Histoire des églises et des chapelles de Lyon/II/04

H. Lardanchet (vol. IIp. 111-140).

Chapelle des religieuses de Jésus-Marie, à Fourvière.

CHAPITRE IV

TRAPPISTINES. — SŒURS DES SACRÉS-CŒURS DE JÉSUS ET MARIE FRÈRES DU SACRÉ-CŒUR — RELIGIEUSES DE JÉSUS-MARIE — COMPASSION — RELIGIEUSES DE LA SAINTE-FAMILLE


O n sait que dans le courant du xviiie siècle, il se produisit un relâchement presque général dans les ordres religieux d’hommes et de femmes, en sorte qu’on trouvait dans les communautés plus de richesses que de pénitence. Témoins de cette décadence, des hommes pénétrés de l’esprit de Dieu en furent douloureusement impressionnés ; ils se groupèrent et résolurent de faire revivre parmi eux la règle de saint Benoît dans toute sa rigueur ; à cet exemple se formèrent également des monastères de femmes. Telle est l’origine de la réforme des Trappistes et des Trappistines, dont un monastère s’est fixé à Lyon.

TRAPPISTINES

La révolution de 1789 qui accumula tant de ruines en France, supprima, on le sait, les communautés et s’empara de leurs maisons. Les religieux qui voulurent rester ensemble durent chercher vin abri à l’étranger. Beaucoup se réfugièrent en Suisse, et là fut installé, à cette époque, le premier monastère des Trappistes.

Ces communautés restèrent en Suisse jusqu’en 1815, car les troubles qui accompagnèrent l’établissement du premier empire et qui suivirent sa chute n’étaient guère favorables au rétablissement des ordres religieux en France. Le calme se rétablissant, ils purent, après un exil de vingt-cinq ans, rentrer dans la mère patrie ; ils s’établirent pauvrement, comme ils le purent, car à la place de leurs anciennes maisons, ils ne trouvèrent souvent que des ruines.

Un certain nombre de Trappistines, n’ayant pas de maison pour se retirer, tournèrent leurs regards vers la ville de Lyon déjà renommée par sa charité et son esprit religieux. Elles étaient en cela dirigées par leur supérieur, Dom Augustin de Lestrange, homme d’un esprit élevé, dont il est nécessaire de rappeler ici brièvement la biographie.

Il naquit en 1704 au château du Colombier-le-Vieux, en Vivarais, et était le quatorzième enfant d’un officier de la maison du roi. Après ses premières études à Tournon, il vint suivre le cours de philosophie au séminaire Saint-Irénée de Lyon, et ses études achevées, il fut élevé au sacerdoce à l’âge de vingt-quatre ans. Ses premiers essais de travaux apostoliques eurent lieu à Paris, dans la paroisse Saint-Sulpice ; il s’y fît remarquer à tel point, qu’il fut bientôt appelé à la coadjutorerie de l’archevêché de Vienne. L’abbé de Lestrange ne se laissa pas prendre par les honneurs, mais courut échanger la haute dignité offerte avec les terribles austérités de la Trappe. Après une année de noviciat, il dit un adieu définitif au monde et prit le nom de dom Augustin. En 1791, il introduisit dans son couvent de la Valsainte, en Suisse, la réforme qui devait renouveler le monastère dans l’observance la plus étroite de la règle de saint Benoît. Choisi par les religieux comme abbé, il reçut du nonce, le 8 décembre 1794, un décret daté de Lucerne qui ratifiait l’élection et lui donnait tous les pouvoirs dévolus à sa charge par les nouvelles constitutions. Peu après, la Providence inspira à dom Augustin la pensée d’acheter, près de Saint-Maurice-en-Valais, une maison pour recevoir les religieuses qui, à la suite des persécutions, avaient dû quitter la France, livrée à la révolution.

Les premières y entrèrent en 1796, le jour de l’exaltation de la Sainte-Croix. Mais il fallut bientôt céder la place : la persécution gagnant la Suisse, moines et religieuses passèrent en Autriche, d’où ils ne tardèrent pas à être bannis, et de là se réfugièrent en Russie, puis en Danemark. Dom de Lestrange se rendit enfin en Angleterre, où il acquit près de Londres une maison, futur couvent de religieuses. On voit combien le vénérable réformateur cherchait à répandre partout la précieuse semence, qu’il avait recueillie et conservée intacte à travers tant de vicissitudes et de périls. En 1804, il fit un voyage à Rome pour les intérêts de son ordre réformé, et en rapporta divers induits ainsi qu’un bref de Pie VII en faveur du tiers ordre cistercien. L’année suivante, il se rendit en Espagne, où il faillit être assassiné ; de retour en France, Napoléon l’accueillit favorablement, et lui confia l’établissement du mont Genèvre, destiné comme celui du Saint-Bernard, à donner l’hospitalité aux voyageurs et l’étape aux soldats qui passaient en Italie. Le champ de Dom Lestrange s’agrandissait de jour en jour ; il allait pourtant connaître l’épreuve : poursuivi par Napoléon à cause de sa fidélité à Pie VII, qu’il avait visité à Padoue dans sa prison, le P. Augustin dut se réfugier en Angleterre, et passa de là en Amérique, où il fonda plusieurs maisons. À la chute de l’empire, il revint en France et y rétablit les Trappistines.

Le quartier des Deux-Amants en 1550. (D’après le plan scénographique de Lyon).

On pense qu’il va vivre en paix, point du tout : il ne tarda pas à se rendre à Rome pour se disculper d’odieuses insinuations lancées contre son gouvernement et tomba malade au mont Cassin en 1826. Dieu qui voulait lui donner la consolation de mourir au milieu de ses enfants lui rendit la santé, et le vénérable supérieur revint en France en 1827 ; ce fut pour s’éteindre peu après à Lyon, dans la maison de ses religieuses ; il était âgé de soixante-treize ans, et en avait passé quarante-sept à la Trappe. Les travaux apostoliques de dom Augustin s’étendirent, on le voit, aux contrées les plus lointaines. On se bornera à retracer ici l’histoire du couvent de Lyon qui fut une de ses premières fondations et qui lui tenait tant à cœur qu’il voulut y terminer ses jours.

À la Restauration, Dom Lestrange, après s’être assuré au préalable la bonne disposition des autorités civile et ecclésiastique, acheta pour ses religieuses une maison à Caluire, au prolongement du faubourg de la Croix-Rousse. Le 13 mai 1817, onze trappistines s’établirent dans cette maison à laquelle elles donnèrent le nom de Notre-Dame-de-Toute-Consolation.

Dans l’esprit de leur supérieur, cette maison ne devait être qu’un asile passager, en attendant des jours meilleurs. Le dénuement dans lequel la communauté se trouvait auparavant avait décidé Dom Lestrange à accepter ce premier refuge, faute de ressources, pour s’en procurer un plus confortable et plus conforme à ses desseins. En outre, par suite de l’entrée de quelques novices, on se trouva bientôt trop à l’étroit dans la maison de Caluire. Ce motif décida les religieuses, alors régulièrement constituées, à chercher ailleurs un asile plus propice. Une propriété située à l’extrémité du faubourg de Vaise, chemin des Deux-Amants, attira leur attention. Elle réunissait en effet toutes les conditions favorables : l’éloignement des bruits de la ville, de vastes bâtiments, quelques hectares de jardin ; enfin une source abondante alimentait la propriété. Le domaine fut acquis au prix de 70.000 francs, et le 18 mai 1820, exactement trois ans après leur arrivée à Lyon, les réparations achevées, elles s’y installèrent.

La fondatrice de la communauté dont elle fut longtemps supérieure, appartenait à l’une des plus nobles familles de la Bohême, celle de Spandal, dont plusieurs membres avaient rendu des services signalés à l’empire, en qualité d’officiers dans l’armée autrichienne. Elle fit ses études dans un pensionnat dirigé par des religieuses Notre-Dame ; puis un premier noviciat ; toutefois, sentant en elle le désir d’une vie plus parfaite et plus mortifiée, elle fut poussée à entrer aux Clarisses. Là n’était point encore sa vocation ; lorsqu’elle connut la règle de Saint-Benoît, elle décida d’entrer dans un monastère de cet Ordre, parce que c était la règle qui correspondait le plus parfaitement à ses désirs de mortification et de vie austère. Telle fut la raison de son entrée chez les Trappistines.

Aux côtés de cette supérieure se trouvait une autre femme de grande qualité, à qui il est juste de consacrer ici une mention spéciale : sœur du Saint-Esprit, qui joua un rôle important dans l’organisation du monastère de Vaise, avant le départ pour Maubec. Elle était née à Lyon en 1756 et sa famille portait le nom d’Allard : c’était une femme remarquable par son intelligence et sa sagesse, aussi bien que par les vertus religieuses qu’elle pratiquait à un degré peu commun. Elle était allée en Suisse, pour entrer dans le couvent des Trappistines : après leur établissement à Lyon, elle dirigea comme Supérieure le monastère de Vaise, et sut lui procurer des ressources en utilisant les relations qu’elle avait conservées dans sa ville natale.

La communauté, maintenant pourvue d’un local plus vaste et mieux aménagé, augmentait d’année en année par l’admission de nombreuses novices, si bien qu’en 1834, le nouveau local était déjà devenu trop étroit, et les religieuses, à leur grand regret, s’étaient vues dans la nécessité de refuser plusieurs postulantes. On résolut alors de quitter Vaise dès qu’on aurait trouvé ailleurs un emplacement répondant aux besoins nouveaux de la communauté. Des recherches dans ce but furent tentées dans la Loire et la Haute-Loire, mais sans résultat. D’un autre côté, près de Montélimar, à Maubec, un vaste domaine à flanc de colline et planté en partie d’arbres fruitiers fixa leur choix et le domaine fut acheté. Dès lors, une partie des religieuses de la maison de Lyon alla s’établir dans la nouvelle résidence, les autres devant les y rejoindre à mesure que le local serait prêt à les recevoir.

C’en était donc fait, ce semble, du monastère de Vaise, appelé ainsi à disparaître sous peu ; il n’y resta bientôt plus que deux ou trois religieuses pour surveiller le matériel ; la propriété même était déjà mise en vente. Pourtant les Lyonnais qui, par leurs aumônes, avaient contribué à la fondation de la communauté, s’émurent de ce départ ; un groupe fut député à l’archevêché, pour faire valoir les réclamations. Mgr de Pins reconnut la justesse de la protestation et promit d’y donner suite. Grâce à ses démarches, le monastère de Vaise ne fut pas abandonné : en 1837, arriva de Maubec une religieuse, suivie bientôt de six sœurs converses, et, l’année suivante de quatre autres religieuses qui repeuplèrent l’ancien monastère. On nomma une supérieure pour diriger la nouvelle communauté ; dès lors, la séparation fut accomplie et les deux monastères eurent chacun leur existence propre et indépendante.

Cependant, la petite communauté laissée à elle-même ne tarda pas à s’accroître. Dans le courant de 1838, passa à Lyon une communauté de Trappistines se rendant à Maubec, et sept d’entre elles, à la demande de la communauté de Vaise, vinrent s’y fixer. D’ailleurs, des postulantes se présentaient chaque jour, si bien qu’en 1848, on retrouve la communauté aussi nombreuse qu’avant l’émigration de Maubec.

