Histoire des Abénakis/3/03

CHAPITRE TROISIÈME.

campagne de 1812.


En 1812, les Abénakis furent invités à reprendre les armes pour repousser les Américains, qui voulaient envahir le Canada.

Voici ce qui engagea les États-Unis à déclarer la guerre à l’Angleterre.

La révolution française et les guerres qui la suivirent avaient amené la destruction de toutes les marines des nations continentales, incapables de lutter à la fois sur mer et sur terre. L’Angleterre était restée seule maîtresse des mers, et voulait en retirer tous les avantages. Les États-Unis, demeurés dans la neutralité, prétendaient commercer librement avec les différentes nations, qui prenaient part aux guerres. Malgré ces prétentions, l’Angleterre mit, en 1806, en état de blocus les côtes d’une partie du continent européen, depuis Brest jusqu’à l’Elbe, et captura un grand nombre de vaisseaux américains, qui s’y rendaient. Napoléon fit la même chose, pour les côtes de l’Angleterre. L’année suivante, l’Angleterre prohiba tout commerce avec la France. Ces mesures causèrent une grande irritation dans les États-Unis, et les marchands demandèrent la protection de leur Gouvernement.

L’Angleterre passa aussi une loi qui l’autorisait à s’emparer de ses matelots, qui seraient trouvés sur des vaisseaux étrangers. Cette loi irrita encore les Américains, parcequ’ils employaient beaucoup de matelots anglais. Bientôt, un vaisseau anglais attaqua une frégate américaine, la Chesapeake, tua plusieurs hommes de l’équipage et en emmena quatre, prétendant que ces matelots étaient des déserteurs. Alors, le Gouvernement des États-Unis demanda satisfaction de cette insulte, et ferma ses ports aux vaisseaux anglais.

L’Angleterre défendit alors tout commerce avec la France et ses alliés ; la France prohiba aussi tout commerce avec l’Angleterre et ses colonies ; et les États-Unis, de plus en plus mécontents, interdirent, de leur côté, tout commerce avec la France et l’Angleterre.

Telles sont les difficultés qui eurent lieu entre les États-Unis et l’Angleterre, de 1806 à 1809. La république américaine prévoyait qu’il en résulterait bientôt une guerre, et portait déjà ses vues vers le Canada.

M. Maddison ayant été élu président des États-Unis, on crut pendant quelque temps à une conciliation avec l’Angleterre. Le ministre de Londres à Washington annonça que le décret défendant tout commerce avec la France et ses alliés allait être révoqué ; mais ce ministre fut blâmé par son Gouvernement, et les rapports entre l’Angleterre et la république devinrent de plus en plus hostiles. Des vaisseaux anglais et français croisaient sans cesse sur les mers, et nuisaient au commerce.

Dans le même temps, les sauvages de l’Ouest de la république se soulevèrent. Ils ne furent apaisés que par une sanglante défaite que le général Harrison leur fit subir, sur les bords de la Wabash, dans l’Indiana. On prétendit que ces sauvages avaient été soulevés par des agents de l’Angleterre.

À la suite de ces évènements, les Américains se soulevèrent ; une humeur belliqueuse s’empara d’eux, et le cri de guerre se fit entendre dans presque toute la république. Dans le congrès, on entendit les plaintes contre l’Angleterre. Des discours véhéments pressèrent ceux qui n’osaient se déclarer pour la guerre. Les orateurs et les journaux annoncèrent partout que dès que la guerre serait déclarée, le Gouvernement américain n’aurait qu’à ouvrir les bras pour recevoir le Canada, retenu malgré lui sous le joug de l’Angleterre.

Enfin, après beaucoup de débats, le congrès déclara la guerre à l’Angleterre, le 18 Juin, 1812, et résolut d’envahir le Canada.

Tous les préparatifs de guerre étaient à faire. Les États-Unis n’avaient alors, ni armée, ni généraux, ni matériel de guerre. Tout fut fait avec hâte et précipitation. On leva une armée de 175,000 hommes, qui fut mise sous le commandement du général Dearborn.

En Canada, on se prépara avec activité pour repousser les Américains. L’année précédente, l’Angleterre avait retiré du Canada le gouverneur Craig, qui, par son incapacité et sa violence, causait des troubles dans le pays, et elle l’avait remplacé par Sir Georges Prévost, homme sage, modéré et impartial. Le nouveau gouverneur s’était mis de suite à l’œuvre pour réparer le mal fait par son prédécesseur ; il s’était appliqué surtout à faire disparaître les mécontentements qui s’étaient élevés parmi les Canadiens, et avait réparé les injustices faites à quelques uns d’entr’eux, surtout à M. M. Bédard et Bourdages. Bientôt, la plus vive sympathie s’établit entre le gouverneur et le peuple. Ce fut surtout cette sympathie qui engagea les Canadiens à se préparer à la guerre avec tant d’activité.

