Histoire des églises et chapelles de Lyon/Visitation

H. Lardanchet (tome Ip. 126-136).

VISITATION

Le premier monastère de la Visitation Sainte-Marie de Lyon, second de l’ordre, fut fondé par décision de saint François de Sales, à la requête de monseigneur Denis Simon de Marquemont, archevêque de Lyon. Il n’y avait encore à cette époque dans notre ville que trois maisons religieuses de femmes. Jeanne de Chantal y arriva le 1er février 1615, et établit aussitôt ses filles rue du Griffon, aux Terreaux, près la chapelle Saint-Claude, sur la paroisse Saint-Pierre, dans un petit logis qu’avait acheté pour elles leur fondatrice temporelle, Mme Renée Trunel, veuve de M. d’Auxerre, président et lieutenant général de Forez. Le 2 février, fête de la Purification, l’archevêque célébra pontificalement la messe dans la chapelle improvisée et y exposa le saint sacrement ; M. Sordelot, pieux ecclésiastique, fit une solide exhortation, et dès ce jour la clôture fut gardée et la règle d’Annecy rigoureusement observée. Neuf mois après, la modeste chapelle s’emplissait d’une foule brillante venue pour assister aux obsèques de Mme d’Auxerre, devenue sœur Marie-Renée, et décédée, selon sa prédiction, après neuf mois seulement de vêture, mais non sans avoir prononcé ses vœux. « La maison, lit-on dans le manuscrit de la fondation, n’étant pas bâtie régulièrement, ni commode pour y avoir une sépulture, on supplia très humblement les dames de l’abbaye royale de Saint-Pierre, ordre de Saint-Benoît, dans la paroisse de laquelle on était, de donner sépulture chez elles à notre défunte : elles tinrent à honneur d’accorder la grâce qu’on leur demandait. »

Plan de l’ancien Couvent de la Visitation.

Malgré l’incommodité du lieu, les Visitandines restèrent rue du Grillon, exactement deux années cinq mois et treize jours, pendant lesquels se firent la profession religieuse de Marie-Françoise Rellet, Françoise-Jéronyme de Villette, première supérieure de Saint-Étienne, Marie-Catherine et Anne-Louise de Villars, Anne-Marie Chevalier et Jeanne-Françoise Étienne. Au départ de la mère de Chantal, Marie-Jacqueline Favre avait été nommée supérieure ; elle se mit en quête d’une habitation mieux séante et ne tarda pas à la trouver. Au prix de trente mille livres, dont monseigneur de Marquemont se porta garant, elle acheta du sieur Thiery une maison à Bellecour, paroisse Saint-Michel ; le prélat prêta en outre trois mille livres, sans intérêt. La communauté se transporta dans sa nouvelle demeure, le 14 juin 1617, accompagnée de la comtesse de Chevrières et de plusieurs demoiselles de qualité ; cette même année, la mère Favre acheta la petite maison Richard et en 1620, la mère de Blonay acquit un terrain proche de celui de M. Thiery, afin de rendre le grand jardin carré. Cette dernière fit également dresser les murs de clôture et planter les vergers.

Pendant les dix années environ qui suivirent la translation, la Visitation Sainte-Marie de Bellecour, — tel fut le vocable définitif du couvent — n’eut, comme dans la rue du Grillon, qu’une chapelle provisoire, avec un seul autel. Toutefois, les Visitandines ont gardé dans leur cœur et dans leur esprit le précieux et vif souvenir de cette chapelle presque misérable, parce que saint François de Sales « leur grand patriarche » y célébra souvent la messe de 1618 à 1622. On sait qu’en ces quatre ans, il fit cinq voyages à Lyon : au dernier, il y séjourna, avec les cours de France et de Savoie. Monseigneur de Marquemont dont il devait être l’hôte se trouvant à Rome où il fut fait cardinal, les sœurs eurent la joie de posséder leur fondateur dans leur petit logement, c’est-à-dire dans la maison Richard devenue la maison de leur jardinier ; de son côté le bon évêque fut tout aise de s’échapper ainsi de l’apparat. La ville faisait une entrée magnifique au roi et à la reine-mère : « le saint prélat, raconte le manuscrit déjà cité, laissa aller tous ces gens voir cette grande pompe et demeura tout seul dans notre parloir, comme un père avec ses enfants, sans se soucier de voir tout cet appareil du monde. Il nous fit, ce même jour, un très beau sermon tant sur le mystère — c’était le jour de l’Immaculée Conception — que sur l’entrée du roi et nous dit ce qu’il fallait considérer en l’un et en l’autre. La reine Marie de Médicis entra dans notre monastère avec un grand nombre de dames de la cour et y entendit les vêpres ; nos sœurs étaient si recueillies que pas une ne leva les yeux et ne sut dire comment Sa Majesté ni aucune de ses dames étaient vêtues. Le 25 décembre, le bienheureux nous dit la messe à minuit, où la communauté communia et à la fin de la messe, quoi qu’il fît bien froid, il nous fit une belle exhortation sur 1 anéantissement et la naissance de l’Enfant Dieu ».