Les troubles qui suivirent l’établissement de la seconde république, faillirent être fatals aux Trappistines ; les désordres qui se produisirent dans toute la France furent particulièrement graves à Lyon, parce que, en plus des partis politiques qui se disputaient le pouvoir, l’agitation fut compliquée de la grève des ouvriers en soie, dits Canuts, qui formaient une bonne partie de la population, et vinrent grossir les rangs des insurgés. Ce n’est pas ici le lieu de raconter les désordres sanglants qui se produisirent, ni les dégâts matériels qui furent commis. Le monastère des Trappistines fut envahi par une populace, composée d’hommes armés et de femmes furieuses et avinées ; les bâtiments furent mis au pillage. On peut juger facilement de l’effet produit sur les pauvres sœurs, par cette populace hideuse et repoussante, avide de dévastation. Malgré les précautions prises, les envahisseurs découvrirent la salle des métiers à tisser, seule ressource de la communauté. En un instant, les métiers furent mis en pièces et les débris lancés par les fenêtres. Les émeutiers se retirèrent à la nuit sans cependant accomplir leur menace de mettre les religieuses dehors et d’incendier la maison, ce qu’ils firent en d’autres endroits. Bien qu’éprouvée, la Communauté ne fut cependant pas dispersée ; seule, parmi celles qui existaient alors à Lyon, elle eut l’heureux privilège de rester intacte dans sa solitude.

Les religieuses, dénuées de tout secours, eurent dans la suite l’heureuse idée d’acheter des métiers à broder ; ils leur furent d’un grand secours pour parer aux besoins matériels de la communauté. Pour se procurer des religieuses, on établit un Pensionnat où l’on recevait des orphelines et des enfants de familles moyennes, pouvant payer une légère pension. Ce n’était point déroger à la règle, puisque c’est un usage établi chez les Trappistines, de recevoir quelques orphelines, libres ensuite de rester dans la Communauté ou de rentrer dans le monde. Le pensionnat a existé de longues années et a acquis une certaine prospérité ; sa suppression date de 1879.

La vitalité de la communauté s’affirma d’années en années, si bien qu’en 1852, on songea à essaimer. Dans ce but, on envoya cinq religieuses et quelques novices fonder un monastère du même ordre à Espirat, près de Perpignan, dans une propriété donnée à la congrégation par une généreuse famille du pays. Le petit noyau ne tarda pas à se grossir de nouvelles arrivantes : en 1860, on terminait les somptueux et vastes bâtiments destinés à abriter les sœurs, de plus en plus nombreuses. Pour compléter l’histoire du monastère de Vaise, il reste à signaler la transformation et la reconstruction du couvent sur de plus grandes proportions et dans de meilleures conditions hygiéniques. Le monastère tel qu’il existe de nos jours date de 1854 ; dépourvu de tout ornement, ses belles proportions, ses lignes régulières n’en font pas moins un édifice imposant. On reconstruisit successivement, d’année en année, le dortoir, le réfectoire, le vaste atelier de broderie ; l’église enfin fut édifiée sur un plan plus vaste.

Telle est, dans ses grandes lignes, l’histoire du monastère des Trappistines de Lyon. Pour se rendre compte de la vitalité de la communauté, il suffit de comparer les débuts où onze religieuses habitaient un local pauvre et à peine suffisant, avec le couvent de 1900, composé de plus de cent personnes vivant dans de vastes locaux ; sans compter que la communauté de Vaise a donné naissance à deux autres couvents, ceux de Maubec et d’Espirat : fondations qui ne l’ont point affaibli, mais qui, au contraire, ont, à la longue, augmenté sa fécondité.

La chapelle des Trappistines est complètement abandonnée depuis le départ des religieuses. Elle a été achetée, ainsi que les bâtiments, par un distillateur qui a tout transformé à son usage. À l’extérieur la chapelle est surmontée d’un petit dôme. À l’intérieur elle est de dimensions plutôt exiguës pour la partie réservée au public. L’autel faisait face au chœur des religieuses, et il était vu de profil par le public. Il est de pierre et très simple, comme ornementation, le tabernacle est surmonté d’une niche de même matière. La chapelle est éclairée d’un seul vitrail sans valeur. À gauche, en face de l’autel, la grille des sœurs séparait la chapelle du chœur des religieuses. On y voit encore la double rangée de stalles en bois sans ornementation.

RELIGIEUSES DES SACRÉS-CŒURS, DITES DE LARAJASSE

Il est parfois des problèmes insolubles dans la vie des communautés comme dans celle des individus. Pourquoi, par exemple, la Providence appelle-t-elle à la vie active certaines âmes qui, jusque-là, avaient eu une autre vocation. On en voit un exemple frappant dans la vie de Mme Targe, fondatrice des religieuses des Sacrés-Cœurs. Elle appartint pendant de longues années à la communauté des Dames du Sacré Cœur de Jésus et de Marie, dites de Picpus à Paris. Sous la conduite d’un pauvre curé de campagne, rempli du zèle de Dieu, cette digne personne et ses compagnes n’hésitèrent pas à quitter leur ancienne communauté et la modeste demeure qu’elles occupaient, pour se confier pleinement au directeur de leur âme : de là naquit un nouvel institut qui s’est promptement développé et possède de nos jours écoles et orphelinats.

Ces deux personnes de bien firent connaissance tout à fait par hasard, il vaut mieux dire providentiellement. Mme Targe, supérieure de la communauté du Sacré-Cœur à Saint-Martin-la-Plaine, revenant de Montbrison avec sœur Félicité s’arrêta à la Rey, chez M. Dugas, près de Saint-Galmier ; elles y couchèrent, et le lendemain, en sortirent pour retourner chez elles. M. Dugas leur donna un conducteur pour leur montrer le chemin, qu’elles ne connaissaient pas. Celui-ci, qui n’était pas du pays, les égara, en sorte qu’après avoir fait divers circuits, elles arrivèrent, sans le savoir, à Larajasse, la nuit presque close. Leur premier soin fut d’entrer à l’église pour remercier Dieu ; on y récitait les litanies du Sacré-Cœur, ce qui les remplit de consolation. Elles demandèrent l’hospitalité il M. Ribier, curé de la paroisse, qui les accueillit de son mieux. Mme Targe, confiante dans le digne prêtre, lui fit part des raisons qu’elle avait de quitter Saint-Martin, et M. Ribier, enchanté de faire la connaissance des sœurs, assura qu’il serait heureux d’avoir une communauté du Sacré-Cœur à Larajasse. Quelque temps après, se trouvant à Saint-Martin-la-Plaine, il eut occasion de revoir la digne supérieure, qui lui témoigna son désir de venir se fixer à Larajasse.

Chapelle des religieuses des Sacrés-Cœurs, rue de l’Enfance.

Avant de promettre à la supérieure de la recevoir dans sa paroisse, M. le Curé fit des prières, célébra des messes, et prit conseil de plusieurs prêtres respectables et influents, parmi lesquels M. Besson, curé de Saint-Nizier, M. Linsolas, ancien vicaire général, et M. Peyrat, curé de la Guillotière ; tous furent unanimes à approuver un tel dessein. Il restait pourtant de nombreux obstacles ; M. Ribier demanda à Dieu de rendre insurmontables les circonstances qui semblaient s’opposer à l’établissement des sœurs à Larajasse, si ce n’était pas sa volonté qu’elles y vinssent. Quelle fut sa surprise de voir les obstacles disparaître avec une facilité étonnante, ce qui le remplit de confiance en pensant que la volonté de Dieu se manifestait d’une manière bien marquée. Il fallait surtout obtenir la permission de l’autorité ecclésiastique ; le digne curé s’en ouvrit à M. Rochard, vicaire général, qui agréa la nouvelle communauté et lui donna le nom de Providence du Sacré-Cœur. Enfin, le 4 août 1820, Mme Targe, accompagnée des sœurs Marie, Pélagie et Louise, se rendit à Larajasse et vint occuper une partie du château de M. de Savaron, situé dans le village. Un an après leur arrivée, la supérieure fit connaître à M. le Curé, les propositions qu’on lui faisait d’acheter la maison Néel ; l’acquisition semblait onéreuse, mais elle procurait l’avantage de se trouver au centre du bourg, ce qui serait précieux pour les enfants des écoles ; mais surtout on trouvait par là la facilité d’établir une communication entre la maison et l’église par une galerie aboutissant à une petite tribune, ce qui procurait le moyen d’ériger l’adoration perpétuelle. L’acquisition se fit chez M. Molière, à Saint-Symphorien, le 8 août 1821 ; mais Mme Targe ne devait entrer en jouissance de cette maison que le 8 novembre 1822. Un détail intéressant trouve ici sa place ; la maison Néel avait abrité, pendant la Révolution, des prêtres cachés ou de passage venus pour célébrer les fonctions du culte ; aussi la Providence avait-elle protégé l’immeuble et ses habitants contre les fureurs de l’impiété ; on conçoit combien il était consolant, pour la communauté naissante, d’occuper une maison où le sacrifice divin avait été célébré plusieurs années.

Il ne sera pas sans intérêt de relater ici le nom des religieuses qui formaient le premier noyau de l’institut ; ce sont, les sœurs Gésarine de la Croix, Targe, Louise Granjon, Pélagie Messy, Thérèse Vernay, Arine-Marie Molle, V. Orcel et Euphrasie Néel.

Le bon curé songeait constamment à orner la modeste chapelle de sa communauté ; le 6 janvier 1823, il fit don d’une insigne relique de la vraie croix, ce qui donna lieu à une touchante cérémonie. Après une courte instruction, les sœurs, avec des cierges, précédaient le clergé en chantant ; arrivées dans la chapelle intérieure, M. Ribier déposa la précieuse relique, bénit les sœurs avec la vraie croix : puis on fit l’adoration en baisant respectueusement la relique.

La communauté vivait pauvrement, mais elle se confiait pleinement en la Providence, comptant sur la promesse de celle-ci, de rendre le cent pour un. Un jour, M. Ribier reçut une pièce d’or de vingt-quatre livres pour servir de « pierre fondamentale aux constructions et aux dépenses que les sœurs du Sacré-Cœur étaient obligées de faire pour élever et soutenir leur établissement ». La donatrice priait M. le Curé de « bénir cette pièce de monnaie, de la joindre au pain de bénédiction, qui fut béni lors de l’installation des sœurs dans leur maison, et d’en faire hommage à la sainte Vierge ».

Le 8 novembre de la même année, M. Ribier établit dans la communauté l’adoration perpétuelle. À ce moment, elle se composait de dix-huit religieuses, ce qui indique combien l’institut avait déjà prospéré ; avec ce nombre, il était possible de fonder une œuvre durable. Le digne curé le comprit, et pensa que l’Adoration serait pour les sœurs une source de progrès spirituels.

Peu après, la communauté devait recevoir un singulier encouragement dans la visite de monseigneur l’archevêque. Voici comment s’exprime à ce sujet le journal manuscrit du couvent : « Le 24 juillet 1824, Mgr Jean-Paul Gaston de Pins, archevêque d’Amasie, administrateur apostolique du diocèse de Lyon, ayant fait son entrée solennelle dans la paroisse de Larajasse, a eu la bonté de visiter notre communauté ; Sa Grandeur était accompagnée de MM. Baron et de Linsolas, ses grands vicaires, de MM. Vuillerme, curé de Saint-Nizier, Neyrat, curé de la Guillotière, Ribier, curé de Larajasse, noire supérieur, Colomb, vicaire de Larajasse, Delphin et Goubier, missionnaires, et de plusieurs autres prêtres respectables. En entrant. Monseigneur a donné sa bénédiction à toutes les sœurs, et l’une d’elles s’exprima ainsi : u Guidées par les sages règles que Votre Grandeur a bien voulu approuver, fortifiées par les bénédictions célestes, que votre bonté daignera répandre sur nous, en bénissant notre maison, nous marcherons de vertus en vertus jusqu’à la montagne de Dieu. » Monseigneur, après avoir adressé des paroles de consolation et d’encouragement, promit de venir le lendemain dimanche pour procéder à la bénédiction de la chapelle.

