CHAPITRE VINGT-ET-UNIÈME.

captivité de la famille johnson chez les abénakis.

1754-1759.

L’histoire des Abénakis, pendant la période 1700-1760, nous présente une suite presque continuelle d’expéditions dans la Nouvelle-Angleterre. Deux voies y conduisaient ces sauvages : celle de la rivière Saint-François et celle du lac Champlain. Par la première voie, ils remontaient la rivière Saint-François jusqu’au lac Memphrémagog. De là, ils se rendaient à la rivière Connecticut ; puis, en suivant les torrents de cette rivière, ils allaient tomber sur les habitations anglaises. Par la seconde voie, ils remontaient la rivière Richelieu et se rendaient au fort Saint-Frédéric, sur le lac Champlain. De là, ils allaient attaquer les établissements anglais, en pénétrant dans la Nouvelle-Angleterre, tantôt par la rivière à l’Ognon, tantôt par celle à la Loutre.

Dans une de ces excursions, en 1754, ils se rendirent à Charlestown[1], y firent prisonnière une famille entière, du nom de Johnson, et l’emmenèrent à Saint-François. Cette famille demeura en captivité en Canada pendant près de cinq ans, puis elle retourna dans son pays.

Madame Johnson écrivit, en 1798, la narration de cette captivité[2]. Nous avons trouvé dans ce petit ouvrage des détails si intéressants touchant les Abénakis, que nous avons pensé que cette narration pouvait avoir place dans l’histoire de ces sauvages, afin de faire mieux connaître leurs mœurs et leurs usages, à cette époque. Cette narration fera d’ailleurs aussi connaître quelques excursions d’Abénakis dans la Nouvelle-Angleterre, que nous n’avons pas mentionnées dans leur histoire.

voyage à travers la forêt.

Dans le mois d’Août 1754, un détachement de guerriers abénakis partit du village de Saint-François, pour aller en excursion dans la Nouvelle-Angleterre. Il remonta la rivière Richelieu et se rendit au fort Saint-Frédéric. En cet endroit, les sauvages se divisèrent en plusieurs bandes, pour aller tomber à la fois sur différents établissements anglais. Douze guerriers se rendirent au côté droit du lac Champlain, et entrèrent dans la baie, située près de l’embouchure de la rivière à la Loutre. Après avoir mis leurs canots en sûreté, ils pénétrèrent dans la forêt et dirigèrent leur route vers Charlestown, situé à environ dix milles à l’Est de la rivière Connecticut. Ils tuèrent un ours, à une certaine distance du lac. Alors, ils laissèrent en cet endroit, sur le bord d’une petite rivière, un sac de farine, un peu de tabac et la graisse de cet ours, pour le retour du voyage. Cette graisse fut mise dans les entrailles de l’animal, qu’ils suspendirent aux branches d’un arbre. Puis, ils continuèrent leur route, et arrivèrent dans les environs de Charlestown, dans la nuit du 30 au 31.

À une petite distance du fort, était l’habitation d’un nommé James Johnson. Les sauvages se cachèrent près de cette habitation, et y passèrent le reste de la nuit.

Le fort de Charlestown ne renfermait alors qu’une trentaine de familles, dont la plupart étaient venues de Boston. Ce fort avait été construit en 1740, et les Willard, famille de Madame Johnson, en avaient été les premiers habitants. La famille Willard, existant à Boston depuis 1670, avait donné à l’armée anglaise plusieurs hommes courageux et braves, qui s’étaient distingués dans les guerres contre les sauvages de la Nouvelle-Angleterre. Les Abénakis avaient probablement de la haine contre cette famille, pour cette raison ; et comme il y avait beaucoup de Willard à Charlestown, ils en avaient peut-être aussi conçu de la haine contre ce fort.

Depuis son établissement jusqu’en 1760, ce fort fut plusieurs fois attaqué par les Abénakis et exposé au pillage. Pendant vingt ans, les habitants furent presque sans cesse sous l’empire de la crainte et eurent à supporter toutes les horreurs d’une guerre cruelle et presque continuelle avec ces sauvages. Ils ne tournaient leurs regards vers le Canada qu’avec frayeur, croyant toujours voir des sauvages et des Canadiens sortir de la forêt pour venir fondre sur eux, leur enlever des prisonniers, lever la chevelure de leurs femmes et de leurs enfants, ravager, piller leurs propriétés et détruire leurs bestiaux.

En 1746, la haine des Abénakis contre les habitants de Charlestown parut s’augmenter. Ils attaquèrent ce fort avec fureur, et furent sur le point de s’en emparer. Plusieurs édifices furent brûlés, et quelques colons furent faits prisonniers. Charlestown ne dut sa conservation, en cette occasion, qu’à la valeur du capitaine Stevens, qui, plusieurs années auparavant, avait été emmené captif à Saint-François, où il fut détenu quelques années. Il n’y avait qu’une cinquantaine d’Abénakis à cette attaque. Il est fort étonnant qu’un si petit nombre de guerriers aient osé attaquer un fort, bien palissadé et défendu par une forte garnison[3]. Malgré leur petit nombre, les sauvages attaquèrent résolument les Anglais. Après une longue lutte, ils furent repoussés ; alors ils se retirèrent dans la forêt, emmenant leurs morts et leurs blessés, ce qu’ils ne manquaient jamais de faire après un combat.

