Histoire des églises et chapelles de Lyon/Saint-Viateur

H. Lardanchet (tome Ip. 330-337).

CLERCS DE SAINT-VIATEUR

Une des heureuses caractéristiques du xixe siècle réside dans les efforts considérables qui ont été réalisés pour l’amélioration et la diffusion de l’instruction primaire, soit officielle, soit libre. Déjà, nous avons redit les travaux et les succès du Père Champagnat et des Petits-Frères de Marie, il nous reste à rappeler l’histoire d’un homme de bien, le Père Querbes, fondateur des clercs de Saint-Viateur, dont une partie s’occupe d’instruction, et l’autre veille à la bonne tenue des sacristies. Disons de suite que l’idée maîtresse qui a présidé à cette institution, a été motivée par ce fait que les congrégations enseignantes se refusaient à envoyer dans les petites campagnes moins de trois sujets éducateurs ; nombre de paroisses privées par là du bienfait de l’instruction chrétienne, purent ensuite s’adresser aux clercs de Saint-Viateur, qui étaient autorisés à aller seuls ou à deux.

Pour rédiger l’étude qu’on va lire, nous nous sommes servis d’un précieux rapport, écrit par le Père Querbes, et adressé par lui au cardinal de Bonald : c’est une sorte d’autobiographie.

M. Querbes naquit à Lyon en 1793. Après une sérieuse éducation cléricale, il fut nommé vicaire à Saint-Nizier, puis curé de Vourles, près de Saint-Genis-Laval, c’est dans cette modeste paroisse qu’il devait réaliser son dessein.

« Arrivé, dit-il, à Vourles, en 1822, je m’empressai de faire venir des sœurs de Saint-Charles qui y formèrent, l’année d’après, leur premier établissement dans notre canton. Dès 1824, je cherchais à procurer aussi aux petits garçons de ma paroisse le bienfait d’une éducation religieuse, et à me débarrasser de deux maîtres d’école indignes de leur profession. Ma demande d’un frère à M. Courveil, alors supérieur des Maristes, ayant été repoussée, je compris, dès lors, le besoin d’une institution religieuse qui pût envoyer un à un quelques-uns de ses membres jusque dans les campagnes les plus reculées.

« Cette pensée ne m’aurait pas laissé de repos si la Providence ne fût venue alors au secours de ma pauvre paroisse. Elle m’envoya un frère des Écoles chrétiennes, directeur d’une des écoles de Paris, qui me fit offrir, par un de ses parents, propriétaire à Vourles, de venir en diriger l’école à condition que je lui donnerais des leçons de latin. Ce bon frère, qui est aujourd’hui diacre au séminaire de Brou, devint mon chantre, sacristain, catéchiste, commensal et compagnon. L’impiété laissait déjà entrevoir le dessein de s’emparer des petites écoles et d’y transporter le théâtre de la guerre qu’elle fait à la religion. Aussi je me surprenais à songer combien il serait avantageux de procurer à mes confrères des maîtres et des compagnons semblables à celui que j’avais le bonheur de posséder alors. Ce n’était point une nouvelle congrégation religieuse qu’il me semblait nécessaire d’établir ; une simple confrérie de maîtres pieux et chrétiens pouvait répondre au besoin du moment. Ces instituteurs laïques, unis par les liens de la charité, eussent pu rester célibataires ou même s’engager dans les liens du mariage, sans cesser de faire partie de la confrérie.

« Vers la fin de 1826, après avoir terminé la construction de l’église paroissiale, j’exposai, en tremblant, ces premières pensées à M. Cattet, vicaire général, et à Monseigneur d’Amasie ; ce dernier goûta le projet et chargea M. Cattet de le suivre. Il fut d’abord convenu qu’on s’occuperait d’obtenir l’approbation du gouvernement. Une correspondance s’établit avec le ministre de l’Instruction publique. Après bien des ajournements et des délais, je partis pour Paris, en juillet 1829, avec la permission de Monseigneur, muni de lettres de recommandation du recteur de l’Académie et de M. de Verna. »

À toutes les observations qui, à Paris, furent faites à M. Querbes, il répondit, après avoir consulté M. Cattet, qui lui écrivait au nom de l’archevêque. Le 8 août 1829, le conseil royal de l’instruction publique, sur le rapport favorable de M. l’abbé Clausel de Goussergues, qui en était membre, rendit la décision suivante :

« Le conseil royal de l’instruction publique, vu le rapport qui lui a été présenté concernant les statuts de l’association établie à Vourles, département du Rhône, sous le nom de société charitable des écoles de Saint-Viateur, et destiné à fournir des instituteurs primaires pour le ressort de l’académie de Lyon ; décide que son excellence le ministre secrétaire d’État au département de l’instruction publique, sera prié de solliciter une ordonnance royale qui autorise ladite société et qui approuve les statuts dont la teneur suit : 1° L’association portera le nom de société charitable des écoles de Saint-Viateur.