M. Ribier, curé de Larajasse (1762-1826.)

La communauté de Larajasse avait commencé modestement, mais le nombre des religieuses se multipliant, la supérieure songea sérieusement à s’établir à Lyon. Les circonstances allaient bientôt permettre de réaliser ce projet.

En 1845, M. l’abbé Colomb, neveu de M. Ribier, habitait une petite maison, rue de l’Enfance, 61, chez Mlle Maire, personne pieuse, qui le voyant sans abri, après de cruelles épreuves, l’avait retiré chez elle et s’efforçait par des soins affectueux, de lui faire oublier ses peines. Cet ecclésiastique qui avait été vicaire à Larajasse, et avait conservé de bons rapports avec la communauté, sachant que mère Thérèse désirait fonder un établissement à Lyon, lui proposa d’acheter la maison de M. Ducaire, rue de l’Enfance, 69, et d’y installer quelques-unes de ses filles, promettant de les protéger et de leur être utile. La supérieure agréa ce projet, fit l’acquisition de la maison, et y envoya trois religieuses, les sœurs Saint-Benoît, Ephrem et Placide. Celles-ci, par esprit de pauvreté, firent le voyage à pied, et prirent possession de la maison, où tout manquait. M. Colomb et Mlle Maire, pleins de charité, leur fournirent, pendant quelque temps, ce qui est indispensable pour vivre ; ils transformèrent une chambre en oratoire, aujourd’hui lingerie, y placèrent un confessionnal et un autel provisoire, et M. Colomb fut autorisé à être leur aumônier. Dès que mère Thérèse le put, elle envoya du renfort. M. Colomb était si heureux de cette fondation, qu’il proposa de faire disposer à ses frais un oratoire plus spacieux, dans une chambre, devenue maintenant la classe de la Providence. Un autel convenable y fut placé avec statues de la sainte Vierge, de saint Joseph et du Sacré-Cœur ; on mit aussi deux anges à l’entrée du sanctuaire, ceux mêmes que l’on porte à la chapelle à certains jours de fête, et on y établit définitivement l’adoration.

Les choses durèrent ainsi jusqu’en 1860. Pendant cet intervalle, un évêque des Missions Étrangères écrivit à l’abbé Colomb pour lui témoigner le désir de posséder quelques-unes des religieuses dont il était le père spirituel. La proposition fut transmise à mère Thérèse qui n’accepta pas ; une jeune novice, sœur Agnès, à qui M. l’aumônier fit directement la proposition de partir en mission, refusa également.

Sur ces entrefaites, les dames de Nazareth, qui habitaient la maison voisine, la quittèrent pour s’établir à Oullins ; l’immeuble laissé était spacieux, une partie était adjacente à celle que les sœurs du Sacré-Cœur habitaient, et séparée d’elles seulement par-un mur mitoyen. M. Colomb acheta la chapelle, et offrit à ses sœurs la partie des bâtiments la plus proche, à condition qu’elles feraient l’adoration dans la chapelle qui en faisait partie. La condition acceptée, on décida de prendre possession le jour de Noël, par la célébration de la messe de minuit. La veille de ce jour, les sœurs désiraient nettoyer et orner l’oratoire, mais l’exprès envoyé à Oullins, pour demander les clés, se fit attendre longtemps. De l’avis de M. l’aumônier, on se décida à faire un trou dans le mur tout près de la cuisine et de pénétrer dans l’intérieur de la maison par cette ouverture. On dressa promptement un autel provisoire, car les dames de Nazareth avaient emporté le leur, et à minuit tout fut prêt. À dater de ce jour, les sœurs furent installées dans cette chapelle et y firent l’adoration.

Des difficultés allaient pourtant surgir. Quelque temps après, M. Colomb établit la confrérie des Cinq Plaies de Notre-Seigneur, et fonda une association de dames, devenue depuis la congrégation des chanoinesses Saint-Augustin. Elles occupaient les bâtiments des dames de Nazareth, non utilisés par les sœurs du Sacré-Cœur. Ces dernières jouissaient de la chapelle, les premières faisaient leurs exercices dans un appartement situé près du sanctuaire et servant de chœur ; elles avaient en outre une petite tribune pour l’adoration de la nuit. Les choses durèrent ainsi jusqu’en 1870, où les supérieurs firent des démarches à l’archevêché pour obtenir la séparation des deux congrégations. Mère Xavier, qui avait succédé à sœur Thérèse, s’entendit dans ce but avec M. Pupier, curé de Saint-Paul à Lyon, tout dévoué à la communauté des Sacrés-Cœurs, et tous deux s’adressèrent à monseigneur l’archevêque, qui approuva leur projet. Pour loger, il restait les bâtiments, dont mère Thérèse avait fait l’acquisition, mais ils étaient insuffisants ; on fut obligé de faire coucher à la grange les orphelines qu’on avait recueillies l’année précédente ; d’autre part, la modeste salle qui abritait les vingt-cinq religieuses était fort délabrée. Mère Xavier comprit qu’on ne pouvait rester dans cette situation ; de lavis du supérieur, elle se décida à faire réparer les bâtiments qui menaçaient ruine, et à en faire construire de neufs. On commença le 16 août 1870, à bâtir l’écurie et on continua pendant sept ans, avec des alternatives de ressources et de pauvreté ; on acheva de la sorte l’édifice et la chapelle dont il reste à donner une description détaillée.

L’église a été commencée en 1872 et consacrée le 8 juillet 1876, par Mgr Thibaudier, évêque nommé de Soissons. De style gothique, elle comprend une seule nef, une abside de quatre travées et une tribune. Les travées sont divisées par d’élégants arceaux reposant sur des colonnettes. Le maître-autel de pierres blanches, se compose d’une table reposant sur quatre colonnes ; il est décoré d’un bas-relief représentant Notre-Seigneur enseignant, accompagné de deux anges. Au-dessus de l’autel se trouve un retable orné de deux colombes, d’épis et de raisins. La porte du tabernacle simule une muraille. Le chœur est décoré d’une peinture représentant le Christ et de deux statues : saint Joseph et saint Benoît. À l’entrée de la nef on a placé deux autres statues, représentant, l’une, Notre-Dame de Pellevoisin et l’autre saint Benoît.

Le chœur et la nef sont éclairés par des vitraux qui méritent l’attention. Dans le chœur les sujets sont doubles et représentent : sainte Catherine de Sienne et saint François d’Assise ; saint Pierre et saint Paul ; Notre-Seigneur et le Cœur Immaculé de Marie ; saint Joseph et sainte Thérèse ; saint Étienne et saint Amédée. Dans la nef, les huit vitraux sont formés de grisailles.

À gauche et à droite, deux petites chapelles complètent la grande nef, elles sont dédiées, l’une à Notre-Dame de Pellevoisin, l’autre à saint Benoît. Le premier de ces autels est de pierre ; il est décoré au-devant de cinq arcades et au-dessus d’un retable avec anges adorateurs. L’autel du Sacré-Cœur possède une statue sous ce vocable ; il est orné d’un bas-relief représentant également le Sacré-Cœur. Au fond de la nef est construite, comme on l’a dit, une vaste tribune supportée par trois arcs et fermée au-dessous par une grille de pierre sculptée. Il importe de mentionner les boiseries des stalles qui ne sont pas sans intérêt.

À la sacristie, on conserve deux reliquaires contenant des parcelles de la vraie croix et de la couronne d’épines. Un ancien aumônier de la Communauté, M. Renaud, a laissé à la chapelle un calice en or, style du xviie siècle, ainsi qu’un bel ornement rouge, dont on se sert pour les fêtes.

FRÈRES DU SACRÉ-CŒUR

La parole adressée par Dieu à Abraham : « Ta postérité sera aussi nombreuse que les étoiles au ciel », pourrait vraiment s’appliquer aux innombrables communautés d’hommes et de femmes fondées, en France, dans le courant du xixe siècle. Nous en avons déjà cité un grand nombre ; d’autres suivront dans le cours de ce volume. Présentement, nous allons étudier deux de ces congrégations : celle des Frères du Sacré-Cœur et celle de Jésus-Marie, toutes deux vouées à l’enseignement et toutes deux fondées par une prêtre éminent, natif de notre ville, dont on va retracer, à grands traits, la biographie, abrégé de l’histoire complète écrite par l’un de ses fils spirituels, qui a mis en relief la force et la douceur du fondateur, cette audace et cette patience qui lui méritèrent les succès de l’apostolat.

André Coindre naquit à Lyon, le 26 février 1787, sur la paroisse Saint-Nizier, de parents qui s’employant à un honnête commerce, en avaient tiré quelque aisance. Les temps étaient difficiles à la religion : l’enfant les traversa sans y faillir, grâce à sa mère. Doué d’un cœur ardent, d’une humeur vive, d’un caractère entier, il sut tourner vers Dieu son énergie. Instruit à l’école cléricale de la paroisse, protégé par M. Besson, curé de Saint-Nizier, puis évêque de Metz, l’enfant fut reçu au séminaire de L’Argentière, y fit de bonnes études, y développa sa piété, et y reçut la tonsure, le 20 avril 1800, des mains de Mgr Canoveri, évêque de Verceil. Le 1er novembre 1809, il entra au séminaire Saint-Irénée de Lyon, reçut l’année suivante les quatre ordres mineurs, puis le 28 mai 1811, le sous-diaconat, le lendemain, le diaconat des mains de Mgr Simon, évêque de Grenoble ; enfin le 14 juin 1812, le cardinal Fesch l’ordonnait prêtre.

On sait que les Sulpiciens avaient été, au début de 1811, remplacés au séminaire de Lyon par des prêtres séculiers. L’un de ces derniers était M. Bochard, ex-curé de Bourg, qui, après quelques mois seulement de professorat, devint vicaire général du cardinal Fesch ; ces quelques mois lui avaient pourtant suffi à apprécier les solides vertus du jeune abbé Coindre, et sa réelle aptitude à la prédication. Il l’envoya à son ancienne cure, en qualité de premier vicaire. M. Coindre y resta jusqu’en 1815, sous la direction du curé, M. Chapuis, ayant pour collègue en vicariat l’abbé Ronat, prêtre distingué, plus tard curé de la primatiale de Lyon, évêque de Gap, enfin de Verdun. Quant à Coindre, s’il l’eût voulu, ou si seulement il se fût laissé faire, il serait promptement arrivé aux honneurs. En 1813, encore simple vicaire, il fut appelé à Lyon, par l’archevêque, de préférence à vingt prédicateurs de renom, pour y prononcer un difficile discours, à la gloire des armées françaises, discours rendu obligatoire par un décret du 19 février 1806, à toute chaire de l’Église de France, en mémoire du couronnement de l’empereur et de la bataille d’Austerlitz ; il s’en tira habilement, sans flagornerie tout ensemble. Ce qui mieux est, sa parole avait une singulière efficacité de conviction, parce qu’il la puisait dans son propre cœur. La Providence l’avait d’ailleurs abondamment pourvu de moyens naturels : voix extraordinaire d’étendue, de force soutenue et de pénétration. Par là méritait-il déjà qu’on le saluât comme un second Bridaine, et pourtant il avait à peine vingt-sept ans. À la fin de 1813, sur les instances de M. Bauzan, il entra à la communauté des Chartreux ou missionnaires diocésains de Lyon.