Force nous est d’abréger ce naïf et charmant récit très circonstancié : « Le jour de la Saint-Jean il dit encore la messe et communia ses chères filles. Après quoi, il ouït la confession générale de notre mère de Blonay. Notre mère aperçut en ses yeux quelque changement causé par le catarrhe qui commençait à se former et elle lui dit : Monseigneur, vous vous trouvez mal ? Il répondit : Ma fille, tout revient à bien à ceux qui aiment Dieu ; il n’est pas loin de midi, s’il m’est possible je reviendrai tantôt recevoir votre novice à la profession : cette novice était sœur Marie-Éléonore Gontal. La bonne mère se mit à genoux ; il lui dit pour dernière parole : Adieu, ma fille, je vous laisse mon esprit et mon cœur. » L’après-midi, tandis qu’on préparait la cérémonie de profession le saint tombait en apoplexie, le lendemain, 28 décembre, il expirait. Toute la ville accourut à la pauvre logette. On n’ignore pas que Lyon et Annecy se disputèrent l’illustre corps ; Annecy l’emporta, grâce au testament même de saint François que la volonté du duc de Savoie et du roi de France fit exécuter. Pendant le débat, la dépouille mortelle du saint était restée en dépôt dans la chapelle de ses religieuses : il fallut hélas s’en séparer. « Mais le soir même de ce 29 décembre, continue le document, le cœur de notre bienheureux père nous fut apporté par M. Ménard, secrétaire de la paroisse Saint-Nizier, vicaire général, accompagné de M. le curé de la paroisse, de M. l’abbé de Mozac et de beaucoup d’ecclésiastiques avec des flambeaux ».

Après avoir été, de la sorte, insignement honorée, la chapelle Sainte-Marie de Bellecour fut remplacée par une église qui, commencée en 1621, fut achevée à la fin de 1627, et consacrée le 8 décembre. « Elle était, écrit Steyert, orientée régulièrement, prolongeant le cloître, le long de la rue à l’ouest, jusqu’à 1m50 environ de la porte de la caserne actuelle de gendarmerie. Le tout empiétait beaucoup sur la rue qui avait alors six mètres à peine de largeur tandis qu’elle en compte maintenant 8 à 10 ; le surplus a donc été pris en entier sur le terrain du monastère démoli. En retour d’équerre, sur le chœur de l’église qui était régulièrement orientée et contre le flanc occidental du cloître, était appuyé le chœur des religieuses, dont remplacement existe encore en grande partie. Il est représenté par l’espace vide entre la gendarmerie et le n° 26 de la rue formant une cour à laquelle on accède par un vaste portail s’ouvrant juste en face du débouché de la rue Boissac. »

Notre-Dame-de-Grâce (Couvent de la Visitation).

