à Sillery fut bientôt portée en Acadie. Alors, quelques sauvages de ce pays furent députés à Québec pour représenter aux P. P. Jésuites qu’un grand nombre de familles de leur nation désiraient venir s’établir en Canada, pour embrasser le christianisme, et que la chose pourrait se faire facilement, si on leur donnait des terres pour y cultiver le maïs. Les P. P. Jésuites, ne pouvant recevoir à Sillery tous ces sauvages et connaissant que la rivière Chaudière était un endroit bien propre à l’établissement d’une nouvelle mission, demandèrent au gouverneur une concession de terre sur cette rivière, pour y réunir les Abénakis. M. de la Barre accéda à cette demande, et leur accorda un terrain de six milles de front sur autant en profondeur. Cet acte de concession, daté du 1er Juillet 1683, est ainsi conçu.

« Les Sieurs Le Febvre de la Barre, Seigneur du dit lieu, Conseiller du Roy en ses Conseils, Gouverneur et son lieutenant général en toutes les terres de la Nouvelle-France et Acadie, et de Meulles, Conseiller du Roy en ses Conseils, Intendant de la justice police et finance au dit païs.

« Les pères de la Compagnie de Jésus nous ayant exposé que plusieurs sauvages de la nation des Abnakis qui sont dispersés le long des terres anglaises du quartier du Baston leur avoient fait connoistre qu’ayant dessein de venir s’habituer proche de nous et d’embrasser le christianisme, ils se seroient venus retirer auprès de ceux de leur nation qui font profession de la religion chrestienne sous leur conduite dans leur résidence de Sillery s’il y avoit eu place suffisante pour les y recevoir et faire du bleds-d’Inde pour leur subsistance, au défaut de quoy ils supplioient les dits pères de leur procurer des terres où ils pûssent jouir des mesmes avantages. Ce qui les avoit obligés d’en chercher dans d’autres lieux voisins. Et en ayant trouvé dans la rivière du Sault de la Chaudière proche de l’habitation de François Miville dit le Suisse, de nous en demander la concession en faveur des dits Abnakis dont ils leur feront la distribution comme ils l’on fait de celle de la prairie de la Magdelaine et du Sault Saint-Louis. En conséquence des ordres du Roy, nous sous le bon plaisir de Sa Majesté avons aux dits pères de la Compagnie de Jésus concédé et accordé, concédons et accordons l’espace de deux lieues de terre de front, sur pareille quantité de profondeur le long des deux bords de la dite rivière du Sault de la Chaudière vis-à-vis joignant et au-dessus de l’habitation du dit François de Miville, avec les Isles et Islets qui se rencontreront sur la dite rivière ou autres, pour estre par les dits pères distribuées aux Abnakis qui viendront dans la mission qu’ils y establiront embrasseront le Christianisme et pour en jouir comme de choses à eux appartenant, avec défense à toutes personnes de les y troubler en quelque sorte et manière que ce puisse estre : de traiter vendre ou donner aucun vin ou eau-de-vie aux dits sauvages dans toute l’étendue de la concession. Fait au Montréal le premier jour de Juillet mil six cent quatre-vingt-trois »[406].

Sur l’invitation du P. Jacques Bigot, les Abénakis commencèrent à se réunir sur la rivière Chaudière dès l’été de 1683. Il y affluèrent de toutes parts, même de l’Acadie. On construisit de suite une chapelle au milieu de ce nouveau village. Cette mission fit des progrès si rapides que dès l’automne de la même année, elle était déjà beaucoup plus considérable que celle de Sillery.

Voici ce que dit le P. de Charlevoix de cet établissement. « Les Abénakis sont venus des côtes méridionales de la Nouvelle-France, les plus proches de la Nouvelle-Angleterre. Leur première station en quittant leur pays ; pour venir demeurer parmi nous, fut une petite rivière qui se décharge dans le fleuve Saint-Laurent, presque vis-à-vis de Sillery ; c’est-à-dire, environ une lieue et demie au dessus de Québec, du côté du midi. Ils y étaient placés aux environs d’une chute d’eau qu’on nomme le Sault de la Chaudière»[407].

D’après ces paroles du P. de Charlevoix, on serait porté à croire que cette mission était située sur la rivière Etchemin ; mais l’acte de concession que nous venons de rapporter ne laisse aucun doute sur ce sujet. D’ailleurs le nom que les Abénakis donnèrent à la rivière Chaudière s’accorde parfaitement avec cet acte : comme ils avaient des champs pour cultiver le maïs, ils l’appelèrent « kikônteku »[408], rivière des champs.

Les P. P. Jésuites appelèrent cette mission « Saint-François de Sales, » parceque c’était le jour de la fête de ce saint, 29 Janvier précédent, qu’ils avaient résolu de former ce nouvel établissement, et ils recommandèrent au P. Jacques Bigot de faire reconnaître ce saint-Patron par ses sauvages, pendant les exercices d’une mission solennelle.

Quelques jours avant la fête de Noël, le Père se rendit, dans ce but, à la nouvelle mission de Saint-François de Sales. Après y avoir célébré la naissance du Fils de Dieu, avec autant de pompe que possible, il proposa à ses sauvages de faire une grande retraite de trente jours, pour reconnaître solennellement leur saint-Patron, et se mettre spécialement sous sa protection. Cette proposition fut accueillie avec joie.

Le 28 Décembre, veille du jour fixé pour le commencement de cette retraite, on éleva un autel dans la chapelle, et on y exposa l’image du saint-Patron. Les sauvages ornèrent cette image ainsi que l’autel d’un grand nombre de colliers de wampum et de rassade. « J’y adjoutay, » dit le Père, « ce que nous avons de plus beaux ornemens dans nostre église, et autant de luminaire qu’en put fournir nostre faible mission[409]. »

Les exercices de la retraite commencèrent par l’invocation des S. S. noms de Jésus et de Marie, puis les sauvages adressèrent à leur Saint-Patron une prière, composée par le Père pour exciter leur confiance en sa protection. Ils montrèrent une ardeur admirable à apprendre cette prière, et la récitèrent quatre fois le jour pendant la retraite.

Chaque jour après la messe, le Père leur donna une instruction sur les actions les plus remarquables du Saint-Patron, s’efforçant chaque fois de leur inspirer une grande confiance en sa protection. La retraite se termina le 29 Janvier.

Pour cette grande fête, on éleva un nouvel autel, plus richement orné que le premier. Le supérieur des Jésuites en donna le plus bel ornement ; ce fut une grande image de Saint-François de Sales sur satin. « Je peux dire que je n’ay point veu en France, » dit le Père, « de plus belle image de Saint-François de Sales ny de mieux enrichie que l’est celle là ; j’ay eu mesme, pour vous le dire franchement, quelque scrupule sur la despense que j’ay faite pour cela estant si pauvre que je n’ay pas mesme de quoi avoir les vivres nécessaires pour l’enstretien de nostre mission et principalement des plu-misérables, mais mon scrupule n’a pas duré long temps, jugeant que dans une occasion si importante que celle la on doit mesme retrancher du nécessaire pour contribuer avec plus d’efficacité à faire entrer dans les sentiments de piété ces pauvres sauvages qui on veut gaigner à J. C. Nostre image ainsi ornée fut mise sur un petit tapy de satin bordé de frange d’or et d’argent. Ce tapy était placé tout au haut de l’autel du saint et faisait paroistre l’image dans tout son jour »[410].

On plaça au bas de cet image un grand collier de wampum, sur lequel on lisait les mots suivants : « S. Fran. Sales io Abnaq. D. », don des Abénakis à Saint-François de Sales. Ce collier fut envoyé à Annecy, pour être déposé sur le tombeau de Saint-François de Sales[411].

Le missionnaire désirait récompenser une sauvagesse, pour la part qu’elle avait prise à la confection de ce bel ouvrage, mais cette bonne chrétienne ne voulut rien recevoir, disant « qu’elle attendait sa récompense de son Père à qui elle faisait ce petit présent »[412].

Voici ce que dit le Père de ce jour de fête. « Tous les sauvages assistèrent à la cérémonie et à la communion générale. Je commencay ce jour là à faire présenter dans l’église des pains bénis par les sauvages mesmes ; ce fut François de Sales de la piété de qui je vous ay desjà escrit les années précédentes qui donna ces pains bénis le jour de la feste de son patron ; il en présenta deux fort grands ; c’estoit tout ce qu’il pouvoit porter et les distribua après à tous les sauvages avec une modestie et un ordre admirables. Après que tous nos sauvages eurent passé presque toute la matinée de la feste à l’église, je leur fis le festin pour la feste »[413].

C’est ainsi que se termina ce jour de fête où les Abénakis reconnurent solennellement Saint-François de Sales pour leur Patron.

Nous dirons maintenant quelques mots du bien qui s’opéra dans cette mission, ainsi que dans celle de Sillery.

La plupart des sauvages avaient un tel respect pour les noms qu’ils recevaient au baptême que, ne voulant plus désormais en porter d’autres, ils abandonnaient ceux qu’ils avaient reçus auparavant, et refusaient même de les faire connaître. « Nous sommes obligés, » dit le P. Bigot, « de donner deux noms à plusieurs pour éviter la confusion dans le grand nombre, et ils ne veulent estre appelez la pluspart que par leur nom de baptesme, tellement que j’eus dernièrement toutes les peines du monde à tirer de quelques personnes leurs noms de familles, on me répondit qu’ils n’avoient point ici d’autre nom que celuy de leur baptesme »[414].

Ils avaient une telle dévotion à leur Saint-Patron qu’ils témoignaient toujours le plus grand désir de connaître même ses moindres actions, afin de s’exciter, par son exemple, à la pratique de la vertu. Plusieurs parvinrent, par ce moyen, à un haut degré de perfection, et se firent remarquer surtout par leur pureté, leur humilité et leur charité[415]. Ils écoutaient attentivement et retenaient ordinairement dans leur mémoire tout ce qui leur était dit sur ce sujet ; celui qui l’oubliait se considérait comme bien coupable, et priait aussitôt le missionnaire de le lui répéter. Ils s’estimaient heureux, lorsqu’on leur donnait une image de leur Saint-Patron ; ils la conservaient religieusement et l’exposaient dans leurs wiguams.

Ils avaient aussi une grande dévotion à la Mère de Dieu. Aussi, toutes les femmes voulaient porter le nom de Marie, et le missionnaire était obligé de donner deux noms à chacune d’elles, afin d’éviter la confusion. Mais la dévotion à Jésus en croix était la plus universelle parmi ces sauvages. Ils invoquaient sans cesse le nom de Jésus, et se faisaient tous un honneur de porter sur leur poitrine une petite croix. Voici ce qu’écrivait le missionnaire à ce sujet. « Je peux dire que ce n’est pas la simple curiosité ny le désir d’avoir qui en portent plusieurs icy à demander des crucifix, j’en vois un grand nombre qui en font un si saint usage se servant de leur crucifix pour s’exciter à s’unir à J. C. Aussi je leur dis souvent qu’ils doivent d’abord porter le crucifix dans le cœur et qu’ils ne sont que des enfans s’ils se contentent de le porter à leur cous. Ils conçoivent parfaitement cette instruction ; je leur ay mis une oraison jaculatoire à Jésus fort courte en toute sorte d’airs de chant qu’ils scavent desja ; je les porte à la dire dans leur travail, dans leurs cabanes, en marchant, allant bucher, mais surtout quand ils se sentent saisis de chagrin. Tous les airs de cette petite chanson spirituelle sont la pluspart joyeux et je vous avoue en passant que je croy n’en pouvoir trop faire pour les entretenir dans une grande joye spirituelle ; et d’abord que je les aperçois tristes, je les engage doucement à me dire le sujet de leur tristesse pour les consoler : souvent ils ne le scavent pas eux-mêmes, je donne bientôt à ceux là des sentimens de joye sur le bonheur qu’ils ont maintenant de servir Dieu et de connoistre J. C. Souvent cette tristesse vient du souvenir de leurs parens qu’ils ont laissés dans leur païs, je les porte à prier pour eux et leur donne espérance de les voir icy bons chrestiens comme eux »[416].

Ces sauvages étaient extrêmement sensibles aux insultes. Lorsque quelqu’un d’eux se laissait aller au chagrin, après avoir été insulté, le missionnaire lui représentait que, s’il voulait être bon chrétien, il fallait oublier et pardonner cette injure, parceque Jésus l’ordonnait, et il lui faisait répéter ces mots : « Je vous aime, mon Jésus, et ne voudrais pas vous offenser en me fâchant contre cette personne »[417]. Ce sauvage reprenait aussitôt sa gaîté ordinaire, et oubliait tout.

La plupart de ces sauvages menaient la vie la plus exemplaire ; quelques uns avaient même la conscience si timorée qu’ils manifestaient souvent à leur Père les plus grandes inquiétudes sur leur état, se considérant comme de grands coupables devant Dieu, tandis qu’ils n’avaient que des fautes forts légères à se reprocher. « Penses-tu, » lui disaient-ils, « que nous puissions nous rendre agréable à Jésus lorsque nous sommes si méchants ? Crois-tu qu’il nous pardonne lorsque nous le trompons si souvent dans la parole que nous lui avons donné de ne plus l’offenser »,[418] ? Ils poussaient leur scrupule si loin qu’ils n’ôsaient entrer dans l’église, disant qu’ils souillaient le lieu saint par leur présence. « Je réponds à ceux qui me donnent plus de peine là dessus, » dit le P. Bigot, « J. C. connoist la douleur que tu as de tes péchez, je connois comme tu aymes la prière, je ne voudrois pas te tromper, ny te cacher tes défauts, si je te voyois encore en péché. Je te le dis, en tant que me l’ordonne J. C., va, entre dans l’église ; prie y comme les autres, et n’omet rien de tout ce qui se fait pour la prière. Ils obéissent et reprennent leurs exercices de piété : — quelques uns ne laissent pas de venir à la charge quoyqu’effectivement je connoisse qu’ils soient dans une grande innocence de vie, et dans une horreur actuelle de ce qui peut tant soy peu offenser Dieu »[419].

Ces sauvages, étant naturellement colères, se laissaient quelquefois entraîner dans des mouvements violents ; mais ils le regrettaient aussitôt, et en éprouvaient une telle confusion qu’ils s’éloignaient de l’église, n’osant plus paraître devant leurs frères. Une sauvagesse très-vertueuse, du nom d’Agnès, s’étant un jour livrée à la colère, en conçut aussitôt un tel regret qu’elle se rendit à la chapelle pour demander publiquement pardon de sa faute, répétant plusieurs fois cette prière. « Pardonne-moi, aimable Jésus, l’emportement où je suis tombée, afin que je ne soie éternellement damnée »[420].

Voici ce qu’écrivait le P. Bigot, touchant ce défaut et quelques autres imperfections qu’il remarquait chez ces sauvages. « Tous ces deffauts que je marque pour faire connoistre comme on le souhette les manières dont ces gens icy prennent les choses de Dieu n’empeschent pas qu’ils n’ayent véritablement un fond de piété et de vertu ; et je connois certainement par ce que je vois icy que Dieu ne permet ces sortes de fautes dans la pluspart de nos sauvages que pour les porter à une plus grande vertu, et plusieurs sont véritablement saints maintenant que je n’aurois jamais pu porter à cette saineteté si je n’en avois eu l’occasion par quelque faute où ils sont tombez. Il ne laisse pas néantmoins d’y en avoir un assez grand nombre icy dans lesquels je puis dire que je n’ay jamais pu remarquer ces deffauts et cette inconstance naturelle aux sauvages. Il semble que depuis qu’ils sont baptisez, ils sont devenus des hommes tous nouveaux »[421].

On voit par ces paroles du missionnaire que plusieurs de ces sauvages étaient parvenus à une véritable sainteté. Nous en citerons quelques exemples.

Une jeune sauvagesse, du nom d’Agnès Pulchérie, poussée par le désir de se faire chrétienne, était venue de l’Acadie, avec son mari, s’établir à la mission de la rivière Chaudière. Son ardeur pour s’instruire était telle qu’elle apprit bientôt toutes les principales prières. Elle fit preuve de suite d’une ferveur extraordinaire. Le missionnaire la suivit avec soin pendant trois mois, et, ne pouvant apercevoir aucune faute en elle, il crut devoir lui conférer le baptême, après ce temps d’épreuve. « Je ne voyais point encore », dit le Père, « les desseins particuliers de Dieu sur elle pour l’eslever à la haute saineteté où elle est »[422].

Un mois après son baptême, elle fut pénétrée de sentiments extraordinaires d’amour de Dieu, de confiance en lui et de douleur des fautes de sa jeunesse. Pendant un mois, elle passa la plus grande partie de son temps à l’église, priant et méditant. Elle disait souvent au missionnaire. « J’ai de la douleur d’avoir offensé Dieu, et j’espère, s’il m’aide, ne le plus offenser. Je suis disposée de faire tout ce qui sera nécessaire pour satisfaire à Jésus »[423]. Elle persévéra dans ces beaux sentiments.

Mais Dieu, voulant lui accorder de suite le bonheur de l’autre vie, lui envoya une grave maladie. Comprenant qu’elle allait mourir, elle reçut cette maladie avec la plus grande joie. Ne pouvant plus alors travailler, elle passait tout son temps à prier et à méditer, ne se plaignant jamais des douleurs qu’elle éprouvait. Lorsque le missionnaire lui parlait de Dieu, elle devenait transportée de joie. Elle mourut après cinq ou six mois de maladie[424].

Son mari s’était aussi donné à Dieu. Voici ce qu’en dit le P. Bigot. « Cet homme est un des plus accomplis sauvages que nous ayons, je n’ay connu aucune ombre de vice en luy, jamais je n’ay entendu une parole plus haute l’une que l’autre, il est ardent pour la prière et quand il est icy il me fait de grande instance pour l’instruire particulièrement. Ils ont tous deux un zèle admirable pour instruire au plus tost un de leurs enfans qui commence à parler, et vivent ainsi dans la plus grande joye du monde sans que je les aye peu voir jamais chagrins »[425].

Une autre famille se consacra à Dieu de la même manière, et édifia beaucoup les sauvages. « Ces deux familles ensemble », dit le missionnaire, « sont irréprochables en tout ; en les voyant il me vient souvent certains désirs : ah ! que je souhaiterois qu’on vit en France la manière dont ces sauvages se portent à Dieu ; car on ne peut le concevoir à moins qu’on ne le voye »[426].

Tous les Abénakis avaient une grande ardeur pour se faire instruire, et montraient beaucoup d’empressement et de courage à pratiquer ce qui leur était enseigné. « De l’adveu de tout le monde de ce païs, » dit leur missionnaire, « on n’a point encore veu icy une nation recevoir avec tant de docilité les instructions de nos mistères »[427].

Mais il n’en était pas de même des Sokokis. Voici ce qu’en dit le même missionnaire. « Pour les Soquoquis dont je connois le caractère inconstant et qui sont fort portez à l’ivrognerie, j’ay cru que je n’en devois recevoir aucun icy sans en faire un grand choix et que nostre mission n’est pas encore assez établie dans la piété chrestienne pour admettre cette sorte de meslange qui dans les commencemens gaste quelque fois tout. J’avois proposé il y a quelque temps iey de faire une mission volente de temps en temps chez ces Soquoquis et chez les Algonquins des Trois-Rivières, j’en connois desja la pluspart, et je crois qu’au bout de deux ou trois petites missions on verroit quelque fruit »[428].

Dans les maladies, les Abénakis montraient toujours la plus grande résignation à la volonté de Dieu. Presque tous ceux qui allèrent à la guerre contre les Iroquois, en 1684, revinrent malades des fièvres. Cette maladie se répandit bientôt dans la mission, et enleva un grand nombre de sauvages. Laissons dire au P. Bigot comment ces bons chrétiens supportèrent cette grande affliction. « Dans toute cette désolation qui m’a paru d’abord devoir quasy détruire la mission je puis vous dire que j’ay commencé à faire prendre à nos sauvages le tout du costé de Dieu et à toutes leurs familles qui estoient dans l’affliction ; tous universellement m’ont fait paroistre une résignation totale à la volonté de Dieu ; et je crois que si je rapportois en particulier les actes de patience, de conformité et d’amour de Dieu que j’ay veu faire à un chacun cela paroistroit incroyable en France ; je ne dis pas de douze ou de vingt malades seulement, mais généralement de tous. Il est vrai qu’il y en a qui en faisoient de plus héroïques. L’unique chose en quoy ils m’ont donné de la peine c’est que plusieurs à mon insçu d’abord que la fièvre relaschoit un peu se trainoient jusqu’à l’église d’où ils estoient assez éloignez, et se trouvant plus mal à l’église, ils ne s’en retournoient qu’à peine, leur fièvre redoublant. Deux choses les ont extrêmement touchez dans leur maladie : la première est l’exemple de patience dans Saint-Louis, roy de de France, qui fut attaqué avec son armée de peste. La seconde est la vue de leurs propres désordres lorsque je leur disois que Dieu en bon père les chastioit par cette maladie pour les faire satisfaire pour leurs péchez, et que bien loin d’estre brulez en enfer comme ils l’avoient mérité par tant d’yvrogneries, d’impuretés, de paroles sales, Dieu les mettroit dans son paradis et les y récompenseroit de tous les actes de patience qu’ils faisoient maintenant. Aussy une bonne partie des pénitences données aux malades qui se confessoient étoit de faire doucement des actes d’amour de Dieu, de douleur de l’avoir offensé et d’offrande à Dieu de leur maladie. L’un par exemple après sa confession disoit à Dieu dix fois : Je vous ayme mon Jésus, je suis mary de vous avoir offensé, je vous offre ma maladie, je suis content d’estre malade, que je ne brule point éternellement dans l’enfer. L’autre qui estoit un peu plus fort faisoit vingt fois ces actes et ainsi du reste… L’admiration continuelle où je suis auprès de tous ces malades est de penser : verroit-on une telle patience, une telle résignation, tels sentimens de Dieu dans les personnes les plus vertueuses de France. Les autres sauvages qui assistent nos malades et qui souffrent pour ainsi dire avec eux font paroistre la mesme patience, et aussy tost que j’aperçois quelqu’un s’affliger de la maladie d’un de ses proches, je lui fais prendre les sentimens qu’il doit prendre de patience, de résignation et de charité à soulager son parent dans la vue de J. C. »[429].

Comme cette terrible maladie menaçait d’envahir la mission, le missionnaire crut devoir en éloigner les malades. Un grand nombre de ces malheureux furent transportés sur le bord du Saint-Laurent, à Saint-Michel et au Cap Saint-Ignace. Le Père et son compagnon, le P. Gassot, passèrent la plus grande partie de leur temps à aller visiter ces malades. « On nous envoye quérir de tous costez », dit le Père, « et il faut estre tout le jour continuellement sur pied et très souvent une partie de la nuit. Ils sont tous assez éloignez les uns des autres, car ils sont pour la pluspart dans les cabanes de la campagne ; les uns estant à la coste de Saint-Ignace, les autres à Saint-Michel. Il m’a fallu continuellement depuis un mois faire ces excursions de demy lieue à demy lieue »[430].

La maladie se répandit aussi à Sillery, et un grand nombre y succombèrent pendant l’hiver 1684-1685. Effrayés des ravages de cette épidémie, la plupart des sauvages laissèrent la mission, et allèrent se cabaner dans les environs. Ils érigèrent une petite chapelle dans la forêt où ils s’y réunissaient pour prier. Malgré la rigueur de la saison, le missionnaire s’y rendait quelquefois pour prier avec eux.

Il y avait alors à Sillery un Abénakis fort remarquable sous tous rapports. Il était le premier Chef de la mission, et se nommait « Tak8arimat »[431]. Ce bon chrétien menait la vie la plus exemplaire. Dans le cours de l’hiver 1684-1685, dans un voyage qu’il faisait à la côte de Beaupré avec son épouse, il fut soudainement atteint de la fièvre. Comprenant de suite qu’il allait mourir, il parut d’abord effrayé de la mort qui se présentait si subitement à lui ; mais, encouragé par sa vertueuse épouse, il se résigna bientôt à la volonté de Dieu, et, après deux jours de maladie, il expira entre les bras d’un prêtre, venu pour lui donner les secours de l’église. Ce bon chrétien avait demandé son missionnaire ; mais celui-ci ne put se rendre assez tôt pour recevoir son dernier soupir.

Ce Chef fut inhumé avec pompe dans l’église du Chateau-Richer. « Je n’ay pas encore veu faire », dit le P. Bigot, « dans les églises de ces costes icy de services plus solennels que les François ont fait à ce capitaine »[432].

Ce sauvage jouissait d’une haute considération auprès des Français. Monseigneur de Laval et M. de la Barre l’affectionnaient beaucoup. « M. le Général », dit le P. Bigot, a esté fort touché de sa mort et je crois que Monseigneur l’évesque lorsqu’il apprendra sa mort en sera fort touché, car il l’aymoit tendrement à cause de sa piété »[433].

Voici ce que le missionnaire dit de la piété de ce fervent chrétien. « Je n’arrivay qu’après sa mort, qui a été fort regrettée des François et des sauvages dont il estoit connu pour estre un fervent chrestien. Je puis dire que depuis six ans que je l’ay connu je ne lui ay veu commettre que deux fautes et encore ce fut par surprise et estant revenu aussy tost il en fit des satisfactions qui marquaient sa véritable douleur, une fois entr’autres faisant une aumosne fort considérable à une pauvre sauvagesse de cette mission il déclara à tout le monde qu’il la faisoit pour satisfaire à Dieu de la faute où il estoit tombé un jour devant. Je vous assure que dans ses confessions ordinaires je ne pouvois presque trouver matière d’absolution »[434].

Enfin, pour donner une idée de la piété de la plupart de ses savages, le missionnaire ajoute. « Je me contenteray de vous dire pour vous donner en général une idée de l’estat où sont les chrestiens de cette mission que dans la première bande de ceux qui gagnèrent le jubilé qui fust la plus nombreuse, je ne crois pas avoir trouvé un seul péché mortel ; je vous avoue que j’en fus quelques jours dans une admiration continuelle ; j’ajoute que d’une trentaine d’hommes qui estoient dans le désordre je n’en vois pas trois qui ne soient dans l’honnesteté chrestienne ; c’estait de cette trentaine de sauvages que j’avois sujet d’appréhender pour nostre mission et mon occupation continuelle est d’avoir la vue sur eux pour les maintenir dans leurs bonnes résolutions ; pour les autres ils vont mesme dans la pratique de la vertu et me pressent continuellement de les instruire plus amplement de ce qu’ils doivent faire pour vivre en bons chrestiens »[435].


CHAPITRE CINQUIÈME.

vœu des abénakis à notre-dame de chartres.

1691.


En 1684, les Abénakis du Canada reçurent de France une grande statue de la Sainte-Vierge, qui fut placée solennellement dans l’église de Saint-Joseph de Sillery, le jour de l’Immaculée Conception. En ce grand jour de fête, tous les sauvages se mirent spécialement sous la protection de la Mère de Dieu[436].

Comme ils entendaient souvent parler des merveilles qui s’opéraient à la cathédrale de Chartres, en 1691 ils firent un vœu à la Mère de Dieu, si particulièrement honorée dans cette église, et chargèrent leur missionnaire de porter lui-même ce vœu en France. Ce vœu était accompagné d’un grand collier de wampum, sur lequel on lisait l’inscription suivante :

« Matri Virgini Abnaquiœi, D. D. »,
offert par les Abénakis à la Vierge Mère[437].

Le P. Jacques Bigot passa en France, à l’automne de la même année portant ce collier et le vœu des sauvages Dès que les Chanoines de Chartres eurent reçu ce présent, ils chargèrent M. Patin, Vicaire-Général, d’écrire au Père pour lui exprimer toute la joie que la piété et la générosité des Abénakis leur avaient causée. Le Père répondit à cette lettre comme suit :

« Monsieur,

« J’ay reçu aujourd’huy la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire ; je vous avoue que j’ay ressenti une joye toute particulière en lisant le narré que vous avez pris la peine de me faire de la manière dont on a reçu dans votre auguste église le présent et le vœu de nos pauvres sauvages. On ne le pouvait faire d’une manière plus obligeante et en mesme temps plus avantageuse pour ces nouveaux chrestiens. J’attends tout après cela de la protection de la très-sainte Vierge pour ces peuples éloignez. Je ne puis vous le dissimuler que je ressens un extrême désir de retourner au plus tost à cette nation pour lui raconter moi-mesme la manière dont ses vœux ont estez reçus aux pieds des autels de la Reine du ciel et les vœux qu’on a faits en mesme temps pour cette nation afin d’obtenir pour elle de la Sainte-Vierge une nouvelle ferveur. Je souhaite de tout mon cœur que ma santé me permette d’accompagner la réponse que vous avez dessein d’envoyer à ces chers sauvages pour animer leur piété. En vérité, votre illustre chapitre fait bien connoistre par là la pureté de son zèle et l’unique désir qu’il a de faire glorifier la Sainte-Vierge. Je prie de tout mon cœur l’auguste Mère de Dieu de récompenser le zèle qu’ont fait paroistre vos messieurs dans cette action si charitable à l’égard de nos pauvres sauvages ; vous allez par là les gagner tous au service de Marie. Permettez-moi de présenter encore une fois mes respects à tout vostre illustre chapitre et de le remercier pour mes chers sauvages de toutes les bontés qu’il a pour eux.

« Je suis avec un profond respect en participation de vos saints-sacrifices,

Monsieur, votre très humble et très-
obéissant serviteur en N. S.
Jacques Bigot.
de la compagnie de Jésus.
À Paris le 27 Janvier 1692. »

Dans le même temps, les Chanoines écrivirent aux Abénakis, pour les remercier de leur présent et leur faire espérer qu’ils recevraient, en retour, un don de reliques. Cette lettre fut reçue à Québec au printemps, 1692. À l’automne de la même année, le P. Vincent Bigot, qui remplaçait son frère dans la mission de Saint-François de Sales, répondit aux Chanoines, au nom des sauvages, comme suit :

« Messieurs,

« Mes chers Abnaquis ont esté charmez de la lettre que vous leur avez fait l’honneur de leur escrire. Leurs gestes et leurs manières, quoique sauvages, si vous aviez pu en estre témoins, vous auroient persuadez de la sincérité de leur reconnaissance. Auparavant que de la tourner en leur langue, je l’ay lue et relue bien des fois pour y puiser cet esprit de ferveur et de zèle dont elle est animée, afin de le faire couler autant qu’il me seroit possible dans la version que j’en voulois faire. Permettez-moy, Messieurs, de vous le dire, je reconnois dans cette aymable lettre, le caractère des fils ainés de la Sainte-Vierge ; non, personne ne peut vous disputer cette illustre qualité ; puisqu’enfin vous avez l’honneur d’estre les gardiens de ce saint temple, de ce temple si recommandable par son antiquité, basty en l’honneur de cette incomparable Vierge qui devoit enfanter, mais basty auparavant qu’elle naquit. J’ose ajouter qu’elle vous choisit elle-mesme pour estre les dépositaires du plus précieux trésor que nous ayons d’elle. Je ne suis point surpris, messieurs, que vous ne respiriez dans vostre lettre que l’amour du fils et de la mère ; que vous tâchiez de l’inspirer à nos chers sauvages, et d’unir ces deux amours dans leurs cœurs. Peut-on appartenir de si près à la mère sans avoir à cœur les intérêts du fils ? Je vous avoue, messieurs, que je ne saurais vous marquer autant que je le souhaiterais les sentimens sincères d’estime et de respect que j’ay pour vous. Je peux bien vous dire que mon cœur a beaucoup plus de part que ma plume à ce que je me donne l’honneur de vous écrire ; mais de quelle utilité vous peut estre toute l’estime qu’a pour vous un pauvre missionnaire à un bout du monde, lorsque cette vie si exemplaire et si religieuse que vous menez vous attire l’estime et l’approbation de tous ces concours de peuples qui vont continuellement honorer vos sacrés dépots. Au moins me satisfay-je un peu moy-mesme en cela, vous marquant de l’unique manière dont je peux l’extrême reconnoyssance que j’ay en mon particulier de l’honneur que vous faites à nos Abnakis. Ils attendent avec impatience le magnifique présent que vous avez la bonté de leur faire. L’on a conseillé à mon frère de ne nous l’envoyer que l’année prochaine, de peur qu’il ne tombast entre les mains des Anglois nos ennemis. Lorsque nos chers chrestiens l’auront reçu, ils vous en remercieront eux-mesmes, et je ne seray pour lors que leur interprète. En attendant que j’aye l’honneur de vous escrire, permettez-moy de vous demander un peu de part dans vos prières, surtout lorsque vous célèbrerez les saints mystères dans la sainte et vénérable maison de vostre grande Reyne et de vous assurer tous en particulier dans toute la sincérité de mon cœur, que je suis, avec un très-profond respect,

« Messieurs,
Votre très-humble
et très-obéissant serviteur.
V. Bigot.
De la compagnie de Jésus
En la mission de Saint-
François de Sales, proche Sillery, 7 Octobre 1692. »

Dans le cours de Ia même année, les chanoines de Chartres donnèrent au P. Jacques Bigot, pour les Abénakis, une grande chemise en reliquaire[438].

Le Père ne repartit de France qu’au mois de Février 1694, et arriva à Québec au printemps, avec le précieux présent.

Afin de mieux faire connaître comment les Abénakis apprécièrent ce don, qui leur venait de si loin, nous allons donner ici la lettre que le Père écrivit aux chanoines de Chartres, à l’automne de la même année.

« Messieurs,

« Je souhaiterois que vous eussiez vous mesmes esté témoins des sentiments de respect, de dévotion et de tendresse avec lesquels vostre précieux don a esté reçu par nos Abnakis. J’ay esté assez heureux pour en estre moy-mesme le porteur, retournant de France à ma chère mission ; le peu de sureté qu’il y avoit à l’envoyer me l’avoit fait retenir en France jusqu’à mon départ. Mais je crus le pouvoir risquer en m’embarquant moy-mesme et je ne doutay point qu’il me dust estre comme une sauvegarde contre tous les dangers de la mer. Dès que je fus arrivé à Québec nos sauvages chrestiens de cette mission, qui en est éloignée environ de deux lieues, m’y vinrent trouver, en firent paroistre une joye toute particulière lorsque je leur dis que j’avois apporté avec moy le saint présent qu’ils attendoient avec tant d’impatience. Dès le lendemain je partis de Québec avec nos chers sauvages pour venir disposer icy le lieu le plus honorable de nostre chapelle, où je souhaiterois placer vostre précieux présent. De vous exprimer, Messïeurs, les sentimens de tendresse et de dévotion qui accompagnèrent cette cérémonie, c’est ce que je ne puis faire moy-mesme qui en ay esté témoin.

« Ce n’est plus moy maintenant qui vais vous parler, Messieurs, je ne suis que le secrétaire et l’interprète de nos fervens chrestiens qui veulent eux-mesmes vous répondre. Je m’en vais donc vous faire une copie de ce qu’a dicté leur orateur et qui leur a esté ensuite relue dans leur conseil. J’y ajouteray l’interprétation avec toute la fidélité qui me sera possible ; la fréquente composition des mots qui se trouvent en cette langue et qui n’est point dans la nostre ne permettant pas quelquefois qu’on les puisse rendre dans toute leur force. Je vous avoue, messieurs, que je me trouve infiniment honoré de la commission dont je suis chargée, me flattant qu’elle me procurera au moins un peu de part dans le souvenir de tant d’illustres serviteurs de la très-sainte Vierge et qu’ils la prieront un peu pour moy. C’est la grâce que vous demande instamment celuy qui est, avec un très-profond respect,

Messieurs,
Votre très-humble
et très-obéissant serviteur en N. S.
Jacques Bigot.
De la compagnie de Jésus
De la mission de Saint-
François de Sales, ce 27 Octobre 1694. »

La chemise en reliquaire, donnée aux Abénakis, fut déposée dans l’église de la mission de Saint-François de Sales de la rivière Chaudière, et en 1700 elle fut transportée à la nouvelle mission de Saint-François où elle fut précieusement conservée jusqu’en 1759.

En 1699, le P. Vincent Bigot, alors à la mission de Saint-François de Sales, voulut renouveler l’union de prières des Abénakis avec les chanoines de la cathédrale de Chartres. Il fit faire une grande ceinture de wampum, longue de six pieds et formée de onze rangs de wampum. Alors, les sauvages firent deux neuvaines en l’honneur de la Sainte-Vierge, pour demander sa protection pour la continuation de leur union avec le chapitre de Chartres. L’une de ces neuvaines commença le jour de l’Assomption, et l’autre, le jour de la Nativité de Marie. Pendant ces jours de prières, la ceinture fut exposée dans l’église de la mission, aux pieds de la statue de la Sainte-Vierge.

Le Père envoya cette ceinture aux chanoines, avec la lettre suivante,

« Monsieur,

« Je ne sçaurais penser qu’avec des sentimens d’une extrême reconnoyssance à la grâce que vous avez faite à nos Abnakis, et rien ne me paroit plus capable d’entretenir leur ferveur que de leur remettre devant les yeux cette sainte association qui les unit à vous, cette sainte union que vous avez bien voulu contracter avec eux. Il y a trois ou quatre mois que trouvant icy leur réponse à l’obligeante lettre que vous leur avez fait l’honneur de leur écrire, sur cela la pensée me vint de la renouveler et de vous la renvoyer avec un nouveau présent pour la très-Sainte-Vierge. Lorsque je le leur proposay, ce fut un applaudissement si général qu’il ne me laissa aucun lieu de douter que je ne leur fisse un extrême plaisir. Ils ne pensèrent donc plus qu’à faire un collier de porcelaine, le plus magnifique, disoient-ils, qui se fut jamais fait, et à fournir aux meilleurs ouvriers du village, que l’on choisissoit pour cela, tout ce qu’il faudroit pour le bien exécuter. Pour ce qui est des paroles qui devoient y estre escrites, je leur en donnay un modèle et c’est tout ce que j’ay pu contribuer de ma part avec la version françoise que j’ay faite, ce me semble, avec la dernière exactitude ; nostre langue me paraissant plus capable que la latine des tours de la langue abnakise. Je vous supplie donc, messieurs, au nom de tous nos fervens chrestiens, de vouloir bien encore offrir à la Sainte-Vierge ce petit présent. Quoiqu’il n’ait rien que de sauvage, elle y verra parfaitement leurs cœurs et tous les sentimens d’amour et de tendresse dont ils sont pénétrez en le lui offrant. Nous le luy avons desjà offert icy, le mettant aux pieds de sa statue pendant deux neuvaines entières, durant lesquelles, outre les prières extraordinaires que l’on faisoit tous les jours pour vous, l’on chantoit l’inviolata en musique à la fin du saint-sacrifice de la messe. Nous implorions tous ensemble pour vous, messieurs, le secours et la protection de vostre grande Reyne ; et de mon costé, remply que j’étois d’une sainte joye, je la suppliois du meilleur de mon cœur de vous faire sentir l’effet de nos vœux et de nos prières par un accroissement et un renouvellement de ferveur en son saint amour. Entre les deux neuvaines dont la première commença le jour de l’Assomption et l’autre le jour de la Nativité de la Sainte-Vierge, et qui finirent toutes deux le lendemain de l’octave de ces deux festes, nous fimes un service solennel pour les défunts de vostre illustre corps, afin de vous marquer que notre reconnoyssance vous accompagnera jusqu’au tombeau et au delà du tombeau mesme, par nos prières et par nos vœux. Ces saintes actions se font avec tant de modestie, de ferveur et d’exactitude pour le chant, que les personnes qui en sont témoins ne peuvent souvent retenir leurs larmes en y assistant. Peut-estre que vous mesmes, messieurs, tout accoutumez que vous soyiez à entendre chanter juste, vous seriez surpris de voir que des sauvages soient capables d’une si grande exactitude dans le chant, et que, dans la variété des chants qui composent par exemple la messe des morts, dans ceux que l’on fait après la messe sur la représentation, ils suivent la note aussy exactement que s’ils avoient des livres devant les yeux. Tout se chante en leur langue, excepté ce qu’ils répondent en latin au célébrant. Les femmes surtout ont de très-belles voix, aussy douces et plus fortes que la voix des femmes françoises. Le cheur des hommes prend la basse lorsque l’on chante quelque motet à trois ou quatre parties ; et toutes les autres parties sont soutenues par plusieurs voix égales de femmes qui s’accordent parfaitement et qui ne s’écartent pas le moins du monde de leur ton, dans les reprises, mesme des chants, après quelque repos. Vous me pardonnerez bien, messieurs, une si longue digression, qui vous fera un peu connoistre les personnes que vous avez bien voulu honorer du nom de vos frères ; mais je compterois peu sur ces qualités naturelles et je ne croirois pas qu’elles les dussent rendre dignes de l’honneur que vous leur faites, si elles ne le méritoient un peu d’ailleurs. Si vous voyiez, messieurs, leur ferveur, leur innocence et leur éloignement extrême qu’ils ont des moindres petites fautes, leur docilité pour nos saints mystères, leur modestie en y assistant, leur application continuelle à penser à Dieu, leur amour pour J. C. crucifié et pour sa sainte Mère, qui va très-souvent jusqu’à une extrême tendresse, un désir héroïque de souffrances de quelques uns jusqu’à donner des marques sensibles de leur joye lorsqu’ils souffrent le plus, enfin toutes les marques de prédestination qui accompagnent ordinairement leur sainte mort ; je suis sûr que vous seriez sensiblement touchez d’un spectacle sy doux et sy consolent. C’est aussy là, messieurs, la consolation des missionnaires parmy les petites peines qui sont jointes à leur emploi ; et c’est par là que nostre Seigneur les y soutient. Oserois-je, messieurs, vous demander une grâce, c’est de le remercier pour moy de l’honneur qu’il m’a fait de m’appeler dans ces missions et de m’y conserver depuis près de vingt ans, quelqu’éloigné que je sois de la ferveur et de la vertu de tant de braves et de saints missionnaires qu’il y a occupez et qu’il occupe encore maintenant. Pouvez-vous aymer et estre unis sy étroitement avec les enfans sans vous intéresser un peu pour le père et pour leur missionnaire ? Comptez, s’il vous plait, messieurs, que je n’auray pas moins de reconnoyssance qu’eux de la grâce que vous me ferez, et que tous les jours de ma vie je me souviendray de vous dans le temps le plus précieux de la journée, à l’autel, y célébrant nos adorables mystères.

« Je suis de tout mon cœur et avec un très-profond respect,

Messieurs,
Votre très-humble et très-obéissant
serviteur.
V. Bigot.
De la compagnie de Jésus
De la mission des Abnakis proche Québec,
25 Septembre 1699.
 

Cette lettre et la ceinture de wampum furent reçues à Chartres au mois de Janvier 1700. L’année suivante, les chanoines, de plus en plus édifiés par la piété des Abénakis, leur envoyèrent une petite statue de la Sainte-Vierge, d’argent. En même temps, M. Vaillant Demihardouin, chancelier de l’église de Chartres, écrivit au P. V. Bigot, au nom du chapitre, la lettre suivante.

« Au très-révérend P. Bigot, Directeur et missionnaire de la nation des Abnaquis, et aux Abnaquis.

« Gavisi sumus valde quoniam audivimus fratres nostros ambulare in veritate sicut mandaturn accipimus à patre.

« (S. Joa. Ep. 2. V. 4.)

« Mon très-révérend père, pour réponse à celle que vous nous avez fait l’honneur de nous escrire, du 25 Septembre 1699, nous vous dirons que nostre joye a été parfaite lorsque nous avons appris les progrès que nos frères les Abnaquis font dans la perfection et piété chrestiennes par les exemples et instructions salutaires d’un missionnaire aussy zèlé que vous. Quelle satisfaction plus grande peut recevoir une compagnie de prêtres et de chanoines qui désirent avec empressement de voir étendre le royaume de J. C. de plus en plus chez les nations barbares, et d’apprendre les progrès merveilleux que la grâce toute-puissante de nostre Rédempteur opère dans l’esprit et dans le cœur de ces nouveaux fidèles, qui sont d’autant mieux préparez à recevoir les impressions célestes de sa grâce que le Saint-Esprit ne trouve en eux aucun obstacle, estant dégagez de toutes les affections terrestres et de qui l’on peut dire que n’ayant rien ils possèdent tout. Beatus populus, cujus Dominus Deus ejus.

« Nous avons reçu, M. T. R. P., avec beaucoup de satisfaction, le présent que nos frères en J. C. nous ont envoyé, et nous avons jugé par cet ouvrage qu’il n’y avoit rien de sauvage dans leur esprit et dans leur art. Tous les peuples de cette ville ont esté ravis de le voir et l’ont admiré ; nous l’avons dédié et consacré en l’honneur de Marie, vostre illustre Dame et princesse, qui, je m’assure, l’aura accepté avec autant de plaisir que sy c’estoit leurs personnes et leurs cœurs mesmes. Nous avons aussy recommandé nos frères les Abnaquis et leur zèlé pasteur aux prières publiques et saint sacrifice de tous nos mystères pendant plusieurs jours consécutifs, et pour reconnoyssance de leur bienveillance envers nous, nous avons jugé à propos de leur envoyer la figure et l’image de cette incomparable Vierge, à l’instar de la nostre, quoique différente pour la matière qui dans nostre église souterraine est de bois seulement, au lieu de celle que nous leur envoyons est d’argent et portative, espérant que la mémoire du nom de Marie et le souvenir de ses bienfaits leur seront toujours présents. Nous croyons que le R. P. Bouvart[439] leur aura appris, estant chartrain, qu’avant la naissance de N. S. J. C. cette image de Nostre-Dame de Chartres fut taillée et dédiée à la Vierge qui devoit enfanter et mise dans une grotte qui est à peu près dans la mesme place où elle se voit aujourd’hui. S. Potentien, second évêque de Sens, que l’apôtre S. Pierre avoit envoyé en France, s’arrêta à Chartres, où il bénit cette image et prit occasion de ces paroles, « Virgini parituræ, » pour annoncer la foy aux Chartrains, comme fit S. Paul à Athènes, à l’occasion d’une figure ou d’un autel où estoit escrit : « Ignoto Deo ». Voila ce que nos traditions nous apprennent. Que si cette figure a les yeux fermez et ceux de son fils ouverts, sy elle paroit noire et grossière, ce sont des sujets de réflexion et d’une belle morale que nos nouveaux chrestiens peuvent apprendre de vous, mon R. P., et du Père Bouvart à qui nous envoyons, comme à vous pareillement, les estampes de nostre chapelle de sous-terre, et vous les distribuerez, selon vostre prudence à qui vous le jugerez plus à propos. Nous vous disons enfin, mon très-R. P., que nous avons esté grandement édifiez de toutes les merveilles qu’il plait au Seigneur d’opérer sur l’esprit et dans l’âme de nos frères en J. C. Cette douce harmonie dont vous nous faites le récit est un avant goût des joyes du paradis que possèdent les bienheureux ; et moy qui ay l’honneur de vous escrire par l’ordre de la compagnie, m’acquittant en cela d’une obligation attachée au devoir de ma dignité, je suis témoin oculaire et auriculaire de cette vérité que j’ai confirmée en plein chapitre, advouant que je n’ay rien entendu en France ny ailleurs de sy doux et de sy mélodieux, lorsque j’estois en l’Isle de Montréal et Ville-Marie, avec M… de Saint-Sulpice, en qualité de missionnaire, connu des sauvages de la montagne par le nom « d’Atteriath. » Voila tout ce que nous pouvons vous dire pour le présent, vous priant instamment de ne nous pas oublier, mais de nous recommander à Dieu très-souvent. Que si nous avons de la considération et affection pour nos frères les Abnaquis, vous pouvez juger, M. R. P., quelle est la distinction que nous faisons de celui qui en est le père et le pasteur ; nostre plus grand plaisir sera toujours de vous en donner des marques dans les occasions qui s’en présenteront, aussy bien qu’au R. P. Bouvart, estant avec beaucoup de sincérité très-affectionnés aux pères et aux enfans.

Les doyens, Chanoines et chapitre de Chartres,
Vaillant Demihardouin,
Chancelier et chanoine de la mesme église.

La petite statue qui fut envoyée aux Abénakis fut reçue à Québec au printemps, 1701 ; elle fut placée dans l’église de la mission de Saint-François de Sales, laquelle mission était alors transférée à Saint-François du Lac. Comme on le voit par la lettre de M. Vaillant Demihardouin, cette statue était, quant à la forme et aux dimensions, semblable à celle que l’on conservait dans l’église souterraine de la cathédrale de Chartres ; mais elle était d’argent, tandis que celle de Chartres n’était que de bois.

Voici ce qu’on lit dans l’histoire chronologique de Chartres, par Pintard, relativement à la statue de l’église souterraine de la cathédrale de cette ville. « La véritable image qui s’y voit élevée dans une niche au-dessus de l’autel est faite de bois qui paroist estre de poirier, que la fumée des cierges et des lampes qui y sont journellement allumés peuvent avoir rendue de couleur basanée. La vierge y est représentée dans une chaise, tenant son fils assis sur ses genoux, qui de la main droite donne la bénédiction et de la main gauche porte le globe du monde. Il a la teste nue et les cheveux courts. La robe qui lui couvre le corps est toute close et replissée par la ceinture ; son visage, ses mains et ses pieds qui sont découverts ont pris une couleur olivâtre brune. La Vierge est revestue par dessus sa robe d’un manteau à l’antique de forme de dalmatique qui, se retroussant sur les bras, semble s’arrondir par le devant sur les genoux jusqu’où il descend. Le voile qui lui couvre la teste porte sur les deux épaules d’où il se rejette sur le dos. Son visage est extrêmement bien fait et bien proportionné en ovale, de mesme couleur que celuy du fils ; sa couronne est tout simplement garnie par le haut de fleurons de forme de trèfle ou de feuilles d’ache. La chaise est à quatre pilliers, dont ceux de derrière ont vingt-trois pouces de hauteur et ceux de devant ont, y compris la chaise, dix-sept pouces. Toute la figure (statue) a vingt-huit pouces et neuf lignes de hauteur sur un pied de largeur ; elle est creuse par derrière, comme si c’estoit une écorce d’arbre, de trois pouces d’épaisseur, grossièrement travaillée de sculptures, hors celles du visage qui sont bien faites. »

Telle était la statue qui fut envoyée aux Abénakis. Cette précieuse relique fut conservée à Saint-François jusqu’à l’automne, 1759. Nous verrons ce qu’elle devint alors, ainsi que la chemise en reliquaire, dans le chapitre de la destruction du village abénakis.

À l’automne 1701, le P. V. Bigot, de retour d’un voyage qu’il avait fait à la rivière Penobscot, répondit de Saint-François à M. Vaillant Demihardouin, comme suit.

« Monsieur,

« Il est trop juste qu’après m’estre donné l’honneur d’escrire à vostre illustre compagnie, je vous remercie en particulier de toutes les amitiés que vous voulez bien me faire, en vous acquittant de la commission dont elle vous avoit chargez. Je vous en suis extrêmement obligé et vous en remercie de tout mon cœur ; que ne puis-je vous en marquer toute la reconnoyssance que je vous en ay ! En vérité, on ne peut rien de plus obligeant que ce témoignage sy authentique que vons donnâtes à nos chers Abnaquis dans une sy illustre assemblée. Mais qu’en diriez-vous donc, monsieur, si vous les entendiez maintenant que l’on peut dire qu’ils chantent juste, au jugement mesme des personnes qui sçavent ce que c’est que la musique ? Car enfin, lorsqu’en allant en guerre, ils passèrent par Montréal, ont-ils eu le bonheur d’estre entendus de vous, à peine commençoient-ils à chanter en deux parties, outre que leur voix qui sont assez douces d’elles-mesmes n’estoient pas encore dégagées comme elles le sont maintenant par l’exercice qu’ils ont eu depuis. Nous faisons ce que nous pouvons pour entretenir nos chers néophytes dans la ferveur et dans la dévotion, et ces chants, pour lesquels ils ont beaucoup de dispositions et d’inclination naturelles, y contribuent beaucoup. Ne sommes-nous pas trop heureux, monsieur, et ne devons-nous pas rendre des actions de grâces éternelles au grand maître qui nous a mis dans les emplois où nous sommes ? Aydez-moi, s’il vous plait, à l’en remercier. Vostre nom iroquois ne m’est pas inconnu non plus que vostre personne ; c’est une extrême joye pour moy d’apprendre de vos nouvelles et de vous voir dans un sy illuştre corps. Celle que vous nous fîtes l’honneur de nous escrire en 1700 ne nous a point esté rendue, nous ne reçumes en ce temps là que les lettres de M. Bonneville, qui estoient, à ce que j’en juge maintenant, le duplicata des vostres.

« Je serez toujours avec un profond respect,

Monsieur,
Votre très-humble et très-obéissant
serviteur,
V. Bigot.
De la compagnie de Jésus.
De la mission de St-François de Sales, 11 Octobre 1701.


CHAPITRE SIXIÈME.

établissement des abénakis à saint-françois.


Dès la première année de l’émigration des Abénakis en Canada, un certain nombre de ces sauvages remontèrent le Saint-Laurent, jusqu’au lac Saint-Pierre, et allèrent s’établir sur la rivière, qui porte aujourd’hui le nom de « rivière Saint-François »[440]. Ils remarquèrent dans cette rivière une grande quantité de plantes, qu’il appelaient « alsial » ; de là, ils la nommèrent alsigânteku, rivière aux alsials[441].

Ils remontèrent la rivière environ sept milles, et allèrent débarquer sur la rive est, à environ quarante arpents plus haut que le village actuel des Abénakis, où ils érigèrent leurs wiguams[442]. Ils demeurèrent en cet endroit jusqu’en 1685. À la suite de l’expédition contre les Iroquois, en 1684, les fièvres, que leurs guerriers avaient contractées sur les bords du lac Ontario, se répandirent parmi eux et en firent mourir plusieurs pendant l’hiver 1684–1685. Dans le cours de l’été suivant, effrayés par cette mortalité, ils abandonnèrent leur premier campement, et allèrent s’établir un peu plus bas[443], où ils demeurèrent pendant quinze ans.

On a trouvé en cet endroit, en différents temps et dernièrement encore, divers objets enfouis dans la terre, comme des fragments de haches et de calumets, des cendres, du charbon, des perles et autres choses. Ce qui prouve de la manière la plus évidente que les sauvages ont résidé en cette place.

Comme ces sauvages prenaient part à toutes les expéditions contre les Iroquois et la Nouvelle-Angleterre, le Gouvernement avait fait élever, sur le bord de la rivière, un petit magasin, où il avait fait déposer des armes et de la poudre à leur usage pour la guerre. Ce magasin subsista plus de trente ans. Il fut détruit vers 1730, par l’explosion d’un baril de poudre. Un nommé Véronneau, alors propriétaire ou gardien du magasin, fut tué avec un sauvage. Au moment de l’accident, la femme de Véronneau, occupée à faire un collier de wampum, était assise auprès du berceau de son enfant. L’édifice s’écroula sur elle ; cependant ni elle ni l’enfant ne reçurent de blessures.

Comme nos historiens ne parlent pas de la présence des Abénakis à Saint-François avant 1700, on nous demandera peut-être des preuves de la résidence de ces sauvages en cet endroît, avant cette époque. Nous en trouvons une bien évidente dans les régistres de baptêmes, mariages et sépultures de cette paroisse, régistres qui remontent jusqu’à l’année 1687. Les premiers cahiers de ces régistres, pour les années 1687, 1688, 1689, 1690 et autres, renferment un grand nombre de noms abénakis. Nous en citerons quelques uns, tels qu’ils sont écrits sur ces cahiers. « Anaoubano, Maoualoup, Micouambra, Ouitoucameouet, Couînamenant, Outamouescouit, Ouigiascouit, Mascosomani ; Malchigois ; Ouambourra ; Napaniril. » Ces noms ayant été écrits, la plupart, par un prêtre qui bien probablement ne savait pas la langue abénakise — M. Benoit Duplein, chanoine de la cathédrale de Québee — sont défigurés ; mais il est cependant facile de reconnaître qu’ils sont abénakis. Nous allons les mettre en regard de la véritable expression sauvage, et en donner la signification.

Anaoubano — Anahubano, celui qui avait pardonné ; qui avait chassé la haine de sa pensée.

Maoualoup — Maô8atap, qui était capitaine d’un parti de guerre.

Micouambra — Mik8ôdura, ce qui rappelle un évènement.

Ouitoucameouet — 8itsukamuat, qui aide un parti pour combattre.

Couinamenant — Kuninamihôt, qui voit de loin, qui a la vue longue.

Outamouesoouit — 8dami8askuit, qui a l’esprit croche, qui contredit toujours les autres.

Ouigiascouit — 8iguaskuit, qui est flexible comme l’écorce du bouleau.

Mascosomani — Matkôsumanni, qui porte longtemps ses habits sans les user.

Malchigouis — Matsigo8is, le petit méchant.

Ouambourra — 8ôbirra, celui dont les cheveux blanchissent.

Napaniril — Nebôniril, qui fait les choses adroitement.

Ainsi les régistres de Saint-François prouvent d’une manière bien évidente que les Abénakis résidaient en cette paroisse dès l’année 1687.

Le P. Jacques Bigot, dans sa relation de 1685, dit « que pendant l’hiver 1684-1685, il alla, accompagné de quelques jeunes gens, visiter les Abénakis qui résidaient sur la rivière Saint-François. » D’après ce document, il y avait donc des Abénakis en cet endroit dès l’année 1684.

La tradition nous a transmis un fait qui confirme ce que nous venons de dire sur ce sujet. Jean Crevier, premier seigneur de Saint-François, alla se fixer en cet endroit, vers 1680, et y établit une petite ferme. On rapporte que les Abénakis allèrent de suite le visiter, pour lui représenter qu’il s’établissait sur leurs terres. Crevier leur fit connaître ses droits sur cette seigneurie par les titres qu’il avait reçus en 1678. Les sauvages parurent d’abord mécontents, et on rapporte que le seigneur, pour les apaiser, leur donna du lait, autant qu’ils en désiraient. Ils furent satisfaits, dit-on, par cette politesse et continuèrent à visiter souvent la petite ferme.

Tout cela nous prouve, d’une manière bien claire, qu’un certain nombre d’Abénakis allèrent s’établir sur la rivière Saint-François dès la première année de leur émigration en Canada.

Voici quelle fut la desserte religieuse de ces sauvages, pendant la période 1680-1700. Jusqu’en 1687, ils furent visités de temps en temps par le P. Jacques Bigot. En 1687, M. Benoit Duplein, chanoine de l’église cathédrale de Québec, y fut envoyé. Il desservit les Français et les sauvages pendant deux ans. En 1689, le P. S. Dominique, Augustin Déchaussé, y passa quelques mois, et à l’automne de la même année, il fut remplacé par le P. Louis-André, qui y demeura deux ans. En 1691, M. de Saint-Claude passa quatre mois avec les sauvages ; puis la paroisse de Saint-François et la mission restèrent deux ans sans prêtre. Dans le mois de Mars 1693, le P. SaintLaurent Geudré, Récollet, arriva chez les Abénakis et y passe un mois ; puis il alla y passer encore quelques jours, dans le mois de Juin de la même année. De cette époque, la paroisse et la mission n’eurent pas de desservant jusqu’en 1698.

Les Iroquois, ayant fait une descente sur la paroisse de Saint-François en 1691, avaient brûlé le fort et l’église[444], après avoir tué presque tous les habitants. Après ce désastre, comme il ne restait presque plus de Français à Saint-François et comme les Abénakis étaient presque toujours absents, pour aller combattre contre les Iroquois ou les Anglais, on n’y envoya pas de missionnaire.

En 1698, les Iroquois n’inspirant plus de craintes sérieuses, quelques familles française allèrent s’établir à Saint-François et les sauvages retournèrent à leur village. Alors le P. Louis-André y fut envoyé comme missionnaire, et y demeura jusqu’en 1700, où il fut remplacé par le P. Jacques Bigot.

En 1700, tandis qu’on préparait les préliminaires du traité de paix avec les Iroquois, M. de Callière songea à établir sur la rivière Saint-François les Abénakis de Sillery et de la rivière Chaudière, afin d’y former une barrière contre les irruptions des Iroquois[445], dans le cas que ces barbares manqueraient à leurs engagements avec les Français.

Le P. Jacques Bigot, alors missionnaire des Abénakis, fut chargé de négocier l’affaire de donation de terres avec Madame Veuve Jean Crevier et son fils, seigneur de Saint-François, pour l’établissement de la nouvelle mission. Le seigneur consentit volontiers à céder une partie de ses terres, par un acte passé à Montréal, le 23 Août 1700, devant Maître Adhémar N. P. Cet acte est ainsi conçu.

« Par devant les notaires, garde-notes du Roy à Montréal en Canada, soussignés, Monseigneúr le Chevalier de Callière, Gouverneur et Lieutenan, Général pour le Roy en ce païs, et Monseigneur de Champigny, Conseiller du Roy en ses conseils intendant de justice, police et finances au dit païs, ayant pour le service du Roy et l’avantage de la colonie jugé à propos de faire établir sur la terre et seigneurie de Saint-François les sauvages Abnaquis et Sokoquis avec des missionnaires Jésuites pour l’exercice de la religion parmi les dits sauvages dont la plupart sont chrestiens, nos dits seigneurs ont présentement fait connoistre leur intention à Damoiselle Marguerite Hertel, veuve de Jean Crevier, seigneur de la dite terre de Saint-François, tant en son nom que comme tutrice des enfants mineurs du dit défunt et d’elle, et à Joseph Crevier de Saint-François, réformé d’une compagnie de détachement de la marine, fils majeur des dits sieur et damoiselle Crevier à ce présent, lesquels m’y déférant ont par ces présentes concédé aux dits sauvages Abnaquis et Sokoquis et le révéérend Père Jacques Bigot, de la compagnie de Jesus, leur missionnaire à ce présent et acceptant pour eux, une demye lieue de terre de front à prendre au bout d’en haut de la dite seigneurie de Saint-François, des deux costés de la rivière sur toute la profondeur de la dite terre avec les Isles et Isletes qui sont sur la dite rivière par le travers de la dite demye lieue. Pour en jouir par les dits sauvages pendant tout le temps que la mission que les Pères Jésuites y vont établir pour les dits sauvages y subsistera. Et la dite mission cessante, la dite demie lieue présentement concédée en l’état que les dites terres seront alors, retournera à la dite damoiselle Crevier ès dits noms et au dit sieur son fils ou à leurs héritiers, pour leur appartenir comme auparavant le présent titre. Et en ce cas qu’il se trouve des terres sur la dite demye lieue où il y ait du foin qui ne soient point occupées par les dits sauvages, la dite damoiselle Crevier et le dit sieur son fils les pourront faire occuper pour leur profit, comme aussi s’il arrive que les dits sauvages abandonnent des terres qu’ils auront mises en valeur sur la dite demye lieue ne voulant plus les occuper, la dite damoiselle Crevier et le dit sieur son fils les pourront faire valoir à leur profit. Et en considération de la présente concession faite sans aucune charge de rente ou autre la dite damoiselle Crevier ès dit nom et le dit sieur son fils auront la liberté d’avoir une maison proche le fort des dits sauvages, pour laquelle et pour un jardin et un enclos ils reservent deux arpents de terre en superficie et de prendre le bois qui sera nécessaire pour construire la dite maison et pour le chauffage dans icelle, dans laquelle maison ils pourront faire faire et débiter aux dits sauvages du pain et autres denrées provenant des terres du païs sans qu’aucun autre François puisse avoir cette liberté sur la dite demye lieue, ni d’y faire aucun bâtiment, sinon les missionnaires pour leur logement et leur utilité. Et en cas que les habitations de Pierre et Jean Baptiste Gamelin se trouvent en tout ou partie sur la dite demye lieue, les dits sauvages n’y pourront rien prétendre, les cens et rentes que les dits Gamelin en payent demeureront à la dite damoiselle Crevier et au dit sieur son fils. Car ainsi a été convenu. Promettant, obligeant et renonçant etc.

« Fait et passé au dit Montréal, en l’hotel de mon dit seigneur le gouverneur l’an mil sept cent le vingt-troisième Aoust après midy et ont nos dits seigneurs gouverneur et intendant, la dite damoiselle Crevier et le dit sieur son fils et le dit Père Bigot signé avec les dits notaires. »

La même année, le seigneur de Pierreville céda aux Abénakis une demi-lieue sur sa seigneurie. Ces deux concessions comprenaient une étendue de trois milles de profondeur sur environ six milles de front.

Tel fut le domaine qui fut donné aux Abénakis en 1700 et qui leur appartient encore aujourd’hui. Dès l’automne de la même année, le P. Bigot transféra à Saint-François la mission de Saint-François de Sales de la rivière Chaudière, et la plupart des Abénakis allèrent s’établir dans la nouvelle mission.

Comme l’endroit où étaient les sauvages à Saint-François, depuis quinze ans, était bas et malsain, le Père jugea à propos d’établir sa mission dans une place plus élevée et plus saine. Il choisit pour cette fin le lieu où est encore actuellement le village des Abénakis, distant d’environ vingt arpents de l’ancien village. Cet endroit est le plus beau site de la rivière Saint-François. Du village sauvage, élevé à plus de quatre-vingts pieds au-dessus du niveau de l’eau, la vue s’étend au loin sur la rivière. De nombreuses et verdoyantes petites îles, semées çà et là dans la rivière, et les habitations canadiennes, bordant les deux rives, forment un coup d’œil fort agréable. Bien certainement on ne pouvait choisir un endroit plus agréable et plus avantageux sous tous rapports pour y établir une mission.

Le P. de Charlevoix visita cette place en 1721, et voici ce qu’il en dit. « Les Abénaquis sont présentement sur le bord de la rivière de Saint-François à deux lieues de son embouchure, dans le lac de Saint-Pierre. L’endroit est fort agréable, et c’est dommage, ces peuples ne goûtent pas les agrémens d’une belle situation, et des cabanes de sauvages, surtout d’Abénaquis, n’embellissent pas un pays. Le village est nombreux et n’est habité que par des chrétiens »[446].

Dès que les Abénakis furent établis à Saint-François, ils se mirent de suite à l’œuvre pour la construction de leur nouvelle église de Saint-François de Sales. Secourus par M. de Callière et par quelques uns de leurs amis de Québec et de Montréal, ils construisirent avec rapidité cette église, qui fut livrée au culte dès le printemps de l’année suivante, 1701. Alors le missionnaire put y déposer, avec pompe et solennité, la chemise en reliquaire qu’il avait apportée de France, en 1694, ainsi que la petite statue d’argent, envoyée aux Abénakis par les chanoines de Chartres.

La fête fut belle et solennelle. Les sauvages renouvelèrent leur consécration à la Sainte-Vierge, et promirent de faire chaque année, le jour de l’Assomption, une procession où la statue qu’ils venaient de recevoir serait portée.

La première église des Abénakis de Saint-François fut placée à peu près à l’endroit où est l’église actuelle[447]. Elle était en bois et avait soixante pieds de long sur trente de large, comme presque toutes les églises des missions d’alors des P. P. Jésuites.

Le missionnaire ayant reçu beaucoup de présents pour cette nouvelle mission, bientôt cette église fut ornée de tableaux, et pourvue de vases sacrés et d’ornements sacerdotaux fort riches. On reçut même de France de magnifiques dons. On conserve encore dans cette mission un devant d’autel brodé en laine, qui fut fait par une dame de la Cour de Louis XIV. C’est le seul objet qui fut sauvé de l’incendie de 1759.

Il nous a été impossible de constater le nombre d’Abénakis qui allèrent s’établir à Saint-François en 1700. Si du moins nous avions pu consulter les régistres de cette époque, nous nous serions formé, par le nombre des baptêmes et des sépultures, une idée fort approximative de la population de ces sauvages ; mais malheureusement ces régistres, séparés de ceux des Français depuis 1700, ont été brûlés en 1759.

Cependant, une tradition nous apprend que le P. Bigot partit de Québec avec 1,500 guerriers abénakis, qu’il en plaça 500 à Bécancourt et qu’il arriva à Saint-François avec 1,000 guerriers. Ceci est évidemment exagéré ; car d’après tout ce que nous avons vu à ce sujet, il nous paraît bien constaté que la mission de Saint-François n’a jamais renfermé 1,000 guerriers. Cependant il y a certainement quelque chose de vrai dans cette tradition. Nous croyons que, dans la suite des temps, on a pris le nombre des âmes pour celui des guerriers. Ainsi, ce nombre de 1,500 était trés-probablement celui de la population totale. Au reste, ce nombre de 1,500 âmes paraît conforme à ce que dit le P. J. Bigot dans ses relations, où il nous fait entendre qu’il avait environ 500 âmes à Saint-Joseph de Sillery et le double de ce nombre à Saint-François de Sales.

Ainsi il est donc très-probable qu’on plaça 500 sauvages à Bécancourt et 1,000 à Saint François, y compris les femmes, les enfants et les infirmes.


CHAPITRE SEPTIÈME.

établissement des abénakis à bécancourt.

Vers 1680, quelques familles d’Abénakis et de Sokokis allèrent s’établir sur la rivière puante, qui plus tard porta le nom de M. de Bécancourt, Baron de Portneuf, qui s’y était aussi établi.

Il ne sera pas inutile, il nous semble, de dire ici d’où vient ce nom de « rivière puante », donné autrefois à la rivière Bécancourt. Quelques uns ont attribué l’origine de ce nom à la mauvaise qualité des eaux de cette rivière ; d’autres, à la grande quantité de rats-musqués qu’il y avait, parceque les sauvages n’en pouvaient supporter l’odeur. Mais voici ce qui paraît le plus probable sur ce sujet.

Trente ou quarante ans avant l’arrivée de Champlain en Canada, une nation sauvage, qui habitait l’île de Montréal et qui était connue sous le nom d’Annontcharonnons[448], avait déclaré la guerre aux Algonquins des Trois-Rivières. Ceux-ci, pour en finir avec ces ennemis, imaginèrent une ruse de guerre, qui réussit parfaitement. Ils allèrent se mettre en embuscade dans les îles de la rivière Bécancourt, situées à quelques arpents plus haut que l’église actuelle de cette paroisse ; puis, ils laissèrent, à l’embouchure de la rivière, quelques sauvages auxquels ils enjoignirent de faire mine de s’occuper à la pêche. Les Onnontcharonnons, à la recherche des Algonquins, apercevant ces sauvages, leur donnèrent la chasse. Les Algonquins prirent aussitôt la fuite et remontèrent la rivière en toute hâte. Les ennemis les poursuivirent jusqu’aux îles, et allèrent tomber dans l’embuscade qui leur était préparée. Ils furent tous massacrés en cet endroit. Leurs cadavres restèrent dans l’eau et sur le bord de la rivière. Il en résulta une grande infection, d’où est venu le nom de « rivière puante »[449].

Après l’établissement de la mission de Saint-François, beaucoup d’Abénakis étaient demeurés dans le haut de la rivière Chaudière. Bientôt, M. de Vaudreuil résolut de réunir ces sauvages à Bécancourt, afin d’y former, comme à Saint-François, une digue contre les Iroquois. Il s’entendit à ce sujet avec le Baron de Portneuf, seigneur de Bécancourt, qui consentit à céder une partie de son domaine, pour l’établissement projeté ; et, le 30 Avril 1708, l’acte suivant fut passé devant Maître Daniel Normandin.

« Par devant Daniel Normandin Notaire royal et garde-notes du Roy notre Sire, en la prévoté royale des Trois-Rivières, résidant à Champlain, soussigné ci-bas nommé. Furent présens en leurs personnes Messire Pierre Robineau, Chevalier, seigneur de Bécancourt, Baron de Portneuf, grand-voyer de ce païs, lequel voulant montrer le zèle qu’il a pour le bien public du service de sa Majesté et celui de la colonie, aurait par ces présentes prêté, cédé et délaissé aux sauvages Abnakis de la mission de Damisokantik et autres qui s’y sont venus joindre selon le désir et la volonté de haut et puissant seigneur Messire Philippe Rigaud, Chevalier de l’ordre militaire de St. Louis, Lieutenant-Général pour sa Majesté en ce païs, de haut et puissant seigneur Messire François de Beauharnais, chevalier, seigneur de la Chaussaye, Beaumont et autres lieux, conseiller du Roy en ses conseils, pour lors intendant de ce païs, de haut et puissant seigneur Messire Jacques Randot, conseiller du Roy en ses Conseils, intendant de justice, police et finances en ce païs, et de haut et puissant seigneur Messire Randot, conseiller du Roy en ses conseils, intendant de marine et de feu le très-Révérend Père Martin Perevail pour lors supérieur des missions de la compagnie de Jésus, et du très Révérend Père Vincent Bigot, supérieur général de la compagnie de Jésus en ce païs et du très-Révérend Père Sébastien Rasle de la compagnie de Jésus, missionnaire des dits Abnakis entre les mains duquel et avec lequel le dit seigneur aurait contracté aux conditions suivantes, savoir : que le dit Sieur de Bécancourt prête, cède et délaisse aux dits Abnakis les terres joignant du côté du Nord-Ouest à Louis Chadevergne dit Larose, et du côté du Sud-Ouest toutes les terres en montant dans la rivière jusqu’à la profondeur de la dite seigneurie, et de plus les terres qui sont derrière les concessions des habitans qui sont dans la rivière de Bécancourt, avec les isles, islots et péninsules qui n’ont point été par ci-devant concédés ; pour en jouir par les dits AbnakIs tant que la mission subsistera entre les mains du Révérend père Rasle ou autre de la même compagnie, sans que les dits Abnakis ni ceux qui ont soin d’eux soient obligés à aucune redevance, le dit Sieur de Bécancourt n’ayant fait que prêter ses terres qu’autant que la mission subsistera ; se réserve aussi le dit Sieur les bois qui ne sont pas à l’usage des dits sauvages. Lui sera libre d’en prendre lorsqu’il en aura besoin ; et lorsque la mission sera abandonnée le dit seigneur propriétaire des dites terres rentrera de plein droit sans être obligé à aucun dédommagement quelconque et sans qu’il soit besoin même d’aucune formalité de justice, comme il a été convenu entre les dits seigneurs et Gouverneur et intendants et Révérends Pères ci-dessus nommés ; et par ces mêmes présentes veut et consent le dit Révérend Père Rasle au nom des missions des dits Abnakis que tout aussitôt que les dits sauvages Abnakis et mission de Saint-François Xavier de la dite seigneurie de Bécancourt sera quittée et abandonnée pour aller s’établir ailleurs que le dit seigneur de Bécancourt entre en possession et jouissance des terres acquises et possédées tant par le dit Révérend Père Rasle que par les dits Abnakis pour en jouir, posséder, faire, user et disposer comme de son propre bien ; lui en faisant dès à présent le dit Révérend Père Rasle au dit nom toutes démissions, cessions et transports requis, nécessaires ; le subrogeant dès ce dit jour en lieux, droits, places et hypothèques. Promettant, obligeant et renonçant etc.

« Fait et passé en la dite seigneurie, maison de la dite mission après midi le dernier jour d’Avril mil sept-cent-huit, en présence de François Bigot et de Michel Perraut de Chateauguay demeurant en la dite seigneurie, témoins qui ont signé avec les ci-dessus nommés »[450].

Nous voyons par cet acte que la plupart des sauvages qui s’établirent à Bécancourt, étaient venus de « Damisokantik. » M. Normandin, ne sachant pas l’abénakis, a écrit ce mot suivant les sons qu’il entendait, et il n’est pas étonnant qu’il ait défiguré un peu la véritable expression abénakise. Ce mot « Damisokantik » est le nom que les Abénakis donnaient au lac Mégantic : « Namesokântsik, » lieu où y a beaucoup de poissons. En 1721, le P. de Charlevoix donnait à ce lac le nom de « Nansokantik »[451], qui n’était qu’une corruption du mot « Namesokantsik. » Il est évident que le nom actuel « Mégantic » vient de ces différentes dénominations.

Voici ce que dit le P. de Charlevoix de l’établissement de ces sauvages à Bécancourt. « D’autres Abnaquis se trouvaient trop exposés aux courses des Bastonnais, et se voyaient en danger de mourir de faim, parcequ’ils n’étaient pas à portée de tirer des vivres des habitations françaises, et qu’ils ne pouvaient plus en avoir des Anglais. M. de Vaudreuil saisit cette occasion pour exécuter un dessein qu’il avait formé aussitôt après la mort du Chevalier de Callières. Il proposa à ces sauvages de venir demeurer dans la colonie et ils y consentirent. On les plaça sur la rivière de Békancourt, et ils y sont encore aujourd’hui. Le dessein du Gouverneur Général était d’opposer une digue aux Iroquois, au cas que ces sauvages se laissassent persuader par les Anglais de recommencer la guerre »[452].

À la lecture de ce passage, nous avons d’abord pensé que ces sauvages étaient très-rapprochés de la Nouvelle-Angleterre. Mais l’étude du mot « Damisokantic » nous a convaincu qu’ils étaient dans le haut des rivières Chaudière et Androscoggin, et que leur principale résidence était sur le lac Mégantic. Là, ils se trouvaient exposés aux courses des Anglais et étaient trop éloignés des Français pour en être secourus. Ils étaient visités et desservis par le P. Sébastien Rasle, alors missionnaire à Norridgewock, sur la rivière Kénébec.

En arrivant à Bécancourt, les sauvages se fixèrent une île, connue aujourd’hui sous le nom « d’île Montesson »[453]. Cette île, d’une grande étendue, est de forme triangulaire. La base de ce triangle repose sur le fleuve Saint-Laurent, et les deux côtés sont formés par les deux branches de la rivière Bécancourt. On construisit une petite église en bois en cet endroit. En 1721, les sauvages résidaient encore sur cette île. Le P. de Charlevoix les y visita alors, et voici ce qu’il en dit. « Le village Abénaquis de Békancourt n’est pas présentement aussi peuplé qu’il l’était il y a quelques années. Il ne laisserait pas pourtant de nous être d’un grand secours, si la guerre recommençait. Ces sauvages sont les meilleurs partisans du pays et toujours disposés à faire des courses dans la Nouvelle-Angleterre, où leur seul nom a souvent jetté l’épouvante jusque dans Baston. Ils ne nous serviraient pas moins bien contre les Iroquois, à qui ils ne cèdent point en valeur et qui ne sont pas aussi bien disciplinés qu’eux. Ils sont tous chrétiens et on leur a bâti une jolie chapelle, où ils pratiquent avec beaucoup d’édification tous les exercices du christianisme »[454].

À cette époque, M. de Bécancourt résidait sur l’île des sauvages. « La vie que mène M. de Békancourt dans ce désert », dit le P. de Charlevoix, car on n’y voit point encore d’autre habitant que le Seigneur[455], rappelle assez naturellement le souvenir de ces anciens patriarches qui ne dédaignaient point de partager avec leurs domestiques le travail de la campagne et vivaient presqu’aussi sobrement qu’eux. Le profit qu’il peut faire par le commerce avec les sauvages ses voisins, en achetant d’eux les pelleteries de la première main, vaut bien les redevances qu’il pourrait tirer des habitants, à qui il aurait partagé ses terres »[456].