Après la première dissolution de la société par le gouvernement, il fut pressé de se rendre à Paris, pour y jeter avec Forbin-Janson, Sambucy, Frayssinous etQuélen, les fondements de la compagnie des missionnaires de France. Cette fois encore, il se déroba aux circonstances, qui frayaient à son amour-propre un si beau chemin, et demeura dans la cité de saint Pothin, prêchant sans relâche dans la ville et aux alentours, et multipliant les conversions.

Le Puy, notamment, a gardé le souvenir de ses sermons, où il commentait, par un jaillissement d’heureuses images, les paroles évangéliques. À Anse, à Saint-Étienne, il obtenait des chrétiens qu’au son de la grosse cloche, ils tombassent à genoux, pour violenter le ciel en faveur des impénitents.

Le panégyrique de saint Bonaventure fut l’apogée de son talent. Quel dommage qu’il écrivît peu, qu’il n’usât que de notes, de plans abrégés, pour préparer ses prodigieux « prêches de victoires », comme disait le bon peuple. Mais encore ne voulait-il de ce prestige sur les foules que comme un instrument de charité, suivant ses propres paroles, auxquelles il ajoutait celles-ci : « on doit prêcher pour secourir, et non pas seulement pour persuader » ; simples paroles qui en disent long sur les visées intimes de cet apôtre. Ces triomphes oratoires auraient pu, avons-nous dit, conduire M. Coindre aux honneurs ; il préféra convertir le peuple, et se donner à des œuvres humbles et pratiques. En parlant des religieuses de Jésus-Marie, nous raconterons comment, en 1817, il institua une Providence de quinze enfants dans une cellule des anciens Chartreux installée en 1818, sur le cours des Tapis, dans un local plus vaste et mieux aménagé. Il se sentait en plein dans sa vocation. Il avait également fondé une œuvre dite le Pieux-Secours, placée dans une maison et un vaste enclos au quartier des Chartreux, au-dessus du fort Saint-Jean, aujourd’hui cours des Chartreux, n° 1. L’année suivante, cette maison devint le berceau des frères du Sacré-Cœur, dont les débuts furent modestes et difficiles, mais que la Providence bénit ensuite avec abondance.

Chapelle des frères du Sacré-Cœur, aux Chartreux.

Le P. Coindre constatait que les surveillants et contre-maîtres séculiers du Pieux-Secours, qui donnaient l’enseignement aux enfants, et apprenaient des métiers aux adolescents ne répondaient pas suffisamment à ses vues. Il demanda à quelques-uns s’ils se donneraient volontiers au service de Dieu, avec une règle et un costume religieux. Il s’en trouva un seul, Guillaume Arnaud, qui répondit par un oui très affirmatif. Peu après, Claude Mélinand, touché de la grâce pendant une retraite que donnait le P. Coindre à Belleville, s’offrit spontanément. Telles furent les deux premières pierres de l’édifice. La Providence lui fit ensuite trouver toute une colonne à la fois, racontait-il familièrement. À Valbenoite, près de Saint-Étienne, dans un local appartenant au curé, M. Ronchon, sept jeunes gens vivaient dans une parfaite union, du fruit de leur travail. Le P. Coindre s’ouvrit à eux de son dessein d’une congrégation appliquée à l’éducation de l’enfance. Ils se rendirent aux Chartreux, se mirent en retraite avec leurs deux aînés dans la congrégation, entendirent la messe du P. Coindre à Fourvière, le 30 septembre 1821 : ce fut le jour de naissance des Frères du Sacré-Cœur. L’actif fondateur leur donna pour guide la règle de saint Augustin et les constitutions de saint Ignace, en attendant des règlements particuliers, que l’expérience dicterait : « Pensez, disait-il, que Dieu a rais six jours k démêler le chaos. » Leur premier costume fut à demi-séculier : une lévite noire, un carrick de même couleur, et un chapeau à haute forme. Trois ans plus tard, en septembre 1824, à Monistrol, ils prirent un nouvel habit, mieux adapté à l’austérité de la vie religieuse, et qui n’a que peu varié.

Nous avons nommé Monistrol, ce fut dans cette petite ville de la Haute-Loire que s’établit le noviciat des Frères du Sacré-Cœur. Le diocèse du Puy n’était pas encore restauré, et Monistrol, dépendait alors de Saint-Flour, dont l’évêque, Mgr de Salomon-Francose, était l’ami dévoué du P. Coindre, et protégea de tout son pouvoir l’œuvre à ses débuts. Mgr de Donald, premier évêque du Puy, siège restauré en avril 1823, continua sa protection. À la même époque les sœurs de Jésus-Marie rejoignirent les Frères du Sacré-Cœur à Monistrol, puis en 1825, elles se fixèrent au Puy. Le P. Coindre n’avait pas renoncé à ses missions, bien qu’il eût quitté la société des Missionnaires diocésains de Lyon, merveilleux séminaire d’évêques, qui produisit les Donnet, les Mioland, les La Croix d’Azolette, les Lyonnet, les Cœur, les Dufêtre. Jamais l’abbé Coindre n’avait tant remué les populations du Velay : il osait toutes les industries du zèle évangélique, plantait des croix, prêchait au grand air devant des multitudes enthousiastes flanquées du notaire et du maire, présidait des tribunaux de réconciliation pour arranger les différends de conscience en dépit des sarcasmes des incrédules.

Il n’était donc que rarement présent au milieu de ses frères, qui ne purent garder leur ferveur, et se développer que par miracle dans cette singulière condition de religieux séparés de leur supérieur. Une pire épreuve les attendait ; le P. Coindre, après s’être adonné à plusieurs missions fructueuses dans le centre de la France, ne put se soustraire à l’amitié impérieuse de l’évêque de Blois, Mgr de Sauzin, qui le garda à ses côtés, en le nommant supérieur de son grand séminaire et vicaire général. Après une dernière mission au Puy, un dernier voyage à Monistrol, où il quitta ses frères pour ne plus revenir, au début de février 1826, non sans avoir transmis la direction de sa congrégation à son frère, l’abbé Vincent Coindre, aumônier du Pieux-Secours depuis quelques années. Les Frères du Sacré-Cœur occupaient alors les maisons de Pradelle et de Montfaucon (Haute-Loire), de Saint-Symphorien de Lay et de Neulize (Loire), de Fontaine (Rhône), fondées en 1825, et celles de Vais, de Blesle (Haute-Loire) et de Murât (Cantal), fondées au cours de cette même année 1826.

L’abbé Vincent Coindre, prêtre simple et droit, avait la manie de bâtir ; il faillit ainsi se ruiner et ruiner l’institut ; il démissionna le 20 août 1841 et eut pour successeur le frère Polycarpe.

Aujourd’hui, par suite de la brutale expulsion des communautés, les frères du Sacré-Cœur se sont vus obligés de se réfugier à l’étranger ou de subir une sécularisation à laquelle ils n’étaient point préparés. Leur collège florissant de Lyon fut dispersé et les bâtiments vendus. L’œuvre pourtant ne devait point périr : des pères de famille, anciens élèves de la maison, ont reconstitué l’établissement sous le nom de pensionnat Saint-Louis ; ils ont loué les bâtiments et les élèves sont revenus nombreux dans les classes un instant désertées. La chapelle a repris son aspect d’autrefois, et rien ne paraît changé.

Elle s’ouvre au milieu des édifices du pensionnat, cours des Chartreux n° 1. Quoique d’aspect modeste, elle est suffisamment vaste pour contenir la nombreuse assistance des élèves et de leurs parents. L’autel, par une singularité peu commune, est de fonte peint en blanc avec ornements dorés, il est décoré, sur le devant, des cœurs de Jésus et Marie dorés sur fond bleu ; au retable brillent de petites croix. Derrière l’autel, tout au fond, se trouve une statue du Sacré-Cœur dans une niche du style grec. Sur la paroi du fond sont peintes deux fresques exécutées par F. Péreyron en 1892 ; l’une représente Jésus bénissant les enfants, l’autre, Jésus au milieu des docteurs. Dans le chœur, à droite et à gauche, s’ouvrent deux petites niches contenant des statues de bois peint ; l’une représente saint Joseph portant l’Enfant Jésus, l’autre, vis-à-vis, la Vierge Immaculée. La nef, plafonnée, est peinte d’ornements divers, qui ont malheureusement souffert. Au-dessus du chœur, on a représenté dans la voûte le Saint-Esprit au milieu d’une gloire. Les murs de la nef sont également décorés d’ornements avec des gerbes d’épis. Entre chaque ouverture on a placé, comme dans le chœur, sous un arceau, les statues, à droite, de saint Louis de Gonzague, saint François-Xavier et saint Ignace ; à gauche, de saint Stanislas portant l’Enfant Jésus et de saint François de Sales.

La chapelle est éclairée par des baies dont plusieurs sont ornées de vitraux ; œuvre très remarquable, exécutée en 1900 par notre collaborateur, M. L. Bégule ; ils représentent : 1° saint Pothin et saint Irénée les vaillants fondateurs de l’église de Lyon ; 2° saint Épipode et saint Alexandre, jeunes étudiants martyrisés pour leur foi ; 3° sainte Blandine, la mère des chrétiens, menant au martyre et au ciel le jeune Ponticus. La difficulté des temps a fait renvoyer à une époque plus favorable le vitrail projeté et esquissé représentant Attale, colonne de l’église et Vettius Epagathus, avocat des chrétiens, modèles et protecteurs des anciens élèves. Dans la chapelle, il se trouve également quatre panneaux représentant les quatre évangélistes, don des élèves en 1894-95. Au fond, s’élève la tribune où se trouvaient autrefois les orgues, en dessous de laquelle on a placé trois verrières portant les monogrammes de la Vierge Marie et de saint Joseph, enfin un cœur dans un champ de fleurs et d’épis. Entre ces vitraux on a placé les statues de saint Roch et de saint Antoine de Padoue.

RELIGIEUSES DE JÉSUS-MARIE

La grande Révolution avait, ou le sait, produit un bouleversement complet aussi bien dans l’ordre religieux que dans l’ordre politique. Le doute et l’impiété s’étaient glissés peu à peu dans l’esprit du peuple privé pendant plusieurs années d’éducation religieuse. Aussi, dès que le calme fut rétabli, vit-on des personnes de dévouement s’occuper à remédier à cet état d’esprit, en cherchant à assurer à la société où elles vivaient le bienfait d’une instruction chrétienne. C’est dans ce but de régénération sociale que se formèrent diverses associations, et particulièrement celle qui, dans la suite, prit le nom de Congrégation de Jésus et de Marie. Quelques détails sur la personne qui devait jouer un rôle important dans la fondation de cet institut ne seront pas ici sans intérêt : ils permettront de remonter à l’origine de la congrégation et d’en suivre les premiers développements.