En 1748, Charlestown fut de nouveau attaqué par environ 200 Abénakis et Canadiens. Les Anglais, à la suite de l’attaque de 1746, avaient considérablement augmenté les fortifications et la garnison du fort. Des sentinelles étaient sans cesse placées en garde pour donner l’alarme à l’approche de l’ennemi. Aussi cette fois les Anglais ne furent pas surpris.

Les Abénakis investirent le fort, et le tinrent assiégé pendant cinq jours. Le capitaine Stevens sauva encore la place. Pendant son séjour à Saint-François, il avait étudié les usages des sauvages, et surtout leur manière de faire la guerre ; les connaissances qu’il avait acquises par cette étude le mirent en état de déjouer les ruses des sauvages. Les Abénakis firent plusieurs prisonniers, et brûlèrent quelques maisons ; mais, voyant que leurs tentatives pour s’emparer du fort étaient inutiles, ils se retirèrent.

La paix qui fut faite, en 1749, entre les Abénakis et les Anglais amena quelques années de tranquillité pour Charlestown. Mais la guerre ayant recommencé en 1754, les habitants de cette place se virent de nouveau attaqués et poursuivis par ces sauvages. Depuis cette époque jusqu’en 1760, des partis d’Abénakis firent des descentes chaque année dans les environs du fort, pillèrent et détruisirent des habitations, levèrent des chevelures, et firent un nombre considérable de prisonniers.

Reprenons notre récit. Le 31 Août, avant l’aurore, les douze Abénakis étaient cachés près de la maison de Johnson, lorsqu’un nommé Labarre, son engagé, vint frapper à la porte de son maître pour commencer sa journée de travail. Les sauvages profitant de cette occasion, se précipitèrent, la hache à la main, dans la maison. Ils s’emparèrent aussitôt des hommes, avant qu’ils pussent prendre leurs armes, et envahirent tous les appartements de la maison. Ils étaient horribles à voir : ils avaient la figure peinte en rouge, et étaient armés de fusils, de couteaux et de haches.

Toute défense était impossible, et Johnson fut forcé de se constituer prisonnier avec toute sa famille. Madame Johnson, ses enfants et une de ses sœurs, qui demeurait avec elle, furent impitoyablement arrachés du lit et entraînés, à moitié vêtus, hors de la maison.

Les captifs étaient au nombre de huit. Johnson, son épouse, Marie-Anne Willard, jeune fille de 14 ans et sœur de Madame Johnson, trois enfants de Johnson, Silvanus, âgé de 6 ans, et deux petites filles, Susanne et Polly, la première, âgée de 4 ans, la seconde, de 2, Labarre, et un nommé Farnsworth, qui avait passé la nuit chez Johnson.

Lorsque les sauvages eurent enlevé de la maison tous les effets qu’il leur était possible d’emporter, ils ordonnèrent aux captifs de marcher, et allèrent s’arrêter derrière un coteau, pour empaqueter le butin qu’ils venaient de faire. Deux sauvages se saisirent de Madame Johnson et la placèrent dans les broussailles, d’une manière un peu rude ; elle y perdit l’un de ses souliers, ce qui fut pour elle la cause de grandes souffrances.

Pendant ce temps, un nommé Osmer, qui avait aussi passé la nuit chez Johnson et qui n’avait pas été fait prisonnier parcequ’à l’arrivée des sauvages il s’était caché dans un coffre dans le haut de la maison, se rendit promptement au fort pour y annoncer cette triste nouvelle. Un parti fut immédiatement organisé pour aller à la poursuite des sauvages et délivrer les captifs ; mais M. Willard, père de Madame Johnson, commandant alors au fort, s’opposa fortement à ce projet, alléguant que la coutume invariable des sauvages était de tuer leurs prisonniers lorsqu’ils étaient attaqués[4]. Ce projet fut donc abandonné.