2° Elle sera soumise aux règlements universitaires qui régissent les associations charitables destinées à l’instruction des enfants du peuple.

3° Les postulants suivront un cours d’études de trois ans, pendant lesquels on les appliquera à la lecture, l’écriture, à l’étude de la grammaire française, de l’arithmétique et de la géométrie, autant qu’il en faut pour l’arpentage. On les instruira surtout de la doctrine chrétienne, dont il faudra qu’ils aient une connaissance approfondie, étant eux-mêmes destinés à en donner des leçons.

4° Les membres de l’association seront partagés en deux classes : celle des associés et celle des agrégés, où ils sont admis après un espace de temps suffisant et les épreuves convenables. Les premiers sont célibataires, les uns et les autres ne font aucun vœu et ne prennent aucun engagement qui puissent gêner leur sortie de l’association.

5° L’association a pour chef ou directeur le desservant de Vourles qui se fait assister d’un bureau ou conseil composé des maîtres de la maison d’institution ou école normale, lequel règle, de concert avec lui, ce qui intéresse le bien de l’association.

6° Elle s’attachera aux meilleures méthodes élémentaires, qu’elle adoptera en tout ou en partie. En attendant, le guide des écoles primaires servira de règle pour cet objet.

7° Les sujets, une fois formés, seront envoyés un à un, ou plusieurs ensemble, selon l’importance du lieu, sur la demande des autorités locales ; le directeur s’entendra avec les autorités à l’effet de pourvoir à l’entretien et au modeste ameublement des associés ; les agrégés traiteront par eux-mêmes avec les communes dans lesquelles ils seront envoyés.

Il faut rendre justice à qui elle est due ; cette décision fut le dernier acte du ministère Vatismesnil qui s’y prêta, soit par la conviction du bien, soit par le désir de faire quelque chose d’agréable à M. de Verna, député du Rhône. Pendant que M. Querbes était à Paris, un de ses amis lui écrivit qu’étant allé à l’archevêché, on lui avait dit qu’on tenait M. Querbes pour fou, qu’on lui avait permis ce voyage pour céder à son entêtement mais qu’il reviendrait comme il était allé. Aussi, un orage terrible l’attendait-il à son retour à Lyon : l’archevêque lui adressa les plus vifs reproches sur son voyage et sur ses démarches faites, disait-il, sans autorisation. Le vénérable prêtre demeura d’abord étonné et sans voix ; puis, reprenant ses esprits, il pria Sa Grandeur de se rappeler qu’elle lui avait donné elle-même la permission du voyage et qu’elle avait chargé M. Cattel de le faire remplacer dans sa paroisse ; il ajouta, quant aux démarches, qu’il n’en avait pas fait une seule sans l’avis de M. Cattet à qui Sa Grandeur l’avait adressé et dont il avait toutes les lettres en réponse aux siennes. Mgr de Pins le congédia en lui défendant de donner suite à l’exécution de ce projet. Peu de temps après, M. l’abbé Clausel de Coussergues écrivit au prélat, et M. de Verna lui parla de nouveau du projet : tout fut inutile. M. Cattet, qui éprouvait quelques désagréments à cette occasion, demanda à M. Querbes, comme un service, de lui rendre ses lettres. Celui-ci se hâta de le satisfaire.

Cependant, le 10 janvier 1830, une ordonnance du roi Charles X, rendue, sur le rapport du ministre, M. de Guernon-Hanville, vint sanctionner la décision du conseil de l’Instruction publique ; il y était dit en substance : 1° La société que le sieur Querbes se propose d’établir, sous le titre d’Association de Saint-Viateur, et dont le chef-lieu sera établi dans la commune de Vourles, est autorisée comme association charitable en faveur de l’instruction primaire.

2° La société se conformera aux lois et règlements relatifs à l’instruction publique, et notamment à l’obligation imposée à tous les instituteurs primaires d’obtenir du recteur de l’Académie le brevet de capacité et l’autorisation nécessaires.

3° Le brevet de capacité sera délivré aux membres de l’association d’après les examens que le recteur leur fera subir ; ils recevront également du recteur l’autorisation spéciale d’exercer dans un lieu déterminé, sur le vu de la lettre particulière d’obédience qui leur sera donnée par le directeur de l’association.