Mlle Claudine Thévenet naquit à Lyon, le 30 mars 1774, d’une famille riche et honorable de négociants en soieries. Ses parents furent cruellement éprouvés dans les désordres révolutionnaires : on sait, en effet, que Lyon révolté contre les excès de la Convention, fut entouré d’une armée de 60.000 Jacobins, et qu’après un siège héroïque, il fallut céder au nombre. Maîtres de la ville, les révolutionnaires se vengèrent en pratiquant les fusillades en nombre, dont furent victimes deux frères de Claudine Thévenel. Celle-ci, loin de concevoir pour la populace un ressentiment certes bien justifié, ne songea qu’à soulager les misères physiques et surtout morales des pauvres qui l’entouraient ; elle se prit à les instruire et à leur apprendre à supporter les peines, bien mieux à les ennoblir par la pensée de Dieu et du devoir. Des amies de Claudine Thévenet suivirent son exemple, et toutes s’efforcèrent de soulager les misères qu’elles rencontraient. De temps à autre elles se réunissaient pour se concerter sur les moyens à prendre pour mieux atteindre le but proposé. Les principales collaboratrices de l’œuvre étaient, en plus de Mlle Thévenet, Catherine Laporte, Clotilde Revel, Victoire Ramié et Pauline-Marie Jaricot, future fondatrice de la Propagation de la foi. Elles s’étaient mises sous la direction du prêtre zélé dont il a été question plus haut, l’abbé Coindre, qui, de son côté, poursuivait le même but social et chrétien. Toutefois, il comprit vite que pour mener à bien une telle entreprise et lui faire produire des fruits abondants, il était nécessaire de se réunir, au lieu de travailler isolément comme on l’avait fait jusque-là. Sur sa proposition, on décida de fonder une petite maison ou providence où on recueillerait quelques enfants, pour les instruire religieusement et leur apprendre un métier. Des cellules furent louées dans l’ancien cloître des Chartreux ; on reçut quelques enfants et on établit un atelier de fleurs artificielles, destiné à occuper les heures libres, et à subvenir aux frais d’entretien. Les fondatrices de l’œuvre ne pouvaient malheureusement pas s’en occuper d’une manière assidue ; elles appartenaient encore à leur famille et devaient se soumettre à certaines exigences sociales de leur position. Aussi l’œuvre naissante fut-elle confiée aux sœurs Saint-Joseph chargées de s’occuper de plus près des enfants.

L’Association des Sacrés-Cœurs, c’était le nom donné par M. Coindre à la petite société des âmes d’élite, continuait toujours à exister en dehors de la Providence. Le nombre pourtant des zélatrices diminua ; les unes contrariées par leur famille dans leur noble dessein, avaient dû y renoncer ; les autres quittèrent l’œuvre pour s’engager dans des voies différentes. Le prêtre comprit que pour maintenir l’œuvre et la consolider, il était nécessaire de lui donner une autre forme et une nouvelle direction.

Dans une des réunions, il proposa à ses dirigées de se réunir en communauté, et leur traça les grandes lignes de la règle qu’elles devraient observer. Mlle Thévenet, installée comme directrice, vit se grouper autour d’elle des bonnes volontés, des dévouements ; voici les noms de ses premières compagnes, maintenant ses filles ; ce sont : Mlles Ramie, Laporte, Dioque, Chippier, .Jubeau, Planut, Ferrand et Chardon. Dans la même réunion, on décida de commencer un ouvroir où l’on recueillerait de pauvres ouvrières, auxquelles on donnerait une éducation chrétienne. À cet effet, on loua un appartement au lieu dit : les Pierres-Plantées, non loin du faubourg de la Croix-Rousse. Les débuts furent modestes : l’ouvroir se composait seulement d’une ouvrière en soierie et d’une orpheline, suivie peu après, il est vrai, de plusieurs autres. Bientôt de pieuses ouvrières, désireuses de se vouer à Dieu tout en continuant leur industrie, se présentèrent spontanément ; et plusieurs dans la suite se firent religieuses. Mlle Thévenet visitait souvent la petite communauté, sans pouvoir s’y fixer définitivement, en raison des difficultés suscitées par sa famille : ce ne fut que quelque temps après qu’elle put quitter les siens pour se retirer définitivement.

Petit à petit le nombre des orphelines augmentait et on se trouva à l’étroit : le travail des métiers dépassait le résultat prévu et les commandes abondaient. Pour ces raisons, il parut opportun d’échanger l’humble logis, premier berceau de l’œuvre, contre une maison plus vaste et plus convenable. Une propriété située sur la place de Fourvière et appartenant au père de Pauline Jaricot était en vente ; par l’intermédiaire de cette dernière, le domaine fut vendu à la communauté de Jésus-Marie. Cette maison se nommait l’Angélique, parce qu’elle avait appartenu autrefois à M. Nicolas de L’Ange, magistrat distingué et homme de lettres éminent. Le nouveau local s’adaptait d’une façon parfaite à l’usage auquel on le destinait : en plus de la maison assez vaste et soigneusement conservée de nos jours, il comprenait un vignoble d’une grande étendue, la vaste salle d’ombrage, qui existe encore aujourd’hui. La position offrait un coup d’œil incomparable sur la ville et les environs.

Donc, dans le courant de 1820, la communauté de Jésus-Marie quitta définitivement la maison des Pierres-Plantées, qui l’avait abritée pendant deux ans, pour venir se fixer à l’Angélique. Le nombre des enfants augmentant sans cesse, il fallut, dès l’année suivante, pourvoir à une organisation plus complète. Les bâtiments furent exhaussés, et on construisit une annexe, séparée des autres maisons, qu’on nomma Providence ; là habitèrent les orphelines, occupées surtout à la couture et à la fabrication des étoffes, et à qui on donnait une instruction élémentaire. Dans un local séparé, se trouvait le pensionnat où l’on recevait les jeunes filles de familles aisées qui recevaient une instruction conforme à leur position sociale : le pensionnat était pour la communauté une source de revenus et on espérait faire des recrues parmi les jeunes filles qui s’y trouvaient.

Cependant la communauté, bien que n’ayant pas encore reçu l’autorisation et l’institution canoniques, continuait à se développer. En 1822, elle comprenait une cinquantaine de sujets, en plus des orphelines et des pensionnaires ; elle put dès lors songer à installer de nouveaux établissements. Des dames qui dirigeaient un pensionnat de jeunes filles à Belleville, demandèrent l’aide des sœurs de Jésus-Marie. Deux d’entre elles, envoyées à Belleville, apportèrent au pensionnat une sève nouvelle ; toutefois, en 1829, elles durent se retirer devant des autres religieuses appelées dans la même localité pour s’occuper de l’éducation de la jeunesse.

En 1823, un nouvel établissement fut fondé à Monistrol à la suite de circonstances qu’on va rappeler. M. l’abbé Coindre avait été nommé Supérieur des Missions du diocèse de Saint-Flour qui comprenait aussi le département de la Haute-Loire ; ses nouvelles occupations ne l’empêchèrent pourtant point de s’intéresser à la Congrégation dont il avait dirigé les débuts : il demanda à l’autorité ecclésiastique la permission d’établir dans le diocèse les Dames de Jésus-Marie. La demande fut favorablement accueillie, et en 1822, cinq religieuses partirent de Fourvière pour fonder l’établissement de Monistrol. L’année suivante, profitant de la bonne impression produite par ces dames, l’abbé Coindre écrivit à Mgr l’évêque de Saint-Elour pour lui demander l’autorisation d’ériger les dames en Congrégation régulière ; et, dans ce but, adressait au prélat un exemplaire du règlement. La réponse ne se fit pas attendre : elle accordait toutes les permissions nécessaires : M. Coindre était nommé Supérieur de la Congrégation et autorisé à recevoir les vœux des sœurs. La bonne nouvelle fut vile communiquée à la maison de Lyon, et quelques jours après, Mlle Thévenet et ses compagnes se mettaient en route pour Monistrol. À la suite d’une retraite, elles prononcèrent les vœux et revêtirent le costume religieux. Cette institution canonique donnée aux constitutions de la Congrégation fut authentiquement approuvée, en 1848, par Mgr de Pins, administrateur du diocèse de Lyon.

Cependant l’établissement de Monistrol prospérait et devenait important : Mgr de Bonald, alors évêque du Puy, témoin du bien accompli par les religieuses, les invita à venir s’établir dans la ville épiscopale. Les sœurs déférèrent au désir du prélat et dans le courant de 1823, prirent possession de la superbe résidence préparée par l’évêque protecteur. Celui-ci estimait avec raison qu’elles seraient à même de faire plus de bien, et que leur pensionnat prendrait plus d’importance, s’il était placé dans une ville populeuse. Le nombre des pensionnaires devint, en 1834, si considérable que le vaste local occupé jusqu’alors, fut insuffisant. Avec l’assentiment de Mgr de Bonald, qui s’intéressait sérieusement à cette œuvre d’éducation de la jeunesse, une propriété fut achetée avec un vaste enclos qui permettait toutes les constructions nécessaires.

À l’exemple de la maison du Puy, celle de Lyon voyait augmenter le nombre des pensionnaires et des orphelines. À une certaine époque, il y eut même trois pensionnats distincts, et la maison de Fourvières acquit une réelle réputation pour l’éducation soignée qu’on y donnait. En plus des langues étrangères, on y cultivait le dessin, la peinture et la musique. L’orphelinat possédait, de son côté, une juste renommée pour la fabrication des étoiles de soie, et les commandes y affluaient. Les ressources, fruits de la prospérité, permirent l’érection d’une nouvelle chapelle, celle qui existe aujourd’hui.

Quelques années plus tard, on construisit dans l’enclos un vaste bâtiment destiné aux orphelines, appelé, pour ce motif, la Providence : on sépara ainsi complètement celles-ci des pensionnaires.

La petite communauté ne jouit pas toujours de la vie calme qu’on serait tenté de croire ; il survint divers événements qui mirent en péril non seulement son développement, mais son existence même. On a vu le rôle important joué par l’abbé Coindre dans la fondation et la prospérité de la Société de Jésus-Marie, ainsi que le résultat de ses démarches auprès de l’évêque de Saint-Flour. Ce prêtre vénérable avait été nommé vicaire général de Blois, puis directeur du Grand Séminaire. Épuisé par des travaux excessifs, il ne remplit pas longtemps ses nouvelles fonctions et fut emporté par une fièvre pernicieuse. Les religieuses des Sacrés-Cœurs comprirent l’étendue de la perte qu’elles venaient d’éprouver : leurs constitutions étaient à peine ébauchées et le règlement loin d’être définitif. Qui donc allait continuer l’œuvre commencée ? Mgr de Bonald, qui s’était tant intéressé à l’œuvre, la prit sous sa protection et, durant le temps qu’il occupa le siège archiépiscopal de Lyon, il ne cessa de donner à la Congrégation des témoignages de sa sollicitude. Par ailleurs, M. l’abbé Rey, aumônier de la maison, continua l’œuvre entreprise, et lorsqu’il s’éloigna pour fonder à Oullins une œuvre similaire de jeunes gens, il emporta les regrets unanimes de l’institut.

Une nouvelle cause de trouble et d’alarme pour la société fut la situation politique qui survint à cette époque. Si l’institut n’eut pas à souffrir de la révolution toute pacifique de 1830, il éprouva, en revanche, les effets de l’émeute de 1834. Les troupes régulières pénétrèrent dans l’enclos, s’établirent dans le monastère et de là délogèrent facilement les insurgés campés sur la place de Fourvière. La maison fut occupée pendant trois semaines, parce qu’on craignait un retour offensif des émeutiers. De plus, les autorités militaires appréciant Fourvière comme point stratégique éminent, songeaient à y établir des fortifications et à convertir la place en forteresse redoutable, par sa position qui dominait la ville. Les offres pécuniaires, fort avantageuses d’ailleurs, faites à la communauté et aux propriétaires voisins, furent refusées, et le projet abandonné. On comprend facilement l’émoi que ce projet avait soulevé dans la communauté, qui déjà s’occupait de chercher un autre asile en cas d’expropriation.