Les sauvages s’apercevant bientôt, par les coups de fusils qu’ils entendaient du côté du fort, que l’alarme y avait été donnée, et craignant qu’un détachement de troupes ne fut envoyé pour délivrer les prisonniers, précipitèrent leur fuite au pas de course ; entraînant leurs malheureuses victimes dans cette marche forcée. Ils s’enfuirent ainsi environ trois milles. Les prisonniers offraient alors le plus pénible spectacle. Les hommes chargés de paquets d’effets, étaient épuisés de fatigues ; Marie-Anne Willard ne marchait qu’avec peine ; les enfants hors d’haleine, sanglotaient et faisaient entendre des cris lamentables ; Madame Johnson, ne pouvant plus marcher, se laissa choir sur le sol. Elle était enceinte et touchait aux derniers jours de sa grossesse ; de là, il est facile de comprendre dans quel pénible état cette marche l’avait réduite ; et, en outre, son pied nu était déjà horriblement blessé, ce qui lui causait de grandes souffrances. Au milieu de la route qu’on venait de parcourir, elle avait été forcée de s’asseoir un instant : alors, un sauvage s’était avancé vers elle, tenant un couteau à la main ; elle avait cru qu’il voulait l’égorger, mais ce n’était que pour couper une bande qu’elle portait par dessus sa robe ; ce qui la soulagea, et la mit en état de pouvoir suivre les autres.

Les sauvages, voyant l’état d’épuisement des prisonniers, firent halte pour déjeuner. Ce repas fut très-frugal et ne consista qu’en un morceau de pain, quelques pommes et du raisin, objets enlevés à la maison.

Cependant, l’état de Madame Johnson causait quelqu’inquiétude aux sauvages, car ils avaient compris que sa situation ne lui permettait pas de faire un long voyage à pied, à travers les forêts ; et, pourtant, ils tenaient beaucoup à l’emmener en Canada. Ils trouvèrent bientôt le moyen de sortir de cet embarras, en s’emparant d’un vieux cheval qui se trouvait par hasard en cet endroit ; ce vieux cheval, connu par les prisonniers sous le nom de « Scoggin », porterait la femme malade pendant le voyage.

Pendant que les sauvages étaient occupés à s’emparer du cheval, Madame Johnson souffrait beaucoup. Ses jambes et ses pieds étaient couverts de sang. Alors, le prisonnier Labarre lui donna ses propres bas, et un sauvage, touché de compassion, lui offrit une paire de souliers d’orignal.

Des couvertes furent mises sur le dos du vieux Scoggin, la malade y fut placée, et l’on continua la route. Après avoir marché ainsi environ sept milles, on arriva à la rivière Connecticut. Les préparatifs pour traverser cette rivière furent faits de suite. On fit des radeaux avec des pièces de bois sec. Deux sauvages et Farnsworth traversèrent sur le premier radeau ; Johnson, son épouse et ses enfants furent placés sur le second ; Labarre traversa le cheval à la nage. Tous arrivèrent sains et saufs sur la rive opposée, à 4 heures de l’après-midi.

On s’arrêta en cet endroit pour prendre quelque nourriture. Après le repas, les sauvages firent l’inventaire de leur butin, qui valait environ $200. Alors, défiant tout danger, ils se livrèrent aux excès de la joie, entonnèrent leur chant de guerre, et dansèrent pendant près d’une heure.

Pendant cette désagréable scène, Madame Johnson, au milieu des cris et des hurlements des sauvages, versait des larmes, à la vue de la pénible condition de sa famille, et en songeant à la position alarmante où elle se trouvait elle-même. « Captifs », dit-elle, « au pouvoir d’impitoyables sauvages, sans provisions et presque sans vêtements, enfoncés dans la forêt, où nous devions séjourner aussi longtemps que les enfants d’Israël dans le désert, notre condition était des plus tristes. Et, pour ajouter à notre malheur, nos maîtres sauvages ne comprenaient pas un mot d’anglais. Je quittais mes vieux parents, mes frères et sœurs et mes amis pour voyager avec des sauvages, à travers une affreuse forêt et des régions inconnues, dans un temps où j’étais moi-même dans une si alarmante situation ».

Suivant une coutume existant alors chez les Abénakis, celui qui le premier mettait la main sur un prisonnier en était considéré comme le maître et le propriétaire. Ainsi, suivant cette coutume, chacun de nos captifs avait son maître, auquel il devait se soumettre aveuglement, pour ne pas s’exposer à recevoir de rudes traitements.

Lorsque les sauvages eurent terminé leurs réjouissances, ils ordonnèrent le départ. On marcha sept ou huit milles, puis on s’arrêta pour le campement de la nuit.

L’ouvrage du campement consistait à allumer un petit feu, à couper quelques morceaux de bois sec pour entretenir le feu pendant la nuit, puis, à étendre sur le sol des branches de sapin pour servir de lits aux voyageurs. Après le repas du soir, les sauvages se plaçaient autour du feu, s’asseyant sur leur talons, et passaient plusieurs heures à converser ; les plus anciens de la bande racontaient longuement aux jeunes gens leurs exploits, soit à la chasse, soit à la guerre. Ces discours, où les moindres détails n’étaient jamais oubliés, étaient écoutés avec la plus grande attention. Après cette longue conversation, chacun prenait sa place sur les branches de sapin, et dormait bientôt d’un profond sommeil, comme sur le meilleur lit de duvet.