On voit par ces paroles que M. de Bécancourt vivait en bonne intelligence avec ses sauvages. Ceux-ci l’affectionnaient beaucoup, parcequ’il les traitait avec bonté. Mais il n’en fut pas de même pour son successeur, M. de Montesson. Celui-ci les maltraita, les accusa de s’être emparés d’un terrain qui ne leur appartenait pas, et les chassa de l’île qu’ils occupaient depuis plus de trente ans. La conduite du nouveau seigneur à leur égard fut certainement un peu dure, mais nous devons toutefois avouer que son droit de propriété sur cette île était incontestable, car elle n’était pas comprise dans le domaine cédé aux Abénakis, en 1708.

Plus tard, M. de Montesson eut avec les sauvages une autre difficulté assez grave, à l’égard d’un lot de terre. Cette fois, ceux-ci avaient plein droit, parceque cette terre leur appartenait légitimement. Mais, trop : faibles pour lutter longtemps avec un homme qui avait beaucoup d’influence ; ils cédèrent et consentirent à un arrangement. Cette difficulté, qui dura plusieurs années, fut terminée par un acte d’accord, passé le 30 Janvier 1771. Par cet acte, les sauvages renoncèrent, pour la somme de quatre-vingt-seize francs, à leurs droits sur le terrain en litige[457].

Les sauvages, forcés d’abandonner leur premier village, allèrent se fixer sur une petite île de la rivière Bécancourt, quelques arpents plus haut que l’église actuelle. Ils n’y restèrent que quelque temps, et se retirèrent ensuite sur une autre île, située vis-à-vis de la propriété qu’ils occupent aujourd’hui. Enfin, forcés. par les maladies et les inondations de déloger une troisième fois, ils se retirèrent, vers 1735, sur le terrain qu’ils occupent actuellement. Ils y bâtirent une seconde église en bois, de soixante pieds de long sur trente de large. Bientôt, par les soins et l’activité du P. Eustache Lesueur, alors missionnaire à Bécancourt, cette église fut munie d’ornements sacerdotaux et de vases sacrés, à peu près comme celle de la mission de Saint-François.

Le P. Lesueur était à la fois missionnaire des sauvages et Curé de la paroisse de Bécancourt. Comme cette paroisse n’avait pas encore d’église, la desserte des Canadiens se faisait à l’église des sauvages.

Bientôt, les Canadiens demandèrent une église paroissiale ; mais, comme ils étaient alors beaucoup moins nombreux que les sauvages, on n’accèda pas de suite à cette demande. Enfin, en 1748, les fondations de la première église paroissiale de Bécancourt furent jetées, Cette église fut construite en pierre ; elle avait soixante pieds de long sur trente de large ; le portail était tourné vers l’Ouest. Cette église était située au même endroit que celle qui existe actuellement. On voit encore des pierres des fondations de cette première église. La forme du rond-point est encore bien visible.

Après la construction de cette église, la desserte des Canadiens continua à se faire chez les sauvages, ce qui occasionna des jalousies et des animosités entre les deux populations. Il y avait déjà plusieurs années que cet état de choses existait à Bécancourt, lorsque tout-à-coup, à la fin du mois de Décembre 1757, l’église des sauvages brûla, pendant une nuit fort obscure. On ne put sauver de l’incendie que quelques vases sacrés, des chandeliers et la croix du clocher. Tout le reste fut consumé, ainsi que les régistres de la paroisse.

La cause de ce désastre est demeurée inconnue. Quelques-uns ont pensé, peut-être avec raison, que cet incendie avait été le fait de quelques Canadiens, afin d’obtenir la résidence de leur Curé à leur église.

La croix du clocher, sauvée de l’incendie, a été conservée jusqu’à ce jour. Elle est actuellement érigée au milieu du village sauvage.

Depuis ce désastre, on n’a jamais songé à reconstruire cette église, et les sauvages ont toujours été desservis à l’église paroissiale.

À cette époque, il y avait environ 300 sauvages à Bécancourt ; lors de leur établissement sur l’île Montesson, on en comptait environ 500 ; c’était donc une diminution d’environ 200 en cinquante ans. Dès 1721, la population de ces sauvages avait considérablement diminué ; c’est ce que le P. de Charlevoix dit expressément, comme nous l’avons vu. Cette grande diminution de population avait été causée par les guerres et les épidémies. Depuis ce temps, le nombre de ces sauvages a toujours diminué, et aujourd’hui on n’en compte qu’une dizaine de familles, vivant dans la plus grande pauvreté.

Le domaine qui leur fut accordé, en 1708, comprenait environ six milles de terrain, en superficie. Ils le possédèrent jusqu’en 1812 ; mais ce ne fut toutefois qu’avec beaucoup de peine qu’ils purent le conserver jusqu’à cette époque ; car les représentants du premier seigneur de Bécancourt, suivant l’exemple de M. de Montesson, cherchèrent sans cesse à leur enlever des lots de terre. Enfin, en 1812, pendant qu’ils combattaient aux frontières pour la défense de leur pays adoptif, on s’empara injustement de ces terres. Lorsqu’ils revinrent de cette célèbre campagne, où ils avaient combattu si courageusement, leur domaine, divisé par lots, était possédé par des blancs ; et on ne leur avait pas même réservé un coin de terre pour se retirer. Irrités d’une pareille injustice, ils se jetèrent avec fureur sur les maisons, construites dans leur village, les détruisirent et défendirent, les armes à la main, ce morceau de terre. De cette manière, ils purent conserver deux petites îles de la rivière Bécancourt et environ soixante arpents de terre, qu’ils possèdent encore aujourd’hui. Voilà tout ce qu’ils ont pu conserver de leur domaine.

Les contrats de concession des terrains qui ont été enlevés aux sauvages portent une clause tout-à-fait inusitée dans de semblables actes. On y voit que les concessionnaires sont mis en possession de ces terres « sans préjudice au bien d’autrui ». Ce qui indique clairement que les cédants doutaient de la légitimité de leurs droits sur ces propriétés.

On a donc usurpé ces terrains. Et, chose étonnante, les sauvages n’ont jamais pu faire entendre leurs justes réclamations à cet égard.

Cependant, il y a quelques années, on a semblé entendre leurs plaintes. Ils avaient adressé à la Législature une requête, en date du 3 Mars 1858, exposant la manière injuste dont on les avait dépouillés de leurs propriétés, faisant connaître l’état de pauvreté et de souffrance où ils se trouvaient réduits, par suite de cette injustice, et demandant que leurs terres leur fussent remises, avec indemnité. L’année suivante, le 2 Mai 1859, il fut résolu dans la Chambre d’Assemblée « qu’il serait désirable qu’il fut accordé quelques secours aux Abénakis de Bécancourt pour pourvoir à leurs besoins les plus pressants pour les retirer de l’état de misère où ils étaient alors »[458]. Un comité fut alors nommé pour s’occuper de la question des terres de ces sauvages.

Depuis cette époque, on leur a accordé annuellement un secours d’environ $200 ; mais on n’a encore rien fait relativement à leurs droits sur les propriétés qui leur ont été enlevées.

Il est facile de voir, d’après ce que nous venons de dire, que ces sauvages ont presque toujours été persécutés et maltraités, à l’exception toutefois du temps qu’ils demeurèrent sous la protection de M. de Bécancourt. Outre qu’on cherchait sans cesse à leur enlever leurs terres et les profits de leurs chasses, on les jalousait à cause des privilèges que le Gouvernement et les missionnaires semblaient leur accorder. On cherchait sans cesse à les reculer, parcequ’on les considérait comme un obstacle aux progrès des blancs. Ils ont toujours été un peu protégés par le Gouvernement, il est vrai ; mais cette protection était insuffisante, et comme ils n’avaient pas auprès d’eux d’amis influents et sincèrement dévoués à leurs intérêts, pour les soutenir dans cette lutte avec leurs puissants ennemis, ils succombaient toujours.

Sous ce rapport, les Abénakis de Saint-François ont été plus heureux, car ils ont toujours été protégés par la famille Gill ; et l’on peut dire que c’est surtout à cette protection qu’ils doivent la conservation de leur domaine.

Cependant, nous devons avouer que cette protection a eu aussi son mauvais côté à Saint-François. Un grand nombre de Gill se sont alliés aux sauvages par des mariages. Ces familles de métis sont devenues nombreuses, tandis que les véritables sauvages ont disparu peu-à-peu ; et aujourd’hui tous les sauvages de cette mission, à l’exception de quatre ou cinq seulement, sont des descendants des Gill, tandis que tous ceux de Bécancourt sont de pur sang abénakis.

Les persécutions qu’on a fait souffrir aux Abénakis de Bécancourt sont sans doute fort regrettables ; cependant elles eurent un bon résultat. Nous pensons que Dieu permit cela pour punir ces sauvages de leurs anciens désordres, et pour sauver leurs âmes. Lorsqu’ils s’établirent en cet endroit, ils étaient presque tous chrétiens, et ceux qui ne l’étaient pas encore furent bientôt baptisés. À cette époque, ils étaient admirables par leur foi et leur ferveur. On vit s’opérer parmi eux les merveilles qu’on avait vues à la mission de Saint-François de Sales de la rivière Chaudière. Pendant plusieurs années, ils donnèrent beaucoup de consolation à leurs missionnaires et furent un sujet d’édification pour les Français. Mais peu-à-peu ils prirent goût à l’eau-de-vie, et devinrent bientôt fort adonnés à l’ivrognerie. Ils causèrent alors beaucoup de trouble à leur missionnaire, le P. E. Lesueur, qui demeura près de trente-sept ans au milieu d’eux. Ce bon et zèlé missionnaire en fut réduit à gémir souvent devant Dieu sur leurs désordres. Dès 1721, ils étaient déjà fort vicieux, Voici ce qu’en dit le P. de Charlevoix. « Il faut pourtant avouer que leur ferveur n’est plus au point où on l’a vue les premières années de leur établissement parmi nous. On leur a porté de l’eau-de-vie, et ils y ont pris goût, et les sauvages ne boivent jamais que pour s’enivrer. Cependant une funeste expérience nous a appris qu’à mesure que ces peuples s’éloignent de Dieu, ils ont moins de déférence pour leur pasteurs, et se rapprochent des Anglais. Il est bien à craindre que le Seigneur ne permette qu’ils deviennent nos ennemis, pour nous punir d’avoir contribué, par un sordide intérêt, à les rendre vicieux, comme il est déjà arrivé à quelques autres nations »[459].

Cependant, malgré leurs désordres, ils ne passèrent jamais du côté des Anglais, comme le craignait le P. de Charlevoix. Au contraire, à l’exemple de leurs frères de Saint-François et de l’Acadie, ils furent toujours fidèles à leurs alliés, et toujours prêts à prendre les armes contre les ennemis de la colonie.

Dieu eut pitié de ces malheureux, qui l’avaient si bien servi autrefois, et ne permit pas qu’ils demeurassent longtemps dans ces désordres. Ils devinrent plus tard de fervents chrétiens, et réparèrent, par une vie exemplaire, le mal qu’ils avaient causé par leur ivrognerie.

Nous devons ajouter que les quelques familles qui nous restent aujourd’hui de ces sauvages sont remarquables par leur foi et leur ferveur. Nous avons nous-même été édifié plusieurs fois par la piété de ces bons sauvages. Cette piété nous a souvent rappelé celle des anciens Abénakis, qui donnèrent tant de consolations aux P. P. Druillettes, Bigot et Rasle.

CHAPITRE HUITIÈME.

ce qu’étaient les abénakis à l’époque de leur
établissement à saint-françois et à
bécancourt.

Nous avons vu dans les chapitres précédents combien la foi des Abénakis était grande en 1700 ; nous avons dit avec quelle ardeur ces sauvages se donnaient à Dieu, avec quel courage et quelle ferveur ils le servaient. Inutile donc de revenir sur ce sujet.

Nous ne parlerons ici que d’une accusation que plusieurs auteurs anglais ont portée contre ces sauvages, en écrivant l’histoire de cette époque. Ils nous les représentent comme de cruels barbares, plus dangereux que les bêtes féroces des forêts. La peinture qu’ils nous donnent de leurs coutumes et de leurs usages barbares est évidemment plus qu’exagérée.

Ces sauvages, il est vrai, étaient extrêmement vindicatifs. Ils n’oubliaient pas une injure tant qu’ils n’en avaient pas reçu ample satisfaction. Leur haine contre leurs ennemis était implacable, et une longue suite d’années ne suffisait pas pour les engager à renoncer à leurs projets de vengeance. On a remarqué la même chose chez presque tous les sauvages de l’Amérique. Cependant, ceux qui agissaient avec prudence et justice à leur égard, ne trouvaient en eux que des cœurs généreux et bienfaisants.

Si les Anglais n’eussent pas maltraité les Abénakis, s’ils n’eussent pas commis contr’eux les plus regrettables injustices, leurs colons n’eussent pas été, plus tard, victimes de la vengeance de ces sauvages. Ils les avaient provoqués pendant de longues années, et leurs colonies ont subi les conséquences de tant d’imprudences.

Les Abénakis étaient aussi admirables dans leurs sentiments de gratitude à l’égard de leurs bienfaiteurs qu’ils étaient terribles dans leur vengeance. Un sauvage n’oubliait pas un bienfait. Il en gardait le souvenir pendant de longues années jusqu’à ce qu’il rencontrât l’occasion de témoigner sa reconnaissance à son bienfaiteur par quelque service, presque toujours proportionné à la grandeur et à l’importance du bienfait reçu. Un auteur anglais, John Frost, dans un ouvrage intitulé « le sauvage sur le champ de bataille, » rapporte sur le compte des Abénakis plusieurs traits de gratitude fort remarquables. Nous en reproduirons quelques uns. Comme cet écrivain est un ennemi de ces sauvages, on ne sera pas tenté de l’accuser d’avoir des préjugés en leur faveur.

Un parti d’Abénakis, en excursion sur la rivière Merrimack, New Hampshire, ayant été attaqué par un détachement de troupes anglaises, fut détruit. Un seul sauvage put s’échapper. Ce sauvage se réfugia dans une habitation anglaise, où il n’y avait alors qu’une vieille femme, et une jeune fille, du nom de Rebecca. Le propriétaire et sa femme étaient absents. Le fugitif supplia ces deux femmes de lui sauver la vie, leur, disant que des troupes étaient à sa poursuite, qu’il allait tomber entre leurs mains et être mis à mort. La vieille femme, craignant et haïssant les sauvages, ne voulut pas d’abord accéder à cette demande ; mais Rebecca, touchée de compassion à la vue de ce malheureux, résolut d’essayer de lui sauver la vie. Elle plaida si bien sa cause auprès de sa compagne, qu’elle la fit consentir à le cacher dans la maison. Il n’y avait pas de temps à perdre, car on entendait déjà le bruit des armes et des pas précipités des soldats. Rebecca fit de suite monter le sauvage dans le haut de la maison, et le fit placer dans une grande boîte qu’elle acheva de remplir de maïs. Bientôt, la porte de la maison s’ouvrit avec grand bruit et les soldats entrèrent avec précipitation, en s’écriant : « Cette vilaine peau rouge est-elle ici ? Nous sommes-informés que ce sauvages s’est dirigé du côté de cette maison ». La jeune fille, manifestant la plus grande surprise, répondit qu’à la vérité elle avait entendu du bruit près de la maison, mais qu’elle n’avait rien vu.

Cependant, quelqu’un de la troupe persista à dire que le sauvage était caché dans la maison, et proposa d’y faire des recherches. Les soldats cherchèrent donc dans tous les appartements, montèrent au second étage, et examinèrent plusieurs fois la grande boîte de maïs ; mais, ne trouvant pas le fugitif, ils se retirèrent.

Vers le soir, lorsque tout danger était éloigné, Rebecca mit le sauvage en liberté, en lui faisant promettre d’épargner la vie aux mères et aux petits enfants, qui désormais tomberaient en son pouvoir. Le sauvage se retira, le cœur plein de joie, et bien décidé de ne jamais oublier sa bienfaitrice.

Dix à douze ans plus tard, Rebecca, devenue orpheline, était sur le point de se marier à un jeune homme qui lui convenait, lorsqu’un aventurier, qui avait passé plusieurs années à faire la chasse avec les sauvages, demanda sa main. Elle le refusa. L’aventurier, irrité de ce refus, forma le dessein de l’enlever. Un jour que Rebecca, ne se défiant de rien, s’était un peu éloignée de la maison, ce malheureux, accompagné de deux ou trois sauvages, tomba sur elle, l’enleva et la conduisit sur une île du lac Winnipiseogee.

Cependant, le sauvage, à qui elle avait sauvé la vie, ne l’avait pas perdue de vue. Après la promesse qu’il lui avait faite d’épargner la vie des mères et des enfants qui tomberaient en son pouvoir, il avait complètement cessé de prendre part aux expéditions contre les Anglais. Il s’était fixé avec sa famille, dans les forêts, non loin de la demeure de Rebecca. De là, il veillait sans cesse sur sa bienfaitrice sans qu’elle s’en aperçut. Il avait redoublé de vigilance depuis qu’elle était devenue orpheline. Il savait qu’elle devait se marier bientôt, et connaissait aussi les démarches de l’aventurier auprès d’elle. Depuis ce temps surtout, il ne la perdit pas de vue, car ces démarches lui avaient inspiré quelques craintes pour elle.

Il fut donc témoin de l’enlèvement de Rebecca. Mais, jugeant qu’il n’était pas prudent d’attaquer de suite ces brigands, pour obtenir la délivrance de l’infortunée jeune fille, il les suivit jusqu’au lac Winnipiseogee. Lorsqu’il eût connu le lieu où ils s’étaient arrêtés, il alla en toute hâte donner des renseignements nécessaires aux parents de la jeune fille. Alors, plusieurs Anglais s’unirent à lui pour aller attaquer les brigands dans leur île.

Le sauvage avait une fille unique, qu’il affectionnait beaucoup. Il crut qu’il était prudent de se faire précéder par elle et de l’envoyer seule auprès de l’aventurier, pensant qu’elle pourrait protéger Rebecca, et peut-être, lui sauver la vie, dans le cas que le malheureux, se voyant attaqué, voudrait la tuer. La jeune sauvagesse arriva donc seule au campement de l’aventurier, et lui annonça que quelques Anglais venaient de débarquer sur l’île. Alors, celui-ci, comprenant ce qui en était, s’éloigna un peu avec ses sauvages, bien décidé de se mettre en défense. Bientôt, voyant que toute défense était inutile et qu’il était perdu, il résolut de s’enfuir et de faire feu sur sa victime, ne voulant pas la laisser vivante entre les mains de ses ennemis.

Cependant, la jeune sauvagesse, qui épiait tous les mouvements du brigand, s’apercevant de ce qu’il voulait faire, se précipite vers lui, avec la rapidité de l’éclair, comme pour le supplier de ne pas mettre exécution son horrible dessein ; et, avant qu’elle ait le temps de proférer une seule parole, elle tombe percée de la balle dirigée sur Rebecca.

Ainsi, cette jeune sauvagesse sacrifia généreusement sa vie pour sauver celle de la bienfaitrice de son père. Le sauvage pleura la mort de sa fille ; mais il se consola en songeant qu’elle avait payé la dette qu’il devait à Rebecca depuis bien des années.

L’aventurier put s’échapper, et passa en Angleterre quelque temps après.

Quelques mois plustard, on félicitait le sauvage de cet acte admirable de dévouement. « Je ne mérite pas ces paroles, » répliqua-t-il, « car je n’ai fait que mon devoir. J’ai payé à Rebecca une dette que je lui devais depuis bien des années. Maintenant je mourrai content. »

Voici un autre trait de gratitude non moins remarquable.

Un Abénakis, occupé à faire la chasse dans la Nouvelle-Angleterre, s’arrêta à un petit village anglais et entra dans une auberge, après avoir passé plusieurs jours sans prendre de nourriture. Il demanda quelque nourriture à la maîtresse de la maison. Celle-ci lui refusa même un morceau de pain, en lui adressant des paroles injurieuses.

Un Anglais, qui se trouvait dans cette maison, avait été témoin de ce qui venait de se passer. Touché de compassion à la vue des souffrances et de l’état d’épuisement de ce malheureux, il lui fit servir ce qu’il demandait et paya pour lui.

Le sauvage, après avoir apaisé sa faim, remercia son bienfaiteur et lui promit de ne jamais oublier cet acte de bienfaisance ; puis, s’adressant à la maîtresse de la maison, il dit : « Le Grand Esprit créa le monde, et dit : c’est bon. Il créa ensuite la lumière, et dit c’est bon. Il créa la terre, l’eau, le soleil, la lune, l’herbe, les forêts, les animaux, les oiseaux, les poissons, et dit encore : c’est bon. Il créa l’homme, et dit encore : c’est bon. Puis enfin il créa la femme ; mais alors, il n’osa dire : c’est bon. »

Le sauvage en prononçant ces dernières paroles sortit et disparut.

Quelques années plus tard, l’Anglais dont nous venons de parler fut fait prisonnier par un parti d’Abénakis et emmené en Canada. Les sauvages décidèrent de le mettre à mort ; mais une vieille sauvagesse l’adopta, pour remplacer son fils, tué à la guerre. Il fut donc livré à cette vieille femme, qui le traita comme s’il eût été son propre fils.

L’année suivante, se trouvant seul dans la forêt, un sauvage inconnu se présenta à lui et lui fit promettre d’aller le rejoindre le jour suivant dans un endroit qu’il lui indiqua. Mais, par crainte, il manqua à sa promesse.

Quelques jours après, le même sauvage se présenta encore à lui et lui reprocha d’avoir manqué à sa parole. L’Anglais essaya de se justifier ; mais il ne put satisfaire le sauvage qu’après lui avoir promis de nouveau qu’il irait le rencontrer le jour suivant à l’endroit indiqué.

Cette fois, l’Anglais fut fidèle à sa promesse. Il alla au rendez-vous, et y trouva son sauvage, qui l’attendait avec des fusils et de la poudre. Le sauvage lui donna un fusil et lui enjoignit de le suivre.

Ils marchèrent pendant quinze jours à travers les forêts, dirigeant leur route vers le Sud. Chaque fois que l’Anglais questionnait le sauvage sur le but de ce voyage, celui-ci gardait toujours un obstiné silence.

Le quinzième jour, ils arrivèrent sur le sommet d’une montagne, d’où ils aperçurent des habitations anglaises. L’Anglais reconnut bientôt que c’était son village, qui n’était qu’à quelques milles de cette montagne.

« Maintenant, » dit le sauvage, te souviens-tu du sauvage de l’auberge ? Te souviens-tu d’avoir donné du pain à ce malheureux, lorsqu’il avait bien faim ? Je suis ce sauvage. Je t’ai emmené ici pour te payer ce bienfait, en te rendant ta liberté. Retourne donc chez toi, et n’oublie pas le sauvage de l’auberge. »

Nous lisons aussi dans le même ouvrage un trait de bienfaisance fort remarquable. Le voici.

Un détachement de troupes anglaises ayant été défait par les Abénakis, les soldats s’enfuirent dans toutes les directions. Un jeune officier, poursuivi par deux sauvages, était sur le point d’être rejoint par eux, lorsqu’un vieux guerrier abénakis arriva, lui sauva la vie et l’emmena dans son wiguam, lui promettant de le protéger et d’avoir soin de lui.

Ce sauvage tint sa promesse. Il eut pour son protégé toutes les bontés d’un père pour son fils. Il passait la plus grande partie de son temps à lui enseigner sa langue, à lui apprendre à faire la chasse et tous les ouvrages des sauvages. Il lui témoignait toujours la plus grande affection.

Si parfois le souvenir de ses parents et de son pays rendait le jeune Anglais triste et mélancolique, le sauvage partageait sa douleur.

L’année suivante, le vieux guerrier fut encore appelé à prendre les armes contre les Anglais. Il partit pour la guerre avec son protégé. Avant d’arriver au lieu du combat, il s’arrêta et lui dit : « Tu sais où nous allons. Nous allons vers tes frères, qui veulent combattre contre nous. Écoute ce que j’ai à te dire. Je t’ai sauvé la vie. Je t’ai appris à faire des canots et bien des choses nécessaires à l’homme. Je t’ai enseigné la manière de faire la chasse. Qu’étais tu lorsque je t’ai emmené dans mon wiguam ? Tes mains étaient comme celles d’un enfant ; elles n’étaient capables, ni de gagner ta vie, ni de la défendre. Tu étais complètement ignorant. Tu as appris de moi toutes choses. Serais-tu assez ingrat pour lever ton bras contre un sauvage ?

Le jeune homme déclara qu’il aimerait mieux mourir que de verser le sang de ses amis et protecteurs. Alors, le sauvage pencha la tête, mit sa figure entre ses mains et réfléchit quelque temps ; puis, il reprit : « As-tu un père ? » — « Mon père vivait », dit le jeune Anglais, « lorsque je laissai mon pays natal ». — « Ah ! que ton père est heureux d’avoir encore un fils ! » s’écria le sauvage, Et après quelques moments de silence, il ajouta : « Moi aussi j’ai été père, mais je ne le suis plus. J’ai vu mon fils tomber dans un combat ; il se battit bravement à mes côtés, tomba criblé de coups et mourut couvert de gloire. J’ai vengé sa mort, et je l’ai assez vengée ». Il prononça ces dernières paroles avec force. Puis, se tournant du côté du soleil levant, il ajouta : « Jeune homme, regarde cette lumière glorieuse. N’éprouves-tu pas quelque plaisir à la contempler ? » — « Oui », répondit l’officier, « la vue du soleil levant me fait toujours plaisir. » — « J’en suis bien aise », dit le guerrier ; « mais pour moi il n’y a plus de plaisir en cela ». Puis, il cueillit une petite fleur des bois et la présenta au jeune homme en disant : « Éprouves-tu quelque plaisir en regardant cette plante ? » — « Oui, certainement, » répondit le jeune anglais. « Quant à moi », reprit le guerrier, « la vue de ces plantes ne me cause plus de plaisir, car la mort de mon fils m’a enlevé pour toujours tous les plaisirs d’ici-bas.

« Maintenant, jeune homme, je me rendrais doublement malheureux si je causais ta mort aujourd’hui, et je rendrais ton père malheureux comme moi. Ainsi, tu ne combattras pas contre tes frères. Je te rends ta liberté. Fuis donc immédiatement. Hâte-toi de retourner en ton pays. Va dissiper les inquiétudes de ton père et demeure toujours auprès de lui, afin qu’il puisse encore longtemps contempler avec bonheur le soleil levant, et voir avec plaisir les fleurs du printemps ».

Le jeune officier plein d’admiration pour les nobles sentiments de ce généreux sauvage, l’embrassa affectueusement, et s’enfuit vers sa patrie.

Ces traits admirables de gratitude et de générosité nous démontrent que les Abénakis n’étaient pas cruels et qu’au contraire ils avaient des cœurs sensibles. En les traitant avec bonté, les Anglais auraient pu en faire de fidèles amis ; mais par les injustices et les mauvais traitements, ils en firent de redoutables ennemis. Nous pouvons donc dire que toutes les cruautés que les Abénakis ont exercées contre les colons anglais, ont été causées par la faute des Anglais.

Mais, dira-t-on peut-être, puisque les Abénakis étaient de bons chrétiens, pourquoi se livraient-ils à tant de cruautés contre les colons anglais ? Le christianisme ne leur avait-il pas enseigné à pardonner à leurs ennemis ?

À cela nous répondrons d’abord que ces sauvages étaient les ennemis des Anglais, surtout par raison de religion. Ils les combattaient pour la défense de leur foi.

On sait quel était l’esprit de fanatisme des colons anglais, surtout des Puritains de la Nouvelle-Angleterre. Ils haïssaient souverainement les catholiques, les considérant comme des idolâtres. On connaît les lois qu’ils passèrent contr’eux. Ils étaient tellement aveuglés par le fanatisme, qu’ils ne voyaient pas l’absurdité de semblables mesures. Il est évident que l’unique but des Anglais était de chasser les catholiques de l’Amérique.

Les Abénakis connaissaient cela et considéraient ces fanatiques comme les ennemis de leur foi. À leurs yeux, les guerres qu’ils faisaient contr’eux étaient de véritables croisades, pour la défense de leur foi. Aussi, rien n’était plus édifiant que la piété de ces braves et courageux guerriers lorsqu’ils marchaient au combat. Dans ces longs et pénibles voyages, où ils étaient ordinairement accompagnés d’un missionnaire, ils ne manquaient jamais à leurs exercices de piété. Avant d’en venir aux mains avec l’ennemi, ils se mettaient à genoux, adressaient une prière fervente à Celui qui a tout fait ; puis, ils se livraient au combat avec une ardeur et une intrépidité qui étonnaient toujours leurs commandants.

Les missionnaires considéraient aussi ces guerres, soit contre les Anglais, soit contre les Iroquois, comme des croisades. Avant les combats, ils rappelaient à la mémoire des sauvages l’exemple de Saint-Louis, marchant contre les infidèles de la Palestine, et les exhortaient à combattre courageusement, comme ce saint roi, pour la défense de leur foi. Nous lisons dans la relation de 1685 du P. Jacques Bigot qu’un grand nombre d’Abénakis, malades des fièvres, à la suite de l’expédition de 1684 contre les Iroquois acceptaient cette terrible maladie avec la plus admirable résignation, disant « qu’ils n’étaient pas plus maltraités que Saint-Louis, mort de la peste à la suite de ses croisades contre les infidèles ».

Nous devons toutefois avouer que les cruautés que les sauvages exerçaient alors contre leurs ennemis, nous paraissent aujourd’hui un peu révoltantes. Mais remarquons que ce n’est pas avec les mœurs et les usages d’aujourd’hui que nous devons les juger. Les progrès de la civilisation nous font actuellement envisager ces choses bien différemment qu’on ne le faisait autrefois.

Nous en citerons un exemple assez remarquable. Nous avons vu que la peine de mort était en usage chez les Abénakis. Ils conservèrent cet usage longtemps encore, après leur établissement à Saint-François.

Un jour, un Abénakis tua un sauvage, dans une querelle. Sachant que sa mort était inévitable, s’il restait à Saint-François, il s’enfuit et alla se refugier à la Nouvelle-Angleterre, où il passa plusieurs années. Cependant, l’ennui qu’il éprouvait toujours par l’absence de sa famille et de ses amis le força de revenir à son village. Il avoua son crime aux Chefs de sa tribu et demanda grâce, alléguant que, par les souffrances qu’il avait endurées pendant sa longue absence, il en avait subi un châtiment suffisant. Le grand conseil décida que cette satisfaction n’était pas égale à l’injustice commise contre la famille du défunt, et qu’en conséquence la mort du meurtrier était nécessaire et inévitable.

Le malheureux demanda quelques heures pour se préparer à la mort ; ce qui lui fut accordé. Alors pour s’éloigner du bruit, il traversa la rivière et alla se mettre en prières précisément à l’endroit où était, il y a quelques années, la grande scierie des Américains.

L’heure de l’exécution étant arrivé et le condamné n’étant pas encore de retour, les Chefs députèrent quelques jeunes gens à sa recherche. Ceux-ci le trouvèrent agenouillé au pied d’un arbre, et priant avec ferveur. Ils le conduisirent au village, où il fut immédiatement fusillé.

Aujourd’hui l’on considérerait comme des meurtriers ceux qui feraient une chose semblable, sans avoir recours aux lois. Mais, il y a cent-cinquante ans, ce n’était pas la même chose. Les Abénakis agirent en cette circonstance suivant les usages établis dans leur nation, et l’on considérait alors cette chose comme nécessaire pour maintenir le bon ordre parmi eux.

On sait que ces sauvages étaient des barbares avant leur conversion. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient commis des actes de barbarie après avoir embrassé le christianisme. Car l’histoire nous apprend que tous les peuples barbares qui se sont convertis, n’ont pas abandonné de suite leurs usages de barbarie, et qu’il a fallu une longue suite d’années pour les soumettre aux lois de la civilisation. Il en fut des individus comme des nations. Ainsi, Clovis se rendit coupable de grandes cruautés après sa conversion. Il souilla la fin de son règne par les meurtres de Sigebert, roi de Cologne, et de Ragnacaire, roi de Cambray, parcequ’il redoutait leur ambition. Nous pourrions citer un grand nombre d’exemples de ce genre. Les Abénakis ont fait comme tous les autres peuples barbares. Ils ont conservé, longtemps après leur conversion, des restes de leur ancienne barbarie.

Lorsque nous disons que ces sauvages étaient d’excellents chrétiens, nous ne prétendons pas qu’il n’y avait pas de méchants sujets parmi eux. Il y avait certainement parmi ces sauvages des hommes pervers, comme il y en a toujours eu même chez les peuples les plus distingués par leur foi et leur piété. Il est probable que ces méchants sauvages, à l’insu du Gouvernement du Canada et malgré la défense des missionnaires, se sont quelquefois livrés à d’affreux excès de barbarie contre les colons anglais. Mais on ne doit pas imputer à une nation entière les fautes de quelques individus de cette nation.


CHAPITRE NEUVIÈME.

les abénakis en canada et en acadie.

1701-1713.

À peine les Abénakis furent-ils établis à Saint-François, qu’une terrible maladie, la petite vérole, éclata en Canada. Le quart de la population de Québec fut enlevé par cette épidémie[460]. Il en fut à peu près de même pour les Abénakis et pour les autres sauvages du pays. À la suite de cette affreuse épidémie, qui avait jeté partout l’épouvante, les colons et les sauvages se virent dans l’obligation de reprendre les armes, en 1703, après une paix qui n’avait duré que quatre ans.

L’avènement d’un Bourbon, en 1700, sur le trône l’Espagne avait étonné l’Europe et y avait causé des troubles sérieux. En 1701, Louis XIV, après la mort de Guillaume III, avait donné à son fils le titre de roi d’Angleterre, quoiqu’il fût convenu avec son conseil de ne point le faire. Cette démarche du roi de France blessa la nation anglaise, et acheva de décider le cabinet de Londres à déclarer la guerre à la France. La cause de cette guerre était bien étrangère aux intérêts du Canada, mais comme il est fort probable que l’espoir de s’emparer de ce pays fut pour quelque chose dans la décision du cabinet de Londres, les Anglais profitèrent de cette occasion pour porter leurs armes contre la colonie. Mais Dieu veillait sur elle et la protégeait. Ces ennemis furent repoussés et ne purent rompre la digue que M. de Callière avait formée en 1700, par le traité solennel avec les cinq cantons Iroquois. Ainsi, tandis que Marlborough, par ses victoires, immortalisait en Europe le règne de la reine Anne, l’Angleterre vit échouer presque toutes ses entreprises en Amérique, par des défaites et des désastres.

Les principaux théâtres des hostilités furent le Massachusetts, l’Acadie et l’Île Terreneuve.

Aussitôt après le traité de Montréal, M. de Callière avait envoyé des missionnaires chez les Iroquois. Ces missionnaires avaient ordre de travailler activement à dissiper les préjugés que ces sauvages nourrissaient contre les Français, et à s’efforcer de déjouer les intrigues des Anglais. Ils devaient informer le gouverneur du Canada de toutes les démarches de la Nouvelle-York. Les Anglais firent beaucoup d’efforts pour engager les Iroquois à renvoyer ces missionnaires ; mais ils ne purent y réussir. Ils ne gagnèrent à leur cause que quelques Chefs. Comme ils étaient peu redoutables de ce côté, lorsqu’ils n’avaient pas les cantons en leur faveur, le gouverneur tourna alors ses regards vers l’Acadie ; car c’était de ce côté que les coups des ennemis pouvaient devenir fort redoutables.

Ce fut sous ces circonstances que M. de Callière mourut, le 26 Mai 1703. Il fut vivement regretté des Canadiens, qu’il servait depuis vingt ans et qu’il gouvernait depuis cinq ans. Le gouverneur de Montréal, le Marquis Philippe de Rigaud de Vaudreuil, lui succéda[461].

Pendant ce temps, les Abénakis, connaissant l’orage qui s’élevait du côté des Anglais, se préparaient à prendre les armes pour aller à la défense de leurs amis et alliés ; en même temps, ils contribuaient beaucoup à maintenir les Iroquois dans la neutralité, par la grande terreur qu’ils leur inspiraient. Leur avis était devenu d’un grand poids auprès de ceux du Saut Saint-Louis, ce qui les fit réussir à déjouer les intrigues du colonel Schuyler auprès de ces sauvages. Ce colonel, l’homme le plus intrigant et le plus actif de la Nouvelle-York, était parvenu à gagner à sa cause quelques sauvages du Saut. Les Abénakis intervinrent, et purent déjouer ses intrigues. Ainsi, sans les Abénakis, Schuyler eût gagné une partie des Iroquois chrétiens[462].

Les Anglais, voyant que les Abénakis étaient presque toujours un grand obstacle à toutes leurs démarches contre le Canada, résolurent de tenter encore un moyen pour les attirer vers eux. Le gouverneur Dudley fut choisi pour traiter avec les Chefs, de cette affaire importante. Tous les Chefs abénakis, depuis la rivière Merrimack jusqu’à Pentagoët, furent invités à une grande assemblée à Casco[463]. La plupart de ces Chefs ne consentirent pas à se séparer des Français. Cependant quelques uns firent la paix avec les Anglais. « Le soleil » ; dirent-ils, « n’est pas plus éloigné de la terre que nos pensées le sont de la guerre »[464].

Alors, M. de Vaudreuil, pour déconcerter toutes les intrigues des Anglais, se vit dans l’obligation de jeter les Abénakis dans la guerre. C’était, à dire vrai, un recours extrême ; « mais la sûreté, l’existence même de la population française était une raison suprême qui faisait taire toutes les autres »[465]. Il les associa à de braves Canadiens, les mit sous le commandement de M. Beaubassin, et les lança contre la Nouvelle-Angleterre. Pendant presque tout l’été, 1703, ces sauvages ravagèrent les établissements anglais, depuis Casco jusqu’à Wells, dans la province de Massachusetts. « Les sauvages, » dit Bancroft, « divisés. par bandes, assaillirent avec les Français toutes les places fortifiées et toutes les habitations à la fois, n’épargnant, suivant les paroles du fidèle chroniqueur, ni les cheveux blancs, ni l’enfant sur le sein de sa mère. La cruauté devint un art, et les honneurs récompensèrent l’auteur des tortures les plus raffinées. Il semblait qu’à la porte de chaque maison un sauvage caché épiait sa proie. Que de personnes furent massacrées ou entraînées en captivité ! Si des hommes armés, las de leurs attaques, pénétraient dans les retraites de ces barbares insaisissables, ils ne trouvaient que des solitudes. La province de Massachusetts était désolée, et la mort planait sur ses frontières[466].

Cesparoles du célèbre historien américain, quoiqu’un peu assaisonnées de fiel, nous font bien connaître les ravages que les Abénakis firent alors dans la Nouvelle-Angleterre.

À l’automne, les Anglais, pour se venger, attaquèrent à l’improviste les Abénakis de l’Acadie, et massacrèrent impitoyablement tous ceux qui tombèrent entre leurs mains. Ces sauvages demandèrent alors du secours à M. de Vaudreuil, qui leur envoya, pendant l’hiver 1703-1704, 250 hommes, Canadiens, Abénakis et Iroquois du Saut Saint-Louis, sous les ordres de Hertel de Rouville[467].

Hertel avait ordre de se diriger sur Deerfield, premier établissement anglais sur les frontières du Massachusetts. Il partit de Montréal, au commencement de Février, accompagné de ses quatre frères. Il remonta le Richelieu, se rendit à la rivière à l’ognon, sur le lac Champlain, pénétra par là jusqu’à la rivière Connecticut et descendit par cette rivière jusqu’à Deerfield, où il arriva le 29, quelques heures après le coucher du soleil. Il s’arrêta aux environs du village, et envoya prendre quelques connaissances des lieux. Ses éclaireurs rapportèrent que rien n’indiquait des préparatifs de défense, que les sentinelles avaient abandonné leurs postes et qu’elles étaient endormies.

Dans le cours de l’été précédent, le colonel Schuyler, ayant été informé qu’on projetait en Canada d’attaquer Deerfield, avait recommandé aux habitants de ce village de se tenir toujours prêts à la défense ; mais les Canadiens et les sauvages n’ayant point paru en cet endroit, les habitants finirent par croire que c’était une fausse alarme, et les gardes du village demeurèrent sans défiance.

À la nouvelle rapportée par les éclaireurs ; Hertel résolut de marcher de suite à l’attaque. Le village était entouré d’une palissade, qui fut facilement franchie, parceque la neige y était beaucoup amoncelée. Hertel divisa alors ses troupes en plusieurs bandes, et attaqua à la fois presque toutes les habitations. La place fut prise sans combat. Quarante-sept habitants, voulant se mettre en défiance, furent tués ; quelques uns purent s’échapper, et cent-vingt furent faits prisonniers[468] ; puis le feu fut mis au village. Le lendemain, au lever du soleil, Deerfield ne présentait qu’un monceau de cendres. Un petit parti d’Anglais poursuivit les sauvages dans leur retraite, dans le but de délivrer les prisonniers ; mais il fut facilement repoussé et les vainqueurs. continuèrent leur route vers le Canada avec leurs prisonniers.

Parmi ces captifs, on comptait un ministre protestant, du nom de John Williams, et sa famille. Dans le cours du voyage, Madame Williams, malade et trop faible pour suivre les autres, fut tuée par un sauvage[469].

Hertel arriva à Chambly, le 25 Mars, après vingt-cinq jours d’une marche pénible et difficile. Il n’avait alors que cent prisonniers ; les autres avaient succombé aux misères du voyage[470]. Ces cent prisonniers furent conduits à Montréal, où ils furent bien traités par le gouverneur. Peu de temps après, plusieurs furent rachetés, et retournèrent à la Nouvelle-Angleterre. Deux ans plus tard, Samuel Appleton fut envoyé à Québec, par le Gouvernement de Boston, pour racheter les autres. Alors cinquante-huit de ces prisonniers retournèrent à Boston, après avoir été retenus en captivité près de trois ans[471].

Plusieurs de ces prisonniers, s’étant fait catholiques, restèrent en Canada. Parmi ceux-ci était une fille du ministre Williams. Elle demeura chez les Iroquois du Saut Saint-Louis. Elle se maria à un sauvage, et ne songea jamais à retourner vers ses parents[472].

Au printemps suivant, 1704, les Anglais de la Nouvelle-Angleterre résolurent d’attaquer l’Acadie, pour se venger du désastre de Deerfield. Mais l’insuccès de cette entreprise, acheva de convaincre les Abénakis de la supériorité des armes des Français sur celles des Anglais.

M. de Brouillan, qui avait succédé comme gouverneur de l’Acadie à M. de Villebon, mort en 1700, fut informé de ce projet. Il négligea cependant de se préparer à la défense ; aussi fut-il surpris.

Le 2 Juillet, on l’informa que des vaisseaux anglais venaient d’entrer dans le bassin de Port-Royal, que des troupes y étaient débarquées, avaient chassé la garde de cet endroit et fait plusieurs prisonniers. Quelques vaisseaux s’étaient arrêtés aux Mines, y avaient brûlé plusieurs habitations et avaient ensuite rejoint le reste de la flotte à Port-Royal. La flotte anglaise comptait en tout vingt-deux vaisseaux[473].

Le 5, les Anglais envoyèrent sommer les habitants de Port-Royal de se rendre, leur mandant qu’ils étaient au nombre de 1,300 hommes, sans compter 200 sauvages, et qu’ils seraient tous mis à mort s’ils refusaient de se soumettre à cette sommation. M. de Brouillan recommanda alors aux habitants de faire tout leur possible pour empêcher le débarquement de l’ennemi ; puis, il envoya plusieurs détachements, qui arrêtèrent les Anglais partout où ils se présentèrent. Il sortit lui-même du fort pour aller soutenir ces détachements. Il y eut quelques actions assez vives, où les Anglais furent toujours repoussés. Enfin, après plusieurs tentatives, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, les Anglais, voyant que rien ne leur réussissait, renoncèrent à leur projet, et le 20, la flotte sortit du Bassin.

Le 22, seize autres vaisseaux anglais arrivèrent à Beaubassin ; mais ayant trouvé ce poste bien préparé à la défense, ils se retirèrent aussitôt.

Tout le fruit de ces deux expéditions se réduisit à cinquante prisonniers. Ce qui dédommagea bien peu les Anglais des frais d’un si grand armement, et encore moins du mépris que leur manque de courage leur attira de la part des Abénakis[474].

Les années suivantes, 1705 et 1707, les Abénakis firent plusieurs descentes sur les villages du Massachusetts. Ils ramenaient chaque fois en Canada des captifs et un riche butin. Ils se cachaient dans le voisinage des villages anglais ; puis, lorsqu’ils voyaient que la garnison ne veillait plus, ils se jetaient sur les habitations qu’ils pillaient et détruisaient. Ils semaient la terreur partout où ils passaient[475].

Alors, le Gouvernement de Massachusetts crut que le meilleur moyen pour faire cesser ces hostilités était de chasser entièrement les Français de l’Acadie. Des préparatifs de guerre furent faits promptement, et, le 6 Juin 1707, vingt-quatre vaisseaux anglais, sous le commandement du colonel Marck, parurent devant Port-Royal. Le lendemain, 2,000 Anglais débarquèrent, à trois milles du fort, ce qui y causa une si grande alarme que le gouverneur, M. de Subercase, eut peine à rassurer la garnison ; puis, il donna aussitôt l’ordre de retarder l’ennemi dans le bois, afin de lui donner le temps de réparer le fort, d’avertir les habitants et de faire venir à son secours le Baron de Saint-Castin avec ses Abénakis.

Les habitants et la garnison attaquèrent les Anglais en différents endroits pendant deux jours, et tinrent si ferme dans ces escarmouches qu’ils les empêchèrent d’approcher du fort. Les Anglais, voyant qu’ils étaient pressés de tous côtés, demeurèrent plusieurs jours sans rien faire. Le 10, ils avancèrent un peu, et se préparèrent à l’attaque.

Le lendemain, le gouverneur envoya quatre-vingts Abénakis, sous les ordres du Baron de Saint-Castin, se mettre en embuscade dans le bois. Ce détachement arrêta 400 Anglais, qui avaient été envoyés pour détruire les bestiaux. Saint-Castin attaqua ces ennemis avec tant de résolution qu’il les força d’entrer en désordre dans leur camp, après leur avoir tué plusieurs hommes[476].

Les Anglais attaquèrent le fort le 16 ; mais le feu meurtrier de la garnison et des sauvages les força de se retirer bientôt. Dans la nuit suivante, ils se rapprochèrent et investirent le fort de toutes parts ; mais s’apercevant que les Français pouvaient faire une longue résistance, ils se retirèrent, et le lendemain, levèrent le siége.

Port-Royal dut sa conservation, en cette circonstance, principalement à la bravoure du Baron de Saint-Castin et de ses Abénakis. M. de Subercase, écrivant au Ministre à cette occasion, disait « que si le Baron de Saint-Castin ne s’était pas rencontré parmi eux, il ne savait pas trop ce qui en serait arrivé »[477].

Cependant, la Nouvelle Angleterre, loin de renoncer à son projet de s’emparer de Port-Royal, résolut de l’attaquer encore immédiatement. On ajouta trois navires et environ 600 hommes à la première flotte, et le colonel Marck partit aussitôt de Boston pour cette seconde expédition. Il parut le 20 d’Août, à l’entrée du Bassin de Port-Royal.

M. de Subercase ne perdit pas l’espoir de triompher encore cette fois, et sa résolution encouragea ses troupes. Il comptait beaucoup sur le secours des Abénakis, qui venaient d’arriver avec leur courageux Chef, Saint-Castin. Les Anglais, ayant trop de confiance en leur grand nombre, ne se pressèrent pas, et attendirent au lendemain pour débarquer ; ce qui donna au gouverneur le temps de réunir les habitants dans le fort.

Le colonel Marck fit débarquer ses troupes le 21, et alla établir son camp, à environ un mille de Port-Royal, dont il n’était séparé que par une petite rivière. Alors, M. de Subercase envoya quatre-vingts Abénakis et trente habitants, avec ordre de traverser cette rivière et de se mettre en embuscade du côté des Anglais.

Les ennemis restèrent dans leur camp toute la journée du 22, et, le 23, 700 environ en sortirent, sous le commandement d’un lieutenant. Cet officier, s’avançant sans précaution, alla tomber dans l’embuscade des sauvages. Il fut tué avec plusieurs de ses gens ; quelques-uns furent faits prisonniers et conduits au gouverneur ; les autres s’enfuirent et retournèrent à leur camp[478].

Le 25, les Anglais furent forcés d’abandonner leur camp, et allèrent se placer vis-à-vis du fort. Le lendemain, plus pressés encore par le feu de l’artillerie française, ils décampèrent de nouveau, et allèrent se placer à un mille et demi plus bas. Le 27, le gouverneur envoya un détachement d’Abénakis et d’habitants pour les attaquer ; ils furent tellement harcelés par ce détachement qu’ils furent obligés de décamper une troisième fois. Le 30, voyant qu’il leur était difficile de conserver leur position, ils s’embarquèrent pour aller débarquer un peu plus loin. Le gouverneur envoya aussitôt le Baron de Saint-Castin, avec 150 Abénakis, se mettre en embuscade dans l’endroit où il supposait que les ennemis débarqueraient. Les Anglais débarquèrent en effet, le 31, près de l’embuscade des sauvages. Saint-Castin les laissa approcher jusqu’à la portée du fusil ; puis, il fit feu sur eux. Les ennemis soutinrent ce feu avec intrépidité, et parurent décidés à forcer le passage à tout prix. Cependant Saint-Castin, après un combat très-vif, parvint à les repousser.

Alors, le gouverneur sortit du fort avec 250 hommes, et accompagné des sieurs la Boularderie et Saillant, pour aller au secours des Abénakis. Il donna ordre à la Boularderie de suivre les ennemis et de les attaquer, s’ils voulaient s’embarquer. Cet officier, qui brûlait du désir d’en venir aux mains, attaqua l’ennemi trop vite, avec quatre-vingts hommes seulement. Il se précipita sur les Anglais avec impétuosité, en tua un grand nombre, força deux retranchements ; puis, il tomba, grièvement blessé. Saint-Castin et Saillant accoururent avec les Abénakis, et prirent sa place. Le combat fut alors très-vif. On se battit avec acharnement à coups de haches et de crosses de fusils Enfin les ennemis, au nombre d’environ 1,500, reculèrent vers leurs chaloupes[479].

Quelques officiers anglais, honteux de fuir devant un si petit nombre, rallièrent leurs troupes, et marchèrent contre les sauvages, qui se retiraient vers le bois, parceque Saint-Castin et Saillant avaient été blessés. Les sauvages firent alors volte-face, et montrèrent tant de résolution que les Anglais, n’osant les attaquer, se retirèrent, après avoir tiré quelques coups de fusils[480].

Le colonel Marck leva alors le siége et retourna à Boston, honteux de cette seconde défaite.

Après cette victoire mémorable, M. de Subercase : se trouva dans un grand embarras. Il avait invité les Abénakis en leur promettant des récompenses, qu’il avait demandées à la France. Ces courageux et généreux sauvages avaient tout sacrifié et tout abandonné pour venir à son secours. Après cette suite de rudes combats, ils se trouvaient dans un état incroyable de pauvreté et de dénument. Mais la France, alors bien moins occupée à conserver l’Acadie que l’Angleterre à la conquérir, n’envoya rien. Des vaisseaux français arrivèrent à Port-Royal quelque temps après, n’apportant aucune marchandise. Le gouverneur se vit alors dans l’impossibilité de remplir ses promesses, et se trouva dans l’obligation de donner jusqu’à ses chemises et les draps de son lit pour vêtir les sauvages[481].

Les Abénakis, qui combattaient les Anglais plus par motif de religion que dans le but d’avoir des récompenses, comprirent la situation embarrassante du gouverneur. Aussi, ils ne murmurèrent pas et se retirèrent, contents d’avoir fait leur devoir et d’avoir donné une nouvelle preuve de leur courage.

Ces combats furent les derniers faits d’armes du célèbre Baron de Saint-Castin. L’année suivante, il se vit dans l’obligation de quitter l’Acadie, qu’il affectionnait tant, pour repasser en France, où il mourut.



CHAPITRE DIXIÈME.

suite du précédent.

1701-1713.

En 1708, il y eut à Montréal une grande réunion de Chefs sauvages. Les Abénakis, les Iroquois, les Hurons et les Algonquins y étaient représentés. Or décida dans ce conseil de faire une expédition contre la Nouvelle-Angleterre. Portsmouth, New-Hampshire, était le point qu’on devait attaquer. Plus de 100 Canadiens et 300 sauvages furent mis sous les ordres de M. M. de Saint-Ours Deschaillons et Hertel de Rouville, pour cette expédition[482]. Mais au moment du départ, les Iroquois et les Hurons refusèrent de marcher[483]. Les Abénakis persistèrent dans leur résolution. Cent de leurs guerriers s’unirent aux Canadiens et se mirent en marche, dans les premiers jours d’Août. Ils remontèrent la rivière Saint-François, pénétrèrent dans la Nouvelle-Angleterre, et se rendirent au lac Winnipiseogee[484], ils devaient rejoindre les Abénakis de l’Acadie. Mais ces derniers ne se trouvèrent pas au rendez-vous. Deschaillons et Hertel, privés de ce secours, furent forcés de renoncer au projet d’aller attaquer Portsmouth, et résolurent de marcher sur Haverhill, village situé sur la rivière Merrimack[485], à environ 450 milles de Québec.

Les Anglais venaient d’envoyer des troupes dans ce village ; conséquemment, il était sur ses gardes, et les Français ne pouvaient compter sur une surprise. Ces derniers arrivèrent vers la nuit dans le voisinage du village ; ils s’y arrêtèrent et passèrent la nuit dans la forêt. Le lendemain, ils rangèrent leurs gens en bataille, et les exhortèrent à combattre courageusement. Alors, les Abénakis se mirent à genoux au pied des arbres, prièrent avec ferveur, marchèrent ensuite résolument à l’attaque du village, et s’en emparèrent, après un rude combat. Tout y fut pillé et saccagé[486].

Bientôt, un renfort de troupes arriva au secours des habitants, et cerna les assiégeants. Il s’ensuivit un terrible combat. La victoire fut longtemps disputée. Enfin, les Abénakis et les Canadiens repoussèrent les Anglais. Deux braves officiers français, Hertel de Chambly et Verchères, restèrent sur le champ de bataille[487]. Presque tous les Anglais furent tués ou faits prisonniers[488].

Un Abénakis, du nom de Naskânbi8it, qui avait été en France, et d’où il était revenu l’année précédente, combattit courageusement à côté de son commandant. Il tua beaucoup d’Anglais, avec un sabre que Louis XIV lui avait donné. Au milieu du combat il reçut une blessure au pied[489]. Ce sauvage jouissait d’une haute réputation parmi les siens. Le nom que les Abénakis lui avaient donné le prouve clairement ; car ce mot « Naskânbi8it » veut dire : « celui qui est si important et si haut placé par son mérite qu’on ne peut atteindre, par la pensée même, à sa grandeur. »

Cependant, les Hurons et les Iroquois du Saut Saint-Louis, honteux d’avoir refusé de marcher contre les Anglais et mortifiés du mépris que le Marquis de Vaudreuil affectait de leur témoigner, formèrent plusieurs partis, auxquels s’unirent les Abénakis de Bécancourt et plusieurs de ceux de Saint-François, et se dirigèrent vers la Nouvelle Angleterre, où ils ravagèrent plusieurs établissements[490].

Ces expéditions répandirent le désespoir dans les colonies anglaises. Aussi, le colonel Schuyler crut devoir faire les plus vives représentations au Marquis de Vaudreuil, afin de l’engager à retenir ses sauvages. « Je crois, » disait-il, « qu’il est de mon devoir envers Dieu et envers mon prochain de prévenir, s’il est possible, ces cruautés barbares. Mon cœur est rempli d’indignation quand je pense qu’une guerre entre des princes chrétiens, soumis aux lois de l’honneur et de la générosité, dont leurs ancêtres leur ont donné de si beaux et si brillants exemples, est dégénérée en une boucherie sauvage et sans limites. Ces choses ne sont pas propres à mettre un terme à la guerre »[491].

Tandis que le colonel Schuyler reclamait, au nom de l’humanité, contre les prétendus excès des Abénakis, il intriguait lui-même auprès des Iroquois et des sauvages alliés des Français, afin de les engager à prendre les armes contre le Canada. Il voulait les engager à commettre contre les Canadiens les excès dont il se plaignait. Aussi, le gouverneur lui répondit, qu’il devait savoir ce qui s’était passé depuis cinquante ans ; que conséquemment il devait savoir que les Anglais eux-mêmes avaient mis le Canada dans la pénible nécessité d’autoriser ces descentes des Abénakis et des autres alliés sur la Nouvelle-Angleterre ; qu’il ne devait pas ignorer les horreurs commises par les Iroquois, à la sollicitation des Anglais ; qu’à Boston les Français et les Abénakis, retenus comme prisonniers, étaient traités avec une barbarie qui ne le cèdait nullement à celle dont il se plaignait ; que les Anglais avaient plusieurs fois violé le droit des gens, ainsi que certaines négociations arrêtées et signées ; qu’enfin tous les prisonniers qui venaient des colonies anglaises étaient bien traités par les Français et les sauvages.

Tel fut le résultat du message du colonel Schuyler auprès du Marquis de Vaudreuil.

Les Anglais, irrités, résolurent d’employer tous moyens possibles pour exterminer les Abénakis. Ils offrirent des récompenses pour chaque prisonnier ou chevelure de ces sauvages. On offrit £10, £20 et même £50, sterling, pour chaque chevelure[492].

Cependant les colonies anglaises, humiliées par tant d’échecs, comprirent que l’unique moyen de prévenir le retour de ces humiliations était de s’emparer de toute la Nouvelle-France. Elles firent des représentations au Cabinet de Londres dans ce sens. Et voici ce qui fut résolu, en 1709. Une flotte et une armée seraient envoyées d’Angleterre ; le Massachusetts et le Rhode-Island fourniraient 1,200 hommes, pour aider à la conquête de Québec ; les provinces centrales donneraient 1,500 hommes, pour assaillir Montréal ; et, dans une seule saison, on s’emparerait du Canada, de l’Acadie et de l’Île Terreneuve[493].

On leva alors des troupes dans les colonies, et l’on plaça sur le lac Saint-Sacrement une armée de 4,000 hommes, sous le commandement du gouverneur Nicholson. Il y avait dans cette armée un grand nombre d’Iroquois et de Mohicans.

M. de Vaudreuil apprenant ces nouvelles, assembla son conseil de guerre, où il fut résolu de marcher immédiatement vers la Nouvelle-York, pour s’opposer aux mouvements de l’ennemi sur le lac Saint-Sacrement, afin que la colonie, rassurée de ce côté, pût réunir toutes ses forces contre la flotte anglaise qui devait attaquer Québec.

Le gouverneur donna 1,500 hommes à M. de Ramsay, gouverneur de Montréal, pour marcher vers le lac Champlain. Ramsay partit de Montréal, le 28 Juillet. Son avant-garde, sous les ordres du capitaine de Montigny, était composée de 50 soldats, 200 Abénakis et 100 Canadiens, commandés par Hertel de Rouville. Ramsay marchait ensuite, à la tête de 100 soldats et 500 Canadiens, commandés par M. M. de Saint-Martin, des Jordis, de Sabrevois, de Lignery et Deschaillons. Les Iroquois du Saut et d’autres sauvages formaient l’arrière-garde[494].

L’armée fit 120 milles en trois jours. Bientôt, la mésintelligence se mit entre le commandant et les officiers, et l’insubordination se répandit parmi les troupes ; ce qui fit manquer une entreprise dont le succès paraissait certain.

Déjà les Abénakis avaient mis en déroute un détachement ennemi, lorsqu’on apporta la nouvelle que 5,000 Anglais n’étaient pas éloignés, et qu’ils étaient bien retranchés. Alors, les sauvages refusèrent d’avancer, disant qu’il était imprudent d’aller si loin pour attaquer un ennemi qui avait eu tout le temps nécessaire pour fortifier son camp, et qui pouvait être facilement secouru par de nouveaux renforts. Le conseil de guerre fut assemblé, et il fut décidé qu’on devait se retirer[495].

Vers le milieu de Septembre, M. de Vaudreuil apprenant que les Anglais faisaient mine de s’avancer, monta aussitôt à Montréal, réunit un corps considérable de troupes, de Canadiens et d’Abénakis, et alla se placer à Chambly, où il demeura quelque temps sans entendre parler de l’ennemi. Il envoya en découverte des détachements de Canadiens et d’Abénakis, sous les ordres de Deschaillons et de Montigny. Ces deux officiers approchèrent les retranchements des ennemis. Montigny se rendit, avec deux Abénakis, assez près pour compter et mesurer leurs canots. Quelques Abénakis tuèrent deux Anglais, entre deux forts[496].

M. de Vaudreuil, voyant que les Anglais ne faisaient aucun mouvement vers le Canada, se retira. Bientôt après, Nicholson abandonna le lac Saint-Sacrement et se retira aussi. Voici quelle fut la cause de sa retraite.

Quatre cantons iroquois s’étaient déclarés en faveur des Anglais ; mais ils ne prétendaient pas aider leurs alliés à chasser les Français du Canada. Les Agniers avaient dit à un Abénakis qu’ils se trouvaient forcés de prendre part à cette guerre, mais qu’ils y demeureraient simples spectateurs. Un missionnaire, le P. Mareuil, avait compris, dans un conseil d’Onnontagués, que les Anglais ne retiraient pas un grand avantage de leur alliance avec les Iroquois.

En effet, ces sauvages, loin de favoriser Nicholson, prirent des moyens pour le décourager. Voici ce qu’ils firent. Comme ils passaient presque tout leur temps à la chasse, ils jetèrent tous les animaux qu’ils tuèrent dans une petite rivière, qui coulait près du camp anglais. Bientôt, cette eau devint très-infectée. Les anglais, sans défiance de ce côté, continuèrent à boire de cette eau, ce qui causa dans l’armée une affreuse maladie, qui fit mourir plus de 1,000 hommes[497]. Nicholson fut alors forcé d’abandonner son expédition et de se retirer à Albany, où il apprit que la flotte que l’Angleterre avait destinée pour attaquer Québec n’était pas venue à Boston qu’elle avait été employée en Europe.

L’année suivante, 1710, les Anglais résolurent de faire une nouvelle tentative contre Port-Royal.

Le gouverneur de l’Acadie, M. de Subrecase, s’était allié à des corsaires, pour empêcher les Anglais de faire la pêche sur les côtes de ce pays. Il retirait de grands profits de ce commerce ; ce qui lui donnait des moyens de récompenser les Abénakis pour les services qu’ils lui rendaient sans cesse. Les corsaires l’abandonnèrent, mais les Anglais demeurèrent dans l’inquiétude, craignant toujours le retour de ces pirates, qui avaient causé un dommage considérable à leur commerce. D’un autre côté, les ravages que les Abénakis et les Canadiens continuaient de faire dans la Nouvelle-Angleterre, ruinaient les colons. Ces considérations achevèrent de décider l’Angleterre à chasser les Français de Port-Royal.

Dans cette circonstance, il y eut quelque chose d’assez incompréhensible dans la conduite du gouverneur de l’Acadie, Informé depuis longtemps du danger qui le menaçait, il avait demandé du secours à la cour de France et à M. de Vaudreuil. On lui envoya ce qu’il demandait ; mais, lorsqu’il était le plus menacé, il renvoya ces troupes, sous prétexte qu’il ne pouvait s’entendre avec les officiers. Ces officiers, la garnison même et les habitants portèrent plaintes contre lui. Si les Anglais eussent connu ce qui se passait alors à Port-Royal, ils eussent pu épargner plus de la moitié des frais qu’il firent pour s’en emparer[498].

Dans le mois d’Août, trois vaisseaux anglais s’approchèrent de Port-Royal et le tinrent bloqué. Le 6 Octobre, cinquante autres vaisseaux ennemis entrèrent dans le Bassin, avec 3,400 hommes, sous les ordres de Nicholson. Le 6, l’ennemi débarqua des deux côtés de la rivière, sans être nullement troublé. Subercase ne pouvant compter, ni sur les soldats, ni sur les habitants, ne fit pas occuper les passages difficiles, où il aurait pu arrêter l’ennemi. Les Anglais, ne rencontrant point d’obstacles, marchèrent droit au fort. Lorsque le gouverneur les vit sous ses batteries, il fit diriger sur eux un si grand feu qu’il les arrêta et les força de reculer un peu. Le lendemain, le 7, les Anglais traversèrent un ruisseau, que le gouverneur avait négligé de faire occuper et où 260 hommes seulement auraient pu les repousser. Quelques habitants et sauvages attaquèrent les premiers qui y passèrent, mais ils furent bientôt forcés de s’enfuir dans le bois. Le 8, les Anglais, fatigués par le feu de l’artillerie du fort, furent obligés de retraiter un peu, après avoir perdu beaucoup d’hommes. Le 9 et le jour suivant, la canonnade se continua des deux côtés. Enfin, le 11, Subercase, voyant qu’il ne pouvait résister plus longtemps, demanda à capituler. Le 16, Port-Royal fut livré à Nicholson, et la garnison française sortit du fort[499].

Les Anglais donnèrent alors à Port-Royal le nom « d’Annapolis », en l’honneur de la reine Anne.

Bientôt, l’Angleterre prétendit que toute la province de l’Acadie lui appartenait, tandis que la capitulation ne parlait que de Port-Royal. Les habitants reclamèrent et refusèrent de se soumettre. Alors, les Anglais résolurent de les soumettre par la force, et envoyèrent, en différents endroits, des détachements de troupes pour punir les rebelles. En cette circonstance, les Abénakis rendirent de grands services aux Acadiens, en les sauvant de cruelles persécutions. Ces sauvages, commandés par leur nouveau Chef, le jeune Saint-Castin, poursuivaient avec persévérance ces détachements de troupes ; cantonnés, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, ils couraient sus aux Anglais, les attaquaient à l’improviste, les mettaient presque toujours en fuite et leur faisaient parfois subir des pertes considérables[500].

Dans cette difficulté, le colonel Livingston fut député en Canada pour s’entendre avec le Marquis de Vaudreuil ; mais celui-ci exigea que le traité de capitulation de Port-Royal fut suivi à la lettre, Livingston se plaignit aussi des prétendues cruautés des Abénakis, et dit que si ces barbares continuaient leurs massacres, les Anglais seraient obligés de mettre à mort un grand nombre d’habitants de l’Acadie, M. de Vaudreuil répondit que si les Anglais mettaient cette menace à exécution, il userait de représailles contre les prisonniers de leur nation. Loin de désapprouver la conduite du jeune Saint-Castin, il le nomma son lieutenant en Acadie[501], lui enjoignant de faire tout ce qui serait en son pouvoir pour maintenir les habitants de ce pays dans l’obéissance à la France.

Cette marque de confiance de la part du Marquis de Vaudreuil toucha vivement Saint-Castin, et l’attacha encore plus à la cause des Acadiens. Aidé de ses intrépides bandes abénakises, il continua avec encore plus d’activité qu’auparavant à poursuivre les troupes anglaises. Bientôt, M. de Vaudreuil lui envoya des détachements de Canadiens et d’Abénakis. Aidé de ces renforts, il pénétra jusqu’à Annapolis, en 1711. Il est fort probable qu’il serait parvenu à s’emparer de ce fort, sans la présence de la flotte de Hovenden Walker dans le Saint-Laurent, ce qui força M. de Vaudreuil d’interrompre ces exploits[502].

Aussitôt après la prise de Port-Royal, Nicholson passa en Angleterre pour engager le cabinet de Londres à faire la conquête du Canada et pour appuyer les démarches du colonel Schuyler, député en Angleterre l’année précédente dans le même but. Le cabinet de Londres se rendit aux sollicitations de Nicholson, et confia cette nouvelle expédition au Chevalier Hovenden Walker, avec une flotte de quatre-vingt-huit vaisseaux et transports. Walker arriva à Boston, le 26 Juin 1711. Les colonies lui fournirent deux régiments, ce qui porta son armée au nombre de 6,500 hommes. Il partit de Boston pour Québec, le 30 Juillet.

De son côté, Nicholson s’avança jusqu’à Albany, avec une armée de 400 soldats et 600 Iroquois. Il devait aller attaquer Montréal, par le lac Champlain, tandis que Walker assiégerait Québec. C’était le projet d’invasion que les Anglais formaient depuis 1690.

Le Canada paraissait perdu. Cependant M. de Vaudreuil ne perdit pas courage. Il réunit à Montréal 400 sauvages de l’Ouest et 400 Abénakis, Hurons, Iroquois et Algonquins. Il donna un grand festin à ces 800 alliés, qui, à la suite de ce repas, jurèrent fidélité aux Français, levèrent la hache, entonnèrent le chant de guerre et promirent de verser jusqu’à la dernière goutte de leur sang, pour repousser leur ennemi commun. Les Abénakis surtout, comme toujours, montrèrent un extrême désir de combattre[503].

Alors M. de Vaudreuil descendit à Québec avec les Abénakis, laissant les autres sauvages pour la défense de Montréal[504].

On était assuré de la fidélité des Abénakis. Dans cette circonstance, ils en donnèrent une nouvelle preuve. Ils envoyèrent leurs femmes et leurs enfants aux Trois-Rivières, pour faire voir, disaient-ils, qu’ils n’avaient pas d’autre intérêt que celui des Français. Ils se prêtèrent ensuite de bonne grâce à tout ce qu’on souhaitait d’eux. Des Abénakis de l’Acadie vinrent se joindre à eux, pour aller défendre Québec. Ces sauvages furent emmenés en Canada par le P. de la Chasse[505].

M. de Vaudreuil trouva tout en bon ordre à Québec. Il assigna à chacun son poste, dans la ville et dans les environs. Les Abénakis et les Hurons jurèrent de n’abandonner le leur qu’avec la vie. On était dans une espèce d’impatience de voir paraître la flotte anglaise[506].

La Providence sauva encore le Canada. Walker remontait le Saint-Laurent, sans s’occuper le moins du monde du siége qu’il allait faire. Il ne croyait pas qu’on osât se défendre à Québec Mais un affreux désastre vint bientôt le retirer de son indifférence et le convaincre qu’il avait compté trop vite sur la conquête du Canada. Un gros vent du Sud-Est, accompagné d’une épaisse brume, enveloppa sa flotte, qui se trouva bientôt dans le danger le plus imminent, au milieu d’îles et de récifs. Huit transports se brisèrent sur les Sept-Îles, et près de 3,000 hommes se noyèrent[507]. Effrayé de ce désastre, Walker rebroussa chemin et abandonna son projet.

Dès que la nouvelle de la retraite de la flotte anglaise fut apportée à Québec, M. de Vaudreuil renvoya M. de Ramsay à Montréal, avec 600 hommes, et s’y rendit lui-même bientôt après, avec ses fidèles Abénakis et un certain nombre de Canadiens. Il forma une petite armée de 3,000 hommes, — où figuraient les Abénakis, — qu’il plaça à Chambly, pour s’opposer à la marche de Nicholson. Mais ce commandant, ayant appris le désastre de la flotte de Walker, s’était retiré avec son armée, renonçant pour la seconde fois à son projet d’invasion[508].

Alors les craintes du Canada passèrent dans les colonies anglaises, et la terreur se répandit sur les frontières. Quelques bandes d’Abénakis, profitant ce cette circonstance, firent alors quelques descentes sur la Nouvelle-Angleterre.

Le seul avantage que les Anglais retirèrent, après de si grandes dépenses, fut de conserver l’Acadie.

La Cour de France désirait alors recouvrer cette province, après l’avoir négligée si longtemps. Les efforts réitérés des Anglais pour s’en emparer, et surtout leur succès, avaient enfin ouvert les yeux aux Français, qui comprenaient alors la grandeur de la perte qu’ils avaient faite. Voici ce qu’écrivait M. de Pontchartrain à M. de Beauharnais à ce sujet. « Je vous ai fait assez connaître combien il est important de reprendre ce poste (Port-Royal) avant que les ennemis y soient solidement établis. La conservation de toute l’Amérique Septentrionale et le commerce des pêches le demandent également ».

M. de Pontchartrain voulait engager le Marquis de Vaudreuil à se charger de cette entreprise avec ses seules troupes, les milices canadiennes et les Abénakis. Le gouverneur ne demandait, pour en assurer le succès, que deux vaisseaux et quelques renforts de troupes. Mais la France ne put lui envoyer ce faible secours. Cependant, malgré le manque de secours, les Abénakis et les habitants de l’Acadie tinrent Port-Royal bloqué jusqu’à la nouvelle de l’approche de la flotte anglaise.

Tandis qu’on délibérait en France et en Canada sur les moyens de recouvrer l’Acadie, quarante Abénakis seulement furent sur le point de faire exécuter ce projet. Soixante soldats anglais s’étaient éloignés de Port-Royal, pour aller brûler les maisons des Acadiens. Quarante Abénakis, en ayant eu connaissance, se partagèrent en deux bandes, et allèrent se mettre en embuscade sur leur passage. Les Anglais, ne se doutant de rien, tombèrent dans cette embuscade et furent tous tués. Il ne put s’échapper même un seul homme pour porter cette nouvelle au fort.

Les habitants, encouragés par ce succès, prirent les armes et se mirent en marche, avec un grand nombre d’Abénakis, pour aller investir le fort. Mais comme ils n’avaient pas de chefs, ils renoncèrent bientôt à leur projet, et se retirèrent[509].

En 1712, le bruit se répandit que l’Angleterre préparait encore une expédition contre le Canada ; mais cette fausse nouvelle ne servit qu’à donner aux Canadiens et aux Abénakis l’occasion de prouver encore une fois leur dévouement pour les Français.

Cependant, la guerre en Europe touchait à sa fin. Elle fut terminée par le traité d’Utrecht, signé le 11 Avril 17183. Par ce traité, la France renonça à ses droits sur le pays des Iroquois, et laissa à Angleterre la Baie d’Hudson, l’Île Terreneuve et l’Acadie. Alors la paix fut rétablie dans la Nouvelle-France.


CHAPITRE ONZIÈME.

la famille gill.

Il est facile de voir, d’après ce que nous avons dit jusqu’à présent, que les Abénakis rendirent d’importants services à la Nouvelle-France par leurs armes. Ils rendirent aussi à cette colonie un autre service non moins important, en augmentant sa population par les nombreux captifs anglais qu’ils y emmenèrent.

En effet, pendant une longue période, il s’écoula peu d’années sans que ces sauvages emmenassent en Canada des prisonniers, hommes, femmes et enfants, qu’ils enlevaient dans les colonies anglaises. Ces prisonniers étaient si bien traités qu’un grand nombre se firent catholiques et restèrent en Canada. Ils reçurent des lettres de naturalisation et devinrent Français. Nos archives renferment de ces lettres, qui contiennent des pages entières de noms[510].

Plusieurs jeunes captives anglaises, admises dans des familles canadiennes des plus distinguées, même chez les gouverneurs, reçurent une haute éducation chez les Dames Ursulines de Québec. Quelques unes de ces jeunes filles restèrent en Canada.

Les prisonniers, qui furent naturalisés, s’établirent au milieu des Français ; et aujourd’hui leurs descendants forment de nombreuses familles canadiennes, disséminées çà et là dans le pays. La famille Gill, aujourd’hui si considérable dans les paroisses de Saint-François-du-lac et de Saint-Thomas de Pierreville, en est un exemple bien remarquable.

Afin de faire mieux comprendre l’importance du service que les Abénakis rendirent à la colonie, sous le rapport qui nous occupe ici, nous allons donner une notice détaillée sur cette famille, De là, nous pourrons nous former une idée fort approximative du nombre de Canadiens, dont les ancêtres sont originaires des colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre et de la Nouvelle-York.

Un Anglais, du nom de Gill, émigra d’Angleterre vers 1670, paraît-il, pour venir s’établir dans les colonies anglaises de l’Amérique. Il se fixa à Boston. Bientôt, il prit du service dans l’armée. En 1672, il était caporal dans les troupes commandées par Thomas Prentice. Alors, il prit part à la guerre contre le roi Philippe, Grand Chef de guerre des Nibenets[511].

Trente ans plus tard, les Anglais ayant rétabli la petite ville de Deerfield, Massachusetts, qui avait été détruite par les Abénakis, songèrent à former de nouveaux établissements encore plus au Nord, près des limites actuelles du Vermont et du New Hampshire. Alors un des fils de l’ancien caporal Gill alla jeter les fondements de l’établissement, qui porte aujourd’hui le nom de Gilltown, situé dans le Nord du Massachusetts, près de la rivière Connecticut[512]. Le nouveau colon, ayant hérité de l’humeur guerrière de son père, prit du service dans l’armée. En 1711, il était dans les troupes de Nicholson, qui devait attaquer Montréal, tandis que Walker assiégerait Québec.

Dès que Nicholson se fut retiré d’Albany et tandis que les colonies anglaises étaient sous l’empire de la terreur, à la suite du désastre de la flotte de Walker, un petit parti d’Abénakis remonte le Richelieu, traverse le lac Champlain, franchit les montagnes du Vermont, se rend à la rivière Connecticut, descend par les torrents de cette rivière et va tomber à l’improviste sur Gilltown, en l’absence du colon Gill. Il pille ce village, enlève un des fils de Gill et la fille d’un ministre protestant, du nom de James.

Le jeune Gill était âgé de quatorze ans, et se nommait Samuel. Le nom de baptême de la jeune fille n’a jamais été connu ; elle était âgée de douze ans.

Les Abénakis emmenèrent ces deux jeunes captifs dans leur village de Saint-François. Ils les adoptèrent pour leurs enfants et les traitèrent tendrement. Ces jeunes Anglais se firent bientôt catholiques. Ils s’attachèrent tellement aux sauvages qu’ils adoptèrent leurs coutumes, leur langage, leur manière de vivre, et ne songèrent jamais à retourner vers leurs parents, quoiqu’il leur fût permis dans la suite de les visiter suivant leurs désirs. Ils passèrent le reste de leurs jours à Saint-François, au milieu des sauvages. Samuel Gill mourut vers 1758, et fut inhumé dans l’église des Abénakis. Mademoiselle James était morte vingt ans auparavant, vers 1738.

