CHAPITRE CINQUIÈME.

longue période de paix — destruction des sauvages — mort du roi philippe.

1644-1679.


Le traité conclu avec les Naragansets et les Nibenets fut suivi d’une paix qui dura vingt-sept ans. Pendant cette longue période, les colonies du Connecticut, de Mount-Hope et du Massachusets firent de grands progrès ; chaque année, elles virent augmenter considérablement leur population par de nombreux émigrants.

Cependant, les Anglais tenaient toujours la même conduite à l’égard des sauvages, les traitant comme des esclaves. Ils s’emparaient chaque année de quelques parties de leurs terres, sans leur consentement et sans leur donner d’indemnité. Toute réclamation à ce sujet était toujours méprisée. Aussi, les sauvages étaient toujours mécontents, et haïssaient souverainement leurs persécuteurs. Souvent, ils méditaient des projets de vengeance, et songeaient à la révolte ; mais ils étaient toujours retenus par Philippe, l’un de leurs grands Chefs.

Philippe était fils de Massasoit. Après la mort de son père, les Nibenets le choisirent pour leur grand Chef. Il fut le plus remarquable de tous les sauvages de la Nouvelle-Angleterre. Il se distingua par son courage, son énergie et surtout par une incroyable activité. Comme son père, il fut l’ami intime des Anglais, et, comme il jouissait d’une grande influence auprès des sauvages, on peut dire que ce fut uniquement par sa protection que les colons anglais purent vivre en paix avec eux pendant vingt-sept ans.

En 1671, ce Chef se révolta contre les anglais, et se déclara leur ennemi. Depuis longtemps, il gémissait à la vue de toutes les injustices que l’on faisait aux sauvages. Il osait quelquefois donner à ses amis quelques avis à ce sujet, dans le but d’obtenir quelqu’amélioration à la pénible condition de ses frères ; mais ces avis étaient toujours méprisés. Enfin, voyant que ces injustices augmentaient sans cesse, il abandonna ses amis, et se révolta contr’eux

Cette révolte fut comme un coup de foudre pour les Anglais. Ils se virent privés d’une puissante protection, et se trouvèrent en face d’un redoutable ennemi. La révolte de Philippe fut un véritable malheur pour les colonies ; mais ce malheur n’arriva que par la faute des Anglais, car ce Chef ne fut porté à se révolter contr’eux que par leurs imprudences et leurs injustices à l’égard des sauvages. C’est ce qu’avoue Bancroft[1].

Philippe parcourut toute la Nouvelle-Angleterre, et visita toutes les tribus sauvages, depuis la Province de Sagadahock jusqu’au Connecticut. À son appel, tous les sauvages se levèrent comme un seul homme contre leur ennemi commun. Mais il était trop tard pour le vaincre. Cet ennemi, qui devait les détruire bientôt, avait grandi pendant vingt-sept années de paix, et était devenu plus fort qu’eux. Philippe, malgré sa grande habileté et son incroyable activité, ne put sauver sa nation ; cependant, il se couvrit de gloire, et se fit un nom illustre.

En 1671, les Nibenets détruisirent plusieurs établissements, et tuèrent quelques Anglais. Le gouverneur de Boston demanda alors à Philippe de lui livrer ceux qui s’étaient rendus coupables de cet acte ; celui-ci s’y refusa, prétendant que ces sauvages avaient usé de représailles contre leurs persécuteurs.

Pendant ce temps, Philippe réunissait des guerriers de toutes les tribus, et, au printemps de 1672, il se vit à la tête d’une armée de plus de 5,000 sauvages[2].

Alors, il attaqua le village de Swanzay. Environ soixante-et-dix Anglais y furent tués, et le village fut livré aux flammes.

À cette nouvelle, le Gouvernement de Massachusetts envoya sept compagnies de troupes, sous le commandement des capitaines Henchman, Prentice et Church, au secours de la colonie de Mount-Hope. Les troupes arrivèrent à Swanzay le 28 Juin ; mais elles n’y rencontrèrent pas les sauvages : ils s’étaient retirés à Mount-Hope, après la destruction du village.