Avant de se livrer au sommeil, nos excursionnistes mirent leurs prisonniers et leur camp en sûreté. Deux sauvages furent placés à la garde du camp pendant toute la nuit[5]. Voici ce qui fut fait pour les prisonniers. On fendit des morceaux de bois à l’une de leurs extrémités seulement, puis on emprisonna les jambes des hommes dans cet étau d’un nouveau genre ; l’autre extrémité des morceaux de bois était liée, par le moyen de cordes, à des branches d’arbre, à une hauteur assez grande pour que les prisonniers ne pussent y atteindre. Marie-Anne Willard fut forcée de se coucher entre deux sauvages. On lui avait mis autour du corps une corde, dont les deux extrémités étaient retenues sous ces sauvages. De sorte qu’elle ne pouvait faire le moindre mouvement sans éveiller ses deux gardiens. Ces précautions furent prises pendant six jours.

Comme on ne craignait pas l’évasion de la malade, on lui permit de reposer près de ses enfants et on lui donna des couvertes. Sans cet acte d’humanité et de prudence de la part des sauvages, Madame Johnson et ses enfants seraient certainement morts de froid avant d’arriver en Canada. On sait que la plupart des prisonniers furent arrachés de leurs lits ; ils furent entraînés si précipitamment qu’ils n’eurent pas même le temps de se vêtir. Johnson et Farnsworth avaient les pieds nus et n’avaient sur eux que leurs pantalons et leurs chemises ; Madame Johnson et sa sœur étaient vêtues de vieilles robes qu’un sauvage leur avait apportées en partant de la maison ; les enfants n’avaient pas d’autres vêtements que leurs chemises. Voilà comment les prisonniers étaient vêtus pour faire un long voyage, à travers les forêts et les montagnes, dans une saison pluvieuse, où les nuits sont parfois brumeuses et fort froides. Aussi, la première nuit qu’ils passèrent en plein air fut affreuse pour eux ; cependant les grandes fatigues de la journée les forcèrent à prendre quelques heures de repos.

Le lendemain, 1 Septembre, les sauvages furent sur pied avant le lever du soleil, au premier cri du Chef[6]. Ils préparèrent immédiatement leur déjeuner, donnèrent à leurs captifs un peu de bouillie d’eau et de farine, et ordonnèrent la marche aussitôt après le repas. Cependant, Madame Johnson était si malade et si faible qu’elle se sentait incapable de se tenir sur le cheval. Alors, il fut signifié à Johnson de prendre place près de sa femme, pour la soutenir pendant la marche. On fit route pendant deux heures, puis un nouvel incident vint se joindre aux misères du voyage. La malade fut soudainement prise des douleurs de l’enfantement. Les sauvages firent signe à Johnson de descendre près d’un petit ruisseau. Ils parurent vivement touchés de la pénible position de cette femme, montrèrent beaucoup d’humanité à son égard en cette circonstance, et observèrent strictement les règles de la décence. Ils firent une cabane, y déposèrent la malade, laissèrent auprès d’elle son mari et sa sœur, pour en avoir soin, et se retirèrent à l’écart avec le reste de la troupe, après avoir donné les linges et les couvertes nécessaires pour l’usage de la malade.

Qu’on se figure la position de cette malheureuse femme en ce moment. Voici ce qu’elle écrit elle-même à ce sujet. « Ici tout lecteur compatissant versera une larme sur mon inexprimable misère. J’étais éloignée d’environ vingt milles des habitations d’êtres civilisés, au milieu de la forêt rendue froide par un jour pluvieux. J’étais privée, dans un des moments les plus périlleux de la vie, de tout ce qui est nécessaire et convenable dans une pareille circonstance. Les mères seules peuvent se figurer ma malheureuse situation ».

Les enfants, séparés de leurs parents et retenus à distance par leurs maîtres, criaient et fondaient en larmes. Ils pensaient que les sauvages allaient faire mourir leur mère.

Quelques heures après, Madame Johnson avait mis au monde une fille. Les sauvages parurent fort contents à cette nouvelle. Ils apportèrent du linge pour envelopper l’enfant, des épingles et des écorces pour attacher ses vêtements, et une grande cuillère de bois[7], pour le faire manger. Ils décidèrent de passer le reste du jour en cet endroit, afin de laisser reposer la malade, et employèrent ce temps à faire une espèce de litière pour la porter.

Le 2, nos voyageurs se mirent en route de grand matin. La malade et son enfant furent placés sur la litière ; Johnson, Labarre et Farnsworth furent chargés de la porter alternativement ; Marie-Anne Willard et le jeune Silvanus furent placés sur le cheval, et les deux petites filles furent portées par leurs maîtres. On marcha environ deux heures, et il fut impossible alors d’aller plus loin, parceque les porteurs de la litière étaient tellement fatigués qu’ils ne pouvaient plus marcher.