Quoique Samuel Gill parlât habituellement l’abénakis, il n’oublia jamais sa langue maternelle. Aussi, il fut toujours l’interprète anglais des Abénakis,

En 1715, les deux jeunes Anglais étant d’âge de se marier, les Abénakis se réunirent en grand conseil pour traiter de l’affaire du mariage de ces deux enfants adoptifs. Car, suivant l’usage alors établi parmi ces sauvages, les Chefs, réunis en Conseil, choisissaient eux-mêmes les épouses qui convenaient à leurs jeunes gens. Quelques Chefs furent d’opinion de marier le jeune Samuel à une sauvagesse, et la jeune James à un sauvage. Mais la majorité du conseil décida de marier ensemble les deux jeunes Anglais, afin de conserver la race blanche dans le village[513]. Le mariage fut célébré de suite par le P. Joseph Aubéry, alors missionnaire des Abénakis.

Maintenant nous allons faire connaître, avec autant d’exactitude que possible, les descendants de ces deux Anglo-Américains[514].

Généalogie de la famille Gill en Canada.

Samuel Gill, marié en 1715 à — — — James, de laquelle il eut.
I Jeanne-Magdeleine, née en
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1716.
I​I Joseph-Louis
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1719.
III Joseph
..............................................................................................................................................................
1721.
IV Josephte
..............................................................................................................................................................
1725.
V Marie-Appoline
..............................................................................................................................................................
1729.
VI François
..............................................................................................................................................................
1734.
VII Robert
..............................................................................................................................................................
1737.

I Jeanne-Magdeleine Gill.

I Jeanne-Magdeleine Gill, fille de Samuel Gill et de — — — James, morte en 1801, à l’âge de 85 ans, mariée en 1735 à — — — Hannis. Ses descendants sont parmi les Abénakis de Saint-François. Ils sont au nombre d’environ 140.

Hannis était Allemand. Il avait été fait prisonnier par les Abénakis dans la Nouvelle-Angleterre. Il passa le reste de ses jours parmi les sauvages de Saint-François, et mourut en 1790.

Parmi les descendants de Jeanne-Magdeleine Gill, on compte les Hannis, les Obômsawin[515], les de Gonzague et les Toksus, qui sont des familles nombreuses parmi les sauvages de Saint-François.


I​I JOSEPH-LOUIS GILL.
I​I Joseph-Louis Gill, fils de Samuel Gill et de — — — James, mort en 1798, à l’âge de 78 ans, marié en premières noces, vers 1740, à Marianne, Abénakise[516], de laquelle il eut :
1 2[517] Antoine, né en
..............................................................................................................................................................
1744.
2 2 Xavier
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1747.
1 2 Antoine Gill, fils de Joseph-Louis Gill et de Marianne, Abénakise, mort en voyage aux États-Unis, marié en 1769 à une Abénakise, de laquelle il eut :
1 3 Maurice, né en
..............................................................................................................................................................
1771.
2 3 Marguerite
..............................................................................................................................................................
1774.
3 3 Jean-Baptiste
..............................................................................................................................................................
1776.



Les descendants de ces trois Gill sont tous morts.

2 2 Xavier Gill, fils de Joseph-Louis Gill et de Marianne, Abénakise, mort aux États-Unis. Il n’a pas laissé d’enfants.

I​I. Joseph-Louis Gill, fils de Samuel Gill et de — — — James, marié en secondes noces, en 1762, à Suzanne Gamelin, de laquelle il eut :
1 2 Antoine, né en
..............................................................................................................................................................
1763.
2 2 Catherine
..............................................................................................................................................................
1765.
3 2 Suzanne
..............................................................................................................................................................
1768.
4 2 Augustin
..............................................................................................................................................................
1770.
5 2 Thomas
..............................................................................................................................................................
1772.
6 2 Simon
..............................................................................................................................................................
1774.
7 2 Joseph
..............................................................................................................................................................
1777.
8 2 Louis
..............................................................................................................................................................
1777.
1 2 Antoine Gill, fils de Joseph Louis Gill et de Suzanne Gamelin, mort en 1810, à l’âge de 47 ans, marié en 1782 à Catherine Thomas, Abénakise, de laquelle il eut :
1 3 Suzanne, née en
..............................................................................................................................................................
1783.
2 3 Pierre-Jean
..............................................................................................................................................................
1785.
3 3 Marie-Jeanne
..............................................................................................................................................................
1789.
4 3 Marie-Louise
..............................................................................................................................................................
1792.
5 3 François-de-Sales. 1796. Mort en 1826, à 30 ans
6 3 Christine, née en
..............................................................................................................................................................
1799.
7 3 Jacques-Joseph
..............................................................................................................................................................
1803.
8 3 Marie-Anne
..............................................................................................................................................................
1806.
1 3 Suzanne Gill, fille d’Antoine Gill et de Catherine Thomas, noyée au Saut Saint-Louis en 1855, à l’âge de 72 ans, mariée en 1804 à Romaine Gill.
2 3 Pierre-Jean Gill, fils d’Antoine Gill et de Catherine Thomas, mort aux États-Unis en 1835, à l’âge de 50 ans, marié en 1821 à Marie-Magdeleine Portneuf, de laquelle il eut :
1 4 Louis, né en
..............................................................................................................................................................
1824.
2 4 Marguerite. 1827. Morte en 1853, à l’âge de 26 ans.
3 4 Marie, née en
..............................................................................................................................................................
1829.
4 4 Catherine. 1831. Morte en 1850, à l’âge de 19 ans.
1 4 Louis Gill, fils de Pierre-Jean Gill et de Magdeleine Portneuf, mort en 1859, à l’âge de 35 ans, marié en 1853 à Mathilde Dauphiné, de laquelle il eut :
1 5 Catherine, née en
..............................................................................................................................................................
1854.
2 5 Louis
..............................................................................................................................................................
1856.
3 5 Pierre-Jean né en 1858, mort en
..............................................................................................................................................................
1860.
3 4 Marie Gill, fille de Pierre-Jean Gill et de Marie-Magdeleine Portneuf, mariée en 1856 à Ambroise Glaude, Abénakis. Elle n’a pas d’enfants.

3 3 Marie-Jeanne Gill, fille d’Antoine Gill et de Catherine Thomas, Abénakise, mariée en 1810 à un

Iroquois. Elle est actuellement au Saut Saint-Louis, et n’a pas d’enfants.

4 3 Marie-Louise Gill, fille d’Antoine Gill et de Catherine Thomas, mariée en 1810 à Robert Obômsawin. Elle est actuellement à Saint-François. Elle a 14 enfants et petits enfants.
6 3 Christine Gill, fille d’Antoine Gill et de Catherine Thomas, mariée en premières noces, en 1816, à Louis Portneuf, et en secondes noces, en 1848, à Pierre Wawanagit. Elle n’a pas d’enfants.
7 3 Jacques-Joseph Gill, fils d’Antoine Gill et de Catherine Thomas, mort en 1835, à l’âge de 32 ans, marié en 1530 à Marie Toksus, de laquelle il eut :
1 4 Catherine, née en
..............................................................................................................................................................
1831.
2 4 Louis
..............................................................................................................................................................
1833. Noyé en 1840.
1 4 Catherine Gill, fille de Jacques-Joseph Gill et de Marie Toksus, mariée en 1845 à Abraham Chapedeleine, et morte la même année, à l’âge de 14 ans.
8 3 Marie-Anne Gill, fille d’Antoine Gill et de Catherine Thomas, mariée en 1822 à Pierre Nicolas Toksus. Elle a 4 enfants.
2 2 Catherine Gill, fille de Joseph-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, noyée en 1810, à l’àge de 45 ans[518], mariée en 1783 à Jean Plamondon. Ses descendants sont au nombre d’environ 50.
3 2 Suzanne Gill, fille de Joseph-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, morte en 1832, à l’âge de 64 ans, mariée en 1785 à Basile Cartier. Ses descendants sont au nombre d’environ 64.
4 2 Augustin Gill[519], fils de Joseph-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, mort en 1851, à l’âge de 81 ans, marié en premières noces, en 1790, à une Abénakise, de laquelle il eut :
1 3 Suzanne, née en 1791, morte en 1864, à l’âge de 71 ans.
4 2 Augustin Gill, fils de Joseph-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, marié en secondes noces, en 1798, à Marie Plamondon, de laquelle il eut :
1 3 Félécite, née en 1799, morte en 1801.
2 3 Augustin
..............................................................................................................................................................
1802.
3 3 Louis
..............................................................................................................................................................
1805.
4 3 Félécite
..............................................................................................................................................................
1807.
5 6 Elie
..............................................................................................................................................................
1809.
6 3 David
..............................................................................................................................................................
1811.
7 3 Félix
..............................................................................................................................................................
1814.
2 3 Augustin Gill, fils d’Augustin Gill et de Marie Plomondon, marié en premières noces, en 1825, à Angèle Caya, de laquelle il a eu :
1 4 Angèle, née en
..............................................................................................................................................................
1826.
2 4 Moïse
..............................................................................................................................................................
1827, mort en 1834.
3 4 Eloise
..............................................................................................................................................................
1829.
4 4 Domitilde
..............................................................................................................................................................
1831.
5 4 Daniel
..............................................................................................................................................................
1833.
6 4 Alfred
..............................................................................................................................................................
1835.
7 4 Benjamin
..............................................................................................................................................................
1837.
8 4 Zacharie
..............................................................................................................................................................
1840.
1 4 Angèle Gill, fille d’Augustin Gill et d’Angèle Caya, mariée, en 1847, à François Lauzières. Elle a 4 enfants.
3 4 Eloïse Gill, fille d’Augustin Gill et d’Angèle Caya, mariée, en 1856, à François Fréchette. Elle a 4 enfants.
5 4 Daniel Gill, fils d’Augustin Gill et d’Angèle Caya, marié, en 1856, à — — — Lemire, de laquelle il a eu 3 enfants. Il est actuellement aux États-Unis.
7 4 Benjamin Gill, fils d’Augustin Gill et d’Angèle Caya, marié, en 1856, à — — — Benoit, de laquelle il a eu 4 enfants, Il est actuellement aux États-Unis.
2 3 Augustin Gill, fils d’Augustin Gill et de Marie Plomondon, marié en secondes noces, en 1858, à Catherine Chevalier, de laquelle il a eu :
1 4 Guillaume Henri, né
..............................................................................................................................................................
1860.
3 3 Louis Gill[520], fils d’Augustin Gill et de Marie Plomondon, marié, en 1832, à Adèle Manseau, de laquelle il a eu :
1 4 Edwidge, née en
..............................................................................................................................................................
1834.
2 4 Zéphirin Louis
..............................................................................................................................................................
1835.
3 4 Emilie
..............................................................................................................................................................
1837.
4 4 Louis-Frédéric . . . 1839, mort en 1840.
5 4 Alphonse
..............................................................................................................................................................
1841.
6 4 Nap. Ls. Pentaléon
..............................................................................................................................................................
1843.
7 4 Guillaume Ls. Conrad. 1845. M. D. de l’Un. Laval.
8 4 Ulric Ls. Henri. 1847. Étudiant au Col. de Nicolet.
9 4 Marcel Ls. Télsp. 1850. Étudiant au Col. de Nicolet.
10 4 Sophie
..............................................................................................................................................................
1853.
11 4 Marie-Anne-Mathilde
..............................................................................................................................................................
1855.
12 4 Marie
..............................................................................................................................................................
1858.
13 4 Célina
..............................................................................................................................................................
1858.


Mortes la même année.

1 4 Edwidge Gill, fille de Louis Gill et d’Adèle Manseau, mariée, en 1857, à Honoré Gill. Elle a 6 enfants.

3 4 Emilie Gill, fille de Louis Gill et d’Adèle Manseau, mariée en premières noces, en 1856, à David Laplante, et en secondes noces, en 1862, à Théophile Caron. Elle a 4 enfants.

4 4 Alphonse Gill, fils de Louis Gill et d’Adèle Manseau, marié, en 1864, à Elvine Comtois, de laquelle il a eu :
1 5 Louis-Alphonse, né en
..............................................................................................................................................................
1865.
4 3 Félécite Gill, fille d’Augustin Gill et de Marie Plomondon, mariée en premières noces, en 1822, à Stanislas Vassal, et en secondes noces, en 1859, à Charles Barbeau. Elle a deux fils.
5 3 Elie Gill, fils d’Augustin Gill et de Marie Plomondon, marié, en 1837, à Adélaïde Deschenaux, de laquelle il a eu :
1 4 Edouard, né en
..............................................................................................................................................................
1838.
2 4 Adélaïde
..............................................................................................................................................................
1839.
3 4 Henriette
..............................................................................................................................................................
1840
4 4 Dominique
..............................................................................................................................................................
1842.
5 4 Ernest
..............................................................................................................................................................
1844.
6 4 Jessé
..............................................................................................................................................................
1846.
7 4 Honoré
..............................................................................................................................................................
1847.
8 4 Daniel
..............................................................................................................................................................
1851.
1 4 Edouard Gill, fils d’Élie Gill et d’Adélaïde Deschenaux, marié, en 1861, à Catherine Trimmens, de laquelle il a eu :
1 5 Edouard-Élie, né en
..............................................................................................................................................................
1863.
2 5 Joseph-Hercule
..............................................................................................................................................................
1864.
6 4 Jessé Gil, fille d’Elie Gill et d’Adélaïde Deschenaux, mariée, en 1863, à Télesphore Ally. Elle a un enfant.
6 3 David Gill, fils d’Augustin Gill et de Marie Plomondon, marié, en 1845, à Caroline Plomondon, de laquelle il a eu :
1 4 Marie, née en
..............................................................................................................................................................
1846.
7 3 Félix Gill, fils d’Augustin Gill et de Marie Plomondon, marié, en 1848, à Marie Comtois, de laquelle il a eu :
1 4 Eugénie, née en
..............................................................................................................................................................
1852.
2 4 Anne
..............................................................................................................................................................
1857.
3 4 Urbain
..............................................................................................................................................................
1859.
4 4 Hortense
..............................................................................................................................................................
1859.
5 4 Joséphino
..............................................................................................................................................................
1860.
6 4 Auguste
..............................................................................................................................................................
1862.
7 4 Guillaume
..............................................................................................................................................................
1865.
5 2 Thomas Gill, fils de Joseph-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, mort en 1852, à l’âge de 80 ans, marié, en 1805, à Catherine Bazin, de laquelle il eut :
1 3 Catherine, née en
..............................................................................................................................................................
1805.
2 3 Ignace
..............................................................................................................................................................
1808.
3 3 Lucie
1810.
4 3 Léa
1812.
5 3 Monique
1815.
6 3 Édouard
1818.
7 3 Siméon
1820.
8 3 Alexandre
1822.
9 3 Narcisse… 1825, mort en 1851, à l’âge de 26 ans.
1 3 Catherine Gill, fille de Thomas Gill et de Catherine Bazin, mariée, en 1626, à Edouard Courchêne. Elle a 27 enfants et petits enfants.
2 3 Ignace Gill, fils de Thomas Gill et de Catherine Bazin, mort en 1865[521], marié en premières noces, en 1831, à Elizabeth McDougald, de laquelle il eut :
1 4 Marie-Catherine, née en
1833.
2 4 Élizabeth-Jessé
1834.
3 4 Thomas-Edmond
1835.
4 4 Eugène-Dougald… en 1838, mort en 1840.
5 4 Eugène-Allen
1840.
6 4 Anselme-Thomas
1842.
6 4 Charles-Ignace, né en 1844. Étudiant à l’Un. Laval.
1 4 Marie-Catherine Gill, fille d’Ignace Gill et d’Élizabeth McDougald, mariée, en 1851, à Godfroi Lemaître. Elle a 7 enfants.
2 4 Elizabeth-Jessé Gill, fille d’Ignace Gill et d’Elizabeth McDougald, mariée, en 1855, à Joseph Lemaître, médecin. Elle a 7 enfants.
3 4 Thomas-Edmond Gill, fils d’Ignace Gill et d’Elizabeth McDougald, mort en 1862, marié, en 1860, à Elvine Plomondon, de laquelle il eut :
1 5 Jacques-Edmond, né en 1861, mort en 1862.
6 4 Anselme-Thomas Gill, fils d’Ignace Gill et d’Elizabeth McDougald, marié, en 1864, à Marie-Anne Chillas, de laquelle il a eu :
1 5 Thomas-Guillaume-Henri, né en 1865.
2 3 Ignace Gill, fils de Thomas Gill et de Catherine Bazin, marié en secondes races, en 1850, à Jeanne Robins, de laquelle il eut :
1 4 Marie-Catherine-Jeanne, née en 1861.
3 3 Lucie Gill, fille de Thomas Gill et de Catherine Bazin, mariée, en 1829, à Bénony Niquet. Elle a 15 enfants et petits enfants.
5 3 Monique Gill, fille de Thomas Gill et de Catherine Bazin, mariée, en 1835, à David Comtois. Elle a 13 enfants et petits enfants.
6 3 Édouard Gill, fils de Thomas Gill et de Catherine Bazin, marié, en 1846, à Hermine McDougald, de laquelle il a eu :
1 4 Conrad, né en
..............................................................................................................................................................
1848.
2 4 Emilda
..............................................................................................................................................................
1851.
3 4 Henri
..............................................................................................................................................................
1853.
4 4 Thomas
..............................................................................................................................................................
1855.
5 4 Joséphine
..............................................................................................................................................................
1856.
6 4 Marie
..............................................................................................................................................................
1861.
8 3 Alexandre, fils de Thomas Gillet de Catherine Bazin, marié, en 1543, à Émilie Manseau de laquelle il a eu :
1 4 Arsène, né en
..............................................................................................................................................................
1844.
2 4 Hermine
..............................................................................................................................................................
1846.
3 4 Émile
..............................................................................................................................................................
1848.
4 4 Hemma
..............................................................................................................................................................
1850.
5 4 Adélina
..............................................................................................................................................................
1852.
6 4 Urbain
..............................................................................................................................................................
1858.
7 4 Rébecca
..............................................................................................................................................................
1861.
8 4 Catherine
..............................................................................................................................................................
1563.
9 4 Anette
..............................................................................................................................................................
1865.
6 2 Simon Gill, fils de Joseph-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, mort en 1861, à l’âge de 84 ans, marié, en 1804, à Josephte Richard. Il n’a pas de descendants.
7 2 Joseph Gill, fils de Joseph-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, mort en 1861, à l’âge de 81 ans, marié, en 1802, à Marie Lemaitre Lotinville, de laquelle il eut :
1 3 Anastasie née en,
..............................................................................................................................................................
1803.
2 3 Thérèse
..............................................................................................................................................................
1805.
3 3 Marie-Louise
..............................................................................................................................................................
1807.
4 3 Joseph
..............................................................................................................................................................
1809.
5 3 Théophile
..............................................................................................................................................................
1818.
6 3 Mathilde
..............................................................................................................................................................
1821.
7 3 Léandre[522]
..............................................................................................................................................................
1823.
1 3 Anastasie Gill, fille de Joseph Gill et de Marie Lemaitre Lotinville, mariée, en 1827, à Louis Turcotte. Elle a 20 enfants et petits enfants :
2 3 Therèse Gill fille de Joseph Gill et de Marie Lemaître Lotinville, mariée, en 1829, à Isaac Lachapelle. Elle a 12 enfants et petits enfants.
3 3 Marie-Louise Gill, fille de Joseph Gill et de Marie Lemaître Lotinville, morte en 1834, à l’âge de 27 ans, mariée, en 1853, à Jean-Baptiste Benoit. Elle a laissé un fils.
4 3 Joseph Gill, fils de Joseph Gill et de Marie Lemaître Lotinville, marié, en 1848, à Julie Descoteaux, de laquelle il a eu :
1 4 Siméon, né en
..............................................................................................................................................................
1849.
2 4 Joseph
..............................................................................................................................................................
1851.
3 4 Célina
..............................................................................................................................................................
1852.
4 4 Marie-Alma
..............................................................................................................................................................
1854.
5 4 Edmond
..............................................................................................................................................................
1858.
6 4 Alexandre
..............................................................................................................................................................
1861.
7 4 Anastasie
..............................................................................................................................................................
1863.
5 3 Théophile Gill, fils de Joseph Gill et de Marie Lemaître Lotinville, marié, en 1845, à Adélaïde Chevalier, de laquelle il a eu :
1 4 Adélaïde, née en
..............................................................................................................................................................
1849 :
2 4 Charles
..............................................................................................................................................................
1850.
3 4 Marie-Louise
..............................................................................................................................................................
1857.
4 4 Louis
..............................................................................................................................................................
1860.
5 4 Jean
..............................................................................................................................................................
1860.
6 3 Mathilde Gill, fille de Joseph Gill et de Marie Lemaître Lotinville, mariée, en 1846, à Adolphe Rousseau. Elle a 7 enfants.
8 2 Louis Gill, fils de Joseph-Louis Gill et de Suzane Gamelin, mort en 1855, à l’âge de 78 ans, marié, en 1808, à Suzanne Morvant, de laquelle il eut :
1 3 Marguerite, née en
..............................................................................................................................................................
1812.
1 3 Marguerite Gill, fille de Louis Gill et de Sużanne Morvant, mariée, en 1832, à Joseph Plomondon. Elle a 11 enfants et petits enfants.

III. Joseph Gill.
III. Joseph Gill, fils de Samuel Gill et de — — — James, mort en 1789, à l’âge de 68 ans, marié en premières noces, vers 1750, à une Abénakise, de laquelle il eut :
1 2 Pabonmoulet[523], né vers 1752, mort sans enfants.
III. Joseph Gill, fils de Samuel Gill et de — — — James, marié en secondes noces, en 1782 à une Abénakise, de laquelle il eut :
1 2 Romaine, né en
..............................................................................................................................................................
1783.
2 2 Angélique
..............................................................................................................................................................
1785.
1 2 Romaine Gill, fils de Joseph Gill et d’une Abénakise, mort en 1819, à l’âge de 36 ans, marié, en 1817, à Suzanne Gill, de laquelle il eut :
1 3 Therèse, née en
..............................................................................................................................................................
1818.

1 3 Therèse Gill, fille de Romaine Gill et de Suzanne Gill, mariée, en 1832, à un Abénakis. Elle est aux États-Unis.

2 2 Angélique Gill, fille de Joseph Gill et d’une Abénakise, mariée, en 1801, à Amable Pakikan, Algonquin. Elle a 31 enfants et petits enfants.

IV. Josephte Gill.
IV. Josephte Gill, fille de Samuel Gill et de — — — James, morte en 1795, à l’âge de 70 ans, mariée, vers 1755, à un Abénakis. Ses descendants, parmi les Abénakis, sont au nombre d’environ 50. Elle fut la mère de Marie-Eulalie, si connue parmi les sauvages, et de qui descendent les Wajo[524].

V. Marie-Appoline Gill.
V. Marie-Appoline Gill, fille de Samuel Gill et de — — — James, morte en 1800, à l’âge de 71 ans, mariée, vers 1755, à un Abénakis. Ses descendants, parmi les sauvages, sont au nombre d’environ 44. Les Annance descendent d'elle.

VI. François Gill.
VI. François Gill, fils de Samuel Gill et de James, mort en 1802, à l’âge de 68 ans, marié en 1769, à Marianne Labonté, de laquelle il eut :
1 2 François-Louis, né en
..............................................................................................................................................................
1770.
2 2 Marguerite
..............................................................................................................................................................
1772.
3 2 Michel
..............................................................................................................................................................
1773.
4 2 Antoine
..............................................................................................................................................................
1780.
5 2 Anastasie
..............................................................................................................................................................
1782.
6 2 Benoit
..............................................................................................................................................................
1784, mort sans enfants.
7 2 Jean . . . 1785, mort en 1802, à l’âge de 17 ans.
8 2 Marie
..............................................................................................................................................................
1787.
9 2 Dorothée
..............................................................................................................................................................
1789.
1 2 François-Louis Gill, fils de François Gill et de Marianne Labonté, mort en 1829, à l’âge de 59 ans, marié, en 1800, à Suzanne Gamelin, de laquelle il eut :
1 3 François, né en
..............................................................................................................................................................
1802.
2 3 Félix
..............................................................................................................................................................
1805.
3 3 Olivier
..............................................................................................................................................................
1807.
4 3 Jean
..............................................................................................................................................................
1809.
5 3 Exupère
..............................................................................................................................................................
1811.
6 3 Suzanne
..............................................................................................................................................................
1813.
7 3 Joseph
..............................................................................................................................................................
1815, mort aux États-Unis.
8 3 Théotiste
..............................................................................................................................................................
1817.
9 3 Marceline
..............................................................................................................................................................
1819.
10 3 Esdras
..............................................................................................................................................................
1821.
1 3 François Gill, fils de François-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, marié, en 1829, à Marguerite Boisvert, de laquelle il a eu :
1 4 François, né en
..............................................................................................................................................................
1832.
2 4 Honoré
..............................................................................................................................................................
1834.
3 4 Marie
..............................................................................................................................................................
1837.
4 4 Julie
..............................................................................................................................................................
1840.
5 4 Jessé
..............................................................................................................................................................
1847.
6 4 Adèle
..............................................................................................................................................................
1850.
7 4 Elvine
..............................................................................................................................................................
1855.
1 4 François Gill, fils de François Gill et de Marguerit Boisvert, marié, en 1856, à Caroline Lamirande, de laquelle il a eu :
1 5 Félix, né en
..............................................................................................................................................................
1857.
2 5 Henri
..............................................................................................................................................................
1862.
3 5 Marie-Déléa
..............................................................................................................................................................
1865.
2 4 Honoré Gill, fils de François Gill et de Marguerite Boisvert, marié, en 1857, à Edwidge Gill, de laquelle il a eu :
1 5 Gibbon, né en
..............................................................................................................................................................
1857.
2 5 Guillaume
..............................................................................................................................................................
1859.
3 5 Marie-Adélaide
..............................................................................................................................................................
1860.
4 5 Emilie
..............................................................................................................................................................
1862.
5 5 Marie-Aurize
..............................................................................................................................................................
1863.
6 5 Victor-Alphonse
..............................................................................................................................................................
1865.
3 4 Marie Gill, fille de François Gill et de Marguerite Boisvert, mariée, en 1858, à Isaïe Boisvert. Elle a 4 enfants.
4 4 Julie Gill, fille de François Gill et de Marguerite Boisvert, mariée, en 1863, à Joseph Yargeau. Elle a un enfant.
2 3 Félix Gill, fils de François-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, marié en premières noces, en 1836, à Marthe Folster, et en secondes noces, en 1847, à Julie Vigneau. Il n’a pas d’enfants.
4 3 Jean Gill, fils de François-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, marié, en 1836, à Sophie Houle, de laquelle il a eu :
1 4 Émilie, née en
..............................................................................................................................................................
1837.
2 4 Jean . . . 1839, mort en 1864, à l’âge de 25 ans.
3 4 Marie
..............................................................................................................................................................
1841.
4 4 François
..............................................................................................................................................................
1843.
5 4 Caleb
..............................................................................................................................................................
1845.
1 4 Émilie Gill, fille de Jean Gill et de Sophie Houle, mariée, en 1855, à Samuel Faucher. Elle a 5 enfants.

5 3 Exupère Gill, fille de François-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, mariée, en 1834, à David Valois. Elle a 6 enfants.

6 3 Suzanne Gill, fille de François-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, morte en 1857, mariée, en 1832, à Michel Caya. Elle n’a pas laissé d’enfants.
8 3 Théotiste Gill, fille de François-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, morte en 1853, mariée, en 1838, à — — — Perrault. Elle n’a pas laissé d’enfants.
10 3 Esdras Gill, fils de François-Louis Gill et de Suzanne Gamelin, marié, en 1858, à Félécite Gagnère, de laquelle il a eu :
1 4 Exilia, née en
..............................................................................................................................................................
1862.
2 4 Marie
..............................................................................................................................................................
1864.
2 2 Marguerite Gill, fille de François Gill et de Marianne Labonté, morte en 1825, à l’âge de 53 ans, mariée, en 1792, à Joseph Deschenaux. Ses descendants sont au nombre de 35.
3 2 Michel Gill, fils de François Gill et de Mariahne Labonté, mort en 1810, à l’âge de 37 ans, marié, en 1790, à Marianne Lemaître Lotinville, de laquelle il eut :
1 3 Michel, né en
..............................................................................................................................................................
1791.
2 3 Marie
..............................................................................................................................................................
1793.
3 3Mariannes
..............................................................................................................................................................
1795.
4 3 Ursule
..............................................................................................................................................................
1797.
5 3 Sophie . . . 1799, morte en 1861, à l’âge de 62 ans.
6 3 Adélaide
..............................................................................................................................................................
1801.
7 3 Jean
..............................................................................................................................................................
1806.
8 3 Julie
..............................................................................................................................................................
1808.
1 3 Michel Gill, fils de Michel Gill et de Marianne Lemaître, Lotinville, mort en 1863, à l’âge de 72 ans, marié, en 1821, à Marie Panadis, de laquelle il eut :
1 4 Adélaïde, née en
..............................................................................................................................................................
1822.
2 4 Michel
..............................................................................................................................................................
1826.
3 4 François
..............................................................................................................................................................
1830.
1 4 Adélaïde Gill, fille de Michel Gill et de Marie Panadis, mariée, en 1840, à Antoine Skilling. Elle a 10 enfants.
2 4 Michel Gill, fils de Michel Gill et de Marie Panadis, marié, en 1850, à Eulalie Desrousseaux, de laquelle il a eu :
1 5 Michel, né en
..............................................................................................................................................................
1851.
2 5 Aurore
..............................................................................................................................................................
1860.
3 5 Napoléon
..............................................................................................................................................................
1862.
4 5 Jean
..............................................................................................................................................................
1864.

3 4 François Gill, fils de Michel Gill et de Marie Panadis, marié, en 1852, à Clarisse Lafond, de laquelle il a eu :

1 5 Louis, né en
..............................................................................................................................................................
1853.
2 5 Cadélia
..............................................................................................................................................................
1857.
3 5 Guillaume
..............................................................................................................................................................
1860.
4 5 Edwine
..............................................................................................................................................................
1861.
5 5 Joseph
..............................................................................................................................................................
1862.
6 5 Jacques
..............................................................................................................................................................
1865.
2 2 Marie Gill, fille de Michel Gill et de Marianne Lemaître Lotinville, morte en 1828, à l’âge de 35 ans, mariée, en 1811, à Jacques-Joseph. Ses descendants sont au nombre de 6.
3 3 Marianne Gill, fille de Michel Gill et de Marianne Lemaître Lotinville, mariée, en 1811, à Joseph Despins. Elle a 12 enfants et petits enfants.
4 3 Ursule Gill, fille de Michel Gill et de Marianne Lemaître Lotinville, morte en 1850, à l’âge de 53 ans, mariée, en 1826, à Joseph Descoteaux. Elle a 3 descendants.
6 3 Adélaïde Gill, fille de Michel Gill et de Marianne Lemaître Lottinville, morte en 1868, à l’âge de 62 ans, mariée, en 1825, à Jean-Baptiste Descoteaux. Ses descendants sont au nombre de 18.

7 3 Jean Gill, fils de Michel Gill et de Marianne Lemaître Lotinville, mort en 1845, à l’âge de 50 ans, marié, en 1834, à Léocadie Manseau, de laquelle il eût :

1 4 Jean, né en
..............................................................................................................................................................
1835.
2 4 Léonard
..............................................................................................................................................................
1836.
3 4 Marie
..............................................................................................................................................................
1838.
4 4 Edouard
..............................................................................................................................................................
1840.
5 4 Edmond
..............................................................................................................................................................
1841.
6 4 Napoléon
..............................................................................................................................................................
1843.
7 4 Jeanne
..............................................................................................................................................................
1845.
8 3 Julie Gill, fille de Michel Gill et de Marianne Lemaître Lotinville, morte en 1837, à l’âge de 19 ans, mariée, en 1825, à Michel Caya. Elle n’a pas laissé d’enfants.
4 2 Antoine Gill, fils de François Gill et de Marianne Labonté, mort en 1838, à l’âge de 58 ans, marié, en 1802, à Elizabeth Gamelin, de laquelle il eut :
1 3 Antoine, né en
..............................................................................................................................................................
1803.
2 3 Elizabeth
..............................................................................................................................................................
1805.
3 3 Stanislas
..............................................................................................................................................................
1806.
4 3 Angélique
..............................................................................................................................................................
1808.
5 3 Simon
..............................................................................................................................................................
1810.
6 3 Prospère
..............................................................................................................................................................
1812.
7 3 Isaac
..............................................................................................................................................................
1814.
8 3 Angèle
..............................................................................................................................................................
1816.
9 3 Godfroi
..............................................................................................................................................................
1819.
10 3 Denis
..............................................................................................................................................................
1821.
11 3 Eulalie
..............................................................................................................................................................
1823.
12 3 Maurice . . . 1825, mort en 1844, âgé de 21 ans.
1 3 Antoine Gill, fils d’Antoine Gill et d’Elizabeth Gamelin, mort en 1862, à l’âge de 59 ans, marié, en 1836, à Marie Chassé. Il n’a pas laissé d’enfants.
2 8 Elizabeth Gill, fille d’Antoine Gill et d’Elizabeth Gamelin, morte en 1852, à l’âge de 47 ans, marié, en 1832, à Augustin Côté. Ses descendants sont au nombre de 13.
3 3 Stanislas Gill, fils d’Antoine Gill et d’Elizabeth Gamelin, marié en premières noces, en 1830, à Émilie Plamondon, de laquelle il a eu :
1 4 Louis, né en
..............................................................................................................................................................
1832.
2 4 Richard
..............................................................................................................................................................
1835.
3 4 Adéline
..............................................................................................................................................................
1838.
4 4 Alphonsine
..............................................................................................................................................................
1840.
5 4 Ferdinand
..............................................................................................................................................................
1842.
1 4 Louis Gill, fils de Stanislas Gill et d’Émilie Plamondon, marié, en 1854, à Émilie Tessier, de laquelle il a eu :
1 5 Louis, né en
..............................................................................................................................................................
1856.
2 5 Célina
..............................................................................................................................................................
1858.
3 5 Joseph-Alcide
..............................................................................................................................................................
1860.
4 5 Louis-Henri
..............................................................................................................................................................
1862.
5 5 Joseph-Alexandre
..............................................................................................................................................................
1864.
2 4 Richard Gill, fils de Stanislas Gill et d’Emilie

Plamondon, marié, en 1856, à Louise Duguay, de laquelle il a eu :

1 5 Georgina, né en
..............................................................................................................................................................
1857.
2 5 Herménégilde
..............................................................................................................................................................
1859.
3 5 Émilie
..............................................................................................................................................................
1861.
4 5 Josephine
..............................................................................................................................................................
1862.
5 5 Delvina
..............................................................................................................................................................
1864.
3 4 Adéline Gill, fille de Stanislas Gillet d’Emilie Plamondon, mariée, en 1854, à Antoine Tessier. Elle a 3 enfants.
4 4 Alphonsine Gill, fille de Stanislas Gill et d’Émilie Plamondon, mariée, en 1860, à Michel Boisvert. Elle a 2 enfants.
3 3 Stanislas Gill, fils d’Antoine Gill et d’Elizabeth Gamelin, marié en secondes noces, en 1853, à Julie Dupuis, de laquelle il a eu :
1 4 Greorgina, née en
..............................................................................................................................................................
1855.
2 4 Josephine
..............................................................................................................................................................
1857.
3 4 Achille
..............................................................................................................................................................
1860.
4 4 Noël
..............................................................................................................................................................
1863.

4 3 Angélique, fille d’Antoine Gill et d’Elizabeth Gamelin, mariée, en 1855, à Louis Berthiaume. Elle n’a pas d’enfants.

5 3 Simon Gill, fils d’Antoine Gill et d’Elizabeth Gamelin, marié aux États Unis. Il a 10 enfants.
6 3 Prospère Gill, fils d’Antoine Gill et d’Elizabeth Gamelin, marié, en 1839, à Léocadie Lajoie. Il n’a pas d’enfants.
7 3 Isaac Gill, fils d’Antoine Gill et d’Elizabeth Gamelin, mort en 1860, à l’âge de 46 ans, marié, en 1848, à Julie Robida, de laquelle il eut.
1 4 Félix, né en
..............................................................................................................................................................
1849.
2 4 Denis
..............................................................................................................................................................
1851.
3 4 Eloïse
..............................................................................................................................................................
1853.
4 4 Elmond
..............................................................................................................................................................
1855.
5 4 Achille
..............................................................................................................................................................
1859.
8 3 Angèle Gill, fille d’Antoine Gill et d’Elizabeth Gamelin, mariée, en 1843, à Pierre Laporte. Elle a un fils et deux petits enfants.
9 3 Godfroi Gill, fils d’Antoine Gill et d’Elizabeth Gamelin. Il. est marié aux États-Unis et a plusieurs enfants.
10 3 Denis Gill, fils d’Antoine Gill et d’Elizabeth Gamelin, marié, en 1856 à Émilie Grondin, de laquelle il a eu :
1 4 Emilie-Sara, née en
..............................................................................................................................................................
1858.
2 4 Emilie-Elmire
..............................................................................................................................................................
1860.
3 4 Moyse-Arthur
..............................................................................................................................................................
1862.
4 4 Marie-Sara
..............................................................................................................................................................
1864.
11 3 Eulalie Gill, fille d’Antoine Gill et d’Elizabeth Gamelin, mariée, en 1842, à Noël Lefebvre. Elle a 6 enfants.
5 2 Anastasie Gill, fille de François Gill et de Marianne Labonté, morte en 1802, à l’âge de 20 ans, mariée, en 1797, à Ignace Plomondon. Ses descendants sont au nombre de 15.
8 2 Marie Gill, fille de François Gill et de Marianne Labonté, morte, en 1852, à l’âge de 65 ans, mariée, en 1802, à Clariche Clair. Elle a environ 20 descendants.
9 2 Dorothée Gill, fille de François Gill et de Marianne Labonté, mariée, en 1807, à Antoine Robert. Elle a environ 12 enfants et petits enfants.

VII Robert Gill.
VII Robert Gill, fils de Samuel Gill et de — — — James, mort, en 1807, à l’âge de 70 ans, marié, en 1777, à Marie Louise Chênevert, de laquelle il eut :
1 2 Marie Appoline, née en
..............................................................................................................................................................
1778.
2 2 Guillaume
..............................................................................................................................................................
1781.
3 2 Paul-Joseph . . . 1753. Il est aux États-Unis.
4 2 Marie-Louise . . . 1785. Elle est aux États-Unis.
1 2 Marie-Appoline Gill, fille de Robert Gill et de Marie-Louise Chênevert, morte, en 1862, à l’âge de 84 ans, mariée, en 1804, à Louis Wahawanulet, Abénakis. Ses descendants sont au nombre d’environ 35.
2 2 Guillaume Gill, fils de Robert Gill et de Marie-Louise Chênevert, mort, en 1859, à l’âge de 78 ans. Il n’a pas laissé d’enfants.

Les descendants, actuellement vivants, des enfants de Samuel Gill sont au nombre de 952, partagés comme suit :
Jeanne-Magdeleine
..............................................................................................................................................................
140
Joseph-Louis
..............................................................................................................................................................
379
Joseph
..............................................................................................................................................................
33
Josephte
..............................................................................................................................................................
50
Marie-Appoline
..............................................................................................................................................................
44
François
..............................................................................................................................................................
269
Robert
..............................................................................................................................................................
37
—​—
952

De ces 952 descendants, 213 portent le nom de Gill, et 739, des noms abénakis et canadiens. De ces 739, 318 sont parmi les Abénakis, et 421, parmi les Canadiens.

Si l’on faisait une étude, comme celle que nous venons de faire, sur toutes les familles anglaises qui ont été emmenées en Canada par les Abénakis, on serait certainement étonné du grand nombre de Canadiens qui doivent à ces sauvages le bonheur d’être aujourd’hui catholiques, et l’avantage d’être Canadiens.

Nous pouvons donc dire, sans crainte de nous tromper, que les Abénakis ont bien servi la Religion et la Patrie.


CHAPITRE DOUZIÈME.

les abénakis en canada et en acadie. — missions de pentagoët et de norridgewock (1689-1724.)

1713-1726.


À la suite du traité d’Utrecht, tout présageant une longue paix pour la Nouvelle-France, les Abénakis déposèrent les armes, qu’ils avaient tant illustrées par une suite de combats, de plus de vingt-cinq ans. M. de Vaudreuil profita de cette paix pour aller en France, où il passa deux ans. Il revint en Canada, en 1716, apportant la nouvelle de la mort de Louis XIV, arrivée l’année précédente, et celle de l’avènement de Louis XV sur le trône de France.

La nouvelle de la mort de Louis XIV affligea profondément les Abénakis ; car ces sauvages aimaient ce grand roi, qui, plus d’une fois, leur avait donné des marques de confiance et d’affection. Monseigneur de Laval, que le roi affectait d’appeler son cousin, plusieurs gouverneurs du Canada, entr’autres le Comte de Frontenac et M. de Vaudreuil, et les missionnaires avaient parlé avantageusement en France de ces sauvages ; ils avaient fait connaître leur courage, leur piété et leur fidélité aux Français. Le roi, pour récompenser ces pieux et fidèles alliés, leur avait envoyé plusieurs présents.

Aussitôt après son retour de France M. de Vaudreuil profita du temps de paix où se trouvait le Canada pour travailler avec activité à réparer le mal que les guerres y avaient causé. Il conduisit avec activité les négociations avec les Iroquois. Il réussit à désarmer ces sauvages, à les détacher entièrement des Anglais et à les convaincre enfin que leur intérêt exigeait qu’ils demeurassent toujours dans la neutralité, dans les luttes qui pourraient survenir plus tard entre les Français et les Anglais. Il encouragea les Canadiens à se livrer à l’agriculture, qu’ils avaient négligée depuis tant d’années. Le commerce fut aussi un des principaux objets de sa sollicitude. L’éducation de la jeunesse ne fut pas oubliée. On plaça, en différents endroits du pays, des maîtres d’école, pour venir en aide aux Jésuites et aux Récollets dans l’accomplissement de cette charge importante.

Les Abénakis voyaient avec bonheur ces améliorations et ces progrès dans le Canada ; car le bien qui en découlait allait jusqu’à eux, et M. de Vaudreuil s’occupait aussi à améliorer la condition de ces valeureux guerriers. Ils s’estimaient donc heureux et espéraient jouir longtemps du bienfait de la paix, lorsqu’ils furent invités à reprendre les armes pour aller au secours de leurs frères de l’Acadie, parceque les Anglais envahissaient leur territoire.

Après le traité d’Utrecht, l’Angleterre garda l’Acadie, mais elle ne réclama pas les établissements qui se trouvaient le long de la Baie de Fundy et jusqu’à la rivière Kénébec. Les Français conservèrent leurs possessions sur la rivière Saint-Jean, et s’y fortifièrent.

Cependant, les Anglais crurent que les Abénakis de la rivière Kénébec se soumettraient volontiers à eux, et leur permettraient de faire des établissements sur leur territoire. C’était une chose fort importante pour eux ; car ils tenaient plus à la soumission de ces sauvages qu’à celle des Iroquois. Ils croyaient avoir pris, dans le traité d’Utrecht, toutes les mesures nécessaires pour acquérir la souveraineté de ce pays. L’article XII de ce traité portait que le roi de France cèdait à la reine d’Angleterre « l’Acadie, ou Nouvelle-Écosse, en entier, conformément à ses anciennes limites, comme aussi la ville de Port-Royal, alors appelée Annapolis Royale, et généralement tout ce qui dépendait des dites terres et îles de ce pays. »

Dès que le gouverneur de la Nouvelle-Angleterre eût reçu ce traité, il se hâta de le communiquer aux Abénakis. Mais il n’osa tenter de les réduire par la force, car il connaissait la valeur de cette nation et savait que les Anglais n’en étaient pas aimés. Il commença donc par agir avec prudence et ménagement à leur égard, et se contenta de leur dire d’abord que sa juridiction s’étendait sur leur territoire[525].

Bientôt, un Anglais demanda aux sauvages la permission de placer un magasin sur la rivière Kénébec, pour y faire la traite avec eux, promettant de leur vendre les marchandises à meilleur marché qu’il ne les payaient à Boston. Les sauvages, trouvant un avantage dans cette proposition, y consentirent. Peu de temps après, la même permission fut encore accordée à un autre Anglais, qui offrait aux sauvages des conditions encore plus avantageuses. Ces permissions enhardirent les Anglais ; et bientôt, plusieurs s’établirent sur le Kénébec, sans la permission des sauvages.

Les Abénakis ne parurent pas d’abord s’en occuper, car ils n’apercevaient pas le piége qu’on leur tendait. Mais, en 1716, se voyant environnés de forts anglais, ils ouvrirent les yeux et commencèrent à s’apercevoir qu’on voulait s’emparer petit-à-petit de tout leur territoire. Ils demandèrent alors aux Anglais, de quel droit ils s’établissaient ainsi sur leurs terres, et y élevaient des forts. On leur répondit que le roi de France avait cèdé leur pays à l’Angleterre[526].

Les Abénakis ne répliquèrent rien aux Anglais, mais ils envoyèrent aussitôt des députés auprès de M. de Vaudreuil, pour savoir la vérité sur ce sujet. Le gouverneur répondit que le traité d’Utrecht ne faisait aucune mention de leur pays. Les sauvages furent satisfaits de cette réponse, et décidèrent de chasser les Anglais de leur territoire[527].

Avant de raconter la lutte qui suivit cette résolution, nous donnerons quelques détails sur les missions abénakises de l’Acadie : celles de Pentagoët et de Norridgewock.

Vers 1689, les P. P. Jésuites, encouragés par les merveilles qui s’opéraient parmi les Abénakis du Canada, résolurent d’établir de nouvelles missions parmi ceux de l’Acadie, abandonnés depuis trente ans et vivant alors dans les ténèbres de l’ignorance. Le P. Vincent Bigot fut envoyé à Pentagoët, accompagné de son frère, le P. Jacques Bigot, qui laissa pour quelque temps sa mission de Saint-François de Sales de la rivière Chaudière.

Ces deux missionnaires réunirent un grand nombre d’Abénakis dans le fort du Baron de Saint-Castin. Ils y bâtirent une église de soixante pieds de long sur trente de large, et une maison pour la résidence du missionnaire.

Le P. Jacques Bigot après une courte résidence à Pentagoët, revint a sa mission du Canada. Le P. Vincent demeura deux ans en Acadie, puis revint en Canada pour remplacer son frère, qui partait pour France. Il fut remplacé à Pentagoët, alternativement, par les P. P. de la Chasse, Bineteau, M. Thury[528], et autres. Il retourna en Acadie, en 1701, et écrivit alors une relation pour rendre compte des progrès du christianisme chez les sauvages de Pentagoët. On voit par cette relation que les Abénakis de l’Acadie ne le cèdaient en rien, à cette époque, à ceux du Canada, sous le rapport de la piété et de la ferveur.

« Une des preuves les plus sensibles », dit le Père, que j’aye de la tendresse de l’amour que nos chers néophytes ont pour nostre Seigneur sont les fréquentes et longues visites qu’ils lui rendent au S. Sacrement. Je le vois tous les jours depuis bien des années avec la mesme consolation et le mesme plaisir, que si ce m’estoit un spectacle tout nouveau. En hyver aussi bien qu’en été, dès le grand matin, l’on voit ces fervents chrestiens venir offrir au Sauveur les premices de leurs actions, et quelques uns s’entretenir très-longtemps avec lui. Les enfants mesme, attirés par l’exemple des grandes personnes, le pratiquent exactement, et surmontent l’inclination que l’on a à cet âge pour dormir, afin de lui rendre aussi leurs devoirs. Que si le sommeil l’emporte quelquefois à son tour, et qu’ils s’endorment dans la chapelle, leurs parens les éveillent et leur reprochent leur lâcheté et leur peu de ferveur à rendre à Dieu leurs adorations. Je prendrois souvent le parti de ces petits innocens si je ne craignois de scandaliser ceux qui les éveillent. Quoiqu’ils assistent à la prière du soir et qu’ils en fassent une seconde dans leurs cabannes avant que de se coucher, ils ne seroient pas contens s’ils ne venoient encore rendre visite à nostre Seigneur dans la chapelle. Ce sont comme des processions continuelles d’allans et de venans, et cela se fait avec tant de recueillement qu’il est aisé de juger par leur extérieur de la ferveur de leur foi et de leur amour. Qu’ils aillent à leur travail ou qu’ils en reviennent, ils se font une loy de le salver dans sa sainte maison et de lui offrir leur travail. Les jours de festes qui sont des jours de prières pour eux, il y en a qui en passent la plus grande partie auprès du S. Sacrement, s’y entretenant et s’y occupant uniquement de Dieu, sans aucun ennuy, puisqu’il n’en peut y avoir dans ces aimables conversations, où il fournit sans doute à ces âmes ferventes de quoy l’entretenir de la manière qu’il veut…

« La vie fervente d’un grand nombre de nos néophytes, sans en excepter mesme les enfans, dont la ferveur et l’amour souvent ne cèdent rien à l’amour et à la ferveur des personnes plus avancées en âge, me paroit un spectacle digne des Anges et de Dieu mesme. C’est une application continuelle à lui plaire dans leurs actions, à penser à nostre Seigneur et à la Vierge, sans que leur travail et leurs applications soient capables de les en distraire. Elle est devenue si naturelle à la pluspart qu’elle répand un air de douceur sur tout ce qu’ils font, ce qui me paroit une marque infaillible de celle qui remplit leurs cœurs »[529].

Ces bons chrétiens menaient une vie innocente et vertueuse. Ils veillaient tellement sur eux qu’ils ne commettaient que des fautes très-légères. Ils regrettaient sans cesse la vie qu’il avaient menée avant leur baptême. Ils en concevaient une si grande douleur qu’ils versaient souvent des larmes.

Un Chef alla un jour visiter les Anglais et eut avec eux un long entretien sur la religion. Ce brave chrétien confondit ces hérétiques, qui ne purent lui répondre. « Je les ai défiés, » disait-il au Père, « de trouver la moindre chose tant soit peu défectueuse dans ma religion, et je leur ai reproché que leur religion n’était pas une vraie religion, que c’était une multitude de religions, que la plupart d’eux vivaient comme des gens qui n’en ont point, leur ajoutant que je les connaissais, ayant été dans ma jeunesse presque toujours chez eux. À l’égard du culte des Saints, surtout de la Sainte-Vierge, je lui montrai que Dieu lui fait entendre nos prières et qu’elle les écoute. Vous me connaissiez, leur ai-je ajouté, j’ai été un des plus grands ivrognes qui fut jamais. Dieu a eu pitié de moi, je ne le suis plus depuis bien des années, et je défie quiconque, depuis ma conversion, de me pouvoir reprocher d’avoir goûté vin ou eau-de-vie. À qui en suis-je redevable ? À ma Sainte-Dame la Mère de Jésus. Ce fut à elle que je m’adressai dans l’extrême faiblesse où je me sentais pour vaincre une habitude invétérée d’ivrognerie ; je l’ai cependant vaincue avec son secours, et après cela dites ce que vous voudrez, vous autres Anglais, que les Saints ne nous entendent pas, qu’il est inutile de nous adresser à eux et à la Mère de Dieu, je ne vous crois pas. Vous êtes des menteurs ; mon expérience me l’apprend. Sachez que j’aimerai et bénirai la Sainte-Vierge jusqu’au dernier soupir de ma vie. Je suis sûr même qu’elle me sait bon gré et qu’elle me récompensera de ce que je la défends contre vous »[530].

On eût dit que ce bon Chef, en racontant au Père cette entrevue, se croyait encore aux prises avec les Anglais, car il mêlait à son récit toute l’ardeur d’un brave guerrier prenant les armes pour défendre sa foi.

La fête de Noël était un temps très-précieux pour ces sauvages. Ils désiraient et attendaient toujours cette solennité avec impatience. Quelquefois, ils partaient du lieu de leur chasse pour venir assister à cette fête. Ils passaient toute la nuit de Noël à prier dans l’église. « Je ne sçaurois dire, » écrit le Père, « toutes les marques de tendresse qu’on donne au Sauveur naissant dans la crèche, pendant tout ce saint temps. Peut-être ceux qui se sentent le moins attendris à la vue de ce mystère d’amour et de douceur seroient touchés de voir les effets qu’il produit dans ces pauvres barbares » [531].

Pendant l’hiver, 1700-1701, l’affreuse maladie du scorbut se répandit parmi les sauvages. Le nombre des malades devint si grand « que tout le village était un vrai hopital », dit le Père. « Ce qui me consolait dans l’extrême compassion que j’avois souvent de ces pauvres malades c’est leur patience, c’est une égalité d’esprit charmante, c’est une résignation si parfaite à la volonté de Dieu, qu’on ne peut rien ce semble imaginer au delà. Toujours contens, toujours gais, toujours parlant de la mort de manière à en faire envie. Ce qui me surprend, c’est que de jeunes femmes, de jeunes enfans soient capables de cette résolution. C’est ce me semble une marque très-évidente de la paix de leur conscience et de l’innocence de leur vie, qui leur ôtent tout sujet d’appréhender les suites de la mort » [532].

Plusieurs de ceux qui n’avaient pas été atteints par cette maladie désiraient de l’être, afin de souffrir comme les autres. L’amour de ces bons chrétiens pour les souffrances était tel que quelquefois ils se plaignaient de ce que Dieu ne les jugeait pas dignes de souffrir. « Il n’y aura donc que moi », dit un jour une fervente chrétienne, « qui n’aurai point de part aux souffrances de mon Jésus. Je ne saurais m’empêcher de porter envie à tous ces malades. Lorsque j’entre dans leurs cabannes pour leur rendre visite, je leur envie leur bonheur, je dis en moi-même : que vous êtes heureux, vous autres vrais amis de Jésus, puisque vous êtes les compagnons de ses souffrances ? » [533].

Un jeune homme avait un affreux mal au bras, depuis deux ans. Les chairs en tombaient par lambeaux. Un jour, pressé par la violence de la douleur qu’il endurait, il versait quelques larmes. Le missionnaire, touché de compassion, cherchait à le consoler. Alors, le jeune homme, faisant un grand effort pour surmonter sa douleur, essuie ses larmes et dit d’une voix assez forte, mais qui marquait néanmoins combien il souffrait : « Ne crois pas, mon Père, parce que je verse des larmes, que je sois peu content de souffrir. Jésus voit mon cœur, et il sait bien, malgré les larmes que je verse quelquefois contre mon gré, que je veux parfaitement ce qu’il veut : lorsque je vois tous les jours sortir des os de ma main et de mon bras, je me console sur l’avenir, et je me dis à moi-même : lorsque je verrai mon Jésus je serai exempt de tous ces maux, je n’aurai plus rien à souffrir »[534].

Ce courageux jeune homme mourut en prédestiné, entre les bras de son missionnaire. La mort de ce jeune homme, qui arriva le lundi de Pâques, fut suivie, dès le lendemain, de celle d’une jeune femme de vingt ans. Cette mort ne fut pas moins édifiante que la précédente. Le Père exhortait la malade à lever souvent les yeux au ciel, afin d’obtenir quelqu’adoucissement à ses douleurs. « Ah ! mon Père, » reprit-elle, « bien loin de chercher du soulagement à mes maux, je demande du meilleur de mon cœur à Jésus qu’il les augmente, afin qu’au moins, pendant qu’il souffre et qu’on honore ses souffrances, je souffre aussi avec lui »[535].

« Toute ma peine », dit le Père, « lorsque j’écris ceci, est de ne pouvoir dire les choses comme je les vois, ne doutant nullement que ceux qui n’en sont point touchés les voyant sur le papier, ne le fussent extrêmement s’ils en étoient eux-mesmes témoins »[536].

Il y avait alors dans cette mission un vieillard, fort avancé en âge, et devenu aveugle depuis un an. C’était le plus beau naturel que le Père n’eût jamais rencontré chez les sauvages ; il était en outre rempli d’esprit et de bon sens. Il ne connaissait pas le chagrin. Il priait tout le jour, et, comme son grand âge l’empêchait de dormir, il priait encore pendant la nuit. Il était si plein de Dieu que sa parole avait une onction toute particulière. Le missionnaire assure qu’il ne sortait jamais lui-même du wiguam de ce saint vieillard sans se sentir rempli d’une sainte joie.

Un jour que le Père lui parlait de son habitude à prier si longuement, il répartit : « Que ferais-je autre chose, mon Père, que de penser à Jésus et à Marie, qu’à m’occuper du désir de les voir ? Voilà tout ce que je puis faire ; aussi, est-ce mon occupation continuelle nuit et jour. Ah ! mon Père, qu’il est vrai que le christianisme remplit le cœur d’une solide joie ! Je vois ma mort proche, elle ne m’effraie point. Jésus aura pitié de moi. Voilà le sujet de ma joie. J’aurais souhaité au temps de la passion de mourir avec Jésus en croix, si je n’avais appréhendé de prévenir sa volonté en souhaitant de mourir avant le temps qu’il m’a marqué »[537].

Ce vieillard était autrefois grand harangueur, et il avait conservé sa grande facilité à parler. Le missionnaire se plaisait toujours à l’entendre, chaque jour, témoigner à Dieu sa reconnaissance ; ce qu’il faisait toujours d’une manière éloquente.

Il mourut le jour de l’Assomption, 1701. Après sa mort, son visage paraissait riant et beau comme celui d’un homme qui dort d'un doux sommeil.

Tels étaient les chrétiens de Pentagoët.


CHAPITRE TREIZIÈME.

suite du précédent.

1713-1726.

Une autre mission abénakise fut établie sur la rivière Kénébec, vers 1696.

Après la destruction de la tribu des Kanibessinnoaks (Canibas) et l’émigration de ces sauvages en Canada, un certain nombre de Nurântsuaks, résidant vers le haut de la rivière Kénébec, allèrent s’établir à l’endroit où était le village qui avait été détruit. Les Anglais appelèrent alors cette place « Norridgewock », nom qui n’est qu’une corruption du mot « Nurântsuak ».

Depuis plusieurs années, ces sauvages manifestaient le désir d’avoir un missionnaire, lorsque les P. P. Jésuites du Canada leur envoyèrent le P. Sébastien Rasle, pour rétablir l’ancienne mission du P. Druillettes.

Le P. Rasle était arrivé à Québec, en 1689. Il avait étudié la langue abénakise à Saint-Joseph de Sillery ; puis, il avait été envoyé dans les missions de l’Ouest. Il avait voyagé pendant six ans parmi les sauvages, depuis l’Océan jusqu’au Mississipi[538].

Il est difficile de se faire une idée des misères de toutes sortes qu’il endura pendant ces longues années, passées au milieu des forêts. La faim et des fatigues incroyables y étaient ses compagnons ordinaires. Mais son grand zèle pour le salut des sauvages lui faisait supporter toutes ces misères avec plaisir ; et, comme il avait une forte constitution, sa santé n’en fut pas notablement altérée.

De retour à Québec, en 1696, il fut envoyé à Norridgewock. Comme il connaissait déjà les Abénakis et savait passablement leur langue, il accepta cette mission avec un véritable bonheur, convaincu que Dieu le choisissait pour passer le reste de sa vie parmi ces sauvages.

Le P. Rasle appela à Norridgewock tous les sauvages du Kénébec, et parvint bientôt à en réunir environ 200 autour de lui. C’était peu, il est vrai ; mais c’était à peu près tout ce qui restait de ces sauvages. Les autres avaient, ou succombé dans les guerres, ou émigré vers le Canada. Le missionnaire bâtit alors une église à peu près semblable à celle de Pentagoët, et bientôt son village devint florissant.

Comme il s’entendait un peu en ouvrages de menuiserie, il fit, de ses propres mains, une petite maison pour sa résidence. Il y demeura toujours seul, sans domestique, préparant lui-même sa nourriture, coupant son bois de chauffage, et faisant tous les ouvrages nécessaires pour l’entretien de sa demeure.

Il s’occupait beaucoup des décorations de son église. Comme il savait un peu la peinture, il fit un grand nombre de tableaux qu’il plaça dans son église ; les murs intérieurs en étaient presqu’entièrement couverts[539].

Il construisit lui-même, près de son église, deux petites chapelles, dont l’une fut dédiée à la Mère de Dieu, et l’autre, à l’Ange-Gardien, C’était une espèce de pélérinage, où les sauvages allaient se mettre sous la protection de la Mère de Dieu et de l’Ange-Gardien avant d’entreprendre leurs voyages de chasse, et où à leur retour, ils allaient remercier leurs protecteurs.

Ce saint missionnaire était d’une piété angélique. Tous les jours, il passait plusieurs heures à prier dans l’église. Il menait une vie très-austère. « Il ne prenait pas de vin, » dit Bancroft, « et était un rigoureux observateur de la loi du carême »[540]. Il vivait dans la plus grande pauvreté, n’ayant rien à lui, et distribuant aux pauvres tout ce que les sauvages lui offraient. Il tirait sa subsistance d’un petit jardin, qu’il cultivait lui-même[541].

Toutes ses occupations journalières étaient règlées. Son temps était partagé entre la prière, l’exercice du saint-ministère et les ouvrages manuels. Presque chaque jour, il réunissait ses sauvages à l’église pour leur donner une instruction. Il les visitait souvent dans leurs wiguams et les entretenait sur des sujets de piété, avec une douce familiarité et une innocente gaîté.

Lorsque les sauvages allaient à leur grande chasse de l’hiver, le missionnaire les y accompagnait ; lorsqu’ils descendaient à la mer, au temps de la chasse et de la pêche, le Père les suivait encore. Alors, une petite chapelle d’écorce était érigée sur quelqu’îlot de la mer, et le saint-sacrifice de la messe y était célébré chaque jour.

Le Père Rasle aimait ses Abénakis plus que lui-même, et il avait consacré sa vie à travailler à leur salut. Les sauvages, sensibles à toutes les preuves d’affection qu’il leur donnait, l’aimaient comme un tendre père et se montraient toujours très-dociles à ses leçons. Aussi bientôt, ils embrassèrent presque tous la foi chrétienne, et firent de rapides progrès dans la ferveur et la piété. La foi de leurs pères, qui, plus de cinquante ans auparavant, avait donné tant de consolation au P. Druillettes, se réveilla dans leurs cœurs, et opéra parmi eux les merveilles qu’on avait vues dans cette mission, de 1646 à 1652[542].

Ainsi, vers 1700, les Abénakis de Kénébec étaient donc ce que leurs pères avaient été, en 1652.

En 1717, le Gouvernement de Massachussetts fit une tentative pour établir une mission protestante parmi ces sauvages. Un ministre y fut envoyé dans ce but, avec injonction d’y établir une école. Ce ministre était le plus habile d’entre ceux de Boston.

Comme on savait que les Abénakis étaient extrêmement sensibles à l’amitié qu’on témoignait à leurs enfants, on lui recommanda de traiter ses écoliers avec tendresse, et de les nourrir aux frais du Gouvernement. Une pension lui fut accordée pour cette fin ; et cette pension devait être augmentée en proportion du nombre d’enfants qui fréquenteraient son école.

Le ministre n’épargna rien pour seconder les vues de son Gouvernement. Il allait chercher les enfants dans leur village, les caressait et leur faisait des présents. Pendant deux mois, il se donna toutes les peines imaginables, mais il ne put en gagner un seul. Alors, il s’adressa aux parents des enfants, leur fit différentes questions sur leur croyance, puis il se moqua des sacrements, du purgatoire, de l’invocation des saints, et de toutes les pratiques de piété des catholiques.

Le P. Rasle crut alors devoir prendre la défense de la foi catholique. Il écrivit au ministre fort poliment, lui disant, entr’autres choses, que ses sauvages savaient bien croire les vérités enseignées par l’église catholique, mais qu’ils ne savaient pas les défendre ; qu’il croyait de son devoir de le faire à leur place ; qu’il voyait avec plaisir l’occasion d’entrer en discussion avec un aussi habile homme ; qu’il lui donnait le choix de le faire par écrit ou de vive voix, et, qu’en attendant, il lui envoyait un mémoire qu’il le priait de lire avec attention.

Ce mémoire était si bien appuyé sur l’Écriture-Sainte, la tradition et les raisonnements théologiques que le ministre, loin d’accepter le défi qui lui était fait, quitta la rivière Kénébec et retourna à Boston, d’où il envoya au P. Rasle une réponse courte et obscure. Le missionnaire lui répliqua aussitôt ; mais le ministre ne répondit à cette dernière lettre que deux ans après. Cette réponse était aussi insignifiante et aussi obscure que la première [543].

Pour cacher la honte de cette défaite, le ministre prétexta qu’il n’y avait rien à faire auprès des Abénakis, parcequ’ils étaient aveuglés par l’affection qu’ils avaient pour leur missionnaire.

Tels étaient les Abénakis de l’Acadie vers 1720 lorsqu’ils se virent dans l’obligation de prendre les armes pour chasser les Anglais, qui s’emparaient injustement de leur territoire.

Le grand Chef envoya alors le protêt suivant au Gouvernement de Massachusetts. « Je possède ma terre où le Grand-Esprit m’a placé ; et tant qu’il restera un enfant de ma tribu, je combattrai pour la conserver »[544]. Les Anglais méprisèrent ce protêt, et continuèrent à empiéter sur le terrain des sauvages.

Un jour qu’une vingtaine d’Abénakis étaient entrés dans un établissement anglais, ils se virent tout-à-coup cernés par 200 hommes armés. « Nous sommes perdus », s’écrièrent les sauvages, « mais vendons cher notre vie. » Ils se préparaient à se jeter sur cette troupe, lorsque les Anglais, connaissant la valeur de ces sauvages, reculèrent, en protestant qu’ils ne voulaient pas les attaquer, mais seulement les inviter à envoyer quelques uns des leurs à Boston, pour s’entendre avec le Gouvernement sur les moyens de conserver la paix et la bonne intelligence entre les deux nations.

Les Abénakis, ajoutant foi trop facilement à ces paroles trompeuses, envoyèrent à Boston quatre députés, qui y furent arrêtés et jetés dans les fers. À cette nouvelle inattendue, les sauvages envoyèrent demander la raison d’un procédé si étrange. On leur répondit que leurs députés n’étaient pas retenus comme prisonniers, mais comme otages, et qu’ils seraient relâchés, dès que les sauvages auraient payé deux cents livres de castor, pour indemnité des dommages qu’ils avaient causés aux Anglais.

Les Abénakis ne se croyaient pas obligés de payer cette indemnité ; cependant, pour retirer leurs frères d’une dure captivité, ils se rendirent à l’exigence des Anglais ; mais ils n’en furent pas plus avancés, car les prisonniers furent retenus dans les fers.

Les sauvages, irrités d’un si étrange procédé, écrivirent au gouverneur de la Nouvelle-Angleterre « qu’ils ne pouvaient comprendre pourquoi on retenait leurs députés dans les fers, après la promesse qu’on avait faite de les livrer dès que les deux cents livres de castor auraient été payées ; qu’ils n’étaient pas moins surpris de voir qu’on disposait de leur pays, et qu’on s’y établissait malgré eux ; que tous les Anglais eussent à en sortir au plus tôt, et qu’on donnât la liberté aux prisonniers, retenus contre le droit des gens ; que si, dans deux mois, ils n’avaient pas de réponse à cette lettre, ils sauraient bien se faire justice eux-mêmes »[545].

Bientôt, les Anglais s’imaginèrent que les P. P. Jésuites poussaient les sauvages à la révolte contr’eux, et que le P. Rasle était le principal instigateur de cette démarche ; cependant, au contraire, les missionnaires retenaient les sauvages, et les empêchaient de prendre les armes[546].

Alors, le Gouvernement de Massachussetts, considérant le P. Rasle comme un dangereux ennemi, résolut de s’en emparer, ainsi que du jeune Saint-Castin.

Les Anglais redoutaient fort ce brave lieutenant, qui, à la tête de ses Abénakis, les poursuivait par toute l’Acadie, Ils crurent qu’il était fort important pour eux d’enlever cet homme, afin de priver les sauvages d’un Chef, qui leur était si nécessaire. Au mois de Décembre 1721, ils envoyèrent un vaisseau à l’endroit où il était cantonné. Le capitaine l’invita à venir se rafraîchir sur son vaisseau, Saint-Castin se rendit volontiers à cette invitation, ne se doutant nullement du piége qui lui était tendu. Alors, on se saisit de lui, et on le conduisit à Boston, où il fut jeté dans les fers. Cinq mois plus tard, il fut conduit en Angleterre, d’où il passa en France[547].

Le P. de la Chasse, supérieur des Jésuites, ayant été informé de la résolution des Anglais de s’emparer du P. Rasle, lui écrivit pour lui conseiller de revenir en Canada. Mais le missionnaire répondit « que Dieu l’avait placé dans cette mission et qu’il serait heureux d’y mourir »[548]. Il refusa donc d’abandonner ses chers sauvages, et demeura à son poste, se confiant à la Providence et se résignant à souffrir tout mauvais traitement qui pourrait lui être infligé.

Cependant, le Gouvernement de Massachusetts songea à exécuter le projet qu’il avait formé de s’emparer du missionnaire. Après plusieurs tentatives pour engager les sauvages à le livrer, ou à le renvoyer à Québec, et à accepter un ministre protestant à sa place, il employa différents moyens pour le surprendre et l’enlever. Voyant que tout cela était inutile, il mit la tête du missionnaire à prix et en offrit £1000, sterling [549]. Enfin, au commencement de Février 1722, il envoya Westbrooke, avec 200 hommes, pour s’en emparer. Ces troupes arrivèrent à Norridgewock lorsque tous les sauvages étaient absents pour la chasse. Les Anglais avaient profité de cette absence, afin de n’éprouver aucune résistance dans l’exécution de leur infime projet. Cependant, le P. Rasle, ayant été informé de l’approche des troupes, s’enfuit dans la forêt, avec les vieillards et les infirmes. Les soldats ne trouvèrent chez lui que ses papiers, parmi lesquels était un vocabulaire abénakis, qui, suivant Bancroft, a été conservé aux États-Unis jusqu’à ce jour[550].

Le missionnaire, avant de s’enfuir, avait eu la précaution de consommer les hosties consacrées qu’il conservait dans son église, et de mettre en sûreté les vases sacrés, ainsi que les ornements sacerdotaux. De sorte que les Anglais ne purent profaner le corps adorable de J.-C.

Le lendemain, les soldats poursuivirent le P. Rasle dans la forêt. Ils arrivèrent bien près de lui, tandis qu’il était caché derrière un arbre. N’étant plus qu’à huit pas de cet arbre, ils s’arrêtèrent tout-à-coup, comme retenus par une main invisible, et reprirent la route du village.

Les Anglais enlevèrent du village toutes les provisions qu’ils y purent trouver. De sorte que le Père demeura ensuite dans une grande disette, jusqu’à ce qu’il pût recevoir quelque secours de Québec[551].

Au retour de la chasse, au printemps 1722, les sauvages, irrités de l’insulte faite à leur vénéré missionnaire, décidèrent d’en tirer une éclatante vengeance. Le P. Rasle leur représenta toute l’imprudence d’une semblable démarche, et leur conseilla de ne pas prendre les armes. Mais ils étaient trop irrités pour suivre ce sage conseil. Ils invitèrent à la guerre leurs frères de l’Acadie, du Canada et même les Hurons de Lorette[552].

Ces sauvages se réunirent, et se jetèrent avec impétuosité sur la ville de Brunswick, qu’ils détruisirent de fond en comble. Ils incendièrent ensuite tous les établissements anglais de la rivière Kénébec[553].

Le P. Rasle comprit qu’à la suite de ces désastres le Gouvernement de Massachusetts allait décréter l’entière extermination des Abénakis, et qu’ils étaient perdus. Il conseilla alors à ceux de sa mission d’émigrer en Canada, leurs représentant qu’ils y trouveraient des frères, qui les recevraient, et des missionnaires, qui prendraient soin de leurs âmes. Les sauvages y consentirent, à condition que le missionnaire les accompagnerait. « Je ne partirai pas, » répondit le P. Rasle, « mon devoir est de rester ici, pour donner les secours de mon ministère aux infirmes et aux vieillards. Je ne tiens pas à la vie ; au contraire je mourrai avec joie dans ce village, en remplissant les devoirs que Dieu m’a imposés. C’est d’ailleurs ce que je désire depuis longtemps. Quant à vous, rien ne vous retient ici. Fuyez donc, pour éviter une mort certaine. »

Un grand nombre de sauvages suivirent ce sage conseil et émigrèrent en Canada. Ils versèrent d’abondantes larmes en se séparant de leur vénéré missionnaire, qu’ils ne devaient plus revoir que dans l’autre vie. Cette émigration eut lieu, en 1722[554].

Le P. Rasle ne s’était pas trompé. Pendant que ces Abénakis émigraient en Canada, le Gouvernement de Massachusetts déclarait tous ceux de l’Acadie coupables de trahison et de brigandage, et décrétait leur entière extermination. Des troupes furent levées pour exécuter ce décret. Une récompense de £15, sterling, fut offerte pour chaque chevelure d’Abénakis ; plus tard, cette récompense fut élevée jusqu’à £100[555].

On décida d’attaquer d’abord les sauvages de Pentagoët. Les troupes, destinées à cette expédition, furent mises sous le commandement de Westbrooke. Elles partirent de Boston, le 4 Mars 1723, et arrivèrent, le 9, à six heures du soir, près du village de Pentagoët.

Le fort sauvage avait deux-cent-dix pieds de long sur cent-cinquante de large. Il était entouré d’une palissade de quatorze pieds d’élévation. Il renfermait vingt-trois grandes loges, — contenant chacune sept à dix familles, — l’église et la maison du missionnaire. L’église était bien décorée, munie de riches ornements sacerdotaux et de beaux vases sacrés. La maison du missionnaire était située près de l’église, du côté du Sud.

Westbrooke n’attaqua pas de suite le village. Il fit halte, et attendit que les sauvages fussent plongés dans le sommeil, afin de mieux réussir dans son projet de destruction. Au milieu de la nuit, il lança ses troupes avec impétuosités sur le fort. Les soldats renversèrent les pallissades et se jetèrent sur les loges. Ils tuèrent impitoyablement tous les sauvages qu’ils y trouvèrent, hommes, femmes, enfants, vieillards et infirmes ; puis ils mirent le feu au village et à l’église, après y avoir fait un riche butin, Le lendemain matin, le fort ne présentait qu’un monceau de cendres[556].

Plusieurs sauvages purent s’enfuir dans la forêt. Le missionnaire put s’échapper et revint, en Canada, avec quelques familles sauvages.

Dix à douze ans plus tard, Saint-Castin, revenu de France, réunit autour de lui les restes des Abénakis dispersés dans l’Acadie, et rétablit, à peu près au même endroit, le village de Pentagoët. Ce village subsiste encore aujourd’hui, c’est celui de Old Town, sur la rivière Penobscot. Ce village possède aujourd’hui un missionnaire catholique.

Cependant l’œuvre de la destruction des Abénakis n’était pas complète. Il restait encore le village de Norridgewock, qui devait avoir le même sort que celui de Pentagoët

L’année suivante, 1724, les Anglais firent deux tentatives pour s’emparer du P. Rasle, mais ce fut sans succès. Alors, ils envoyèrent de Boston 1,100 hommes de troupes pour détruire le village de Norridgewock. Les troupes tombèrent à l’improviste sur ce village, le 23 Août. Il n’y avait alors chez les sauvages qu’une cinquantaine de guerriers, qui prirent les armes, non pour se défendre, mais pour protéger les enfants, les vieillards et les infirmes, Le P. Rasle s’avança résolument en avant, espérant attirer sur lui l’attention des Anglais et sauver par là la vie à quelques uns de ses sauvages. Il avait bien prévu, car les soldats dirigèrent aussitôt leur feu sur lui. Bientôt il, tomba percé de coups, et expira au pied d’une croix qu’il avait plantée lui-même[557].

C’est ainsi que mourut le P. Sébastien Rasle, victime de son héroïque dévouement pour les Abénakis. Il donna sa vie pour ses ouailles. Il mourut à l’âge de soixante-et-sept ans, après en avoir passé trente-cinq au milieu des sauvages. Il avait demeuré vingt-huit ans à Norridgewock.

Les Anglais pillèrent l’église et le village, qu’ils réduisirent ensuite en cendres ; puis ils se retirèrent contents et croyant avoir pu enfin achever l’œuvre de la destruction des malheureux Abénakis de l’Acadie[558].

Après la retraite des troupes, les sauvages retournèrent sur les ruines de leur village, pour secourir les blessés et inhumer les morts. Ils trouvèrent le corps de leur missionnaire criblé de coups. Les soldats avaient enlevé sa chevelure, broyé et mutilé ses membres, rempli de boue sa bouche et ses yeux. Les restes du missionnaire, furent inhumés à l’endroit où il s’agenouillait pour son action de grâces, chaque jour après sa messe : c’était devant l’autel[559].

Le P. Rasle fut le dernier missionnaire Jésuite à la rivière Kénébec. Ainsi, avec lui, fut détruite pour jamais la mission Abénakise de Kénébec, qui avait coûté tant de sacrifices aux P. P. Jésuites, mais qui, en retour, avait donné tant de consolations aux missionnaires.

Après cet affreux désastre, quelques sauvages de Norridgewock émigrèrent en Canada.

La destruction des missions de l’Acadie causa donc trois émigrations d’Abénakis vers le Canada. La première, en 1722, la seconde, en 1723, et la troisième, en 1724. Ces sauvages se réunirent à leurs frères de Saint-François et de Bécancourt.

Les Anglais croyaient avoir détruit tous les Abénakis de l’Acadie ; mais ils étaient dans l’erreur. Bientôt, un grand nombre de ces sauvages sortirent de leurs forêts, et menacèrent d’une manière alarmante les établissements Anglais.

Les colonies anglaises craignant les coups de la vengeance de ces sauvages, surtout de ceux du Canada, qui étaient protégés et secourus par les Français, s’adressèrent à M. de Vaudreuil pour obtenir un traité de paix. MM. Schuyler, Atkinson, Dudley et Taxter furent députés à Montréal, en 1725, pour traiter de la paix avec le gouverneur et les Chefs Abénakis[560].

Avant toute délibération, M. de Vaudreuil demanda aux députés anglais une réparation du lâche et injuste assassinat du P. Rasle. Les députés ne donnèrent qu’une réponse vague ; bientôt, voyant qu’ils ne pourraient rien obtenir du gouverneur, ils cherchèrent à entrer secrètement en négociations avec les Chefs ; mais ceux-ci exigèrent que les délibérations se fissent en présence du gouverneur.

Plusieurs conférences eurent lieu, et les conditions de la paix furent longtemps discutées. L’ultimatum des Abénakis fut qu’ils resteraient maître de tout le territoire, situé entre Saco et Port-Royal, que la mort du P. Rasle et les dommages qu’ils avaient soufferts seraient réparés par des présents. Les députés anglais n’acceptèrent pas ces conditions de paix. Ils se contentèrent de dire qu’ils feraient leur rapport à Boston.

Le gouverneur, qui redoutait beaucoup le rapprochement et la paix entre les Anglais et les Abénakis, vit avec plaisir que ces conférences n’avaient produit aucun résultat[561]. Mais il ne devait pas voir la conclusion de ce traité de paix qu’il redoutait tant, car il mourut le 10 Octobre de la même année.