Le premier dessein avait été de bâtir du côté de la rue Sainte-Hélène, près des Pères Jésuites ; on commença même à y creuser un fondement de murailles. Mais on représenta que l’église des Jésuites était déjà bien avancée et que les religieuses franciscaines de Sainte-Élisabeth, pour lors logées dans une maison voisine, feraient apparemment la leur tout proche et qu’ainsi il y en aurait trois au même endroit. D’ailleurs tous les offices étaient placés sur la rue du côté des Jésuites qui y tenaient un noviciat, il ne fallait pas penser à prendre aucun jour de ce côté ; d’autre part, si le monastère était construit là, le carré en occuperait tout le jardin ; enfin la mère de Blonay jugeait que l’on s’éloignait trop du lieu où était mort le saint fondateur. Aussi tout bien pesé, on se résolut à faire le bâtiment à l’endroit même où était la maison que l’on avait achetée de M. Thiéry. Il y fallut de bons matériaux et beaucoup de solidité « à l’épreuve du canon de l’arsenal, parce que n’y ayant alors point de maison du côté de la place Bellecour, on y tirait ordinairement les pièces d’artillerie, qui faisaient trembler notre maison. » En moins de quatre ans, le grand bâtiment fut achevé avec la muraille de clôture, depuis l’église des Jésuites jusqu’au mur du jardin et avec les trois chapelles ou ermitages du jardin même. Toutefois, comme l’on ne put vaincre toutes les difficultés du terrain, l’église ne put être tout ce que l’on souhaitait. Des documents postérieurs la qualifieront de peu belle, irrégulière et de faible étendue.

Une petite cour la précédait ; la nef assez longue était par là disproportionnée au sanctuaire ; un lambris à hauteur d’appui régnait tout autour. Elle était « garnie de deux longs bancs attachés aux murailles et d’un sous-pied ainsi que d’un confessionnal » ; des degrés montaient de la nef dans le chœur : la mère de Blonay en voulut quinze, en l’honneur, dit-elle, des quinze marches que monta la Vierge en sa présentation au temple. Il y avait aussi une balustrade entre ces deux parties de l’église. Le jour venait par huit fenêtres percées dans l’épaisseur du mur de telle façon quelles pussent supporter, à leur base, de grands vases de fleurs aux fêtes solennelles ; plus tard, l’on mettra des rideaux de taffetas cramoisi à ces fenêtres distancées lune de l’autre par de larges trumeaux. Dans le haut, un grand arc doubleau séparait la nef du sanctuaire, précisément après deux autels dédiés, celui de droite à saint François de Sales, dès sa canonisation, celui de gauche à saint Augustin.

Le maître-autel d’environ huit pieds de longueur, trois de hauteur et trois ou quatre pouces de profondeur, portait, par-dessus la corniche, une croix de quatre pieds, avec un crucifix et un tableau de la Visitation donné, aux premiers temps du monastère, par un bienfaiteur inconnu. Le tabernacle avait été fait en Savoie, par les soins de sainte Jeanne de Chantal ; deux crédences, longues de deux pieds et demi, se voyaient de chaque côté du maître-autel : on y tenait deux grands chandeliers et, les jours de fête, on y exposait des reliques avec candélabres et fleurs. Une chaire médiocrement grande était aussi placée dans le sanctuaire ; une large grille remplissait entièrement le vide laissé à droite du maître-autel, entre le sanctuaire et le chœur des religieuses ; elle avait dix à douze mètres de largeur, six à dix de hauteur et était par le dessus en anse de panier ; on l’avait posée à deux pieds hors de terre, et elle était formée « de fer carré de petit échantillon, les barres, l’une dans l’autre, sans pointe ni façon, les trous ayant deux pouces et demi de vide » ; au milieu de la grille se trouvait « une fenêtre qui se fermait à clef du côté des sœurs ; haute d’un pied et demi et large d’un grand pied, elle servait à donner la communion et le voile aux religieuses. La stalle de la supérieure, au fond du chœur, était comme les autres, sans nulle façon », mais élevée d’un degré de quatre pouces ; au-dessus était placé un tableau de la Vierge, environné de sentences.

La sacristie était d’une agréable construction octogone ; elle renfermait un autel de cinq pieds avec deux escaliers, une table, une chaire, un agenouilloir et une fontaine d’étain au-dessus de la piscine. À côté d’une petite fenêtre grillagée couverte de toile noire, entre la sacristie des prêtres et celle des sœurs, s’ouvrait un trou d’environ trois pouces en carré pour y passer les flambeaux et les grands cierges.

Sainte Chantal encourageait la construction et conseillait de loin et parfois de près. Par les lettres qu’elle écrivait à la chère cadette — elle donnait ce nom d’amitié à la mère de Blonay — on voit quelle est instruite du moindre détail, qu’elle entre dans les plus minces particularités, suggère des idées artistiques et pratiques, propose « les petites économies à faire », rappelle des plans utiles, bref, se montre femme de tête, comme en toute circonstance.