Les sauvages, fort embarrassés, se réunirent en conseil, pour délibérer sur le parti qu’ils devaient prendre. Il leur répugnait beaucoup de porter eux-mêmes la malade ; car, suivant eux, il ne convenait pas à des guerriers de porter une femme étrangère, même dans le cas d’une extrême nécessité. Dans cet embarras, quelqu’un proposa d’abandonner la malade dans la forêt ; mais tous les autres rejetèrent cette proposition avec horreur, disant qu’ils ne consentiraient jamais à se déshonorer par cet acte à la fois si lâche et si cruel. Ils décidèrent de mettre de nouveau la malade sur le cheval, et d’essayer de continuer le voyage de cette manière. Mais on comprend qu’il ne fut pas possible à la malade d’aller bien loin. « Chaque pas du cheval, » dit-elle, « me privait presque de la vie. Mon état de faiblesse et de souffrance me rendait en quelque sorte insensible à toutes choses ».

On marchait très-lentement. La plus profonde tristesse était peinte sur la figure de tous les prisonniers ; les sauvages étaient dans la plus grande inquiétude et gardaient le silence. À chaque heure, il fallait s’arrêter et déposer la malade sur le sol, afin de lui laisser prendre quelques moments de repos ; sa vie fut ainsi conservée pendant le troisième jour du voyage.

Nos voyageurs campèrent ce jour là à la tête de la rivière blanche (White river), aux pieds de la chaîne de montagnes, connues aujourd’hui sous le nom de montagnes vertes du Vermont.

Le 3, l’air était froid et humide. Une brume épaisse glaçait les membres endoloris des prisonniers ; les enfants, à moitié nus, transis de froid et tremblotants avaient peine à se remuer ; Madame Johnson était encore plus malade que le jour précédent, et paraissait à chaque instant sur le point d’expirer.

Dans cette grande détresse, il semblait aux prisonniers qu’il leur était impossible de continuer la route ce jour là, vu qu’ils se trouvaient précisément à l’endroit le plus hasardeux et le plus périlleux du voyage, puisqu’il fallait franchir la chaîne de montagnes. Les sauvages comprenaient combien était il difficile de transporter la malade à travers ces montagnes. Mais, étant à bout de provisions, il fallait continuer le voyage, pour ne pas s’exposer à mourir de faim dans la forêt. Ils se mirent donc en route, après avoir partagé avec leurs prisonniers un peu de farine et d’eau.

Comme le jour précédent, la malade fut mise sur le cheval. Ce jour là, la marche fut des plus pénibles et des plus difficiles. Tantôt on traversait de longues savanes, dans l’eau et la boue jusqu’à mi-jambe, tantôt on franchissait des montagnes hautes et escarpées ; et lorsqu’on rencontrait des escarpements que le cheval ne pouvait gravir avec sa charge, on portait la malade sur le haut de ces rochers. On marcha de cette manière jusqu’au soir, sans prendre aucune nourriture, et, pour ajouter encore à cette misère, il fallut passer la nuit suivante sans souper. Aussi, cette nuit fut affreuse pour les prisonniers. La faim et les souffrances les empêchèrent de prendre un seul instant de repos.

Le lendemain matin, le 4, les sauvages partagèrent avec les prisonniers quelques gorgées d’eau et de farine, le reste de leurs provisions, et se mirent en route. Voyant qu’ils n’avaient plus de provisions, ils s’arrêtèrent plusieurs fois dans la journée, pour organiser des partis de chasse. Mais les chasseurs ne rapportèrent rien de ces excursions. La plus grande inquiétude règna alors parmi les voyageurs. Ils souffraient de la faim depuis plusieurs jours, et ils se voyaient décidément sans moyen d’apaiser cette souffrance qui les dévorait[8].

Ils arrivèrent, le soir, à une petite rivière, qui se jette dans celle à la Loutre, et y firent le campement de nuit. Ils tinrent alors conseil, et décidèrent de tuer le cheval, pour se procurer de la nourriture. Ils en avaient déjà eu l’idée, mais ils n’avaient osé le faire, craignant de se trouver ensuite dans l’impossibilité de transporter leur malade ; mais, convaincus que le manque de nourriture était la principale cause de son extrême faiblesse, ils pensèrent qu’un peu de bouillon de viande de cheval rétablirait ses forces, et la rendrait capable de continuer le voyage à pied. Aussitôt, un coup de fusil abattit le vieux Scoggin, et bientôt d’énormes morceaux de viandes de cheval bouillirent dans la chaudière de voyage.

Les sauvages se hâtèrent de préparer pour la malade un bouillon, qu’ils assaisonnèrent d’herbes et de racines cueillies dans la forêt, ce qui lui donna une odeur et une saveur agréables. La malade le trouva excellent, et ressentit de suite un grand soulagement ; on lui en donna plusieurs fois pendant la soirée, ce qui rétablit ses forces d’une manière bien sensible.