Un événement d’un autre ordre alarma également la petite société et en particulier celle qui en avait la direction. Des personnes appartenant à la communauté conçurent le projet de réunir leur congrégation à celle des religieuses du Sacré-Cœur dans le but, sans doute, de consolider l’une et l’autre. C’était, pour la première, perdre l’autonomie et s’éloigner du but qu’elle s’était assignée dès l’origine. Aussi Mlle Thévenet eut-elle assez de bons sens et d’énergie pour refuser cette proposition qui eût été la mort de la congrégation. L’incident fit comprendre les désagréments résultant de la similitude des noms ; c’est pourquoi on résolut de changer de vocable, et depuis 1842, la communauté, dite, jusque-là, des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, fut uniquement désignée sous le nom de Congrégation de Jésus-Marie. Quelques années plus tard, en 1837, mourut Mlle Thévenet, en religion mère saint Ignace ; elle avait fondé la société et l’avait dirigée avec une intelligence remarquable. Mlle Victoire Ramié fut élue pour lui succéder ; on a vu plus haut qu’elle avait été une des premières à s’unir à la fondatrice.

L’année 1841 marque une époque glorieuse dans l’histoire de l’institut. C’était l’époque où d’intrépides missionnaires commençaient l’évangélisation des Indes. Mgr Borghi, évêque d’Agra, avait envoyé une circulaire dans laquelle il faisait aux religieuses de France un pressant appel pour aller seconder les efforts des missionnaires. Les sœurs de Jésus-Marie s’empressèrent d’y répondre, d’autant plus que le but de la Congrégation correspondait parfaitement au désir exprimé dans la lettre : l’éducation chrétienne de la jeunesse. Abandonnant leur famille, leur pays, la maison où elles avaient longtemps vécu, six religieuses partirent pour ces contrées lointaines. Leur correspondance avec la maison-mère de Lyon fait connaître les privations qu’elles eurent à endurer pendant un voyage qui dura dix mois. Elles se jugèrent amplement récompensées de toutes leurs peines par le bien qu’elles procurèrent autour d’elles par la suite : après quatre mois d’existence, le pensionnai qu’elles fondèrent comptait déjà une trentaine d’élèves, et depuis lors, il n’a cessé de s’accroître : c’est dire qu’il n’a pas peu contribué à la propagation de la religion dans ces pays éloignés. Quelques années après, un nouvel établissement était fondé dans les montagnes des Vosges, à Remiremont ; et le pensionnat qui y fut établi ne tarda pas à acquérir une juste célébrité.

L’installation de ces divers établissements affirma la vitalité de la congrégation, toujours prête à envoyer ses membres où on les demandait. Peu de communautés ont, comme elle, un caractère apostolique et se sont répandues dans autant de diverses contrées : n’est-ce pas là un de ses plus beaux titres de gloire ? Ce n’est pas seulement aux Indes orientales qu’on retrouve les religieuses de Jésus-Marie : les unes s’établirent au Canada et aux États-Unis, d’autres foulèrent le sol de l’Espagne, d’autres se sont rendues en Suisse et en Angleterre, toutes pour semer, chez les pauvres comme chez les riches, le bienfait de l’éducation chrétienne.

Il est temps de dire quelques mots de la chapelle dont la façade se dresse vis-à-vis la basilique de Fourvière. Une chapelle provisoire avait été élevée en 1822, mais, trop exiguë, elle n’eut qu’une durée éphémère. C’est en 1832 que la première pierre de la chapelle actuelle fut solennellement posée. La Providence semblait avoir réuni à l’avance, dans l’enclos même, une partie des matériaux nécessaires à la construction de son temple. Déjà, en préparant les fondations des bâtiments antérieurs, on avait trouvé des débris de murs, des amas de pierres ; et maintenant les nouvelles fouilles mettaient à découvert de vraies richesses en ce genre : tout indiquait qu’on était en présence de constructions romaines. On trouva des citernes, des restes d’aqueducs, un souterrain qui s’étend sous l’une des salles d’arbres ; bien plus, en continuant les fouilles on découvrit une salle recouverte de marbres ; plusieurs pièces mises à jour étaient parfaitement conservées, elles ont servi à former le maître-autel. La voûte de la chapelle était commencée lorsque l’émeute de 1834 vint suspendre le travail, qui, pourtant, fut repris peu après et terminé en deux ans.

La chapelle est sans apparence extérieure. À l’intérieur, elle se compose d’un vaisseau de style roman, à une seule nef, éclairé de quatre fenêtres. L’autel est en marbre de couleurs, simple et sans sculpture, il est surmonté d’une statue très ordinaire du Sacré-Cœur. De chaque côté, à la naissance de la nef, sont deux autels, érigés en 1887, dédiés à la sainte Vierge et à saint Joseph. Dans le chœur se trouvent trois peintures qui représentent les monogrammes réunis de Jésus et de Marie, symbole de la congrégation ; l’Agonie de Notre-Seigneur, enfin les Pèlerins d’Emmaüs. Dans la nef, deux autres peintures représentant Jésus bénissant les enfants, et la Présentation de Marie au temple ; toutes ces peintures sont l’œuvre de quelques sœurs ; si ces toiles ne sont pas d’une habileté artistique exceptionnelle, elles constituent du moins un témoignage de l’activité intellectuelle et de la bonne volonté développées dans la communauté.

Aujourd’hui la chapelle n’entend plus l’office, que récitaient autrefois les religieuses, maintenant exilées en Suisse ; la prière n’y a pourtant point cessé, car les sœurs ont laissé leur vaste établissement à un pensionnat prospère, dont les élèves continuent à fréquenter la chapelle.

LA COMPASSION

La naissance du refuge de la Compassion date de 1825, et eut pour berceau l’hospice de l’Antiquaille, où les malheureuses filles victimes de la séduction étaient amenées pour être soignées. Les sœurs hospitalières rencontraient fréquemment parmi ces infortunées des jeunes filles plus malheureuses que coupables. M. Dupuis, frère du côté maternel de M. Laffay, aumônier de l’Antiquaille, prêtre ardent, plein de zèle et de dévouement fut l’instrument dont la Providence se servit pour jeter les fondements de l’œuvre naissante. Cet ecclésiastique était chapelain de la Primatiale et consacrait les instants que les fonctions de son ministère lui laissaient libres à venir exhorter et instruire ces pauvres filles. C’était souvent peine perdue, et pour toucher ces cœurs endurcis, il fallut, en 1825, une scène tragique qu’un mémoire du temps raconte ainsi : « Depuis huit jours la parole de M. Dupuis retentissait sans trouver une âme qui voulût la recevoir, lorsque dans son zèle et sa douleur, celui qui n’avait pu briser ces cœurs endurcis, se prit à briser la croix qu’il tenait en main et dont la rédemption était inutile à ces pécheresses qui la repoussaient et voulaient l’enfer. À cette vue, celle qui était à la tête de toutes par ses scandales, saisit les morceaux épars de la croix, chercha à les réunir et s’écria que Dieu n’aura point souffert en vain ; son exemple fut suivi par plusieurs de ses compagnes qui généreusement se convertirent. »

Chapelle des religieuses de la Compassion, quartier des Minimes.

Il fallut trouver un asile convenable : la charité de M. Dupuis ne se rebuta devant aucun obstacle ; il fit une quête, et réunit la modeste somme de vingt-cinq francs. Plein de foi et de reconnaissance, il se rendit à Fourvière et les déposa aux pieds de la Vierge, refuge des pécheurs. Peu de temps après, celle-ci fît trouver à son serviteur une petite maison à Saint-Irénée ; elle fut louée, et le 14 septembre 1825, on en prit possession. Six jeunes filles y entrèrent et furent confiées à la direction de Mlle Vidot et d’une compagne dont on ignore le nom. On mit l’établissement sous le nom et la protection de sainte Pélagie. Le pauvre ménage fut organisé par les dons de la charité chrétienne ; on monta des métiers à tisser la soie, et la vie des repenties se partagea entre le travail et la prière. Le nombre augmenta, en peu de jours, jusqu’à douze ; mais aussi la discorde souffla parmi elles le trouble, au point que le découragement entra dans l’âme des deux directrices qui déclarèrent à M. Dupuis qu’elles ne pouvaient continuer l’œuvre. Le digne fondateur ne perdit pas courage ; il supporta les peines avec patience et malgré les désapprobations et critiques des administrateurs de l’hospice, de l’aumônier M. Laffay et même de plusieurs personnes de la communauté qui jugeaient l’entreprise téméraire, il demanda et obtint de l’administration deux sœurs capables de former ces nouvelles pénitentes au travail et aux pratiques de la vie chrétienne. Les deux directrices se retirèrent, l’une d’elles entra à l’hospice et se consacra au service des malades. Des personnes considérables de la ville prirent grand intérêt à l’œuvre naissante, et les négociants eux-mêmes firent des avances pour faciliter le travail.

Les deux religieuses se mirent à l’œuvre ; par une charité infatigable, une grande bonté jointe à une prudente fermeté, elles gagnèrent l’esprit de leurs filles, rétablirent l’ordre et la paix ; elles eurent pourtant bien des peines à endurer : souvent l’étoffe tissée était mal faite ou gâtée, et les sœurs passaient quelquefois la nuit à réparer les fautes des pénitentes. En principe le travail devait fournir à la subsistance et à l’entretien de la maison Sainte-Pélagie, mais de fait il était impossible que les ressources du travail de ces jeunes personnes peu accoutumées à une vie régulière, fussent suffisantes. Aussi M. Dupuis et les religieuses, ainsi que plusieurs frères de l’Antiquaille, dévoués à l’œuvre, se firent-ils un devoir d’employer à la quête les jours de repos que le règlement accorde chaque mois. On voyait le digne fondateur, comme un autre saint François Régis, porter à sa famille adoptive, avec la parole de Dieu, tout ce qu’il pouvait trouver dans ses quêtes. Il n’ignorait pas que la pauvreté se faisait sentir à Sainte-Pélagie dans toute sa rigueur, puisque parfois, après le souper du soir, il ne restait pas un morceau de pain pour le déjeuner du lendemain. De plus, les jeunes filles étaient vêtues fort pauvrement : une jupe d’une façon et une taille d’une autre, un tablier de toile bleue, enfin un bonnet d’indienne composaient le costume.