De Swanzay, une compagnie de cavalerie fut envoyée, sous le commandement de Prentice, à la découverte des sauvages. Bientôt, cette compagnie fut attaquée et mise en déroute par un détachement des guerriers de Philippe. Une seconde compagnie, venue au secours da la première, eut le même sort. Près de 150 Anglais furent tués ou blessés dans cette rencontre[3].

Le 30, le major Savage, nommé commandant-en-chef de cette campagne, arriva à Swanzay, avec un renfort de troupes. Le lendemain, l’armée se mit en marche pour Mount-Hope.

Philippe, apprenant l’arrivée des Anglais, divisa ses guerriers en plusieurs bandes, puis se retira dans la forêt, où il attendit l’attaque de ses ennemis.

Le 4 Juillet, Savage divisa ses troupes en quelques compagnies, et leur ordonna de s’avancer dans la forêt, en différentes directions, à la recherche de l’ennemi. Bientôt, les compagnies, commandées par Church et Henchman, rencontrèrent un parti de sauvages et l’attaquèrent. Il s’en suivit un rude combat, où les Anglais furent battus avec une perte de près de cinquante hommes. Comme une nouvelle compagnie arrivait au secours de celles qui venaient d’être mises en déroute, les sauvages s’éloignèrent dans la forêt.

Church, furieux de sa défaite, se précipite à la poursuite de l’ennemi. Les sauvages, s’apercevant de cette poursuite, se couchent ventre à terre, et demeurent dans cette position jusqu’à ce que les troupes ne soient qu’à quelques pas d’eux. Alors, ils se lèvent avec la rapidité de l’éclair, lancent une nuée de flèches sur les Anglais, puis, armés de leurs couteaux et de leurs haches, se précipitent avec impétuosité sur eux, et en font un horrible carnage. Des trois compagnies anglaises qui furent engagées dans cette action, dix-sept hommes seulement purent s’échapper, parmi lesquels fut Church[4].

Les colonies furent grandement alarmées par ces défaites et, surtout, par les rapides succès de Philippe. Deux mois après, pendant que l’assemblée générale était en session, délibérant sur les moyens à prendre pour arrêter les hostilités de ce terrible ennemi, on apprit qu’il avait attaqué Brookfield, distant d’environ soixante-et-cinq milles de Boston. Alors, dix compagnies furent envoyées au secours de ce village, sous le commandement du major Willard.

Philippe avait tué presque tous les habitants de Brookfield ; ceux qui en restaient s’étaient retirés dans une maison, et ils étaient sur le point de se rendre lorsque Willard y arriva. Alors, il s’engagea entre les troupes et les sauvages un terrible combat, qui dura la plus grande partie du jour. Beaucoup d’Anglais tombèrent, et plus de 500 sauvages furent tués ou blessés. Philippe fut forcé de prendre la fuite [5].

Le gouverneur de Boston, apprenant le sort des malheureux habitants de Brookfield, envoya à Willard un renfort de trois compagnies de cavalerie, avec ordre de se joindre à trois autres du Connecticut, et de marcher à la poursuite des sauvages.

Pendant ce temps, Willard, informé qu’une partie de l’armée de Philippe s’était retirée à Hatfield, envoya à sa poursuite deux compagnies, commandées par Lathrop. Lorsque ces troupes furent arrivées à environ trois milles de Hatfield, les sauvages, au nombre de plus de 1,000, tombèrent sur elles avec impétuosité, et les massacrèrent impitoyablement. Trois hommes seulement de ces deux compagnies purent s’échapper[6].

Dans le mois d’Octobre, Philippe détruisit et pilla Springfield, après en avoir tué tous les habitants, puis il se retira à Mount-Hope, pour ses quartiers d’hiver, avec plus de 4,000 guerriers.