Les sauvages dévorèrent la viande de cheval avec gloutonnerie, et purent enfin satisfaire leur appétit, en savourant avec délices cette étrange nourriture. Les prisonniers se virent dans l’obligation de partager ce repas dégoûtant. Quoique la faim soit la meilleure des sauces, elle ne suffit pas cependant pour dissiper leur répugnance à la vue d’une pareille nourriture. Les enfants en mangèrent trop abondamment, et cette gloutonnerie leur fut funeste, car ils en furent malades pendant plusieurs jours.

Les sauvages, ayant entièrement réparé leurs forces par cette abondante nourriture, et voyant que leur malade était mieux, retrouvèrent tout-à-coup toute leur gaîté, et se livrèrent aux réjouissances. Ils chantèrent et dansèrent jusqu’à une heure fort avancée de la nuit. Quelques uns furent chargés de préparer les provisions pour les jours suivants, et passèrent la soirée à faire sécher et fumer la viande de cheval[9].

Madame Johnson, quoique bien mieux, passa la plus grande partie de la nuit sans dormir. Mille pensées se présentaient à son esprit et l’inquiétaient. Le cheval, qui l’avait portée pendant plusieurs jours, n’existait plus, et comment pourrait-elle continuer le voyage ? Elle ne connaissait pas les véritables intentions des sauvages à son égard, cependant elle les croyait décidés à mettre bientôt un terme à sa malheureuse existence. « La nuit », dit-elle, « fut une suite de craintes affligeantes pour moi, et mon extrême faiblesse avait tellement affecté mon esprit que toute difficulté me paraissait doublement terrible. Par l’assistance de Scoggin, j’avais été transportée bien loin, quoique ma faiblesse fût si grande qu’à chaque heure il fallait me déposer sur la terre pour m’empêcher d’expirer ; mais, désormais, je n’aurais plus ce secours, et je sentais qu’il m’était impossible de marcher. La mort au milieu des forêts me paraissait donc inévitable ». Ces pensées, l’empêchant de reposer, la fatiguèrent beaucoup, et lui firent perdre les forces qu’elle avait recouvrées dans la soirée.

Le 5, dès avant l’aurore, les sauvages étaient déjà à l’œuvre, pour préparer l’un de leurs plus friands mets. Les os moëlleux du vieux cheval furent jetés dans la chaudière, et y bouillirent bientôt, avec une grande quantité d’herbes et de racines. Les sauvages se régalèrent de cette soupe, et les prisonniers la trouvèrent excellente.

On fit alors les préparatifs du départ. Les sauvages, croyant que la malade était assez bien pour marcher, ne s’en occupèrent point, et se mirent en route. Déjà ils étaient presque tous partis, avec la plupart des prisonniers, lorsque Madame Johnson s’aperçut qu’on n’avait rien fait pour la transporter ; elle ignorait complètement ce qu’on voulait faire à son égard. Voici comment elle raconte ce qui arriva alors. « Mon sort m’était complètement ignoré, lorsque mon maître apporta quelques écorces avec lesquelles il attacha ma robe, en la relevant un peu pour me faciliter la marche, puis, il me signifia de le suivre. J’avais à peine assez de force pour me tenir debout ; cependant, je marchai environ un demi mille, accompagnée de mon fils et de trois sauvages. Alors, il me fut impossible de faire un seul pas de plus ; ma vue s’obscurcit, je tombai et perdis connaissance. »

Dans la conviction où elle était qu’on voulait la tuer, elle crut, en tombant, voir un sauvage lever la hache au-dessus de sa tête, et entendre son fils s’écrier : « Maman, marche, car ils veulent te tuer. » Elle pensa donc qu’elle allait mourir.


Les sauvages, fort embarrassés par cet incident inattendu, se réunirent en conseil, et décidèrent que Johnson se tiendrait près de sa femme pour la soutenir dans la marche. On chemina ainsi pendant quelques heures ; mais bientôt la malade devint si faible qu’elle s’évanouissait à chaque instant. Il fut donc impossible de continuer la route de cette manière. Un second conseil fut tenu, et il fut décidé que Johnson porterait sa femme. On leva des écorces, on en fit une espèce de selle, que l’on mit sur le dos de Johnson, et on y plaça la malade. On marcha ainsi le reste du jour.

Le lendemain, le 6, Madame Johnson, à sa grande surprise, se sentit bien mieux ; ses forces étaient grandement rétablies. Grâce à sa forte constitution, elle se trouvait, sans le secours de remèdes, en pleine convalescence d’une maladie qui l’avait conduite sur le bord de la tombe.

Les sauvages décidèrent qu’elle marcherait ce jour là, et ordonnèrent le départ. Bientôt, l’on arriva à une petite rivière que l’on traversa à gué, Madame Johnson, marchant plus lentement que les autres, y arriva lorsque toute la troupe était déjà sur la rive opposée. On lui signifia de traverser comme les autres. « Dès que je fus dans l’eau froide », dit-elle, « le peu de forces que j’avais disparut entièrement. Je ne pouvais, ni voir, ni parler. J’étais sans mouvement et sur le point de tomber, lorsque mon mari arriva à mon secours, et me porta sur l’autre rive ».

