Histoire des églises et chapelles de Lyon/Société de Nazareth

H. Lardanchet (vol. IIp. 239-241).

NAZARETH

La société de Nazareth n’est pas d’origine lyonnaise, mais c’est à Lyon que cette restauration à la fois si hardie et si modeste produisit ses premières fleurs et ses premiers fruits dans l’enseignement chrétien des jeunes filles. Elle commença modeste et pauvre d’abord, abondante par la suite. Rappelons en quelques mots, la vie admirable de la grande et pieuse dame nommée Mme de Larochefoucauld, duchesse de Doudeauville, fondatrice temporelle, parce qu’elle ne voulut jamais d’autre titre, quoiqu’elle en méritât un bien supérieur. Sa foi éclairée et prudente, son sens exquis de la vocation religieuse et des nécessités du siècle agité où elle prodigua sa vie jusqu’aux extrêmes limites de la vieillesse, après avoir traversé les péripéties de la Révolution, faisaient de l’épouse « du duc aux bienfaits » comme on appelait son mari, par antithèse « aux ducs à cordon », une initiatrice d’âmes, une régulatrice des tempéraments les plus opposés. Au demeurant. Mme RoUat, première supérieure de Nazareth, ne se considéra jamais que comme l’assistante, la seconde de la duchesse.

L’héritière de la branche aînée des Larochefoucauld était née Augustine-Françoise Le Tellier de Louvois de Montmirail : sa mère, fantasque au possible, dure par ostentation de rigorisme qu’elle mêlait aux excentricités les plus inattendues, comprima son enfance et en aurait tari les sources de tendresse si elles n’eussent été infinies. Elle fut jetée d’un coup dans le monde, comme une bouée en pleine eau, mariée à un enfant de quatorze ans qu’elle avait à peine aperçu dans une fête, le jeune Ambroise de Larochefoucauld-Montendre, fils du marquis philosophe à qui revenait le duché de Doudeauville ; elle avait à peine elle-même atteint à l’adolescence. Il va de soi que les deux époux en miniature furent séparés dès la messe dite et le contrat signé : c’était la mode, mais encore purent-ils s’écrire. Dieu avait bien fait les choses malgré les hasards apparents des usages frivoles. Ambroise de Larochefoucauld-Doudeauville avait un naturel sérieux, un cœur ardent au bien, une raison qui ne se laissait égarer par aucun sophisme ; il grandit, se fortifia de corps, s’embellit du reflet de ses pensées précoces, et quand les institutions de l’ancienne France s’écroulèrent, sa femme et lui émigrèrent. La duchesse, après avoir erré à l’étranger, retourna à Paris pour y veiller sur sa fortune devenue déjà le bien des pauvres. Elle se fit arrêter plutôt qu’on ne l’arrêta deux fois. La première fois elle émut ses juges ; convaincue d’entretenir correspondance avec son époux, elle fut néanmoins acquittée, après ce mot d’un juge : « Tu es une brave femme, citoyenne. » Elle fut plus brave encore en allant trouver Fouquier-Tinville pour revendiquer une lettre qui avait compromis un ami ; le pourvoyeur de la guillotine ne cacha pas son admiration et son respect, et il reconduisit la duchesse libre à son bras sanglant.

La tempête apaisée, le duc et la duchesse, plus heureux que beaucoup d’autres, étaient rentrés en possession de leurs biens. Ce fut pour en faire un noble usage ; le duc devint comme le conseiller des œuvres charitables. Tour à tour, directeur du comité de l’enseignement primaire de la Seine, directeur général des postes, administrateur des sourds-muets, ministre d’État et membre du conseil privé, ministre enfin de la maison du roi et pair de France, il donna les plus beaux exemples de dévoûment aux pauvres, aux malades, aux enfants délaissés. La duchesse cependant s’effaçait, voulant que tout l’honneur du nom brillât sur le chef de famille et se réservant les souffrances intimes. Dieu d’ailleurs ne la ménagea pas : elle perdit prématurément sa fille Pauline, Mme de Rastignac, puis sa belle-fille, fille unique du vertueux duc Mathieu de Montmorency, son gendre, M. de Rastignac, son fils Sosthène et quelques-uns de ses petits-enfants, sa sœur. Mme de Montesquiou, ex-gouvernante du roi de Rome ; auparavant sa belle-sœur, Mme de Dustal, était morte sur l’échafaud avec dix Larochefoucauld. « Le bon Dieu m’oublie en cette vallée de larmes », disait-elle : il ne l’oubliait pas, il prolongeait ses jours pour une œuvre où se montreraient toutes ses qualités.

Ancien couvent de Nazareth à Lyon.