Cependant, les colonies décidèrent d’aller attaquer leur ennemi dans son campement d’hiver, pendant qu’il ne s’y attendait pas. Une armée de 1,100 hommes fut levée dans ce but, et placée sous le commandement du major Winslow. Cette armée, à laquelle se joignit un fort parti de Mohicans, se mit en marche vers Mount-Hope le 7 Décembre.

Les Anglais arrivèrent pendant la nuit au camp de Philippe, et se précipitèrent avec fureur sur les sauvages. Ceux-ci, attaqués à l’improviste, ne purent se défendre, environ 4,000 de ces sauvages furent impitoyablemenf massacrés. Philippe put s’échapper, avec environ 200 de ses guerriers[7]. Beaucoup d’Anglais furent tués ou blessés.

En revenant de cette expédition, l’armée anglaise souffrit tellement du froid que tous ses blessés et un grand nombre d’autres moururent. Les Anglais perdirent dans cette campagne au delà de 800 hommes, y compris un certain nombre de Mohicans.

Cependant, le major Willard voyagea pendant tout l’hiver à la recherche des ennemis, tua beaucoup de sauvages, fit un grand nombre de prisonniers, et détruisit environ 3,000 wiguams[8]. Dans cette campagne, il acheva presque l’œuvre de la destruction des deux grandes tribus des Naragansets et des Nibenets.

Ces échecs furent de terribles coups pour Philippe. Cependant, son courage ne l’abandonna pas. Dès le retour du printemps, 1673, il recueillit les restes de ses infortunées tribus, et se retira dans les forêts, afin d’éloigner ses frères de leurs persécuteurs.

Cependant, il ne resta pas longtemps dans l’inaction. Bientôt, il commença à voyager dans la Nouvelle-Angleterre, dans le but de réunir une seconde armée de sauvages. Mais une grande famine, qui s’éleva alors parmi eux et qui régna pendant plusieurs années, le força de reculer pendant cinq ans l’exécution de ses projets de vengeance contre les Anglais.

Enfin, à force d’activité et de ruses, il réussit dans sa difficile et dangereuse entreprise, et, à la fin de l’année 1677, il avait sous son commandement une armée de près de 5,000 guerriers. Cette armée était composés de Massajosets, de Pekuanokets, de Patsuikets et des restes des autres tribus.

Il résolut d’attaquer ses ennemis dès le commencement de l’année 1678, et partagea son armée en plusieurs détachements, afin d’assaillir à la fois différents établissements anglais.

Le 10 Février, Lancaster fut assailli par l’un de ces détachements, et un grand nombre d’habitants y périrent. Le 21, douze Anglais furent tués à Medfield.

Alors, deux compagnies furent envoyées, sous le commandement du capitaine Pierce, pour détruire ces sauvages ; mais, ceux-ci, au nombre de 500 à 600, tombèrent avec fureur sur ces troupes et les détruitsirent entièrement : cinq Anglais seulement purent s’échapper. Près de 100 sauvages tombèrent dans cette rencontre[9].

Le 25 Mars, un parti de sauvages attaqua et détruisit Weymouth et Warwick, et massacra la plupart des habitants. Le 10 Avril, un autre parti détruisit et pilla Rohebeth et Providence.

Le 1er Mai, les Anglais envoyèrent une compagnie et 150 Mohicans, sous le commandement du capitaine Dennison, à la poursuite de ces sauvages. Les troupes rejoignirent les ennemis près de Groton, et les attaquèrent à l’improviste. Ce parti de sauvages, de plus de 500, fut complètement détruit[10].

Le 23, trois compagnies et 100 Mohicans attaquèrent, sur la rivière Connecticut, un autre parti de sauvages, qui fut aussi détruit[11].

Dans le même temps, les habitants de New-London, Norwick et Stonington, ayant pris les armes, détruisirent, dans trois expéditions, près de 1,000 sauvages[12].