Le bâtiment achevé en 1627, M. de Meschatin La Faye, chanoine, le bénit, et Robert Berthelot, évêque de Damas, suffragant de Lyon, le sacra ; Mme la présidente Le Blanc, de Grenoble, ayant donné la cloche, en fut la marraine ; la mère de Blonay avait dépensé tant pour l’église que pour le monastère la somme de quatre-vingt mille francs.

Depuis la consécration de l’église jusqu’à la Révolution, des circulaires envoyées du premier monastère de Lyon aux couvents de l’institut, mentionnent les réparations et les embellissements : on lit dans celle du 3 mai 1672 que la supérieure Catherine-Aimée de Vauzelles a orné le sanctuaire d’un balustre de fer « qui est bien beau et bien travaillé » ; dans sa circulaire du 23 avril 1691, Marie-Éléonore d’Apchon de Poncins se réjouit de l’achat coûteux d’une tapisserie de Flandre, de verdure, que l’on trouve fort belle.

Vierge conservée au monastère de la Visitation.

Pendant un de ses supériorats, Anne-Marie de Thélis, morte le 10 octobre 1701, fit faire un tabernacle doré, sans doute pour le grand autel. C’est peut-être de lui que M. l’abbé Vachet écrit : « L’église Sainte-Marie de Bellecour n’avait rien de remarquable que le tabernacle du grand autel ; c’est le modèle de celui qu’on devait exécuter en marbres choisis et en bronze doré ; le modèle était de Ferdinand Delamonce ! » Anne-Marie de Thélis érigea dans le chœur des religieuses un autel à Notre-Dame, où une des sœurs, Marie-Anne-Victoire Trollier, fonda par dévotion une lampe qui brûlait jour et nuit. Marthe-Séraphique d’Apchon de Poncins fit boiser, du haut en bas, le chœur intérieur de l’église, avec ses ornements d’architecture, le tout couleur de marbre blanc, enrichi de dorures, avec de grands tableaux représentant les mystères de Notre-Dame, faits par un excellent artiste ; elle fit peindre aussi la voûte du chœur de l’église qui, dans son genre, est un ouvrage achevé.

« L’espérance de pouvoir célébrer l’année dernière la béatification de notre digne mère, lit-on dans la circulaire de la mère Thérèse-Charlotte de Chevrières, le 8 février 1749, nous avait fait entreprendre un autel de marbre dont nous devons le plan à la personne la plus habile et la plus entendue de ce pays, en fait de tels ouvrages, à dom Prenel, prieur des Chartreux de cette ville. C’est à monseigneur Navarre, évêque de Sidon, que nous avons l’obligation de cette grâce et, à sa considération, ce respectable père a bien voulu conduire l’ouvrage, faisant choix des ouvriers, ordonnant des matériaux et réglant les prix faits à notre avantage. » Il y a plus de détails, à cet égard, dans la circulaire du 30 août 1752 : « Thérèse-Charlotte de Chevrières, à la fin de ses deux derniers triennaux, pensa efficacement à pourvoir notre église d’une chapelle, où notre bienheureuse mère pût être placée. Mais après bien des consultations, on conclut qu’on ne pouvait, sans de grands inconvénients, lui en édifier une nouvelle, la situation de notre église n’en étant pas susceptible : il fallut se déterminer à joindre la fondatrice au fondateur. Pour faire honneur à l’un et à l’autre, on forma le dessein de substituer le marbre, dans la chapelle Saint-François de Sales, à l’ancien retable qui n’élail qu’en bois doré et à tout le reste de la chapelle qui se ressentait du goût antique. On se remit de tout à dom Prenel qui ne trompa point la confiance que l’on avait à ses lumières. « Le couronnement de la chapelle qui porte jusqu’à la voûte de l’église est estimé des plus habiles connaisseurs en fait d’architecture. Monseigneur de Sidon, suffragant du diocèse, nous fit la grâce de sacrer très solennellement cette nouvelle chapelle qui est à portée de notre vue. »