L’année suivante, 1726, sous l’administration du Baron de Longueuil, ce traité fut conclu entre les Chefs abénakis et les Anglais, avec la condition que les sauvages resteraient maîtres de leurs terres et qu’ils auraient la liberté de suivre le parti des Français ou celui des Anglais, en cas de guerre entre ces deux nations[562].

La nouvelle de ce traité causa du déplaisir et du regret en France, car on comprenait le danger qui menacerait désormais le Canada, s’il venait à être attaqué du côté de la mer. La Cour manda aux missionnaires d'employer tous les moyens possibles pour conserver l'attachement des Abénakis, qui servaient de barrière du côté de l’Acadie.


CHAPITRE QUATORZIÈME.

Les Abénakis en Canada et en Acadie.

1726-1749.

Pendant qu’on regrettait en France le traité qui venait d’être fait à la Nouvelle-Angleterre entre les Abénakis et les Anglais, M. le Marquis de Beauharnais fut nommé gouverneur du Canada.

Les Abénakis avaient mis bas les armes, mais les Anglais n’en agitaient pas moins la question des frontières de l’Acadie ; et le nouveau gouverneur craignait les conséquences de cette question.

La Cour de France avait commis une faute en ne désignant pas, dans le traité d’Utrecht, une ligne de démarcation entre le Canada et les possessions anglaises. Aussi, il arriva que les Anglais et les Français firent fréquemment et alternativement acte de juridiction sur le même territoire. Un pareil état de choses était la cause de difficultés, qui annonçaient une nouvelle guerre.

Du côté de l’Ouest, les Anglais cherchaient depuis bien des années à faire des empiètements sur les possessions françaises. Pour parvenir à leur but, ils faisaient la traite avec les alliés des Français. M. de Vaudreuil, qui suivait attentivement les démarches des colonies anglaises, avait fait bâtir, en 1721, un fort à Niagara[563], afin d’empêcher les Anglais d’attirer à Albany le commerce de ces contrées.

Burnet, gouverneur de la Nouvelle-York, prétendit que c’était une violation du traité d’Utrecht ; mais M. de Vaudreuil lui répondit que Niagara avait toujours appartenu à la France. Burnet fit alors des démarches pour engager les Iroquois à chasser la Joncaire de son fort de Niagara ; mais ne pouvant y réussir, il prit le parti de bâtir un fort à l’entrée de la rivière Oswégo, sur le lac Ontario[564].

En 1726, il fit encore des réclamations auprès de M. de Longueuil contre l’établissement de Niagara ; et comme il ne reçut pas de réponse favorable, il se fortifia à Oswégo. L’année suivante, M. de Beauharnais le somma d’abandonner son fort ; mais le gouverneur anglais, loin de se rendre à cette sommation, plaça une forte garnison à Oswégo.

Ce fort était important pour les Anglais. Il favorisait leur projet de s’emparer de la traite des pelleteries, et protégeait les établissements anglais, situés entre la rivière Hudson et le lac Ontario.

En 1728, les Abénakis et les Canadiens furent invités à prendre les armes pour aller combattre contre les Outagamis, qui commettaient des brigandages sur le lac Michigan. Les Français pensaient avoir réduit pour toujours ces sauvages, en 1715 ; mais, en 1717, M. de Vaudreuil fut obligé d’envoyer M. de Louvigny pour les combattre encore. Ces barbares furent alors forcés de céder leur pays aux Français. En 1728, ils recommencèrent leurs brigandages, et commirent des meurtres sur les bords du lac Michigan et les routes conduisant à la Louisiane. Ils engagèrent même plusieurs autres tribus à faire comme eux. Alors, M. de Beauharnais résolut d’exterminer ces barbares.

Une petite armée, composée d’environ 800 sauvages, Abénakis[565] et autres alliés, et de 450 Canadiens, sous les ordres de M. de Ligneris, fut envoyée sur leur territoire.

Les Abénakis et les Canadiens partirent de Montréal au commencement de Juin, remontèrent la rivière des Outaouais, traversèrent le lac Nipissing, et pénétrèrent au lac Huron, où ils rejoignirent les sauvages alliés. L’armée arriva, le 14 août, à Chicago, après plus de deux mois de marche.

Les premiers sauvages que M. de Ligneris rencontra furent les Folles-Avoines[566], que les Outagamis avaient entraînés dans leurs brigandages. Ces sauvages se présentèrent le 15, sur le rivage, pour empêcher les Abénakis et les Canadiens de débarquer. Alors, ceux-ci et les autres alliés poussèrent le cri de guerre, et se jetèrent sur l’ennemi, la hache à la main. Il s’ensuivit un combat acharné, mais l’ennemi fut repoussé, après avoir éprouvé de grandes pertes.

Bientôt, la nouvelle de cette défaite se répandit parmi les autres sauvages. Alors, les Outagamis et quelques autres tribus prirent la fuite. Les Abénakis et les Canadiens les poursuivirent jusqu’à environ quatre-vingt-dix milles du Mississipi, mais ils ne purent rejoindre les fuyards. Ils détruisirent les villages des Outagamis et ravagèrent leur pays. Cette expédition rendit la paix à ces contrées, au moins pour quelque temps.[567]

Cependant, Burnet continuait à chercher à faire des empiètements sur le lac Ontario, ce qui donnait lieu à des représailles. M. de Beauharnais, voyant qu’il ne pouvait le chasser de son fort d’Oswégo, résolut de faire un établissement sur le lac Champlain. Dès que les colonies anglaises apprirent cette résolution, elles envoyèrent en Canada des députés pour réclamer contre ce projet. Mais, malgré les représentations et les menaces même des Anglais, M. de Beauharnais bâtit, en 1731, le fort Saint-Frédéric, à la pointe à la Chevelure[568].

Ce fort fut d’une grande importance pour les Français, car le lac Champlain leur donnait entrée dans le cœur même de la Nouvelle-York, et, de là, ils menaçaient à la fois Oswégo et Albany. C’est ce que les Anglais avait prévu.

Depuis 1730, les Abénakis eurent à souffrir, pendant plusieurs années, beaucoup de maux. La disette régnait dans le pays depuis 1729. Les habitants ne vivaient que de bourgeons et de pommes de terre[569]. Plusieurs personnes moururent de faim[570]. Cependant sous ce rapport les Abénakis souffrirent moins que les Français, parcequ’ils pouvaient se procurer une partie de leur nourriture par la chasse et la pêche.

En 1732, de grandes inondations et de terribles tremblements de terre effrayèrent les habitants. À l’automne de cette année, la mère Sainte-Hélène écrivait à ce sujet ce qui suit. « Depuis un mois c’est un tremblement de terre qui y jette une consternation qu’on ne peut exprimer. L’effroi y est si universel que les maisons sont désertes ; on y couche dans les jardins, les bêtes même privées de raison jettent des cris capables de redoubler la frayeur des hommes ; on fait des confessions générales de tous côtés ; plusieurs ont fui, peur d’être ensevelis sous les ruines de cette pauvre ville ; le fâcheux est que cela n’est pas fini. Il y a des puits qui ont entièrement tari, des chemins sont bouleversés. »

Les Abénakis de Saint-François furent dans une grande frayeur ; plusieurs fois ils pensèrent que leur village allait être englouti. Les environs en furent bouleversés. On voit encore aujourd’hui à Saint-François, des deux côtés de la rivière, les traces de ces terribles tremblements de terre. L’endroit qui fut le plus bouleversé est celui où est actuellement l’église de Saint-Thomas de Pierreville, Les traces de ce tremblement de terre y ont-maintenant disparu, parce-que ce terrain a été nivelé.

L’année suivante, les Abénakis eurent à supporter les ravages de la petite vérole. « La petite vérole », dit : Garneau « décima la population et fit des ravages épouvantables parmi les sauvages »[571].

La population des Abénakis du Canada s’était augmentée d’une manière assez considérable par l’émigration de ceux qui étaient venus de l’Acadie, pendant les années 1722, 1728, 1724. En 1733, la petite vérole enleva cette augmentation de population. Les sauvages, saisis de frayeur, s’éloignaient dans les forêts, pour fuir cette terrible maladie.

En 1735, les colonies anglaises commençaient à prévoir une nouvelle guerre et à craindre les courses des sauvages alliés des Français. La Nouvelle-York surtout semblait fort redouter les descentes de ces sauvages sur son territoire. Alors, un seigneur d’Albany, M. Rensselear, fut député en Canada dans le but de prévenir ces courses. Cet Anglais vint en Canada, sous prétexte d’un voyage d’amusement. Il représenta à M. de Beauharnais que, dans les dernières guerres, M. de Vaudreuil avait épargné la Nouvelle-York, empêchant ses alliés d’y faire des courses ; que la Nouvelle-York avait fait la même chose, et qu’elle était encore disposée à agir de la même manière, dans le cas d’une nouvelle guerre.

En 1740, la guerre était imminente, M. de Beauharnais fit alors réparer les fort de Niagara, de Saint-Frédéric et de Chambly, et y mit des garnisons ; puis, il s’occupa activement à attacher les sauvages aux Français. Malheureusement, beaucoup de ces alliés n’étaient pas alors fort attachés à la cause des Français. Cependant, le gouverneur, à force d’activité, parvint à dissiper leurs craintes et à ranimer leur courage. En 1741, il les réunit en grand nombre à Montréal, et eut de longues conférences avec eux. Ces conférences produisirent de bons résultats.

Mais les Abénakis étaient toujours demeurés fort attachés aux Français, et étaient prêts à prendre les armes à l’appel du gouverneur,

La Nouvelle-Angleterre venait de former de nouveaux établissements au New-Hampshire, Or, les Abénakis avaient des prétentions sur ce territoire. Ils considéraient donc cette démarche des Anglais comme un empiétement sur leur terrain, ce qui avait fortement excité leur haine contr’eux. Aussi, ils n’attendaient que l’ordre de M. de Beauharnais pour se lancer contre ces nouveaux établissements.

Tels étaient les dispositions des Abénakis, lorsque les difficultés survenues en Europe, à l’occasion de la maison d’Autriche, firent éclater la guerre en Amérique, en 1744. On n’en fut pas surpris en Canada, car on s’attendait depuis longtemps à la reprise des armes. Aussi, M. de Beauharnais s’y était préparé.

Vu les difficultés de frontières, le fort de la guerre devait se passer au Cap Breton et en Acadie, et l’on pensait que les hostilités seraient peu vives sur le Saint-Laurent. C’était sur Louisbourg que les Anglais devaient diriger leurs coups, parcequ’il était la clef des possessions françaises du côté de la mer, et protégeait la navigation et le commerce.

À cette époque, M. Duquesnel était gouverneur du Cap Breton et Bigot en était le commissaire ordonnateur. Il n’y avait alors que 700 hommes de troupes dans cette île. Telles étaient les forces qui gardaient l’entrée de la vallée du Saint-Laurent.

La nouvelle de la déclaration de guerre arriva à Louisbourg plusieurs jours avant qu’elle ne parvint à Boston. Aussitôt, les marchands de Louisbourg et Bigot armèrent de nombreux corsaires, qui firent des prises précieuses sur les Anglais. Le commerce de la Nouvelle Angleterre subit des pertes considérables.

L’Acadie, abandonnée à elle-même par l’Angleterre, était dans un pénible état. Il n’y avait alors que quatre-vingts hommes de garnison à Annapolis, et les fortifications de cette ville étaient tombées en ruines. Le gouverneur Duquesnel crut que l’occasion était favorable pour s’emparer de cette province. Il envoya Duvivier pour cette expédition.

Duvivier s’empara de Canceau et l’incendia, puis se dirigea vers Annapolis. Mais bientôt il s’arrêta et prit la route du Canada, après avoir fait sommer Annapolis de se rendre.

Les Abénakis de l’Acadie, apprenant le projet de Duquesnel, avaient aussitôt pris les armes et s’étaient rendus, au nombre de 300, près d’Annapolis, où ils attendaient les Français. Ne voyant pas arriver de troupes, ils furent forcés de retourner à leurs wiguams[572].

Il est fort probable que Duvivier se serait emparé facilement d’Annapolis. Les Anglais de cette ville le prévoyaient ; aussi les principales familles s’étaient enfuies vers Boston.

La nouvelle de cette expédition en Acadie et des déprédations des corsaires de Bigot arriva à Boston presqu’en même temps que celle de la déclaration de guerre. Ces nouvelles jetèrent l’alarme dans les colonies anglaises qui se hâtèrent de lever des troupes pour défendre leurs frontières. Le Massachusetts fit élever plusieurs forts, depuis la rivière Connecticut jusqu’à la Nouvelle-York.

Pendant que les colonies anglaises se préparaient avec activité à la défense, la garnison de Louisbourg se révolta, par la faute de Bigot, qui retenait injustement une partie de ce qui appartenait aux soldats. La garnison demeura en état de révolte pendant tout l’hiver 1744-1745.

M. Shirley, Gouverneur de Massachusetts, crut devoir profiter de cette occasion pour aller attaquer cette forteresse, qui causait tant de dommages au commerce anglais. Il écrivit à Londres à ce sujet, et demanda du secours. Sans attendre la réponse à cette lettre, il convoqua la législature de Massachusetts, au mois de Janvier 1745, pour lui communiquer son projet. Une armée de plus de 4,000 hommes fut levée et mise sous le commandement d’un commerçant, du nom de Pepperell. L’armée s’embarqua au commencement d’Avril pour le Cap Breton. Elle fut ralliée à Canceau par le commodore Warren, envoyé d’Angleterre, avec quatre vaisseaux, pour attaquer Louisbourg. Le 10, elle débarqua au Chapeau-Rouge, et marcha aussitôt sur Louisbourg, dont elle s’empara après quelques escarmouches. La capitulation eut lieu, le 16 Juin[573].

C’est ainsi que de simples milices, levées avec précipitation et commandées par des marchands, s’emparèrent avec la plus grande facilité d’une forteresse considérée alors comme la clef du Canada.

Cette défaite causa une pénible sensation à Québec, et l’on crut que la prise de Louisbourg n’était que le prélude de l’attaque de Québec. M. de Beauharnais fit ses préparatifs en conséquence. Il réunit à Montréal les Abénakis et autres alliés, au nombre de 600. Tous se montrèrent disposés à combattre[574].

Alors, quelques Abénakis, accompagnés d’un certain nombre de soldats, descendirent à Québec pour travailler aux fortifications de la ville. En même temps, un parti de ces sauvages se dirigea vers la Nouvelle-Angleterre pour aller attaquer quelques uns des forts que le Massachusetts avait fait élever l’année précédente. Les sauvages arrivèrent, à la fin de Juillet, à un établissement anglais, situé à environ 16 milles du fort Dummer, sur la rivière Connecticut. Cet établissement fut pillé, et un nommé William Phipps fut fait prisonnier[575].

Un autre parti d’Abénakis et de Français attaqua le fort Dummer, le 11 Octobre. Après un combat assez rude, les sauvages furent obligés de se retirer. Un seul Anglais, du nom de Howe, fut fait prisonnier. Ce prisonnier mourut à Québec quelque temps après[576].

Le 22, un autre parti des mêmes sauvages attaqua le fort Ashwolot. Ce fort fut considérablement endommagé par les sauvages. Plusieurs édifices furent incendiés, et un bon nombre d’Anglais furent tués ou faits prisonniers[577].

L’année suivante, 1746, un parti d’Abénakis parut, au commencement d’Août, devant le fort Charlestown, New-Hampshire. Les Anglais, ayant été informés de l’approche des sauvages, envoyèrent un détachement de troupes pour les éloigner du fort. Ce détachement fut battu et mis en fuite. Plusieurs soldats furent tués. Alors, les sauvages environnèrent le fort, et le tinrent assiégé pendant trois jours ; mais, comme il était défendu par une très-forte garnison, ils ne purent s’en emparer. Ils incendièrent plusieurs maisons, puis se retirèrent en tuant tous les chevaux et bestiaux qu’ils rencontrèrent[578].

Ils rejoignirent ensuite un détachement de Français, au fort Saint-Frédéric, et, de là, marchèrent vers le fort Massachusetts, où ils arrivèrent le 20 du même mois. Ce fort était défendu par une forte garnison, sous les ordres de John Hawks. Les sauvages attaquèrent les Anglais avec fureur et s’emparèrent du fort. Presque tous les soldats anglais furent faits prisonniers et emmenés en Canada[579].

Dans le cours de l’été, d’autres établissements anglais furent attaqués et détruits par les Abénakis, et beaucoup de prisonniers furent emmenés en Canada[580].

Pendant que les Abénakis ravageaient les frontières de la Nouvelle-Angleterre, la France, cèdant aux instances de M. de Beauharnais, résolut de reprendre Louisbourg. De grands préparatifs furent faits pour cette expédition. Mais on fit l’imprudence de mettre l’escadre sous le commandement d’un jeune homme sans expérience, le jeune duc d’Anville. La flotte se composait de sept vaisseaux, trois frégates, deux brûlots, et plusieurs navires et transports, portant 3,000 hommes. La France n’avait pas encore mis sur pied un si grand armement pour l’Amérique[581].

Le succès de l’expédition paraissait assuré ; mais l’inexpérience du duc d’Anville et une fatalité qui paraissait alors s’attacher à toutes les entreprises des Français dans l’Amérique, la firent échouer. Par suite de l’inhabileté du commandant, la traversée dura près de cent jours. Puis, lorsque la flotte était enfin en vue de Chibouctou (Halifax), une furieuse tempête tomba sur elle, et dispersa les vaisseaux. Plusieurs de ces vaisseaux périrent, d’autres repassèrent en France, et quelques uns seulement, après avoir été battus par la tempête pendant dix jours, purent atteindre la rade de Chibouctou. Pour comble de malheur, une terrible épidémie venait d’éclater dans les vaisseaux. Les soldats et les marins mouraient par centaines.

Les Abénakis de l’Acadie, apprenant qu’une flotte était envoyée de France pour reprendre Louisbourg et qu’elle devait arriver à Chibouctou, s’étaient réunis en grand nombre près de ce fort pour y attendre les Français et s’unir à eux. Ils y étaient encore lorsque le duc d’Anville y arriva. Malheureusement l’épidémie, qui décimait les troupes françaises, se répandit parmi eux, et un grand nombre succombèrent[582]. Ils furent alors forcés de retourner en leur pays, renonçant avec regret au plaisir d’aller combattre contre les Anglais.

Six cents Canadiens s’étaient embarqués à Québec au commencement de Juin, pour aller rejoindre les troupes du duc d’Anville. Ils étaient commandés par M. de Ramsay. Ils allèrent débarquer à Beaubassin.

Pendant ce temps, Shirley et Warren avaient formé le projet de s’emparer du Canada. On demanda à l’Angleterre une flotte pour l’exécution de ce projet, et une armée de 8,000 hommes fut levée dans les colonies anglaises [583]. Cette armée devait marcher sur le fort Saint-Frédéric et sur Montréal. Mais, comme il n’arriva pas de flotte d’Angleterre, il fallut renoncer encore cette fois au projet de s’emparer du Canada.

Toutefois, pour ne pas perdre entièrement le fruit de leurs dépenses, les Anglais voulurent essayer de s’emparer du fort Saint-Frédéric. Une armée était déjà en marche pour cette fin, lorsqu’ils apprirent que M. de Ramsay était débarqué à Beaubassin, et que les Acadiens menaçaient de se révolter. Alors, l’expédition contre Saint-Frédéric fut abandonnée, et les troupes furent dirigées vers l’Acadie, pour aller défendre Annapolis[584].

M. de Ramsay était déjà devant Annapolis, où il avait fait un certain nombre de prisonniers. Mais la nouvelle du désastre de la flotte du duc d’Anville le força de se retirer. Comme la saison était trop avancée pour retourner en Canada, il alla établir ses quartiers d’hiver à Beaubassin, où un parti considérable d’Abénakis alla le rejoindre.

Les Anglais, dans le but de déloger M. de Ramsay de sa position, allèrent se placer au Grand-Pré, à quelque distance de Beaubassin. Les deux corps, quoiqu’en face l’un de l’autre, étaient séparés par la Baie de Fundy.

Dans le mois de Février, 1747, 300 Canadiens et Abénakis allèrent attaquer les Anglais dans leurs quartiers d’hiver. Pour les atteindre, il fallait faire le tour de la baie et franchir environ 180 mille, à travers la neige et les forêts. Ils arrivèrent devant le campement anglais, le 11 au matin, et se jetèrent avec fureur sur l’ennemi, Le combat qui s’ensuivit se prolongea jusqu’à 3 heures de relevée. Enfin, la victoire se décida en faveur des sauvages. Le colonel Noble, commandant des Anglais, fut tué, et plus du tiers de son armée fut mis hors de combat[585]. Cette bataille fut l’un des plus beaux faits d’armes des Abénakis.

Dans le même temps, des troubles s’élevaient aussi du côté de l’Ouest. Les sauvages de ces contrées cherchaient depuis plusieurs années à s’éloigner des Français et même à les détruire. Ils disaient dans leur naïf langage : « Les hommes rouges ne doivent pas se détruire les uns les autres ; laissons les blancs se faire la guerre entr’eux. » En 1747, les Miâmis, moins dociles que les autres sauvages, formèrent le dessein de massacrer les habitants du Détroit,

M. de Beauharnais envoya alors un fort parti d’Abénakis[586] et de Canadiens au secours de ces habitants. Les Abénakis se rendirent jusqu’au lac Michigan ; mais ils ne purent rejoindre les Miâmis, car ceux-ci s’étaient enfuis, après avoir fait brûler leur village.

Dans le cours de l’été, 1748, les Abénakis recommencèrent leurs excursions dans les colonies anglaises. Commandés par la Corne de Saint-Luc, ils attaquèrent le fort Clinton, et battirent un détachement de troupes anglaises, qu’ils précipitèrent dans une rivière à coups de haches. Commandés par de Léry, ils prirent le fort Bridgeman. L’année suivante, sous les ordres du major des Trois-Rivières, ils défirent, le 29 Août, un corps de troupes anglaises, près d’Albany[587].

À cette époque, les forts des frontières de la Nouvelle-Angleterre n’étaient plus tenables. Ils avaient presque tous été évacués, et la population effrayée s’était retirée dans l’intérieur du pays, pour se soustraire aux dévastations des Abénakis et des Canadiens.

Tel était l’état des choses en Amérique, lorsque M. de la Jonquière arriva à Québec, au mois d’Avril 1749, pour remplacer M. de la Galissonnière dans le Gouvernement du Canada.

La paix avait été signée, l’année précédente, à Aix-la-Chapelle. Dans ce traité, la France, par une aveugle indifférence, laissa encore indécise la question des frontières en Amérique. En 1718, elle avait fait une première faute en ne fixant pas les frontières de l’Acadie ; en 1748, elle en fit une seconde, plus grave encore, en abandonnant la décision de cette question à des commissaires. Par ce traité, le Cap Breton fut rendu à la France.

Le traité d’Aix-la Chapelle fit cesser les hostilités en Amérique. Les Anglais demandèrent alors la paix aux Abénakis. Des commissaires, envoyés de Boston, rencontrèrent les Chefs à Falmouth, le 15 Octobre 1749, et un traité de paix fut conclu[588].



CHAPITRE QUINZIÈME.

Les Abénakis en Canada et en Acadie.

1749-1755.

M. de la Galissonnière avait formé le dessein d’engager les Acadiens à s’établir au côté Nord de la Baie de Fundy. Son but était de couvrir les frontières du Canada, de ce côté, d’une population affectionnée aux Français. Ce projet était blâmable, parce que c’était engager à la désertion les sujets d’une puissance étrangère. Les Acadiens avaient, il est vrai, refusé de prêter le serment du test ; mais ils n’en étaient pas moins des sujets anglais.

M. de la Galissonnière avait communiqué ce projet à la Cour de France, qui l’avait approuvé et avait accordé une somme de 300, 000 francs pour cette fin[589].

Ceci était bien propre à blesser les Anglais, qui tenaient à conserver les Acadiens, puisqu’ils leur avaient accordé des priviléges pour les retenir sur leurs terres, afin d’éviter les frais d’une nouvelle colonie[590].

Les Acadiens, encouragés par le P. Germain et l’abbé de la Loutre, avaient commencé, en 1748, à émigrer en grand nombre vers le Nord de la Baie de Fundy.

Non seulement M. de la Galissonnière avait travaillé à former une barrière contre les Anglais du côté de l’Est, il avait aussi porté ses vues vers l’Ouest, et avait essayé de leur fermer l’entrée de la vallée de l’Ohio. Il avait envoyé M. Céloron de Bienville, avec 300 hommes, prendre possession de ce pays d’une manière solennelle.

Telles étaient les choses, lorsque M. de la Jonquière arriva en Canada, en 1749.

M. de Cornwallis, gouverneur de la Nouvelle- Écosse, connaissant le projet des Français, chercha, en 1750, à le faire échouer. Il se plaignit à M. de la Jonquière, qui lui répondit « qu’il n’avait aucune part aux mouvements des Acadiens ; mais que les officiers qui étaient dans ces cantons y demeuraient par ses ordres, pour garder ce pays comme appartenant à la France, en attendant la décision des limites ; qu’au reste, il ordonnait à ces officiers d’éviter toute difficulté avec les Anglais, mais cependant de se maintenir dans les postes qu’ils occupaient jusqu’à la décision de cette question[591].

Malgré les représentations de M de Cornwallis, M. de la Corne reçut l’ordre de bâtir un fort sur l’éminence de Beauséjour, qui donnait sur la Baie de Fundy. Les Anglais, de leur côté, en élevèrent un à Beaubassin, qu’ils nommèrent Lawrence. Ils y placèrent un commandant et une forte garnison.

Les difficultés qui survinrent alors en Amérique engagèrent les deux Cours à nommer la commission dont il était question dans le traité d’Aix-la-Chapelle. Cette : commission se réunit à Paris. Elle était composée de MM. Mildmay et Shirley, pour l’Angleterre, et de MM. de la Galissonuière et de Silhoutte, pour la France.

Les Commissaires exposèrent habilement leurs prétentions. L’Angleterre reclamait tout le territoire situé entre le fleuve et le golfe Saint-Laurent, l’Atlantique et une ligne tirée depuis le Kénébec au fleuve Saint-Laurent. La France reclamait le littoral de la Baie de Fundy, excepté la ville d’Annapolis, cédée par le traité d’Utrecht. Les Commissaires ne purent en venir à un accommodement sur cette grave question. Ils eurent de longues conférences pendant cinq ans ; mais il n’en résulta que plusieurs gros volumes de mémoires et de pièces justificatives. La question principale demeurait toujours indécise. Cependant, l’Angleterre ne retarda pas la guerre un instant, lorsqu’elle eut fait ses préparatifs[592].

Pendant ce temps, M. de la Jonquière mourut à Québec, au moïs de Mai 1752. Le Baron de Longueuil administra alors la colonie pendant quelques mois, jusqu’à l’arrivée du Marquis Duquesne de Menneville, nommé gouverneur du Canada.

À cette époque, la guerre devenait de plus en plus imminente. On croyait qu’elle éclaterait de jour en jour, à l’occasion de la question des limites de l’Acadie ; mais, contre toute prévision, elle devait commencer au sujet des frontières, du côté de la vallée de l’Ohio.

Pendant ce temps, les Abénakis, connaissant toutes ces menaces de guerre, étaient prêts à prendre les armes au premier ordre. M. de la Jonquière, convaincu que la paix ne durerait pas longtemps, s’était appliqué à les maintenir dans leur attachement aux Français, et ces sauvages lui avaient promis de demeurer fidèles à la cause de leurs alliés, comme par le passé[593].

Le Marquis Duquesne commença son administration par une revue générale des troupes et des milices. Il obligea tout le monde à servir, et mit les milices sur un pied respectable. Il fit voir qu’il était propre à commander.

On augmenta les fortifications de Beauséjour, et l’on envoya des troupes vers la Belle-Rivière, l’Ohio, Ces troupes se mirent en route en 1753, sous les ordres de M. Péan. Le gouverneur envoyait en même temps des instructions à M. de Contrecœur, commandant dans la vallée de l’Ohio, par lesquelles il lui enjoignait de s’efforcer d’empêcher les Anglais de faire des établissements en deçà des Appalaches et sur la Belle-Rivière, et de construire un fort pour la sûreté de sa garnison. Contrecœur, en obéissance à ces instructions, fit bâtir, en 1754, un fort à l’endroit où la petite rivière de la Monongahéla[594] se jette dans l’Ohio. Il le nomma fort Duquesne.

Le Marquis Duquesne fit aussi batir les forts Machault et de la Presqu’île, pour servir d’entrepôts au fort Duquesne.

Ce fut pendant l’accomplissement de ces ouvrages que M. de Contrecœur apprit qu’un corps considérable de troupes anglaises marchait contre lui, sous le commandement du colonel Washington. Il chargea alors M. de Jumonville d’aller le sommer de se retirer, parce qu’il était sur le territoire français. Jumonville, loin de se faire entendre, fut lâchement assassiné, ainsi que la plupart de ceux qui l’accompagnaient.

Le colonel anglais continua sa route, et alla construire le fort de la Nécessité, sur la Monongahéla.

Contrecœur, apprenant la mort de Jumonville, résolut de la venger de suite, et envoya M. de Villiers avec 600 Canadiens et 100 sauvages, attaquer les Anglais au fort de la Nécessité. Villiers attaqua résolument le fort. Les Canadiens, après un rude combat de dix heures, obligèrent Washington à capituler. Les Anglais s’engagèrent à retourner dans leur pays. Ils se retirèrent avec tant de précipitation qu’ils abandonnèrent leur drapeau[595].

Tel fut le commencement de cette grande guerre, où la France et l’Angleterre subirent de si grands échecs en Amérique.

Les Abénakis profitèrent de cette déclaration de guerre pour recommencer leurs courses dans la Nouvelle-Angleterre, ce qu’ils désiraient depuis deux ans. Le Gouvernement de Massachusetts, profitant du temps de paix, avait fait élever de nouveaux établissements dans le New-Hampshire, sur la rivière Connecticut. On projeta aussi de former des établissements militaires dans les townships de Coos. Un chemin devait être ouvert jusqu’à cette endroit, et on devait y établir deux villes[596], avec des magasins et des logements pour 200 hommes. Au printemps, 1752, plusieurs Anglais, engagés dans cette entreprise, remontèrent la rivière Connecticut, pour aller visiter l’endroit à établir. Ce mouvement fut connu par les Abénakis du Canada. Ces sauvages en furent mécontents, car ils prétendaient que cette partie du New-Hampshire leur appartenait. Plusieurs Abénakis de Saint-François furent alors députés pour s’opposer au projet des Anglais. Ils se rendirent à Charlestown, et informèrent le capitaine Stevens que, si les Anglais envahissaient leur territoire, ils le défendraient par les armes. Cette menace fut communiquée au gouverneur du New-Hampshire, qui la méprisa ; et les démarches des Anglais continuèrent.

En 1754, dès que les Abénakis eurent appris le commencement des hostilités entre les Anglais et les Français, dans la vallée de l’Ohio, ils se divisèrent en plusieurs bandes et se jetèrent sur les établissements du New-Hampshire. Un parti tomba sur Bakerstown, sur la rivière Pemigawassit[597], pilla et détruisit plusieurs édifices, tua ou fit prisonniers plusieurs Anglais.

D’autres sauvages attaquèrent Stevenstown, situé dans le voisinage de Bakerstown. Plusieurs habitants furent massacrés, et l’établissement fut entièrement détruit. Plusieurs autres établissements furent attaqués et détruits. Les habitants s’éloignèrent, et le Gouvernement de Massachusetts fut obligé de mettre des garnisons dans les places ainsi abandonnées.

Peu de temps après, un autre parti d’Abénakis se présenta près de Charlestown, à l’habitation d’un nommé James Johnson. Cette famille fut faite prisonnière et emmenée en Canada[598]. Bientôt, d’autres sauvages attaquèrent Keene, Walpole et plusieurs autres établissements, et firent de grands dommages aux colons [599].

Les Abénakis employèrent la plus grande partie de l’été et de l’automne de cette année à faire des courses dans la Nouvelle Angleterre. Ils semèrent partout la désolation et la mort. Ils ne craignirent pas même d’attaquer des garnisons, auxquelles ils firent subir de grandes pertes. Mais, comme ils n’avaient pas de commandants français, ils étaient mal dirigés et abandonnaient quelquefois le combat au moment où la victoire se déclarait en leur faveur. Ils s’enfuyaient alors dans la forêt avec un riche butin et un bon nombre de prisonniers.

Ce fut à cette époque que les Anglais formèrent leurs compagnies de « Rangers » qui leur furent très-utiles, surtout pour combattre les Abénakis. Ces compagnies furent appelées plus tard « les Rangers de Rogers », parcequ’elles furent placées sous le commandement du Major Robert Rogers. Plus tard, John Stark, le héros de Bennington en fut le capitaine. Stark avait été pris par les Abénakis, et après avoir demeuré quelque temps au milieu d’eux comme prisonnier, il put s’échapper[600].

Le major Rogers imagina de faire avancer ses « rangers » en deux rangs parallèles, lorsqu’il allait attaquer les sauvages. Il y avait alors moins de danger pour les embuscades, et les attaques de front ou de flanc. Cette pratique fut généralement suivie ensuite dans les guerres contre les sauvages[601].

L’Angleterre ayant terminé ses préparatifs de guerre, accorda de grosses sommes à ses colonies, et leur envoya pour commandant le général Edward Braddock, qui avait servi avec distinction dans les guerres d’Europe.

Voici quel était son plan d’opération contre le Canada. La vallée de l’Ohio devait être mise sous la la puissance des Anglais, après en avoir chassé les Français. Les forts Saint-Frédéric, Niagara et Beauséjour, devaient être attaqués[602].

Braddock partit de Cork, au commencement de Janvier 1755, et arriva le 20 Février, à Williamsbourg, en Virginie.

La France, voyant qu’il fallait faire la guerre en Amérique, réunit une flotte à Brest, et donna le commandement des troupes, destinées pour le Canada, au Baron Dieskau, qui s’était distingué sous le Maréchal de Saxe. Dieskau ne partit de Brest qu’à la fin d’Avril.

Le Gouvernement de Londres résolut de faire attaquer cette flotte. Il envoya, dans ce but, l’amiral Boscawen, qui partit de Plymouth le 27 avril. L’amiral anglais ne put rejoindre que deux vaisseaux français, près des bancs de Terreneuve : le Lis et l’Alcide. Ces deux vaisseaux furent cernés et forcés de se rendre, après avoir perdu beaucoup de monde. Les autres vaisseaux passèrent inaperçus, et arrivèrent heureusement à Québec. M. le Marquis de Vaudreuil-Cavagnal, qui venait remplacer M. Duquesne, était sur ces vaisseaux[603].

Braddock réunit à Alexandrie les gouverneurs des provinces, et les quatre expéditions suivantes furent organisées, Il marcherait lui-même, avec les troupes règlées, sur le fort Duquesne, dans la vallée de l’Ohio ; le gouverneur Shirley attaquerait le fort Niagara, avec les troupes provinciales ; le colonel Johnson attaquerait le fort Saint-Frédéric, avec les troupes des provinces du Nord ; et le colonel Monckton prendrait Beauséjour, avec les troupes de Massachusetts. Les Anglais avaient 15,000 soldats sur pied pour exécuter ces quatre expéditions[604].

Les derniers préparatifs de guerre étant faits, les Anglais et les Français se mirent en campagne. M. de Vaudreuil, ignorant le plan des Anglais, fit partir des troupes, sous le commandement de Dieskau, pour aller attaquer le fort Oswégo. Bientôt, la nouvelle de la présence de l’armée de Johnson sur le lac Saint-Sacrement fit différer l’expédition contre Oswégo, et Dieskau fut chargé d’aller s’opposer aux progrès de l’ennemi, du côté du fort Saint-Frédéric. Il se plaça sur le lac Champlain, avec près de 3,000 hommes. Parmi ces troupes il y avait environ 400 sauvages, dont la plupart étaient des Abénakis ; les autres étaient des Hurons et des Nipissings[605].

La première expédition que les Anglais exécutèrent fut l’attaque de Beauséjour. La flotte qu’on donna à Monckton se composait de trois frégates et de six bateaux. Il partit de Boston, le 20 Mai, et arriva à Chignectou[606], le 1 Juin, à six milles de Beauséjour. Du Chambon de Vergor, commandant de ce fort, ignorait complètement la présence des Anglais en cet endroit lorsqu’il en fut informé, le 2, par les habitants de Chipoudy. N’ayant aucun doute sur le dessein des Anglais, il invita les Acadiens à prendre les armes en toute hâte. Ceux-ci hésitèrent un peu ; cependant plusieurs de Mameramkouk, du Pont-à-Buot, de la Coupe et de la Baie-Verte vinrent s’unir à lui, ainsi que quelques Abénakis[607].

Monckton débarqua ses troupes sans difficulté, et alla camper près du fort Lawrence. Le 4 Juin, il sortit de son camp et s’avança vers le chemin de Buot, où il rencontra un détachement d’Abénakis et d’Acadiens. Les sauvages firent feu sur les Anglais ; mais, comme ils n’étaient qu’en petit nombre, ils furent bientôt forcés de prendre la fuite. Les Anglais allèrent se camper à la Butte-Amirande, à un peu plus d’un mille de Beauséjour. Vergor fit alors brûler l’église de Beauséjour et les maisons à l’entour du fort[608].

Quelques Abénakis erraient çà et là dans les environs du camp anglais. Un jour, ils firent prisonnier un officier anglais, nommé Hay, qu’ils emmenèrent à Beauséjour. Cet officier fut traité avec bonté[609].

Vergor invita tous les Abénakis de l’Acadie à prendre les armes pour la défense de Beauséjour. Mais le P. Germain, alors missionnaire de ces sauvages et dont la principale résidence était à la rivière Saint-Jean, ne voulut pas y consentir. Le Père, prévoyant le malheureux sort des Acadiens, ne voulait pas exposer ses sauvages au même malheur. Il se contenta de répondre que ses sauvages ne pouvaient abandonner leur poste, parcequ’ils avaient à craindre pour eux, comme les Acadiens[610].

Ce refus fut une des principales causes de la perte de Beauséjour.

Enfin, le 16 Juin, Vergor, voyant qu’il ne pouvait recevoir de secours, ni du Canada, ni de Louisbourg, ni des Abénakis, résolut de livrer son fort aux Anglais. Il écrivit à Monckton, demandant une suspension d’armes, afin d’écrire les articles de capitulation. La place fut rendue le même jour. Les troupes françaises sortirent du fort, avec les honneurs de la guerre, et furent transportées à Louisbourg. Le fort Gaspareaux se rendit aux mêmes conditions[611].

Après la prise de Beauséjour, les Anglais envoyèrent trois vaisseaux à la rivière Saint-Jean, pour s’emparer du fort que les Français y avaient élevé. Boishébert, commandant de ce fort, voyant qu’il lui était impossible de le défendre, le fit brûler et se retira. Il réunit un certain nombre d’Abénakis et d’Acadiens, et alla repousser les Anglais en différents endroits, mais il ne put les empêcher de brûler tous les établissements[612].

Bientôt, les Acadiens émigrèrent au Cap Breton, à l’Isle Terreneuve, à Miramichi, à la Baie-des-Chaleurs et à Québec. Ils offraient partout le spectacle d’une profonde misère. Environ 11,000 émigrèrent alors[613].

Il ne restait plus dans l’isthme que 5,000 à 6,000 Acadiens. Le gouverneur Lawrence résolut de les disperser dans les colonies anglaises. Afin qu’aucun ne put s’échapper, on ordonna le secret le plus inviolable touchant cette résolution. L’enlèvement des habitants devait se faire, le même jour et à la même heure, dans toutes les parties de l’Acadie. Le 5 Septembre, 1755, on convoqua, dans chaque paroisse, une assemblée des habitants, sous prétexte de leur communiquer un message important du gouverneur. Un certain nombre d’habitants, surtout de Beaubassin et d’Annapolis, se doutant de quelque chose, se réfugièrent dans les bois et vers les postes français les plus voisins. Mais dans le district des Mines, le plus riche de l’Acadie, le complot des Anglais réussit parfaitement. Les habitants se rendirent à l’appel du gouverneur. Ils furent aussitôt cernés par des troupes ; on leur annonça qu’ils étaient prisonniers de guerre, et qu’ils seraient conduits dans les colonies anglaises. Ces malheureux furent entassés, le 10 Septembre, sur des vaisseaux anglais, qui allèrent les jeter sur le rivage, depuis Boston jusqu’à la Caroline, sans pain et sans protection. Quelques-uns de ces exilés se réfugièrent ensuite à la Louisiane, d’autres à la Guyanne française[614].

C’est ainsi que les malheureux Acadiens furent arrachés et bannis de leur pays.

Les Abénakis, épouvantés à la vue d’un pareil spectacle, s’enfuyaient dans les forêts. Le malheur de leurs amis, et parents par les femmes, les affligeait profondément. Ils n’avaient pas tout-à-fait le même sort que les Acadiens, parce qu’ils étaient insaisissables ; mais ils demeuraient malheureux dans l’Acadie, devenue pour eux comme un immense et affreux désert. Tous les forts, où ils se réunissaient si souvent pour visiter leurs protecteurs, avaient été brûlés. Ces sauvages restaient sans amis, sans protecteurs, pour être désormais à la merci de leurs ennemis.

Telles étaient les craintes et l’affliction des Abénakis de l’Acadie, à la suite de l’expédition de 1755.

Ces craintes se sont réalisées depuis ; car ces sauvages ont mené une bien triste existence dans ce pays, depuis cette époque. Ils ont été refoulés et reculés de place en place. Aujourd’hui, les restes de cette malheureuse nation ont à peine un petit coin de terre pour se retirer, dans le Nouveau-Brunswick et dans le Maine.

Nous avons déjà dit que les Abénakis, qui existent actuellement dans le Maine, résident à Old-Town, sur la rivière Penobscot ; ceux du Nouveau-Brunswick sont sur les rivières Tobique[615] et Saint-Jean.



CHAPITRE SEIZIÈME.

les abénakis à la bataille de la monongahéla. etc.

1755.

Tandis que la guerre et l’incendie transformaient en déserts le pays de l’Acadie, Braddock faisait ses préparatifs pour aller chasser les Français de la vallée de l’Ohio. Il se mit en marche, avec une armée de 2,200 hommes. Comme il ne pouvait avancer que fort lentement, à travers les forêts et les rivières, il laissa 1,000 hommes, sous les ordres du colonel Dunbar, et prit les devants, avec le reste de son armée. Le 9 Juillet, de grand matin, il traversa la rivière de la Monongahéla, à environ quinze milles du fort Duquesne, et s’avança rapidement de l’autre côté de la rivière. À midi, il n’était qu’à dix milles du fort français, dans une plaine unie, d’un demi-mille de large.

M. de Contrecœur, commandant du fort, avait été informé, dès le matin, que les Anglais n’étaient qu’à six milles. Il résolut aussitôt d’envoyer M. de Beaujeu pour attaquer l’ennemi sur la route. M. de Beaujeu sortit du fort, avec 100 soldats, 200 Canadiens et 600 à 700 sauvages, dont près de 200 étaient des Abénakis : bientôt, il rencontra les ennemis, et, sans perdre un instant, fit ouvrir sur eux un feu si vif que leur avant-garde fut repoussée. Ce mouvement lui donna le temps de ranger son armée en bataille. Il plaça les Canadiens sur la route, et mit les Abénakis et les autres sauvages en avant, chaque côté de la route, les disposant de manière à former un demi-cercle.

Les Anglais, revenus de leur surprise, se remirent en route. Lorsqu’ils ne furent qu’à une petite distance des Canadiens, les sauvages se précipitèrent sur eux et les assaillirent d’une grêle de balles. Bientôt, la confusion se mit dans les rangs des ennemis ; mais, l’ordre s’étant rétabli parmi eux, ils commencèrent à tirer. Ce fut alors que M. de Beaujeu fut tué. Dumas le remplaça et se jeta avec impétuosité sur l’ennemi. Le combat devint très-violent. Enfin, les Anglais, pressés par un feu meurtrier, tombèrent dans une confusion complète. Ils tiraient alors au hasard, tuant leurs camarades et leurs officiers. Les Abénakis et les Canadiens se précipitèrent la hache à la main sur eux, les mirent en fuite de toutes parts, et en firent un grand massacre. Ceux qui ne tombaient pas sous leurs haches se précipitaient dans la rivière Monongahéla, et s’y noyaient[616].

Braddock, après avoir eu trois chevaux tués sous lui, fut blessé mortellement. Il expira quatre jours après.

Les Anglais perdirent dans cette bataille près de 800 hommes. Vingt-six officiers furent tués, et trentesept blessés. Les Français ne perdirent qu’une trentaine d’hommes, soldats et sauvages, et trois officiers[617].

La nouvelle de la défaite de Braddock jeta la crainte et la consternation dans les colonies anglaises. Les colons croyaient déjà voir les Abénakis sortir des forêts pour venir piller et détruire leurs établissements. L’épouvante était telle que les prédicateurs furent obligés de monter dans les chaires, pour rassurer et calmer le peuple.

La victoire de la Monongahéla assura aux Français la possession de la vallée de l’Ohio, pour cette campagne, et leur donna une nouvelle preuve du courage et de la valeur de leurs fidèles Abénakis.

Pendant que les Français repoussaient les Anglais dans la vallée de l’Ohio, Johnson et Shirley se mettaient en marche pour aller attaquer les forts Saint-Frédéric et Niagara.

Nous avons vu que Dieskau s’était placé sur le lac Champlain. Ce fut là qu’un grand nombre d’Abénakis et d’autres sauvages vinrent le rejoindre, au commencement de Septembre. Il apprit bientôt que Johnson était sur le lac Saint-Sacrement, avec 2,500 hommes, qu’il s’y retranchait, et qu’il attendait encore d’autres troupes. Il résolut d’aller l’attaquer avant l’arrivée de ce renfort de troupes. Il plaça les Canadiens sous les ordres de M. de Repentigny, et les sauvages, sous ceux de M. le Gardeur de Saint-Pierre, réservant pour lui-même le commandement des troupes règlées ; puis, il partit pour le lac Saint-Sacrement, laissant la moitié de son armée au fort Saint-Frédéric, pour assurer sa retraite au cas d’un échec.

Les Abénakis et les Canadiens murmurèrent fortement à l’égard de cette division de l’armée. Ils représentèrent à Dieskau qu’ils se trouvaient trop faibles pour aller attaquer 2,500 Anglais, et peut-être un plus grand nombre. Mais Dieskau n’écouta pas ces sages remarques, et persista dans sa résolution, malgré que M. de Vaudreuil lui eût expressément recommandé de n’attaquer l’ennemi qu’avec toutes ses forces réunies. Il voulait remporter une victoire plus éclatante que celle de la Monongahéla. Cette ambition fut la principale cause de sa perte[618].

Dieskau se mit donc en marche, avec 1,500 hommes seulement, y compris les Abénakis et les autres sauvages. Bientôt, il rencontra un parti d’ennemis, d’environ 800 hommes, qu’il mit à la disposition des sauvages. Les Abénakis se jetèrent sur ces ennemis, et les dispersèrent en un instant[619].

Pour éviter les Anglais, Dieskau prit la voie de l’eau. Il tint sa marche secrète, mais la précipita. Il remonta sur des bateaux jusqu’à la Baie du Sud (South Bay), un peu plus haut que l’endroit nommé actuellement Whitehall. De là, il se dirigea sur le portage, et, le 7 Septembre au soir, il était sur le bord de l’Hudson, à trois milles d’un parti anglais, réfugié dans le fort Édouard, qu’on venait d’élever. Il avait le dessein d’attaquer ce parti dès le lendemain matin ; mais les Abénakis, déjà fort mécontents de ce qu’on avait laissé à Saint-Frédéric la moitié de l’armée, déclarèrent hautement qu’ils ne combattraient pas, parceque le fort Édouard était situé sur le territoire anglais ; mais qu’ils étaient prêts à marcher contre Johnson, établi sur le territoire français. Les Canadiens appuyèrent l’avis des Abénakis[620]. Le général fut obligé de renoncer à son dessein d’aller attaquer le fort Édouard, et, le lendemain, il se mit en marche vers le camp de Johnson, éloigné d’environ quinze milles.

Johnson, qui avait appris que Dieskau devait attaquer le fort Édouard, avait envoyé, dès le matin, 1,200 hommes, sous le commandement du colonel Williams, pour se mettre en embuscade sur la route des Français. Dieskau fut informé de l’approche de ce détachement, à quatre milles du camp de Johnson. Il disposa alors ses troupes pour l’attaquer, plaça les sauvages en avant, chaque côté de la route, avec ordre de se coucher ventre-à-terre dans le bois, et de n’attaquer l’ennemi que lorsque le feu serait commencé. Mais les sauvages, trop ardents pour le combat, se découvrirent avant le moment indiqué, et furent aperçus des Anglais. Néanmoins, Dieskau ordonna aussitôt l’attaque. Dès le commencement du combat, le commandant des sauvages, le Gardeur de Saint-Pierre, fut tué. Alors les Abénakis s’élancèrent sur l’ennemi et combattirent avec fureur, pour venger la mort de leur Chef[621]. Les Anglais furent bientôt mis en déroute, après avoir perdu beaucoup de monde. Les Abénakis poursuivirent l’ennemi la hache à la main. Johnson envoya aussitôt un autre détachement au secours du premier, mais, ne pouvant résister à l’impétuosité des Abénakis et des Canadiens, ce détachement recula et prit bientôt la fuite[622].

Dieskau désirait profiter du désordre où se trouvaient les Anglais pour continuer sa marche, au pas de course, et entrer avec les fuyards dans le camp de Johnson ; mais ses troupes étaient trop fatiguées pour exécuter un projet si hardi. Les Abériakis étaient encore plus fatigués que les soldats. Ils avaient marché depuis le matin au côté de la route, à travers la forêt et d’épaisses broussailles. La fatigue de cette marche difficile et le rude combat qu’ils venaient de supporter les avaient complètement épuisés. Aussi, la plupart refusèrent d’aller plus loin[623]. Ils s’arrêtèrent pour recueillir leurs blessés et se reposer un peu. Les Chefs sauvages murmurèrent hautement contre le général, et firent arrêter plusieurs de leurs guerriers qui voulaient continuer la marche. Le Chevalier de Montreuil, qui assistait à cette expédition, écrivit à ce propos « que la moitié des sauvages et des Canadiens s’en tinrent à leur première victoire »[624].

Dieskau, vu la mésintelligence qui existait entre lui et ses troupes, eut probablement mieux fait de s’en tenir, lui aussi, à cette première victoire. Cependant, il continua sa marche, et arriva près des retranchements de Johnson, vers 11 heures du matin, n’ayant avec lui que 700 à 800 hommes.

Vers 11 heures et demie, les Français attaquèrent résolument les retranchements de Johnson. Après un feu bien nourri, ils s’élancèrent avec impétuosité pour entrer dans les retranchements. Plusieurs y pénétrèrent, mais ils furent forcés de reculer. Bientôt, ils reprirent l’assaut avec une nouvelle ardeur, et combattirent jusqu’à 2 heures, où ils furent encore repoussés.

Pendant ce temps, un certain nombre d’Abénakis et de Canadiens arrivèrent au champ de bataille. Ils comprirent de suite que les tentatives du général étaient inutiles, et qu’il lui était impossible de résister avec si peu de forces à la formidable artillerie des Anglais[625]. Cependant, ils résolurent de harceler l’ennemi, afin de tâcher de diminuer le feu d’artillerie qu’il dirigeait constamment sur les troupes françaises. Les uns se dispersèrent à gauche, dans la forêt, les autres se placèrent à droite, sur une petite montagne, qui dominait le camp anglais. De là, ils dirigèrent un feu bien nourri dans les retranchements de l’ennemi. Les Anglais, s’apercevant bien vite des ravages que les Abénakis faisaient dans leurs rangs, firent plusieurs tentatives pour les chasser de l’éminence qu’ils occupaient ; mais leurs efforts furent inutiles : les sauvages tinrent fermes et conservèrent leur position le reste de la journée. Sans ce secours des Abénakis et des Canadiens les troupes règlées eussent peut-être été entièrement détruites.

Les Anglais furent étonnés du courage et de l’intrépidité des Abénakis en cette occasion. Le général Pomeroy, alors colonel dans les milices de New-York, écrivait à ce sujet ce qui suit, en date du 10 Septembre 1755. « The Canadians and Indians at the left having come helter skelter, the woods being full of them, running with undaunted courage right down hill upon us, expecting to make us flee, as they had before done at…, and just now did to our men  ».

On voit par là que les Anglais pensaient être attaqués par un nombre considérable d’Abénakis ; mais il est bien constaté qu’il n’y avait pas plus de 200 de ces sauvages en cette occasion.

Dieskau vit avec désespoir reculer ses soldats pour la seconde fois. Il se mit alors à leur tête, et les conduisit à un troisième assaut. Ce fut alors qu’il reçut, presqu’en même temps, trois coups de feu. On le porta au pied d’un arbre. On voulut le transporter ailleurs, afin de le mettre plus en sûreté, mais il s’y opposa ; disant « que le lit où il se trouvait était aussi bon pour mourir que celui qu’on voulait lui donner » [626].

Il confia alors le commandement de son armée au Chevalier de Montreuil. Le nouveau commandant encouragea les troupes, afin de les engager à tenter un quatrième assaut ; mais il ne put y réussir, et l’armée commença à se retirer.

Il est fort probable que le Chevalier de Montreuil aurait réussi à déloger les Anglais dans ce quatrième assaut, car ils avaient été tellement ébranlés dans les attaques précédentes, et étaient tellement harcelés par le feu continuel des Abénakis qu’ils étaient entièrement découragés et sur le point de se retirer[627]). Ils ne furent sauvés en cette occasion que par leur forte artillerie. C’est ce qu’ils avouèrent eux-mêmes. Voici ce que nous lisons à ce sujet dans les documents de Londres. « Our artillery played briskly on our front the whole time, and the breast work secured our men. They (French) made a bold attack and maintened it bravely ; our cannon and breast work saved us ». Aussi, les Anglais virent avec plaisir la retraite des Français, et ne songèrent pas à les poursuivre.

Cependant, les Abénakis et les Canadiens, ignorant la retraite des troupes, demeurèrent maîtres de l’éminence qu’ils occupaient, et continuèrent leur fusillade le reste de la journée ; puis ils se retirèrent sans être inquiétés, et allèrent rejoindre le reste de l’armée à Saint-Frédéric.

Les pertes des Français furent moins considérables qu’on ne l’avait pensé d’abord. Ils perdirent à-peu-près la moitié des troupes réglées et le quart des Abénakis et des Canadiens qui avaient combattu aux retranchements, c’est-à-dire, environ 400 hommes. Les pertes des Anglais furent beaucoup plus considérables. Johnson et le major Nichols furent blessés[628].

Après la retraite des Français, les Anglais firent prisonnier le général Dieskau. Ils le comblèrent d’éloges, le traitèrent avec bonté et le firent conduire à Boston, d’où il repassa en France. Il mourut en 1767, à Surène, près de Paris, des suites de ses blessures.

Dieskau dut sa perte à l’attachement ridicule qu’il avait pour la discipline européenne, et au mépris qu’il fit des instructions de M. de Vaudreuil ; ce qui souleva des murmures et de graves mécontentements parmi les Canadiens et les Abénakis, accoutumés à un commandement tout différent. Ce général fit l’imprudence d’attaquer, avec une armée faible et mécontente, des troupes bien retranchées et trois fois plus nombreuses que les siennes. Par cette imprudence et par la manière rude dont il traita ses troupes, et surtout les sauvages, il fit perdre aux Canadiens la confiance qu’ils avaient en l’habileté des officiers européens. Aussi, on écrivit alors à la Cour de France « que les Canadiens ne marcheraient plus avec la même confiance sous les ordres d’un commandant des troupes de France que sous ceux des officiers de la colonie ».

Cependant, la défaite de Dieskau ne fut pas une véritable victoire pour les Anglais, car leurs troupes furent tellement intimidées qu’elles refusèrent d’aller plus loin. De là, ils furent forcés de renoncer à leur projet de s’emparer des forts Saint-Frédéric et Niagara.

Bientôt, les colons anglais, croyant la route de Montréal désormais ouverte, commencèrent à s’étonner de l’inaction de Johnson. On lui ordonna même de marcher en avant. Alors, il écrivit qu’il lui était impossible de continuer sa campagne, que ses troupes manquaient des choses les plus nécessaires, et que la manière dont les Français les avaient attaquées leur avait inspiré une telle terreur qu’elles refusaient d’aller les attaquer sur le territoire français[629]. L’armée anglaise fut alors licenciée. On ne conserva que quelques troupes, pour la garde du fort Édouard et du camp du lac Saint-Sacrement. Ce camp fut converti en forteresse, et on lui donna le nom de William-Henry [630].

Ainsi, les trois principales expéditions des Anglais, celles des forts Duquesne, Saint-Frédéric et Niagara, échouèrent complètement, et, à la fin de la campagne, les Français occupaient encore les positions qu’ils avaient au printemps, excepté Beauséjour.

M. de Vaudreuil, connaissant combien il lui était important de se maintenir à la tête du lac Champlain, envoya alors M. de Lotbinière, avec un détachement d’Abénakis et de Canadiens, pour bâtir un fort à Carillon. Il ordonna d’y mettre une garnison, afin de s’opposer plus facilement aux mouvements des Anglais, s’ils venaient à descendre, soit par la route de Whitehall, soit par le lac Saint-Sacrement, et afin de protéger plus sûrement le fort Saint-Frédéric.

À cette époque, on gardait avec les troupes, au fort Saint-Frédéric, un certain nombre de guerriers abénakis, qui servaient d’éclaireurs dans les forêts et sur le lac Champlain. Ces fidèles sauvages, sans cesse en courses, connaissaient tous les mouvements des Anglais et en informaient les Français. De cette manière, M. de Vaudreuil apprenait promptement toutes les démarches de l’ennemi, de ce côté.

Les échecs des Anglais, dans la campagne de 1755, furent suivies, pendant l’hiver, de grands désastres dans leurs colonies. Les bandes abénakises et canadiennes furent lancées sur leurs établissements ; les Shawnees franchirent les montagnes, et allèrent dévaster la Virginie[631]. Les établissements anglais furent ravagés, pillés et détruits, depuis Albany jusqu’à la rivière Merrimack, et depuis la Nouvelle-Écosse jusqu’à la Virginie. Plus de 1,000 habitants furent massacrés ou faits prisonniers par ces terribles guerriers, qui ne laissaient que des ruines sur leur passage[632].

Voici ce qu’un historien américain, Minot, écrivait à ce sujet. « Quatre armées étaient sur pied pour repousser les empiètements des Français ; nos côtes étaient gardées par la flotte du brave et vigilant Boscawen ; nous n’attendions qu’un signal pour nous emparer de la Nouvelle-France. Mais quel n’est point notre désappointement ? Nous avons réussi en Acadie, il est vrai, mais Braddock, a été défait ; mais Niagara et Saint-Frédéric sont encore entre les mains des Français ; mais les barbares ravagent nos campagnes, égorgent nos habitants ; nos provinces sont déchirées par les factions, et le désordre règne dans nos finances »[633].

Ainsi, pendant l’hiver 1755-1756, les Abénakis profitèrent du désarroi et de la terreur qui règnaient dans les provinces anglaises pour venger d’une manière éclatante le malheur de leurs infortunés amis et alliés, les Acadiens.



CHAPITRE DIX-SEPTIÈME.

Les abénakis à la bataille d’oswego. etc.

1756.

Pour la campagne de 1756, la France envoya en Canada deux bataillons et des recrues pour complèter ceux qui y étaient déjà ; elle envoya, de plus, des vivres et 1,300,000 francs. Le Marquis de Montcalm fut choisi pour remplacer le général Dieskau.

Montcalm arriva à Québec, dans le mois de Mai 1756, accompagné du Chevalier de Lévis, de MM. de Bougainville, de Bourlamaque et de plusieurs autres officiers distingués. Il alla de suite à Montréal rejoindre M. de Vaudreuil, qui se tenait dans cette ville pour être plus à portée de connaître les mouvements des Anglais.

Les forces armées pour défendre la Nouvelle-France, depuis le Cap Breton jusqu’aux Illinois, pendant la campagne de 1756, s’élevaient à 15,000 hommes.

Tels étaient les préparatifs de la France pour cette campagne.

L’Angleterre fournit les sommes d’argent et les troupes qu’on lui demanda pour venger les défaites de l’année précédente. Le général Abercromby fut envoyé, avec deux nouveaux régiments, et la somme de £115,000, sterling, fut accordée pour aider à armer les milices dans les colonies.

Les gouverneurs des colonies anglaises se réunirent à New-York, et il fut décidé de lever 10,000 hommes, pour s’emparer du fort Saint-Frédéric, 6,000, pour prendre celui de Niagara, 3,000, pour marcher vers la vallée de l’Ohio, et 2,000, pour marcher vers Québec, en descendant par la rivière Chaudière. Les troupes des Anglais pour cette campagne se montèrent à environ 25,000 hommes[634].

M. de Vaudreuil avait à cœur de s’emparer du fort Oswégo (Chouaguen), que les Anglais avaient bâti sur le territoire français. Il avait formé ce projet dès l’année précédente, mais, comme nous l’avons vu, il avait été forcé d’en différer l’exécution. Pendant l’hiver, 1755-1756, il avait tenu en campagne des partis de Canadiens et d’Abénakis, entre Albany et Oswégo, afin de détruire les petits forts qui y étaient établis et qui servaient de voie de communication aux Anglais.

Au printemps, la lenteur des colonies anglaises à lever leurs troupes lui donna le temps de prendre les mesures nécessaires pour exécuter plus sûrement son projet.

Il y avait entre Albany et Oswégo un fort nommé Bull[635], qui renfermait un dépôt considérable de vivres et de munitions. Le gouverneur résolut de détruire ce fort. Il envoya, au mois de Mars, M. Chaussegros de Léry, avec 96 soldats, 166 Canadiens et 82 sauvages, dont la plupart étaient Abénakis, pour exécuter ce projet[636]. M. de Léry partit sur les glaces, et se rendit à travers les forêts et les montagnes, par des routes que les Abénakis seuls connaissaient, à une petite distance du fort Bull, où il s’arrêta, pour prendre quelques connaissances des lieux ; puis ensuite, il marcha résolument à l’attaque du fort. Il espérait le prendre par surprise ; mais les Abénakis, ayant poussé leur cri de guerre trop vite, donnèrent l’alarme aux Anglais ; ceux-ci eurent le temps de fermer le fort et de se mettre en défense.

De Léry fit sommer le commandant de se rendre ; mais celui-ci lui répondit par une fusillade. Alors, le combat s’engagea. Après une heure de lutte, les palissades furent renversées ; les Canadiens et les sauvages entrèrent dans le fort, la hache à la main, et tuèrent tous ceux qu’ils rencontrèrent. Quelques hommes seulement de la garnison purent s’échapper. Trente furent faits prisonniers et emmenés à Montréal[637].

De Léry, étant maître du fort, commença à faire jeter à l’eau les barils de poudre, en les faisant défoncer. Mais, le feu ayant pris à une maison, il fut obligé de se retirer avec précipitation, craignant que la poudre ne prit feu. À peine était-il à quelques arpents que le fort sauta. La commotion fut si forte que toute la troupe, saisie d’effroi, tomba à genoux. Tout fut consumé par les flammes[638].

Cette perte considérable retarda beaucoup les préparatifs des Anglais.

Après cette expédition, M. de Vaudreuil envoya M. de Villiers, au commencement d’Avril, avec 800 hommes, pour observer les environs d’Oswégo, et inquiéter les Anglais. Il y avait dans ce détachement environ 100 Abénakis. M. de Villiers alla se camper près de la rivière-aux-sables, à environ dix-huit milles au Sud-Ouest de l’endroit actuellement nommé Sacket’s-Harbour. Il y fit construire un petit fort en pieux. Ce fort était dérobé à la vue par les broussailles qui l’entouraient, et était d’une accès difficile.

Villiers eut plusieurs escarmouches avec les Anglais. Il pilla leurs munitions, et les réduisit à prendre les plus grandes précautions pour faire rendre des vivres à Oswégo. Enfin, le 8 Juillet, il attaqua un convoi de 300 à 400 bateaux. Après un combat de près de trois heures, il les dispersa. Les Abénakis levèrent des chevelures et firent un grand nombre de prisonniers. Cependant, ils agirent encore avec trop de précipitation et perdirent quelqu’avantage[639]. M. de Montcalm, dans une lettre, datée du 10 Juillet 1756, dit « que l’avantage aurait été plus considérable si les sauvages n’avaient pas attaqué trop tôt. »

À la suite de ces succès, l’attaque du fort Oswégo fut définitivement décidée.

Cependant, les Iroquois, craignant qu’après la prise de ce fort les Français ne pénétrassent dans leur pays, s’assemblèrent et résolurent de s’opposer à l’exécution de ce projet. Ils députèrent à Montréal trente de leur nation, pour traiter de cette affaire avec M. de Vaudreuil. Le harangueur iroquois dit « que si jusqu’alors sa nation ne s’était pas rendue aux sollicitations de ses frères français, ce n’était pas par un mauvais principe ; que son intérêt avait exigé qu’elle se tint dans une parfaite neutralité ; que sa situation ne lui permettait pas de se déclarer pour l’un ou pour l’autre, sans voir périr ses familles et exposer sa tranquillité ; mais que, si Ononthio avait pour les Iroquois la même bonne volonté dont il leur avait jusqu’à présent donné des marques, il le priait de ne pas « barrer le chemin » de Montréal à Oswégo, et de ce dernier endroit au Rocher-fendu »[640].

Le gouverneur répondit qu’il ne pouvait se rendre à cette demande ; que l’usage de ses jeunes gens et de ses guerriers était d’aller chercher leurs ennemis partout et de les combattre où ils les rencontraient, qu’il ne pouvait les en empêcher ; mais que quant aux Iroquois, on ne leur ferait aucun mal, pourvu qu’ils ne fussent pas avec les Anglais. Il fit ensuite des présents aux députés, et les renvoya[641].

Il fit alors les derniers préparatifs de l’expédition contre Oswégo. Il envoya ses éclaireurs abénakis et canadiens entre Albany et Oswégo, afin d’interrompre les communications entre ces deux places.

Montcalm, après avoir été à Carillon avec grand bruit, pour attirer l’attention des Anglais de ce côté, revint secrètement à Montréal, et partit, le 21 Juillet, pour aller rejoindre les troupes réunies à Frontenac, sous les ordres de Bourlamaque. Il partit de Frontenac, le 5 août, et arriva le même jour à la baie de Niaouari[642], à environ quarante-cinq milles d’Oswégo. Cet endroit était le rendez-vous général. Les troupes qu’il attendait y arrivèrent le 8. Toutes les troupes réunies formèrent environ 3,100 hommes, y compris environ 300 sauvages[643], dont la plupart étaient Abénakis.

Voici comment les guerriers abénakis furent distribués pour la campagne de 1756. Ceux de l’Acadie furent mis sous les ordres de M. de Boishébert, pour la défense des frontières, de ce côté. En Canada, environ 200 furent envoyés à Oswégo, sous les ordres de M. Rigaud de Vaudreuil, frère du gouverneur, environ 100 furent placés à Carillon et au fort Saint-Frédéric, 50 servirent d’éclaireurs entre Albany et Oswégo, et quelques uns furent envoyés, dès le printemps, à Niagara avec les troupes.

Montcalm partit de la baie de Niaouari pour se diriger vers Oswégo. Il ne marchait que la nuit, afin de ne pas laisser apercevoir son armée, et se retirait le jour dans le bois. Il arriva, le 10, à environ deux milles d’Oswégo, sans avoir été découvert.

Il y avait trois forts à Oswégo : Oswégo, Ontario et Georges. Le fort Oswégo était situé à droite, à l’embouchure de la rivière du même nom. Quoique placé sur une éminence, ce fort était peu susceptible de défense. Les Anglais y avaient fait des retranchements, qui remontaient jusque sur le sommet de l’éminence. Ce fort n’était qu’une grande maison en pierre, entourée d’une muraille, garnie de dix-huit canons et de quinze mortiers. Le colonel Mercer en était le commandant. Sous le fort était une rue, où habitaient des marchands et quelques artisans. Le fort Ontario était situé à gauche de la rivière, vis à-vis du premier. Il était entouré d’une terrasse en palissades. Pepperell y commandait. Le fort Georges était situé sur une hauteur, à environ 800 toises plus haut que celui d’Oswégo, en remontant la rivière. Il était défendu par un détachement de troupes, sous les ordres de Shuyler. Ces trois forts avaient une garnison d’environ 1,700 hommes[644].

Montcalm employa les journées du 11 et du 12 à faire ouvrir, dans la direction du fort Ontario, une route à travers la forêt et les marais, pour faire passer l’armée et l’artillerie. Le 12, à minuit, il fit ouvrir la tranchée, à 80 toises du fort, avec trente-deux pièces de canon et plusieurs mortiers et obusiers, malgré le feu continuel de l’artillerie des assiégés. Le lendemain, le colonel Mercer, qui s’était transporté dans le fort Ontario, encloua ses canons, évacua le fort, sans en attendre l’assaut, et se retira à Oswégo. Il envoya alors 370 hommes, avec ordre de tenir la communication libre entre les forts Oswégo et Georges.

Le 14, de grand matin, Rigaud de Vaudreuil traversa la rivière à la nage avec ses Abénakis, pour aller se placer entre les deux forts. Les Abénakis attaquèrent vigoureusement le détachement que Mercer y avait envoyé, le chassèrent en un instant, et devinrent maîtres de tout le terrain situé entre les deux forts. Par ce coup hardi et inattendu, ils jetèrent la consternation parmi les assiégés[645].

Montcalm établit promptement une batterie, du côté Est de la rivière, en face du fort Oswégo, et fit aussitôt ouvrir un feu continuel contre les retranchements ennemis, À 7 heures du matin, le colonel Mercer fut tué, lorsque déjà un grand nombre de ses soldats étaient tombés. Les Anglais, voyant alors qu’il leur était impossible de se maintenir dans leur fort, demandèrent à capituler[646].

Tandis que Montcalm pressait le siége d’Oswégo, le général Webb, avec un détachement de 2,000 hommes, venait au secours des assiégés. À 4 heures du matin, Mercer lui avait écrit pour lui apprendre sa pénible position et lui dire de se hâter. Cette lettre fut interceptée par les Abénakis et portée au général français. Webb ayant appris à Wood’s-Creek la capitulation d’Oswégo, retourna précipitamment sur ses pas.

La capitulation fut signée à 11 heures du matin. La garnison des deux forts et les équipages des vaisseaux furent faits prisonniers, formant environ 1,400 soldats, 300 matelots, 80 ouvriers et une centaine de femmes et d’enfants. On prit 7 bâtiments de 8 à 18 canons, 200 bateaux, 117 pièces de canon, 14 mortiers, 730 fusils, 5 drapeaux, une immense quantité de vivres et de munitions, et la caisse militaire, contenant 18,000 francs[647].

Les Anglais perdirent environ 150 hommes dans le siége d’Oswégo, y compris quelques soldats, qui, voulant s’enfuir dans la forêt, tombèrent sous la hache des Abénakis. Les Français n’eurent que 30 hommes tués ou blessés[648].

Comme ces forts étaient dans le voisinage des Anglais et qu’il aurait fallu, pour les conserver, une forte garnison que la situation de la colonie ne permettait pas d’entretenir, le gouverneur ordonna de les raser. Les Iroquois virent avec satisfaction tomber ces établissements, élevés au milieu de leur territoire.

Dans cette expédition, les Abénakis furent ceux qui contribuèrent le plus à la victoire des Français. Leur intrépidité et leur héroïque courage, en traversant à la nage la rivière Oswégo, sous la fusillade de l’ennemi, en chassant les troupes placées entre les forts Oswégo et Georges et en se rendant maîtres de ce terrain, firent plus d’effet sur les Anglais que le feu de la batterie de Montcalm, et amenèrent promptement la reddition de l’ennemi. En s’emparant de ce terrain, les sauvages mirent les Anglais dans l’impossibilité de recevoir du secours, ou de s’enfuir, dans le cas d’une défaite. Aussi, Mercer, en apprenant cette nouvelle, tomba dans un découragement complet et ses troupes furent consternées. Dès lors, les Anglais ne songèrent plus qu’à se rendre, pour ne pas s’exposer à être tous massacrés par les sauvages.

Les Abénakis furent mécontents de la prompte reddition du fort Oswégo, car ils se promettaient de bien venger l’échec de la campagne précédente, au lac Saint-Sacrement. Aussi, lorsqu’ils virent les Anglais se rendre, ils se jetèrent sur des prisonniers isolés et les massacrèrent, entrèrent dans les hôpitaux et levèrent la chevelure à un grand nombre de malades. Près de 100 personnes devinrent ainsi leurs victimes. Montcalm eut beaucoup de peine à faire cesser ce désordre, et, pour y réussir, il fut obligé de promettre aux sauvages de riches présents. Voici ce qu’il écrivit à la Cour de France à ce sujet. « Il en coûtera au roi 8,000 à 10,000 livres qui nous conserveront plus que jamais l’affection des nations ; et il n’y a rien que je n’eusse accordé plutôt que de faire une démarche contraire à la bonne foi française »[649].

La victoire d’Oswégo causa une grande joie dans tout le pays. Partout, chez les sauvages comme chez les Canadiens, on se livra à de grandes réjouissances. Un « Te Deum » fut chanté dans les églises de Montréal, des Trois-Rivières et de Québec, et l’on suspendit dans ces églises les drapeaux pris sur l’ennemi. Les Abénakis assistèrent, en grand nombre, à ces solennités. Ces fêtes étaient bien propres à entretenir leur ardeur pour la cause des Français[650].

Les Anglais regrettèrent beaucoup la perte d’Oswégo. Ils en furent si affligés qu’ils arrêtèrent les opérations de leur campagne. Le général Winslow, qui devait marcher sur Carillon, reçut l’ordre de s’arrêter. Les expéditions de la rivière Chaudière et de la vallée de l’Ohio furent abandonnées.

Toutes les opérations militaires de cette campagne furent favorables aux Français. Dans la vallée de l’Ohio, M. de Rocquetaillade avait battu Washington, dans le mois de Juin, au village d’Astigné, appartenant aux sauvages Loups[651]. En Canada, les Français, avec environ 6,000 hommes, avaient arrêté les mouvements de 12,000, placés entre l’Hudson et le lac Ontario. Cet avantage fut dû, en grande partie, aux services rendus par les éclaireurs abénakis, qui passèrent le temps de la campagne en ces endroits, épiant sans cesse les mouvements de l’ennemi pour en informer le gouverneur.

À la suite des fêtes et des réjouissances qu’on fit partout, les Canadiens et les sauvages se trouvèrent dans une pénible position. Les récoltes avaient complètement manqué, et la disette se répandit bientôt dans le pays d’une manière fort alarmante. La farine se vendait jusqu’à 130 francs par cent livres. Le Gouvernement fut obligé de faire distribuer du pain au peuple des villes. Les habitants, mourant de faim, accouraient en foule pour avoir part à cette distribution. À Frontenac et à Niagara, on ne vécut que des vivres enlevés à Oswégo. À Miramichi, les Acadiens mouraient de faim. Des bâtiments, envoyés pour les secourir, revinrent chargés de ces malheureux. Leur arrivée causa à Québec un grand embarras, et l’on fut obligé de leur donner de la viande de cheval. Ils se rendirent bientôt dans quelques seigneuries de Montréal et des Trois-Rivières, et établirent les paroisses de l’Acadie, de Saint-Jacques, de Nicolet et de Bécancourt[652].

Pour comble de malheur, la petite vérole se répandit dans le pays et fit de terribles ravages, surtout parmi les sauvages. Les Abénakis perdirent un grand nombre de leurs guerriers. Cette maladie continua ses ravages chez eux jusqu’au printemps de 1757. Néanmoins, ces braves et généreux guerriers, malgré leur état de faiblesse, causée par les privations et la maladie, ne refusèrent pas de marcher contre l’ennemi pendant l’hiver ; car les hostilités ne cessèrent point pendant l’hiver 1756-1757. M. de Vaudreuil, ayant appris que les Anglais faisaient quelques mouvements du côté du lac Saint-Sacrement, envoya environ 200 Canadiens et Abénakis au secours du fort Carillon. Au commencement de Janvier, un fort détachement de Rangers, sous les ordres de John Stark, sortit du fort William-Henry, descendit le lac Saint-Sacrement, et se rendit jusqu’aux portes de Carillon. Les Abénakis et les Canadiens attaquèrent ce détachement, et le mirent en fuite, après avoir tué un grand nombre de soldats[653].

Dans le mois suivant, le gouverneur résolut d’envoyer un détachement pour tâcher de s’emparer du fort William-Henry, qui lui causait beaucoup d’inquiétudes ; car ce fort était la principale forteresse des Anglais, de ce côté, et était le lieu d’où ils partaient pour aller menacer les forts français. Cette expédition fut confiée à M. Rigaud de Vaudreuil, avec 1,500 hommes, parmi lesquels étaient environ 300 Abénakis. Rigaud partit, le 23 Février, sur les glaces. Il fit 180 milles sur des raquettes, tantôt sur les rivières et sur les lacs, tantôt à travers les forêts. On portait les vivres sur des traîneaux. Il arriva près du fort William-Henry, le 18 Mars au soir. Après avoir pris connaissance de la place, il reconnut de suite qu’il ne pourrait s’en emparer, parcequ’elle était trop fortifiée ; mais il résolut de détruire, malgré le feu de la garnison, tout ce qu’il y avait à l’extérieur du fort. Il plaça les Abénakis pour garder la route qui conduisait au fort Édouard, craignant que les troupes de ce fort ne vinssent le surprendre ; puis, le 21 et le 22, il brûla environ 300 bateaux, deux barques, et un hangar, rempli de vivres et d’autres effets. Le lendemain, il brûla une grande barque, deux hangars, remplis de vivres, l’hôpital, et les maisons des Rangers, situées sous le fort[654].

La garnison, sans cesse environnée de feu, ne chercha pas à s’opposer aux dévastations des Français. Aussi, ceux-ci ne laissèrent debout que le fort.



CHAPITRE DIX-HUITIÈME.

les abénakis aux batailles de william-henry, de carillon, de montmorency. etc.

1757-1759.

M. de Vaudreuil demanda à la France 4,000 à 5,000 hommes pour la campagne de 1757 ; mais ce secours lui fut refusé, malgré les vives représentations du maréchal de Belle-Isle. On se contenta d’envoyer une petite escadre pour protéger Louisbourg, parceque le bruit s’était répandu que les Anglais voulaient attaquer la Nouvelle-France, de ce côté.