Tant de travaux et de fatigues épuisèrent les forces du saint prêtre, qui tomba gravement malade. Il profita des moments où la souffrance lui laissait plus de liberté d’esprit pour prier M. Laffay de se charger du soin spirituel et du temporel de ces pauvres filles. Celui-ci, malgré ses répugnances, n’osa refuser cette dernière consolation à son frère, il lui promit défaire tout ce qu’il désirait pour la providence, et le digne malade, débarrassé de ce cruel souci, fit avec la plus grande édification le sacrifice de sa vie tout entière consacrée au bien. Huit jours s’étaient à peine écoulés lorsqu’il rendit le dernier soupir. Sa protection se fit pourtant sentir à plusieurs reprises sur la communauté. Voici, par exemple, comment dans une circonstance, le défunt encouragea sœur Bernard ; celle-ci employée au service des malades était une des plus dévouées à l’œuvre naissante, on l’a regardée jusqu’à sa mort comme la mère et la supérieure de la nouvelle providence quoiqu’elle habitât ordinairement à l’hospice. Un jour, entrant dans sa chambre, elle vit le digne prêtre à genoux sur un prie-Dieu. La sœur éprouva un moment de terreur, mais le défunt se tournant vers elle lui dit : » Ma sœur, ne vous découragez jamais. »

M. Laffay, plein de zèle et de dévouement pour l’œuvre de Dieu, ne se bornait pas au soin des âmes ; il voulut aussi, à l’exemple de Notre-Seigneur, contribuer, autant qu’il était en son pouvoir, à procurer les choses nécessaires à l’entretien du corps ; dans ce but, il quêtait, mais était reçu parfois avec mépris et brutalité. De plus, chaque matin et tour à tour, les frères de l’hospice portaient à la providence Sainte-Pélagie un peu de vin et de pain, fruit de leurs quêtes, et cette générosité aidait à la nouvelle maison à subsister. Celle-ci toutefois était mal située, exposée aux cris el au tapage des malfaiteurs ; de plus, le local exigu ne pouvait contenir plus de treize pénitentes ; il fallut donc se pourvoir d’un autre logement. L’œuvre comptait six ou huit mois d’existence, lorsqu’on loua une maison à Saint-Just, rue de Trion ; les pénitentes y furent transférées à la fin de février ou au début de mars 1826.

Mme Bruyset de Sainte-Marie, bienfaitrice de la Compassion.

Le séjour dans ce nouveau local fut de dix-huit mois ou deux ans, et pendant ce temps, le nombre des jeunes pensionnaires monta à quarante. C’est alors que M. Laffay fit connaître à MM. de Verna, de Varax, de Nolhac, et de Sainte-Marie, administrateurs de l’hospice de l’Antiquaille, les progrès de l’œuvre et la nécessité d’un logement plus vaste. Ces messieurs édifiés de la conduite des pénitentes, se firent les premiers bienfaiteurs de cette belle œuvre. Ils accueillirent favorablement la proposition de M. Laffay et arrêtèrent dans l’assemblée administrative de 1828, qu’on louerait une maison au Chemin-Neuf, qu’on y ouvrirait deux ateliers de tissage et un de lingerie ; une chapelle, un réfectoire, des dortoirs, une cuisine ; le tout coûtait 3.800 francs. À cette époque une dame charitable lit un don de 1.200 francs qui servit à l’achat d’un petit clos, séparant la maison de l’hospice ; ce jardin devint une agréable promenade pour les pénitentes. Tout étant disposé, les jeunes filles furent transportées dans le nouvel établissement, qui prit le titre de Providence de l’Antiquaille ; le nombre s’accrut de jour en jour ; l’administration de l’hospice voulut bien se charger de fournir ce qui était nécessaire à l’entretien temporel de la providence, à la condition que l’on déposât, à la fin de chaque mois, le produit du travail des pénitentes dans la caisse de l’hospice, condition qui fut acceptée mais qui imposa bien des sacrifices aux jeunes personnes ainsi qu’aux sœurs chargées du gouvernement de la providence, car lorsque la recette n’égalait pas la dépense, on s’attendait à des reproches. Pour le linge et les vêtements, il fallait chaque semaine donner à l’hospice la note de ce qu’on déposait, afin de recevoir autant d’objets qu’on en rendait. Quant à la nourriture, on recevait le pain et les autres choses nécessaires à la vie, en quantité proportionnée au nombre des personnes, mais si limitée que souvent cela ne suffisait pas au besoin de chacune. La charité des sœurs savait y suppléer en s’imposant des sacrifices et des privations.

L’œuvre était définitivement fondée ; depuis cette époque elle s’est accrue de telle façon qu’aujourd’hui elle compte vingt-deux religieuses de chœur suivant la règle du tiers ordre de Saint-François ; trente-trois sœurs converses ; trente-sept dites sœurs pénitentes, c’est-à-dire provenant de vocations rencontrées parmi les pénitentes. Ce personnel dévoué dirige un nombreux bataillon composé de quarante-deux préservées et de soixante-quatre pénitentes.

Intérieur de la chapelle de la Compassion.

À l’ancienne chapelle intérieure et provisoire, a succédé un bel édifice construit tout récemment par M. Bagneux, architecte. Ce n’était point chose facile que de procurer l’accord parlait de l’architecture avec les nécessités de l’œuvre. Il y a à la Compassion bien des sections nécessaires : religieuses de chœur, converses, sœurs de la pénitence, enfants orphelines et enfants enfermées. L’architecte, s’inspirant des règlements et guidé par les conseils autorisés des supérieurs, a réussi à concilier ces exigences.

La chapelle de la Compassion présente la forme d’un rectangle fort allongé, mais alors que dans les églises ordinaires l’autel se trouve au fond de la nef, ici il est placé au milieu et dans le sens même de la longueur, en sorte que la chapelle est environ trois fois plus large que profonde. Cette disposition a permis de faire, de chaque côté de la porte d’entrée, laquelle s’ouvre vis-à-vis l’autel, deux immenses salles qui occuperaient dans une église la place des petites nefs et où se mettent les différentes sections de la communauté. Ainsi, il n’est personne qui ne puisse voir l’autel à travers cependant la grille en usage dans les communautés cloîtrées.

L’autel majeur est dominé par un groupe en pierre placé dans une niche et représentant le Christ en croix entouré de la Vierge, de sainte Madeleine et de saint Jean. Le chœur est petit et hémisphérique ; on y a placé de chaque côté les statues du Sacré-Cœur et de saint Antoine de Padoue. Dans l’unique nef, se trouve à droite l’autel de la sainte Vierge et à gauche celui dédié à saint Joseph. Huit baies vitrées donnent une abondante lumière et font ressortir l’ornementation simple et de bon goût. Le chemin de la Croix est placé le long du mur, de chaque côté de l’autel principal.

Au fond de la chapelle, s’ouvrent, comme il a été dit, les deux chœurs des religieuses et des filles repenties, séparés par un couloir conduisant directement à la porte de sortie. Ces chœurs sont vastes ; celui des religieuses possède la statue peinte de Notre-Dame de Compassion, et celle de sainte Élisabeth, reine de Hongrie et patronne du tiers ordre de Saint-François auquel sont affiliées les religieuses ; deux reliquaires complètent l’ornementation. Le chœur des Madeleines ou repentantes est orné de la statue de saint François d’Assise.

RELIGIEUSES DE LA SAINTE-FAMILLE

Parmi les communautés que vit éclore le xixe siècle dans notre diocèse, il en est une qui par la variété de ses emplois contraste singulièrement avec la vie des anciens ordres religieux où la rigidité du but ne permettait qu’une adaptation très relative aux besoins successifs de la société dans laquelle ils vivaient. Les sœurs de la Sainte-Famille sont à la foi institutrices dans les pensionnats ou dans les simples écoles de hameaux ; elles sont hospitalières par le soin des malades ; un certain nombre d’entre elles sont chargées du service de la lingerie, de la cuisine, et de l’infirmerie dans les séminaires et collèges, toutes savent se plier à l’emploi qui leur est confié. Leur fondateur est un prêtre lyonnais fort intelligent et dont on va retracer la biographie.

L’abbé Pousset naquit à Cordelles, petite commune des bords de la Loire à quinze kilomètres de Roanne ; c’était en 1794, en pleine Terreur. Il fit ses premières études au petit séminaire de Saint-Jodard et vint compléter son éducation philosophique au séminaire de Verrières. Vers la fin de 1814, il entrait au grand séminaire de Lyon. Ordonné prêtre en 1817, il occupa successivement divers postes dans les séminaires de Verrières et d’Alix ; enfin en 1823, malgré son jeune âge, il fut nommé à la cure de Saint-Bruno à Lyon.

Il apporta dans ce nouveau poste l’esprit à la fois clairvoyant et religieux qui l’avait fait remarquer ailleurs. Il commença par visiter les principaux habitants de la paroisse pour recueillir des renseignements capables d’éclairer sa conduite et ses relations vis-à-vis des familles. Ce fut au cours de ces visites qu’il conçut l’idée de fonder une communauté douée d’attributions spéciales. Il avait aperçu sur sa paroisse un grand nombre d’ateliers de jeunes ouvrières qui, sans vivre en communauté accomplissaient ensemble des exercices de piété et suivaient certaine règle dans leur manière de vivre. Mlles Descombes et Piégay, directrices d’un de ces ateliers, heureuses de voir le curé de Saint-Bruno s’intéresser à l’œuvre, vinrent le prier de se mettre à leur tête et de les diriger en leur donnant le règlement qu’il jugerait bon pour leur sanctification, tout en leur permettant de continuer leurs divers travaux. M. Pousset accéda à leur demande, leur donna quelques règles, qui, dans son esprit, ne devaient être que provisoires et pour un temps d’essai. Il leur proposa de retracer dans leur vie, partagée entre le travail manuel et les exercices religieux, quelques-unes des vertus de la sainte famille de Nazareth. M. Pousset, craignant de nuire à l’ensemble de son ministère de curé, ne voulut pas tout d’abord se charger de la direction spéciale de la maison Descombes et Piégay, qui, sans être une communauté, en imitait presque la régularité et en exigeait les soins. Ce n’est qu’à la suite d’une neuvaine à Notre-Dame de Fourvière, faite à son insu, par ces demoiselles, sur le conseil d’un bon prêtre, que M. Pousset consentit à entreprendre cette œuvre. Telle est l’origine historique du nom porté dans la suite par la communauté.

Couvent de la Sainte-Famille.

Quelques mois plus tard, l’abbé Pousset rédigea un nouveau projet de règlement établissant une sorte de noviciat pour cette nouvelle-née qui tiendrait le milieu entre la vie religieuse et l’existence purement séculière ; et dès lors, sept des pieuses ouvrières furent regardées comme novices. De ce moment, 1823, date à vrai dire la communauté. À Noël de la même année, eut lieu, pour la première fois, la cérémonie des vœux, et celle de la vêture, car, jusque-là, on n’avait pas encore adopté d’habit particulier. Malgré les critiques et les plaisanteries dont elle fut accueillie tout d’abord, la congrégation naissante se développa promptement et acquit une réputation méritée. Beaucoup d’ouvrières ne tardèrent pas à imiter leurs compagnes et demandèrent à leur tour d’entrer au noviciat. La petite communauté occupait le bâtiment connu à l’époque sous le nom de maison Bourdin : elle dut bientôt chercher ailleurs un édifice plus en rapport avec son accroissement. L’abbé Pousset, qui veillait aux moindres détails, en procura un, situé en face de l’église paroissiale, et dès lors tout sembla modestement prospérer.

Mais l’année 1830, qui fut signalée à Lyon par des désordres graves et sanglants, faillit amener la dispersion et la disparition de la petite société. Si, plus privilégiée que d’autres communautés, celle de la Sainte-Famille put sortir intacte de l’épreuve, elle le dut précisément à sa nouveauté et au peu d’importance qu’elle avait encore aux yeux des hommes, dont beaucoup ignoraient son existence. Le calme succéda bientôt à la tempête, et, quelques années après, la petite communauté se trouvait de nouveau dans un état florissant.