Sous le gouvernement de Marguerite-Sibile Anisson, l’église fut rebâtie en partie et régularisée : ce qui contenta le plus les sœurs, fut la voûte plafonnée en plâtre, une corniche de même matière qui régnait tout le tour, avec des pilastres surmontés de leurs chapiteaux qui, placés de distance en distance, faisaient un ornement achevé. Trois ans plus tard, elles firent peindre, sur le châssis de la grille du chœur, la vie symbolique de saint François de Sales ; « divisée, dit la circulaire d’Anne-Christine Ferrary, en trente petits carreaux. L’un représente une ruche d’abeilles, l’autre un phénix sur un bûcher. » Le détail des autres serait trop long ; au-dessus de chacun se lisait une devise latine. Cette pièce est des plus curieuses. « Les peintres de ce pays-ci mettaient cet ouvrage à un prix excessif ; un italien qui passait a été beaucoup plus traitable ; nous nous en sommes prévalues pour l’acquisition de deux tableaux de cellule et pour en raccommoder plusieurs fort usés par le temps ; il a excellé à un qui est estimé bon par les connaisseurs ; il fait face à un corridor où l’on s’assemble pour l’office ; les figures sont de hauteur naturelle, elles représentent le mystère de la Visitation, saint Augustin et notre saint fondateur, avec deux de ses filles à genoux ; saint François de Sales semble les exhorter à imiter la Sainte Vierge. Cette perspective est des plus dévotes. »

Telles furent les dernières améliorations de Sainte-Marie de Bellecour : l’orage approchait et les jours du monastère étaient comptés. Ce qu’on regrette dans l’église disparue, c’est non pas un monument de valeur artistique, mais l’édifice témoin des inoubliables cérémonies qui célébrèrent la béatification de François de Sales, le 29 janvier 1662, sa canonisation, le 1er mai 1666, la béatification de Jeanne de Chantal, le 30 avril 1732. À ce titre, pour l’honneur de l’Histoire de Lyon, dont il rappelait les plus beaux traits, il ne devait pas périr.

Au demeurant, Sainte-Marie de Bellecour possédait un mobilier dont on doit déplorer la perte : 1o le tableau de la Visitation, présent d’un bienfaiteur inconnu déjà mentionné et que l’abbé Vachet attribue peut-être au peintre Ch. Lagou ; 2o un tableau de Notre-Dame, bonne copie que la mère Anne-Marie de Thélis fit prendre à Rome sur l’original ; 3o une grande peinture de la Merge fort estimée des connaisseurs et mentionnée dans une circulaire ; 4o un tableau du Sacré-Cœur, « le visage du Sauveur est tiré sur le portrait que Jésus-Christ envoya au roy Abagarre ; il a coûté environ quatre cents livres » ; 5o un autre grand tableau du Sacré-Cœur : « Mme de Savaron, abbesse de l’abbaye royale de Chazeaux, dit la dernière circulaire de Bellecour nous a fait don d’un tableau, où sont peintes sainte Scholastique et sainte Chantal réunies auprès du Sacré-Cœur de Jésus » ; 6o une effigie de ce même Sacré-Cœur, en bois doré, pour être mise au-dessus du tabernacle du grand autel, car le tableau « n’était pas assez honorablement placé » ; 7o un portrait de saint François de Sales, « déposé par la mère de Blonay en la place même où le bienheureux rendit son âme à Dieu » ; 8o un grand tableau apothéose exécuté pour les fêtes de la béatification de Jeanne de Chantal. « Ce tableau, qui représente notre digne mère prête à monter dans la gloire, où elle considère notre saint fondateur qui paraît l’y inviter, est fait par le meilleur peintre de Paris, en ce qui regarde les ouvrages de piété ; il est du choix de ma sœur Thérèse-Angélique de Tourmont, supérieure de notre deuxième monastère de Paris, rue Saint-Jacques : elle a donné tous ses soins pour que la pièce fût parfaite. » Et la circulaire du 30 août 1752 ajoute, sur cette même peinture : « La gloire et les anges de grandeur naturelle qui ornent ce tableau sont, au goût des connaisseurs, un morceau impayable ; ce tableau est du pinceau de M. Retours, en réputation à Paris, surtout pour les ouvrages de dévotion. » Plusieurs ornements, en sculpture dorée, accompagnaient, paraît-il, le fameux tableau ; on le mit définitivement au-dessus de l’autel latéral dédié aux deux fondateurs de la Visitation, après qu’il eut figuré aux fêtes de la béatification et de la canonisation de Jeanne de Chantal.