Tandis que la France montrait tant de négligence et d’apathie à l’égard de sa colonie, l’Angleterre se préparait avec activité à venger, dans la campagne qui allait s’ouvrir, ses défaites passées. Le célèbre Pitt, qui entrait au ministère, résolut de pousser la guerre avec la plus grande vigueur. Il envoya des vaisseaux et beaucoup de troupes en Amérique.

Lord Loudoun réunit à Boston les gouverneurs des provinces du Nord, et ceux du Sud s’assemblèrent à Philadelphie, pour s’entendre sur le plan d’opérations de la campagne. Ils décidèrent d’attaquer Louisbourg, qui était la clef du Canada. On s’empressa de faire les préparatifs de cette expédition ; et, au mois de Juillet, l’armée anglaise se montait à plus de 25,000 hommes.

Washington commandait vers la vallée de l’Ohio. Les milices furent chargées de garder les frontières, et on laissa près de 3,000 soldats en garnison à William-Henry.

Lord Loudoun partit, à la fin de Juin, pour Louisbourg, avec seize vaisseaux, quelques frégates et 6,000 hommes de troupes régulières. Il fut rejoint à Halifax, au commencement de Juillet, par l’amiral Holburn, qui avait 5,000 hommes sous ses ordres. Il apprit alors que l’amiral français, Dubois de la Motte, venait d’arriver à Louisbourg. Cette nouvelle engagea les Anglais à abandonner leur entreprise. Loudoun retourna sur ses pas, et Holburn se rendit dans les environs de Louisbourg, avec quinze vaisseaux et quatre frégates, pour prendre des connaissances sur l’état de cette ville ; mais bientôt, craignant d’être attaqué par l’amiral français, il retourna à Halifax. Vers l’automne, sa flotte fut assaillie par une furieuse tempête ; quelques vaisseaux furent perdus, et les autres retournèrent en Angleterre dans un état pitoyable[655].

En Canada, le 11 Juillet, on n’avait reçu de France que 600 soldats et un peu de vivres. Dans tout le cours de l’été, il n’arriva à Québec qu’environ 1,500 hommes.

Cependant, M. de Vaudreuil ne se découragea pas ; comme les Anglais dirigeaient leur attention sur Louisbourg, il résolut de profiter de cette occasion pour s’emparer du fort William-Henry. Dès le commencement de l’hiver précédent, il s’était appliqué à attirer l’estime et la sympathie de tous les sauvages, et il y avait réussi parfaitement. Tous les sauvages l’appelaient « leur Père ». Au printemps, il convoqua à Montréal une assemblée de tous les sauvages du pays. Des délégués de trente-trois nations, depuis le Golfe Saint-Laurent jusqu’au lac Supérieur, se rendirent à cette assemblée. Les Abénakis de l’Acadie arrivèrent, en grand nombre, pour se réunir à ceux du Canada. Cette assemblée fut nombreuse. Depuis le célèbre traité avec les Iroquois, on n’avait pas vu tant de sauvages réunis à Montréal. Le gouverneur représenta à ces guerriers « que les Anglais avaient bâti un fort sur les terres d’Ononthio, et qu’il était de son devoir de le détruire ». Il les invita à s’unir aux Français pour aller chasser l’ennemi commun ; puis ensuite, il leur fit des présents. Les sauvages acceptèrent ces présents, et répondirent. « Père, nous sommes venus ici pour faire ta volonté ». Quelques Iroquois qui s’étaient rendus à cette assemblée consentirent à prendre part à l’expédition, en disant : « Nous essaierons la hache de notre Père sur les Anglais, pour voir si elle coupe bien »[656].

Les sauvages demeurèrent à Montréal jusqu’au temps de l’expédition. Ils passaient la plus grande partie de leur temps à marcher dans les rues, chantant leurs chansons de guerre ; ce qui occasionna parfois des désordres. Ils montraient toujours beaucoup d’affection pour le gouverneur, et disaient « qu’ils ne voulaient combattre qu’avec leur Père ».

On a dit, à cette occasion, que M. de Vaudreuil avait manqué à son devoir à l’égard des sauvages, en les laissant faire tout ce qu’ils voulaient. À dire vrai, il montra un peu de faible pour ces barbares ; il en résulta qu’ils devinrent fort exigeants.

Au commencement de Juillet, environ 1,500 guerriers sauvages étaient réunis à Montréal. Les Abénakis de l’Acadie et ceux du Canada formaient environ 600 guerriers, qui furent mis sous les ordres de M. Rigaud de Vaudreuil[657].

Les sauvages se rendirent à Saint-Jean, accompagnés de plusieurs missionnaires ; de là, ils remontèrent le lac Champlain, sur 200 canots, dans une régularité imposante, faisant sans cesse retentir les forêts et les montagnes de leurs chants de guerre. À Carillon le Saint-Sacrifice de la messe fut célébré solennellement. Les Abénakis s’y firent remarquer par leur piété, et édifièrent beaucoup les sauvages infidèles[658].

En attendant l’armée de l’expédition, Rigaud et le lieutenant Marin poussèrent quelques pointes sur les Anglais, avec un détachement d’Abénakis et de Canadiens. Marin fit quelques prisonniers, et leva des chevelures du côté du fort Édouard. Rigaud, avec 400 Abénakis et Canadiens, rencontra sur le lac Saint-Sacrement un détachement d’Anglais, qui descendait sur vingt-deux berges. Il le défit complètement, tua 160 hommes, et fit environ 160 prisonniers[659].

L’armée de l’expédition, commandée par le général Montcalm, était rendue à Carillon, à la fin de Juillet. Elle se composait de 3,000 soldats et d’un pareil nombre de Canadiens, formant, avec les sauvages, 7,500 hommes. Montcalm laissa Carillon, le 30, pour se mettre en marche vers William-Henry. L’avant-garde, composée de 2,200 Canadiens et des Abénakis, sous les ordres du Chevalier de Lévis, prit la route de terre, pour protéger le reste de l’armée, qui s’avançait par eau avec l’artillerie. Le 2 Août, l’armée était rendue à trois milles de William-Henry. Montcalm débarqua en cet endroit et s’avança vers le fort, tandis que le Chevalier de Lévis, avec ses Canadiens et ses Abénakis, prit la route du fort Édouard, pour couper les communications entre les deux forts anglais, et arrêter les mouvements du général Webb, qui n’était qu’à quinze ou dix-huit milles de William-Henry, avec 4,000 hommes.

Le colonel Monroe commandait au fort anglais. Il avait 2,700 hommes sous ses ordres.

La tranchée fut ouverte, le 4, sous le feu des batteries du fort. Le lendemain, un Abénakis apporta au général Montcalm une lettre du général Webb, adressée au colonel Monroe. Le porteur de cette lettre, se voyant tomber entre les mains de l’ennemi, l’avait avalée, enveloppée dans une feuille de plomb ; et les Abénakis la trouvèrent dans ses entrailles[660]. Par cette lettre, Webb mandait à Monroe « que, vu la situation du fort Édouard, il ne lui paraissait pas prudent de marcher à son secours, ni de lui envoyer du renfort ; que les Français étaient au nombre de 13,000 ; qu’ils avaient une artillerie considérable, et qu'il lui envoyait ces renseignements afin qu'il pût en profiter pour obtenir la meilleure capitulation possible, s’il n’était pas capable de tenir jusqu’à l’arrivée des secours demandés à Albany »[661].

Pendant toute la journée du 6, le feu fut extrêmement vif des deux côtés. Le 7, Montcalm fit arrêter le feu de ses batteries, et envoya porter à Monroe la lettre de Webb. Monroe répondit qu’il ne se rendrait pas et qu’il se défendrait jusqu’à la dernière extrémité. La canonnade recommença alors avec vivacité, au milieu des hurlements des sauvages. Vers le soir, 500 Anglais sortirent du fort, pour essayer d’ouvrir une communication avec le fort Édouard. Les Abénakis se précipitèrent sur eux, en tuèrent une cinquantaine, firent plusieurs prisonniers, et chassèrent les autres vers le fort.

Le feu des assiégeants se continua, sans interruption, jusqu’au 9 au matin. Monroe demanda alors à capituler. Le fort fut livré à Montcalm, qui laissa retirer les troupes anglaises avec armes et bagages et un seul canon. Les Anglais avaient perdu environ 200 hommes, et les Français, 58 seulement[662]. On trouva dans le fort 43 canons, 35,835 lbs de poudre, des projectiles et des vivres en grande abondance[663].

Les sauvages commirent en cette occasion des désordres bien regrettables. Mais ce fut en partie par la faute des Anglais, qui négligèrent de jeter leurs boissons, comme on le leur avait recommandé. Un grand nombre de sauvages s’emparèrent de ces boissons et s’enivrèrent. Alors, il se précipitèrent, la hache à la main, sur les troupes anglaises, qui avaient mis bas les armes, et en firent un horrible massacre. Plusieurs officiers français reçurent des blessures en voulant arrêter cet affreux désordre. Montcalm employa tour-à-tour prières, menaces et promesses pour calmer les sauvages. Il leur dit plusieurs fois : « Tuez-moi, si vous le voulez, mais épargnez les Anglais, qui sont sous ma protection »[664]. Tout fut inutile, et le massacre se continua. 1,500 Anglais furent tués ou faits prisonniers[665].

Le fort William-Henry fut rasé, et, le 16 Août, l’armée française se mit en route vers Carillon.

Après cette glorieuse campagne, le Canada souffrit encore de la disette, car les récoltes avaient manqué comme l’année précédente. Pendant le reste de l’été et tout l’hiver suivant, la plus profonde misère règna dans le pays. Au printemps, on voyait des hommes tomber de faiblesse dans les rues, par le manque de nourriture.

Pour la campagne de 1758, le Canada ne reçut de France que 300 à 400 hommes de troupes, et il n’avait alors qu’environ 6,000 réguliers.

L’Angleterre fit de grands préparatifs. Pitt mit le général Abercromby à la tête de l’armée des colonies, et y envoya 12,000 hommes de troupes, sous le commandement du général Amherst. Les provinces levèrent de nombreuses milices, et bientôt, l’armée de cette campagne compta 80,000 hommes.

Le plan d’opérations des Anglais fut d’attaquer simultanément Louisbourg, Carillon et le fort Duquesne. On devait descendre sur Montréal après la prise de Carillon. 30,000 hommes furent destinés pour l’expédition contre Louisbourg ; 16,000, pour descendre en Canada par le lac Saint-Sacrement, et 9,000, pour être envoyés vers la vallée de l’Ohio[666].

La première expédition qu’ils exécutèrent fut celle de Louisbourg. L’amiral Boscawen partit d’Halifax, le 28 Mai, avec une forte escadre, portant 30,000 hommes, commandés par le général Amherst, et arriva à Louisbourg, le 2 Juin.

Le gouverneur de la place, M. Drucourt, n’ayant alors que 2,700 hommes pour se défendre, comprit de suite qu’il lui était impossible de résister à une si forte armée. Cependant, il résolut de faire la plus longue résistance possible. Il invita aussitôt les Abénakis de l’Acadie à venir au secours de Louisbourg ; et ceux-ci se rendirent promptement, en assez grand nombre, à l’appel du gouverneur. Pendant ce temps, il fit promptement élever des retranchements près de la mer, à l’endroit où il supposait que l’ennemi opérerait son débarquement, et y fit placer des canons.

Les Anglais commencèrent à débarquer, le 8. Le général Wolfe gravit sur un rocher, avec une centaine d’hommes. Quelques Abénakis et habitants accoururent pour le repousser, mais ils ne purent y réussir[667]. Drucourt sortit aussitôt de la ville, avec ses troupes et un certain nombre d’Abénakis, et alla se placer derrière les retranchements. Mais, les Français ayant commencé le feu trop tôt, les Anglais découvrirent le piége qui leur était tendu, et allèrent débarquer dans un autre endroit. Les Français et les sauvages combattirent tout le jour pour empêcher le débarquement de l’ennemi ; mais ils ne purent y réussir, et, vers le soir, ils furent forcés de rentrer dans la ville, après avoir perdu 200 hommes[668].

Les Anglais commencèrent aussitôt les travaux du siége. Drucourt lutta pendant deux mois, avec une persévérance et un courage admirables. Enfin, le 26 Juillet, n’espérant plus de secours et ayant déjà perdu 1,500 hommes, il fut forcé de se rendre. Louisbourg, qui n’était plus qu’un amas de ruines, tomba au pouvoir des Anglais, avec le Cap-Breton. Cette perte laissa le Canada sans défense, du côté de la mer, et ouvrit aux ennemis la route de Québec.

Pendant que le général Amherst faisait le siége de Louisbourg, le général Abercromby marchait avec 16,000 hommes, vers le lac Saint-Sacrement, pour envahir le Canada. M. de Vaudreuil, apprenant cette nouvelle, envoya immédiatement le général Montcalm prendre le commandement des 3,000 hommes de troupes, placés à Carillon. Montcalm partit de Montréal, le 24 Juin, et arriva à Carillon, le 30. Comme les Anglais étaient déjà à la tête du lac Saint-Sacrement, il manda immédiatement au gouverneur de lui envoyer, sans délai, le secours qu’il attendait. 1,600 Canadiens, 400 réguliers et environ 300 Abénakis furent alors envoyés vers le lac Champlain, sous les ordres du Chevalier de Lévis. Il n’y eut que les Abénakis et une partie des Canadiens qui purent, à marches forcées, arriver à Carillon avant la bataille.

Plusieurs historiens, entr’autres Garneau, disent qu’il n’y avait qu’un petit nombre de sauvages à la bataille de Carillon ; mais la plupart des historiens américains, entr’autres, Bancroft, Hildreth, Thrumbull, Frost, disent qu’un grand nombre d’Abénakis y prirent part. M. de Vaudreuil, regrettant les désordres que les sauvages avaient commis l’année précédente, à William-Henry, n’invita que les Abénakis pour cette campagne. Il n’y eut toutefois que ceux du Canada qui y allèrent, car ceux de l’Acadie étaient alors employés pour la défense de Louisbourg. C’est probablement ce qui fait dire à nos historiens qu’il n’y avait que quelques sauvages dans cette campagne.

John Frost raconte une rencontre qui eut lieu alors, à Ticondéroga (Carillon), entre 200 Abénakis et un détachement de Rangers, commandé par le major Rogers. Ce détachement fut défait par les sauvages. Plusieurs furent faits prisonniers, entr’autres, un officier, du nom de Putnam, qui fut conduit à Montréal[669].

La tradition chez les Abénakis nous apprend que la plupart des guerriers de Saint-François et de Bécancourt étaient à la bataille de Carillon. Or, à cette époque, il y avait dans ces deux villages plus de 400 guerriers. De là, nous concluons qu’il y avait environ 300 Abénakis à cette bataille.

Le 1 Juillet, Montcalm échelonna ses troupes depuis Carillon au lac Saint-Sacrement, pour s’opposer au débarquement et à la marche de l’ennemi, et il envoya trente hommes ; dans deux berges, croiser sur le lac.

Abercromby embarqua son armée, le 5, sur des berges, et descendit majestueusement le lac. Voici ce qu’un historien américain, Dwight, dit de la marche de l’armée anglaise. « Le ciel était extrêmement pur, et le temps superbe ; la flotte avançait avec une exacte régularité au son d’une belle musique guerrière. Les drapeaux flottaient étincelants aux rayons du soleil, et l’anticipation d’un triomphe brillait dans tous les yeux. Le ciel, la terre et tout ce qui nous environnait présentaient un spectacle enchanteur. Le soleil, depuis qu’il brillait dans les cieux, avait rarement éclairé tant de beauté et de magnificence. »

Les Anglais commencèrent à débarquer, le 6. Montcalm, s’apercevant aussitôt que sa position n’était pas avantageuse, leva le camp, et, protégé par les Canadiens et les Abénakis qui venaient d’arriver, alla se placer sur les hauteurs de Carillon, où il se retrancha. Ces retranchements furent faits d’arbres ronds, placés les uns sur les autres. Cet ouvrage se continua avec la plus grande activité jusqu’au 7 au soir. Les deux armées n’étaient alors qu’à 700 toises l’une de l’autre. On se prépara donc, des deux côtés, pour l’affaire du lendemain.

Le 8, Montcalm fit garnir ses retranchements vers midi, et à 1 heure, l’armée ennemie, rangée en quatre colonnes, se mit en mouvement. Montcalm avait donné l’ordre de laisser approcher l’ennemi jusqu’à vingt pas des retranchements. À cette distance, les Français firent feu sur l’ennemi. Ce feu fut si prompt et si terrible que bientôt les colonnes ennemies chancelèrent, tombèrent en désordre et commencèrent à reculer. Elles se reformèrent et revinrent à la charge. Le feu devint alors, des deux côtés, d’une vivacité extrême. Après un long et rude combat, l’ennemi fut encore obligé de reculer, laissant le champ de bataille couvert de morts. Les colonnes ennemies se reformèrent une seconde fois, et se précipitèrent sur les retranchements. Le feu devint encore plus vif. Les Anglais, après des efforts inouïs pour enfoncer les retranchements, furent repoussés une troisième fois.

Abercromby, ne pouvant se persuader qu’il serait vaincu par si peu de monde, revint encore trois fois à la charge, mais il fut repoussé chaque fois avec des pertes considérables. Cependant les grenadiers et les montagnards écossais se couvrirent de gloire. Ils étaient en face des Canadiens et des Abénakis ; ils soutinrent le feu meurtrier de ces derniers avec un courage héroïque, et ne se retirèrent qu’après avoir perdu plus de la moitié de leurs soldats et vingt-cinq officiers.

Vers 6 heures, Abercromby fit retirer ses troupes dans le bois, pour leur donner quelque repos. Il reparut une heure après, et commença une attaque générale sur toute la ligne des retranchements. Mais cette septième tentative fut encore inutile ; il fut encore repoussé. Le lendemain, Montcalm tint ses troupes aux retranchements, dans la crainte que l’ennemi ne revint encore à la charge. Mais Abercromby s’était rembarqué de grand matin, et avait disparu.

Telle fut la célèbre bataille de Carillon, où le général Montcalm, avec environ 3,600 hommes, en repoussa 16,000.

Suivant Garneau, les Anglais perdirent 2,000 hommes, tués ou blessés, dont 126 officiers ; et les Français ne perdirent que 377 hommes, dont 38 officiers[670]. D’autres historiens portent les pertes des Anglais à 4,000 hommes et celles des Français à 450[671].

Abercromby renonça à une nouvelle tentative contre Carillon et Montréal, mais il envoya le colonel Bradstreet, avec 3,000 hommes, pour s’emparer du fort Frontenac. Bradstreet arriva, le 25 Août, devant ce fort, qui n’était alors gardé que par 70 hommes. Toute résistance était inutile, et le fort fut pris par les Anglais.

M. de Vaudreuil, apprenant le départ de Bradstreet, fit réunir en toute hâte les Abénakis et 1,500 Canadiens, et les envoya au secours de Frontenac ; ceux-ci, ayant appris en route la reddition du fort, retournèrent sur leurs pas.

Du côté de la vallée de l’Ohio, les Anglais furent d’abord battus ; mais étant revenus à la charge, le commandant du fort Duquesne fut obligé de se retirer, après avoir fait brûler son fort. Le colonel Forbes, qui commandait l’expédition de ce côté, donna au fort Duquesne le nom de « Pittsburgh », en l’honneur du ministre Pitt.

Ainsi l’avantage de la campagne de 1758 resta aux Anglais. Ils se trouvèrent maîtres de Louisbourg et de la vallée de l’Ohio, et ils avaient détruit le fort Frontenac.

Leur projet pour la campagne de 1759 fut d’envahir le Canada, en l’attaquant à la fois au centre et aux deux extrémités. Le général Amherst fut chargé du commandement de l’armée, à la place d’Abercromby. Il fut décidé que le général Wolfe, qui s’était distingué au siége de Louisbourg, remonterait le Saint-Laurent, avec 10,000 hommes, pour aller assiéger Québec ; que le général Armherst attaquerait les forts du lac Champlain, avec 12,000 hommes, et descendrait par le Richelieu pour rejoindre l’armée de Wolfe ; que le général Prideaux, avec UN troisième corps, irait s’emparer de Niagara, et que le général Stanwix, avec un quatrième corps, raserait les petits forts situés sur le lac Ontario. L’amiral Saunders devait partir d’Angleterre avec une grosse flotte, pour venir rejoindre celle de Wolfe dans le fleuve Saint-Laurent[672].

Pour faire face à de si immenses préparatifs, la France n’envoya que 600 hommes de troupes en Canada. Voilà tout ce qui arriva à Québec avant l’apparition de la flotte anglaise. Le Canada ne comptait, avec ces recrues, que 5,300 hommes de troupes règlées.

Dès le printemps ; on envoya le capitaine Pouchot à Niagara, avec 300 hommes, le Chevalier de la Corne au lac Ontario, avec 1,200 hommes, et Bourlamaque fut placé sur le lac Champlain, avec environ 2,400 hommes, ayant l’ordre de faire sauter les forts Carillon et Saint-Frédéric, s’il ne pouvait y tenir, et de se retirer ensuite sur l’Île-aux-Noix, au pied du lac Champlain. Environ 200 guerriers abénakis de Saint-François et de Bécancourt furent envoyés au près de Bourlamaque, et les autres descendirent à Québec, pour rejoindre ceux de l’Acadie, qui y arrivèrent avec M. de Boishébert.

À Québec, on fit des retranchements, depuis la rivière Saint-Charles jusqu’à celle de Montmorency. L’armée fut divisée en trois corps. Le premier, fut placé à la Canardière, sous le commandement du général Lévis, le second, qui était le centre de l’armée, fut chargé d’occuper l’espace compris entre la rivière et l’église de Beauport, sous le commandement du général Montcalm, et le troisième, fut placé depuis Beauport jusqu’à la rivière Montmorency, sous le commandement du colonel Bougainville. Un corps de réserve, comprenant 450 sauvages, dont la plupart étaient des Abénakis du Canada et de l’Acadie, fut placé près du centre, sous les ordres de M. de Boishébert[673]. L’armée comptait 13,000 hommes, avec les milices venues des campagnes.

Vers le 20 Juin, quelques vaisseaux anglais étaient rendus à l’Île-aux-Coudres. Un parti d’Abénakis et de Canadiens, qui avait été envoyé en découverte en cet endroit, se glissa dans l’île et s’y mit en embuscade. Quelques Anglais, ayant mis pied à terre, tombèrent dans cette embuscade ; trois officiers furent faits prisonniers et les autres purent s’échapper[674].

La flotte anglaise était réunie à l’Île d’Orléans, le 25 Juin, et bientôt, elle jeta l’ancre dans le bassin de Québec.

Le 28, les Français s’occupèrent à lancer des brûlots contre les vaisseaux anglais. Les Anglais envoyèrent aussitôt des berges pour détruire ces brûlots ; mais un parti d’Abénakis, commandé par M. le Mercier, arriva assez tôt pour les protéger. Les sauvages coulèrent une berge et chassèrent les autres. Huit Anglais furent faits prisonniers[675]. Cependant, les brûlots ne produisirent aucun effet.

Après quelques jours de réflexion, Wolfe résolut de bombarder la ville et de ravager les campagnes, espérant que les Canadiens abandonneraient leurs retranchements, pour aller protéger leurs propriétés. Le 30, une partie de l’armée anglaise débarqua à la Pointe-Lévis, et alla se placer en face de la ville. Montcalm envoya un détachement pour chasser les Anglais de cette position, mais il ne put y réussir. Dans la nuit du 30, les batteries anglaises ouvrirent leur feu sur la ville. Alors, la garnison s’occupa à éteindre les incendies causés dans la ville par les projectiles. Dans l’espace d’un mois, les plus belles maisons de Québec et la cathédrale furent consumées par les flammes. La basse-ville fut entièrement incendiée. Les canons de la ville étaient inutiles, parcequ’ils ne pouvaient atteindre les batteries de l’ennemi.

Pendant que Wolfe bombardait Québec, les Abénakis allaient de temps en temps faire des escarmouches du côté de la Pointe-Lévis, en passant par le Cap-Rouge. Ils faisaient des prisonniers et levaient des chevelures. Les Anglais en étaient un peu troublés. Aussi, l’amiral Saunders s’en plaignit à M. de Vaudreuil, et le pria de faire cesser ces cruautés. Le gouverneur répondit qu’il ne pouvait le faire, mais qu’il tâcherait de faire racheter les prisonniers qui tomberaient entre les mains des sauvages[676].

Après avoir presqu’entièrement détruit la ville, Wolfe se jeta sur les campagnes. Tout fut ravagé, à droite du Saint-Laurent, depuis Sainte-Croix à la Rivière-du-Loup, en bas, et, à gauche, depuis Montmorency à la Malbaie. 1,400 maisons furent incendiées. Pendant ces dévastations, les troupes françaises et les milices ne bougèrent point de leurs retranchements. Wolfe résolut alors d’attaquer l’armée française. Il alla se placer près de Montmorency, avec 118 canons. Le 31 Juillet, il attaqua la gauche de l’armée française, avec 8,000 hommes. Les Canadiens accoururent aussitôt au secours de la gauche. Après un rude combat, les Anglais, accablés par le feu meurtrier des Canadiens, tombèrent en désordre et se retirèrent.

Quoiqu’il ne soit pas fait mention des Abénakis dans ce combat, il est fort probable qu’ils y prirent part. Comme nous l’avons dit, ils avaient été placés avec les Canadiens à Beauport, vers le centre de l’armée. Il est bien probable qu’ils ne restèrent pas en arrière lorsque les Canadiens coururent au secours de la gauche, qu’au contraire ils les suivirent et combattirent avec eux, comme ils le faisaient ordinairement. D’ailleurs les coups si bien dirigés des Canadiens semblent indiquer clairement qu’il y avait parmi eux d’habiles tireurs, qui devaient être des sauvages.

Wolfe entra dans son camp presque découragé. Voyant qu’il lui était impossible de chasser les Français de leurs retranchements, il envoya le général Murray, avec 1,200 hommes, pour ouvrir une communication avec le général Amherst, du côté du lac Champlain. Montcalm envoya aussitôt Bougainville avec 1,000 hommes, pour s’opposer à la marche de Murray. Bougainville fut bientôt rejoint par un détachement de Canadiens et d’Abénakis[677]. Murray. fut repoussé deux fois à la Pointe-aux-Trembles. De là, il alla dévaster quelques paroisses, à droite du Saint-Laurent, puis il retourna au camp anglais.

Wolfe, après un mois de délibérations avec ses généraux, reconnut que la seule chose qui lui restait à faire était de tenter une surprise, en essayant de faire pénétrer ses troupes au-dessus de Québec, pour attaquer la ville de ce côté. Montcalm regardait cette chose comme impossible, car il considérait la côte, à l’anse-des-Mères, au Foulon et à Samos, comme inaccessible. Aussi, il écrivit à M. de Vaudreuil, qui avait quelque crainte de ce côté : « Il n’y a que Dieu, monsieur, qui sache faire des choses impossibles ».

Après cette décision, Wolfe fit passer son armée et son artillerie à la Pointe-Lévis, le 3 septembre, puis bientôt les vaisseaux anglais s’étendirent depuis Sillery à la Pointe-aux-Trembles.

Montcalm comprit enfin qu’il y avait du danger de ce côté. Il envoya encore 1,000 hommes à Bougainville, avec quelques Abénakis et autres sauvages. Ces troupes furent disséminées çà et là, depuis Sillery à la Pointe-aux-Trembles.

Pendant que Bougainville épiait les mouvements des Anglais, Wolfe faisait examiner secrètement la rive gauche du Saint-Laurent jusqu’à Québec. Enfin, le 12, il ordonna aux vaisseaux, qui avaient été laissés au Cap-Rouge, de s’approcher de Saint-Augustin, afin d’attirer l’attention de Bougainville de ce côté, et envoya un grand nombre de berges croiser devant les retranchements de Beauport, afin de faire croire à une descente en cet endroit. Le lendemain, à 1 heure du matin, il s’embarque avec une partie de ces troupes sur des bateaux, et descend silencieusement, en suivant la rive gauche du fleuve, jusqu’au Foulon. Rendu au lieu indiqué, il débarque, s’empare du corps de garde placé en cet endroit, et gravit promptement l’escarpement avec ses troupes, à travers les arbres et les broussailles. Arrivé sur le plateau, il s’empare du petit détachement qui y était, et prend le commandant dans son lit[678]. Pendant ce temps, les bateaux ramenèrent le reste des troupes. Et, de grand matin, les Anglais, au nombre de 8,000 ; étaient rangés en bataille sur les plaines d’Abraham.

Montcalm apprit cette nouvelle inattendue à 6 heures du matin. Il ne pouvait y croire. Il entra dans la ville par la porte du Palais, avec 4,500 hommes, en sortit par les portes Saint-Louis et Saint-Jean, et, à 8 heures, il était en face de l’ennemi.

Les Abénakis et les autres sauvages, qui restaient encore dans l’armée de Montcalm, furent placés parmi les troupes de la gauche et de la droite[679].

Montcalm, avec des troupes bien inférieures en nombre à celles de Wolfe et sans attendre le renfort qui devait lui arriver prochainement, osa brusquer l’attaque. Cette imprudence causa la perte de la colonie.

L’attaque commença par les Canadiens et les sauvages. Wolfe, malgré les ravages que cette fusillade causa dans ses rangs, ne se pressa pas de se défendre. Il fit mettre deux balles dans les fusils, et, lorsque les Français ne furent qu’à vingt pas de ses troupes, il ordonna le feu. Les Français furent assaillis par un feu si meurtrier que bientôt, le désordre s’étant mis parmi eux, ils commencèrent à reculer. Les Anglais, profitant de ce désordre, se précipitèrent sur eux et les mirent en fuite. Ce fut alors que Wolfe fut atteint d’une balle qui lui traversa la poitrine. Il vécut encore assez longtemps pour apprendre qu’il avait remporté la victoire. Montcalm, voulant rallier ses troupes, reçut aussi une blessure mortelle, dont il mourut le lendemain.

C’est ainsi que fut perdue la première bataille d’Abraham. M. de Vaudreuil se retira avec les troupes à la rivière Jacques-Cartier, pour y élever un fort.

Le général Lévis, alors à Montréal, apprenant la mort de Montcalm, partit aussitôt pour aller prendre le commandement de l’armée. Mais il arriva trop tard à Québec. La ville avait capitulé, le 18, et était au pouvoir des Anglais. Le général James Murray fut nommé gouverneur de Québec.

À l’automne, M. de Vaudreuil abandonna le fort de Jacques-Cartier, pour aller passer l’hiver à Montréal ; et les Abénakis retournèrent à leur village.

Du côté de l’Ouest, les Anglais s’étaient emparés de Niagara. Nous verrons dans le chapitre suivant ce qui arriva du côté du lac Champlain.

CHAPITRE DIX-NEUVIÈME.

destruction du village des abénakis de
saint-françois — capitulation de montréal.

1759-1760.

Tandis que le général Wolfe marchait contre Québec, le général Amherst commençait ses opérations du côté du lac Champlain. Il réunit son armée à Albany, dans le mois de Mai. Le 6 Juin, il alla camper sous le fort Édouard, prenant toutefois beaucoup de précautions, dans la crainte d’être surpris par les Français. Il se rendit, le 21, à la tête du lac Saint-Sacrement, où il commença les travaux d’un nouveau fort, qui fut appelé « fort Georges », en l’honneur de Georges II. C’est de là que le lac Saint-Sacrement a porté depuis le nom de Georges. Ce fort fut placé près de l’endroit où était celui de William-Henry. Amherst s’embarqua en cet endroit, avec 12,000 hommes et 54 pièces de canon, descendit le lac Saint-Sacrement, et arriva, après deux jours de marche, près de Carillon.

Bourlamaque, informé de cette nouvelle, par ses éclaireurs abénakis, abandonna le fort Carillon, n’y laissant que 400 hommes, et se retira à Saint-Frédéric. Ces troupes firent sauter le fort, le 26 Juillet, et abandonnèrent la place aux Anglais. Bourlamaque, craignant d’être attaqué par l’ennemi, fit aussi sauter celui de Saint-Frédéric, et se retira sur l’Île-aux-Noix, où il fit travailler activement aux fortifications du fort qui y avait été élevé.

Amherst donna alors à Carillon, le nom de Ticondéroga, nom qui a été conservé jusqu’à ce jour. Il éleva un nouveau fort à Saint-Frédéric, qu’il appela « Crown-Point. » Ce fort fut élevé afin de protéger les colons anglais contre les irruptions des Abénakis.

Le général anglais n’osa aller attaquer Bourlamaque sur l’Île-aux-Noix, mais, sachant que la plupart des Abénakis étaient dans l’armée française, il profita de cette occasion pour envoyer détruire leur village de Saint-François. Le major Robert Rogers fut chargé de cette expédition.

Rogers partit de Crown-Point, le 4 Septembre au soir, avec un détachement de 200 hommes. Il se dirigea vers la Baie-Missisquoi, distante d’environ 100 milles de Saint-François. Comme il y avait souvent des éclaireurs Abénakis et Canadiens sur le lac Champlain, il s’avança avec précaution, afin d’éviter une surprise. Le 9, au soir, il était campé sur la rive droite du lac, lorsqu’il arriva un accident, qui le força de se séparer d’une partie de ses troupes. Un baril de poudre ayant pris feu, le capitaine Williams et sept soldats furent blessés. Il envoya alors 50 hommes de son détachement pour conduire ces blessés à Crown-Point, puis il continua sa route. Le 24, il était à la Baie Missisquoi. Il mit ses berges en sûreté, avec des vivres pour le retour de l’expédition, laissa deux Iroquois pour en avoir soin, et entra dans la forêt, se dirigeant vers Saint-François.

Bourlamaque, fort occupé des travaux que le général Amherst faisait sur le lac Champlain, envoyait souvent des détachements pour en prendre connaissance. Le 25, l’un de ces détachements entra dans la Baie-Missisquoi et découvrit les berges de Rogers ; il s’en empara et rapporta aussitôt ce fait au commandant de l’Île-aux-Noix. Bourlamaque, connaissant qu’on pouvait facilement pénétrer par cette route au village abénakis de Saint-François, en informa immédiatement M. de Vaudreuil. Mais le gouverneur, tout absorbé par le malheur qui venait de tomber sur la colonie, négligea cette affaire[680].

Le 26, les deux Iroquois, laissés à la garde des berges, rejoignirent Rogers et l’informèrent que 400 hommes, Français et Abénakis, s’étaient emparés de ses berges, et que 200 hommes venaient à sa poursuite. Cette nouvelle l’embarrassa un peu, car il se voyait dans l’impossibilité de retourner par le lac Champlain. Il envoya aussitôt, à travers la forêt, le lieutenant McMullen et dix hommes à Crown-Point, pour informer le général Amherst de cet incident, et lui demander de faire transporter des vivres vers le haut de la rivière Connecticut, à l’embouchure de la rivière Ammonoosuc[681], afin qu’il retournât par cette route. Puis, il continua en toute hâte sa marche vers Saint-François. Il arriva le 3, au soir, à la rivière Saint-François, à environ quinze milles plus haut que le village sauvage. Il traversa à gué sur la rive droite, et, le 4, à 8 heures du soir, il était à environ un mille du village. Il s’arrêta en cet endroit, pour laisser reposer ses troupes, et alla prendre connaissance des lieux, avec le lieutenant Turner et l’enseigne Avery.

Le village était en fête ce jour là, parceque quelques guerriers arrivaient d’une excursion contre les Anglais. Les sauvages avaient organisé un grand bal. Ils dansèrent jusqu’à 4 heures, puis ils se retirèrent dans leurs loges, épuisés de fatigue et ne se doutant nullement que l’ennemi était à leurs portes.

Depuis 1754, la haine des Abénakis contre les Anglais avait redoublé. Ils leur donnaient sans cesse la chasse, et levaient beaucoup de chevelures. Aussi, ce jour là, on voyait dans le village 600 à 700 chevelures anglaises, suspendues sur des perches.

Rogers retourna vers ses troupes à deux heures du matin, et les fit avancer jusqu’à 7 ou 8 arpents du village. Alors il se prépara à l’attaque. Il divisa ses troupes en plusieurs bandes, puis, une demi-heure avant le lever du soleil, il se jeta sur le village, pendant que tous les sauvages étaient plongés dans le sommeil. Les soldats se précipitèrent sur les loges, et massacrèrent tous ceux qui tombèrent sous leurs mains, sans distinction, ni d’âge, ni de sexe. Ce fut un horrible massacre. Au lever du soleil, la scène était affreuse. Rogers lui-même en eût été touché de compassion, n’eût été la vue des chevelures de ses compatriotes, qui mit la rage dans son cœur et engagea les soldats à continuer à égorger les femmes et les enfants. Environ 200 sauvages furent tués ; 20 femmes et quelques enfants furent faits prisonniers[682].

Après le massacre, les soldats mirent le feu au village. Toutes les loges, la plupart des maisons et l’église furent consumées par les flammes.

Cette église était la première des Abénakis, à Saint-François ; elle existait depuis plus de cinquante ans ; elle possédait beaucoup d’ornements sacerdotaux, de magnifiques vases sacrés et beaucoup d’objets précieux. Tout fut détruit, ainsi que les régistres de la mission, et une riche collection de manuscrits. La petite statue d’argent, donnée à la mission, en 1701, par les chanoines de Chartres, fut enlevée et portée à la Nouvelle-Angleterre. La chemise d’argent en reliquaire, aussi donnée par les mêmes chanoines, fut détruite.

Le butin que Rogers fit dans cette expédition consista en $933, une grande quantité de colliers de wampum et quelques provisions.

Rogers partit de Saint-François, le 5, pour faire route vers la Nouvelle-Angleterre, en remontant la rivière Saint-François. Après huit jours de marche, ses provisions étaient complètement épuisées. Il divisa alors ses troupes en plusieurs bandes, afin qu’elles pussent plus facilement se procurer de la nourriture par la chasse, leur enjoignant de se réunir à l’embouchure de la rivière Ammonoosuc.

Cependant, après le départ de Rogers de Saint-François, quelques guerriers abénakis s’étaient réunis dans le village et avaient résolu de marcher à la poursuite des Anglais. Deux jours après que les troupes anglaises se furent divisées, ces sauvages tombèrent sur la bande, qui était sous les ordres de l’enseigne Avery. Sept soldats furent faits prisonniers, mais bientôt deux d’entr’eux purent s’échapper. Une autre bande, de vingt hommes, sous la conduite des lieutenants Dunbar et Turner, fut aussi attaquée. Ces vingt hommes furent tous tués ou faits prisonniers.

Rogers, après plusieurs jours d’une marche difficile et fatigante, put se rendre à la rivière Connecticut, avec les hommes qui lui restaient. Malheureusement, il ne trouva pas de provisions à l’endroit indiqué. Quelques hommes de Charlestown y étaient venus avec des provisions, d’après un ordre du général Amherst, et, après plusieurs jours d’attente, ils étaient repartis pour Charlestown.

Dans cette pénible position, Rogers eut recours à des racines, pour apaiser sa faim. Cette maigre nourriture conservait la vie des soldats. Il construisit alors un radeau avec du bois sec, sur lequel il s’embarqua, avec le capitaine Ogden, un soldat et un jeune captif. De cette manière, il put descendre jusqu’à Charlestown. Des canots, chargés de provisions, furent immédiatement envoyés vers le haut de la rivière au secours du détachement, qui, par ce moyen, put se rendre à Charlestown, après avoir perdu plusieurs hommes dans la forêt.

Telle fut l’issue de la campagne de 1759, qui fut aussi ruineuse pour les Abénakis que pour les Français.

M. de Vaudreuil résolut d’essayer de reprendre Québec, dans la campagne suivante. Il demanda du secours à la France, qui ne put lui envoyer que 400 hommes et un peu de vivres. Ce secours ne put arriver en Canada, car Byron, qui croisait alors dans les environs de la Baie-des-Chaleurs, s’en empara.

L’Angleterre accorda à ses colonies tout ce qui était nécessaire pour continuer la guerre avec vigueur. Voici ce qui fut décidé. Trois armées seraient mises sur pied pour achever la conquête du Canada. La première, remonterait le Saint-Laurent, pour aller assurer la position du général Murray à Québec. Les deux autres, seraient destinées à s’emparer de Montréal. L’une, commandée par le général Amherst, se réunirait à Oswégo, pour descendre à Montréal. L’autre, commandée par Haviland, descendrait par le lac Champlain, s’emparerait des forts de l’Île-aux-Noix, de Saint-Jean et de Chambly, et se réunirait à Montréal au général Amherst.

Le Chevalier de Lévis n’ignorait pas ces préparatifs ; il songeait à les prévenir, en attaquant Québec dès le printemps, espérant réussir à s’emparer de cette ville, aidé du secours qu’il attendait de France. Il se hâta donc de réunir les milices et les sauvages, et dès le mois d’Avril, 1760, il avait sous ses ordres environ 7,000 hommes, y compris près de 400 sauvages, dont la plupart étaient des Abénakis.

Le 20 Avril, ces troupes partirent de Montréal pour descendre à Québec. Un parti descendit par terre, et l’autre parti prit la voix de l’eau, pour emmener l’artillerie. Le 25, les troupes qui descendaient par eau, furent obligées de débarquer à la Pointe-aux-Trembles, parceque les glaces les empêchaient de marcher. Lévis continua sa route vers Québec, où il arriva après avoir rencontré beaucoup de difficultés. Le 28, son armée était sur les plaines d’Abraham.

Le général Murray, apprenant l’arrivée des Français, sortit aussitôt de la ville avec environ 7,000 hommes, et alla de suite attaquer Lévis. Le combat fut sanglant et acharné. Après trois heures de lutte, les Anglais, enfoncés de toutes parts, prirent la fuite et entrèrent précipitamment dans la ville, après avoir perdu environ 1,500 hommes[683].

Après cette victoire, Lévis commença les travaux du siége, attendant encore des secours de France. Ces travaux se continuèrent jusqu’au 15 Mai, où la flotte anglaise commença à arriver à Québec. Lévis, entièrement découragé, leva le siége, dans la nuit du 16 au 17, et se retira à Montréal.

Le 14 Juillet, Murray embarqua une partie de ses troupes, sur environ 300 berges, et partit de Québec pour aller rejoindre à Montréal le général Amherst et Haviland. Lévis, apprenant cette nouvelle, fit placer Bourlamaque et les Abénakis sur l’une des îles situées à la tête du lac Saint-Pierre, afin de s’opposer à la marche de Murray. Mais celui-ci passa en cet endroit sans être aperçu des sauvages.

Au commencement de Septembre, les trois armées anglaises étaient aux portes de Montréal. M. de Vaudreuil, voyant qu’il lui était impossible de défendre la ville, demanda à capituler. La ville fut livrée aux Anglais, le 8 Septembre.

C’est ainsi que le Canada passa définitivement au pouvoir des Anglais.

Les Abénakis se virent dans l’obligation de mettre bas les armes, pour se soumettre, pour toujours, à leurs ennemis. Ils furent fidèles à leurs nouveaux maîtres, comme nous le verrons dans la troisième époque de leur histoire.



CHAPITRE VINGTIÈME.

missionnaires des abénakis en canada

1700-1760.

Nous avons vu qu’en 1700 le P. Jacques Bigot transféra à Saint-François la mission abénakise de la rivière Chaudière. Il demeura dans la nouvelle mission jusqu’en 1708. Ce Père et son frère, le P. Vincent Bigot, furent les fondateurs des missions abénakises en Canada.

Le plus âgé, le P. Vincent, était un homme d’esprit et de talents remarquables. Il fut supérieur des Jésuites en Canada. Il a laissé quelques lettres, et une relation de sa mission de l’Acadie. Ses correspondances avec les chanoines de la cathédrale de Chartres sont bien écrites, et dénotent un homme rempli d’esprit.

Le P. Jacques, quoique moins brillant que son frère, était néanmoins remarquable. Il avait un zèle tout-à-fait étonnant pour le salut de ses sauvages. Les relations de ses missions le prouvent de la manière la plus évidente. Lorsqu’il transféra à Saint-François la mission de la rivière Chaudière, il y avait un certain nombre de sauvages qui n’étaient pas encore baptisés. Il continua leur instruction avec tant de soin et d’application qu’il eut la consolation de les baptiser tous lui-même. Il fut missionnaire des Abénakis en Canada pendant près de 28 ans. En 1708, il fut remplacé par le P. Jean Loyard, qui ne demeura qu’un an à Saint-François, laissant pour son successeur le P. Joseph Aubéry, le plus remarquable, sous tous rapports, des missionnaires de Saint-François.

Le P. Aubéry fut ordonné prêtre à l’automne 1700. Il dit sa première messe à la mission de Saint-François de Sales, où il demeura quelque temps ; puis il accompagna le P. Vincent Bigot à la mission de Pentagoët, Acadie, où il demeura quelques années. En 1709, il fut envoyé à Saint-François, et demeura dans cette mission jusqu’à sa mort, qui arriva en 1755. Il était alors dans sa 55ème année de prêtrise. Il fut inhumé dans la première église des Abénakis à Saint-François[684]. Environ dix ans plus-tard, ses cendres et celles de Samuel Gill furent exhumées et placées dans la nouvelle église.

Ce missionnaire demeura 46 ans à Saint-François. Pendant cette période, il exerça toujours les fonctions de son ministère avec un zèle qui ne se ralentit jamais. Aussi, sa mémoire est restée en vénération parmi les sauvages. On en parle encore aujourd’hui.

En 1750, il voulut renouveler l’union de prières que les Abénakis avaient contractée, près de soixante ans auparavant, avec les chanoines de la Cathédrale de Chartres, auxquels il écrivit la lettre suivante.

« Il y a une soixantaine d’années environ que votre illustre compagnie voulut bien contracter une union d’adoption par laquelle elle regardait la nation abénakise du Canada comme ses frères, quoique les Chefs de cette nation, n’osant pas s’élever si haut, se contentassent et se trouvassent infiniment honorez et avantagez d’estre, illustre compagnie, les enfans. Elle leur envoya dès lors une chemise d’argent en reliquaire. Pour répondre à cet honneur et ce bonheur, cette nation, quelques années après, n’ayant rien de plus précieux que ce qu’on appelle la porcelaine, qui est icy leur argent et leur or, on en composa en collier de onze rangs environ et de six pieds aussi environ de longueur, orné autant qu’ils le peuvent de porc-épic ; on l’enferma dans une boëste d’écorce travaillée aussi délicatement qu’on le peut faire en cette matière, et avant de l’envoyer à votre illustre compagnie, feu le R. P. Vincent Bigot, supérieur alors de la mission, l’exposa dans l’église pendant huit où neuf jours pour que, par les prières que firent les sauvages, la Sainte-Vierge eust pour agréable l’union que l’on prétendoit renouveler et affiermir pour toujours avec le chapitre de Chartres. Le présent fut envoyé, et vous eustes la bonté d’y respondre magnifiquement par une image de la Sainte-Vierge d’argent, toute semblable à celle que vous conservez dans votre église souterraine. Il y a maintenant 49 ans, et il y en aura 50 au printemps, selon que le marque la lettre de M. d’Ormeville, alors chanoine à Chartres, député dans le chapitre pour escrire au dit feu le R. P. Vincent Bigot. J’étois avec lui en la mission et ce fut cette année que je dis ma première messe, laquelle j’ai de nouveau célébrée hier pour la deuxième fois, après 50 années de prêtrise et de mission.

C’est cette union que nos Chefs, au nom de toute la mission, veulent à présent renouveler. Il est vrai que vos présens exposez dans l’église leur en rappellent continuellement la mémoire, mais ils veulent la rafraîchir et comme si elle estoit faite de nouveau. Ils demandent que je vous le témoigne s’ils avoient quelque chose ce précieux ils l’enverroient comme leur lettre ; de la porcelaine vous en avez desja un et il ne seroit d’aucune utilité. Ils vous prient donc que vous ayiez la bonté de regarder cette lettre comme une marque très-sincère et authentique des sentimens de leurs cœurs, pour que vous, monsieur et tous les messieurs de votre compagnie, les veuillent bien continuer de regarder et d’aider comme leurs enfans spirituels ; et, en effet, j’attribue à vos prières en partie que toute cette nation de la mission où je suis, ait fait un progrès considérable dans l’esprit du christianisme, que ce soit la plus fidèle et la plus attachée au service de Dieu et à celui du Roy.

« Je vous prie donc, monsieur, comme à la tête du chapitre de votre illustre compagnie, de recevoir cette parole, de la présente à vos messieurs, et d’écouter favorablement la prière de cette nation de Saint-François des Abénakis et de leur missionnaire, qui a l’honneur d’estre, quoiqu’inconnu, avec un profond respect en union de vos S. S. S. S. et de celle de vos messieurs,

« Monsieur,
Votre très-humble
et très-obéissant serviteur,
Jos. Aubery.
de la compagnie de Jésus.
missionnaire des Abénakis à Saint-François.
Michel Terrouërmant,
Jérôme Atecouando,
Nicolas Ouaouënouroué,
Pierre Thomas Pepiouërtnet.
Joseph Louis Magsiouiganbaouit »[685].

Le P. Aubéry était très-versé dans la langue abénakise. Il écrivait beaucoup et presque toujours en cette langue. Par un travail ardu et persévérant, pendant 46 ans, il forma une collection considérable de manuscrits précieux. Comme ces manuscrits étaient déposés dans l’église, avec les registres de la mission, ils furent malheureusement détruits, en 1759, dans l’incendie de cette église. De tous ces objets précieux, on n’a pu conserver qu’un vocabulaire abénakis et un fort cahier, contenant une grande quantité d’hymnes, de motets, de psaumes et de cantiques, parceque, lors de l’incendie, ils étaient entre les mains du P. Virot. Ce vocabulaire contient un grand nombre de notes fort précieuses qui nous ont servi beaucoup pour l’histoire des Abénakis.

Le successeur du P. Aubéry fut le P. F. Virot, qui fut missionnaire à Saint-François jusqu’à la capitulation de Montréal.

En 1757, le P. Virot fut absent de Saint-François, pendant quelques mois, ayant été envoyé, avec vingt Abénakis, à la vallée de l’Ohio, pour essayer d’y établir une mission chez les Loups, sauvages de cette contrée. Ce projet ne put réussir. Voici ce qu’écrivit à cette occasion un Père Jésuite[686], qui remplaçait à Saint-François le P. Virot, pendant cette absence. « Le but de mon voyage était uniquement de conduire à M. le Marquis de Vaudreuil une députation de vingt Abénakis, destinés à accompagner le P. Virot, qui est allé essayer de fondre une nouvelle mission chez les Loups d’Oyo ou de la Belle-Rivière. La part que je puis avoir dans cette glorieuse entreprise, les événements qui l’ont occasionnée, les difficultés qu’il a fallu surmonter, pourrait fournir dans la suite une matière intéressante pour une nouvelle lettre. Mais il faut attendre que les bénédictions répandues aient couronné les efforts que nous avons faits pour porter les lumières de la foi chez des peuples qui paraissent si disposé à les recevoir ».

À Bécancourt, les Abénakis furent desservis, de 1700-1716, par les Jésuites qui résidaient au Cap-de-la-Magdeleine. En 1716, le P. François-Eustache Lesueur y fut envoyé comme missionnaire.

Le P. Lesueur naquit en 1685, à Lunel, en Languedoc. Il entra chez les Jésuites et se consacra aux missions de l’Amérique. Il fut alors envoyé en Canada, où il arriva, dans le mois de Juin 1715. Il demeura 9 mois à Sillery, pour étudier la langue abénakise ; puis, en Septembre 1716, il fut envoyé à Bécancourt, où il demeura jusqu’en 1753, excepté quelques années qu’il alla, en différentes fois, desservir la paroisse de Sainte-Geneviève de Batiscan. En 1753, il descendit à Québec, où il mourut en 1755, à l’âge de 70 ans.

Le P. Lesueur travailla à Bécancourt pour le salut de ses sauvages avec autant de zèle et d’activité que le faisait le P. Aubéry à Saint-François ; mais il n’eut pas autant de consolation que lui dans sa mission. Tandis que les Abénakis de Saint-François faisaient de grands progrès dans le christianisme et édifiaient les Français par leur foi et leur piété, ceux de Bécancourt, trop près des Trois-Rivières, se livraient aux désordres de l’ivrognerie et causaient beaucoup de chagrin à leur missionnaire. « Souvent, » dit le P. de Charlevoix, « il gémissait devant Dieu sur les désordres de ses sauvages. » Cependant, à force de patience et de persévérance, le P. Lesueur l’emporta sur ces désordres.

Ce missionnaire était très-versé dans la langue abénakise. Il a écrit un dictionnaire de racines de cette langue. Cet ouvrage a été conservé. C’est un fort cahier de plus de 900 pages. Outre cet ouvrage remarquable, il a laissé une grande quantité de manuscrits, parmi lesquels on remarque un traité sur l'usage de la danse et du calumet chez les Abénakis. L’usage de la danse et du calumet était passé en superstition chez ces sauvages. On s’en servait, comme autrefois de la jonglerie, pour connaître les évènements futurs. Ce fut pour combattre ce désordre que le Père écrivit ce traité[687]. Presque tous les autres manuscrits sont des cahiers, contenant des sermons et des instructions sur les sacrements et la morale.

Le P. Lesueur fut remplacé à Bécancourt par le P. Simon-Pierre Gonnon.

Le P. Gonnon naquit à Toulon, en 1719. Vers 1752, il vint en Canada, et, en 1753, il fut envoyé à Bécancourt, où il demeura jusqu’en 1764. Il fut enlevé à ses sauvages par une mort prématurée. Le 3 Mai 1764, il s'était embarqué au Cap sur un méchant canot pour traverser le Saint-Laurent et se rendre à sa mission, Un fort vent de Nord-Ouest, qui s’éleva subitement, fit chavirer le canot, et le Père se noya. Un nommé François Arseneau,[688] meunier au Cap-de-la-Magdeleine, s’empressa d’aller à son secours, mais il ne put le sauver. Les restes du missionnaire furent trouvés à Deschambeault et inhumés sous le maître-autel de l’église de cette paroisse.



CHAPITRE VINGT-ET-UNIÈME.

captivité de la famille johnson chez les abénakis.

1754-1759.

L’histoire des Abénakis, pendant la période 1700-1760, nous présente une suite presque continuelle d’expéditions dans la Nouvelle-Angleterre. Deux voies y conduisaient ces sauvages : celle de la rivière Saint-François et celle du lac Champlain. Par la première voie, ils remontaient la rivière Saint-François jusqu’au lac Memphrémagog. De là, ils se rendaient à la rivière Connecticut ; puis, en suivant les torrents de cette rivière, ils allaient tomber sur les habitations anglaises. Par la seconde voie, ils remontaient la rivière Richelieu et se rendaient au fort Saint-Frédéric, sur le lac Champlain. De là, ils allaient attaquer les établissements anglais, en pénétrant dans la Nouvelle-Angleterre, tantôt par la rivière à l’Ognon, tantôt par celle à la Loutre.

Dans une de ces excursions, en 1754, ils se rendirent à Charlestown[689], y firent prisonnière une famille entière, du nom de Johnson, et l’emmenèrent à Saint-François. Cette famille demeura en captivité en Canada pendant près de cinq ans, puis elle retourna dans son pays.

Madame Johnson écrivit, en 1798, la narration de cette captivité[690]. Nous avons trouvé dans ce petit ouvrage des détails si intéressants touchant les Abénakis, que nous avons pensé que cette narration pouvait avoir place dans l’histoire de ces sauvages, afin de faire mieux connaître leurs mœurs et leurs usages, à cette époque. Cette narration fera d’ailleurs aussi connaître quelques excursions d’Abénakis dans la Nouvelle-Angleterre, que nous n’avons pas mentionnées dans leur histoire.

voyage à travers la forêt.

Dans le mois d’Août 1754, un détachement de guerriers abénakis partit du village de Saint-François, pour aller en excursion dans la Nouvelle-Angleterre. Il remonta la rivière Richelieu et se rendit au fort Saint-Frédéric. En cet endroit, les sauvages se divisèrent en plusieurs bandes, pour aller tomber à la fois sur différents établissements anglais. Douze guerriers se rendirent au côté droit du lac Champlain, et entrèrent dans la baie, située près de l’embouchure de la rivière à la Loutre. Après avoir mis leurs canots en sûreté, ils pénétrèrent dans la forêt et dirigèrent leur route vers Charlestown, situé à environ dix milles à l’Est de la rivière Connecticut. Ils tuèrent un ours, à une certaine distance du lac. Alors, ils laissèrent en cet endroit, sur le bord d’une petite rivière, un sac de farine, un peu de tabac et la graisse de cet ours, pour le retour du voyage. Cette graisse fut mise dans les entrailles de l’animal, qu’ils suspendirent aux branches d’un arbre. Puis, ils continuèrent leur route, et arrivèrent dans les environs de Charlestown, dans la nuit du 30 au 31.

À une petite distance du fort, était l’habitation d’un nommé James Johnson. Les sauvages se cachèrent près de cette habitation, et y passèrent le reste de la nuit.

Le fort de Charlestown ne renfermait alors qu’une trentaine de familles, dont la plupart étaient venues de Boston. Ce fort avait été construit en 1740, et les Willard, famille de Madame Johnson, en avaient été les premiers habitants. La famille Willard, existant à Boston depuis 1670, avait donné à l’armée anglaise plusieurs hommes courageux et braves, qui s’étaient distingués dans les guerres contre les sauvages de la Nouvelle-Angleterre. Les Abénakis avaient probablement de la haine contre cette famille, pour cette raison ; et comme il y avait beaucoup de Willard à Charlestown, ils en avaient peut-être aussi conçu de la haine contre ce fort.

Depuis son établissement jusqu’en 1760, ce fort fut plusieurs fois attaqué par les Abénakis et exposé au pillage. Pendant vingt ans, les habitants furent presque sans cesse sous l’empire de la crainte et eurent à supporter toutes les horreurs d’une guerre cruelle et presque continuelle avec ces sauvages. Ils ne tournaient leurs regards vers le Canada qu’avec frayeur, croyant toujours voir des sauvages et des Canadiens sortir de la forêt pour venir fondre sur eux, leur enlever des prisonniers, lever la chevelure de leurs femmes et de leurs enfants, ravager, piller leurs propriétés et détruire leurs bestiaux.

En 1746, la haine des Abénakis contre les habitants de Charlestown parut s’augmenter. Ils attaquèrent ce fort avec fureur, et furent sur le point de s’en emparer. Plusieurs édifices furent brûlés, et quelques colons furent faits prisonniers. Charlestown ne dut sa conservation, en cette occasion, qu’à la valeur du capitaine Stevens, qui, plusieurs années auparavant, avait été emmené captif à Saint-François, où il fut détenu quelques années. Il n’y avait qu’une cinquantaine d’Abénakis à cette attaque. Il est fort étonnant qu’un si petit nombre de guerriers aient osé attaquer un fort, bien palissadé et défendu par une forte garnison[691]. Malgré leur petit nombre, les sauvages attaquèrent résolument les Anglais. Après une longue lutte, ils furent repoussés ; alors ils se retirèrent dans la forêt, emmenant leurs morts et leurs blessés, ce qu’ils ne manquaient jamais de faire après un combat.

En 1748, Charlestown fut de nouveau attaqué par environ 200 Abénakis et Canadiens. Les Anglais, à la suite de l’attaque de 1746, avaient considérablement augmenté les fortifications et la garnison du fort. Des sentinelles étaient sans cesse placées en garde pour donner l’alarme à l’approche de l’ennemi. Aussi cette fois les Anglais ne furent pas surpris.

Les Abénakis investirent le fort, et le tinrent assiégé pendant cinq jours. Le capitaine Stevens sauva encore la place. Pendant son séjour à Saint-François, il avait étudié les usages des sauvages, et surtout leur manière de faire la guerre ; les connaissances qu’il avait acquises par cette étude le mirent en état de déjouer les ruses des sauvages. Les Abénakis firent plusieurs prisonniers, et brûlèrent quelques maisons ; mais, voyant que leurs tentatives pour s’emparer du fort étaient inutiles, ils se retirèrent.

La paix qui fut faite, en 1749, entre les Abénakis et les Anglais amena quelques années de tranquillité pour Charlestown. Mais la guerre ayant recommencé en 1754, les habitants de cette place se virent de nouveau attaqués et poursuivis par ces sauvages. Depuis cette époque jusqu’en 1760, des partis d’Abénakis firent des descentes chaque année dans les environs du fort, pillèrent et détruisirent des habitations, levèrent des chevelures, et firent un nombre considérable de prisonniers.

Reprenons notre récit. Le 31 Août, avant l’aurore, les douze Abénakis étaient cachés près de la maison de Johnson, lorsqu’un nommé Labarre, son engagé, vint frapper à la porte de son maître pour commencer sa journée de travail. Les sauvages profitant de cette occasion, se précipitèrent, la hache à la main, dans la maison. Ils s’emparèrent aussitôt des hommes, avant qu’ils pussent prendre leurs armes, et envahirent tous les appartements de la maison. Ils étaient horribles à voir : ils avaient la figure peinte en rouge, et étaient armés de fusils, de couteaux et de haches.

Toute défense était impossible, et Johnson fut forcé de se constituer prisonnier avec toute sa famille. Madame Johnson, ses enfants et une de ses sœurs, qui demeurait avec elle, furent impitoyablement arrachés du lit et entraînés, à moitié vêtus, hors de la maison.

Les captifs étaient au nombre de huit. Johnson, son épouse, Marie-Anne Willard, jeune fille de 14 ans et sœur de Madame Johnson, trois enfants de Johnson, Silvanus, âgé de 6 ans, et deux petites filles, Susanne et Polly, la première, âgée de 4 ans, la seconde, de 2, Labarre, et un nommé Farnsworth, qui avait passé la nuit chez Johnson.

Lorsque les sauvages eurent enlevé de la maison tous les effets qu’il leur était possible d’emporter, ils ordonnèrent aux captifs de marcher, et allèrent s’arrêter derrière un coteau, pour empaqueter le butin qu’ils venaient de faire. Deux sauvages se saisirent de Madame Johnson et la placèrent dans les broussailles, d’une manière un peu rude ; elle y perdit l’un de ses souliers, ce qui fut pour elle la cause de grandes souffrances.

Pendant ce temps, un nommé Osmer, qui avait aussi passé la nuit chez Johnson et qui n’avait pas été fait prisonnier parcequ’à l’arrivée des sauvages il s’était caché dans un coffre dans le haut de la maison, se rendit promptement au fort pour y annoncer cette triste nouvelle. Un parti fut immédiatement organisé pour aller à la poursuite des sauvages et délivrer les captifs ; mais M. Willard, père de Madame Johnson, commandant alors au fort, s’opposa fortement à ce projet, alléguant que la coutume invariable des sauvages était de tuer leurs prisonniers lorsqu’ils étaient attaqués[692]. Ce projet fut donc abandonné.

Les sauvages s’apercevant bientôt, par les coups de fusils qu’ils entendaient du côté du fort, que l’alarme y avait été donnée, et craignant qu’un détachement de troupes ne fut envoyé pour délivrer les prisonniers, précipitèrent leur fuite au pas de course ; entraînant leurs malheureuses victimes dans cette marche forcée. Ils s’enfuirent ainsi environ trois milles. Les prisonniers offraient alors le plus pénible spectacle. Les hommes chargés de paquets d’effets, étaient épuisés de fatigues ; Marie-Anne Willard ne marchait qu’avec peine ; les enfants hors d’haleine, sanglotaient et faisaient entendre des cris lamentables ; Madame Johnson, ne pouvant plus marcher, se laissa choir sur le sol. Elle était enceinte et touchait aux derniers jours de sa grossesse ; de là, il est facile de comprendre dans quel pénible état cette marche l’avait réduite ; et, en outre, son pied nu était déjà horriblement blessé, ce qui lui causait de grandes souffrances. Au milieu de la route qu’on venait de parcourir, elle avait été forcée de s’asseoir un instant : alors, un sauvage s’était avancé vers elle, tenant un couteau à la main ; elle avait cru qu’il voulait l’égorger, mais ce n’était que pour couper une bande qu’elle portait par dessus sa robe ; ce qui la soulagea, et la mit en état de pouvoir suivre les autres.

Les sauvages, voyant l’état d’épuisement des prisonniers, firent halte pour déjeuner. Ce repas fut très-frugal et ne consista qu’en un morceau de pain, quelques pommes et du raisin, objets enlevés à la maison.

Cependant, l’état de Madame Johnson causait quelqu’inquiétude aux sauvages, car ils avaient compris que sa situation ne lui permettait pas de faire un long voyage à pied, à travers les forêts ; et, pourtant, ils tenaient beaucoup à l’emmener en Canada. Ils trouvèrent bientôt le moyen de sortir de cet embarras, en s’emparant d’un vieux cheval qui se trouvait par hasard en cet endroit ; ce vieux cheval, connu par les prisonniers sous le nom de « Scoggin », porterait la femme malade pendant le voyage.

Pendant que les sauvages étaient occupés à s’emparer du cheval, Madame Johnson souffrait beaucoup. Ses jambes et ses pieds étaient couverts de sang. Alors, le prisonnier Labarre lui donna ses propres bas, et un sauvage, touché de compassion, lui offrit une paire de souliers d’orignal.

Des couvertes furent mises sur le dos du vieux Scoggin, la malade y fut placée, et l’on continua la route. Après avoir marché ainsi environ sept milles, on arriva à la rivière Connecticut. Les préparatifs pour traverser cette rivière furent faits de suite. On fit des radeaux avec des pièces de bois sec. Deux sauvages et Farnsworth traversèrent sur le premier radeau ; Johnson, son épouse et ses enfants furent placés sur le second ; Labarre traversa le cheval à la nage. Tous arrivèrent sains et saufs sur la rive opposée, à 4 heures de l’après-midi.

On s’arrêta en cet endroit pour prendre quelque nourriture. Après le repas, les sauvages firent l’inventaire de leur butin, qui valait environ $200. Alors, défiant tout danger, ils se livrèrent aux excès de la joie, entonnèrent leur chant de guerre, et dansèrent pendant près d’une heure.

Pendant cette désagréable scène, Madame Johnson, au milieu des cris et des hurlements des sauvages, versait des larmes, à la vue de la pénible condition de sa famille, et en songeant à la position alarmante où elle se trouvait elle-même. « Captifs », dit-elle, « au pouvoir d’impitoyables sauvages, sans provisions et presque sans vêtements, enfoncés dans la forêt, où nous devions séjourner aussi longtemps que les enfants d’Israël dans le désert, notre condition était des plus tristes. Et, pour ajouter à notre malheur, nos maîtres sauvages ne comprenaient pas un mot d’anglais. Je quittais mes vieux parents, mes frères et sœurs et mes amis pour voyager avec des sauvages, à travers une affreuse forêt et des régions inconnues, dans un temps où j’étais moi-même dans une si alarmante situation ».

Suivant une coutume existant alors chez les Abénakis, celui qui le premier mettait la main sur un prisonnier en était considéré comme le maître et le propriétaire. Ainsi, suivant cette coutume, chacun de nos captifs avait son maître, auquel il devait se soumettre aveuglement, pour ne pas s’exposer à recevoir de rudes traitements.

Lorsque les sauvages eurent terminé leurs réjouissances, ils ordonnèrent le départ. On marcha sept ou huit milles, puis on s’arrêta pour le campement de la nuit.

L’ouvrage du campement consistait à allumer un petit feu, à couper quelques morceaux de bois sec pour entretenir le feu pendant la nuit, puis, à étendre sur le sol des branches de sapin pour servir de lits aux voyageurs. Après le repas du soir, les sauvages se plaçaient autour du feu, s’asseyant sur leur talons, et passaient plusieurs heures à converser ; les plus anciens de la bande racontaient longuement aux jeunes gens leurs exploits, soit à la chasse, soit à la guerre. Ces discours, où les moindres détails n’étaient jamais oubliés, étaient écoutés avec la plus grande attention. Après cette longue conversation, chacun prenait sa place sur les branches de sapin, et dormait bientôt d’un profond sommeil, comme sur le meilleur lit de duvet.

Avant de se livrer au sommeil, nos excursionnistes mirent leurs prisonniers et leur camp en sûreté. Deux sauvages furent placés à la garde du camp pendant toute la nuit[693]. Voici ce qui fut fait pour les prisonniers. On fendit des morceaux de bois à l’une de leurs extrémités seulement, puis on emprisonna les jambes des hommes dans cet étau d’un nouveau genre ; l’autre extrémité des morceaux de bois était liée, par le moyen de cordes, à des branches d’arbre, à une hauteur assez grande pour que les prisonniers ne pussent y atteindre. Marie-Anne Willard fut forcée de se coucher entre deux sauvages. On lui avait mis autour du corps une corde, dont les deux extrémités étaient retenues sous ces sauvages. De sorte qu’elle ne pouvait faire le moindre mouvement sans éveiller ses deux gardiens. Ces précautions furent prises pendant six jours.

Comme on ne craignait pas l’évasion de la malade, on lui permit de reposer près de ses enfants et on lui donna des couvertes. Sans cet acte d’humanité et de prudence de la part des sauvages, Madame Johnson et ses enfants seraient certainement morts de froid avant d’arriver en Canada. On sait que la plupart des prisonniers furent arrachés de leurs lits ; ils furent entraînés si précipitamment qu’ils n’eurent pas même le temps de se vêtir. Johnson et Farnsworth avaient les pieds nus et n’avaient sur eux que leurs pantalons et leurs chemises ; Madame Johnson et sa sœur étaient vêtues de vieilles robes qu’un sauvage leur avait apportées en partant de la maison ; les enfants n’avaient pas d’autres vêtements que leurs chemises. Voilà comment les prisonniers étaient vêtus pour faire un long voyage, à travers les forêts et les montagnes, dans une saison pluvieuse, où les nuits sont parfois brumeuses et fort froides. Aussi, la première nuit qu’ils passèrent en plein air fut affreuse pour eux ; cependant les grandes fatigues de la journée les forcèrent à prendre quelques heures de repos.

Le lendemain, 1 Septembre, les sauvages furent sur pied avant le lever du soleil, au premier cri du Chef[694]. Ils préparèrent immédiatement leur déjeuner, donnèrent à leurs captifs un peu de bouillie d’eau et de farine, et ordonnèrent la marche aussitôt après le repas. Cependant, Madame Johnson était si malade et si faible qu’elle se sentait incapable de se tenir sur le cheval. Alors, il fut signifié à Johnson de prendre place près de sa femme, pour la soutenir pendant la marche. On fit route pendant deux heures, puis un nouvel incident vint se joindre aux misères du voyage. La malade fut soudainement prise des douleurs de l’enfantement. Les sauvages firent signe à Johnson de descendre près d’un petit ruisseau. Ils parurent vivement touchés de la pénible position de cette femme, montrèrent beaucoup d’humanité à son égard en cette circonstance, et observèrent strictement les règles de la décence. Ils firent une cabane, y déposèrent la malade, laissèrent auprès d’elle son mari et sa sœur, pour en avoir soin, et se retirèrent à l’écart avec le reste de la troupe, après avoir donné les linges et les couvertes nécessaires pour l’usage de la malade.

Qu’on se figure la position de cette malheureuse femme en ce moment. Voici ce qu’elle écrit elle-même à ce sujet. « Ici tout lecteur compatissant versera une larme sur mon inexprimable misère. J’étais éloignée d’environ vingt milles des habitations d’êtres civilisés, au milieu de la forêt rendue froide par un jour pluvieux. J’étais privée, dans un des moments les plus périlleux de la vie, de tout ce qui est nécessaire et convenable dans une pareille circonstance. Les mères seules peuvent se figurer ma malheureuse situation ».

Les enfants, séparés de leurs parents et retenus à distance par leurs maîtres, criaient et fondaient en larmes. Ils pensaient que les sauvages allaient faire mourir leur mère.

Quelques heures après, Madame Johnson avait mis au monde une fille. Les sauvages parurent fort contents à cette nouvelle. Ils apportèrent du linge pour envelopper l’enfant, des épingles et des écorces pour attacher ses vêtements, et une grande cuillère de bois[695], pour le faire manger. Ils décidèrent de passer le reste du jour en cet endroit, afin de laisser reposer la malade, et employèrent ce temps à faire une espèce de litière pour la porter.

Le 2, nos voyageurs se mirent en route de grand matin. La malade et son enfant furent placés sur la litière ; Johnson, Labarre et Farnsworth furent chargés de la porter alternativement ; Marie-Anne Willard et le jeune Silvanus furent placés sur le cheval, et les deux petites filles furent portées par leurs maîtres. On marcha environ deux heures, et il fut impossible alors d’aller plus loin, parceque les porteurs de la litière étaient tellement fatigués qu’ils ne pouvaient plus marcher.

Les sauvages, fort embarrassés, se réunirent en conseil, pour délibérer sur le parti qu’ils devaient prendre. Il leur répugnait beaucoup de porter eux-mêmes la malade ; car, suivant eux, il ne convenait pas à des guerriers de porter une femme étrangère, même dans le cas d’une extrême nécessité. Dans cet embarras, quelqu’un proposa d’abandonner la malade dans la forêt ; mais tous les autres rejetèrent cette proposition avec horreur, disant qu’ils ne consentiraient jamais à se déshonorer par cet acte à la fois si lâche et si cruel. Ils décidèrent de mettre de nouveau la malade sur le cheval, et d’essayer de continuer le voyage de cette manière. Mais on comprend qu’il ne fut pas possible à la malade d’aller bien loin. « Chaque pas du cheval, » dit-elle, « me privait presque de la vie. Mon état de faiblesse et de souffrance me rendait en quelque sorte insensible à toutes choses ».

On marchait très-lentement. La plus profonde tristesse était peinte sur la figure de tous les prisonniers ; les sauvages étaient dans la plus grande inquiétude et gardaient le silence. À chaque heure, il fallait s’arrêter et déposer la malade sur le sol, afin de lui laisser prendre quelques moments de repos ; sa vie fut ainsi conservée pendant le troisième jour du voyage.

Nos voyageurs campèrent ce jour là à la tête de la rivière blanche (White river), aux pieds de la chaîne de montagnes, connues aujourd’hui sous le nom de montagnes vertes du Vermont.

Le 3, l’air était froid et humide. Une brume épaisse glaçait les membres endoloris des prisonniers ; les enfants, à moitié nus, transis de froid et tremblotants avaient peine à se remuer ; Madame Johnson était encore plus malade que le jour précédent, et paraissait à chaque instant sur le point d’expirer.

Dans cette grande détresse, il semblait aux prisonniers qu’il leur était impossible de continuer la route ce jour là, vu qu’ils se trouvaient précisément à l’endroit le plus hasardeux et le plus périlleux du voyage, puisqu’il fallait franchir la chaîne de montagnes. Les sauvages comprenaient combien était il difficile de transporter la malade à travers ces montagnes. Mais, étant à bout de provisions, il fallait continuer le voyage, pour ne pas s’exposer à mourir de faim dans la forêt. Ils se mirent donc en route, après avoir partagé avec leurs prisonniers un peu de farine et d’eau.

Comme le jour précédent, la malade fut mise sur le cheval. Ce jour là, la marche fut des plus pénibles et des plus difficiles. Tantôt on traversait de longues savanes, dans l’eau et la boue jusqu’à mi-jambe, tantôt on franchissait des montagnes hautes et escarpées ; et lorsqu’on rencontrait des escarpements que le cheval ne pouvait gravir avec sa charge, on portait la malade sur le haut de ces rochers. On marcha de cette manière jusqu’au soir, sans prendre aucune nourriture, et, pour ajouter encore à cette misère, il fallut passer la nuit suivante sans souper. Aussi, cette nuit fut affreuse pour les prisonniers. La faim et les souffrances les empêchèrent de prendre un seul instant de repos.

Le lendemain matin, le 4, les sauvages partagèrent avec les prisonniers quelques gorgées d’eau et de farine, le reste de leurs provisions, et se mirent en route. Voyant qu’ils n’avaient plus de provisions, ils s’arrêtèrent plusieurs fois dans la journée, pour organiser des partis de chasse. Mais les chasseurs ne rapportèrent rien de ces excursions. La plus grande inquiétude règna alors parmi les voyageurs. Ils souffraient de la faim depuis plusieurs jours, et ils se voyaient décidément sans moyen d’apaiser cette souffrance qui les dévorait[696].

Ils arrivèrent, le soir, à une petite rivière, qui se jette dans celle à la Loutre, et y firent le campement de nuit. Ils tinrent alors conseil, et décidèrent de tuer le cheval, pour se procurer de la nourriture. Ils en avaient déjà eu l’idée, mais ils n’avaient osé le faire, craignant de se trouver ensuite dans l’impossibilité de transporter leur malade ; mais, convaincus que le manque de nourriture était la principale cause de son extrême faiblesse, ils pensèrent qu’un peu de bouillon de viande de cheval rétablirait ses forces, et la rendrait capable de continuer le voyage à pied. Aussitôt, un coup de fusil abattit le vieux Scoggin, et bientôt d’énormes morceaux de viandes de cheval bouillirent dans la chaudière de voyage.

Les sauvages se hâtèrent de préparer pour la malade un bouillon, qu’ils assaisonnèrent d’herbes et de racines cueillies dans la forêt, ce qui lui donna une odeur et une saveur agréables. La malade le trouva excellent, et ressentit de suite un grand soulagement ; on lui en donna plusieurs fois pendant la soirée, ce qui rétablit ses forces d’une manière bien sensible.

Les sauvages dévorèrent la viande de cheval avec gloutonnerie, et purent enfin satisfaire leur appétit, en savourant avec délices cette étrange nourriture. Les prisonniers se virent dans l’obligation de partager ce repas dégoûtant. Quoique la faim soit la meilleure des sauces, elle ne suffit pas cependant pour dissiper leur répugnance à la vue d’une pareille nourriture. Les enfants en mangèrent trop abondamment, et cette gloutonnerie leur fut funeste, car ils en furent malades pendant plusieurs jours.

Les sauvages, ayant entièrement réparé leurs forces par cette abondante nourriture, et voyant que leur malade était mieux, retrouvèrent tout-à-coup toute leur gaîté, et se livrèrent aux réjouissances. Ils chantèrent et dansèrent jusqu’à une heure fort avancée de la nuit. Quelques uns furent chargés de préparer les provisions pour les jours suivants, et passèrent la soirée à faire sécher et fumer la viande de cheval[697].