Le gouverneur de Boston, étant informé qu’un parti de 500 à 600 sauvages était caché près de Lancaster pour attaquer ce village, envoya, dans le mois de Juillet, trois compagnies de cavalerie, pour défendre cette place. Les troupes y furent battues ; mais près de 150 sauvages furent tués ou blessés[13].

Le 15 du même mois, un engagement eut lieu près de Groton entre une compagnie de cavalerie et 300 sauvages. Cette compagnie fut complètement détruite, et plus de 100 sauvages furent tués[14].

Le 12 Août, un parti de sauvages attaqua Westfield et massacra beaucoup d’habitants. Le 17, un autre parti attaqua Northampton ; mais il fut repoussé avec une grande perte par les troupes qui y stationnaient.

Une compagnie fut envoyée, le 9 Septembre, pour repousser 200 sauvages, qui étaient près de Sudbury. Les troupes arrivèrent pendant la nuit au campement des sauvages. Ceux-ci dansaient autour d’un grand feu ; se croyant alors cernés par un grand nombre d’Anglais et se pensant perdus, ils se précipitèrent dans les flammes et y périrent tous[15].

Le 25, un parti de 600 à 700 sauvages attaqua Marlborough. Trois compagnies, envoyées pour la défense de cette place, furent complètements détruites ; mais les sauvages, ayant perdu plus de 300 guerriers, se retirèrent[16].

Philippe, voyant qu’il avait perdu près de 3,000 hommes depuis le 10 Février et que ses guerriers étaient épuisés de fatigue, reconnut qu’il lui était impossible de continuer plus longtemps cette rude campagne. Il interrompit donc ses hostilités, et alla prendre ses quartiers d’hiver.

Cependant, les Patsuikets de la rivière Merrimack, voulant venger la mort de tant de frères, reprirent les armes à l’automne, et ravagèrent les établissements de la nouvelle colonie du New-Hampshire. Ils détruisirent, dans le cours de Novembre, plusieurs villages, et massacrèrent un grand nombre de colons.

Le gouverneur de Boston envoya, le 12 Décembre, quatre compagnies de cavalerie pour détruire ces ennemis. Le 26, les troupes rencontrèrent sur la rivière Merrimack un parti considérable de sauvages qu’elles détruisirent complètement. Quelques jours après, un détachement de troupes tua environ 100 sauvages près de Amherst.

Dans le mois de Janvier, 1679, un parti de 500 à 600 sauvages fut attaqué pendant la nuit à l’improviste, et fut entièrement détruit. Les troupes firent plusieurs autres rencontres, où elles massacrèrent un grand nombre de sauvages puis elles retournèrent à Boston dans le mois de Février.

Les Anglais détruisirent dans cette expédition la tribu des Patsuikets ; mais ils perdirent plus de la moitié de leurs quatre compagnies[17].

Les restes de cette malheureuse tribu se dispersèrent. Quelques centaines de ces sauvages se retirèrent vers le roi Philippe, d’autres émigrèrent vers l’Ouest, sur la rivière Hudson, et quelques-uns se réfugièrent en Canada[18], où ils se joignirent bientôt aux Abénakis, qui furent aussi forcés d’y émigrer pour fuir les persécutions des Anglais. Ceux qui se retirèrent sur la rivière Hudson furent bientôt attaqués et détruits par les Iroquois[19].

Philippe, retiré dans son camp de Mount-Hope, gémissait sur les malheurs de ses infortunées tribus, lorsque la nouvelle de la destruction de celle des Patsuikets vint augmenter sa douleur. Il comprit que sa cause était décidément perdue. Cependant, les quelques centaines de Patsuikets qui s’étaient réfugiés auprès de lui ranimèrent un peu son courage, et il résolut de faire un dernier effort pour venger sa nation. Il recueillit soigneusement les restes de ses tribus, et, au printemps de 1679, il se trouva à la tête d’une armée de près de 3,000 guerriers.

Il savait bien que cette petite armée serait vaincue et détruite ; mais il voulait sacrifier sa vie et celle de ses braves guerriers pour venger la mort de tant d’infortunés frères par celle d’un grand nombre d’Anglais.