De plus, comme l’attestent les circulaires, avec des formules admiratives, l’église était, en partie, garnie de tableaux commémoratifs des guérisons obtenues par les deux saints, de têtes, de bras, de jambes de cire ; les cœurs d’or et d’argent y abondaient. Pour la sacristie qui fut longue à se pourvoir, elle eut sa revanche en chapes, chasubles, nappes, tours de chaire et tapis, enfin ornements liturgiques complets, de grand prix, dont le détail serait fastidieux. Les reliquaires et objets d’art ne le cédaient pas aux ornements, c’est-à-dire aux vêtements liturgiques et aux étoffes qui ornaient les autels et le sanctuaire. Notons-en quelques-uns : les reliques apportées de Varsovie par la mère Éléonore d’Apchon de Poncins furent enchâssées dans l’argent, l’ébène et le cristal par la générosité de la reine de Pologne ; d’autres beaux reliquaires d’or bien travaillé sont mentionnés ainsi que ceux qui renfermaient les reliques des fondateurs et le cœur d’argent contenant le cœur de chair de la mère Marie-Aimée de Blonay. En 1773, il y eut tout une nouvelle décoration de sept beaux reliquaires dont les cadres en glace et en sculpture dorée étaient montés sur des pieds de même style ; deux étaient pour les crédences du grand autel, les cinq autres pour l’autel Saint-François de Sales.

Le cœur de ce prélat fut enchâssé successivement dans cinq reliquaires différents en forme de cœur. C’étaient : 1o le cœur de plomb où il fut déposé par les religieuses après son extraction et qui plus tard servit à « mettre l’eau que les malades envoyaient sans cesse chercher dans des fioles pour en boire » ; 2o le premier cœur d’argent qui échut au monastère de la Visitation de Riom après que cette communauté eût offert à Bellecour, celui qu’elle eut d’abord et qui était de vermeil ; 3o le cœur d’or donné par Louis XIII. « Le roi, dit le manuscrit de la fondation, étant venu en cette ville de Lyon en 1630, y tomba malade à l’extrémité, d’une pleurésie : la reine Anne d’Autriche envoya chercher par un de ses aumôniers le cœur de notre saint fondateur auquel elle avait voué Sa Majesté ; le roi le baisa révéremment et lui fit plusieurs prières ; puis en reconnaissance de la santé qu’il obtint, par l’intercession de notre bienheureux père, la reine renvoya notre précieuse relique dans un cœur d’or que le roi avait donné. » La Révolution fit disparaître ce beau reliquaire ; 4° le cœur de vermeil, présent et non plus échange des sœurs de la Visitation de Riom ; il était soutenu par un grand pied droit et entouré de rayons en forme de soleil ; 5° un cœur enfin rehaussé de pierreries : « Monseigneur le duc de Mercœur ayant voulu voir cette relique, en actions de grâces de la santé qu’il en avait obtenue, la renvoya aussi dans un autre cœur d’or enrichi de pierreries que la duchesse de Vendôme lui avait offert ; ce reliquaire était en or et en forme de cœur comme celui du roi ; on le fit accommoder à la juste mesure de la précieuse relique ; il fut rivé dans celui du roi auquel on ne voulut pas toucher. »

Cette énumération ne serait pas complète si nous omettions un buste d’argent de saint François de Sales, haut de deux pieds y compris le soubassement, dit la circulaire du 18 mars 1703 ; en 1789, les sœurs livrèrent cette œuvre d’art à la monnaie : leur générosité pour le bien public ne fut pas sans apitoyer les ouvriers mêmes qui jetèrent cette pièce au creuset. Mentionnons également deux chandeliers à branche pour accompagner l’ostensoir, l’un et l’autre d’un travail des plus recherchés et des plus polis, affirme la circulaire du 18 mars 1703 ; enfin l’admirable crucifix de grandeur naturelle donné à la mère Marthe-Séraphique d’Apchon de Poncins : aux pieds du Christ « se trouve une sainte Madeleine en relief, d’une pierre blanche d’une hauteur naturelle, faite par un habile et excellent ouvrier et au-dessous, on voit un tombeau sur lequel ladite sainte est couchée ; on ne peut regarder le crucifix sans que la douleur qu’il imprime par la vue n’attire les larmes par la blessure qu’il a au cœur ».

Le couvent de la Visitation de Bellecour a disparu dans la tourmente révolutionnaire. Dans la première moitié du XIXe siècle, les religieuses Visitandines reprirent possession de la cité lyonnaise.