Les sauvages furent invités à aller à la défense des frontières, et ils y consentirent. Les Abénakis, comme toujours, montrèrent autant de bonne volonté et d’activité que les Canadiens, et promirent de prendre les armes au premier signal[1].

Des milices furent levées dans les campagnes. Partout, dans les villes comme dans les campagnes, le bruit des armes se fit entendre, et les Américains purent bientôt se convaincre que les Canadiens ne songeaient aucunement à passer de leur côté.

Le plan d’opérations militaires adopté par le Canada fut de se tenir sur la défensive. La tâche paraissait fort difficile, vu les forces considérables que les États-Unis avaient mises sur pied, mais en réalité elle ne l’était pas, car les Américains allaient conduire cette guerre avec inexpérience et une ridicule timidité.

Les Abénakis furent divisés en deux bandes. La première, composée d’environ 150 guerriers, fut placée, avec les Canadiens, du côté du lac Champlain, sous les ordres du major Salaberry. La seconde bande, presqu’aussi considérable que l’autre, fut envoyée du côté du Haut-Canada, avec les troupes du général Brock. On envoya ce parti d’Abénakis, pour encourager les sauvages de ce côté par leur bravoure et leur intrépidité sur le champ de bataille.

Les hostilités commencèrent du côté de l’Ouest. Le général Hull, gouverneur du Michigan, partit de l’Ohio pour le Détroit, avec 2,000 hommes. Il avait ordre de tâcher de gagner les sauvages à la cause américaine, et d’envahir le Canada de ce côté. Il traversa la rivière du Détroit, et alla camper à Sandwich. De là, il adressa une proclamation aux Canadiens, pour les engager à embrasser la cause américaine. Mais les Canadiens furent sourds à cette invitation, qui toutefois était faite avec assez d’habileté.

Hull demeura pendant un mois dans une complète inaction ; puis enfin, il se décida à faire quelques pas en avant. Il envoya, çà et là, quelques détachements, qui furent défaits par les troupes anglaises et les sauvages. Ce fut alors que le lieutenant Rolette, avec six hommes seulement ; aborda et prit un navire américain, chargé de troupes et de bagages. Le capitaine Tallon rencontra, au-dessous du Détroit, le major Vanhorn : il le battit et le mit en fuite. Le capitaine Roberts, de Saint-Joseph, avec une trentaine de soldats et quelques voyageurs canadiens, s’empara de Mackinac. Ce poste américain était très-fort. Cette conquête eut tant de retentissement parmi les sauvages de ces contrées qu’elle les rallia presque tous aux Anglais.

Hull, découragé par ces échecs, se retira au Détroit.

Cependant le général Brock, du Haut-Canada, était parti pour aller chasser Hull de sa position. Il arriva tout-à-coup devant le fort du Détroit, avec environ 1,300 hommes, dont 500 sauvages, parmi lesquels étaient ses fidèles Abénakis. Hull, saisi de frayeur, se constitua aussitôt prisonnier, avec toute son armée, excepté les milices de l’Ohio et du Michigan, qui furent renvoyées dans leur pays, avec l’injonction de ne point servir pendant le reste de la guerre. Ainsi, le fort du Détroit et le territoire du Michigan passèrent au pouvoir des Anglais.

Les prisonniers américains furent conduits dans le Bas-Canada, et Hull fut échangé contre 30 prisonniers anglais. De retour en son pays, Hull fut condamné à mort pour trahison, mais le président lui accorda son pardon, en mémoire des services qu’il avait rendus à la cause américaine, pendant la révolution.

Pendant que ces évènements se passaient du côté de l’Ouest, les Américains réunissaient les forces qui devaient opérer sur les lacs Ontario et Champlain. Ils formèrent deux armées. Celle du lac Ontario, qu’ils appelèrent l’armée du centre, et celle du lac Champlain, qu’ils nommèrent l’armée du nord. Un grand nombre de corps intermédiaires furent placés aux frontières. Ces nombreux détachements étaient destinés à relier les deux armées, et à inquiéter le Canada, sur différents points de ses frontières. L’armée du centre, commandée par le général Van Rensalear, devait envahir le Canada, par Niagara ; celle du nord, composée de 10,000 hommes sous les ordres du général Dearborn, devait pénétrer dans le Canada, par le lac Champlain.

Van Rensalear ne fut prêt à commencer ses opérations qu’au moins d’Octobre. Le 13, de grand matin, il arriva au pied du lac Érié, et opéra son débarquement sur les hauteurs de Queenstown, malgré le feu de l’artillerie anglaise, qui brisa plusieurs de ses berges. Brock, qui était alors à Niagara, accourut au bruit de la canonnade. Il rallia ses soldats et les conduisit lui-même à l’attaque de l’ennemi. Mais il fut bientôt atteint d’une balle, qui lui traversa la poitrine, et expira quelques instants après. L’ordre qui avait été troublé parmi les troupes par cet incident se rétablit bientôt, mais les Américains, protégés par les arbres, ne purent être délogés de leur position.