Pourtant, une chose lui manquait encore. Elle existait de fait depuis 1825, époque où les premiers vœux furent prononcés ; mais elle ne jouissait pas encore de ce qu’on appelle l’érection canonique, c’est-à-dire qu’elle n’avait ni autorisation, ni approbation des supérieurs hiérarchiques. En 1832, l’abbé Pousset, au cours d’une grave maladie, eut la pensée de solliciter cette érection auprès de Mgr de Pins, administrateur apostolique de Lyon ; sa crainte était grande de laisser sa communauté sans une autorisation régulière propre à assurer son existence. En conséquence la demande d’érection ainsi qu’un abrégé de la règle furent soumis au conseil archiépiscopal. La règle lut admise le 29 novembre 1832 ; Mgr de Pins donnait sa pleine approbation à la Sainte-Famille de Lyon et l’érigeait en congrégation diocésaine.

M. le chanoine Pousset, fondateur de la congrégation de la Sainte-Famille.

Cette société jouissait alors d’un plein développement, au point que Mgr de Forbin-Janson, évêque de Nancy, présidant une cérémonie solennelle de profession, comptait devant lui vingt-trois nouvelles religieuses ; ajoutons que cet accroissement n’a cessé d’augmenter. Par suite des événements sociaux et politiques comme aussi pour satisfaire aux besoins des milieux où se trouvaient les sœurs de la Sainte-Famille, celles-ci durent accepter des œuvres nouvelles non prévues dans le règlement primitif. Aussi, dans le cours des années, la première règle a-t-elle subi diverses transformations ; si bien qu’il parut bon au fondateur de la refondre et de la soumettre de nouveau à l’approbation de Mgr de Bonald, archevêque de Lyon : telle est la raison d’être de la nouvelle approbation canonique donnée en 1852.

Dans l’intervalle, en 1840, M. Pousset avait été chargé, par le prélat, du soin de diriger, comme supérieur général, toutes les maisons de la Sainte-Famille, alors au nombre de quatorze, sans compter diverses autres œuvres soutenues par l’institut, telles, par exemple, que les providences, fondées dans les petites villes du diocèse, où des enfants appartenant à des familles pauvres recevaient une éducation chrétienne et apprenaient un métier. Les désordres qui suivirent l’établissement de la république de 1848 devinrent funestes à la congrégation. On en était venu à persuader aux ouvriers que les providences où leurs propres enfants étaient accueillis par charité étaient nuisibles à leur salaire et qu’il fallait les supprimer. Aussi, aux jours d’émeute, vit-on des troupes d’hommes et d’enfants se ruer sur les providences, saccager les maisons, briser et brûler les métiers, seule ressource de ces asiles. La Sainte-Famille traversa de ce chef une crise terrible, et si elle ne succomba point, elle le dut au dévouement et au zèle de M. Pousset, dont l’énergie ranima les courages abattus, remit la règle en vigueur et procura à sa congrégation de nouvelles ressources.

Cette épreuve surmontée, il y eut recrudescence de vie dans la société. On vit se fonder de nouveaux établissements ; nombre de fabriques et d’usines demandèrent des sœurs de la Sainte-Famille pour diriger et surveiller leurs ouvrières : ces ateliers devenaient, pour ainsi dire, autant de succursales de la congrégation, puisque la règle de la maison-mère y était appliquée, avec toutefois les modifications nécessaires. D’autre part, de petites communautés privées demandaient à se réunir à la congrégation. En voici un exemple entre plusieurs. Mme Sanlaville, qui appartenait à une des familles les plus honorables de Beaujeu, avait réuni autour d’elle quelques orphelines auxquelles elle s’efforçait de communiquer les sentiments généreux qui l’animaient. Pour donner plus de consistance à son œuvre, elle s’adressa au fondateur de la Sainte-Famille et lui manifesta le désir d’entrer dans la congrégation avec sa petite troupe ; sa demande fut agréée, et plus tard, sous le nom de sœur Saint-Vincent de Paul, elle dirigea, en qualité de supérieure, la communauté où elle avait fait profession.

L’année 1856 marque une date importante dans l’histoire de l’institut. Par décret impérial rendu au palais de Saint-Cloud et portant la date du 17 novembre, la Sainte-Famille devint congrégation autorisée et acquit désormais une existence officielle. L’année suivante, la maison-mère quitta la demeure, trop étroite, qu’elle occupait aux Chartreux et vint s’établir dans une propriété, sur la colline dominant la presqu’île Perrache. Le nouveau local présentait une situation plus commode et des conditions plus hygiéniques. Aussi le noviciat et surtout le pensionnat purent-ils s’y développer largement. M. Pousset qui avait contribué à la fondation de nombreuses maisons de la Sainte-Famille n’avait pas voulu que son pays natal en fût privé. Dès les premières années de la société, il prit soin d’établir à Cordelles un essaim de la congrégation, dirigé, plus tard, par le propre frère de M. Pousset, en qualité d’aumônier. Dans cette paroisse les sœurs fondèrent une école de filles et un orphelinat d’où sortirent de nombreuses vocations religieuses. L’institut, dès lors en pleine maturité, étendait son champ au delà du diocèse : en 1883, l’année même de la mort du fondateur, la Sainte-Famille établit une communauté à Notre-Dame de Rochefort au diocèse de Nîmes, et deux ans plus tard, elle pouvait compter plus de quarante établissements répandus dans les grandes villes comme dans les modestes villages. Sans doute, les lois néfastes dirigées contre les congrégations enseignantes ont apporté le trouble et ont fermé bien des maisons, mais déjà il s’est constitué de nouvelles œuvres, les religieuses se sont munies de brevets hospitaliers et, somme toute, le bien se fera à nouveau, quoique sous une autre forme.

Le bâtiment occupé par les sœurs de la Sainte-Famille, 10, avenue Vailloud, quartier Saint-Irénée, fut construit par le docteur Millet qui y fonda un institut hydrothérapique. L’antiquaire lyonnais bien connu, M. François Morel, a bien voulu nous communiquer une curieuse estampe, gravée à l’occasion de la pose de la première pierre. On y apprend que l’institut de M. Millet ayant fait de mauvaises affaires, son immeuble fut acheté par les religieuses de la Sainte-Famille qui y installèrent leur maison-mère. Elles agrandirent l’édifice, et réparèrent magnifiquement la chapelle. Celle-ci occupe le centre du bâtiment ; elle est située au premier étage et on y accède par un large escalier. Dans le chœur semi-circulaire se trouvent deux statues du Sacré-Cœur et Notre-Dame des Sept-Douleurs.

L’autel de pierre est décoré d’un bas-relief représentant deux colombes se désaltérant dans le calice divin. La nef est de style roman, on y a placé deux autels dédiés à la Vierge et à saint Joseph. De plus, contre le mur de gauche se trouve une statue de Notre-Dame de Lourdes, et, au-dessus de la porte d’entrée, une peinture représentant la Sainte-Famille. La chapelle est largement éclairée par des vitraux rappelant le motif de la Sainte-Famille sous ses trois phases : la naissance de Jésus, son adolescence, la mort de saint Joseph. Il reste à signaler près de la porte d’entrée une niche creusée dans la muraille et fermée par une plaque sur laquelle on lit : « Ici repose le cœur de notre vénéré père et fondateur Pierre Pousset, ancien curé de Saint-Bruno, chanoine d’honneur de la Primatiale, décédé en notre maison-mère, le 22 mai 1883, à l’âge de 89 ans. »

BIBLIOGRAPHIE DU CHAPITRE IV

TRAPPISTINES

[Dom Guerbues] Vie de dom Augustin de Lestrange, abbé de la Trappe ; par un religieux de son ordre. Paris et Lyon, 1829, in-12, 155 p., portrait.

Vie de la rév. mère Pacifique, baronne de Spandl de l’Herze, fondatrice et première supérieure du monastère des Trappistines de Lyon ; par un religieux de la Grande Trappe. Bar-le-Duc, œuvre de Saint-Paul, 1891, in-8, x-267 p., 2 portr.

SŒURS DES SACRÉS-CŒURS, DITES DE LARAJASSE

Manuscrit des Annales de la congrégation.

Le paradis sur la terre ou le chrétien dans le ciel par ses actions ; méditations sur l’amour de Dieu pour tous les jours de deux mois, sur la communion, pour entendre la sainte messe et divers autres exercices en forme de méditations ; par M. César Ribier, curé de Larajasse, ancien vicaire de la paroisse de Saint-Nizier à Lyon. Lyon, François Guyot, 1827, in-18, xxxv-428 p.-2 f., portrait. — Autres éditions en 1828, 1830, 1831, 1836 et 1841 ; elles contiennent une notice biographique sur M. Ribier et sa congrégation.

FRÈRES DU SACRÉ-CŒUR

F. Antonio, Le frère Frumence, pensionnat des frères du Sacré-Cœur, Lyon, Rey, sans date, in-8, 56 p., portr.

Règles générales et communes de l’institut des frères de l’instruction chrétienne des SS. CC. Lyon, Louis Perrin, 1850, in-8, 56 p.

Manuel de piété à l’usage des frères du Sacré-Cœur. Clermont-Ferrand, M. Bellet, 1877, in-8, 234 p.

Vie du père André Coindre, fondateur de l’institut des frères du Sacre-Cœur et des religieuses de Jésus-Marie ; par un frère du Sacré-Cœur. Lyon, Delhomme et Briguet, 1888, in-16, xxv-315 p.

[Million, abbé]. Notre-Dame-du-Bon-Conseil, inspiratrice du dévouement. Lyon, Vitte, 1900, in-8, 108 p., grav.

RELIGIEUSES DU SACRÉ-CŒUR DE JÉSUS ET MARIE

Cérémonial des religieuses de Jésus-Marie, pour la vêture et la profession, et pour l’installation de la supérieure générale, avec approbation des supérieurs ecclésiastiques. Lyon, Antoine Périsse, 1813, in-8, 79 p., musique.

Constitutions et règles des religieuses de Jésus-Marie. Lyon, Antoine Périsse, 1843, in-24, x-306 p.

Vie du père André Coindre, fondateur de l’institut des frères du Sacré-Cœur et religieuses de Jésus-Marie ; par un frère du Sacré-Cœur. Lyon, Delhomme et Briguet, 1888, in-16, xxv-315 p.

Histoire de la congrégation des religieuses de Jésus-Marie, t. I. Lyon, imp. Paquet, 1896, in-8, 331 p., grav.

COMPASSION

Annales de l’œuvre de la Compassion. Manuscrit écrit vers 1850.

Rapport sur l’établissement du refuge de Notre-Dame-de-Compassion, rue de l’Antiquaille, à Lyon, 1838. Lyon, imp. Ant. Périsse, in-8, 2 fnc. — Compte rendu annuel de 1838 à 1907.

La ville des aumônes, tableau des œuvres de charité de la ville de Lyon ; par l’abbé A. Bez. Lyon, librairie chrétienne, 1840, in-8, 282 p.

SAINTE-FAMILLE

Règles et constitutions des sœurs ou filles de la Sainte-Famille à Lyon. Lyon, Pélagaud et Lesne, 1839, in-24, 120 p.

Règles et constitutions des sœurs de la Sainte-Famille, à Lyon. Lyon, Périsse, 1852, in-32.

Directoire ou explication des constitutions de la congrégation de la Sainte-Famille de Lyon. Périsse frères, imprimeurs-libraires, Lyon et Paris, 1857, in-32, viij-264 p.

Règles et constitutions des sœurs ou filles de la Sainte-Famille, à Lyon. Lyon, imp. André Périsse, 1862, in-32, xv-112 p.