M. et Mme de Doudeauville avaient une prédilection marquée pour le séjour du château paternel de Montmirail : c’était là que Paul de Gondi avait reçu les leçons de saint Vincent de Paul. Bien des années en deçà du temps où nous voici, la duchesse avait contribué pour une large part aux œuvres confiées, à Montléan, faubourg de Montmirail, aux mains expertes des filles de la Charité, et l’idée lui était venue de se faire un domaine propre parmi ces renaissances chrétiennes que Napoléon tolérait et parfois même favorisait. Non loin de l’église remplie de grands souvenirs, elle acheta une modique habitation, et y réunit quelques religieuses de congrégations diverses que la Révolution avait dispersées. La communauté prit le nom de Dames de la Paix. Le célèbre abbé Legris-Duval, confident, directeur et commensal des Larochefoucauld-Doudeauville, en fut le premier supérieur et lui donna de courts principes de conduite fort sages, en attendant les règles particulières dont le temps déciderait. C’était en 1806. À la mort de l’abbé Legris-Duval, en 1819, il y avait des tiraillements, chaque religieuse voulant faire prédominer son ancienne règle. Le père Roger, Jésuite, directeur ferme, doux et habile, Mgr de Frayijsinous en personne, tentèrent en vain de pacifier les Dames de la Paix. La duchesse retenue à Paris, absorbée par ses deuils renouvelés, par les occupations croissantes dont son rang remplissait son existence, ne pouvait, selon sa propre expression, suivre que d’un œil ses filles de Nazareth. Pourtant, quand elle eut peu à peu écarté d’elle tous ces honneurs, quand son mari se fut retiré de la vie politique et eut ressenti les premières atteintes du mal qui devait l’emporter, elle vint plus assidûment à Montmirail et la paix rentra bientôt à sa suite à Montléan, les dissentiments se fondirent, les caractères les plus éloignés se rapprochèrent ; enfin à la mort du duc, survenue en 1841, Mme de Doudeauville se donna presque exclusivement à Nazareth. Au père Roger qui avait sur la fin ressaisi son prestige et était mort en 1839, avait succédé le père Varin, un autre grand directeur d’âmes. Bref, la vénérable duchesse n’entendait plus que des paroles de joie et d’espérance autour de son fauteuil assiégé par ses petit-fils et petites-filles ; et il lui fut montré par des signes très nets que son œuvre vivrait et s’augmenterait. Mme Élisabeth Rollat, personne de caractère et de douceur, avait en quelque sorte fondé de nouveau la communauté en 1822, et la gouverna jusqu’à sa mort en 1842. Quant à Mme de Doudeauville, elle s’éteignit le 24 janvier 1849. Mieux que l’une des sœurs de Mme de Montesquieu, elle méritait cette épitaphe : » Qui l’emporta de sa grandeur, ou de sa beauté, ou de sa bonté ? » Ce qui l’emporta surtout cela en elle, ce fut Dieu et le désir du bien.

L’institut des religieuses de Nazareth a pour but l’instruction et l’éducation des jeunes filles par l’établissement de pensionnats, demi-pensionnats ou externats. À ce but principal de son zèle, la société ajoute les œuvres de pauvres comme écoles, patronages, catéchismes et aussi les missions en Orient.

Depuis l’époque déjà lointaine dont il a été question, la congrégation a largement prospéré ; en 1900, avant les brutales expulsions, elle comptait 300 sujets environ, dont 200 au rang de religieuses de chœur et 100 à celui de sœurs converses et auxiliaires. Il existait douze résidences qu’il importe d’énumérer : 1° à Oullins près de Lyon, maison mère, noviciat, pensionnat de 120 élèves, 2° à Montmirail (Marne), pensionnat de 30 élèves ; 3° à Boulogne-sur-Mer, pensionnat et demi-pensionnat de 100 élèves ; 4° à Reims, pensionnat et demi-pensionnat de 70 élèves ; 5° à Lyon, externat de 60 élèves ; 6° à Taling, près Londres, pensionnat de 35 élèves ; 7° à Rome, quartier des Prati di Castello, 60 élèves pensionnaires ou demi-pensionnaires ; 8° à Beyrouth (Syrie), pensionnat de 100 élèves et école de pauvres de 350 enfants ; 9° à Nazareth, Caïffa, Saint-Jean d’Acre, Cheffa-Amer (Galilée), maisons de mission comprenant des écoles fréquentées par 350 enfants, des dispensaires où viennent chaque jour 200 malades de toutes les religions et auxquels les remèdes sont donnés gratuitement, des congrégations séculières de mères et de jeunes filles chrétiennes, de chacune 150 membres ; enfin en préparation un pensionnat à Rouen.

Aujourd’hui la maison mère d’Oullins a été transportée en Suisse et l’externat de Lyon, situé quai des Brotteaux, vaste et belle construction toute récente, a été — ironie des choses — loué pour une école communale.