4° Le conseil royal pourra, en se conformant aux lois et règlements relatifs à l’administration publique, recevoir les donations et legs qui seraient faits en faveur de ladite association, à charge d’en faire jouir respectivement, soit l’association en général, soit chacune des écoles tenues par elle, conformément aux intentions des donateurs et des testateurs.

Maison et chapelle des clercs de Saint-Viateur, à Vourles.

L’expédition de cette ordonnance eut lieu au moment où M. Querbes s’y attendait le moins. Loin de ranimer ses espérances, elle ne fit qu’aggraver sa position vis-à-vis de monseigneur d’Amasie. Il était facile de comprendre que cet acte avait été fait sans être sollicité, surtout sous un ministre bien intentionné, et qu’il était une suite nécessaire de la délibération du conseil royal transmise aux bureaux du conseil d’État. Monseigneur crut cependant que M. Querbes avait désobéi. Effrayé aussi de la nécessité qui était imposée de subir un examen devant le recteur, et de recevoir de lui l’autorisation d’enseigner, le prélat prétendit que cette clause de l’ordonnance portait atteinte au droit d’enseignement de l’évêque. Vainement le fondateur fit observer que cette mesure était générale depuis l’ordonnance du 21 avril 1828, qu’elle atteignait aussi les Frères de la Doctrine chrétienne et qu’aucune réclamation n’était venue l’attaquer, il resta les mains liées par le désaveu de monseigneur de Pins.

La révolution de juillet vint donner une nouvelle vigueur aux projets des hommes du jour sur les petites écoles, et fit déplorer à M. Querbes l’inaction où il était réduit avec un instrument aussi précieux entre les mains. En même temps, le conseil archiépiscopal s’occupa plusieurs fois de son déplacement : on voulut, par exemple, le charger de la direction d’un petit séminaire. La chose s’ébruita et deux de ses paroissiens, le baron Rambaud, ancien maire de Lyon, et M. Magneval, maire de Vourles, se hâtèrent d’obtenir de monseigneur l’assurance qu’il ne sortirait pas de Vourles. Une autre fois, en 1831, il fut désigné pour la cure de Bourg-Argentat : neuf mois se passèrent à attendre le résultat des efforts pour faire agréer par l’État cette nomination ; le 21 octobre 1831 jour de Saint-Viateur, il reçut une lettre portant que le refus du gouvernement était définitif, et que monseigneur se décidait enfin à présenter un autre ecclésiastique. À l’instant M. Querbes prit la plume pour faire remarquer au prélat cette coïncidence entre la détermination définitive sur son déplacement qui eût rendu l’ordonnance royale inutile et le jour de la fête de la future société. Enfin, le 3 novembre 1831, le fondateur reçut la lettre suivante signée Baron, vicaire général : « Monseigneur a agréé et approuvé en ce qui le concerne, votre institution de clercs de Saint-Viateur ; il en désire le succès, lequel ne sera pas douteux puisque le premier pasteur veut bien y donner sa bénédiction. Je me fais un plaisir de vous l’annoncer. »

Libre d’agir désormais, il fallait d’abord affronter un obstacle devenu insurmontable par la difficulté des circonstances et le défaut de ressources pécuniaires : « Hélas ! » se disait M. Querbes, « si monseigneur m’eut laissé faire en 1829, j’aurais obtenu des fonds du gouvernement et nous serions maintenant cinquante occupés à faire une bonne guerre aux instituteurs irréligieux. » Ce n’était pourtant pas le moment de reculer. Quelques sujets furent reçus à la cure pour être formés, et l’espace devenant trop étroit, il fallut penser à acquérir une maison, laquelle put être le berceau de l’association. Un local adossé à l’église paraissait convenable ; mais lorsque vint le moment de passer l’acte et de payer comptant, M. Querbes manquait des 22.000 fr. nécessaires. Les dames Comte et Mlle Lamoureux furent, en cette occasion, les dignes instruments de la Providence :. les premières, par un don gratuit de 4.000 fr., la seconde par la remise d’une somme de 6.000 fr., dont les intérêts devaient servir à l’éducation d’un jeune homme dans l’état ecclésiastique. Enfin, au moyen d’un emprunt de 12.000 fr., l’acquisition fut définitive.

En donnant son approbation à cette bonne œuvre, monseigneur avait chargé M. Cholleton, vicaire général, de la diriger. C’est de cette époque que datent les progrès réels de la société Saint-Viateur ; c’est à son zèle qu’ils sont dus. M. Cholleton eut d’abord la pensée d’unir la congrégation à celle des Petits-Frères de Marie. L’idée fut approuvée par le conseil épiscopal ; elle était vivement appuyée par l’abbé Pompalier de Vourles, prêtre mariste. Dieu ne permit pas cette union, parce que le but des deux congrégations n’était pas le même. Au milieu des difficultés de la première heure, M. Querbes commença ses essais. Divers sujets furent envoyés en plusieurs paroisses. Quatre d’entre eux, qui donnèrent lieu à des plaintes, furent retirés de leur poste, et d’autres renvoyés pour défaut de vocation. Ces renvois faisaient mauvais effet dans le public, parce que l’on croyait liés par des engagements de conscience des hommes que l’on voyait revêtus d’un costume religieux.