Comme l’année précédente, il partagea ses troupes en plusieurs détachements, afin d’attaquer ses ennemis en différents endroits.

Vers le 20 Mars, les sauvages firent plusieurs prisonniers près de Swanzay. Philippe, pour se moquer des Anglais, leur renvoya l’un de ces prisonniers, après lui avoir fait couper le nez et les oreilles.

Le 22, un nègre prisonnier chez les sauvages s’étant échappé, alla informer les Anglais que les sauvages avaient formé le projet d’attaquer Taunton et les villages voisins, que Philippe était campé près de Warcester avec 1,000 guerriers, que la plupart de ces sauvages étaient armés de mousquets, et que, quelques jours avant son évasion, un parti de sauvages était arrivé avec plusieurs prisonniers anglais et un grand nombre de chevelures.

Alors le gouverneur de Boston envoya trois compagnies de cavalerie pour la défense de Taunton. Ces troupes ne rencontrèrent pas les sauvages, car ils s’étaient éloignés à la nouvelle de l’approche des Anglais.

La colonie du Connecticut leva trois compagnies de cavalerie, et les envoya vers l’Ouest, sous le commandement du major Talcott, pour repousser les sauvages qui y causaient des dommages considérables. Le 11 Avril, Talcott rencontra un parti de 400 à 500 sauvages, qu’il attaqua à l’improviste et qu’il détruisit entièrement. Il voyagea pendant plus de quatre mois, exterminant tous les sauvages qu’il rencontrait[20].

Le 27 Août, il arriva à Hadley, assez tôt pour sauver cette ville d’une entière destruction. Un parti d’environ 500 sauvages était sur le point d’attaquer cette place. Les habitants de la ville, encouragés par ce secours inattendu, se joignirent aux troupes. Le combat qui s’engagea alors fut long et sanglant, et la victoire fut longtemps contestée. Les sauvages eussent certainement battu les Anglais, n’eût été le feu continuel de plusieurs pièces de canon, habilement dirigé sur eux par les gens de la ville, et qui faisait un terrible ravage dans leurs rangs. Ayant perdu plus de la moitié de leurs guerriers, les sauvages furent forcés de céder et de prendre la fuite, après avoir fait éprouver une grande perte aux Anglais[21].

Le trois Septembre, Talcott recommença ses excursions avec un renfort de nouvelles troupes et un parti de 100 Mohicans, commandé par le Chef Onéco[22]. Le 5, il découvrit un parti de 300 à 400 sauvages, campé au pied d’une éminence. Il fit cerner ces sauvages, et les attaqua à la fois de toutes parts. Ceux-ci, quoiqu’attaqués à l’improviste, se défendirent courageusement, et firent essuyer à leurs ennemis des pertes considérables ; mais, accablés par le nombre, ils succombèrent, et furent tous massacrés, ou faits prisonniers, parcequ’il leur était impossible de fuir. Ce parti de sauvages était commandé par une sauvagesse, qui fit preuve d’un courage extraordinaire[23].

Dès que le combat fut terminé, les prisonniers furent mis à mort par les Mohicans, sur le champ de bataille même, et en présence des Anglais, qui parurent approuver les horribles supplices que l’on fit subir à ces malheureux [24].

Quelques jours après, tous les sauvages qui restaient encore dans les environs de Plymouth allèrent se constituer prisonniers. Le 15, le major Bradford en surprit 150 près de Pautuxet, et les fit prisonniers ; parmi eux, se trouvait la femme de Philippe. Le lendemain, il en attaqua 150, près de Dedham, et les défit complètement. Quelques jours après, plus de 200, pressés par la famine, se rendirent aux Anglais [25].

À cette date, la destruction des sauvages de la Nouvelle-Angleterre était complète. Mais la vengeance des Anglais n’était pas encore satisfaite, il lui fallait de plus la tête de Philippe, qui jusqu’alors avait été insaisissable. On envoya des espions dans toutes les directions, pour découvrir l’endroit où il s’était réfugié. Enfin le gouverneur fut informé, le 20 Octobre, qu’il était caché dans un marais, près de Mount-Hope, avec une centaine de ses guerriers.