Madame Johnson, quoique bien mieux, passa la plus grande partie de la nuit sans dormir. Mille pensées se présentaient à son esprit et l’inquiétaient. Le cheval, qui l’avait portée pendant plusieurs jours, n’existait plus, et comment pourrait-elle continuer le voyage ? Elle ne connaissait pas les véritables intentions des sauvages à son égard, cependant elle les croyait décidés à mettre bientôt un terme à sa malheureuse existence. « La nuit », dit-elle, « fut une suite de craintes affligeantes pour moi, et mon extrême faiblesse avait tellement affecté mon esprit que toute difficulté me paraissait doublement terrible. Par l’assistance de Scoggin, j’avais été transportée bien loin, quoique ma faiblesse fût si grande qu’à chaque heure il fallait me déposer sur la terre pour m’empêcher d’expirer ; mais, désormais, je n’aurais plus ce secours, et je sentais qu’il m’était impossible de marcher. La mort au milieu des forêts me paraissait donc inévitable ». Ces pensées, l’empêchant de reposer, la fatiguèrent beaucoup, et lui firent perdre les forces qu’elle avait recouvrées dans la soirée.

Le 5, dès avant l’aurore, les sauvages étaient déjà à l’œuvre, pour préparer l’un de leurs plus friands mets. Les os moëlleux du vieux cheval furent jetés dans la chaudière, et y bouillirent bientôt, avec une grande quantité d’herbes et de racines. Les sauvages se régalèrent de cette soupe, et les prisonniers la trouvèrent excellente.

On fit alors les préparatifs du départ. Les sauvages, croyant que la malade était assez bien pour marcher, ne s’en occupèrent point, et se mirent en route. Déjà ils étaient presque tous partis, avec la plupart des prisonniers, lorsque Madame Johnson s’aperçut qu’on n’avait rien fait pour la transporter ; elle ignorait complètement ce qu’on voulait faire à son égard. Voici comment elle raconte ce qui arriva alors. « Mon sort m’était complètement ignoré, lorsque mon maître apporta quelques écorces avec lesquelles il attacha ma robe, en la relevant un peu pour me faciliter la marche, puis, il me signifia de le suivre. J’avais à peine assez de force pour me tenir debout ; cependant, je marchai environ un demi mille, accompagnée de mon fils et de trois sauvages. Alors, il me fut impossible de faire un seul pas de plus ; ma vue s’obscurcit, je tombai et perdis connaissance. »

Dans la conviction où elle était qu’on voulait la tuer, elle crut, en tombant, voir un sauvage lever la hache au-dessus de sa tête, et entendre son fils s’écrier : « Maman, marche, car ils veulent te tuer. » Elle pensa donc qu’elle allait mourir.


Les sauvages, fort embarrassés par cet incident inattendu, se réunirent en conseil, et décidèrent que Johnson se tiendrait près de sa femme pour la soutenir dans la marche. On chemina ainsi pendant quelques heures ; mais bientôt la malade devint si faible qu’elle s’évanouissait à chaque instant. Il fut donc impossible de continuer la route de cette manière. Un second conseil fut tenu, et il fut décidé que Johnson porterait sa femme. On leva des écorces, on en fit une espèce de selle, que l’on mit sur le dos de Johnson, et on y plaça la malade. On marcha ainsi le reste du jour.

Le lendemain, le 6, Madame Johnson, à sa grande surprise, se sentit bien mieux ; ses forces étaient grandement rétablies. Grâce à sa forte constitution, elle se trouvait, sans le secours de remèdes, en pleine convalescence d’une maladie qui l’avait conduite sur le bord de la tombe.

Les sauvages décidèrent qu’elle marcherait ce jour là, et ordonnèrent le départ. Bientôt, l’on arriva à une petite rivière que l’on traversa à gué, Madame Johnson, marchant plus lentement que les autres, y arriva lorsque toute la troupe était déjà sur la rive opposée. On lui signifia de traverser comme les autres. « Dès que je fus dans l’eau froide », dit-elle, « le peu de forces que j’avais disparut entièrement. Je ne pouvais, ni voir, ni parler. J’étais sans mouvement et sur le point de tomber, lorsque mon mari arriva à mon secours, et me porta sur l’autre rive ».

On s’empressa alors d’allumer du feu pour la réchauffer et lui préparer quelque nourriture. Ses forces se rétablirent peu-à-peu, et, après quelques heures de repos, elle se trouva capable de continuer la route. Cependant, il fut décidé que son mari la porterait, comme le jour précédent. Vers 4 heures de l’après-midi, on s’arrêta pour la réchauffer, car elle souffrait encore du froid. Pendant qu’on lui prodiguait des soins, elle était livrée à de sombres réflexions. « Sept jours, » dit-elle, « s’étaient presqu’écoulés depuis le fatal matin où nous avions été faits prisonniers, et par la divine miséricorde de celui qui conserve la vie à tous, nous étions encore vivants. Mon mari épuisé de fatigue, mes enfants presque nus, mon pauvre petit sans appui, formaient une scène qui me faisait plus souffrir que les douleurs que j’endurais. »

On arriva, le soir, à l’endroit où les sauvages avaient déposé des provisions, quelques jours auparavant. Le sac de farine et la graisse d’ours furent trouvés en bon ordre. Les prisonniers admirèrent alors la sagacité des sauvages, dans leurs voyages.

Pendant la nuit du 6 au 7, les prisonniers ne furent pas mis en sûreté, parcequ’on ne craignait plus leur évasion. Les hommes furent débarrassés des morceaux de bois fendus, qui les avaient tant fait souffrir pendant les nuits précédentes, et Marie-Anne Willard put reposer dans la cabane de sa sœur.

Le 7, l’air était froid et humide. Quoique le commencement de Septembre donne ordinairement des jours de beau temps et de chaleur, dans ce voyage l’air était presque toujours froid et brumeux, le matin, et, comme les forêts et les montagnes cachaient le soleil la plus grande partie de la journée, les voyageurs avaient à souffrir de l’incommodité du froid et de l’humidité pendant tout le jour.

Johnson fut chargé de porter la malade, et l’on se mit en route ; vers 1 heure de l’après-midi, il était si épuisé de fatigue qu’il ne pouvait plus marcher, et la maladie de sa femme était considérablement augmentée. Pendant la route qu’on venait de parcourir, il avait été obligé de la déposer plusieurs fois sur le sol, afin de l’empêcher d’expirer. Voici ce qu’elle dit elle-même. « Pendant que j’étais couchée sur le sol, dans une si grande prostration de forces que je ne pouvais qu’avec peine prononcer une seule parole, j’eus souvent la pensée de prier mon mari de m’abandonner en cet endroit, pour me laisser terminer une malheureuse existence qui évidemment touchait à sa fin, pour sauver sa propre vie qu’il était en danger de perdre s’il continuait de me porter. Mais j’eus horreur de cette idée, et la repoussai ». Farnsworth fut alors chargé de porter la malade, et l’on marcha ainsi jusqu’au soir.

La nuit du 7 au 8 fut horrible. Ce fut une de ces nuits orageuses, si fréquentes dans cette saison de l’année. Elle fut d’abord extrêmement ténébreuse puis bientôt une affreuse tempête s’éleva. La foudre éclatait avec un bruit épouvantable, mille fois répété par les échos de la forêt ; de toutes parts, l’atmosphère était sans cesse sillonnée par les éclairs, et la pluie tombait avec une abondance extraordinaire. Les. sauvages paraissaient épouvantés. Ils coururent aussitôt au secours de la malade et lui portèrent des couvertes, pour la préserver de la pluie, qui pénétrait dans sa cabane de toutes parts.

Le lendemain, le 8, le temps était beau. Un soleil brillant mit la joie dans le cœur des sauvages et ranima leurs esprits abattus. Les prisonniers ressemblaient plutôt à des spectres qu’à des êtres vivants. Plongés dans la plus noire mélancolie, des larmes humectaient leurs joues malades et amaigries. Malgré leur grande détresse, il fallait encore se mettre en route, sans savoir quand arriverait enfin le terme de cet affreux voyage. Madame Johnson, à qui on avait signifié que son mari la porterait ce jour là, était dans les plus profondes inquiétudes ; car elle craignait fortement qu’il ne se trouvât dans la pénible alternative, ou de mourir avec elle, ou de l’abandonner seule dans la forêt. Cette idée la faisait souffrir plus que sa maladie.

Quelques moments après le départ, on fit comprendre aux prisonniers qu’on arriverait au lac Champlain avant la nuit. Cette nouvelle ranima leur courage et produisit chez eux une transition subite du désespoir à la joie. La pensée qu’ils allaient arriver à un endroit où ils voyageraient par eau leur causa une telle joie qu’ils parurent oublier entièrement leurs souffrances et leurs fatigues, et se mirent alors à marcher avec vitesse.

Deux sauvages furent envoyés à la chasse, avec ordre de rejoindre les autres au lac et d’y préparer les canots. Vers 4 heures de l’après-midi, on aperçut, d’une éminence, les eaux du lac, et bientôt on y arriva.



CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME.

voyage du lac champlain à saint-françois.  captivité chez les abénakis.

On comprend quelle fut la joie de Madame Johnson lorsqu’elle se vit enfin sur le bord du lac Champlain ; le désespoir et ses horreurs furent à l’instant chassés de son esprit pour faire place aux influences d’une douce et bienveillante espérance. Les neufs jours de souffrances étaient terminés ; elle ne reverrait plus ces sombres et épaisses forêts, ces abruptes et hautes montagnes, ces savanes froides et fangeuses. Elle avait tant souffert dans cette longue route de neuf jours que la continuation du voyage, par la voie de l’eau, lui paraissait un véritable bonheur. Son mari allait être enfin débarrassé du fardeau qui l’avait conduit aussi près de la mort qu’elle-même. Ses chers enfants, qui avaient tant souffert du froid, trouveraient bientôt des vêtements, et ses malheureux compagnons de captivité recevraient certainement quelque soulagement à leurs misères. Douze heures de navigation suffiraient pour les conduire aux établissements français, où ils rencontreraient enfin des êtres civilisés qui seraient touchés de leur malheur et leur donneraient volontiers quelques secours. Telles furent les pensées qui roulèrent dans l’esprit de notre malade. Aussi, l’heure qui s’écoula pendant qu’elle était assise sur le bord du lac Champlain fut, comme elle le dit elle-même, l’un des plus heureux moments de sa vie.

Il était l’heure du campement de la nuit, mais les sauvages voulurent profiter du calme de la nuit, pour traverser au côté gauche du lac. On s’embarqua donc sur les canots aussitôt après le souper. On marcha toute la nuit, au milieu d’épaisses ténèbres, par un temps froid et devenu très-humide par une épaisse brume.

Le lendemain, le 9, on alla débarquer, avant l’aurore, à un rocher, situé du côté Ouest du lac. Les sauvages se hâtèrent d’y allumer le feu, afin de réchauffer les prisonniers, qui avaient peine à se remuer, tant leurs membres étaient engourdis par le froid et par la position gênante du canot. Pendant ce temps, quelques uns se rendirent à une habitation française, située dans le voisinage, et en rapportèrent du pain, de la viande et du maïs. La chaudière fut aussitôt mise au feu, et, bientôt, la viande et le maïs exhalèrent en bouillant d’agréables vapeurs qui vinrent flatter délicieusement l’odorat des prisonniers. L’odeur seule de cette nourriture connue soulageait singulièrement leurs estomacs, affaiblis et dégoutés par la mauvaise nourriture qu’ils avaient reçue depuis neuf jours. Aussi, le repas qui leur fut servi quelques instants après fut délicieux pour eux.

Après avoir assouvi leur appétit, les sauvages se livrèrent aux réjouissances. Pendant le voyage dans la forêt, ils avaient souffert par les inquiétudes et par la faim ; mais désormais ils n’auraient plus d’inquiétudes et ne manqueraient plus de provisions. Alors, ils se livrèrent à tous les excès d’une joie sauvage. La scène qu’ils offraient dans cette réjouissance était horrible à voir. Ils chantaient et sautaient en poussant des cris, semblables à des hurlements, accompagnés de gesticulations, de contorsions et d’affreuses grimaces. Il faudrait avoir été témoin d’une semblable scène pour en comprendre toute l’horreur.

Après ce tapage infernal, on organisa la danse guerrière. Cette danse consistait à sauter autour du feu en chantant. Chacun chantait sur le ton qui lui convenait, sans s’occuper le moins du monde des règles. de l’harmonie. Le meilleur danseur était celui qui sautait le plus agilement et qui se distinguait par les contorsions. Les prisonniers furent obligés de prendre part à cette danse, et, comme ils étaient très-inhabiles dans cet exercice, les sauvages se moquaient d’eux, en leur signifiant de sauter plus haut et de crier plus fort.

Après la danse, les sauvages voulurent se donner le luxe d’un concert de blancs. Ils invitèrent donc les prisonniers à leur faire entendre chacun une chanson. Tous furent obligés de chanter, même Madame Johnson et ses enfants.

Vers le milieu de la matinée, sept nouveaux sauvages arrivèrent, revenant d’une expédition. Les prisonniers leur furent présentés, et les réjouissances recommencèrent avec le même tapage qu’auparavant.

Lorsque les réjouissances furent terminées, on se mit en route vers le fort Saint-Frédéric, où on arriva à midi. Les prisonniers furent conduits à la maison du commandant. Ils y furent reçus avec cette politesse qui caractérise si bien les Français. On leur procura des vêtements, et on leur donna un excellent dîner. Pendant ce temps, les dix-neuf sauvages demeurèrent à l’extérieur de la maison, d’où ils faisaient entendre leurs cris de guerre, accompagnés d’un tapage semblable à celui qu’ils avaient fait dans la matinée.

Après le dîner, les captifs furent présentés au commandant, qui leur fit subir un interrogatoire. Cet officier fut touché de leur misère, mais il ne put leur rendre la liberté ; cependant il les garda quatre jours au fort, afin de leur procurer les soins et le repos nécessaires pour rétablir leurs forces épuisées ; il leur procura un logement convenable, et ordonna qu’on leur donna les meilleurs soins possibles.

Pendant ces quatre jours, ils furent traités avec beaucoup de bonté et de civilité. Des personnes charitables les visitèrent et parurent touchées de leur malheureux sort. On donna à Madame Johnson une garde-malade, qui lui prodigua tant de soins qu’elle recouvra entièrement la santé. Les enfants reçurent aussi des soins particuliers, et on les habilla même élégamment. Un jour on présenta à Madame Johnson son petit enfant, habillé d’une manière si élégante qu’elle ne put le reconnaître.

Le prisonniers, se voyant traités avec tant de politesse et tant de soins charitables, paraissaient oublier leur malheur. Mais le quatrième jour arriva et s’écoula bien vite. Il leur fallut dire adieu à ce toit hospitalier, pour se mettre sous la domination de leurs maîtres.

Le 13, ils furent livrés aux sauvages, qui les embarquèrent sur un vaisseau partant pour St Jean. Peu de temps après le départ, le vent étant devenu contraire, on jeta l’ancre.

Bientôt, un canot, portant une dame qui allait à Albany, passa près du vaisseau. Johnson pria cette dame de se charger d’une lettre pour Albany. Il écrivit alors au colonel Lyddius, l’informant de ce qui était arrivé à sa famille, et le priant de faire publier ces renseignements sur les gazettes de Boston, afin de faire connaître à ses parents qu’il vivait encore avec toute sa famille. Quelque temps après, on lisait sur les journaux de Boston « que James Johnson et sa famille avaient été faits prisonniers à Charlestown, le 31 Août, par un parti d’Abénakis, et qu’ils avaient été emmenés en Canada par ces sauvages. »

On arriva au fort Saint-Jean, le 16, après une désagréable navigation de trois jours. Les captifs y furent reçus avec la même politesse qu’à Saint-Frédéric. Madame Johnson fut placée, avec son enfant, dans une bonne chambre, et une femme fut chargée de lui donner tout ce qui lui serait nécessaire.

Le lendemain, le 17, il fallut continuer le voyage. Les captifs furent livrés aux sauvages et embarqués sur un bateau, partant pour Chambly. Comme ce bateau était trop chargé, le capitaine ordonna bientôt de débarquer quelques prisonniers. Alors deux. sauvages débarquèrent avec Labarre, Madame Johnson et son enfant.

Cet incident fut un sujet d’inquiétude et d’angoisse pour les prisonniers. Comme ils ne savaient pas un mot de français ni d’abénakis, ils n’avaient pas compris l’ordre qui avait été donné, et pensèrent qu’on voulait les séparer peut-être pour toujours. Madame Johnson quittait son mari et ses enfants, sans savoir si elle les reverrait jamais ; Johnson était dans les mêmes inquiétudes, et les enfants, croyant que les sauvages allaient tuer leur mère, fondaient en larmes. Cette scène jetait la désolation dans le cœur de tous les captifs. Mais ils reconnurent bientôt que leurs craintes étaient mal fondées, car, quelques heures après, ils étaient tous réunis au fort Chambly, où on leur donna une bienveillante hospitalité.

Le 18, ils furent de nouveau livrés à leurs maîtres et embarqués cette fois sur des canots, pour faire route vers Sorel, où ils arrivèrent le 19 au matin.

À la nouvelle de l’arrivée de cette troupe de sauvages avec des prisonniers, un charitable citoyen de l’endroit se rendit au rivage, pour jouir un instant du triste spectacle qu’offrait ces malheureux captifs. Touché de compassion à la vue de leur pénible état, il les invita à aller se reposer quelques instants chez lui. Les sauvages s’y opposèrent d’abord, mais ils cédèrent aux instances du charitable citoyen. Ce brave homme fit servir aux captifs des rafraîchissements et un bon déjeuner ; puis il ordonna de préparer quelque nourriture pour le petit enfant, qui attirait particulièrement son attention et sa commisération. Mais, les sauvages, demeurés à l’extérieur de la maison, n’accordèrent pas le temps nécessaire ; ils murmuraient, menaçaient et demandaient à grands cris leurs captifs. Il fallut se rendre à leur exigence.

On se rembarqua de suite et l’on continua la route. vers le village abénakis. On arriva vers midi à l’embouchure de la rivière Saint-François, à environ cinq milles du village sauvage. On s’arrêta en cet endroit pour diner.

Après le repas, les sauvages organisèrent encore leur danse guerrière ; les cris et les hurlemens se firent entendre de nouveau, et la danse fut encore accompagnée de mouvements violents, de gestes et de contorsions indescriptibles. Les prisonniers furent forcés de chanter et de danser jusqu’à complet épuisement. Alors on procéda à leur toilette.

C’était alors la coutume chez les Abénakis de faire une grande fête chaque fois que des guerriers arrivaient d’une expédition contre l’ennemi. On décorait les prisonniers de la manière qui paraissait la plus propre à faire connaître leur valeur et leur importance, puis, on les conduisait par tout le village. Tous les sauvages, hommes, femmes et enfants, les suivaient, en poussant d’horribles cris.

Nos excursionnistes firent donc la toilette de leurs prisonniers, pour se conformer à cette coutume. Ils leur donnèrent des habits nouveaux et leur rougirent la figure avec du vermillon, mêlé à de la graisse d’ours. Puis ils continuèrent leur route vers le village, et envoyèrent deux d’entr’eux en avant, pour annoncer aux sauvages la nouvelle de leur arrivée.

Bientôt, l’air retentit des cris venant du côté du village. Les excursionnistes, ne voulant pas se laisser surpasser en hurlements par leurs frères, leur répondirent aussi fortement et aussi longtemps qu’il leur fut possible. Cet affreux tapage dura jusqu’à l’arrivée des guerriers et se continua encore longtemps après.

À peine les canots eurent-ils touché le rivage qu’un grand nombre d’enfants et de femmes y accoururent, suivis des guerriers.

Voici une coutume qui existait alors chez les Abénakis. Lorsqu’on amenait des captifs au village, les guerriers, revêtus de leur accoutrement de guerre, allaient les recevoir au village. Ils s’y plaçaient en deux rangs, laissant entre chaque rang un espace suffisant pour y laisser passer les captifs. Alors, chaque maître entonnait le chant de guerre, et, prenant son captif par la main, il le conduisait à son wiguam, en passant lentement entre les deux rangs de guerriers. Chaque guerrier mettait la main sur l’épaule du captif qui passait devant lui, pour lui signifier qu’il serait désormais son maître. Quelquefois, on plongeait les captifs à l’eau avant de leur permettre de mettre pied à terre.

Ce fut en observant ce cérémonial qu’on conduisit nos prisonniers aux wiguams de leurs maîtres. Là, ils subirent une véritable exhibition. Un grand nombre de sauvages vinrent les visiter et parurent fort satisfaits.

Le wiguam abénakis était bien loin de ce que l’on peut appeler aujourd’hui élégant et confortable. C’était une longue loge d’écorce de bouleau. Il n’y avait à l’intérieur, ni plancher, ni plafond, ni lits, ni poêle, ni cheminée. La terre nue, durcie et bien aplanie, servait de plancher. On faisait le feu au milieu, et la fumée s’échappait par une ouverture, pratiquée au-dessus dans la couverture du wiguam. Les seuls objets de ménage qu’on y remarquait consistaient en quelques vases de bois ou d’écorce de bouleau, servant pour l’eau et la nourriture, et en quelques instruments de cuisine, exclusivement en bois et faits grossièrement. Tout y était propre à inspirer du dégoût et de la répugnance.

C’était dans ces sortes de huttes que les prisonniers, accoutumés à vivre dans de bonnes habitations, allaient désormais être logés. Ils furent dispersés dans le village. Madame Johnson et ses enfants furent placés dans une grande loge, où étaient trois ou quatre guerriers et autant de femmes.

Après les cérémonies d’installation, il était l’heure du souper. Nous ne parlerons que de celui qui se fit dans la loge de Madame Johnson. Un immense plat de bois, rempli de bouillie de maïs, fut déposé sur la terre, vers le milieu de la loge ; les sauvages se placèrent autour du plat, en s’asseyant sur leurs talons ; et mangèrent ensemble en plongeant leurs grandes cuillères de bois dans la bouillie. La captive, invitée à prendre part au repas, ne savait comment s’y prendre pour s’approcher du plat ; car elle ne pouvait s’asseoir sur ses talons, comme les sauvages. Elle fit de son mieux ; mais ce fut toutefois d’une manière si maladroite et si inhabile que ses hôtes riaient de cœur-joie.

Le jour suivant, les captifs furent conduits au grand conseil pour être vendus. Ce conseil se tint en plein air, de la manière la plus solennelle. Environ 700 sauvages, hommes, femmes et enfants y assistaient. Le grand Chef était au milieu de l’assemblée, placé sur une petite estrade. Bientôt, à un signal donné, le plus profond silence s’établit. Chacun tourna ses regards vers le Chef, qui commença aussitôt une longue harangue. Le harangueur parlait de la manière la plus solennelle. Le son de la voix, le geste et l’expression de la figure annonçaient en lui un véritable orateur. Il parla longtemps et toujours avec force et facilité. Les sauvages l’écoutaient avec la plus grande attention, et paraissaient pénétrés de ce qu’il disait.

Les captifs furent vendus à des chasseurs, et échangés contre un certain nombre de couvertes et divers autres objets. Madame Johnson fut vendue à Joseph-Louis Gill, fils de Samuel[698].

À peine la vente des captifs fut-elle terminée qu’une autre fête commença dans le village, parceque des guerriers venaient d’arriver d’une expédition dans la Nouvelle-Angleterre. Ces guerriers n’avaient pas de prisonniers, mais ils apportaient un riche butin et un grand nombre de chevelures, levées sur les Anglais. Alors, les réjouissances recommencèrent avec le même tapage que le jour précédent. Les dépouilles furent portées en triomphe dans le village. Les chevelures étaient placées sur une longue perche, portée par deux hommes. Tous les sauvages, hommes, femmes et enfants, suivaient les dépouilles, en chantant et faisant retentir l’air de cris affreux. Puis on organisa une danse qui se continua la plus grande partie de la nuit.

Dès son entrée dans la maison de son nouveau maître, Madame Johnson fut si bien traitée qu’elle eût été heureuse n’eussent été l’éloignement de son pays et sa séparation avec son mari et ses enfants. Gill ne vivait pas à la manière des sauvages ; il avait conservé les habitudes de ses ancêtres. « Sa langue était sauvage », disait-il, « mais son cœur était anglais ». Aussi, la captive recevait dans cette famille tous les soins qu’elle eût pu attendre de ses plus proches parents. C’est pourquoi, elle s’estimait beaucoup moins malheureuse que ses compagnons d’infortune.

Malgré les soins et les marques de bonté à son égard, elle ne pouvait cependant se faire à sa nouvelle position. Comme il lui était impossible de se livrer aux occupations de ses nouvelles sœurs[699], occupations qui consistaient à faire des canots, des colliers et ceintures de wampum et de perles, des paniers, etc., son temps passait dans une inaction complète, ce qui lui causait beaucoup de mal. La nostalgie, cruelle maladie, qui ne se guérit ordinairement que par le retour au pays, étouffait presque les sentiments de gratitude qu’elle éprouvait pour ses bienfaiteurs.

Les autres prisonniers étaient sans cesse tourmentés par les plus vives inquiétudes, et ignoraient complètement leur sort futur. Peut-être les laisserait-on dans le village pour y mener cette vie entièrement inactive, qui les rendait doublement malheureux ; peut-être les entraînerait-on dans quelques excursions contre leurs compatriotes, ou vers les froids lacs du Nord pour y faire la chasse. Ces sombres pensées étaient bien loin de les rassurer sur leur avenir. Ils avaient la liberté de se visiter, suivant leurs désirs, et ils en profitaient pour passer ensemble de longues heures à faire des conjectures sur leur future destinée. Ces entretiens soulageaient un peu leurs cœurs affligés.

Mais ils devaient être bientôt privés de cette légère consolation. Johnson ne resta que quelques jours à Saint-François. Son maître, connaissant qu’il n’en retirerait aucun profit, ni à la chasse, ni dans les voyages, le conduisit à Montréal et le vendit. Marie-Anne Willard, Labarre et les deux petites filles, Suzanne et Polly, furent aussi vendus dans la même ville, peu de temps après. Farnsworth fut emmené plusieurs fois à la chasse par son maître, mais, comme il était plus nuisible qu’utile dans ces voyages, il fut aussi vendu à Montréal. Il ne restait donc plus à Saint-François que Madame Johnson, son fils Silvanus et son dernier enfant.

Ce fut un nouveau sujet de peines et de chagrins pour l’infortunée captive. Elle restait presque seule sur cette terre étrangère, sans espoir de pouvoir un jour la quitter, et elle ne reverrait peut-être jamais son mari, ses enfants et ses amis. Ces pensées désolantes, jointes à l’affliction dont son cœur était rempli, la conduisaient jusqu’au désespoir.

Elle était accablée depuis plusieurs jours par ces affligeantes réflexions, lorsqu’un jour son petit Silvanus vint avec précipitation lui dire, en fondant en larmes, que les sauvages voulaient l’emmener dans un long voyage de chasse. À peine avait-il prononcé ces paroles, que son maître arriva et lui commanda de le suivre. L’enfant se précipita dans les bras de sa mère, implorant du secours de la manière la plus attendrissante. Le sauvage l’arracha aussitôt des bras de sa mère et l’entraîna précipitamment. Les dernières paroles que la malheureuse mère entendit de la bouche de son fils furent celles-ci : « Maman, je ne te reverrai plus. » Madame Johnson, recueillant le peu de forces qui lui restaient, après cette scène déchirante, put lui répondre : « Prends courage mon Silvanus, Dieu te protégera. »

On était au 15 Octobre ; quarante-cinq longs jours de captivité s’étaient écoulés, et Madame Johnson, restée seule avec son dernier enfant au milieu des sauvages, n’avait plus devant elle qu’une sombre perspective d’infortune, sans espoir d’en voir le terme. Elle passait les jours dans la tristesse et la plus noire mélancolie. Tantôt elle visitait les loges dégoûtantes des sauvages, tantôt elle marchait sur le bord de la rivière ou d’un petit ruisseau, situé dans le village, parfois elle se promenait dans la forêt.

Il y avait alors dans le village 30 à 40 wiguams, contenant chacun quatre ou cinq familles, et quelquefois un plus grand nombre. Ces wiguams étaient logés irrégulièrement, dans un espace fort rétréci et resserré par la forêt presque de toutes parts, ce qui donnait un coup d’œil fort désagréable. Il y avait aussi quelques maisons en bois, qui servaient de résidence au missionnaire[700], au grand Chef et à la famille Gill. L’église était l’édifice le plus remarquable du village ; elle était située près des wiguams. Les wiguams, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, étaient entretenus dans un état de malpropreté indescriptible. Les sauvages laissaient pourrir à leurs portes les restes de leur chasse et de leur pêche, ce qui causait une puanteur insupportable.

On comprend que que les promenades de la captive dans ce nauséabond village étaient fort peu récréatives pour elle et peu propres à dissiper ses chagrins et ses ennuis. Cependant elle s’habitua peu-à-peu à voir toutes ces choses sans trop de dégoût ; et quelques occupations qu’elle prit alors diminuèrent sensiblement sa noire mélancolie ; ces occupations consistaient principalement à faire des vêtements pour ses nouveaux frères et sœurs. On lui permettait d’aller traire les vaches le soir et le matin, et le jeune Antoine, fils de son maître, l’y accompagnait toujours. Comme ce jeune enfant lui témoignait toujours beaucoup d’affection et comme il lui rappelait son Silvanus, elle l’estimait beaucoup. Aussi, ces petites excursions lui donnaient toujours une agréable distraction, et ramenaient quelque joie dans son cœur.

L’inaction dans le malheur redouble la peine et le chagrin. C’est ce qu’éprouva notre captive. Tant qu’elle demeura dans l’inaction, sa peine paraissait augmenter chaque jour, et dès qu’elle pût se livrer à quelques occupations, elle éprouva de suite un soulagement sensible. Mais il manquait à cette malheureuse femme une autre chose bien plus nécessaire et plus importante, qui lui eût été d’un grand secours dans son infortune. Elle n’était pas catholique. Elle ne connaissait pas cette divine religion qui console toujours dans le malheur. Il est étonnant que tant de maux et de souffrances n’aient pas suffi pour conduire à la vérité cette femme si intelligente et douée de tant de bonnes qualités. Ses préjugés contre le catholicisme étaient si grands que pendant les quelques années qu’elle passa en Canada, elle n’eût pas même l’idée d’étudier les premiers principes de cette sainte et divine religion, tandis que la chose lui étant si facile. Il est probable que l’horreur et la haine qu’elle avait pour les sauvages contribuèrent à entretenir ses préjugés contre le catholicisme.

La vie de captivité lui était devenue plus supportable, Madame Johnson put désormais se livrer à quelques amusements. Elle allait quelquefois à la pêche avec ses frères et sœurs, parfois elle faisait des promenades dans la campagne jusqu’à une assez grande distance du village, et visitait des familles canadiennes. Par ce moyen, elle fit la connaissance d’une famille d’Estimauville[701], amie de son maître. Elle reçut dans cette famille tant de bons soins, et y observa tant de marques de bonté et d’affection à son égard qu’un instant elle se crut au milieu de ses parents. Elle y demeura une semaine. La généreuse et bienveillante hospitalité qu’elle reçut dans cette respectable famille l’engagea à y retourner plusieurs fois, son maître ne mettant aucun obstacle à ces visites.

Un autre fois, elle fut conduite chez un marchand, du nom de Joseph Gamelin[702]. La famille Gamelin la reçut avec la plus grande politesse, et l’invita à revenir la visiter. La captive y retourna plusieurs fois ; elle y séjournait, chaque fois, un jour ou deux.

Cependant, Johnson travaillait à Montréal pour y réunir sa famille ; il faisait des recherches dans la ville, espérant rencontrer quelqu’un qui achèterait les captifs restés à Saint-François. Au commencement de Novembre, il trouva enfin une personne qui consentit à les acheter. Il écrivit aussitôt à son épouse pour l’informer de cette heureuse nouvelle. Malheureusement, Silvanus n’était pas encore de retour de son voyage de chasse, Il y avait donc impossibilité de traiter de cette affaire avec son maître.

Néanmoins, Madame Johnson communiqua cette lettre à Gill, qui consentit aussitôt à la conduire à Montréal. Elle se vit donc dans l’obligation de partir seule de Saint-François, laissant son Silvanus à la merci des sauvages. Elle eut certainement préféré attendre encore quelque temps, pensant pouvoir, plus tard, emmener son fils avec elle ; mais la lettre de son mari était si pressante, qu’elle crut devoir partir aussitôt qu’elle eut obtenu le consentement de son maître.



CHAPITRE VINGT-TROISIÈME.

captivité à montréal et à québec. — retour.

Le 7 Novembre, Madame Johnson s’embarqua sur un canot d’écorce, avec quelques sauvages, pour faire route vers Montréal, où elle arriva le 10. Elle y rencontra son mari, ses enfants et ses amis. Elle eut la satisfaction de voir que ses compagnons de captivité avaient été achetés par des personnes respectables, et qu’ils étaient traités avec humanité. Le 11, les sauvages la conduisirent chez un monsieur Duquesne, qui avait promis de l’acheter, et en demandèrent 1,000 francs. Duquesne n’offrit que 700 francs. Les sauvages acceptèrent cette somme, et la captive fut admise dans la famille Duquesne.

Cependant Johnson, par l’influence de ses amis de Montréal, avait obtenu un congé de deux mois pour aller à la Nouvelle-Angleterre, dans le but d’obtenir la somme nécessaire pour le rachat de sa famille, II fut donc mis en liberté, sur sa parole qu’il reviendrait à l’expiration de deux mois, et Duquesne se chargea de pourvoir aux besoins de sa famille, moyennant une certaine somme, qui devait lui être payée au retour de ce voyage.

Johnson partit de Montréal, le 12 Novembre, accompagné de deux sauvages, qui, suivant l’ordre du gouverneur, devaient le conduire jusqu’à Albany, et aller l’y rejoindre au retour de son voyage de la Nouvelle-Angleterre, pour le ramener en Canada. Il se rendit à Boston, où il s’adressa au gouverneur Shirley, pour lui exposer le sujet de son voyage et lui demander la somme qu’il désirait. Le gouverneur soumit cette demande à l’assemblée générale, qui n’accorda qu’une somme bien insuffisante. Johnson alla alors s’adresser au gouverneur Wentworth, New-Hampshire. Il fut plus heureux cette fois. La somme de £150, sterling, lui fut accordée pour le rachat des prisonniers anglais en Canada.

Il se préparait à retourner à Boston, entièrement satisfait de cet heureux succès, lorsqu’il reçut une lettre du gouverneur Shirley, qui lui mandait que, depuis son départ de Boston, il s’était élevé de graves difficultés avec le Gouvernement du Canada, qu’il était imprudent pour lui de retourner à Montréal, sous de pareilles circonstances, et qu’en conséquence il lui enjoignait de ne pas se mettre en route sans sa permission ou celle du gouverneur Wentworth, à qui il allait écrire à ce sujet. Malgré cette décourageante lettre, Johnson se rendit à Boston, espérant que le gouverneur, connaissant sa position, lui accorderait la permission de retourner en Canada ; mais cette permission lui fut refusée, et il lui fut positivement ordonné de demeurer à Boston jusqu’à nouvel ordre.

On conçoit dans quel embarras il se trouva alors. Il était forcé de manquer à la parole qu’il avait donnée de retourner à Montréal après deux mois d’absence ; il allait perdre entièrement son crédit en Canada, et, par suite, sa famille y serait maltraitée. Il exposa ces pensées alarmantes au gouverneur ; mais celui-ci renouvela sa défense, et le fit mettre sous garde.

Madame Johnson et sa famille furent bien traitées par Duquesne, pendant les deux premiers mois de l’absence de Johnson.

Bientôt, le dernier enfant de cette famille tomba malade, et, comme l’on craignait pour ses jours, Duquesne proposa de le faire baptiser. La mère y consentit, pour faire plaisir à son protecteur. Il fut proposé de donner à l’enfant le nom de Louise, et la mère y ajouta celui de « Captive. » Ainsi la petite fille, alors âgée de quatre mois, fut baptisée sous le nom de « Louise-Captive. »

Vers les milieu de Janvier, 1755, les deux sauvages, qui avaient conduit Johnson à Albany, furent envoyés pour le ramener à Montréal, car ses deux mois de congé étaient expirés ; mais ils ne le rencontrèrent pas. Le retour des sauvages sans le prisonnier fut la cause de beaucoup de disgrâces pour la famille captive. Ses amis la négligèrent, se retirèrent peu-à-peu et finirent par la mépriser. Duquesne, supposant que Johnson avait lâchement manqué à sa parole, cessa d’assister cette malheureuse famille, et ne voulut plus voir Madame Johnson.

Après deux mois d’une douce espérance, cette femme se trouva de nouveau plongée dans la peine. Elle ne recevait aucune nouvelle, ni de son mari, ni de son fils Silvanus, et elle se trouvait sans demeure, sans amis et sans protecteurs. Cependant, elle ne perdit pas tout-à-fait courage. Elle loua une petite chambre, où elle gagna par la couture, avec sa sœur, la subsistance de sa famille.

Au commencement d’Avril, les sauvages furent renvoyés une seconde fois à Albany ; mais ils revinrent sans le prisonnier, ce qui augmenta encore les inquiétudes et les angoisses de la malheureuse captive. Enfin, aux premiers jours de Juin, elle vit arriver son mari à sa porte, conduit par un peloton d’hommes de police.

À la fin de Mai, Johnson avait pu obtenir du gouverneur Wentworth la permission de retourner en Canada. Il s’était alors rendu à Albany, où il avait obtenu de M. Cayler une lettre de change de £150, sterling, adressée à un riche et influent citoyen de Montréal. Mais il était alors difficile de passer aux frontières. Le Canada se préparait à la guerre contre les Anglais. Des troupes françaises y arrivaient ; les Canadiens prenaient les armes, et les guerriers sauvages, venant de toutes parts, se réunissaient en grand nombre à Montréal, et paradaient dans les rues. Des détachements de troupes avaient été envoyés pour la garde des frontières, du côté du lac Champlain. Johnson fut bientôt fait prisonnier par ces troupes et conduit à Montréal ; mais quelques personnes, qui le connaissaient, obtinrent sa liberté et le firent conduire chez sa femme par quelques hommes de police.

Johnson se trouva dans l’impossibilité de payer ses dettes à Montréal, car sa lettre de change ne fut pas reconnue. Duquesne en fut si mécontent qu’il porta plainte contre lui devant M. de Vaudreuil. Il l’accusa de trahison, disant qu’il avait dépassé de cinq mois l’époque qui lui avait été assignée pour son retour à Montréal, et qu’il avait employé ce temps à ourdir, avec les Anglais, des complots contre les Français. Johnson donna ses explications et se défendit le mieux qu’il put. Le gouverneur, obligé dans ces circonstances de se tenir sur ses gardes, et n’ayant aucune raison de croire que Duquesne voulait le tromper, trouva ces explications insuffisantes ; en conséquence, il ordonna que Johnson fut incarcéré dans la prison de Montréal.

Cet évènement fut un coup terrible pour la malheureuse famille, qui se trouva plus que jamais sans crédit, abandonnée et méprisée de tout le monde. Madame Johnson, le désespoir dans le cœur, alla elle-même frapper à la porte du gouverneur, pour lui exposer son malheur et demander pitié pour son infortuné mari. Le gouverneur la reçut avec bonté, et écouta avec émotion le récit de toutes ses souffrances ; mais il ne put lui accorder ce qu’elle demandait relativement au prisonnier. Il l’encouragea cependant à supporter son malheur, lui promit de secourir sa famille, et lui donna de suite une petite somme d’argent, pour acheter des provisions.

Madame Johnson, ignorant sa destinée future, prit le parti de louer de nouveau sa petite chambre, et par son travail elle put gagner la subsistance de sa famille. Elle avait la liberté de visiter, chaque jour, son mari en prison.

Dans le cours du mois de Juillet, elle eut le plaisir de rencontrer plusieurs de ses concitoyens, que des guerriers abénakis venaient d’amener à Montréal[703]. Elle les visita souvent et eut de longs entretiens avec eux.

Le 22 Juillet, il fut ordonné de transporter Johnson à la prison de Québec. En conséquence, il fut embarqué, avec sa femme et ses deux plus jeunes enfants, sur un vaisseau, partant pour cette ville. Suzanne, la plus âgée de ses filles, fut placée dans une famille de Montréal, et Marie-Anne Willard demeura chez le gouverneur.

Après deux jours d’une heureuse navigation, Johnson et sa femme arrivèrent à Québec, où ils furent conduits à la prison des criminels. Ils reculèrent d’horreur lorsqu’ils aperçurent le dégoûtant logement où on les introduisait. Il s’en exhalait une odeur infecte et suffocante ; le plancher, le plafond et les murs étaient d’une affreuse malpropreté ; dans un coin de l’appartement, gisait, sur un misérable grabat, un malheureux ; presque mourant de la petite vérole ; dans un autre coin, était un tas de paille, sur lequel on voyait quelques couvertes extrêmement sales ; au centre, gisaient sur le plancher quelques plats dégoûtants, et, çà et là, trois ou quatre blocs de bois, pour servir de siéges et étant les seuls meubles qu’on apercevait dans l’appartement.

Tel était le lieu qu’ils devaient désormais habiter, pour y être exposés sans cesse, soit à être suffoqués par les miasmes qui s’en exhalaient, soit à être atteints de la petite vérole, maladie qu’aucun d’eux n’avait eue, et qu’ils craignaient autant que la mort. Malgré leurs représentations à cet égard, on les força de prendre possession de ce taudis infect.

Pendant la première quinzaine de leur détention dans cette prison, ils furent continuellement dans la crainte de la petite vérole, et employèrent tous les moyens en leur pouvoir pour s’en préserver. En outre ils souffrirent beaucoup de la faim. Une seule fois par jour on leur apportait, dans un seau malpropre, une maigre nourriture, dans laquelle on jetait quelques croûtes de pain. Cette nourriture leur inspirait un tel dégoût qu’ils n’y touchaient qu’autant qu’il était nécessaire pour s’empêcher de mourir d’inanition.

Le quinzième jour, Madame Johnson fut atteinte des premiers symptômes de la petite vérole ; elle fut conduite à l’hôpital, et son mari resta dans la prison, avec ses deux enfants. Deux jours après, Johnson, ne pouvant donner les soins nécessaires à sa petite fille, Captive, la plaça en pension. Mais bientôt, la personne qui s’en était chargée la reporta à la prison, prétextant qu’elle craignait de n’être pas payée. Alors, l’Intendant, M. de Longueuil, accorda une pension pour l’enfant, qui resta sous les soins de cette femme jusqu’à la fin d’Octobre, excepté quelques jours qu’elle fut à l’hôpital, parcequ’elle était atteinte de la petite vérole.

Johnson et sa file Polly, ayant aussi été atteints de cette maladie, furent conduits à l’hôpital. Ainsi, tous les prisonniers subirent les ravages de cette cruelle maladie ; mais il recouvrèrent tous la santé, et retournèrent dans leur noire prison, à la fin d’Octobre. Comme ils n’avaient pas de poêle dans leur appartement, ils commencèrent à souffrir du froid ; Johnson s’en plaignit à M. de Longueuil, et on leur donna un peu de feu.

Au commencement de Novembre, Madame Johnson tomba malade d’une violente fièvre ; elle fut transportée de nouveau à l’hôpital, avec sa petite Captive, où elle séjourna un mois, et retourna ensuite à sa prison.

On était alors au mois de Décembre. L’hiver faisait ressentir ses rigueurs, et cependant l’appartement qu’occupaient les prisonniers n’offrait que peu de défense contre le froid de cette rigoureuse saison. Cet appartement était si mal clos que le froid y pénétrait de toutes parts. Les fenêtres étaient dans un si mauvais état qu’elles donnaient libre accès au vent glacé et aux frimats. On n’allumait du feu dans cet appartement qu’une seule fois par jour. Aussi, les prisonniers y souffrirent du froid au delà de ce qu’on peut imaginer. Ils se tenaient des jours entiers couchés sur leur tas de paille, enveloppés dans leurs sales couvertes, pour s’empêcher de mourir de froid. Ils étaient, en outre, sans cesse exposés aux rudes traitements du geôlier, homme dur et sans pitié pour tous ceux qui étaient sous sa garde.

Ils demeurèrent dans ces horribles souffrances jusqu’au mois de Janvier, 1756, où ils furent visités par un charitable citoyen de Québec. Cet homme compatissant fut touché de leur misère, et parut fort indigné contre ceux de ses concitoyens qui les avaient réduits à une pareille détresse. Il leur assura que M. de Longueuil ne connaissait pas leur malheureux état, qu’il allait l’en informer de suite, et que certainement ils sortiraient de cette pénible position.

Le lendemain, M. de Longueuil alla les visiter, et leur dit qu’ils n’avaient été placés dans cette prison que par un ordre spécial du gouverneur-en-chef, et qu’il n’était pas en son pouvoir de les en faire sortir. Il conseilla néanmoins à Johnson d’écrire lui-même au gouverneur à ce sujet, lui promettant d’appuyer fortement ce qu’il lui exposerait.

Johnson écrivit donc à M. de Vaudreuil, pour lui faire connaître sa profonde misère et demander quelqu’amélioration à sa déplorable position. Il priait en même temps le gouverneur de lui faire remettre son fils Silvanus, qui était encore chez les Abénakis, et de lui renvoyer sa fille Suzanne et sa belle-sœur.

Le gouverneur lui répondit d’une manière fort obligeante, lui disant qu’il venait d’ordonner à M. de Longueuil de le transférer à la prison civile, que M. l’Intendant aurait soin de sa famille et lui donnerait des secours, qu’il ferait tout en son pouvoir pour retirer son fils des mains des sauvages, que sa fille et sa sœur étaient bien à Montréal, qu’il n’avait été mis en prison que parcequ’il avait donné lieu à de graves soupçons contre lui.

Les prisonniers furent donc transférés à la prison civile, où ils furent bien traités. On leur fournit tout ce qui leur était nécessaire ; on leur donna même un peu d’argent chaque semaine, et Madame Johnson eut la permission de sortir dans la vile, pour acheter quelques effets.

Le geôlier de cette prison était un excellent homme ; son épouse était bonne et complaisante pour les prisonniers ; elle permettait à ses enfants de s’amuser avec les deux petites filles prisonnières ; de cette manière celles-ci apprenaient le français. Tout ceci contribuait beaucoup à rendre la situation des prisonniers moins malheureuse.

Vers la fin d’Avril, le geôlier vint un jour tout joyeux leur apprendre la nouvelle de la prise du fort Oswégo. Le brave homme croyait tout bonnement leur faire plaisir, et leur apprendre une agréable nouvelle. Aussi, il fut peiné lorsqu’il les vit tristes et affligés en apprenant cette nouvelle défaite de leurs compatriotes.

Le reste de l’année 1756 se passa sans changement sensible dans la position des prisonniers.

Dans le cours de l’hiver, 1757, Marie-Anne Willard, écrivit à sa sœur pour lui annoncer la mort de leur père, qui avait été tué par les Abénakis, dans le cours de l’été, 1756[704]. Cette affligeante nouvelle plongea les prisonniers dans le deuil. Madame Johnson ne put supporter une si grande peine, et tomba dangereusement malade ; mais, grâce à sa forte constitution, elle recouvra la santé, après un mois de maladie.

Au printemps, plusieurs prisonniers anglais, détenus avec la famille Johnson, furent envoyés en Angleterre pour être échangés contre des prisonniers français, ce qui donna quelqu’espérance à Johnson ; mais il ne fut rien fait pour lui et sa famille.

Dans le mois de Mai, il écrivit au gouverneur pour le prier encore une fois de permettre à sa fille et à sa sœur de descendre à Québec. Marie-Anne Willard fut alors envoyée à Québec, mais Suzanne fut retenue : à Montréal.

Johnson, fatigué d’un si long emprisonnement, résolut, dans le mois de Juin, de tenter encore un moyen pour obtenir sa liberté, en allant lui-même plaider sa cause auprès de M. de Longueuil. Il lui représenta qu’il était prisonnier depuis près de trois ans, qu’il avait supporté toutes les misères, excepté la mort, qu’il n’avait jamais été coupable de trahison, comme on l’avait prétendu, et que, lors même qu’il se serait rendu coupable de ce crime, tous les maux qu’il avait soufferts, avec sa famille, devaient en être une satisfaction suffisante. M. de Longueuil lui promit de s’occuper de lui auprès du gouverneur.

Huit jours après cette entrevue, on annonça aux prisonniers qu’ils seraient désormais libres dans la ville, et qu’il leur était permis d’y prendre un logement. Ils sortirent donc enfin de leur prison.

Quelques jours après, Johnson ayant appris qu’un vaisseau, partant pour Montréal, devait transporter en Angleterre des prisonniers anglais pour être échangés contre des Français, écrivit au gouverneur pour le prier de mettre sa famille au nombre de ceux qui devaient être embarqués pour l’Europe. Le gouverneur lui répondit que la chose se ferait suivant son désir et que sa fille Suzanne lui serait envoyée ; il concluait en le félicitant sur la fin de ses malheurs.

Cette bonne nouvelle mit les prisonniers au comble de la joie. L’idée qu’ils allaient bientôt quitter un pays où ils avaient tant souffert leur fit presqu’oublier leurs trois années d’adversité. Toute la famille se réjouissait et désirait ardemment voir arriver le jour où elle s’embarquerait pour l’Angleterre.

Cependant, quelqu’un ayant représenté à M. de Vaudreuil que Johnson n’ayant pas prouvé son innocence quant aux soupçons qu’on avait eus contre lui, il était imprudent, sous les circonstances d’alors, de le mettre si vite en liberté, l’ordre fut donné de le remettre en prison.

Le navire qui transportait les prisonniers arriva Québec, trois jours avant le temps fixé pour l’embarquement de la famille Johnson ; mais la jeune Suzanne était restée à Montréal, et il fut annoncé à cette malheureuse famille que Johnson resterait en prison, et que son épouse, ses deux filles et sa sœur partiraient pour l’Angleterre.

On comprend que cette nouvelle fut un terrible coup pour cette famille. Cette dernière décision du gouverneur la rejetait en prison pour un temps indéterminé, et lui enlevait subitement l’espoir de revoir bientôt son pays, ses parents et ses amis. Il semblait impossible à Madame Johnson de partir seule, laissant, sur une terre étrangère et entre les mains d’ennemis, son mari et deux enfants qu’elle ne reverrait peut-être jamais.

Cependant, le colonel Schuyler et plusieurs autres Anglais, alors prisonniers à Québec, lui conseillèrent de partir seule, lui représentant qu’en Europe elle rencontrerait des amis qui l’aideraient, et que, de là, elle pourrait facilement retourner en son pays, par les nombreux vaisseaux qui voyageaient sans cesse d’Angleterre en Amérique. Le colonel ajouta qu’il userait de toute son influence pour obtenir la liberté de son mari et le rachat de ses enfants. Johnson lui ayant aussi donné le même conseil, elle se décida à partir.

Le 20 Juillet, elle fut conduite sur le navire, avec sa sœur et ses deux enfants. Le capitaine, homme complaisant et civil, lui donna la meilleure cabine du vaisseau. Quelques instants après, elle partait pour l’Europe. Elle tourna alors une dernière fois ses regards vers Québec, comme pour dire adieu à ses meilleurs amis qu’elle y laissait, puis bientôt la ville disparut à sa vue.

Après trente jours d’une heureuse navigation, on arriva près des côtes de l’Angleterre, et on alla jeter l’ancre devant Plymouth, le 19 Août.

Les prisonniers furent débarqués, le jour suivant ; mais, comme la famille Johnson n’était pas sur la liste des prisonniers, on la laissa dans le vaisseau. Après deux jours d’attente, Madame Johnson, ne voyant aucun changement dans sa situation, commença à craindre que la fortune ne lui fût adverse même sur des rivages amis. Elle était absorbée par cette pensée, lorsqu’un officier arriva à bord pour s’informer si le navire était prêt à recevoir les prisonniers français ; elle s’adressa à lui avec confiance, et lui fit connaître sa position.. L’officier la conduisit dans la ville, avec ses deux enfants et sa sœur, lui obtint un logement convenable et une pension.

Madame Johnson eut la bonne fortune d’être logée dans une maison où se trouvait aussi le capitaine John Mason, si connu au New-Hampshire. Mason s’intéressa beaucoup au sort de cette femme. Il écrivit à ce sujet à M. M. Thompson et Apthort, agents du New-Hampshire à Londres. Ce fut par l’influence de ces deux agents que Madame Johnson reçut les secours nécessaires pour se rendre dans son pays natal.

Elle passa quinze jours à Plymouth, puis elle s’embarqua sur un vaisseau de guerre, — le Rainbow, pour Portsmouth, où elle devait prendre passage sur un autre vaisseau, le Royal Ann, pour l’Amérique. À Portsmouth, elle passa quelques jours sur ce dernier vaisseau. Mais, comme elle y était fort à la gêne, elle fut placée dans la ville, en attendant une autre occasion pour continuer le voyage vers l’Amérique. Quatre jours après, elle fut embarquée sur un vaisseau de guerre, l’Orange, partant pour New-York, où elle arriva, le 10 Décembre, après sept semaines de navigation.

Ainsi, une partie de la famille Johnson se trouva à New-York, après trois ans et trois mois d’absence. Madame Johnson eut le plaisir de rencontrer le colonel Schuyler, qui lui donna beaucoup d’informations sur ceux qu’elle avait laissés en Canada ; il lui apprit que, quelque temps après la bataille de William-Henry, il avait été mis en liberté avec Johnson, qui s’était aussitôt embarqué sur un vaisseau partant pour Halifax, qu’il avait pu racheter Silvanus pour la somme de 500 francs, que ce dernier était actuellement dans l’armée, que Labarre avait pu s’échapper de Montréal et qu’il était au milieu de sa famille, au New-Hampshire.

Madame Johnson passa dix jours à New-York ; puis elle s’embarqua pour New-Haven ; de là, elle se rendit à Springfield, Massachusetts.

Pendant ce temps, Johnson arrivait à Boston, où il eut le désagrément d’être arrêté, sous soupçon d’avoir détourné la somme qui lui avait été accordée pour le rachat des prisonniers anglais en Canada. Heureusement qu’il était muni d’un certificat du colonel Schuyler, qui avait prévu cette affaire. Cette pièce justificative prouvait l’innocence de Johnson d’une manière si convaincante, qu’il fut de suite mis en liberté. Il partit aussitôt pour Springfield, où il rejoignit son épouse, le 1 Janvier, 1758. Ainsi, la famille Johnson se trouva réunie en cet endroit, moins Silvanus, alors dans l’armée, et Suzanne, restée en Canada.

Johnson, jugeant qu’il n’était pas prudent de retourner alors à Charlestown, parce que cette place était devenue inhabitable par suite des fréquentes descentes des Abénakis, alla s’établir près de Boston, pour quelque temps. Quelques mois après, il prit du service dans l’armée, et fut élevé au grade de capitaine. Le 8 Juillet, il assista à la bataille de Carillon, où il fut tué.

Dans le mois d’Octobre, le Gouvernement de Massachusetts accorda à la veuve Johnson la somme suffisante pour le rachat de son fils. Silvanus rejoignit donc sa famille, après quatre ans d’absence.

Dans le même temps Farnsworth put s’échapper de Montréal, et retourna dans son pays.

La famille Johnson demeura encore un an près de Boston, puis elle retourna à son ancienne résidence de Charlestown, dans le mois d’Octobre, 1759. Quelques jours après, le major Rogers arriva à Charlestown, revenant de son expédition contre les Abénakis de Saint-François. Parmi les prisonniers qu’il y avait faits était le jeune Antoine, fils de Joseph-Louis Gill, ancien maître de Madame Johnson. Ce jeune sauvage reconnut aussitôt l’ancienne captive de son père, et lui déclara qu’elle était encore sa sœur et, lui, son frère.

Cependant, Suzanne était encore en Canada. En 1757, aussitôt après le départ de sa mère pour l’Angleterre, M. de Vaudreuil l’avait reçue dans sa famille. Il la traita avec bonté, et prit soin de son éducation. Il la plaça chez les Ursulines de Québec, où elle demeura près de deux ans. Malgré ces bons soins, l’absence de ses parents la rendait malheureuse. La mort de son père, à Carillon, mit le comble à sa peine. Elle demeura dans cette position jusqu’à l’été, 1760, où une expédition des Abénakis contre la Nouvelle-Angleterre amena son retour dans sa famille.

Au commencement de l’été, 1760, quelques guerriers abénakis, pour se venger de l’expédition de Rogers contre leur village, firent une descente sur Charlestown ; mais ils n’obtinrent que peu de succès. Cependant, ils firent quatre prisonniers : un nommé Johnson, beau-frère de Madame Johnson, Joseph Willard, son cousin, et deux enfants Ces enfants moururent dans la forêt, par suite des fatigues du voyage. Johnson et Willard, après un voyage de quatorze jours à travers la forêt, arrivèrent à Montréal, quelques jours avant la capitulation de cette ville. Ils n’y restèrent que quatre mois, puis retournèrent à Charlestown, emmenant Suzanne avec eux.

Ainsi, dans le mois de Septembre, 1760, la famille Johnson, moins le père, se trouva réunie à Charlestown, dans la maison d’où elle avait été si subitement enlevée, six ans auparavant.

TROISIÈME ÉPOQUE.

1760-1866.

On sait que l’histoire des sauvages, pendant une époque de paix, ne présente que peu d’intérêt. Or, depuis la domination anglaise, le Canada a presque toujours joui de la paix. Pendant cette longue période de plus de cent ans, nous n’avons eu que deux époques de guerre : l’invasion de 1775, lors de la révolution des colonies anglaises en Amérique, et les campagnes 1812-1814. D’où il suit que la troisième époque de l’histoire des Abénakis présente moins d’intérêt que les deux autres. Nous nous sommes borné à suivre ces sauvages dans l’invasion de 1775 et dans les campagnes 1812-1814. Nous avons ajouté un chapitre sur l’établissement du protestantisme parmi eux.

Tels sont les principaux évènements contenus dans la troisième partie de cet ouvrage.


CHAPITRE PREMIER.

ce qu’étaient les abénakis du canada, en 1760.
— ce qu’ils sont aujourd’hui.

Nous avons vu qu’en 1760, la population des Abénakis du Canada était d’environ 1,500 âmes ; depuis cette époque, il en arriva environ 500 de l’Acadie, ce qui porta cette population à environ 2,000 âmes.

En 1760, il n’y avait à Saint-François qu’environ 700 sauvages, et 300 à Bécancourt. Ainsi, dans l’espace de 60 ans, la population des Abénakis du Canada avait diminué d’environ 1,000 âmes. Cette diminution extraordinaire fut causée par les nombreuses guerres, qui remplirent cette époque, et par les fréquentes épidémies, qui causèrent tant de ravages parmi les sauvages de ce pays. Il est probable que, si la guerre eût continué encore quelques années en Canada, la nation abénakise eût été presqu’entièrement éteinte.

Depuis 1760, les Abénakis n’ont pas rencontré les mêmes causes de destruction ; cependant, leur population, au lieu d’augmenter, a toujours diminué graduellement. Aujourd’hui, on ne compte qu’une cinquantaine de sauvages à Bécancourt, et un peu plus de 300 à Saint-François. Si cette population continue à diminuer, dans la même proportion, il est probable que, dans 50 ans, les Abénakis auront disparu du Canada.

En 1760, ces sauvages avaient une foi très-vive et étaient très-attachés à leur religion ; leur piété et leur ferveur étaient un grand sujet d’édification pour les Canadiens, qui s’établissaient dans leur voisinage. Les missionnaires en éprouvaient beaucoup de consolations. Nous avons vu qu’en 1750, le P. Aubéry écrivait aux chanoines de la cathédrale de Chartres « que ses sauvages avaient fait beaucoup de progrès. dans le christianisme. » Ce missionnaire se plaisait à publier hautement la piété exemplaire de ces bons chrétiens

Aussi, dès que la guerre fut terminée, ceux de Saint-François songèrent à ériger dans leur village une nouvelle église, pour remplacer celle qui avait été brûlée, en 1759. Mais cette entreprise était au-dessus de leurs forces. Ils étaient alors presqu’entièrement ruinés ; car, pendant la guerre, leurs terres avaient été dévastées, leurs maisons, leurs loges et leurs bestiaux avaient été détruits. Ils s’adressèrent alors au gouverneur, demandant quelque secours pour la construction de cette église. Le gouverneur, qui avait reçu l’ordre de bien traiter les sauvages, accéda à cette demande.

Cette nouvelle église fut construite en bois, avec les mêmes dimensions que la première. Elle fut placée à quelques pas des ruines de l’autre, vers le Nord-Ouest. Les travaux de construction de cette église se firent très-lentement. Trente ans plus tard, ils n’étaient pas entièrement terminés ; car, en 1791, les sauvages nommèrent, dans un grand conseil, des syndics pour collecter des cotisations dans le village, pour la continuation des ouvrages de cette église. Voici un extrait de ces délibérations. « Les sauvages nomment pour le recouvrement des deniers dûs à l’église, pour achever la bâtisse, six syndics pour percevoir de chaque sauvage, revenant de la chasse, la somme dont il est taxé pour sa quote-part, et en rendre compte au missionnaire ou à celui qu’il préposera à sa place »[705].

Les Abénakis veillaient sans cesse au bon ordre dans leur église. Un sauvage, de bonne conduite et jouissant d’une bonne renommée, était choisi pour remplir cette charge, et tous se soumettaient sans murmures à ses ordres, L’un des grands Chefs était nommé « Chef de la prière ». Ce Chef était le premier dans l’église, après le missionnaire ; il présidait aux prières, qui se faisaient en commun à l’église, chaque jour ; il veillait à ce que chaque sauvage fût exact à remplir ses devoirs religieux ; il réprimandait les méchants et les négligents, et ne les laissait en repos que lorsqu’ils se présentaient au missionnaire.

Les sauvages s’occupaient aussi à empêcher les désordres dans leur village. Plusieurs d’entr’eux étaient choisis pour y veiller. Pour éviter les troubles causés par les médisances et les calomnies, on choisissait quelques femmes vertueuses, dont le devoir était de donner bon exemple aux autres femmes par leurs discours modérés et réservés, et de réprimander celles qui causaient quelque trouble sous ce rapport. C’est ce qu’on voit par les délibérations des conseils. En voici un extrait.

« Les six syndics, ci-bas nommés, sont également autorisés à empêcher l’usage de la boisson dans le village, et à n’en souffrir aucune entrée ; et les sauvages s’obligent de les assister de toute leur force dans l’exécution de leur charge. Nous avons aussi nommé huit femmes de vertu, lesquelles sont autorisées à veiller à ce que les autres femmes, soit par leur langue, soit par leurs faits, n’apportent aucun trouble dans notre village. »[706].

On voit encore à Saint-François des restes de ces louables et sages coutumes. Pendant la saison de l’été, chaque jour, quelques sauvages se réunissent le soir à l’église, pour y faire la prière en commun. La prière est toujours suivie du chant d’un cantique. Lorsqu’il arrive dans le village des désordres, causés par l’ivrognerie, les bons en sont profondement affligés. Alors, ils assemblent le conseil et s’efforcent de prévenir de nouveaux désordres par des règlements, qui produisent quelquefois un bon effet.

Chaque année, la procession du Saint-Sacrement se faisait dans le village avec la plus grande solennité. Plusieurs jours d’avance, on commençait à préparer, avec le plus grand soin, le chemin où devait passer le Saint-Sacrement. Les femmes s’occupaient activement à la décoration du reposoir ; elles y déposaient leurs colliers de perles ou d’or, leurs bracelets et pendants-d’oreille. Les hommes fournissaient pour cette décoration des colliers et des ceintures de wampum, et ce qu’ils avaient de plus précieux. Les sauvages assistaient à la procession en costume des grandes solennités. Un certain nombre de guerriers, sous les armes, servaient de garde au Saint-Sacrement, et les Chefs, armés de longues lances, précédaient le dais. Tout se faisait dans un ordre admirable. La bonne tenue de tous les sauvages, leur angélique piété, le bruit de la fusillade et du canon, alternant avec le chant, rendaient cette cérémonie fort imposante. Des Canadiens venaient des paroisses voisines pour assister à cette procession.

L’apparition du protestantisme parmi les sauvages a amené peu-à-peu la disparition de la solennité qu’on donnait à cette procession. Cependant, les sauvages s’y font encore remarquer par leur bonne tenue et leur piété. Nous avons souvent vu des sauvages passer une grande partie de la nuit qui précède cette fête à balayer le chemin où devait passer la procession.

La fête de S. Jean-Baptiste était toujours célébrée avec solennité, et se terminait par un feu de joie ; ce qui procurait aux sauvages une belle récréation. Voici ce que l’on faisait. Dans un lieu retiré du village, on plantait dans le sol un arbre, long de 25 à 80 pieds et dépouillé de ses branches, moins quelques unes qu’on laissait au sommet. Puis, on élevait au pied de cet arbre un petit bûcher de bois sec. Le missionnaire s’y rendait, et bénissait le feu qu’il mettait au bucher. Bientôt, les flammes s’élevaient le long de l’arbre. Pendant ce temps, les jeunes gens, rangés en demi-cercle, à 20 ou 25 pas du feu, tiraient à balle vers le sommet de l’arbre, et celui qui abattait le bouquet de branches recevait une récompense. On accordait quelquefois trois ou quatre récompenses, qui étaient distribuées à ceux qui faisaient ensuite tomber, chacun, un bout de l’arbre. Il n’y a qu’environ quinze ans que cette coutume a été abandonnée à Saint-François.

Le 29 Juin, fête de S. Pierre et S. Paul, était aussi un jour de grande solennité chez les Abénakis. Cette fête se terminait par un festin, dont ceux d’entre les sauvages qui portaient le nom de Pierre faisaient les frais. On préparait une grande quantité de bouillie de maïs, que le missionnaire allait bénir, à une heure indiquée. Puis, tous les sauvages savouraient en commun cette nourriture, qui leur paraissaient toujours délicieuse. Ce festin rappelait les agapes des premiers chrétiens. Cette coutume a été abandonnée depuis plus de 20 ans.

À l’exemple de leurs ancêtres, les Abénakis célébraient la fête de Noël avec pompe. Ils avaient une grande dévotion en Jésus naissant. Aussi, la messe de minuit était toujours une occasion de communion générale, Rien n’était plus édifiant que la ferveur et la piété des sauvages dans cette solennité ; c’est pour cela qu’ils donnaient à ce jour le nom de « Nibôiamiômek », la nuit de la prière. Ce mot a été conservé.

Le jour de Pâques, un magnifique pain-bénit était distribué aux sauvages. Chacun conservait avec soin, pendant toute l’année, le morceau de ce pain qui lui était donné. Les sauvages avaient une grande confiance en la vertu du pain-bénit de Pâques. Ils croyaient qu’il les protégeait en voyage contre les accidents. Aussi, ils en avaient toujours dans leurs voyages de chasse. Cette confiance était poussée même jusqu’à la superstition. Comme ils prétendaient que ce pain-bénit donnait une vertu extraordinaire aux remèdes, ils en mêlaient ordinairement à leurs médecines. Quelques sauvages pratiquent encore aujourd’hui cette pieuse superstition.

Telles étaient les principales solennités religieuses des Abénakis, à cette époque.

Ces sauvages avaient le plus grand respect pour leur missionnaire. Ils reposaient en lui la plus grande confiance, même pour leurs affaires temporelles. Aussi, chaque fois que le conseil était réuni, pour une affaire de quelqu’importance, le missionnaire était invité à le présider, et les résolutions étaient soumises à son approbation. Le procès-verbal du conseil était rédigé et signé par lui.

Ils avaient conservé l’usage du wampum. Quoiqu’à cette époque cet objet ne fût pas chez eux d’une aussi grande valeur qu’autrefois, il était néanmoins encore précieux et fort significatif. Ils en conservaient toujours un dépôt, qu’ils appelaient « le trésor ». Ce trésor était déposé dans un sac, qu’ils appelaient « Pitangan »[707], et qui était mis sous la garde de quelques sauvages de confiance[708].

Les branches de wampum étaient des paroles qui avaient chacune leur signification, suivant la couleur du wampum, ou la grandeur de la branche. Le wampum teint en rouge signifiait la guerre, et le blanc annonçait la paix. Une grande branche était envoyée pour une affaire importante.

Les colliers de wampum étaient donnés surtout comme marque d’alliance avec une autre tribu ou avec les blancs. Ainsi, les sauvages donnèrent un de ces colliers aux Gill. Ce collier fut déposé dans l’église du village de Saint-François, comme signe de l’alliance des sauvages et des Gill.

Chaque fois qu’on assemblait le grand conseil, le trésor[709] y était apporté pour en faire l’inventaire.

Ces sauvages avaient leurs armoiries ; comme leur village renfermait deux tribus différentes, celle des Abénakis et celle des Sokokis, ils avaient deux insignes : l’ours, pour les Abénakis, et la tortue pour les Sokokis. Ils peignaient ces insignes au bas de leurs documents. L’ours était appelé « 8ga8inno », le dormeur, parceque cet animal passe l’hiver à dormir ; la tortue se nommait « Pela8inno », qui s’amuse, parcequ’elle chemine lentement et s’amuse souvent en marchant. Ils ajoutaient ces noms aux insignes.

En différentes affaires, les sauvages se partageaient en deux partis, dont l’un s’appelait « 8ga8inno » et l’autre, « pela8inno ». Le premier, représentait les Abénakis, et le second, les Sokokis. Dans les affaires de contestation, on ne mentionnait jamais le nom de la tribu ; on disait : 8ga8inno, pense de telle manière, pela8inno dit telle chose. Ceci se remarquait même dans les jeux, où on se divisait en deux partis. Ainsi, dans le jeu de crosse, un parti s’appelait « 8ga8inno », et l’autre, « pela8inno ».

Les Abénakis avaient choisi l’ours pour leur insigne, parcequ’ils avaient une grande vénération pour cet animal. Ils n’osaient jamais tirer un second coup de fusil sur un ours, parcequ’ils croyaient que ce second coup lui rendait la vie. C’est de la croyance en cette étrange prérogative qu’originait la vénération que les sauvages avaient pour cet animal. Aujourd’hui encore, un Abénakis hésite toujours à tirer un second coup de fusil sur un ours.

Nous ignorons pourquoi les Sokokis avaient tant de vénération pour la tortue ; peut-être était-ce parceque cet animal, par ses mouvements lents, semblait approuver leur extrême indolence. Presque tous ces sauvages conservaient précieusement dans leurs wiguams de petites tortues en pierre.

Le castor était aussi en grande vénération chez les Abénakis, à cause de son instinct admirable. Lorsqu’on prenait un castor, par le moyen de la médecine, qu’on appelait « Az8nakhigan », il était défendu d’en faire rôtir la viande, parcequ’on s’exposait à de grands malheurs en mangeant cette viande rôtie ; mais on pouvait la faire bouillir, et tout danger disparaissait.

Avant de faire cuire la viande d’un castor, il fallait enlever un petit os des pattes de derrière de l’animal ; sans cette précaution, on s’exposait à mourir bientôt, ou à devenir fou. Tous les os de l’animal devaient être jetés à l’eau, ou suspendus à un arbre. Actuellement, quelques sauvages ne manquent jamais de prendre ces précautions.

Leur croyance au « Pemola » est fort curieuse. Suivant eux, le « Pemola » est un oiseau très-gros, qui a presque la forme humaine et qui vole sans cesse avec une étonnante rapidité, en poussant d’horribles cris. Son vol est si rapide qu’il se rend, chaque jour, d’un pôle à l’autre. Il a l’ouïe si délicate qu’il entend toujours ceux qui ont l’imprudence de l’appeler lorsqu’il passe. Alors, il s’arrête et descend vers ceux qui l’appellent. À son approche, il produit une chaleur assez grande pour embrâser les forêts et les campements. Beaucoup de sauvages croient encore au « Pomela ».

Nous avons vu qu’autrefois les Chefs Abénakis choisissaient eux-mêmes les épouses de leurs jeunes gens. Mais il paraît que cette coutume n’existait plus en 1760. Voici comment les mariages étaient alors célébrés. Quand un garçon voulait se marier, ses parents allaient jeter une couverte sur la mère de la fille qu’il désirait épouser. C’était la demande en mariage. Si les parents de la fille accédaient à cette demande, le garçon était obligé de faire un présent à la mère de la fille : ce présent consistait à lui donner sa première chasse. Le garçon partait donc aussitôt pour la chasse, d’où il ne revenait que lorsqu’il avait un présent convenable à offrir à sa future belle-mère. Alors le mariage était célébré.

Lorsqu’un sauvage marié mourait, ses parents allaient déposer sur la tête de sa veuve, un capuchon, qu’elle portait pendant un an. Lorsque le temps du veuvage était terminé, on donnait à la veuve le chapeau que portaient les autres femmes, et ce n’était qu’alors qu’il lui était permis de prendre part aux réjouissances des sauvages, et de se remarier.

Les Abénakis avaient toujours leur orateur qu’ils appelaient « Mik8ôbait », celui qui rappelle les choses. C’était bien en effet le nom qui convenait à ce sauvage, car il était chargé de rappeler à la mémoire des sauvages les besoins de la nation et les désordres qu’il fallait réprimer ; il suggérait souvent les règlements qu’il fallait passer. Il était ordinairement choisi parmi les Chefs, et on avait soin de prendre le meilleur discoureur d’entreux. Aussi, cet orateur parlait toujours longuement dans les conseils. Cet usage a été abandonné depuis plus de quarante ans.

Depuis un certain nombre d’années, les Abénakis ont commencé à abandonner leur costume sauvage pour prendre celui des blancs. Aujourd’hui, tous les hommes ont adopté ce dernier costume. C’est dommage, car un sauvage n’est véritablement beau que dans son ancien costume, qui lui va si bien.


CHAPITRE DEUXIÈME.

révolution des colonies anglaises de l’amérique.
— descente sur le canada.
— les abénakis reprennent les armes.

Pendant la guerre de sept ans, les Abénakis avaient presque toujours été dans l’armée. Mais, aussitôt après la capitulation de Montréal, ils mirent bas les armes et se soumirent. Bientôt, la paix la plus profonde règna parmi eux. Ils vivaient si paisiblement, qu’on ne se serait pas aperçu qu’ils sortaient d’une longue guerre, n’eussent été les ravages que les combats et les épidémies avaient faits parmi eux. Cependant, ils espéraient encore que la France n’abandonnerait pas le Canada, et qu’ils reviendraient sous la domination française. Après trois longues années d’attente, ils virent s’évanouir cette espérance. Le traité de Paris fixa leur destinée d’une manière irrévocable, en les mettant pour toujours sous la domination de l’Angleterre.

Pendant que les Abénakis vivaient en paix et se soumettaient volontiers aux ordres de leurs nouveaux maîtres, il se passait dans les colonies de la Nouvelle-Angleterre et de la Nouvelle-York des évènements, qui devaient amener une révolution, contre la métropole, et remettre les sauvages du Canada sous les armes.

Les colonies anglaises avaient, depuis longtemps, des sujets de mécontentements contre la métropole. En 1732, l’Angleterre, après avoir passé la loi de navigation, qui nuisait beaucoup à la marine des colonies, avait passé une autre loi, qui nuisait considérablement à leur commerce. Cette loi défendait l’exportation des chapeaux et des tissus d’une province à l’autre. En 1733, la métropole ne permit l’importation du rum, du sucre et de la melasse qu’avec des droits considérables. En 1750, elle établit à son profit des usines de laminage, et se réserva la coupe des pins et des sapins[710].

Les colonies, voyant que l’Angleterre les gouvernait avec une autorité absolue, demandèrent une législature indépendante[711], représentant qu’il leur était souvent fort préjudiciable de se soumettre à des lois arbitraires[712]. Mais cela leur fut refusé.

Alors, la Nouvelle-Angleterre ne voulut pas paraître soumise aux lois de la métropole. Lorsqu’elle acceptait une loi du parlement impérial, elle lui donnait un caractère particulier en la publiant, comme si elle eût été passée dans la province, Les autres provinces avaient les mêmes sentiments à l’égard des lois de la métropole. Elles s’y soumettaient, parcequ’elles étaient trop faibles pour y résister[713].

Après le traité de Paris, l’Angleterre devint encore plus exigeante à l’égard des colonies. Elle voulut les taxer pour l’aider à payer l’intérêt de sa dette, qui avait beaucoup augmenté pendant la guerre. Le ministre Walpole refusa de souscrire à cette injuste proposition disant « qu’il avait déjà contre lui la vieille Angleterre et qu’il ne voulait pas que la jeune devint aussi son ennemie ». Mais, le ministre Grenville, pour plaire à Georges III, proposa cette loi, qui fut adoptée sans opposition, dans le mois de Mars, 1764[714].

Les colonies protestèrent contre les exigences de la métropole, prétendant qu’elles ne pouvaient être taxées que par leurs représentants, qu’elles n’étaient pas représentées dans le parlement anglais, et que la chambre des Communes cherchait à prélever des impôts sur elles, pour se soulager elle-même.

L’Angleterre, voyant une si forte opposition à cette loi, établit alors dans les colonies, au lieu de la taxe, une armée permanente, et augmenta considérablement le salaire des juges, afin de diminuer, par là, l’indépendance des provinces[715]. On y envoya un grand nombre d’hommes ruinés de fortune, dissolus et ignorants, qui ne pouvaient être employés en Angleterre. Ces hommes étaient largement salariés par les colonies, pour n’y faire que du mal. C’est ce qui fait dire à Bancroft « que les colonies étaient alors l’hopital-général de la Grande-Bretagne »[716]. Il y avait d’ailleurs déjà longtemps que les hommes ruinés de l’aristocratie anglaise émigraient aux colonies, pour y occuper les premières places.

En 1765, l’Angleterre, malgré l’opposition qu’elle rencontrait dans les colonies contre les taxes, passa la loi du timbre, pour établir en Amérique les mêmes droits de timbre que dans la Grande-Bretagne. Franklin, qui avait été envoyé à Londres par le Massachusetts, écrivit alors à ses concitoyens : « Le soleil de la liberté est passé sous l’horizon, il faut que vous allumiez les flambeaux de l’industrie et de l’économie »[717].

Cette loi souleva de graves mécontentements, dans toutes les provinces, et les Américains résolurent de ne faire aucun usage des marchandises estampillées des Anglais. Il y eut des émeutes, en différents endroits. À Boston, on démolit le bureau du timbre. À Philadelphie, lorsque le vaisseau portant le papier timbré entra dans le port, les bâtiments hissèrent leurs pavillons à mi-mâts et toutes les cloches de la ville firent entendre des sons lugubres, pendant tout le jour.

Il y eut à New-York un congrès, composé de députés envoyés par presque toutes les provinces. Ce congrès annula la loi du timbre[718], et vota des pétitions au parlement anglais contre les prétentions de la métropole. Les provinces, qui n’avaient pas envoyé de députés au congrès, approuvèrent tout ce qui s’y était passé. L’opposition à la loi du timbre devint si générale que les officiers, qui avaient été envoyés d’Angleterre pour faire exécuter cette loi, furent obligés de renoncer à leurs charges et de retourner en Europe.