Bientôt, le général Sheaffe arriva avec des renforts, et résolut d’attaquer aussitôt l’ennemi. Il laissa quelques hommes pour couvrir Queenstown, puis, avec le reste des troupes, parmi lesquelles se trouvaient les Sauvages, il alla faire un détour pour attaquer les Américains par derrière. Les Abénakis et les autres sauvages, étant dans l’avant-garde, attaquèrent les premiers l’ennemi ; mais, accablés par le nombre, ils furent forcés de reculer un peu, pour revenir à la charge avec plus de vigueur. Lorsque le corps principal de l’armée fut uni aux sauvages, les Américains lâchèrent pied et s’enfuirent dans toutes les directions. Les uns se cachèrent dans les broussailles, d’autres se précipitèrent dans le fleuve. Les Abénakis et les soldats les poursuivirent, et en massacrèrent un grand nombre. Plus de 300 Américains furent tués et 1,000 faits prisonniers.

Les deux combats de cette journée ne coûtèrent aux Anglais qu’environ 100 hommes, tués ou blessés.

Smith succéda à Van Rensalear dans le commandement de l’armée du centre. Mais ses compatriotes découragés par le désastre de Queenstown, refusaient de continuer la campagne. Cependant, il parvint à ranimer un peu l’humeur guerrière des jeunes gens, et put former une armée de 5,000 hommes. Il se mit en mouvement, le 28 Novembre, après avoir partagé son armée en deux divisions. La première division traversa le fleuve et mit pied à terre sur la Grande-Île, entre le fort Érié et Chippawa ; elle s’empara d’un poste, gardé par quelques soldats. La seconde division tenta d’aller débarquer, deux milles au-dessous de la tête de l’île ; mais elle fut vivement repoussée par le colonel Bishop, qui avait sous ses ordres 1,100 hommes, y compris les sauvages. Les Américains, ayant eu plusieurs de leurs berges brisées, se retirèrent en toute hâte. Smith feignit de renouveler sa tentative, le 1 Décembre. Il s’embarqua même pour traverser le fleuve. Mais bientôt, il rebroussa chemin, et alla prendre ses quartiers d’hiver.

Ainsi se terminèrent les opérations de l’armée du centre.

Celles de l’armée du nord n’eurent pas plus de succès. Dearborn s’approcha des frontières, et parut vouloir marcher sur Montréal, par la route de Saint-Jean et d’Odeltown.

Les Anglais échelonnèrent des miliciens sur le fleuve Saint-Laurent, depuis Yamaska jusqu’à Saint-Régis. Un corps d’élite, de miliciens et de réguliers, fut placé à Blairfindie ; et la route d’Odeltown, qui conduisait à la frontière, fut embarrassée par des abatis. Ce travail fatiguant et difficile fut fait par les Canadiens et quelques Abénakis du major Salaberry.

Cependant, les Américains n’avançaient à rien, et montraient beaucoup d’hésitation dans leurs mouvements. Tout l’été se passa en petites escarmouches, entre quelques détachements américains, les Canadiens et les Abénakis, qui servaient d’éclaireurs. Dans ces courses, les Abénakis, levèrent un grand nombre de chevelures américaines.

Enfin, Dearborn parut vouloir s’avancer, le 28 Novembre. Une des gardes du major Salaberry, à la rivière Lacolle, fut, tout-à-coup assaillie, pendant la nuit, par 1,400 Américains, qui venaient de traverser la rivière. Les assaillants voulurent cerner la garde et firent feu. Mais, trompés par l’obscurité de la nuit, ils dirigèrent leurs coups sur leurs compagnons d’armes. Ainsi, ils se fusillaient eux-mêmes au lieu d’atteindre la garde de Salaberry. Cette funeste erreur les força de retraiter aussitôt. Alors, Dearborn s’éloigna et alla prendre ses quartiers d’hiver à Plattsburgh et à Burlington.

Ainsi se termina la campagne de 1812.

Les Abénakis retournèrent à leurs villages, regrettant de n’avoir pas assez combattu pendant cette campagne.



  1. Les Iroquois prirent aussi part à cette campagne, en faveur des Anglais. On sait que les Américains avaient ordonné, en 1778, l’extermination de ces sauvages, parcequ’ils s’étaient ouvertement déclarés contre la cause de l’indépendance. Ce fut le général Sullivan qui fut chargé de cette expédition. Après la destruction de leurs cantons, les Iroquois furent chassés de leurs terres. Alors, ils s’adressèrent au gouverneur du Canada, pour obtenir un lieu de refuge. En 1785, le lieutenant-gouverneur Haldimand les plaça sur la Grande-Rivière, entre les lacs Érié et Ontario. Il en plaça aussi sur la rivière Tamise, qui se décharge dans le lac Sainte-Claire. Ces sauvages sont encore aujourd’hui sur ces rivières. Leur population actuelle est d’environ 2,000 âmes.