On s’empressa alors d’allumer du feu pour la réchauffer et lui préparer quelque nourriture. Ses forces se rétablirent peu-à-peu, et, après quelques heures de repos, elle se trouva capable de continuer la route. Cependant, il fut décidé que son mari la porterait, comme le jour précédent. Vers 4 heures de l’après-midi, on s’arrêta pour la réchauffer, car elle souffrait encore du froid. Pendant qu’on lui prodiguait des soins, elle était livrée à de sombres réflexions. « Sept jours, » dit-elle, « s’étaient presqu’écoulés depuis le fatal matin où nous avions été faits prisonniers, et par la divine miséricorde de celui qui conserve la vie à tous, nous étions encore vivants. Mon mari épuisé de fatigue, mes enfants presque nus, mon pauvre petit sans appui, formaient une scène qui me faisait plus souffrir que les douleurs que j’endurais. »

On arriva, le soir, à l’endroit où les sauvages avaient déposé des provisions, quelques jours auparavant. Le sac de farine et la graisse d’ours furent trouvés en bon ordre. Les prisonniers admirèrent alors la sagacité des sauvages, dans leurs voyages.

Pendant la nuit du 6 au 7, les prisonniers ne furent pas mis en sûreté, parcequ’on ne craignait plus leur évasion. Les hommes furent débarrassés des morceaux de bois fendus, qui les avaient tant fait souffrir pendant les nuits précédentes, et Marie-Anne Willard put reposer dans la cabane de sa sœur.

Le 7, l’air était froid et humide. Quoique le commencement de Septembre donne ordinairement des jours de beau temps et de chaleur, dans ce voyage l’air était presque toujours froid et brumeux, le matin, et, comme les forêts et les montagnes cachaient le soleil la plus grande partie de la journée, les voyageurs avaient à souffrir de l’incommodité du froid et de l’humidité pendant tout le jour.

Johnson fut chargé de porter la malade, et l’on se mit en route ; vers 1 heure de l’après-midi, il était si épuisé de fatigue qu’il ne pouvait plus marcher, et la maladie de sa femme était considérablement augmentée. Pendant la route qu’on venait de parcourir, il avait été obligé de la déposer plusieurs fois sur le sol, afin de l’empêcher d’expirer. Voici ce qu’elle dit elle-même. « Pendant que j’étais couchée sur le sol, dans une si grande prostration de forces que je ne pouvais qu’avec peine prononcer une seule parole, j’eus souvent la pensée de prier mon mari de m’abandonner en cet endroit, pour me laisser terminer une malheureuse existence qui évidemment touchait à sa fin, pour sauver sa propre vie qu’il était en danger de perdre s’il continuait de me porter. Mais j’eus horreur de cette idée, et la repoussai ». Farnsworth fut alors chargé de porter la malade, et l’on marcha ainsi jusqu’au soir.

La nuit du 7 au 8 fut horrible. Ce fut une de ces nuits orageuses, si fréquentes dans cette saison de l’année. Elle fut d’abord extrêmement ténébreuse puis bientôt une affreuse tempête s’éleva. La foudre éclatait avec un bruit épouvantable, mille fois répété par les échos de la forêt ; de toutes parts, l’atmosphère était sans cesse sillonnée par les éclairs, et la pluie tombait avec une abondance extraordinaire. Les. sauvages paraissaient épouvantés. Ils coururent aussitôt au secours de la malade et lui portèrent des couvertes, pour la préserver de la pluie, qui pénétrait dans sa cabane de toutes parts.

Le lendemain, le 8, le temps était beau. Un soleil brillant mit la joie dans le cœur des sauvages et ranima leurs esprits abattus. Les prisonniers ressemblaient plutôt à des spectres qu’à des êtres vivants. Plongés dans la plus noire mélancolie, des larmes humectaient leurs joues malades et amaigries. Malgré leur grande détresse, il fallait encore se mettre en route, sans savoir quand arriverait enfin le terme de cet affreux voyage. Madame Johnson, à qui on avait signifié que son mari la porterait ce jour là, était dans les plus profondes inquiétudes ; car elle craignait fortement qu’il ne se trouvât dans la pénible alternative, ou de mourir avec elle, ou de l’abandonner seule dans la forêt. Cette idée la faisait souffrir plus que sa maladie.

Quelques moments après le départ, on fit comprendre aux prisonniers qu’on arriverait au lac Champlain avant la nuit. Cette nouvelle ranima leur courage et produisit chez eux une transition subite du désespoir à la joie. La pensée qu’ils allaient arriver à un endroit où ils voyageraient par eau leur causa une telle joie qu’ils parurent oublier entièrement leurs souffrances et leurs fatigues, et se mirent alors à marcher avec vitesse.

Deux sauvages furent envoyés à la chasse, avec ordre de rejoindre les autres au lac et d’y préparer les canots. Vers 4 heures de l’après-midi, on aperçut, d’une éminence, les eaux du lac, et bientôt on y arriva.