Le parlement Anglais persista encore quelque temps à soutenir son droit de taxer les colonies. Mais l’opposition et la résistance devinrent de plus en plus fortes en Amérique. Enfin, en 1765, l’Angleterre, voyant ce mécontentement général dans les colonies, abrogea la loi du timbre[719].

L’abrogation de cette loi fut reçue avec une grande joie, en Angleterre comme en Amérique[720]. Mais cette satisfaction générale ne dura pas longtemps. Le roi regarda cette abrogation comme une faiblesse et une complaisance, qui auraient de funestes conséquences. Grenville tomba sous ces circonstances, et les nouveaux ministres, qui avaient voté contre la loi du timbre, imposèrent aux colonies, en 1767, de nouvelles taxes arbitraires. Ces taxes furent imposées sur le verre, le thé et le papier, importés dans les colonies[721], et, dans le but d’effrayer les colons, on enleva au corps législatif de la Nouvelle-York le droit de législater.

Ces mesures rencontrèrent encore plus d’opposition dans les colonies que la loi du timbre. Les patriotes de Massachusetts donnèrent les premiers l’exemple de la résistance, et exprimèrent hardiment leur indignation. Ils formèrent une convention générale contre les prétentions de la métropole. L’Angleterre envoya alors des renforts de troupes, pour faire cesser ces mouvements. Les troupes firent cesser un instant les démonstrations des patriotes de Massachusetts ; mais l’excitation était entretenue par les associations qui s’étaient formées dans toutes les provinces. Chaque province prétendait que la métropole n’avait pas le droit de contrôler son corps législatif[722].

Les Américains résolurent encore une fois de suspendre leurs relations commerciales avec les Anglais. L’alarme fut si grande parmi les marchands anglais que le ministère fut forcé d’abroger la nouvelle loi d’impôt, à l’exception de l’article qui regardait le thé. Cette mesure ne fut pas un remède aux maux qui existaient ; car elle fit connaître la faiblesse du ministère anglais et laissa une germe de discorde.

Ce fut alors que des difficultés sérieuses éclatèrent à Boston, entre les troupes et les citoyens. L’alarme fut donnée dans toutes les provinces, et les colons étaient entièrement décidés à défendre leurs droits par les armes. Ils s’organisaient partout pour résister.

L’Angleterre voulut punir les Bostonnais de cette résistance si tenace. Il fut en conséquence décidé de tenir leur ville en état de blocus. Des troupes et des vaisseaux de guerre furent envoyés et placés près des quais de Boston[723].

Telles étaient les difficultés qui existaient entre les anciennes colonies de l’Amérique Septentrionale et leur métropole.

Ces difficultés protégèrent les Canadiens. En 1764, l’Angleterre leur était très-hostile ; mais, dix ans après, les choses étaient bien changées. Lorsqu’elle se vit à la veille d’une révolution avec ses colonies, elle pensa qu’elle devait tâcher de s’attirer l’estime des Canadiens, afin qu’ils lui demeurassent fidèles. Elle passa alors une loi pour reconnaître le catholicisme comme religion établie en Canada. Elle avait songé à abolir la langue et les lois des Canadiens, mais ses difficultés avec ses colonies l’avait engagée à retarder le règlement de cette question. Lorsqu’elle se vit obligée de sévir contre le Massachussetts et les provinces du Sud, elle rétablit en Canada la langue et les lois françaises. Par cette mesure, elle s’attacha le clergé et les hautes classes. Elle passa aussi une loi concernant les limites du Canada, et recula, de toutes parts, vers les colonies anglaises, celles qui avaient été données à la province de Québec, dix ans auparavant. Cependant, elle refusa d’accorder aux Canadiens une chambre élective, parcequ’elle considéra comme imprudent d’établir une assemblée législative qui serait composée exclusivement de catholiques.

En 1774, Sir Guy Carleton fut envoyé une seconde fois comme gouverneur du Canada. Il avait ordre de bien traiter les Canadiens et de travailler à s’attirer l’estime des sauvages. Ce gouverneur envoya des députés chez tous les sauvages du pays. On promit des récompenses aux Abénakis, s’ils demeuraient fidèles à leur souverain. On leur promit, entr’autres choses, d’agrandir leurs possessions, s’ils consentaient à reprendre les armes pour la défense de leur pays, dans le cas que le Canada serait attaqué par les Américains. Les Abénakis n’hésitèrent pas à promettre de combattre, au premier ordre, pour la défense des droits de leur nouveau souverain, comme ils l’avaient toujours fait pour le roi de France.

Le mécontentement dans les colonies anglaises allait toujours en augmentant. Un comité fut nommé, dans le but de convoquer un congrès général, pour décider ce qui devait être fait. Ce congrès s’assembla à Philadelphie, au mois de Septembre, 1774, et passa un grand nombre de résolutions ; il envoya une adresse au roi, une autre au peuple d’Angleterre, et une troisième aux Canadiens. Mais le mépris que les Américains faisaient, dans cette adresse, de la religion catholique irrita les Canadiens contr’eux, et les attacha à la cause de leur souverain. Le clergé et les Canadiens des hautes classes résolurent de défendre leur pays pour le conserver à l’Angleterre, dans la crainte d’exposer leur religion et leur nationalité en s’unissant à des colonies qui montraient tant de fanatisme.

Au printemps, 1775, les colonies anglaises prirent les armes et attaquèrent Lexington et Concord. Les troupes régulières perdirent 300 hommes. Les forts de Ticondéroga et de Crown-Point furent pris. La guerre était donc déclarée à l’Angleterre. De nouvelles troupes furent aussitôt envoyées en Amérique, et bientôt, les généraux Howe, Burgoyne et Clinton y arrivèrent avec des renforts.

Pendant ce temps, Carleton apprenant la descente des insurgés sur le lac Champlain, fit réunir les guerriers abénakis et quelques autres sauvages, et les envoya au fort Saint-Jean, sous les ordres des frères Lorimier, pour défendre cette place, qui avait déjà été attaquée par un détachement d’insurgés.

Le congrès de Philadelphie se réunit de nouveau, le 10 Juin, et le général Washington fut nommé commandant-en-chef de l’armée.

Ce fut pendant que le congrès siégeait qu’eut lieu la célèbre bataille de Bunker’s hill, où les insurgés firent des prodiges de valeur. Cette affaire causa des pertes considérables aux Anglais, et ranima le courage des Américains. Il fut résolu d’envahir le Canada. Les Américains pensaient que les Canadiens les recevraient comme des libérateurs[724].

Le congrès ordonna au général Schuyler de s’emparer de Saint-Jean et de Montréal, tandis que quelques détachements de troupes iraient, par les rivières Kénébec et Chaudière, attaquer Québec.

Schuyler et Montgomery débarquèrent à Saint-Jean, dans le mois de Septembre, avec environ 1,000 hommes. Les Abénakis, commandés par les frères Lorimier, sortirent aussitôt du fort pour les repousser. Il y eut plusieurs escarmouches, et les Américains furent forcés de se retirer sur l’Île-aux-Noix[725].

Carleton n’avait que 800 hommes de troupes pour repousser l’invasion des Américains. Il fit alors un appel aux Canadiens ; mais un grand nombre de ceux-ci refusèrent de se rendre à cet appel ; quelques uns voulurent rester dans la neutralité, d’autres se déclarèrent en faveur du congrès, et peu prirent les armes. La plupart des Anglais, alors dans le pays, étaient aussi en faveur du congrès, mais d’une manière secrète. Carleton s’adressa alors aux sauvages. Les guerriers Abénakis avaient répondu à son premier appel, et déjà ils étaient presque tous sous les armes à Saint-Jean. Chez les Iroquois, les vieillards s’opposèrent à ce que leurs jeunes gens prissent les armes, parcequ’ils considéraient cette guerre comme un juste châtiment pour tous les maux que les Européens leur avaient fait souffrir, et, qu’en conséquence, ils ne devaient pas y prendre part. « Voilà », disaient-ils, « la guerre allumée entre les hommes de la même nation. Ils se disputent les champs qu’ils nous ont ravis. Pourquoi embrasserions-nous leurs querelles, et quel ami, quel ennemi aurions-nous à choisir ? Quand les hommes rouges se font la guerre, les hommes blancs viennent-ils se joindre à l’un des partis ? Non, ils laissent nos tribus s’affaiblir et se détruire l’une par l’autre ; ils attendent que la terre, baignée de notre sang, ait perdu ses habitants pour la saisir. Laissons les, à leur tour, épuiser leurs forces et s’anéantir ; nous recouvrerons, quand ils ne seront plus, les montagnes et les lacs qui appartenaient à nos ancêtres »[726].

Cependant, Carleton parvint à gagner les jeunes gens. On prodigua des présents, et bientôt, l’on engagea aussi la plupart des Chefs à descendre à Montréal pour prendre les armes.

Mais les efforts de Carleton furent inutiles. Il se vit bientôt abandonné par les milices qu’il avait réunies. À Montréal, aux Trois-Rivières et à Chambly on se déclara en faveur du congrès. Les forts Saint-Jean et Chambly furent lâchement livrés aux Américains. Alors, les Abénakis, indignés d’une pareille trahison, se retirèrent dans leurs villages. Le gouverneur fut obligé de descendre à Québec.

Bientôt, Montgomery s’empara de Montréal et des Trois-Rivières ; puis, il se mit en marche vers Québec.

Pendant ce temps, Arnold, choisi par le général Washington pour aller faire une descente sur Québec, pénétrait par les rivières Kénébec et Chaudière. Après six semaines de marche, il arriva devant Québec, avec 650 hommes seulement, ayant été obligé de renvoyer une partie de ses troupes dans le voyage. Il traversa au Foulon, et, le 13 Novembre, il était sur les plaines d’Abraham. Comme il n’avait pas assez de troupes pour attaquer Québec, il alla attendre Montgomery à la Pointe-aux-Trembles, et, dans les premiers jours de Décembre, les Américains, au nombre de 1,000 à 1,200, investirent Québec[727].

Carleton ordonna à ceux des citoyens qui n’étaient pas sincèrement attachés à la cause du roi de sortir de la ville. Quelques uns se retirèrent à l’île d’Orléans, d’autres, à Charlesbourg. Le gouverneur envoya inviter les Abénakis à venir aider à la défense de la ville. Environ 100 de ces sauvages se rendirent à cette invitation[728].

En arrivant à Québec, Montgomery fit occuper Beauport, la Canardière et Sainte-Foye. Son dessein n’était pas de faire un siége en règle, mais de tâcher d’enlever la ville par un coup de main. Il attendit l’occasion favorable. Il choisit la nuit du 31 Décembre, pour effectuer son projet. Il divisa ses troupes en quatre bandes. La première, comptant plus de 750 hommes, dont il s’était réservé le commandement, devait s’avancer du Foulon, par l’Anse-des-Mères ; la seconde, sous les ordres d’Arnold, devait attaquer du côté du Saut-au-Matelot ; les deux autres, eurent ordre de simuler des attaques à la porte Saint-Jean et à la citadelle.

Montgomery se mit en marche, à 2 heures du matin. Il s’avança hardiment par un chemin rendu extrêmement difficile par la glace, que la marée y avait accumulée, et par la neige qui tombait en grande abondance. Le chemin était si étroit que deux soldats n’y pouvaient marcher de front. Montgomery s’empara d’une première barrière, et s’avança à l’attaque d’une seconde. Les Canadiens, qui gardaient ce poste, laissèrent approcher les assaillants jusqu’à 25 verges, puis ils firent feu sur eux avec tant d’effet qu’ils les forcèrent de retraiter précipitamment. Plusieurs assaillants tombèrent, et Montgomery fut parmi les morts.

Pendant ce temps, Arnold faisait son attaque du côté du Saut-au-Matelot. Il fit prisonnière la garde placée à la première barrière, puis il s’avança pour attaquer la seconde barrière. Il reçut alors une blessure grave qui le mit hors de combat. Cependant, l’attaque se continua, sous les ordres du capitaine Morgan. Les Canadiens tinrent fermes. Mais Morgan réussit à s’emparer d’une partie des maisons, entre les deux barrières, et il eût probablement emporté la seconde barrière si les Canadiens n’eussent été secourus par un renfort de miliciens. Après un rude combat, les Américains furent forcés de se rendre, Vingt-deux officiers et 427 soldats furent faits prisonniers. Arnold se retira alors, et alla prendre position à environ trois milles de la ville.

Voici comment furent divisés les Abénakis pendant l’attaque de la ville. Quelques uns furent placés à la seconde barrière de l’Anse-des-Mères ; d’autres furent employés comme éclaireurs, dans les environs de la ville, pendant que l’ennemi se préparait à l’attaque ; les autres furent placés dans la ville. Quelques uns de ces sauvages, étant sur la citadelle, aperçurent les signaux des Américains, et donnèrent l’alarme à la garnison.

Au commencement de Janvier, 1776, les Américains étaient pour ainsi dire maîtres de la plus grande partie du pays : ils étaient maîtres de Montréal, des Trois-Rivières, de Sorel, de Chambly, de Saint-Jean et du lac Champlain. Ils étaient répandus dans presque toutes les campagnes, et s’efforçaient de gagner les Canadiens à leur cause, leur disant qu’ils voulaient les délivrer de la tyrannie du roi d’Angleterre et les rendre libres et indépendants. Les Canadiens, aveuglés par la haine qu’ils avaient pour les Anglais, se rangeaient, en grand nombre, du côté du congrès américain. Cependant, le clergé, les seigneurs et la plupart des hommes de profession demeurèrent fidèles à leur souverain. Le clergé ne put convaincre le peuple, mais il put le maintenir dans la neutralité jusqu’à l’arrivée de secours d’Angleterre.

Les Abénakis ne suivirent pas l’exemple des Canadiens, et demeurèrent fidèles à leur roi. D’ailleurs, leur haine n’était pas, comme celle des Canadiens, contre toute la nation anglaise, elle était principalement dirigée, depuis longtemps, contre les habitants de la Nouvelle-Angleterre.

Le congrès américain apprenant la défaite de Montgomery, se hâta de lever des troupes pour le Canada, et y envoya trois commissaires, Benjamin Franklin, M. Chase et Charles Caroll, pour engager les Canadiens à embrasser sa cause. Franklin fut froidement accueilli à Montréal. Bientôt, ces commissaires devinrent si impopulaires en Canada qu’ils furent forcés de se retirer.

Arnold, ayant reçu des secours, se rapprocha de Québec. Ses troupes étaient devenues très-indisciplinées. Les Canadiens, qui l’avaient rejoint, en grand nombre, se plaignirent de cet état de choses, puis ils se retirèrent peu-à-peu.

Dans le même temps, M. de Beaujeu, ayant réuni ses censitaires, était venu au secours de la ville, à la tête de 350 hommes. Il se plaça sur la rive droite du Saint-Laurent, et, avec l’aide d’un détachement, envoyé par le gouverneur, il interceptait les secours envoyés aux Américains.

Arnold fut remplacé, le 1 Avril, par le général Wooster, qui, à son tour, fut remplacé, au mois de Mai, par le général Thomas. Les Américains n’avaient alors, à Québec, que 1,000 hommes en état de faire le service. Ils n’avaient des vivres que pour six jours, et l’éloignement toujours croissant des Canadiens rendait les approvisionnements fort difficiles. Le général Thomas, sachant que Carleton attendait, de jour en jour, des secours d’Angleterre, vit de suite qu’il lui était impossible de continuer le siège de la ville. C’est pourquoi il résolut de se retirer. À peine avait-il embarqué son artillerie et ses malades, que les vaisseaux anglais furent signalés à Québec. C’était le général Burgoyne qui y arrivait avec une flotte, portant 7,000 à 8,000 hommes de troupes.

Carleton sortit aussitôt de la ville, avec 1,000 hommes, y compris ses fidèles Abénakis, pour poursuivre les Américains. Il atteignit leur arrière-garde, qui, après quelque résistance, fut forcée de s’enfuir, laissant aux troupes anglaises son artillerie, ses vivres et 400 prisonniers. Les Américains furent alors obligés de se diviser en plusieurs bandes pour trouver leur subsistance. Quelques uns s’égarèrent dans leur fuite ; d’autres furent poursuivis et massacrés par les Abénakis. Le général périt dans la route. Ceux qui purent s’échapper se rendirent à Sorel, où ils furent ralliés par le général Sullivan, qui y arrivait avec 4,000 hommes.

L’armée anglaise, qui venait d’arriver à Québec, s’échelonna aussitôt sur le bord du Saint-Laurent, entre Québec et Trois-Rivières. Le corps le plus avancé occupait cette dernière ville. Les Abénakis y furent placés.

Sullivan, ayant résolu de s’emparer des Trois-Rivières, envoya pour cette expédition le général Thompson, avec 1,800 hommes. Thompson traversa le lac Saint-Pierre, de Saint-François à la Pointe-du-Lac ; puis, il s’achemina vers les Trois-Rivières. La nouvelle de ce mouvement des Américains fut apportée dans cette ville, le 8 Juin, à 4 heures du matin, par un habitant de la Pointe-du-Lac. Aussitôt, les troupes qui s’y trouvaient, avec un certain nombre de volontaires canadiens et les Abénakis, marchèrent à la rencontre de l’ennemi. Les royalistes rencontrèrent les Américains, à environ un mille et demie de la ville, et les attaquèrent de suite. Après un combat assez vif, les Américains furent mis en fuite. Thompson et 200 hommes tombèrent entre les mains des vainqueurs. Le reste de l’armée américaine parvint avec peine, après plusieurs jours de marche, à se rendre à Sorel.

Les Abénakis se distinguèrent dans cette rencontre, et poursuivirent longtemps les fuyards, à travers les terrains marécageux du côté Nord du lac Saint-Pierre. Ils les rejoignirent, entre la Pointe-du-Lac et Yamachiche, et en massacrèrent un grand nombre.

Le 14 Juin, les royalistes s’avancèrent jusqu’à Sorel que Sullivan évacua en se retirant vers Chambly. Ils le poursuivirent, accompagnés des Abénakis. Sullivan, se voyant pressé, mit le feu au fort Chambly et se retira à Saint-Jean, où Arnold arrivait, avec la garnison de Montréal. Les Américains brûlèrent le fort Saint-Jean, puis se retirèrent successivement à l’Île-aux-Noix, à Crown-Point et à Ticondéroga, étant toujours poursuivis par les royalistes.

C’est ainsi que les Américains furent repoussés, en 1776 ; et le congrès renonça au projet de s’emparer du Canada.


CHAPITRE TROISIÈME.

campagne de 1812.


En 1812, les Abénakis furent invités à reprendre les armes pour repousser les Américains, qui voulaient envahir le Canada.

Voici ce qui engagea les États-Unis à déclarer la guerre à l’Angleterre.

La révolution française et les guerres qui la suivirent avaient amené la destruction de toutes les marines des nations continentales, incapables de lutter à la fois sur mer et sur terre. L’Angleterre était restée seule maîtresse des mers, et voulait en retirer tous les avantages. Les États-Unis, demeurés dans la neutralité, prétendaient commercer librement avec les différentes nations, qui prenaient part aux guerres. Malgré ces prétentions, l’Angleterre mit, en 1806, en état de blocus les côtes d’une partie du continent européen, depuis Brest jusqu’à l’Elbe, et captura un grand nombre de vaisseaux américains, qui s’y rendaient. Napoléon fit la même chose, pour les côtes de l’Angleterre. L’année suivante, l’Angleterre prohiba tout commerce avec la France. Ces mesures causèrent une grande irritation dans les États-Unis, et les marchands demandèrent la protection de leur Gouvernement.

L’Angleterre passa aussi une loi qui l’autorisait à s’emparer de ses matelots, qui seraient trouvés sur des vaisseaux étrangers. Cette loi irrita encore les Américains, parcequ’ils employaient beaucoup de matelots anglais. Bientôt, un vaisseau anglais attaqua une frégate américaine, la Chesapeake, tua plusieurs hommes de l’équipage et en emmena quatre, prétendant que ces matelots étaient des déserteurs. Alors, le Gouvernement des États-Unis demanda satisfaction de cette insulte, et ferma ses ports aux vaisseaux anglais.

L’Angleterre défendit alors tout commerce avec la France et ses alliés ; la France prohiba aussi tout commerce avec l’Angleterre et ses colonies ; et les États-Unis, de plus en plus mécontents, interdirent, de leur côté, tout commerce avec la France et l’Angleterre.

Telles sont les difficultés qui eurent lieu entre les États-Unis et l’Angleterre, de 1806 à 1809. La république américaine prévoyait qu’il en résulterait bientôt une guerre, et portait déjà ses vues vers le Canada.

M. Maddison ayant été élu président des États-Unis, on crut pendant quelque temps à une conciliation avec l’Angleterre. Le ministre de Londres à Washington annonça que le décret défendant tout commerce avec la France et ses alliés allait être révoqué ; mais ce ministre fut blâmé par son Gouvernement, et les rapports entre l’Angleterre et la république devinrent de plus en plus hostiles. Des vaisseaux anglais et français croisaient sans cesse sur les mers, et nuisaient au commerce.

Dans le même temps, les sauvages de l’Ouest de la république se soulevèrent. Ils ne furent apaisés que par une sanglante défaite que le général Harrison leur fit subir, sur les bords de la Wabash, dans l’Indiana. On prétendit que ces sauvages avaient été soulevés par des agents de l’Angleterre.

À la suite de ces évènements, les Américains se soulevèrent ; une humeur belliqueuse s’empara d’eux, et le cri de guerre se fit entendre dans presque toute la république. Dans le congrès, on entendit les plaintes contre l’Angleterre. Des discours véhéments pressèrent ceux qui n’osaient se déclarer pour la guerre. Les orateurs et les journaux annoncèrent partout que dès que la guerre serait déclarée, le Gouvernement américain n’aurait qu’à ouvrir les bras pour recevoir le Canada, retenu malgré lui sous le joug de l’Angleterre.

Enfin, après beaucoup de débats, le congrès déclara la guerre à l’Angleterre, le 18 Juin, 1812, et résolut d’envahir le Canada.

Tous les préparatifs de guerre étaient à faire. Les États-Unis n’avaient alors, ni armée, ni généraux, ni matériel de guerre. Tout fut fait avec hâte et précipitation. On leva une armée de 175,000 hommes, qui fut mise sous le commandement du général Dearborn.

En Canada, on se prépara avec activité pour repousser les Américains. L’année précédente, l’Angleterre avait retiré du Canada le gouverneur Craig, qui, par son incapacité et sa violence, causait des troubles dans le pays, et elle l’avait remplacé par Sir Georges Prévost, homme sage, modéré et impartial. Le nouveau gouverneur s’était mis de suite à l’œuvre pour réparer le mal fait par son prédécesseur ; il s’était appliqué surtout à faire disparaître les mécontentements qui s’étaient élevés parmi les Canadiens, et avait réparé les injustices faites à quelques uns d’entr’eux, surtout à M. M. Bédard et Bourdages. Bientôt, la plus vive sympathie s’établit entre le gouverneur et le peuple. Ce fut surtout cette sympathie qui engagea les Canadiens à se préparer à la guerre avec tant d’activité.

Les sauvages furent invités à aller à la défense des frontières, et ils y consentirent. Les Abénakis, comme toujours, montrèrent autant de bonne volonté et d’activité que les Canadiens, et promirent de prendre les armes au premier signal[729].

Des milices furent levées dans les campagnes. Partout, dans les villes comme dans les campagnes, le bruit des armes se fit entendre, et les Américains purent bientôt se convaincre que les Canadiens ne songeaient aucunement à passer de leur côté.

Le plan d’opérations militaires adopté par le Canada fut de se tenir sur la défensive. La tâche paraissait fort difficile, vu les forces considérables que les États-Unis avaient mises sur pied, mais en réalité elle ne l’était pas, car les Américains allaient conduire cette guerre avec inexpérience et une ridicule timidité.

Les Abénakis furent divisés en deux bandes. La première, composée d’environ 150 guerriers, fut placée, avec les Canadiens, du côté du lac Champlain, sous les ordres du major Salaberry. La seconde bande, presqu’aussi considérable que l’autre, fut envoyée du côté du Haut-Canada, avec les troupes du général Brock. On envoya ce parti d’Abénakis, pour encourager les sauvages de ce côté par leur bravoure et leur intrépidité sur le champ de bataille.

Les hostilités commencèrent du côté de l’Ouest. Le général Hull, gouverneur du Michigan, partit de l’Ohio pour le Détroit, avec 2,000 hommes. Il avait ordre de tâcher de gagner les sauvages à la cause américaine, et d’envahir le Canada de ce côté. Il traversa la rivière du Détroit, et alla camper à Sandwich. De là, il adressa une proclamation aux Canadiens, pour les engager à embrasser la cause américaine. Mais les Canadiens furent sourds à cette invitation, qui toutefois était faite avec assez d’habileté.

Hull demeura pendant un mois dans une complète inaction ; puis enfin, il se décida à faire quelques pas en avant. Il envoya, çà et là, quelques détachements, qui furent défaits par les troupes anglaises et les sauvages. Ce fut alors que le lieutenant Rolette, avec six hommes seulement ; aborda et prit un navire américain, chargé de troupes et de bagages. Le capitaine Tallon rencontra, au-dessous du Détroit, le major Vanhorn : il le battit et le mit en fuite. Le capitaine Roberts, de Saint-Joseph, avec une trentaine de soldats et quelques voyageurs canadiens, s’empara de Mackinac. Ce poste américain était très-fort. Cette conquête eut tant de retentissement parmi les sauvages de ces contrées qu’elle les rallia presque tous aux Anglais.

Hull, découragé par ces échecs, se retira au Détroit.

Cependant le général Brock, du Haut-Canada, était parti pour aller chasser Hull de sa position. Il arriva tout-à-coup devant le fort du Détroit, avec environ 1,300 hommes, dont 500 sauvages, parmi lesquels étaient ses fidèles Abénakis. Hull, saisi de frayeur, se constitua aussitôt prisonnier, avec toute son armée, excepté les milices de l’Ohio et du Michigan, qui furent renvoyées dans leur pays, avec l’injonction de ne point servir pendant le reste de la guerre. Ainsi, le fort du Détroit et le territoire du Michigan passèrent au pouvoir des Anglais.

Les prisonniers américains furent conduits dans le Bas-Canada, et Hull fut échangé contre 30 prisonniers anglais. De retour en son pays, Hull fut condamné à mort pour trahison, mais le président lui accorda son pardon, en mémoire des services qu’il avait rendus à la cause américaine, pendant la révolution.

Pendant que ces évènements se passaient du côté de l’Ouest, les Américains réunissaient les forces qui devaient opérer sur les lacs Ontario et Champlain. Ils formèrent deux armées. Celle du lac Ontario, qu’ils appelèrent l’armée du centre, et celle du lac Champlain, qu’ils nommèrent l’armée du nord. Un grand nombre de corps intermédiaires furent placés aux frontières. Ces nombreux détachements étaient destinés à relier les deux armées, et à inquiéter le Canada, sur différents points de ses frontières. L’armée du centre, commandée par le général Van Rensalear, devait envahir le Canada, par Niagara ; celle du nord, composée de 10,000 hommes sous les ordres du général Dearborn, devait pénétrer dans le Canada, par le lac Champlain.

Van Rensalear ne fut prêt à commencer ses opérations qu’au moins d’Octobre. Le 13, de grand matin, il arriva au pied du lac Érié, et opéra son débarquement sur les hauteurs de Queenstown, malgré le feu de l’artillerie anglaise, qui brisa plusieurs de ses berges. Brock, qui était alors à Niagara, accourut au bruit de la canonnade. Il rallia ses soldats et les conduisit lui-même à l’attaque de l’ennemi. Mais il fut bientôt atteint d’une balle, qui lui traversa la poitrine, et expira quelques instants après. L’ordre qui avait été troublé parmi les troupes par cet incident se rétablit bientôt, mais les Américains, protégés par les arbres, ne purent être délogés de leur position.

Bientôt, le général Sheaffe arriva avec des renforts, et résolut d’attaquer aussitôt l’ennemi. Il laissa quelques hommes pour couvrir Queenstown, puis, avec le reste des troupes, parmi lesquelles se trouvaient les Sauvages, il alla faire un détour pour attaquer les Américains par derrière. Les Abénakis et les autres sauvages, étant dans l’avant-garde, attaquèrent les premiers l’ennemi ; mais, accablés par le nombre, ils furent forcés de reculer un peu, pour revenir à la charge avec plus de vigueur. Lorsque le corps principal de l’armée fut uni aux sauvages, les Américains lâchèrent pied et s’enfuirent dans toutes les directions. Les uns se cachèrent dans les broussailles, d’autres se précipitèrent dans le fleuve. Les Abénakis et les soldats les poursuivirent, et en massacrèrent un grand nombre. Plus de 300 Américains furent tués et 1,000 faits prisonniers.

Les deux combats de cette journée ne coûtèrent aux Anglais qu’environ 100 hommes, tués ou blessés.

Smith succéda à Van Rensalear dans le commandement de l’armée du centre. Mais ses compatriotes découragés par le désastre de Queenstown, refusaient de continuer la campagne. Cependant, il parvint à ranimer un peu l’humeur guerrière des jeunes gens, et put former une armée de 5,000 hommes. Il se mit en mouvement, le 28 Novembre, après avoir partagé son armée en deux divisions. La première division traversa le fleuve et mit pied à terre sur la Grande-Île, entre le fort Érié et Chippawa ; elle s’empara d’un poste, gardé par quelques soldats. La seconde division tenta d’aller débarquer, deux milles au-dessous de la tête de l’île ; mais elle fut vivement repoussée par le colonel Bishop, qui avait sous ses ordres 1,100 hommes, y compris les sauvages. Les Américains, ayant eu plusieurs de leurs berges brisées, se retirèrent en toute hâte. Smith feignit de renouveler sa tentative, le 1 Décembre. Il s’embarqua même pour traverser le fleuve. Mais bientôt, il rebroussa chemin, et alla prendre ses quartiers d’hiver.

Ainsi se terminèrent les opérations de l’armée du centre.

Celles de l’armée du nord n’eurent pas plus de succès. Dearborn s’approcha des frontières, et parut vouloir marcher sur Montréal, par la route de Saint-Jean et d’Odeltown.

Les Anglais échelonnèrent des miliciens sur le fleuve Saint-Laurent, depuis Yamaska jusqu’à Saint-Régis. Un corps d’élite, de miliciens et de réguliers, fut placé à Blairfindie ; et la route d’Odeltown, qui conduisait à la frontière, fut embarrassée par des abatis. Ce travail fatiguant et difficile fut fait par les Canadiens et quelques Abénakis du major Salaberry.

Cependant, les Américains n’avançaient à rien, et montraient beaucoup d’hésitation dans leurs mouvements. Tout l’été se passa en petites escarmouches, entre quelques détachements américains, les Canadiens et les Abénakis, qui servaient d’éclaireurs. Dans ces courses, les Abénakis, levèrent un grand nombre de chevelures américaines.

Enfin, Dearborn parut vouloir s’avancer, le 28 Novembre. Une des gardes du major Salaberry, à la rivière Lacolle, fut, tout-à-coup assaillie, pendant la nuit, par 1,400 Américains, qui venaient de traverser la rivière. Les assaillants voulurent cerner la garde et firent feu. Mais, trompés par l’obscurité de la nuit, ils dirigèrent leurs coups sur leurs compagnons d’armes. Ainsi, ils se fusillaient eux-mêmes au lieu d’atteindre la garde de Salaberry. Cette funeste erreur les força de retraiter aussitôt. Alors, Dearborn s’éloigna et alla prendre ses quartiers d’hiver à Plattsburgh et à Burlington.

Ainsi se termina la campagne de 1812.

Les Abénakis retournèrent à leurs villages, regrettant de n’avoir pas assez combattu pendant cette campagne.



CHAPITRE QUATRIÈME.

campagnes de 1813-1814.


Les Abénakis se distinguèrent pendant la campagne de 1813. Ils furent placés, au nombre de près de 200, sous les ordres du colonel Salaberry, pour la défense de la frontière, du côté du lac Champlain. Ils passèrent l’été à épier les mouvements de l’ennemi ; de ce côté. Enfin, le 26 Octobre, ils combattirent courageusement à la bataille de Chateauguay, comme nous allons le voir.

Voici les détails des opérations militaires de cette célèbre campagne.

Les Américains, ne désespérant pas de triompher malgré les défaites de l’année précédente, se préparèrent à pousser la guerre avec vigueur. Ils divisèrent leurs forces en trois armées. Celle de l’ouest, sous les ordres du général Harrison, fut chargée d’opérer sur le lac Érié ; celle du centre, commandée par le général Dearborn, devait opérer sur le lac Ontario ; et celle du nord, commandée par le général Hampton, devait envahir le Canada, par le lac Champlain.

Harrison réunit ses troupes à la tête du lac Érié, pour attaquer les Anglais au Détroit et à Malden, situé un peu plus bas, sur la rive gauche du lac Érié. Un détachement de ses troupes, sous les ordres du général Winchester, s’empara du village de Frenchtown, situé à 30 milles de la rivière des Miâmis. Le général Proctor, qui était à Malden, résolut d’aller chasser les Américains de ce village, avant qu’ils ne fussent rejoints par le reste de leur armée. Il réunit 1,100 hommes, y compris 600 sauvages, et parut, le 22 Janvier, devant Frenchtown, qu’il attaqua de suite. Les Américains, craignant de tomber entre les mains des sauvages, se défendirent longtemps. Dès le commencement de l’action, Winchester fut pris par un Chef sauvage et conduit à Proctor. Enfin, les Américains, voyant qu’il leur était impossible de résister plus longtemps, posèrent les armes, à condition qu’ils seraient protégés contre les sauvages. Mais cette condition ne put être observée. Un grand nombre de prisonniers américains furent massacrés par les sauvages, malgré les efforts des officiers anglais pour arrêter ce désordre. Ce combat coûta aux Américains plus de 300 hommes, tués ou blesses, et plus de 200 aux vainqueurs.

Harrisson, apprenant que Proctor était retourné à Malden, alla se retrancher sur la rivière des Miâmis, en attendant d’autres troupes. Il appela ce camp le fort Meigs. Proctor résolut de l’attaquer de suite. Il investit ses retranchements, à la fin d’Avril. Le 5 Mai, le général Clay arriva au secours de Harrisson, avec 1,200 hommes, et parvint à enlever une partie des batteries anglaises. Cependant, après un combat violent, Procter parvint à repousser Clay, et lui enleva 500 prisonniers. Alors, les sauvages, fatigués du combat, se retirèrent du camp anglais, malgré les représentations de leur célèbre Chef Tecumseh ; ce qui força Proctor de se retirer à Malden. Harrisson alla établir son camp sur la rivière Sandusky, pour attendre la flotte, qui s’armait vers le bas du lac Érié, sous la direction du capitaine Perry.

Pendant que Perry armait sa flotte, les Anglais se préparaient avec activité pour lui résister. L’Angleterre avait envoyé en Canada, pendant l’hiver, des officiers et des matelots, qui étaient venus par terre, d’Halifax à Québec, et qui furent aussitôt envoyés pour équiper une flotte sur le lac Ontario. Ils y furent rejoints, au printemps, par Sir James Yeo, et près de 500 matelots. Yeo prit le commandement de la marine, et mit la flotte du lac Érié sous les ordres du capitaine Barclay, qui alla de suite bloquer les bâtiments américains dans le havre de la presqu’île. Barclay ayant été obligé de s’éloigner un peu, Perry en profita pour sortir sa flotte, et remonta à la tête du lac. Les deux flottes se rencontrèrent, le 10 Septembre, à Put-in-Bay. Barclay avait 6 vaisseaux et 63 canons, Perry avait 9 vaisseaux et 54 canons. Le combat dura quatre heures. On crut pendant quelque temps que la victoire allait se déclarer en faveur des Anglais. Plusieurs vaisseaux de Perry furent fort maltraités. Mais le vent étant devenu favorable à sa flotte, il réussit à disperser celle des Anglais. La victoire des Américains fut complète, et fit perdre aux Anglais tous les avantages qu’ils avaient obtenus de ce côté, depuis le commencement de la campagne.

Après la défaite de Barclay, Proctor comprit que sa position n’était plus tenable et qu’il devait fuir. Il abandonna le Détroit, et se dirigea, en toute hâte, vers le lac Ontario. Harrison se mit à sa poursuite, et atteignit son arrière-garde à Moraviantown. Le lendemain, Proctor se vit obligé de tenter le sort des armes, pour éviter une ruine complète. Il était accompagné du fidèle et courageux Tecumseh, sur lequel il comptait beaucoup. La bravoure et le courage de ce célèbre Chef étaient en effet si extraordinaires qu’on le considère comme le héros de cette campagne au lac Érié. Tecumseh harangua ses guerriers et le combat s’engagea. Ce combat fut très-vif. Enfin, les Anglais plièrent et posèrent les armes ; mais Tecumseh tint ferme ; il encouragea ses sauvages et continua la lutte jusqu’à ce qu’il tombât percé de coups. Près de 700 Anglais furent fait prisonniers. Proctor put s’échapper et atteindre la tête du lac Ontario, avec environ 300 hommes. Ainsi, la défaite des Anglais, du côté de l’Ouest, fut complète.

Pendant qu’on se battait de ce côté, les opérations se faisaient sur le lac Ontario.

Dès le printemps, Dearborn prépara, à Sacketts-Harbour, une expédition contre Toronto. Il partit, le 25 Avril, avec 1,700 hommes, sur la flotte de Chauncey, et arriva près de Toronto, le 27. Le général Sheaffe voulut s’opposer au débarquement des Américains, mais il fut repoussé. Dearborn attaqua la ville, le même jour. Au moment de l’attaque, une poudrière sauta et 200 Américains furent tués ; ce qui n’empêcha pas néanmoins la reddition de la ville.

De là, Dearborn alla s’emparer du fort Georges, situé à la tête du lac Ontario. Le général Vincent, qui y commandait, se retira à Queenston ; mais, poursuivi par les Américains, il fut forcé d’opérer sa retraite jusque sur les hauteurs de Burlington.

Le gouverneur Prévost, qui était monté à Kingston dans le mois de Février, et Yeo résolurent de profiter de l’absence de la flotte ennemie pour aller attaquer Sacketts-Harbour. Le gouverneur s’embarqua avec 6,000 hommes et parut, le 28 Mai, devant Sacketts-Harbour. Il retarda son débarquement au lendemain, ce qui donna à l’ennemi le temps d’avoir du secours et de faire des préparatifs de défense. Le lendemain, il fut obligé d’aller un peu plus loin, où il opéra difficilement son débarquement, sous un feu très-vif. Il s’avança alors jusqu’aux retranchements de l’ennemi. Les Américains, se croyant perdus mirent le feu à leurs magasins et à leurs casernes, et prirent la fuite. Tout fut consumé, et il ne resta rien à Prévost.

Les américains avaient poursuivi le général Vincent jusqu’à Burlington, et avaient établi leur campement près de lui. Harvey partit, avec 700 hommes, pour aller les chasser de cette position. Il tomba sur eux à l’improviste, le 5 Juin, les chassa de leur camp, et fit prisonniers les généraux Chandler et Winder.

À la fin de Juin, un détachement américain fut cerné et défait par le lieutenant Fitzgibbon, à quelques milles de Queenston. Dans le mois de Juillet, Black-Rock fut brûlé par les Anglais.

Cependant les deux flottes s’évitaient sur le lac Ontario. Enfin, elles se rencontrèrent devant Toronto, le 28 Septembre. Après un combat de deux heures, le commandant anglais fut repoussé, puis il alla se réfugier près de Burlington.

Tels sont les principaux évènements qui se passèrent dans le Haut-Canada.

Le plan d’opérations des Américains sur le Bas-Canada était de réunir l’armée du centre à celle du nord, pour marcher sur Montréal, et ensuite sur Québec.

Le général américain, Wilkinson, réunit environ 9,000 soldats à French-Creek, 21 milles plus bas que Sacketts-Harbour. Il s’embarqua, au commencement de Novembre, sur des berges et descendit le fleuve, sous la protection d’un fort détachement, qui suivait la rive gauche.

Le général anglais, Rottenburgh, pensant que cette armée marchait contre Kingston, le fit suivre par un peu plus de 800 hommes. Les Américains débarquèrent au-dessus des rapides du Long-Sault, et continuèrent leur route. Arrivé à Chrystlers-Farm, à mi-chemin entre Kingston et Montréal, Wilkinson, se voyant pressé par les Anglais, fit arrêter son arrière-garde, commandée par le général Boyd, et ordonna de les attaquer. Le combat s’engagea, le 11, et dura 2 heures. Les Américains, au nombre d’environ 3,000, furent défaits, 500 hommes furent blessés ou tués dans cette action. Les Américains n’en continuèrent pas moins leur route vers Montréal. Le lendemain, ils étaient réunis à Cornwall et à Saint-Régis. Mais, ayant appris la défaite du général Hampton, à Chateauguay, ils retournèrent sur leurs pas.

Le général Hampton demeura inactif une grande partie de l’été. Le général Murray avait pénétré jusque dans son voisinage, dans le mois de Juillet, avec 1,000 hommes. Il s’était avancé sur le lac Champlain, avait brûlé plusieurs édifices à Plattsburgh, Burlington et Swanton, et avait jeté la terreur sur la frontière de ce côté. Hampton voulut avancer par l’Acadie, dans le mois de Septembre, mais il fut arrêté par le colonel Salaberry, avec 600 hommes, parmi lesquels étaient les Abénakis. Il y eut plusieurs escarmouches, où des détachements d’Américains furent battus. Hampton, n’osant s’avancer plus loin, se retira à Four-Corners. Bientôt Salaberry, avec 200 voltigeurs et environ 150 Abénakis, surprit les Américains dans leur camp. Il causa la plus grande confusion parmi eux, puis se retira.

Cependant, Hampton dut se décider à avancer, car le temps où son armée devait opérer sa jonction avec celle de Wilkinson arrivait. Ne pouvant suivre la route de l’Acadie, il se dirigea vers les sources de la rivière Chateauguay. Les Anglais avaient prévu cette décision. Ils avaient embarrassé cette route, y avaient fait, en différents endroits, des ouvrages défensifs, et y avaient placé des gardes.

Le gouverneur Prévost avait laissé le commandement des forces du Haut-Canada au général Rottenburgh, et était venu se placer à Caughnawaga, pour s’opposer à la jonction des deux armées américaines. Apprenant la marche de Hampton, il appela aussitôt la milice du District, pour aller au secours du point menacé. Ses ordres furent promptement exécutés.

Le 21 Octobre, l’avant-garde de l’armée américaine repoussa des gardes anglaises, placées à 30 milles au-dessus de l’église de Chateauguay. Les capitaines Lévesque et Debartzch se portèrent aussitôt en avant avec leurs compagnies et 200 miliciens de Beauharnais, et s’arrêtèrent à 6 milles de là, derrière un bois très-épais, qui leur offrait une bonne protection. Le lendemain, le colonel Salaberry les rejoignit avec ses voltigeurs et les Abénakis. Salaberry prit la direction de ces différents corps. Il remonta la rivière Chateauguay, par la rive gauche, jusqu’à l’autre extrémité du bois ; car il savait qu’en cet endroit le terrain, étant entrecoupé de ravins, offrait une excellente position défensive. Il y fit quatre lignes d’abatis, dont trois étaient à 400 verges l’une de l’autre, et la quatrième, à un demi-mille en arrière. Toute la journée fut employée à fortifier ces lignes. Il plaça, du côté droit de la rivière, dans un bois épais, un fort détachement. Il fit détruire tous les ponts jusqu’à une grande distance en avant de sa position ; puis il fit abattre un bois entre la rivière et un marais, qui se trouvait au-delà de la plaine qu’il occupait, afin d’empêcher le passage de l’artillerie de l’ennemi. Ces ouvrages étaient terminés lorsque l’ennemi parut.

7,000 Américains s’avançaient en bon ordre, et on n’avait à leur opposer qu’environ 300 Canadiens, quelques Écossais et environ 150 Abénakis !  !

Hampton avait partagé son armée en deux divisions. La première division, composée de cavalerie et de fantassins et soutenue par 2,000 hommes, qui marchaient en arrière, s’avançait du côté gauche de la rivière, pour attaquer les retranchements de Salaberry. La seconde division, composée de 1,500 hommes, sous les ordres du colonel Purdy, s’avançait sur la rive droite.

Salaberry forma son front de bataille avec trois compagnies, quelques miliciens et une partie des sauvages, qu’il plaça en avant des abatis. Trois autres compagnies, les Écossais et le reste des sauvages furent distribués derrière les abatis.

Une forte colonne d’infanterie, à la tête de laquelle marchait un officier à haute stature, s’avançait en avant de la première division de l’armée américaine. Cet officier fit quelques pas en avant, et, s’adressant aux Canadiens il dit, en français : « Braves Canadiens rendez-vous, nous ne voulons pas vous faire du mal. » Pour réponse, il reçut un coup de fusil qui le renversa par terre. Ce fut le signal du combat. Les trompettes sonnèrent, et une vive fusillade s’engagea sur toute la ligne. La fusillade continua longtemps sans résultat apparent. Hampton, voyant que ses efforts étaient inutiles, tenta un autre moyen pour essayer de repousser les Canadiens. Il concentra ses forces, et attaqua tantôt le centre de l’armée de Salaberry, tantôt une aile et tantôt l’autre. Mais tout fut sans succès.

Les Abénakis et les Canadiens se défendirent avec un courage extraordinaire. Ceux qui étaient distribués derrière les abatis soutenaient leur fusillade avec tant d’activité que les Américains crurent qu’ils avaient à combattre un nombre très-considérable de Canadiens.

Au plus fort du combat, Salaberry fut renversé par terre. Aussitôt un Abénakis, du nom de Louis Sougelon, qui se trouvait près de lui, vola à son secours et l’aida à se relever. Le colonel n’était pas blessé, et il reprit aussitôt le commandement de la bataille[730].

Hampton, vivement repoussé partout, se vit enfin obligé de se retirer, après avoir fait des pertes considérables.

La seconde division de l’armée américaine attaqua le détachement que Salaberry avait placé à la droite de la rivière. Ce détachement, accablé par le nombre, recula un peu dès que Hampton se fut retiré, Salaberry s’approcha de la rivière, et dirigea, de la main, les mouvements des troupes placées de l’autre côté. Il échelonna sur la rive gauche celles qu’il avait de son côté, et fit ouvrir un feu meurtrier sur le flanc de l’ennemi qui s’avançait. Bientôt, le désordre se mit parmi les Américains, et ils s’enfuirent avec précipitation.

Tel fut le résultat de la célèbre bataille de Chateauguay, où un peu plus de 400 hommes repoussèrent 7,000 Américains, après un combat très-vif de 4 heures.

Le gouverneur remercia les Abénakis des services qu’ils venaient de rendre au pays, et leur promit des récompenses. Les sauvages retournèrent dans leurs villages, après s’être couverts de gloire dans cette célèbre campagne.

Dès le commencement de l’hiver, 1813-1814, le gouverneur s’occupa des préparatifs de la campagne suivante. Il reçut à Québec, avec pompe, une députation d’une dizaine de nations sauvages de l’Ouest. « Les Américains, » dirent ces Chefs, « prennent tous les jours nos terres. Ils n’ont aucune pitié pour nous, et veulent nous chasser au loin vers le couchant. » Le gouverneur leur donna des armes, et les exhorta à continuer à lutter contre leurs ennemis.

Les Abénakis ne furent pas invités pour la campagne de 1814. Un grand nombre de ces sauvages avaient été tués dans les guerres précédentes, d’autres avaient été blessés et étaient incapables de reprendre les armes. Ces fidèles et courageux guerriers avaient besoin de repos. D’ailleurs, le pays n’avait pas besoin de leurs services pour cette campagne, car la fin de la crise européenne permit à l’Angleterre d’envoyer des renforts en Canada. 14,000 hommes de troupes arrivèrent à Québec, dans les mois de Juillet et d’Août. Ces troupes furent envoyées dans le Haut-Canada et à la frontière, du côté du lac Champlain.

Dans la campagne de 1814, les anglais obtinrent la suprématie sur le lac Ontario ; mais ils furent battus sur le lac Champlain. Le 6 Septembre, le gouverneur fut repoussé à Plattsburg, avec des pertes considérables[731].

D’un autre côté, l’Angleterre envoya sur les côtes des États-Unis des flottes chargées de troupes, afin de forcer les Américains de retirer leur armée des frontières du Canada. Les escadres anglaises bloquèrent tous les principaux ports, depuis la Nouvelle-Écosse jusqu’au Mexique. La ville de Washington tomba au pouvoir des Anglais ; le capitole et les édifices publics furent brûlés. À Alexandrie, on livra aux Anglais les bâtiments qui étaient dans le port, afin d’éviter l’incendie de la ville. À New-York, New-London, et Boston beaucoup de navires furent enlevés. Dans les états du Sud, les Anglais firent aussi de grands ravages. Ils firent subir partout des pertes considérables au commerce américain.

Bientôt, des députés du Massachusetts, du Connecticut, du Rhode-Island, du Vermont et du New-Hampshire, se réunirent à Hartford, pour prendre en considération l’état déplorable de la république américaine, et demander la paix. Il s’en suivit de grandes querelles dans tout le pays ; mais le Gouvernement fédéral finit par se décider en faveur de la paix.

Le traité de Gand fut signé, le 24 Décembre. Par ce traité, on abandonnait la question des frontières du Canada et du Nouveau-Brunswick à la décision de commissaires, qui seraient nommés par les deux Gouvernements. La paix fut rétablie dans le Canada.

CHAPITRE CINQUIÈME.

les abénakis en canada.
— établissement du protestantisme parmi eux.

1815-1866.


Dès que la paix fut rétablie dans le Canada, le gouverneur songea à récompenser les Abénakis pour les services importants qu’ils avaient rendus pendant la guerre. Une pension annuelle d’environ $125, tant en argent qu’en provisions, fut accordée pour chaque guerrier, blessé à la guerre, et une autre pension, aussi annuelle, d’environ $25 fut accordée aux femmes des blessés.

Les sauvages furent satisfaits des récompenses accordées à leurs guerriers ; mais, d’un autre côté, ils furent affligés des instructions qui arrivèrent d’Angleterre, concernant leurs missionnaires.

Voici ce qui avait été réglé à ce sujet, en 1760, dans la capitulation de Montréal.

« Les sauvages ou Indiens, alliés de Sa Majesté très-chrétienne, seront maintenus dans les terres qu’ils habitent, s’ils veulent y rester ; ils ne pourront être inquiétés sous quelque prétexte que ce puisse être pour avoir pris les armes et servi Sa Majesté très-chrétienne ; ils auront, comme les Français, la liberté de religion, et conserveront leurs missionnaires »[732].

L’Angleterre, dans ses instructions au gouverneur du Canada, ne revenait pas sur ce qui avait été réglé relativement aux terres des sauvages, mais elle voulait prendre des moyens pour nuire indirectement à leur liberté de religion ; elle recommandait de tâcher d’éloigner peu-à-peu les missionnaires catholiques, et de les remplacer par des ministres protestants. Voici ce que portait ces instructions. « That all missionnaries amongst the Indians, wether established under the authority or appointed by the Jesuits, or by any other ecclesiastical authority of the Romish Church, be withdrawn by degrees, and at such times and in such manner as shall be satisfactory to the Indians and consistent with the public safety, and protestant missionnaires appointed in their places »[733].

Ces instructions étaient une violation directe de l’article 40è de la capitulation de Montréal. L’Angleterre ne voulait pas, il est vrai, imposer de force des missionnaires protestants aux sauvages, mais elle chargeait le gouverneur de les engager à y consentir.

Les Abénakis repoussèrent ces tentatives avec horreur, et protestèrent qu’ils ne consentiraient jamais à se séparer de leurs missionnaires catholiques.

En 1816, un déplorable accident affligea profondément ceux de Saint-François : ce fut l’incendie de leur église. Cet accident arriva au mois de Mai, pendant que les sauvages étaient à la chasse. Le feu prit par le poêle de la sacristie.

Cette église était assez bien pourvue d’ornements sacerdotaux et de vases sacrés, qui furent sauvés de l’incendie. Tout ce qui servait à la décoration de l’église et les meubles furent consumés.

M. Jacques Paquin, alors missionnaire à Saint-François, choisit la maison du conseil pour y célébrer le Saint-Sacrifice de la messe. Comme les sauvages étaient alors trop pauvres pour construire une nouvelle église, cette maison leur servit de chapelle, pendant douze ans. En 1826, le successeur de M. Paquin, M. Noël-Laurent Amiot, forma le dessein de construire une nouvelle église pour les Abénakis. Il communiqua ce projet aux Gill, et les engagea à souscrire à cette bonne œuvre. Les Gill répondirent généreusement à cet appel. Les travaux de cette église commencèrent immédiatement, et se terminèrent, en 1828. C’est l’église actuelle des sauvages. C’est un édifice en pierre, de 70 pieds de long sur 34 de large, avec une sacristie, aussi en pierre, de 25 pieds de long sur 20 de large.

L’évènement le plus remarquable arrivé chez les Abénakis de Saint-François, depuis 1830, est l’établissement du protestantisme : évènement regrettable, qui forme une tache indélébile dans la troisième époque de l’histoire des ces sauvages.

Avant 1830, un jeune Abénakis, du nom de Pierre-Paul Osunkhirhine,[734] aussi connu depuis sous le nom de « Masta », alla passer quelques années aux États-Unis. Il y entra dans une école protestante, et embrassa bientôt les erreurs du protestantisme. Vers 1830, il revint dans son village, avec le titre de ministre de l’Évangile, et commença à répandre parmi ses frères les erreurs dont il était imbu.

Les sauvages repoussèrent d’abord avec horreur ces prédications. Car les Abénakis avaient toujours eu le protestantisme en horreur. Nous avons vu dans le cours de cette histoire quel a été, de tout temps, leur amour pour le catholicisme. On sait, que c’est surtout leur attachement à leur foi qui les éloignait des Anglais et les liait fortement aux Français. Ils n’ont jamais consenti à se séparer de ceux qui leur avaient enseigné à prier.

Mais la curiosité, ordinairement si grande chez les sauvages, entraîna quelques-uns. C’était chose si nouvelle pour eux d’entendre parler, en leur langue, sur des sujets religieux, qu’ils allaient quelquefois écouter les lectures que le prétendu ministre faisait d’une maison à l’autre.

À cette époque, le missionnaire, M. J. M. Bellenger, ne parlait pas l’abénakis. Le dernier missionnaire, parlant cette langue, avait été le P. Germain, parti de Saint-François, en 1779. Ainsi, depuis plus de 50 ans, les Abénakis du Canada n’avaient pas entendu un prêtre parler leur langue. En outre, le missionnaire résidait alors à l’église de Saint-François, située à trois milles de la mission, et n’allait visiter ses sauvages qu’une fois chaque semaine. Masta avait donc deux avantages sur le missionnaire : la résidence et la langue. C’est ce qui causa le malheur des sauvages. Le missionnaire ne manqua pas d’activité pour conserver leur foi ; mais l’apostat, profitant des absences du prêtre pour leur raconter mille histoires fabuleuses et absurdes contre les catholiques, réussit à en pervertir quelques-uns.

M. Bellenger, informé de ce qui se passait à la mission, réprimanda fortement le nouveau prédicant, et défendit aux sauvages de l’écouter. Cependant, l’apostat n’en continua pas moins son ouvrage secrètement.

Bientôt, Osunkhirhine demanda en mariage la fille du grand Chef, Simon Obomsawin. Celui-ci repoussa cette demande avec horreur, disant qu’il ne donnerait jamais sa fille à un protestant. Contrarié par ce refus, Masta résolut de faire mine d’abjurer ses erreurs, afin d’obtenir le consentement du Chef. Le missionnaire se laissa tromper par les promesses de cet hypocrite, et crut que son apparente soumission annonçait une véritable conversion. Il reçut donc son abjuration, puis bientôt, il bénit son mariage avec la fille du Chef. Mais aussitôt après, l’apostat prouva que ses démarches n’avaient été que de l’hypocrisie ; car il recommença ses prédications.

Cependant, il fallait gagner sa subsistance ; c’était pour lui l’unique chose nécessaire. Or, ces prédicattions ne lui donnaient pas de pain. Il fallut donc songer à une autre spéculation.

Le Gouvernement accordait alors une petite allocation pour une école chez les Abénakis. Masta résolut de demander la place d’instituteur de cette école. Mais, pour l’obtenir, il lui fallait une recommandation du missionnaire, ce qu’il ne pouvait avoir sans faire encore mine d’être catholique. C’est ce qu’il fit. Voilà donc notre apostat redevenu catholique une seconde fois. Et, cette fois, il montre toutes les apparences de la plus grande sincérité, et se soumet volontiers à toutes les épreuves exigées. Bientôt le missionnaire annonce avec la plus grande satisfaction à l’Évêque de Québec, Monseigneur Joseph Signay, que son Masta est un fervent catholique.

Le nouveau converti obtint facilement la place qu’il désirait. Dès qu’il fut instituteur, il recommença à semer ses erreurs, surtout parmi les enfants ; mais il le faisait secrètement, car il craignait de perdre sa position.

À l’automne 1833, M. Bellenger ayant été rappelé de Saint-François, Masta crut qu’il serait désormais le seul maître du terrain. Alors, il commença à prêcher ouvertement sa doctrine et à tourmenter sans cesse les sauvages pour les entraîner dans l’erreur. Bientôt, le petit parti qu’il parvint à se faire prit part à la lutte, et il s’ensuivit des querelles interminables.

Le trouble devint si considérable parmi les sauvages que M. Luc Aubry, faisant alors les fonctions de missionnaire, et les Chefs portèrent plaintes contre Masta, devant Lord Aylmer, par une requête, datée du 21 mai, 1834. Les chefs représentaient au gouverneur que leur instituteur causait des troubles et des difficultés dans leur village, qu’il n’avait pas les qualifications requises pour tenir une école, et qu’en conséquence, ils demandaient un autre instituteur.

La réponse à cette requête se fit longtemps attendre. Masta, croyant que le Gouvernement approuvait sa conduite, n’en devint que plus audacieux et plus insolent. Il s’introduisait dans les conseils, et insultait publiquement les Chefs et le missionnaire. À l’automne, M. Pierre Béland, qui venait de succéder à M. Aubry, fit de nouvelles représentations contre l’insolent instituteur. Enfin, après sept mois d’attente, les sauvages virent arriver chez eux, à la fin de Décembre, M. James Hughes, surintendant du département indien. Cet officier était chargé de faire une enquête sur la conduite de Masta.

Cette enquête eut lieu, le 29 Décembre, en présence de tous les sauvages. Les plaintes portées contre l’instituteur furent maintenues et prouvées. Alors, M. Hughes le réprimanda fortement, et le déclara publiquement indigne de tenir une école.

Masta fut comme foudroyé par ce coup inattendu. Cependant, il ne se découragea pas. Il alla aux États-Unis, où il s’adressa aux membres d’une société biblique, leur représentant qu’il avait une forte congrégation en Canada, et qu’il y était persécuté par les catholiques, qui s’efforçaient de lui enlever tous moyens de subsistance. Ces protestants lui accordèrent quelque secours, et l’encouragèrent fortement à persévérer dans son entreprise de perversion.

Masta revint plein de courage, et continua à faire l’école chez les Abénakis. Les sauvages en furent étonnés et leur étonnement redoubla lorsqu’ils le virent recevoir comme instituteur, en 1835, l’allocation du Gouvernement. Le missionnaire réclama contre cette injustice, et fit connaître au Gouvernement que les sauvages en étaient très-mécontents. À la suite de cette seconde plainte, Masta fut enfin destitué, et un nommé McDonald fut choisi pour le remplacer.

Furieux de cette destitution, l’apostat ouvrit une autre école dans le village, disant qu’il n’avait pas besoin de l’allocation du Gouvernement, parcequ’il recevrait des secours des protestants des États-Unis. Dès lors, il annonça aux sauvages qu’il allait bâtir, dans leur village, une chapelle protestante, avec l’aide d’une riche société des États-Unis.

Cette nouvelle fut un nouveau sujet de querelles parmi les sauvages. Alors, le missionnaire et les Chefs adressèrent une requête au gouverneur Gosford, en date du 19 Décembre, 1835, demandant du secours pour s’opposer à l’exécution du projet de Masta. Voici ce que les sauvages exposaient au gouverneur.

« Que par acte de concession, en date du 13 août 1700, passé devant Mtre Adhémar et son confrère, notaire, Dame Marguerite Hertel, veuve Jean Crevier, concéda et accorda à la nation abénakise une demi-lieue de terre de front, laquelle est plus amplement désignée dans le dit acte, dont vos suppliants soumettent une copie à Votre Excellence.

« Qu’une des clauses du dit acte est conçue dans les termes suivants. Pour en jouir (de la dite demi-lieue) par les dits sauvages pendant tout le temps que la mission que les Pères Jésuites y vont établir pour les dits sauvages y subsistera, et la dite mission cessante, la dite demi-lieue présentement concédée, en l’état que les terres seront alors, retournera à la dite Dame Crevier ès dit nom et au dit sieur son fils où à leurs héritiers ou ayant cause.

« Que le nommé Pierre-Paul Osunkhirhine, connu sous le nom de Masta, sauvage abénakis du village de Saint-François, qui professe une croyance religieuse étrangère à celle des autres sauvages du village, voudrait faire ériger une chapelle pour les personnes de sa croyance, sur la dite demi-lieue de terre. Mais vos suppliants prient qu’il leur soit permis d’exposer très-humblement que si cet individu réussissait à faire ériger la chapelle en question, malgré l’opposition des Chefs de la nation, la mission, telle qu’établie en conformité à l’acte précité, cesserait d’exister, et la dite demi-lieue de terre accordée, comme vos suppliants ont l’honneur de l’exposer, ainsi que d’autres terres qui ont été accordées aux dits sauvages Abénakis, retourneraient aux seigneurs de Saint-François, représentant la dite Dame Hertel, veuve Jean Crevier.

« C’est pourquoi, vos suppliants prient qu’il plaise à Votre Excellence de défendre les droits de la dite nation abénakise contre toute innovation que voudrait faire le dit Pierre-Paul-Osunkhirhine, alias Masta, dans la mission du village de Saint-François, de vouloir bien donner à la dite nation un avocat ou procureur, afin de lui fournir les moyens de conserver la propriété des dites terres qu’elle se trouverait exposée à perdre, d’après les conditions mentionnées et potées dans ses titres de propriété, et autoriser le dit procureur à faire tout ce que le cas exige pour la conservation des droits de la dite nation ».

Quelques mois après la réception de cette requête le gouverneur défendit à Masta de bâtir sa chapelle, et lui enjoignit de ne pas troubler la paix dans le village. Masta ne fit aucun cas de ces ordres, et poussa l’insolence jusqu’à dire qu’il ne craignait pas le gouverneur, et que les ministres protestants sauraient bien l’arrêter.

Il persévéra donc dans son projet de construction. Vers 1836, il s’adressa aux membres d’une société biblique aux États-Unis, pour obtenir des secours pour cette fin. Ces protestants lui répondirent qu’avant de lui accorder ces secours, ils désiraient connaître le nombre de ses coréligionnaires à Saint-François. Cette demande l’embarrassa un peu, car il n’y avait alors qu’une dizaine de sauvages qui avaient embrassé ses erreurs. Cependant, il trouva bien vite le moyen de sortir de cet embarras.

Le seigneur Wurtèle, de Saint-David, menaçait alors les sauvages de leur enlever une partie de leur seigneurie. Masta fit mine de défendre les droits des derniers. Un jour, il se présenta à eux avec une requête, adressée au Gouvernement, qui demandait protection contre les prétentions du seigneur Wurtèle. Il leur en fit la lecture, et demanda leurs signatures. Pendant que les sauvages se préparaient à signer cette requête, il lui substitua adroitement un autre papier qu’il fit signer. Ce dernier papier était une requête, adressée aux membres de la société biblique que nous venons de mentionner, demandant un missionnaire protestant pour les Abénakis. Il obtint, par cette ruse, la signature d’une quarantaine de sauvages, qui furent considérés comme ses coréligionnaires. On lui accorda alors ce qu’il avait demandé, et, de plus, une allocation annuelle comme missionnaire chez les Abénakis.

En 1837, il commença à préparer les matériaux pour la construction de sa chapelle. Alors, Louis Gill, agent des sauvages, renouvela, le 17 Mai, la requête des Chefs auprès du gouverneur Gosford. Un procureur fut nommé aux Trois-Rivières pour s’occuper de cette affaire. Une action fut intentée contre Masta. Mais tout fut sans résultat satisfaisant. La chapelle protestante fut construite, malgré l’opposition constante des sauvages.

En 1840, Monseigneur Signay nous envoya dans cette mission, pour étudier la langue abénakise, et, en 1847, il nous plaça résident au milieu des sauvages. C’est de cette époque que l’apostat a commencé à perdre son influence auprès des Abénakis. Ces années dernières, il s’est vu entièrement ruiné et sans crédit auprès des sauvages comme des Canadiens. Aujourd’hui, il voyage, tantôt dans le Haut-Canada, tantôt dans les États-Unis, cherchant la subsistance de sa famille. Mais il a laissé à Saint-François quelques familles malheureuses, qu’il a perverties et perdues, et qui persévèrent dans leur erreur.

Puisse la lecture de l’histoire édifiante de la nation abénakise éclairer ces malheureux et les ramener à la foi de leurs ancêtres, qui seule peut les sauver !


CHAPITRE SIXIÈME.

missionnaires des abénakis en canada.

1760-1866.

Nous avons vu qu’en 1760, le P. Simon-Pierre Gronnon était à Bécancourt, et qu’il mourut, en 1764. Ce Père fut le dernier Jésuite à Bécancourt. Son successeur fut le P. Louis Demers, Récollet, qui fut missionnaire des Abénakis jusqu’au 12 Novembre, 1767 ; puis arriva à Bécancourt le P. Dominique Pétrimoulx, Récollet, qui y demeura jusqu’au mois de Septembre, 1769. Ce père mourut à la Rivière-du-Loup (en haut), en 1798.

En Septembre, 1769 le P. Nicolas Couturier, Récollet, fut envoyé à Bécancourt et y demeura quatre ans et quatre mois. Il fut remplacé, en 1774, par le P. Théodore, qui fut missionnaire jusqu’en 1779. Le P. Théodore fut le dernier religieux à Bécancourt.

Son successeur fut M. Jean-Baptiste Dubois, qui fut missionnaire pendant 18 ans, 1779-1797. Il fut remplacé par M. Pierre-Nicolas Labadye, qui demeura à Bécancourt 21 ans et 9 mois, depuis le mois de Novembre, 1797, au mois de Juin, 1819. M. Labadye mourut à Bécancourt, âgé de 65 ans, et fut inhumé, le 9 Juin 1819, dans l’église de cette paroisse.

Au mois d’Août, 1819, M. François Lejamtel fut nommé missionnaire à Bécancourt, et y demeura 15 ans et 9 mois. Son grand âge le força d’abandonner l’exercice du Saint-Ministère, en 1833. Il mourut à Bécancourt, en 1835, âgé de 77 ans et 6 mois. Il fut inhumé, le 24 Juin, dans l’église de cette paroisse.

M. Charles Dion, alors vicaire en cette paroisse depuis trois ans, fut nommé missionnaire, en Septembre, 1833. Il remplit les fonctions de cette charge jusqu’à l’automne, 1848, où il fut remplacé par M. F. G. Rivard (Lorenger), qui demeura à Bécancourt jusqu’au printemps, 1850. M. Rivard, ayant été alors nommé Chaplain des Dames Ursulines des Trois-Rivières, les sauvages furent desservis par un vicaire jusqu’à l’automne suivant.

En Septembre, 1850, M. Louis-Stanislas Mâlo fut nommé missionnaire. Il est encore à Bécancourt. L’arrivée de cet homme distingué[735] en cette mission fut une bonne fortune pour les sauvages. Le nouveau missionnaire connut bien vite leur infortune et se mit courageusement à l’œuvre pour tâcher d’améliorer leur sort. Ses efforts ont eu le bon résultat d’attirer l’attention du Gouvernement sur le sort de ces sauvages, et une allocation annuelle d’environ $200 leur a été accordée.

Voici quels furent les missionnaires à Saint-François, depuis 1760.

En 1760, M. Jean-Baptiste Dugast, curé de Saint-François, fut chargé de la desserte des sauvages. M. Dugast fut curé de Saint-François pendant 46 ans, 1715-1761. Il mourut en cette paroisse, en 1761, dans un âge fort avancé.

En 1761, le P. Roubaud, fut nommé missionnaire ; mais il ne resta à Saint-François que 7 ou 8 mois, et fut remplacé en Avril, 1762, par le P. F. Félix de Bérey, Récollet. Ce Père fut remplacé, en Juillet 1763, par M. Parent, qui remplit les fonctions de missionnaire pendant 4 ans et 6 mois.

En Janvier, 1768, le P. Alexis Maquet fut envoyé à Saint-François, où il fut rejoint, dans le mois suivant, par le P. Germain. Ces deux Pères demeurèrent ensemble jusqu’en 1774, où le P. Maquet fut rappelé à Québec.

Le P. Germain demeura chez les sauvages jusqu’en 1779. Il fut missionnaire des Abénakis pendant près de 27 ans, dont 11 ans et 4 mois à Saint-François, et plus de 15, en Acadie. Il fut le dernier missionnaire Jésuite chez ces sauvages.

En Juin, 1779, le P. F. Chrisostôme Dugast, Récollet remplaça le P. Germain. Il demeura à Saint-François jusqu’en Septembre, 1782. Ce père était le neveu de M. J. B. Dugast. Il fut le dernier religieux à Saint-François.

Voici les noms des prêtres qui ont été les missionnaires des Abénakis à Saint-François, depuis ce temps.

M. L. G. Lenoir
1782 — 1805.
C. Brouillet
1805 — 1812.
F. Ciquard
1812 — 1815.
J. Paquin
1815 — 1823.
N. L. Amiot
1821 — 1830.
J. M. Bellenger
1830 — 1834.
M. Ringuet[736]
1833 — 1834.
P. Béland
1834 — 1847.
J. A. Maurault
1847 — 1866.

De tous les missionnaires à Saint-François, depuis le P. Germain, M. Pierre Béland fut celui qui rendit plus de services aux sauvages. Pendant les 13 années qu’il passa en cette mission, il lutta constamment contre l’apostat Masta. On ferait un volume considérable des nombreuses correspondances qu’il eut alors, à ce sujet, avec Monseigneur l’Évêque de Québec et les officiers du Gouvernement. Toutes ses lettres témoignent à la fois de son zèle constant et de son activité persévérante pour rétablir l’ordre parmi les sauvages et conserver leur foi. Malheureusement, il eut quelquefois à se plaindre de n’être pas soutenu dans cette lutte par quelqu’officier du Gouvernement. « Est-il possible », écrivait-il un jour à l’Évêque de Québec, « qu’on permettra à cet apostat, soudoyé par quelques agents secrets d’une société biblique des États-Unis et probablement aussi par quelqu’officier du Grouvernement, de pervertir les bons sauvages Abénakis ! Il est évident que tous ses efforts ne tendent qu’à démoraliser ces sauvages, en leur prêchant sans cesse l’insubordination à l’autorité. Il est à craindre que les sauvages, ordinairement si légers, ne finissent par embrasser les prétendus principes de cette liberté qu’il leur prêche avec tant d’ardeur »[737]. Toutes ses lettres nous montrent le même zèle pour la gloire de Dieu et le bien des sauvages.

Voici comment furent partagées les années de cet homme de bien. Il naquit, en 1800, à la Pointe-aux-Trembles, district de Québec. Après un cours d’études au petit séminaire de Québec, il fut ordonné prêtre, en 1823, et demeura un an vicaire à la cathédrale. En 1824, il fut nommé missionnaire aux Isles-de-la-Magdeleine, où il demeura 3 ans, 1824 — 1827. En 1827, il fut nommé curé de l’Île-Verte et missionnaire des sauvages des postes du roi. Il desservit la paroisse de l’Île-Verte pendant 7 ans, et chaque année il allait, pendant l’été, passer deux mois chez ses sauvages. En 1834, il fut nommé curé de Saint-François et missionnaire des Abénakis. Enfin, après 13 années de travaux constants parmi les Abénakis, il fut envoyé, en 1847, à Saint-Antoine de Tilly, où il mourut, le 5 Décembre, 1859. Il fut inhumé dans l’église de cette paroisse.

CONCLUSION.

Nous sommes arrivé au terme de notre travail. Nous avons la conscience d’avoir accompli un devoir, et cela remplit notre cœur de joie.

Nous le répétons, notre ouvrage est bien imparfait, mais nous sommes néanmoins convaincu d’avoir recueilli les éléments d’un excellent livre, qui pourrait être composé plus tard par un écrivain jouissant du temps et doué du talent qui nous manquent.

Nous croyons avoir, en écrivant ces pages, fait l’œuvre d’un citoyen qui aime sa religion et son pays. Toutefois, nous déclarons que notre unique but, dans le cours de ces études, a été d’entretenir et d’exciter chez nos compatriotes leur amour pour ces deux grands biens.

Nous étions encore fort jeune lorsqu’on nous inculqua ce principe, qui se grava profondément dans notre cœur, que, pour être bon catholique, le Canadien doit s’efforcer sans cesse à entretenir dans le cœur de ses frères l’amour de la religion et de la patrie. Nous avons médité cette pensée dans un âge où les premières impressions se gravent dans l’âme d’une manière ineffaçable ; elle nous parut vraie alors, et elle nous a toujours paru vraie depuis.

C’est cette pensée qui nous a engagé à entreprendre cet ouvrage. Voilà pourquoi nous avons, en le terminant, la conscience d’avoir accompli un devoir.

Quelques uns nous reprocheront peut-être de montrer trop d’affection pour les enfants des bois. À ceux-là, nous dirons : « étudiez ces enfants de la nature ; et, si vous êtes sincèrement catholiques, vous les aimerez comme nous, lorsque vous les connaîtrez. » Oui, nous l’avouons, nous aimons beaucoup les enfants des bois, parceque nous avons retrouvé chez eux cette foi vive et admirable des premiers chrétiens.

Puissent les descendants de cette illustre nation, dont nous venons d’écrire l’histoire et que nous avons tant admirée, se montrer toujours dignes de leurs ancêtres.

Dieu bénisse et conserve les restes de cette nation !

FIN.

TABLE DES MATIÈRES.


Pages.
Pages.
Pages.
 633.
FIN

ERRATA.

Fait Page 3, ligne 14, p. 11, l. 12, p. 56, l. 8, au lieu de habilité, lisez, habileté.
Fait p. 23, l. 5… la pluspartla plupart.
Fait p. 48, l. 20 la pluspartla plupart.
Fait P. 26, l. 21… inhabilitéinhabileté.
Fait P. 34, l. 6… Avant… Ayant.
Fait P. 81, l. 23… 1606… 1605.
Fait P. 88, l. 14… signalé… signalée.
Fait P. 92, l. 19… le Père… le Frère.
Fait P. 96, l. 18… la première… le premier.
Fait P. 125, l. 12… s’étaient donnés… s’étaient donné.
Fait P. 125, l. 22… arrivée… arrivé.
Fait P. 128, l. 30… bonné chaire… font bonne chère.
Fait P. 140, l. 11… apprirent… apprenant.
Fait P. 143, l. 8… ensorcelées… ensorcelés.
Fait P. 175, l. 7… 1680.1760… 1680-1701.
Fait P. 231, l. 24… profitant du sommeil… et, profitant du sommeil.
Fait P. 272, l. 10… alsigânteka… alsiganteku.
Fait P. 292, l. 25… de Bécancourt, comme… de Bécancourt. Comme.
Fait P. 369, l. 4… morte en 1361… morte en 1861.
Fait P. 369, l. 10… marié en 1861… marié en 1821.
Fait P. 370, l. 3… 1863… 1853.
Fait P. 405, l, 8 et 9… 1622, 1623, 1624… 1722, 1723, 1724,
Fait P. 432, l, 16… les attaqua… les attaques.
Fait P. 432, l, 17… généralement suivi… généralement suivie
Fait P. 504, l, 17… 1919… 1719,
Fait P. 523, l, 29… de la chaleur de la fumée… de la chaleur et de la fumée,
Fait P. 544, l, 29,… lui était… lui étant,
Fait P. 573, l, 6… un parti s’appela… un parti s’appelait
Fait P. 573, l. 12… C’est de cette étrange… C’est de la croyance en cette étrange.

  1. Relations des Jésuites. 1637. 85, 86.
  2. Relations des Jésuites. 1640. 35, 36.
  3. John Smith. Description of New-Angland.
  4. Les Canibas appelaient ce lac « M8sinibes », lac à l’orignal. C’est de là que les Anglais le nomment aujourd’hui « Moosehead Lake. »
  5. Relations des Jésuites. 1647. 54.
  6. Quelques uns penseront peut-être que le mot « Kénébec » vient du mot algonquin « Kinebik » serpent. La ressemblance frappante qui existe entre ces deux mots, et la grande probabilité, généralement admise, que les Algonquins et les Abénakis parlaient autrefois la même langue, paraîtraient appuyer cette opinion. Cependant nous ne la partageons pas ; car il est certain qu’à l’époque de l’établissement des Européens en Amérique, ces deux nations sauvages ne se servaient pas du même idiome. Plusieurs faits relatés dans le chapitre neuvième de la première partie de cet ouvrage le prouvent très-clairement. À cette époque, les Abénakis ne désignaient pas un serpent par le mot « kinebik », mais bien par celui-ci : « Skoku », Ainsi, ils appelèrent « Skok8aki », terre du serpent, un endroit situé près de Boston. Cet endroit est aujourd’hui connu sous le nom de « Cooksakee », nom qui n’est évidemment qu’une corruption de celui donné par les Abénakis. De là, il est certain que les Abénakis ne se servaient pas alors du mot algonquin “ Kinebik ” pour désigner la rivière Kénébec.
  7. Jacques I. roi d’Angleterre. 1603 — 1625.
  8. Au lieu de Boston l’on disait autrefois : « Baston. » Les Abénakis ont conservé cette ancienne expression.
  9. La plupart des noms de ces tribus ont été plus ou moins défigurés par les auteurs anglais et français ; nous avons tâché de les rétablir dans leur état primitif. De plus, quelques unes de ces tribus sont inconnues et nous avons cru devoir les faire connaître. Nous avons puisé ces noms dans le vocabulaire abénakis du P. Aubéry, document d’une autorité incontestable sur ce sujet. Ce Père était très-versé dans la langue abénakise, et, comme il écrivait cet ouvrage au commencement du 18e siècle, vers 1712, il avait pu obtenir sur ce sujet, par le moyen de la tradition, des renseignements remontant jusqu’aux premières années du 17e siècle.
  10. John Smith. A description of New-England.
  11. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I. 302. S. G. Goodrich. Pictorial Hist, of the U. S. 71.
  12. Relations des Jésuites. 1660. 27.
  13. Relation du P. Biard. 1611. 14. Le P. J. Aubéry. Vocabulaire abénakis.
  14. De « M8rôtemak », rivière très-profonde.
  15. « De Pôteg8it », endroit d’une rivière où il y a des rapides.
  16. Les Abénakis appelaient la rivière Sainte-Croix « Peskatami8kânji », rivière qu’il est difficile d’apercevoir et que l’on voit comme à travers les ténèbres. C’est de là que vient le nom de la Baie « Pessamoquoddy ».
  17. Bancroft donne aux Etchemins le nom de « Canoes-men », hommes de canots. (Hist. of the U. S.) On aurait pu avec raison donner ce nom à tous les Abénakis, car ces sauvages voyageaient presque toujours par eau.
  18. De « Mar8idit » ou « Mal8idit », ceux qui sont de Saint-Mâlo. C’était le nom que les Abénakis donnaient aux métis parmi eux, parceque la plupart de leurs pères venaient de Saint-Mâlo. De là, ils appelèrent le blé, qui fut apporté par les Français, « Mal8menal », graines de Saint-Mâlo.
  19. Il y avait aussi les « Micmacs » ou « Souriquois, » situés dans la partie Nord du Nouveau-Brunswick et dans la Gaspésie. Leur langage était bien différent de celui des Abénakis.
  20. Relations des Jésuites. 1660. 27.
  21. Relations des Jésuites. 1652. 23. 24.
  22. Relations des Jésuites. 1652. 24.
  23. Idem. 1652. 24. L’orateur employa ici le mot « nation » pour celui de « tribu ». C’était souvent la coutume chez les Abénakis. Ainsi dans une autre circonstance quelques Abénakis dirent au P. Druillettes, en parlant d’une petite bourgade de Canibas, située à l’embouchure de la rivière Kénébec, « qu’ils avaient été sur le point de déclarer la guerre à cette nation ». (Relations des Jésuites 1652. 30.) Cette coutume existe encore aujourd’hui chez les sauvages. Ils donnent quelquefois le nom de « nation » à une petite bourgade composée de quelques familles seulement.
  24. Relation du P. Biard. 1611. 37.
  25. Relations des Jésuites. 1647. 53.
  26. Bancroft. Hist. of the U. S.