Sous la direction de Louise-Colombe Betton de Beaufoural, elles s’établirent à la Croix-Rousse, puis le 6 juin 1856, se transportèrent, à la montée du Télégraphe à Saint-Just, où elles se trouvent encore dans un vaste clos qui renferme des bâtiments neufs et bien aménagés.

La chapelle est l’œuvre de l’éminent architecte de Fourvière, M. Bossan, dont la sœur fut religieuse dans cette communauté. Elle manque de dégagement à l’extérieur, parce qu’elle joint de plusieurs côtés les bâtiments du couvent. À l’intérieur, elle présente une forme presque carrée. N’étant pas faite pour le public, on a peu allongé la nef. Le chœur est vaste, et sur le côté droit s’ouvre la salle de communauté d’où les religieuses assistent à l’office. Une immense grille les sépare du chœur de la chapelle. L’autel est de marbre blanc et le devant est orné d’épis et de raisins en cuivre sur fond bleu, rouge et or. Ces sujets sont encadrés par trois colonnettes de marbre gris. Par côté du tabernacle et formant retable, huit anges en cuivre, également sur fond polychromé, portent des objets du culte : le calice, une bourse, des burettes, un chandelier, la patène, le missel, un encensoir avec sa navette. L’autel est recouvert d’un gracieux et léger ciborium, orné à sa partie supérieure d’une sculpture représentant l’Assomption de la sainte Vierge.

À droite, comme il a été dit, s’ouvre la grille des religieuses, et vis-à-vis, à gauche de l’autel, se trouve la sacristie dont l’entrée est surmontée d’une fresque : saint Joseph assis porte l’Enfant Jésus qui lui offre un lis, tandis que deux anges sont en adoration. Dans la nef, deux autels de marbre blanc incrustés d’or sont dédiés à saint François de Sales et au Sacré-Cœur ; ils se font vis-à-vis.

Couvent de la Visitation Sainte-Marie des Chaînes (D’après une gravure de Boissieu).

La voûte de la chapelle est peinte, on y remarque notamment les symboles des litanies tels que : l’arche d’alliance, la maison d’or, etc. Le pavé est formé d’une mosaïque avec dessins géométriques. Il convient aussi de rappeler, à la fin du présent chapitre, le nom de la Visitation Sainte-Marie-des-Chaînes, qui se trouvait à l’emplacement de la caserne actuelle de Serin, près le pont de Serin, et dont il ne reste plus que le portail de sa chapelle que l’on voit encore aujourd’hui, rue François-Dauphin, servant de porche latéral à l’église Saint-François. Ce couvent fut fondé en 1640, sous le cardinal de Richelieu, archevêque de Lyon, par Antoinette Guinet de Montvert, native de Lagnieu en Bugey, laquelle acheta de Moneri, lyonnais, originaire de Milan, l’immeuble où fut installé le monastère. Sa première supérieure fut Anne-Marie Pillet, religieuse de la Visitation de Bellecour. La chapelle n’en fut consacrée que bien plus tard, le 4 janvier 1671, par l’archevêque Camille de Neuville, sous le vocable de Saint-François-de-Sales. Ce fut en France la première église dédiée à ce saint. Le couvent ne tarda pas à jouir d’une grande prospérité, on y compta jusqu’à trente novices. En 1689, quand mourut sœur Louise-Catherine Vernat, supérieure, la communauté comprenait soixante personnes et n’avait pas de dettes. Une de ses successeurs, Séraphique d’Honoraty, fit agrandir le monastère et l’acheva avant sa mort, survenue en 1729. Au xviiie siècle, la décadence s’accentua. Le 23 juin 1753, la communauté se réunissait et on demandait aux religieuses leur consentement pour l’extinction du couvent criblé de dettes. Cette disparition fut acceptée en ce sens qu’on décida de ne plus recevoir de novices. La révolution précipita la dispersion des religieuses, et, en 1807, les bâtiments de l’ancien couvent étaient utilisés par le ministère de la guerre.

La chapelle Sainte-Marie-des-Chaînes était vaste, et meublée, de chaque côté du chœur, d’une rangée de stalles comprenant en tout trente-six sièges. De sa décoration ni de son aménagement, rien, sauf une grande Crucifixion, ne méritait d’être conservé.