  1. Le fort Charlestown était situé sur la rivière Connecticut, dans le territoire actuellement appelé New-Hampshire. Les anglais appelaient ce fort « Nombre 4 », parcequ’il était le quatrième établissement de ce côté.
  2. Cet ouvrage est intitulé « A narrative of the Captivity of Mrs. Johnson, Charlestown 1798. »
  3. Ce fait et un grand nombre d’autres nous prouvent que les Abénakis étaient dans les combats d’une valeur et d’une intrépidité à toute épreuve. Quand ils étaient décidés à se battre, ils le faisaient en lions, et la vue de leur sang ne faisait qu’augmenter leur force et leur courage. Le P. de Charlevoix dit « que des officiers français leur ont vu faire, dans les combats, des choses presqu’incroyables ». Il rapporte aussi « qu’un missionnaire (le P. Vincent Bigot) ayant accompagné des Abénakis dans une expédition contre la Nouvelle-Angleterre, et sachant qu’un grand parti d’Anglais les poursuivait dans leur retraite, fit tout ce qu’il put pour les engager à faire diligence. Il n’y gagna rien. Toute la réponse qu’il en reçut fut qu’ils ne craignaient pas ces gens là. Les Anglais parurent enfin, et ils étaient pour le moins vingt contre un. Les sauvages, sans s’étonner, mirent d’abord leur Père en sûreté puis allèrent attendre de pied ferme l’ennemi dans une campagne, où il n’y avait que des souches d’arbres. Le combat dura presqueque tout le jour. Les Abénakis ne perdirent pas un homme, et mirent en fuite les Anglais, après avoir couvert de morts le champ de bataille ». (Le P. de Charlevoix. Hist. d’un voyage de l’Amérique. Vol. VI. 11).
  4. L’opinion de Willard était fausse et erronée, car les Abénakis n’ont jamais eu la coutume de tuer leurs prisonniers, lorsqu’ils étaient attaqués. Ils se défendaient courageusement pour repousser l’ennemi, et, loin de tuer leurs captifs, ils tenaient beaucoup à leur conserver la vie ; il se faisaient une gloire de les emmener vivants en Canada. Si parfois ils en tuaient quelques uns, c’était, ou parceque ces captifs, par cause de maladie ou quelqu’infirmité, ne pouvaient les suivre dans le voyage, ou parcequ’ils avaient commis quelque faute, qui, à leurs yeux, méritait la mort.
  5. Les Abénakis prenaient toujours cette précaution dans leurs expéditions, lorsqu’ils étaient dans des endroits accessibles à l’ennemi, afin de ne pas être attaqués à l’improviste pendant leur sommeil.
  6. Dans leurs expéditions, les Abénakis avaient toujours un Chef à leur tête. Lorsqu’aucun Chef du village ne pouvait les accompagner, alors ils choisissaient l’un des plus anciens guerriers du parti pour les commander. Ce Chef ordonnait la marche et commandait à l’attaque contre l’ennemi ; dans le voyage, il présidait les conseils qu’on y tenait, dans les circonstances critiques ; le matin, il ordonnait le lever des guerriers, et, dans le cours de la journée, il assignait les moments de repos. Tous se soumettaient aveuglement aux ordres de ce Chef, pendant le cours du voyage.
  7. Les Abénakis nomment ces cuillères « Amkun ». Les voyageurs canadiens s’en servent aussi et les nomment « Micouaines. » Il est évident que ce mot vient de l’expression abénakise.
  8. Plusieurs auteurs anglais représentent les Abénakis comme des hommes cruels et barbares, se nourrissant de chair humaine et immolant sans cesse leurs semblables sans autre raison que celle de se procurer le plaisir de verser du sang et de s’en abreuver. Nous voyons la preuve du contraire dans la relation de cette excursion. Ces douze Abénakis sont sans provisions au milieu de la forêt, et exposés à y mourir de faim. Une femme malade retarde considérablement leur route, et est cause de la grande misère où ils se trouvent. Si ces sauvages eussent été cruels et barbares, comme on l’a prétendu, n’auraient-ils pas de suite mis un terme à la malheureuse existence de cette femme, pour marcher ensuite, en toute hâte, vers les provisions qu’ils avaient déposées ? Mais, loin de se rendre coupables de cet acte de cruauté, ils exposent leur vie pour sauver celle de cette infortunée.
  9. Les Abénakis ont encore l’habitude de faire sécher et fumer une partie de la viande des animaux qu’ils tuent à la chasse. Cette viande, coupée par morceaux fort minces, durcit beaucoup par l’action de la chaleur et de la fumée. Ainsi préparée, elle peut être conservée pendant une année entière. On la dépose dans la cabane sans trop de précaution, à peu près comme on le fait pour le bois destiné à entretenir le feu. Cette viande, quoique d’un goût peu exquis, forme une excellente nourriture dans les voyages.