Alors le capitaine Church fut envoyé, avec un détachement de troupes et un parti de Mohicans, pour détruire ce terrible ennemi. Church arriva, le 27, au lieu de la retraite de Philippe. Il fit cerner le marais, pour empêcher l’évasion de l’ennemi, et l’infortuné Chef fut impitoyablement massacré avec ses guerriers. Sa tête fut apportée au gouverneur de Boston [26].

C’est ainsi que les Anglais assassinèrent lâchement celui qui, par sa seule influence, avait conservé, pendant près de trente ans, les colonies de la Nouvelle-Angleterre. C’est ainsi qu’ils firent périr le fils de Massasoit, qui leur avait rendu de si importants services, pendant dix-sept ans.

La plupart des sauvages qui échappèrent à la destruction s’enfuirent, et émigrèrent vers l’Ouest. Aujourd’hui, l’on rencontre dans l’Ouest quelques petites bourgades qui ont le même langage que les Abénakis du Canada. Ces sauvages sont probablement les descendants des restes des malheureuses tribus de la Nouvelle-Angleterre.

Cependant, l’on vit encore des sauvages dans la Nouvelle-Angleterre longtemps après cette guerre d’extermination. Cent ans après, on en comptait de 900 à 1,000, qui étaient des descendants des Mohicans et des prisonniers. Ces sauvages sont tous disparus aujourd’hui.

Les Mohicans, toujours protégés par les Anglais, ont subsisté plus longtemps que les autres sauvages. Il n’y a que peu d’années que le dernier des Mohicans a disparu.

Ces sauvages eurent toujours le plus grand respect pour la mémoire de leur célèbre Chef Uncas. Ce Chef avait choisi lui-même, près de Norwick, le lieu de sa sépulture. Il ordonna que ses restes seraient déposés en cet endroit, ainsi que ceux de tous ses descendants. Cette dernière volonté fut religieusement exécutée, et le dernier des Uncas fut inhumé au milieu des restes de ses ancêtres[27].

La destruction des sauvages de la Nouvelle-Angleterre est un fait de cruauté fort regrettable. En lisant le récit de ces affreux massacres, on se sent pénétré d’un sentiment d’horreur. Les colons de la Nouvelle-Angleterre agirent alors à l’égard de ces sauvages comme le font actuellement les Yankees des États-Unis à l’égard de ceux de l’Ouest. On sait que les Yankees donnent aujourd’hui la chasse aux sauvages, comme aux bêtes féroces, les poursuivant et les exterminant partout où ils peuvent les rencontrer, dans les vastes prairies de l’Ouest et dans les interminables forêts de l’Orégon.

Pour justifier les colons de la Nouvelle-Angleterre de ces actes de barbarie, on prétexte que les sauvages s’étaient révoltés contre eux. Mais on sait que les Anglais causèrent eux-mêmes cette révolte, ce qui est avoué par quelques historiens américains, et qu’ils lassèrent la patience de ces malheureux à force d’injustices, de persécutions, de mauvais traitements et d’insultants mépris. On peut donc dire que ces sauvages furent des victimes, immolées à l’orgueil et à l’ambition des Anglais.

Cependant, nous devons remarquer que les guerres ne furent pas la seule cause de destruction chez ces sauvages, car différentes épidémies, qui survinrent parmi eux, en firent périr un très-grand nombre. Ainsi, quelques années avant l’établissement des Puritains à Plymouth, une affreuse maladie, ressemblant beaucoup aux fièvres jaunes, fit disparaître plus de la moitié de leur population. De 300 sauvages, qui habitaient une petite île de Massachusetts, 250 moururent[28] ; il en fut à peu près de même pour les autres. Les sauvages étaient tellement effrayés par ces nombreux décès qu’ils fuyaient dans toutes les directions, sans donner la sépulture à leurs morts. Quelques années plus tard, les Anglais trouvèrent, sur le rivage et dans les forêts, les ossements de ces malheureux. En 1633, la petite vérole fit un affreux ravage parmi ces sauvages. On a calculé que leur population fut diminuée des deux tiers par ces différentes épidémies[29].