    H. Thrumbull, Hist. of the Indian wars. 117.

  27. Relations des Jésuites. 1660.27.
  28. L’expression abénakise « A8anuts » est formée de deux mots : « A8ani, » qui, et « uji, » d’où. Lorsque les sauvages virent un vaisseau anglais pour la première fois et qu’ils en virent débarquer un Européen, ils s’écrièrent : « A8aniuji, » d’où vient celui-ci ? De là, le mot « A8anuts, » dont ils se servaient ensuite pour désigner un Anglais. Les Abénakis se servent du même mot en Canada pour désigner un Canadien.
  29. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars, 55.
  30. De « 8ig8om », maison, cabane.
  31. Les Canadiens nomment cette bouillie « Sagamité », probablement du mot « Sôgmôipi », repas des chefs.
  32. L’on remarque encore aujourd’hui la même chose chez les Abénakis. Ils ont la plus grande horreur des jurements et des blasphèmes. Il n’y a pas de mots dans leur langue pour exprimer ceux qui sont si souvent prononcés par les Canadiens.
  33. Les Abénakis sont encore très-sensibles à l’amitié ; ils ont conservé l’expression « Nidôba », qui signifie une grande intimité. La signification littérale de ce mot est : « deux qui vont ensemble. »
  34. Le « wampum » était ce que les auteurs français nommaient « la porcelaine ». Ce mot vient de « 8ânbôbi », grain blanc, nom que les sauvages donnaient à cet objet. Le « 8ânbôbi » était fait de porcelaine ou de coquilles. De là, on comprend que le mot « porcelaine » ne nous donne pas une idée bien exacte du « 8ânbôbi » des sauvages ; c’est pourquoi nous avons accepté l’expression des Anglais « wampum, » qui n’est qu’une corruption du mot sauvage « 8ânbôbi ».
  35. De « Temahigau », hache.
  36. Avant l’arrivée des Européens le wampum était fait de petites coquilles, recueillies sur les bords de l’Océan ou des lacs. Les Européens apportèrent la porcelaine ; mais les sauvages n’en continuèrent pas moins à faire du wampum de coquilles, qu’ils mêlaient à celui de porcelaine. Nous voyons encore aujourd’hui chez les Abénakis de ces grains faits de coquilles.
  37. Les Abénakis ont conservé dans leur langue le mot « Madaôdo » ; mais, comme ils n’ont maintenant aucune croyance aux ridicules superstitions de la jonglerie, ils ne donnent pas à ce mot la même signification qu’autrefois, Aujourd’hui « Madaôdo » veut dire « Démon ».
  38. Morton’s Memorial. 55.
  39. John Smith. Description of New-England. 47.
  40. S. G. Goodrich. Pictorial Hist. of the U. S. 58.
  41. De « Sôgmôit » ou « Sagamosit » celui qui est Chef.
  42. Samoset avait appris quelques mots anglais du sauvage Pekuanokets, qui avait été emmené captif par Hunt en 1614, et qui était revenu en son pays en 1619. Aussi, il étonne beaucoup les Anglais lorsqu’en arrivant au fort il les salua en disant : « Welcome Ingis ; welcome Ingis, » Anglais soyez les bienvenus. Il répétait ces paroles à tous ceux qu’il rencontrait. C’est de ce mot « Ingis » que vient le nom de « Yankees » donné aux Anglais du Nord des États-Unis. La prononciation des Pekuanokets était plus douce que celle des Abénakis. Ainsi, ceux-ci disaient « Ingris » au lieu de « Ingis. » Aujourd’hui ils disent « Iglis, » au lieu de « Ingris. » La lettre « R, » employée autrefois si fréquemment dans leur langue, est toujours remplacée par « L », ce qui rend leur langage beaucoup plus doux.
  43. « Massasoit, » celui qui est grand et puissant.
  44. S. G. Goodrich. Pictorial Hist. of the U. S. 52.
  45. Tous les sauvages de la Nouvelle-Angleterre montrèrent une grande aptitude à apprendre la langue anglaise, et introduisirent de suite beaucoup de mots anglais dans leur langue. Les Abénakis montrèrent la même aptitude pour cette langue. Mais il, n’en fut pas de même pour la langue française : ces sauvages ne savaient que quelques mots de cette langue, qu’ils prononçaient d’une manière presqu’inintelligible, tandis qu’un grand nombre d’eux parlaient l’anglais avec assez de facilité. Cependant, ils avaient autant de relations avec les Français qu’avec les Anglais. Il faut donc croire que la langue des premiers offrait à ces barbares moins de charmes que celle des derniers.
  46. S. G. Goodrich. Pictorial Hist, of the U. S. 54.
  47. L’endroit où fut placé l’établissement de Salem était autrefois appelé « Naumkeak ». Ce mot vient de « Naumkik », à la terre qui vient, qui s’avance, parcequ’il y a en cet endroit une longue pointe de terre qui s’avance dans la Baie de Massachusetts.
  48. Le lieu où est situé la ville de Boston s’appelait autrefois « Shawmut » ou « Tremont ». Il est probable que ces deux mots viennent de l’expression sauvage « Samôt », qui nourrit. Il y avait en cet endroit une excellente source d’eau. Or, les sauvages considéraient toujours une source d’eau comme une chose très-importante. Ils n’établissaient leurs campements que sur le bord d’une rivière, ou près d’une source d’eau, parcequ’il leur semblait impossible de vivre ailleurs. Le voisinage d’une rivière, ou d’une source d’eau, était presqu’aussi nécessaire pour eux que la nourriture. Ainsi, il est probable que, pour cette raison, ils avaient appelé l’emplacement de Boston « Samôt », endroit qui nourrit, où l’on vit facilement.
  49. S. G. Goodrich. Pictorial Hist, of the U.S. 55.
  50. De « Sasagoss », il marche et fait son chemin droit, ne faisant jamais de détours.
  51. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 47. 48.
  52. H. Thrumball. Hist. of the Indian Wars. 49.
  53. De « Minatsinhamuk » celui qui répond toujours au chant de guerre.
  54. H. Thrumbull. Hist. of the Indian wars. 51.
  55. De « Okassi, » tout autour. Cette expression fait comprendre que ce Chef était entouré pour ainsi dire de gloire.
  56. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 53. 54,
  57. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. 1. 300.

    H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars 54.

  58. Bancroft. Hist, of the U. S. Vol. I. 301.
  59. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 66.
  60. H. Thrumbull. Hist. of the Indian wars. 59.
  61. Idem. 59.
  62. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 61.
  63. Thrumbull. History of the Indian Wars. 26.
  64. Bancroft. Hist. of the U. S. vol. I. 423-426.
  65. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 66. 67.
  66. Le premier Gill qui soit venu en Amérique (l’ancêtre des Gill de Saint-François et de Saint-Thomas de Pierreville) prit part à cette action. Il était alors caporal dans la compagnie du capitaine Prentice. Au fort de la mêlée, il reçut une balle au côté, mais il n’en fut pas blessé : cette balle s’arrêta sur du papier très-fort qu’il avait eu la précaution de mettre sous sa capote. (Church’s Indian Wars, edited by Drake. 1839).
  67. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 68.
  68. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 69.
  69. H. Thrumbull. History of the Indian Wars. 70.

    Hubbard’s Indian Wars 188.

  70. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 73.
  71. Hubbard’s Indian Wars. 195.
  72. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 75, 76.
  73. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 76.
  74. Idem. 77.
  75. H. Thrumbull. hist. of the Indian Wars. 77.
  76. Idem. 78.
  77. Idem. 79.
  78. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 80.
  79. Idem. 81.
  80. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 84, 85.
  81. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. 1. 421.
  82. H. Thrumbull. Hist. of the Indian wars. 86.
  83. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 86, 87.
  84. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. 1. 429.

    H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 87.

  85. De « 8nôgo, » il se lève de courbé qu’il était.
  86. H. Thrumbull, Hist. of the Indian Wars. 88.
  87. Idem. 89.
  88. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 89, 90.
  89. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 92.
  90. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 112.
  91. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 112.
  92. Idem. 111, 112.
  93. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. 1. 421. — S. G. Goodrich Pictorial Hist. of the U. S. 78, 79.
  94. Relations des Jésuites. 1651. 15. — 1652. 26.
  95. H. Thrumbull. Hist. of the Indian wars. 118.
  96. Sauvages de la Nouvelle-Angleterre.
  97. L’Abbé J. B. A. Ferland. Hist. du Canada, 1ère partie : 15
  98. Le P. de Charlevoix. Hist. Générale de la N. France. Vol. I, 7-11.
  99. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I. 87, 88 — S. G Goodrich Pictorial Hist. of the U. S. 40.
  100. Williamson’s Maine. 191.
  101. E. Rameau. Acadiens et Canadiens, 1ère partie. 124.
  102. S. G Goodrich. Pictorial Hist. of the U. S. I.
  103. « Sakkadaguk, » à l’endroit où le terrain est plat et uni.
  104. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I. 202.

    S. G. Goodrick. Pictorial Hist. of the U. S. 41.

  105. Nous avons fait des recherches pour trouver le nom de ce Chef ; mais ces recherches ont été inutiles. Nous avons constaté, avec regret, que l’histoire ne noua transmet pas ce nom.
  106. S. G. Goodrich. Pictorial Hist. of the U. S. 41.
  107. Idem, 41.
  108. Relation du P. Biard. 1611. 37.
  109. Relation du P. Biard. 1611. 36.
  110. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I, 203.
  111. Relation du P. Biard. 1611. 36.
  112. Idem. 1611. 36.
  113. Le P. de Charlevoix. Hist. Générale de la N. France, Vol. I 163.
  114. Idem. Vol. I. 183.
  115. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol, 1, 180, 181.
  116. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I, 43. — Relation du P. Biard, 1811. 37, 38.
  117. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I. 45.
  118. La P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France Vol. I. 183, 184.
  119. Garneau. Hist. du Canada. Vol. 1. 45.
  120. Idem. Vol. 45.
  121. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. 1. 185.
  122. Les sauvages d’Acadie considéraient Poutrincourt comme leur protecteur.
  123. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I. 45.
  124. É. Rameau. Acadiens et Canadiens, 1ère partie. 123. 124.
  125. Garneau. Hist. du Canada, Vol. I. 46,
  126. Le P. de Charlevoix, Hist. Gén. de la N. France. Vol, 1, 189. Poutrincourt écrivit en 1608 au Pape Paul V une lettre fort édifiante ; Lescarbot rapporte cette lettre. On voit par ce document que le zèle de Poutrincourt pour la religion catholique était sincère.
  127. L’abbé J. A. Ferland, Hist. du Canada. 1ère partie. 79.
  128. Idem, 80.
  129. Le P. de Charlevoix, Hist. Gén. de la N. France, Vol. 1, 190.
  130. L’Abbé J. B. A. Ferland, Hist. du Canada, 1ère partie, 71.
  131. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. I. 191.
  132. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. I. 191, 192.
  133. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I. 22,
  134. Relation du P. Biard, 1611, 21-24.
  135. Relation du P. Biard. 1611. 33.
  136. Les Français appelaient celle rivière « Kinibequi » ou « Canibequi » (le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France, vol. I. 203) mots qui viennent évidemment de « Kanibesek, » chemin qui conduit au lac, nom que les Abénakis donnaient à cette rivière.
  137. Relation du P. Biard. 1611. 36.
  138. Idem. 1611. 27.
  139. Idem 1611.37.
  140. Relation du P. Biard. 1611. 37.
  141. Relation du P. Biard. 1611. 44, 63.
  142. Le P. de Charlevoix. Hist. Générale de la N. France. Vol I. 203.
  143. Relation du P. Biard. 1611, 40.
  144. Relation du P. Biard. 1611. 21.
  145. Relation du P. Biard. 1611. 26-28.
  146. L’Abbé J. B. A. Ferland. Hist. du Canada, 1ère partie. 82.

    Relation du P. Biard. 1611. 21-24.

  147. Relation du P. Biard. 1611. 44.

    Le P. de Charlevoix dit que ce vaisseau arriva à la Hève le 6 Mai (Hist. Gén. de la N. France. Vol. I. 206.)

  148. « Pemhajik » est un mot abénakis, qui veut dire, « ceux où celles qui continuent ». De cet endroit, à la rivière Pentagoët (Penobecot) l’on rencontre une grande quantité d’îles, et ce n’est pour ainsi dire qu’une continuation d’îles, dont celle que les sauvages appelaient « Pemhajik » est la plus considérable. C’est pour cela que les sauvages l’avaient ainsi nommée, voulant dire : « c’est la tête de toutes les îles qui continuent ». De Pemhajik les Français firent le mot « Pemetik » (Relation du P. Biard. 1611. 44). Champlain appela cette île « Monts-Déserts, » parceque la terre en était tellement aride qu’on n’y voyait presque pas de végétation.
  149. Relation du P. Biard. 1611. 45.
  150. Ce mot vient de l’Algonquin et signifie « caribou. »
  151. Relation du P. Biard. 1611. 45.
  152. Les Abénakis manifestaient toujours une profonde douleur à la mort d’un enfant. Les parente étaient inconsolables. La cause de cette grande douleur était que ces sauvages croyaient qu’un enfant était malheureux dans l’autre monde, parcequ’il était trop jeune et trop faible pour s’y procurer lui-même les choses nécessaires.
  153. Relation du P. Biard. 1611. 64.
  154. Idem. 1611, 64.
  155. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I. 22.

    Le P. Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. I 210.

  156. Relation du P. Biard. 1611. 45.
  157. Bancroft. Hist. of the. U. S. Vol. I. 22.
  158. Relation du P. Biard. 1611, 46.
  159. Relation du P. Biard. 1611. 47.
  160. Relation du P. Biard. 1611. 52.
  161. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. I. 214.
  162. Relation du P. Biard. 1611. 53.

    Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. I. 214.

  163. Relation du P. Biard. 1611. 53.
  164. Relation du P. Briard. 1611 53.

    Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. I. 214.

  165. Idem 1611. — Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France, Vol. 214.
  166. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. I. 214.
  167. E. Rameau. Acadiens et Canadiens, 1re partie. 21.

    Garneau. Hist. du Canada. Vol. I. 49

  168. Relation du P. Briard. 1611. 60.

    Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. I. 216.

  169. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol.II. 192.
  170. C’est cet admirable trait de courage et de fidélité qui inspira il y a quelques années, à un jeune poète canadien, M. A. Gérin-Lajoie, l’idée de chanter le siège du fort du jeune la Tour, Nous nous rappelons encore le plaisir que nous fit éprouver le récit de ce remarquable travail. Ce premier succès a été le prélude d’une suite d’écrits fort importants, sous tous rapports, qui ont placé M. A. Gérin-Lajoie au rang des premiers écrivains canadiens.
  171. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. II. 192-195.
  172. Relation des Jésuites. 1626. 41.
  173. De « Kesk8a », qui embrasse, qui fait le tour. C’est de là que les Abénakis disent :« kesk8abizun », un collier. Les sauvages avaient ainsi appelé cet endroit, soit à cause d’une pointe de terre, dont l’eau de la mer fait presque le tour, soit à cause de la baie, connue aujourd’hui sous le nom de « Baie de Casco ».
  174. E. Rameau. Acadiens et Canadiens, 1ère partie, 26.
  175. Relations des Jésuites. 1606, 41.
  176. Relations des Jésuites. 1659-7.
  177. Idem. 1640-35.
  178. Idem, 1647. 42.
  179. Relations des Jésuites. 1641. 19, 20.
  180. Relations des Jésuites, 1641. 47, 48.
  181. Relations des Jésuites. 1642. 33. — Le P. de Charlevoix Hist. Gén. de la N. France ; Vol. I, 354.
  182. Relation du P. Biard. 1613 8.
  183. Relation des Jésuites. 1643. 20.
  184. Relations des Jésuites. 1643, 20.
  185. Relations des Jésuites, 1644. 4.
  186. Relations des Jésuites. 1644. 4.
  187. Relations des Jésuites. 1644. 4, 5.
  188. Idem. 1644. 5.
  189. Idem. 1644. 5.
  190. Idem. 1644. 5.
  191. Relation des Jésuites. 1644 5.
  192. Les Abénakis qui allaient chaque année à Québec étaient toujours touchés et impressionnés par la piété et la charité des chrétiens de Sillery (Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 793). De retour dans leur pays, ils racontaient à leurs frères les merveilles qu’ils avaient vues. Ces récits impressionnaient toujours les sauvages, et les portaient à désirer cette foi qui opérait de si grandes choses chez ceux de Canada.
  193. Relations des Jésuites. 1646. 18, 19.
  194. Le P. Druillettes arriva à Québec le 15 Août 1643 — Relations des Jésuites. 1643. 5.
  195. Relations des Jésuites. 1646. 19.
  196. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 793.

    Garneau. Hist. du Canada. Vol, I. 228.

  197. Relations des Jésuites. 1640. 85.
  198. Idem. 1647. 52.
  199. De « N’tak8n8k », il me prend ou il me persécute. Les sauvages avaient donné ce nom à cet établissement, parceque les Anglais, qui y résidaient, leur suscitaient sans cesse des querelles. Plus tard, ils appelèrent ce fort « Kassinnoak », il y en a beaucoup, parceque le nombre des Anglais y avait augmenté. De « Kassinnoak » les Anglais firent « Koussinok » ; plus tard, ils appelèrent ce fort « Augusta » ; c’est aujourd’hui la capitale du Maine.
  200. Relations des Jésuites. 1647. 52.
  201. Relations des Jésuites. 1647, 52.
  202. Nous n’avons vu nulle part combien le P. Druillettes réunit de sauvages, en 1646, dans sa mission de l’Assomption. Nous voyons seulement qu’on y construisit quinze « grandes loges » pour leur résidence. Or, comme ces loges pouvaient quelquefois contenir jusqu’à sept ou huit familles, nous pensons qu’il y avait environ 500 sauvages, y compris les femmes et les enfants.
  203. Relation des Jésuites. 1647. 53.
  204. Relations des Jésuites, 1647. 53.
  205. Idem, 1647. 53.
  206. Relations des Jésuites. 1647. 53.
  207. Relation des Jésuites. 1647. 53.
  208. Relations des Jésuites, 1647. 58.
  209. Relations des Jésuites. 1617. 53.
  210. Idem, 1647. 53.
  211. C’est le nom que les Abénakis donnèrent au P. Druillettes (Relations des Jésuites. 1647). Depuis ce temps, ils ont toujours ainsi appelé leurs missionnaires. Ils disaient autrefois « Patrias », mais aujourd’hui, comme ils ne se servent plus de la lettre « R », ils disent « Patliôs ».
  212. Relations des jésuites, 1647. 55.
  213. Bancroft, Hist. of the U. S. Vol. II 793. — Relations des Jésuites 1647. 54.
  214. Idem, 1647. 54.
  215. Relations des Jésuites. 1647. 56.
  216. Relations des Jésuites 1647. 56. Bancroft, Hist. of the U. S. Vol. Il. 794.
  217. Relations des Jésuites. 1647, 54.
  218. Relations des Jésuites, 1647. 54.
  219. . Idem. 1647. 55.
  220. Relations des jésuites, 1647. 55.
  221. Relations des Jésuites. 1647, 55, 56.
  222. Relations des Jésuites, 1652. 22
  223. Relations des Jésuites. 1651. 14, 15.
  224. Relations des Jésuites. 1651. 15.
  225. L’Abbé J. B. A. Ferland. Hist. du Canada, 1èrepartie. 392
  226. De « Kunateguk » à la rivière longue, d’où les Anglais ont fait le mot « Connecticut ».
  227. De « Kinnipiia », c’est la grande eau. C’était le pays des sauvages « Kinnipiaks. » Ce territoire fut appelé « New-Haven. »
  228. Lettre du P. Druiîlettes, (l’Abbé J. B. A. Ferland. Hist. du Canada, 1èrepartie. 393.)
  229. Lettre du P. Druillettes.
  230. Lettre du P. Druillettes.
  231. Relation des Jésuites, 1653. 27.
  232. Relations des Jésuites. 1652. 27.
  233. Relations des Jésuites, 1652. 27.
  234. Relations des Jésuites. 1652. 27, 28.
  235. Relations des Jésuites. 1653. 28.
  236. Relations des Jésuites. 1652. 28, 29.
  237. Nous avons nous-mêmes été témoin d’un fait semblable chez les sauvages Têtes-de-Boule de la rivière Saint-Maurice, où nous avons été missionnaire pendant trois ans. Nous vîmes souvent, pendant les instructions ou les explications du catéchisme, des sauvages traçant sur des morceaux d’écorce, ou autres objets, des hiéroglyphes fort singuliers. Ces sauvages passaient ensuite la plus grande partie de la nuit suivante à étudier ce qu’ils avaient ainsi écrit, et à l’enseigner à leurs enfants ou à leurs frères. La rapidité avec laquelle ils apprenaient de cette manière les prières était fort étonnante.
  238. Relations des Jésuites. 1652. 29.
  239. Relations des Jésuites. 1652. 29.
  240. La chapelle de voyage était une petite boîte contenant tous les objets nécessaires pour célébrer le Saint-Sacrifice de la messe.
  241. Relations des Jésuites. 1652. 29.
  242. Relations des Jésuites, 1652. 29. 30.
  243. De « Umamoratak, » il y a là des loups.
  244. Relation des Jésuites. 1632.30.
  245. Relations des Jésuites, 1652. 30. 31.
  246. De « Arag8inno, » il est de fer ; ceci s’entend aussi de celui dont le caractère est indomptable.
  247. Relation des Jésuites, 1652, 31.
  248. Relations des Jésuites. 1651. 31.
  249. Relations des Jésuites. 1652. 22.
  250. Relations des Jésuites. 1651. 15.
  251. Le mot « Madawaska, » que l’on devrait écrire ainsi « Madaouaska », vient de « Môda8as8ka » ou « Môda8as8ki », terre du porc-épic.
  252. Relations des Jésuites. 1652. 23.
  253. Relations des Jésuites. 1652. 23.
  254. Relation des Jésuites 1652. 24.
  255. Idem. 1652. 24.
  256. Relation des Jésuites. 1652. 24.
  257. Relations des Jésuites. 1652. 25.
  258. Idem. 1652. 25.
  259. Relations des jésuites, 1652, 25.
  260. Relations des Jésuites. 1652. 25.
  261. Relations des Jésuites. 1652. 25.
  262. Relations des Jésuites. 1652. 26.

    L’Abbé J. B. A. Ferland. Hist. du Canada, 1èrepartie. 395, 396.

  263. Idem, 397.
  264. Relations des Jésuites, 1652. 26.
  265. Relations des Jésuites, 1652. 26.
  266. Idem. 1652. 26.
  267. Idem. 1652. 26.
  268. Relations des Jésuites. 1660. 27.
  269. L’Abbé. J B. A. Ferland. Hist. du Canada, 1re. partie. 446.

    Relations des Jésuites, 1661. 23.

  270. Relations des Jésuites. 1661. 3.
  271. Poissons blancs.
  272. Relations des Jésuites. 1661. 3, 4.
  273. Relations des Jésuites 1661. 4.
  274. L’Abbé J. B. A. Ferland. Hist. du Canada, 1ère partie. 467, 468. Relations des Jésuites. 1661. 4, 5.
  275. Relations des Jésuites. 1661. 5.

    L’Abbé J. B. A. Ferland. Hist. du Canada, 1ère partie. 474.

    M. Guillaume Vignal avait été chapelain des Ursulines à Québec. En 1658, il était repassé en France, d’où il était revenu en 1659, comme sulpicien. Dans ce second voyage en Canada, il était accompagné de M. le Maistre. Ainsi ces deux ecclésiastiques n’étaient à Montréal que depuis deux ans, lorsqu’ils furent massacrés par les Iroquois.

  276. L’Abbé J. B. A. Ferland. Hist. du Canada, 1ère partie. 478. Relations des Jésuites. 1662. 1.
  277. Relations des Jésuites. 1662. 1.
  278. Relations des Jésuites. 1662. 1, 2.
  279. Cette bourgade n’était pas éloignée du lac Sebago. Le mot « Sebago » vient de « Segago », vomit. Les Abénakis appelaient ainsi ce lac, parceque la rivière, par laquelle il se décharge à la mer, est remplie de chutes et de cascades. Ainsi, l’impétuosité des torrents de cette décharge portait les sauvages à comparer ce lac à un homme qui vomit ; de là, ils l’appelaient « Segago », il vomit.
  280. Relations des Jésuites. 1662 2.

    L’Abbé J. B. A. Ferland, Hist. du Canada 1re partie. 478.

  281. Relations des Jésuites. 1662, 2.
  282. L’Abbé J. B. A. Ferland. Hist. du Canada, 1re. partie. 347, 348.

    Le P. de Charlevoix, Hist. Gén, de la N. France. Vol, II. 196.

  283. L’Abbé J. B. A. Ferland. Hist. du Canada, 1re. partie 348, 354.
  284. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. II. 197.
  285. Idem. Vol. II. 260.
  286. Relations des Jésuites. 1659. 7.
  287. L’Abbé J. B. A. Ferland, Hist. du Canada, 1re partie, 349, 359.
  288. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France, Vol I&#8203 ;I. 304.
  289. E. Rameau. Acadiens et Canadiens, 1re. partie. 22. 23.
  290. E. Rameau, Acadiens et Canadiens, 1re. partie, 25.
  291. Idem 1re partie 25. 123. 124.

    Purchase's Pilgrims.

  292. E. Rameau, Acadiens et Canadiens, 1re partie. 25. 26. 123. 124.
  293. Garneau. Hist. du Canada, Vol. I&#8203 ;I. 47.
  294. Young, Les Chroniques des Pères Pélerins. Purchase’s Pilgrims.
  295. Il est très-probable qui y a encore aujourd’hui des descendants du Baron de Saint-Castin au village abénakis de Old Town, situé sur la rivière Penobscot, précisément à l’endroit où était l’ancien fort de Pentagoët, Nous désirions beaucoup faire une étude sur cette famille, mais la chose nous a été impossible. On nous a assuré qu’il y a environ vingt-cinq ans, un Abénakis de Penobscot, du nom de Saint-Castin, est venu au village sauvage de Saint-François. Ce sauvage était très-probablement l’un des descendants du Baron de Saint-Castin.
  296. Bancroft. Hist, of the U. S. Vol. I. 431.
  297. Idem. Vol. I. 431.
  298. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I. 431.
  299. Idem. Vol. I. 431.

    Williamson’s Maine. Vol. I. 553.

  300. H. Thrumball. Hist, of the Indian Wars. 96.
  301. Le mot « chewannick » vient de « Sig8aniki », la terre du printemps. Les Abénakis avaient donné ce nom à cette place parcequ’en cet endroit les torrents de la rivière Kénébec sont si impétueux que l’eau n’y congèle jamais, et que dans les plus grands froids de l’hiver elle y est toujours comme au printemps. Les rapides de cette rivière sont si forts et si dangereux en cet endroit que le P. Biard et ses hommes faillirent y périr en 1611, [Relation du P. Biard. 1611. 36.]
  302. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 93, 94.
  303. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 96, 97.
  304. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 118.
  305. Appelée aujourd’hui rivière Richelieu.
  306. Cette rivière fut d’abord appelée « Bruyante », et plus tard « Etchemin, » parcequ’elle était la route par où les Etchemins venaient à Québec.
  307. La rivière des Abénakis se jette dans celle d’Etchemin, à environ vingt-cinq milles du fleuve Saint-Laurent.
  308. Chapitres VI, VII de cette époque.
  309. Depuis environ quarante ans, chaque année quelques abénakis venaient à Québec, embrassaient le christianisme et se fixaient à Sillery, pour continuer leur instruction religieuse. Mais, à cette époque, il ne restait qu’un petit nombre de ces sauvages dans cette mission, les autres étaient morts de la petite vérole en 1670. On sait qu’en 1670 ; cette maladie fit un affreux ravage parmi les sauvages du Canada. La tribu des Attikamègues fut entièrement détruite ; quinze cents Algonquins et autres sauvages moururent à Sillery ; depuis le Saguenay jusqu’au territoire des Attikamègues, la plupart des sauvages furent enlevés par cette terrible maladie. Ainsi, il n’y avait guère alors d’Abénakis à Sillery que ceux qui y étaient venus depuis dix ans.
  310. Chapitre IV. de cette époque.
  311. Bancrof. Hist. of the U. S. Vol. II. 659.

    Le P. de Charlevoix Hist Gén. de la France. Vol, II. 287.

  312. Garneau. Hist. du Canada, Vol. I. 251 — Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 659 — Le P. de Charlevoix, Hist. Gén. de La N. France. Vol. II. 290.
  313. C’est le nom que les Iroquois donnaient au gouverneur du Canada. Cette expression iroquoise signifie « grande montagne, » du nom de M. de Montmagny. De là, ces sauvages appelaient le roi de France « le Grand-Ononthio. »
  314. Bancroft. Hist of the U. S. vol. II. 660.
  315. Le P. de Charlevoix. Hist, Gén. de la N. France, Vol. II. 308.
  316. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la. N. France. Vol II. 319, 321.
  317. C’est ainsi que les Iroquois appelaient le gouverneur de Nouvelle-York, du nom d’un Anglais qui s’y était établi.
  318. Bancroft. Hist of the U. S. Vol. II. 661 — Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. II. 316, 317.
  319. De « Neg8itenaôt », qui est seul, qui vit seul.
  320. Relation du P. Jacques Bigot, 1684. 28.
  321. Idem. 1684. 29.
  322. Relation du P. Jacques Bigot. 1684. 33, 34.
  323. Idem, 1684. 34.
  324. Le P. Vincent Bigot.
  325. Relation du P. J. Bigot. 1684. 35.
  326. Le P. J. Bigot était alors aidé dans cette mission par le P. Gassot.
  327. Relation du P. Jacques Bigot. 1684. 47.
  328. Relation du P. Jacques Bigot. 1681. 54. 55.
  329. Lettre du Marquis de Denonville au Ministre, en date du 8 Mai 1686.
  330. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France Vol, II. 343, 344.

    Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 662.

  331. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. II. 346.

    Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 663.

  332. Garneau. Hist. du Canada. Vol. 1. 263.
  333. Parmi les Iroquois chrétiens du Saut Saint-Louis qui étaient dans cette expédition, était un Chef, connu sous le nom de « Cendre Chaude ». Ce brave Chef fut tué dans cette rencontre, après s’être défendu avec courage. Il avait été l’un des bourreaux du P. de Brébœuf, et il attribuait sa conversion aux prières du Saint Martyr. Ce nouveau converti répara bien son crime, en travaillant avec une activité incroyable à la conversion des infidèles dans sa nation. « Peu de missionnaires, » « dit le P. de Charlevoix, « ont gagné à Dieu autant d’infidèles que lui. » (Hist. Gén. de la N. France. Vol II. 354.)
  334. Garneau. Hist. du Canada Vol. I. 264.
  335. Le Marquis de Denonville, écrivant à M. de Seignelay, dit que les sauvages Outaouais, qui avaient rejoint son armée au lac Ontario, firent en cette occasion beaucoup mieux la guerre aux morts qu’ils ne l’avaient faite aux vivants.
  336. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France Vol. I. 193.
  337. Suivant le P. de Charlevoix, il fut brûlé en cette occasion chez les Tsonnonthouans 400,000 minots de maïs — (Hist. Gén, de la N. France. Vol II. 855.)
  338. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I. 264.
  339. Bancroft. Hist. of th U. S. V 1. II. 653.
  340. Le P. du Charlevoix, Hist. Gén. de la N. France. Vol II, 336, 364.
  341. Idem. Vol. II. 364.
  342. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 663.
  343. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I. 267.
  344. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France, Vol. II. 482

    Garneau, Hist. du Canada. Vol. I. 269.

  345. Le P. de Charlevoix. Hist. de la N. France, Vol. II. 371.
  346. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France, Vol. II. 373.
  347. Idem. Vol. II 373.
  348. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I. 270.
  349. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol, II. 391.
  350. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I. 272 — Bancroft. Hist.of the U. S. Vol. II. 825.
  351. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. II. 415 — Garneau. Hist. du Canada. Vol. 1. 305 — Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 827.
  352. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol II. 418, 419. — Garneau. Hist. du Canada. Vol 1. 305.
  353. Bancroft. Hist of the U. S. Vol. II. 827.
  354. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I. 305 — Bancroft. Hist. of the U.S. Vol. II. 827 — II. Thrumbull, Hist. of the Indian Wars. 97, 98.
  355. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 79, 71.
  356. François Hertel, des Trois-Rivières, était fils du Sieur Jacques Hertel, qui fut interprète des sauvages. Il était brave, courageux et homme de tête. Il commanda les Abénakis dans plusieurs expéditions contre la Nouvelle-Angleterre. Dans sa jeunesse, dans le cours de l’été 1661, il fut fait prisonnier aux Trois Rivières par les Iroquois. Du lieu de sa captivité, il écrivit deux lettres au P. le Moine et une à sa nièce ; cette dernière lettre était signée « Fanchon, » car c’est ainsi que ses parents l’appelaient (Relations des Jésuites. 1661. 34, 35). Il eut cinq fils et plusieurs filles. L’une de ses filles, Marguerite, fut mariée au sieur Jean Crevier, seigneur de Saint-François. Ce fut elle qui donna, en 1700, aux Abénakis de Saint-François les terres qu’ils possèdent encore aujourd’hui. L’un des fils de François Hertel, Joseph, s’établit, vers 1700, sur l’une des branches de la rivière Saint-François, connue aujourd’hui sous le nom de « Chenal Hertel ; » sa famille y résida environ soixante ans. Il était estimé et respecté par les Abénakis. Comme il avait hérité de l’humeur guerrière de son père, il commanda ces sauvages pendant plusieurs années dans leurs expéditions contre la Nouvelle-Angleterre.
  357. L’un de ces deux neveux de François Hertel était fils de Jean Crevier, seigneur de Saint-François, l’autre se nommait Gatineau.
  358. Cette place se nommait autrefois « Sementels, » du mot abénakis «  Senimenal, » grains de pierre. Les sauvages appelaient ainsi cet endroit de la rivière Piscataqua, parcequ’il y avait une grande quantité de gravois qu’ils nommaient « grains de pierre. »
  359. De « Peskata, » c’est ténèbreux.
  360. Le P. de Charlevoix. Hist. de la N. France. Vol. III. 73, 74.
  361. De. « Peskata8it, » lieu qui est obscur, ténnèbreux.
  362. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 74.
  363. Le de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 75-79. — Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 828 — Garneau. Hist. du Canada. Vol. I. 308.
  364. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 829.
  365. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France, Vol. III. 87-90.
  366. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol, III. 128-129.
  367. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol, III. 94. — Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 829.
  368. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France Vol. III. 107.
  369. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 112, 123.
  370. Idem. Vol. III. 118.
  371. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France, Vol. III. 120, 121.
  372. Idem. Vol. III. 124.
  373. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 125-127.
  374. Le P. de Charlevoix, Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 134.
  375. Bancroft, Hist. of the U. S. Vol. II. 833 — Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 185.
  376. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 830.
  377. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 152, 153. — Garneau. Hist. du Canada, Vol. I. 127.
  378. Ce fort était entouré d’une palissade, et renfermait la première église de Saint-François ; il était situé près de l’embouchure de la rivière Saint-François, sur l’île qui porte encore aujourd’hui le nom « d’île-du-fort. » Dans cette irruption des Iroquois le fort et l’église furent brûlés. Le massacre des habitants retarda l’établissant de cette paroisse, car pendant plusieurs années aucun n’osait s’y établir, craignant le renouvellement d’un pareil désastre ; aussi, en 1700, elle ne comptait encore que quelques familles, quoiqu’elle fût établie depuis treize ans. Ces familles étaient les Crevier, les Desmarets, les Giguère, les Jullien, les la Bonté, les Véronneau, les Pinard, les Gamelin, les Niquet et les Jannel. En 1706, sa population n’était que de 111 âmes.
  379. Le P. de Charlevoix. His. Gén. de la N. France. Vol. III. 160, 161.
  380. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I. 329.
  381. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 182-184.
  382. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 176, 177.
  383. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 178.
  384. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 186, 187.

    Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 833 — H. Thrambull. Hist. of the Indian Wars. 100, 101.

  385. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 831.
  386. Ce mot signifiait autrefois un « Esprit. »
  387. De « Taksôn », broyer, qui broie.
  388. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 212, 213.
  389. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 211, 212.

    Bancroft, Hist. of the U. S. Vol. II. 831.

  390. Le P. de Charlevoix, Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 253, 254.
  391. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 250.
  392. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 834 — Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 247, 250.
  393. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 256, 357.
  394. Garnreau. Hist. du Canada, Vol, I. 332, 333 — Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 833-874.
  395. Le P. de Charlevoix, Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 260.
  396. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 261-263.
  397. Idem. Vol, Ill. 265,. 267.
  398. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III 268-272.
  399. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 254, 255.
  400. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I, 835. — Garneau, Hist. du Canada, Vol. I​I, 353.
  401. Le Comte de Frontenac était mort dans le mois de Novembre 1698, âgé de soixante-et-dix-huit ans, et M. de Callière lui avait succédé.
  402. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 371-373.
  403. Idem. Vol. III, 372. — Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 836.
  404. Le P. de Charlevoix. Hist, Gén. de la N. France. Vol. III. 418.
  405. Les deux Pères Bigot furent missionnaires des Abénakis pendant plus de vingt ans, et leur rendirent d’importants services.
  406. Nous devons la découverte de ce précieux document aux recherches de M. l’abbé H. R. Casgrain, qui a eu l’obligeance de nous en donner une copie. Nous avons en outre reçu de cet écrivain habile et distingué beaucoup de renseignemens, qui nous ont été d’un grand secours dans notre travail.
  407. Le P. de Charlevoix, Journal Hist. d’un voyage de l’Amérique. Vol. V. 178.
  408. De là ils appelaient le village de cette mission « Kikônteg8iudana, » village de la rivière des champs. Ces noms sont encore connus aux Abénakis.
  409. Relation du P. Jacques Bigot, 1634. 6.
  410. Relation du P. Jacques Bigot, 1684. 7, 8.
  411. Idem, 1684. 9.
  412. Idem, 1684. 9.
  413. Relation du P. Jacques Bigot, 1684. 9, 10.
  414. Relation du P. Jacques Bigot. 1984. 11.
  415. Relation du P. Jacques Bigot. 1684. 12.
  416. Relation du P. Jacques Bigot. 1684. 12, 13.
  417. Relation du P. Jacques Bigot, 1684. 14.
  418. Relation du P. Jacques Bigot. 1684. 15.
  419. Relation du P. Jacques Bigot. 1684. 16.
  420. Relation du P. Jacques Bigot. 1684. 18.
  421. Relation du. P. Jacques Bigot. 1684 19.
  422. Relation du P. Jacques Bigot. 1684, 20.
  423. Idem. 1684. 21.
  424. Relation du P. Jacques Bigot. 1684. 22.
  425. Relation du P. Jacques Bigot. 1684, 23.
  426. Idem, 1684. 23, 24.
  427. Relation du P. Jacques Bigot. 1684. 32.
  428. Relation du P. Jacques Bigot. 1684. 39.
  429. Relation du P. Jacques Bigot, 1684. 51. 59.
  430. Relation du P. Jacques Bigot. 1684, 48. 49.
  431. « Tak8erima », qui a de l’importance, celui dont l’avis est d’un grand poids.
  432. Relation du P. Jacques Bigot. 1685. 14. 15.
  433. Idem. 1685. 14.
  434. Relation du P. Jacques Bigot. 1685. 14.
  435. Relation du P. Jacques Bigot. 1635. 20, 21.
  436. Relation du P. Jacques Bigot, 1685. 10, 11.
  437. M. l’Abbé H. R. Casgrain nous dit avoir vu ce collier, il y a quelques années, dans les trésors de la cathédrale de Chartres. Le vœu, écrit en abénakis, a aussi été conservé. On le voit dans les archives d’Eure-et-Loir.
  438. On conservait alors dans les trésors de la cathédrale de Chartres un grand nombre de chemises d’or ou d’argent, portant d’un côté l’image de la Sainte-Vierge, et de l’autre un crucifix. Ces chemises étaient enrichies d’un grand nombre de reliques. On en envoyait en différents endroits aux serviteurs de Marie, comme marques d’estime et d’affection.

    On voit encore aujourd’hui dans les trésors de cette église la chemise que la Sainte-Vierge portait lorsque l’Ange lui annonça qu’elle serait la Mère de Dieu. Cette précieuse relique fut donnée à l’église de Chartres, en 877, par le roi Charles-le-Chauve, qui l’avait par succession de Charlemagne, son aïeul, à qui Constantin Porphyrogénète, Empereur d’Orient, l’avait envoyée par reconnaissance des services qu’il lui avait rendus, particulièrement contre les Maures, qui lui voulaient aussi ôter l’Empire.

    C’est de là que tenait l’usage d’envoyer comme présent ces sortes de chemises en reliquaire, ayant la même forme que celle de la Sainte-Vierge.

    On conserve encore dans l’église de Chartres un voile de la Sainte Vierge, qui fut donné en même temps que la chemise.

  439. Le P. Bouvart était alors missionnaire chez les Hurons de Lorette.
  440. Cette rivière a reçu son nom de la paroisse de Saint-François, établie en 1687. Quelques uns ont pensé que ce nom vient de la famille des Saint-François. C’est une erreur. Cette famille a reçu elle-même ce nom de la paroïsse de Saïnt-François ; son véritable nom est « Crevier ». La rivière a porté le nom de Saint-François avant la famille Crevier.
  441. M. l’abbé L. Provancher, si connu pour ses connaissances en botanique, a eu l’obligeance de nous adresser la note suivante touchant les principales plantes qui poussent dans la rivière Saint-François.

    « La plupart des plantes dont vous me parlez sont, je pense, des graminées, à l’exception toutefois de celles qui sont armées de longs fils s’étendant sur l’eau. Ces dernières sont des Potamots de la famille des Naïadées. Je sais d’ailleurs que les différentes espèces de Potamots se trouvent en grande quantité dans votre rivière.

    « Quant à l’utilité et aux vertus particulières de ces plantes, je ne saurais vous en dire grand chose, car il faudrait pour parler sûrement déterminer l’espèce de chacune. La Triganie aquatique que nos gens appellent folle-avoine se trouve en grande quantité dans la rivière Saint-François, outre qu’elle est l’aliment d’une infinité d’oiseaux aquatiques, elle fournissait encore autrefois une nourriture saine et riche aux anciens sauvages, comme on le trouve mentionné dans Charlevoix et autres, Quelques auteurs lui ont donné le nom de riz du Canada. »

    Les plantes que les Abénakis nomment « alsial » sont celles qui sont armées de longs fils s’étendant sur l’eau ; comme le dit M. l’abbé Provancher, elles sont des Potamots de la famille des Naïadées.

  442. L’endroit où les Abénakis s’établirent en premier lieu, sur la rivière Saint-François, est la terre qui fut possédée plus tard par Joseph Gill, père de M. l’abbé L. Gill, actuellement curé des Grondines.
  443. L’endroit où les Abénakis s’établirent, en 1685, est la terre qui fut possédée plus tard par Thomas Gill, père d’Ignace Gill, qui fut député au Parlement par le Comté d’Yamaska.
  444. On lit sur le régistre de 1691 « qu’un nommé Jullien Lafontaine, tué par les Iroquois, fut inhumé à l’endroit où était située l’église brûlée par ces sauvages. »
  445. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 51.
  446. Le P. de Charlevoix. Journal Hist. d’un voyage de l’Amérique. Vol. V. 178.
  447. Les Abénakis de Saint-François ont eu trois églises. La première, construite en 1700-1701, fut incendiée en 1759, la seconde fut aussi incendiée en 1816, et la troisième est celle qui existe actuellement.
  448. Quelques uns pensent que les Onnontcharonnons, ou la nation de l’Iroquet, étaient des Algonquins ; mais il est plus probable qu’ils étaient Hurons. Leur nom semble l’indiquer clairement. Cette nation fut en partie détruite et chassée de l’île de Montréal par les Hurons. Quelques uns de ces sauvages se réfugièrent chez les Abénakis.
  449. Le P. de Charlevoix. Journal Hist. d’un voyage de l’Amérique. Vol. V. 162-164.
  450. Nous devons la copie de cet acte à l’obligeance de M. L. S. Mâlo, Curé de Bécancourt, ainsi que plusieurs notes fort précieuses, qui nous ont beaucoup aidé à donner l’historique de la mission abénakise de Bécancourt.
  451. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France, Vol. I​I. 236. Carte du Canada.
  452. Le P. de Charlevoix, Hist. Gén. de la N. France, Vol. III 435.
  453. Michel Legardeur de Montesson, Chevalier de Saint-Louis, demeurait aux Trois-Rivieres. Ayant acquis la Seigneurie de Bécancourt, il devint propriétaire de l’île où résidaient les sauvages, et lui donna son nom.
  454. Le P. de Charlevoix. Journal Hist. d’un voyage de l’Amérique. Vol. V. 164.
  455. Nous supposons que le P. de Charlevoix ne parle ici que de l’île des sauvages, car, vers 1700, il y avait déjà quelques habitants dans la Seigneurie de Bécancourt. L’acte de cession en faveur des Abénakis, passé en 1708, fait mention d’un nommé Louis Chadevergne. En 1721, il y avait plusieurs habitants à Bécancourt, surtout du côté Est de la rivière.
  456. Le P. de Charlevoix. Journal Hist. d’un voyage de l’Amérique. Vol. V. 161, 162.
  457. Ce terrain appartient aujourd’hui à la famille Rocheleau, de Bécancourt.
  458. Journaux de la Chambre d’Assemblée. Vol. XVII. 562, 1869.
  459. Le P. de Charlevoix. Journal Hist. d’un voyage de l’Amérique. Vol. V. 164.
  460. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 24.
  461. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén de la N. France. Vol. III 425.
  462. Garneau, Hist. du Canada. Vol. I​I, 29.
  463. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol, I​I. 849.
  464. Idem. Vol. I​I. 849.
  465. Garneau. Hist. du Canada. Vol I​I. 31.
  466. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 849.
  467. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 429. — Garneau. Hist. du Canada. Vol I​I. 32.
  468. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 840-850 — Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 32. — H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 122.
  469. J. Frost. The Indian on the battle field. 209.
  470. Idem. 208, 209.
  471. J. Frost. The Indian on the battle field. 210.
  472. Idem. 210 — Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 850.
  473. Lettre de M. de Brouillan au Ministre.
  474. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. III. 437-441.
  475. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 851.
  476. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 17-19.
  477. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 21.
  478. Le P. de Charlevoix. Hist, Gén. de la N. France. Vol. IV. 25.
  479. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 21.
  480. Idem. IV. 28.
  481. Le P. de Charlevoix. Hist., Gén. de la N. France. Vol. IV. 29, 30.
  482. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 33.
  483. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 851.
  484. De 8nebisag8a, lac que l’on traverse sur des planches ou des arbres.
  485. Haverhill se nommait autrefois Hewreuil.
  486. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 36.
  487. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 851 — Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 32.
  488. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 36.
  489. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 36.
  490. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 39.
  491. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I, 852, 853.
  492. Bancroft. Hist. of the U. S. vol. I​I. 853.
  493. Bancroft. Hist. of the U. S. vol. I​I. 853.
  494. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV.
  495. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 52.
  496. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France Vol. IV. 53.
  497. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 54, 55.
  498. P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N., France. Vol. IV. 60, 61.
  499. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 62, 65.
  500. Garneau, Hist. du Canada. Vol. I​I. 47.
  501. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 854.
  502. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 72.
  503. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 75. 76.
  504. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 50.
  505. Le P. de Charlevoix. Hist. de la N. France. Vol. IV. 77.
  506. Idem. Vol. IV. 80.
  507. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV 82.
  508. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 858.
  509. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France Vol. IV. 90-91.
  510. Régistre du Conseil Supérieur.
  511. Church’s Indian Wars, edited by Drake. 1839.
  512. Mitchell’s New general Atlas. County map of Massachusetts Connecticut and Rhode-Island. 1864.
  513. Les Abénakis ont toujours aimé à conserver quelques blancs dans leurs villages. Ils adoptaient des enfants canadiens, qu’ils mariaient plus tard à des sauvages. Il y a encore aujourd’hui dans le village de Saint-François quelques jeunes Canadiens, qui ont été adoptés par les sauvages. Ces Canadiens parlent si bien le sauvage qu’on les croirait Abénakis.
  514. Les actes des baptêmes, mariages et sépultures de la famille Gill ont été inscrits sur les régistres des Abénakis, jusqu’en 1760. Comme ces régistres ont été brûlés en 1759, nous avons rencontré beaucoup de difficultés dans nos recherches. Les dates que nous mentionnons, jusqu’en 1760, n’ont pu être constatées que par la tradition et par les actes des décès arrivés après 1760 Par des rapprochements et des déductions, nous avons pu arriver à quelques unes de ces dates d’une manière assez satisfaisante.
  515. Le nom Obômsawin, si commun aujourd'hui parmi les Abénakis, vient de « Obunsa8inno », celui qui fait le feu et l’entretient, et qui se distingue par son habileté en cela.
  516. Joseph-Louis Gill se maria à la fille du grand Chef des Abénakis. Il était le plus remarquable des fils de Samuel Gill. Tous ceux qui sont actuellement les plus distingués dans la famille Gill, descendent de lui, par son mariage en secondes noces avec Suzanne Gamelin, Il avait des talents remarquables. Aussi, pendant toute sa vie, il tint la première place au milieu des sauvages. Il gagnait sa vie, par le moyen d’un petit négoce qu’il exerçait dans le village de Saint-François. Il fut grand Chef des Abénakis pendant plus de cinquante ans. Cependant, comme il montrait quelquefois des sympathies pour les Anglais et les Iroquois, les sauvages se défiaient de lui et l’appelèrent, pour cette raison, « Mag8a8idôba8it », le camarade ou l’ami de l’Iroquois. Quelques uns même, croyant voir en lui un ennemi caché, résolurent un jour de le tuer, et allèrent dans ce but se mettre en embuscade dans la forêt, située près du village, Mais heureusement qu’il ne tomba pas dans cette embuscade. Sur la fin de ses jours, il était vénéré par les sauvages. Alors, il fut nommé Chef de la prière. Il tenait dans l’église la première place après le missionnaire.
  517. Le premier chiffre indique le rang dans la famille, et le second fait connaître le nombre des générations. Ainsi « 1 2 Antoine » veut dire qu’Antoine était le premier enfant de sa famille et qu’il était de la seconde génération, à compter de Samuel Gill.
  518. Elle se noya dans le lac Saint-Pierre, en revenant des Trois-Rivières.
  519. Il fut l’Agent des Abénakis de Saint-François pendant 19 ans, 1813-1832. Il était grand chef des sauvages.
  520. Il succéda à son père dans l’agence ; des Abénakis de Saint-François, place qu’il occupa pendant 22 ans, 1832-1854. Il est Juge de Paix depuis 1850.
  521. Il fut député deux fois au Parlement canadien par le comté d’Yamaska, en 1854 et 1857. Il fut nommé Juge de Paix en 1835.
  522. M. l’abbé L. Gill, Curé aux Grondines, Diocèse de Québec. Il fut ordonné prêtre, le 28 Février 1848, et remplit depuis ce temps successivement les fonctions suivantes : vicaire un an à Sainte-Anne la Pérade, et trois ans à N. Dame de Québec, 1849-1852, missionnaire trois ans au Saguenay, 1852-1855, directeur du pensionnat de l’Université Laval pendant une année, Curé deux ans à la Petite-Rivière, 1856-1858, enfin, depuis 1858, Curé aux Grondires.
  523. Ce mot est abénakis. Il vient de « Pabômi8liait, » qui est presque beau.
  524. De « 8ajo, » montagne.
  525. Le P. de Chalevoix. Hist. Gén. de la N. France, Vol, IV. 108 — Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 938.
  526. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. Franc. Vol, IV. 111, 112.
  527. Idem. Vol, IV. 112.
  528. M. Thury était un prêtre séculier. Le P. de Charlevoix dit « qu’il était un bon ecclésiastique et un zélé missionnaire. »
  529. Relation du P. Vincent Bizot. 1701. 5 — 8.
  530. Relation du P. Vincent Bigot. 1701. 8, 10.
  531. Relation du P. V. Bigot. 1701. 11.
  532. Relation du P. Vincent Bigot. 1701. 11, 12.
  533. Relation du P. Vincent Bigot. 1701. 17.
  534. Relation du P. Vincent Bigot. 1701. 18.
  535. Relation du P. Vincent Bigot, 1701. 22.
  536. Idem. 1701, 20.
  537. Relation du P. Vincent Bigot. 1701. 32, 33.
  538. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 941.
  539. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 939.
  540. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 938.
  541. Idem. Vol. I​I. 938.
  542. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 109-120.
  543. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 109, 110.

    Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I, 939.

  544. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 112

    Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 238.

  545. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 113,114.
  546. Garneau. Hist. du Canada, Vol. I​I. 108.
  547. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 946.
  548. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 946.
  549. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 117.
  550. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 940.
  551. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 118.
  552. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I&#8203 ; I. 940. — Le P. de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 119
  553. Le P. de Charlevoix, Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 119.

    Bancroft. Hist. of the U.S. Vol. I​I. 940. — Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 109.

  554. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 940.
  555. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 940.
  556. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 941.
  557. Le P de Charlevoix. Hist. Gén. de la N. France. Vol. IV. 120, 121. — Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I, 944.
  558. Le P. de Charlevoix. Hist. Gén, de la N. France. Vol. IV. 122.
  559. Idem. Vol. IV. 122.
  560. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I&#8203 ;I, 110.
  561. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 110, 111.
  562. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 942.
  563. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 244 — Garneau, Hist.  du Canada. Vol. I​ I.114.
  564. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 944.
  565. Nos historiens ne parlent pas de la présence des Abénakis dans cette expédition. Ils disent seulement qu’il y avait environ 800 sauvages dans cette petite armée. Mais nous avons appris par la tradition chez les Abénakis que ces sauvages allèrent alors au lac Michigan, pour combattre contre les Outagamis. Il est fort probable qu’il y avait aussi dans cette expédition des Abénakis de l’Acadie.
  566. Ces sauvages résidaient au Sud du Lac Supérieur. Ils étaient appelés Folles-Avoines, parcequ’ils se nourrissaient d’une plante qui croît en abondance dans les marais, situés au Sud du lac Supérieur. Cette plante est la triganie aquatique, appelée folle-avoine par les voyageurs, parce qu’elle a une graine qui a la forme et l’apparence de l’avoine.
  567. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I 124, 125.
  568. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 944.
  569. Les pommes de terre étaient alors considérées en Canada comme une très-mauvaise nourriture.
  570. Lettre de la Mère Saint-Hélène. 1737.
  571. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 126.
  572. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 173.
  573. Bancroft, Hist. of the U. S. Vol. I​I. 1034. — Garneau Hist. du Canada, Vol. I​I. 175, 176.
  574. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 177.
  575. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 105.
  576. Idem. 105.
  577. Idem. 106.
  578. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 106.
  579. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. II. 1035 — H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 106, 107.
  580. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 184 — Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 107, 108.
  581. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 179.
  582. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 180.
  583. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 1035.
  584. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 182.
  585. Garneau. Hist. du Canada, Vol. I​I. 194.
  586. Nous rapporterons ici un curieux incident de cette expédition des Abénakis contre les Miâmis. Dans ce voyage Joseph-Louis Gill, fils du premier Gill venu en Canada, était parmi les Abénakis de Saint-François. Un jour, les sauvages rencontrèrent un énorme serpent-sonnettes, Alors, ils résolurent d’éprouver le courage et la bravoure de Joseph-Louis. Un guerrier, après avoir fixé le serpent au sol, par le moyen de deux branches fourchues enfoncées dans la terre, à sa tête et à sa queue, dit à Gill : « Si tu es aussi brave qu’un sauvage, tu broieras avec tes dents les os de ce reptile, de la tête à la queue ». Gill fit aussitôt, sans hésiter, ce qui lui était demandé comme preuve de sa bravoure. Le guerrier arracha ensuite le cœur du reptile et le lui présenta, en disant : « Tu nous prouveras ton courage en mangeant ceci ». Gill avala le cœur palpitant du reptile, sans faire paraître le moindre signe de répugnance. Alors, les sauvages le proclamèrent comme un brave et courageux guerrier. Ce fut à la suite de cette expédition qu’il fut choisi pour être un Chef des Abénakis.
  587. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 194, 188. — H. Thrumbull, Hist. of the Indian Wars. 110.
  588. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 110.
  589. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 3.
  590. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 2.
  591. Mémoires sur les affaires du Canada, 1749-1760. 7. »
  592. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 203.
  593. Mémoires sur les Affaires du Canada. 1749-1760.
  594. Les voyageurs canadiens appelaient cette rivière « la malangueulée. »
  595. Mémoires des affaires du Canada. 1749-1760, 36, 37.
  596. Ces deux villes sont aujourd’hui Newbury et Haverhill.
  597. Rivière à la graisse d’ours.
  598. Nous donnons la relation de la captivité de cette famille dans les chapitres XXI, XXII, XXIII.
  599. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 136-139.
  600. H. Thrumbull, Hist. of the Indian Wars. 139.
  601. Idem. 139.
  602. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 129. — Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 211.
  603. Quelques-uns pensent que M. le Marquis de VaudreuiL-Cavagnal ne prit les rênes du gouvernement du Canada qu’après la bataille de la Monongahéla, parce que sa commission ne fut enregistrée à Québec que le 10 Juillet 1755 (Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 57) ; mais il est plus généralement admis qu’il fut reconnu comme gouverneur du Canada et qu’il commença à agir comme tel dès son arrivée à Québec avec Dieskau.
  604. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 129.
  605. Dieskau avait 800 sauvages pour attaquer Johnson du côté du lac Champlain ; mais ce sombre ne fut complété qu’après la défaite de Braddock dans la vallée de l’Ohio. La victoire de la Monongahéla inspira aux sauvages tant de confiance pour les Français qu’ils arrivèrent de toutes parts, de l’Ouest et de l’Acadie, pour s’unir aux troupes de Dieskau et s’opposer au progrès des Anglais, du côté du fort Saint-Frédéric (Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760, 54).
  606. L’endroit où Monckton débarqua était appelé le Grand-Maringouin.
  607. Mémoires sur les affaires du Canada, 1749-1760. 44-46.
  608. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 46.
  609. Idem. 47.
  610. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760 47.
  611. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 50, 51.

    Bancroft. Hist. of the U.S. Vol. I​I. 140.

  612. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I, 223.
  613. E. Rameau, La France aux colonies. 1re partie 41.
  614. E. Rameau. La France aux Colonies. 1re. partie. 42. 43.
  615. Il ne sera pas inutile de dire ici l’origine du mot « Tobique ». Près de son embouchure, la rivière Tobique coule, l’espace de deux ou trois arpents, entre deux gros rochers, dont les sommets sont presque réunis à une grande hauteur au-dessus de l’eau. Ce qui forme une longue voûte sous-roc où les rayons du soleil ne pénètrent jamais, Pour cette raison, les sauvages appelèrent cet endroit : « Tebok » nuit. C’est de ce mot que vient celui de « Tobique ».
  616. Ponchot. Mémoires sur la dernière guerre de l’Amérique septentrionale.
  617. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 135, 136. — Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 229-233.
  618. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760, 55.
  619. Idem. 56.
  620. Bancroft Hist. of the U.S. Vol. III. 148. — Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 235.
  621. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 149.
  622. Idem. Vol, III, 150. — Garneau. Hist. du Canada, Vol. I​I. 236.
  623. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 149.
  624. Lettre du Chevalier de Montreuil au Ministre, 10 Octobre 1755.
  625. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 237.
  626. Relation de la campagne de 1755.
  627. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 56, 57.
  628. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 150.
  629. Minot. Continuation of the Hist. of Massachusetts Bay.
  630. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 151.
  631. Bancroft. Hist. of the U. S.Vol. III. 159.
  632. Garneau Hist. du Canada. Vol. I​I. 241.
  633. Les préparatifs de l’expédition contre le fort Saint-Frédéric avaient coûté plus de £80,000, sterling, à la Nouvelle-Angleterre.
  634. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 166, 167.
  635. Quelques uns l’appelaient fort Burl.
  636. Mémoires sur les affaires du Canada, 1749-1760. 70.
  637. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 71, 72.

    Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 168.

  638. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 74.
  639. Mémoires sur les affaires du Canada, 1749-1760. 74.
  640. Le Rocher-fendu était situé sur la rive Ouest du lac Champlain, à environ trente milles au Nord-Ouest du fort Saint-Frédéric, Cet endroit était la limite Nord du canton des Agniers.
  641. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1761, 75.

    Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III, 168.

  642. Cette baie porte aujourd’hui les noms de « Chamont-Bay, Black-Bay, Suckett’s-Harbour. »
  643. Un historien anglais, Smollett, dit qu’il y avait dans cette armée un grand nombre de sauvages (Hist. d’Angl. Vol. III. 357.)
  644. Mémoires sur les affaires du Canada, 1749-1760. 77.
  645. Garneau, Hist. du Canada. Vol. I​I. 254.
  646. Idem. Vol. I​I. 254. — Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 169.
  647. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 78.

    Garneau. Hist. du Canada. Vol. III. 225.

  648. Mémoires sur les affaires du Canada, 1749-1760. 78.
  649. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 255.
  650. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 169.
  651. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 80.
  652. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 83. — Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 258.
  653. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 178.
  654. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 179.
  655. Garneau. Hist. du Canada, Vol. I​I. 264.
  656. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. I​I. 184.
  657. Quelques historiens disent qu’il y avait 1,800 sauvages à l’expédition de William-Henry, d’autres, parmi lesquels on compte Carver, qui assista au combat, prétendent que leur nombre n’était que de 1,500. Cette dernière opinion nous paraît bien plus probable.
  658. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 184.
  659. Idem. Vol. III. 185 — Garneau. Hist. du Canada, Vol. I​I. 267.
  660. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 96.
  661. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 268.
  662. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 188.
  663. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 269.
  664. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 138.
  665. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 97.
  666. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 278.
  667. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 280.
  668. Idem. Vol. I​I. 281.
  669. John Frost. The Indian on the battle field. 285-302.
  670. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 291.
  671. Mémoires sur les affaires du Canada, 1749-1760, 110.
  672. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III, 223.
  673. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 313.
  674. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760. 142.
  675. Idem. 142.
  676. Mémoires sur les affaires du Canada, 1749-1760. 147.
  677. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 325.
  678. Ce commandant était Vergor, cet homme sans énergie et sans activité qui avait livré Beauséjour aux Anglais.
  679. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I&#8203 ;I. 334.
  680. Mémoires sur les affaires du Canada. 1749-1760, 163.
  681. De « Amôs8teku », rivière qui pronostique ou annonce quelque chose.
  682. Parmi ces prisonniers on remarquait la femme de Joseph-Louis Gill et ses deux enfants, Antoine et Xavier. Cette femme fut tuée par les soldats dans le voyage ; plus tard, les deux enfants furent mis en liberté et revinrent à Saint-François.
  683. Bạncrott. Hist. of the U. S. Vol. III. 253.
  684. Le P. Aubéry est le seul missionnaire qui ait été inhumé à Saint-François.
  685. Ces sauvages étaient les cinq grands Chefs du village de Saint-François. Voici la signification de leurs noms.

    Terrouërmant, de N’tôrauarmôt, qui connaît bien les choses et est rompu aux affaires.

    Atièouando, de Atia8ôndo, qui est rusé comme le chien l’est pour la chasse.

    Ouaouënouroué, de 8a8anurun, qui connaît bien et fait bien les choses.

    Pepiouërtnet, de Pappi8artnet, qui entend le badinage.

    Magouiouiganbaouit, de Mag8a8idôba8it, qui est le camarade de l’Iroquois. Ce chef était le fils de Samuel Gill.

  686. Le nom de ce Père n’est point mentionné. Nous sommes porté à croire que c’est le P. Simon-Pierre Gonnon, alors missionnaire à Bécancourt.
  687. Ce traité a été publié, en 1864, dans les Soirées-Canadiennes 4 et 5 livraisons. Avril et Mai.
  688. Arseneau était l’aïeul maternel du lieutenant-colonel Landry de Bécancourt.
  689. Le fort Charlestown était situé sur la rivière Connecticut, dans le territoire actuellement appelé New-Hampshire. Les anglais appelaient ce fort « Nombre 4 », parcequ’il était le quatrième établissement de ce côté.
  690. Cet ouvrage est intitulé « A narrative of the Captivity of Mrs. Johnson, Charlestown 1798. »
  691. Ce fait et un grand nombre d’autres nous prouvent que les Abénakis étaient dans les combats d’une valeur et d’une intrépidité à toute épreuve. Quand ils étaient décidés à se battre, ils le faisaient en lions, et la vue de leur sang ne faisait qu’augmenter leur force et leur courage. Le P. de Charlevoix dit « que des officiers français leur ont vu faire, dans les combats, des choses presqu’incroyables ». Il rapporte aussi « qu’un missionnaire (le P. Vincent Bigot) ayant accompagné des Abénakis dans une expédition contre la Nouvelle-Angleterre, et sachant qu’un grand parti d’Anglais les poursuivait dans leur retraite, fit tout ce qu’il put pour les engager à faire diligence. Il n’y gagna rien. Toute la réponse qu’il en reçut fut qu’ils ne craignaient pas ces gens là. Les Anglais parurent enfin, et ils étaient pour le moins vingt contre un. Les sauvages, sans s’étonner, mirent d’abord leur Père en sûreté puis allèrent attendre de pied ferme l’ennemi dans une campagne, où il n’y avait que des souches d’arbres. Le combat dura presqueque tout le jour. Les Abénakis ne perdirent pas un homme, et mirent en fuite les Anglais, après avoir couvert de morts le champ de bataille ». (Le P. de Charlevoix. Hist. d’un voyage de l’Amérique. Vol. VI. 11).
  692. L’opinion de Willard était fausse et erronée, car les Abénakis n’ont jamais eu la coutume de tuer leurs prisonniers, lorsqu’ils étaient attaqués. Ils se défendaient courageusement pour repousser l’ennemi, et, loin de tuer leurs captifs, ils tenaient beaucoup à leur conserver la vie ; il se faisaient une gloire de les emmener vivants en Canada. Si parfois ils en tuaient quelques uns, c’était, ou parceque ces captifs, par cause de maladie ou quelqu’infirmité, ne pouvaient les suivre dans le voyage, ou parcequ’ils avaient commis quelque faute, qui, à leurs yeux, méritait la mort.
  693. Les Abénakis prenaient toujours cette précaution dans leurs expéditions, lorsqu’ils étaient dans des endroits accessibles à l’ennemi, afin de ne pas être attaqués à l’improviste pendant leur sommeil.
  694. Dans leurs expéditions, les Abénakis avaient toujours un Chef à leur tête. Lorsqu’aucun Chef du village ne pouvait les accompagner, alors ils choisissaient l’un des plus anciens guerriers du parti pour les commander. Ce Chef ordonnait la marche et commandait à l’attaque contre l’ennemi ; dans le voyage, il présidait les conseils qu’on y tenait, dans les circonstances critiques ; le matin, il ordonnait le lever des guerriers, et, dans le cours de la journée, il assignait les moments de repos. Tous se soumettaient aveuglement aux ordres de ce Chef, pendant le cours du voyage.
  695. Les Abénakis nomment ces cuillères « Amkun ». Les voyageurs canadiens s’en servent aussi et les nomment « Micouaines. » Il est évident que ce mot vient de l’expression abénakise.
  696. Plusieurs auteurs anglais représentent les Abénakis comme des hommes cruels et barbares, se nourrissant de chair humaine et immolant sans cesse leurs semblables sans autre raison que celle de se procurer le plaisir de verser du sang et de s’en abreuver. Nous voyons la preuve du contraire dans la relation de cette excursion. Ces douze Abénakis sont sans provisions au milieu de la forêt, et exposés à y mourir de faim. Une femme malade retarde considérablement leur route, et est cause de la grande misère où ils se trouvent. Si ces sauvages eussent été cruels et barbares, comme on l’a prétendu, n’auraient-ils pas de suite mis un terme à la malheureuse existence de cette femme, pour marcher ensuite, en toute hâte, vers les provisions qu’ils avaient déposées ? Mais, loin de se rendre coupables de cet acte de cruauté, ils exposent leur vie pour sauver celle de cette infortunée.
  697. Les Abénakis ont encore l’habitude de faire sécher et fumer une partie de la viande des animaux qu’ils tuent à la chasse. Cette viande, coupée par morceaux fort minces, durcit beaucoup par l’action de la chaleur et de la fumée. Ainsi préparée, elle peut être conservée pendant une année entière. On la dépose dans la cabane sans trop de précaution, à peu près comme on le fait pour le bois destiné à entretenir le feu. Cette viande, quoique d’un goût peu exquis, forme une excellente nourriture dans les voyages.
  698. Joseph-Louis Gill était alors âgé de 34 ans. Il était marié à la fille du grand Chef, de laquelle il avait eu deux enfants, Antoine et Xavier, encore fort jeunes. Son père, alors âgé de 57 ans, demeurait avec lui et était l’interprète anglais des sauvages ; il était alors veuf depuis près de 16 ans.
  699. Ces nouvelles sœurs étaient deux filles de Samuel Gill, Josephte et Marie-Appoline. Chez les Abénakis un captif donnait le nom de frères et sœurs aux enfants et aux frères et sœurs de son maître.
  700. Le P. J. Aubéry, alors fort avancé en âge. Il était dans sa 54ème année de prêtrise.
  701. Charles d’Estimauville, ancien officier français, résidait à environ trois milles du village abénakis, sur l’une des branches de la rivière Saint-François, le chenal tardif. La propriété qu’il occupait appartient aujourd’hui au Docteur Joseph Lemaître. Il rendit de grands services aux sauvages ; il était alors leur interprète français. Son fils, Jean-Baptiste, était plus versé que lui dans la langue abénakise ; il fut aussi l’interprète français des sauvages pendant un grand nombre d’années.
  702. Joseph Gamelin était allié aux Abénakis par sa femme, Catherine Annance. Il parlait l’abénakis aussi bien que le français. Il était le frère de Suzanne Gamelin, que Joseph-Louis Gill épousa, en secondes noces. Il devint riche, ce qui contribua beaucoup à lui acquérir une grande influence parmi les sauvages. Il fut leur agent pendant un grand nombre d’années. Vers la fin de ses jours, sa renommée d’homme riche lui fut funeste. Des voleurs s’introduisirent chez lui pendant la nuit, et enlevèrent une forte somme d’argent.
  703. Dans le mois de Juin, 1755, les Abénakis firent quelques excursions contre la Nouvelle-Angleterre. Un parti de guerriers se rendit à la rivière Merrimack, et y fit huit prisonniers : Nathanaël Maloun, sa femme et trois enfants, Robert Barber, Samuel Scribner, et Enos Bishop. Ces huit prisonniers furent vendus à Montréal. Un autre parti se rendit, à Hinsdale, près de la rivière Connecticut, et y fit treize prisonniers : H. Grout et deux de ses enfants, How et deux de ses filles, du nom de Polly et Submit-Phips, Gardfield et six enfants. Gardfield, ses six enfants et How furent vendus au fort Saint-Jean. Grout, ses enfants et les deux filles de How, furent conduits à Montréal. M. de Vaudreuil acheta les files de How et ne négligea pas leur éducation. Après une année de résidence à Montréal, elles furent placées chez les religieuses Ursulines de Québec, où elles se distinguèrent par leurs talents. En 1758, ayant été remises en liberté, elles retournèrent vers leur famille à Hinsdale, après trois ans d’absence.
  704. Les Abénakis de Saint-François firent une expédition contre Charlestown, dans le mois de Juin, 1756. Mais comme le fort était bien gardé, surtout depuis la captivité de la famille Johnson, les sauvages furent repoussés. Plusieurs Anglais furent tués ; parmi les morts était M. Willard, père de Madame Johnson, et parmi les blessés était un jeune Willard, son frère. Cette fois les sauvages ne firent pas de prisonniers.
  705. Délibérations d’un grand conseil, tenu le 17 Février, 1791.
  706. Délibérations d’un grand conseil. Février, 1791.
  707. Les Abénakis n’ont plus de wampum aujourd’hui. Ce qui remplace cet objet est le revenu de leurs terres, qu’ils appellent « Pitangan ». C’est leur trésor, actuellement, au lieu du wampum.
  708. Dans un grand conseil, tenu dans le mois de Mars, 1771, le pitangan fut confié à la garde de six hommes et de sept femmes.
  709. Le trésor contenait alors 9 colliers de wampum, 2 de rasade, 13 branches de wampum, ou paroles ; en outre, 1 branche, qui voulait dire : « que le lien des os des Abénakis soit respecté », et une autre, qui signifiait : « que l’enveloppe de leurs os soit aussi respectée ». (Délibérations d’un grand conseil. Mars, 1771).
  710. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 418.
  711. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 3-5.
  712. Idem. Vol. III. 59, 60.
  713. Idem. Vol. III. 90-226.
  714. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. IV. 58-78.
  715. Idem. Vol. 59-61.
  716. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. III. 15.
  717. Idem. Vol. IV. 162-179.
  718. Bancroft. Hist of the U. S. Vol. IV. 245-250.
  719. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. IV. 296-303.
  720. Idem, Vol, IV. 308-332.
  721. Idem. Vol. V. 5.
  722. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. V. 9-31.
  723. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. V. 144, 146.
  724. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 437.
  725. Idem. Vol. I​I. 437.
  726. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 439.
  727. Garneau. Hist. du Canada. Vol. I​I. 444.
  728. Nous avons appris ces détails par la tradition chez les Abénakis. Il y a encore, à Saint-François et à Bécancourt, des sauvages dont les pères allèrent défendre le fort Saint-Jean et demeurèrent à Québec pendant le temps du siège de 1775. D’ailleurs, nous voyons par une délibération du grand conseil des Abénakis, que ces sauvages prirent part à la guerre de 1775. Voici cette délibération. « Pour leurs terres de seigneurie les Abénakis prient leur père de ne point diminuer leurs possessions et de se ressouvenir qu’au contraire, lors de la dernière guerre, il leur avait été promis de les agrandir, si par leurs services ils s’en rendaient dignes, ce qu’ils ont tâché de faire. » (Délibérations d’un grand conseil. 1781.)
  729. Les Iroquois prirent aussi part à cette campagne, en faveur des Anglais. On sait que les Américains avaient ordonné, en 1778, l’extermination de ces sauvages, parcequ’ils s’étaient ouvertement déclarés contre la cause de l’indépendance. Ce fut le général Sullivan qui fut chargé de cette expédition. Après la destruction de leurs cantons, les Iroquois furent chassés de leurs terres. Alors, ils s’adressèrent au gouverneur du Canada, pour obtenir un lieu de refuge. En 1785, le lieutenant-gouverneur Haldimand les plaça sur la Grande-Rivière, entre les lacs Érié et Ontario. Il en plaça aussi sur la rivière Tamise, qui se décharge dans le lac Sainte-Claire. Ces sauvages sont encore aujourd’hui sur ces rivières. Leur population actuelle est d’environ 2,000 âmes.
  730. Nous tenons ces détails de Louis Sougelo même. Ce brave guerrier nous a souvent raconté, d’une manière très-détaillée, les campagnes de 1812-1813. Il fut blessé à la bataille de Chateauguay. Sa bravoure lui mérita une médaille d’honneur. Cette médaille porte cette inscription : « Louis Sougelon, guerrier de Chateauguay. » Cet Abénakis résidait à Bécancourt, où il est mort il y a quelques années. Il nous a souvent dit que les Abénakis avaient une grande affection pour le colonel Salaberry.
  731. Quelques guerriers abénakis assistèrent à l’affaire de Plattsburgh.
  732. Article 40è de la capitulation de Montréal et du Canada.
  733. Instructions royales à Sir Georges Prévost.
  734. Celui qui marche trop en avant. Cette expression « Osunkhirhine » s’emploie le plus ordinairement pour désigner un oiseau qui se sépare d’une bande et vole plus rapidement que les autres.
  735. M. l’abbé L. S. Mâlo fut admis, vers 1832, au nombre des membres de la société littéraire et historique de Québec, à cause de ses profondes connaissances sur l’histoire.
  736. M. M. Ringuet, quoique nommé missionnaire, n’alla pas résider à Saint-François. Il se retira à la Rivière-du-Loup, en haut. Ce fut M. Luc Aubry, actuellement curé de Saint-Léon, qui remplit les fonctions de missionnaire pendant l’année 1833-1834.
  737. Lettre de M. Bédard à Monseigneur Signay. — 28 Février, 1837.