Ainsi, les épidémies et les guerres formèrent une longue suite de maux et de malheurs pour ces sauvages. Mais ils eurent un autre malheur, encore plus grand que ceux-là : ce fut de ne pas connaître la vérité. Comme ils furent toujours en relations avec les hérétiques, beaucoup embrassèrent le protestantisme. Des ministres protestants, Mayhew et Eliot, résidèrent au milieu d’eux. Eliot est considéré par les protestants comme l’apôtre de ces sauvages. Il passa un grand nombre d’années à voyager au milieu d’eux, et à leur lire la bible, qu’il avait traduite en leur langue[30].

Des P. P. Jésuites du Canada pénétrèrent jusque chez eux, en 1650, 1651 et vers 1660[31]. Mais ces voyages furent sans succès, car les sauvages étaient trop imbus des erreurs de l’hérésie.

Ainsi, ces infortunés n’eurent pas le bonheur de connaître la véritable religion, qui seule peut consoler dans le malheur. Ils étaient malheureux pendant toute leur vie, et mouraient sans consolations.

Leurs frères abénakis furent plus heureux. Ils eurent l’avantage d’avoir des relations avec les Français, qui leur procurèrent des missionnaires. Ils apprirent à prier et à servir Dieu, ce qui les rendait heureux, et les attachait aux Français. C’est ce qui fut bien exprimé dans une admirable réponse d’un Chef abénakis à un Anglais. Celui-ci, ayant demandé à ce Chef pourquoi les Abénakis avaient plus d’attachement pour les Français que pour les Anglais, en reçut cette réponse : « C’est parceque les Français nous ont appris à prier, tandisque les Anglais ne l’ont jamais fait » [32].

  1. Bancroft. Hist. of the U. S. vol. I. 423-426.
  2. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 66. 67.
  3. Le premier Gill qui soit venu en Amérique (l’ancêtre des Gill de Saint-François et de Saint-Thomas de Pierreville) prit part à cette action. Il était alors caporal dans la compagnie du capitaine Prentice. Au fort de la mêlée, il reçut une balle au côté, mais il n’en fut pas blessé : cette balle s’arrêta sur du papier très-fort qu’il avait eu la précaution de mettre sous sa capote. (Church’s Indian Wars, edited by Drake. 1839).
  4. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 68.
  5. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 69.
  6. H. Thrumbull. History of the Indian Wars. 70.

    Hubbard’s Indian Wars 188.

  7. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 73.
  8. Hubbard’s Indian Wars. 195.
  9. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 75, 76.
  10. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 76.
  11. Idem. 77.
  12. H. Thrumbull. hist. of the Indian Wars. 77.
  13. Idem. 78.
  14. Idem. 79.
  15. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 80.
  16. Idem. 81.
  17. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 84, 85.
  18. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. 1. 421.
  19. H. Thrumbull. Hist. of the Indian wars. 86.
  20. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 86, 87.
  21. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. 1. 429.

    H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 87.

  22. De « 8nôgo, » il se lève de courbé qu’il était.
  23. H. Thrumbull, Hist. of the Indian Wars. 88.
  24. Idem. 89.
  25. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 89, 90.
  26. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 92.
  27. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 112.
  28. H. Thrumbull. Hist. of the Indian Wars. 112.
  29. Idem. 111, 112.
  30. Bancroft. Hist. of the U. S. Vol. 1. 421. — S. G. Goodrich Pictorial Hist. of the U. S. 78, 79.
  31. Relations des Jésuites. 1651. 15. — 1652. 26.
  32. H. Thrumbull. Hist. of the Indian wars. 118.