À travers ces difficultés, on put dresser un règlement définitif, approuvé par le conseil archiépiscopal, le 11 décembre 1833, et suivi de l’approbation du cérémonial de réception, le 27 février 1834.

La gêne se fit alors sentir dans les affaires temporelles de la société naissante. Il avait fallu nourrir et vêtir les premiers sujets qui s’étaient présentés sans aucune ressource. Les dames Comte, mères et bienfaitrices de l’établissement, couvrirent les dettes par un don généreux de 8.000 fr. Dans le même temps, par les soins de M. Cholleton, il se forma à Lyon un bureau de recteurs temporels de l’œuvre Saint-Viateur, composé de MM. Cholleton président, de Verna vice-président, chanoine Desgarets secrétaire, Pater curé de Vaise, Coste notaire, Casali notaire, Magneval avocat, et Cosle agent de change. Ces messieurs s’adjoignirent plus tard MM. Garnier-Aynard, propriétaire, Greppo, ancien conseillera la cour royale, et l’abbé Derozzi.

Le Père Querbes, fondateur des clercs de Saint-Viateur.

Au moyen des souscriptions et des collectes du bureau, on acheta le château du Poyet près de Montbrison, on le meubla et l’on y fit les réparations nécessaires. Cette mesure avait été approuvée par le conseil de l’archevêché, qui se proposa de placer dans cette maison les prêtres âgés et infirmes, et qui en fut détourné par de nombreuses réclamations. Elle avait aussi été vivement conseillée par plusieurs membres de l’administration ecclésiastique ; on pensait que les vivres y seraient à meilleur marché et que les contrées voisines fourniraient un grand nombre de sujets. Cette résidence servit pendant trois ans de maison d’études. Mais l’événement trompa les espérances. « Nous reconnûmes », dit M. Querbes, « que les frais s’augmentaient par la difficulté des communications et la nécessite de fréquents voyages. Il nous sembla remarquer aussi, de la part des enfants qui nous arrivaient du pays, peu d’aptitude pour notre profession. La belle résidence du Poyet est abandonnée, il n’y a plus qu’un de nos aides temporels pour garder la maison. »

Parmi les réflexions critiques faites sur la société naissante, celle qui prit le plus de consistance avait pour objet la robe noire sans queue, sorte de soutane adoptée par les clercs de Saint-Viateur définitivement admis dans la société. M. Caltet se plaignit au conseil archiépiscopal et en l’absence de M. Cholleton, de certains faits, et il fut décidé que M. Querbes serait invité à adopter un autre costume. Cette détermination inspira au fondateur une vive inquiétude. Il prit la résolution de demander au Saint-Siège la confirmation des statuts de la Société, afin de les mettre à l’abri de tout changement. Il partit pour Rome, le 5 mai 1838, muni d’une lettre de recommandation de Mgr de Pins ; le pape l’accueillit avec bonté. Les statuts, présentés au nom de Mgr d’Amasie, furent mis entre les mains du P. Rosaven, qui y fit quelques changements ; puis, sur le rapport du cardinal Angelo Maï, la congrégation des évêques et réguliers rendit, le 21 septembre 1838, un décret portant approbation des statuts ; le même jour Sa Sainteté donna l’ordre d’expédier des lettres apostoliques. Cet acte important parut le 31 mai 1839, grâce aux soins de M. Garnier-Aynard qui se trouvait à Rome, et qui lit tous les frais nécessaires.

Dès lors M. Querbes songea à faire disparaître tout ce que l’état provisoire de la société avait laissé subsister jusqu’à ce moment. Les clercs de Saint-Viateur comprenaient que la société ayant été mise au nombre des congrégations légitimement établies dans l’Église de Dieu, et qu’ils devaient remplir les conditions imposées pour l’entrée en la vie régulière ; ils demandèrent donc qu’on ouvrît au plus tôt le noviciat sous la direction d’un Père Jésuite, et, s’il était possible, du Père Brumauld, qu’ils avaient eu l’occasion d’apprécier. Cette demande ayant été favorablement accueillie par le Père Général, l’un des clercs fut envoyé au noviciat des Jésuites d’Avignon pour se former aux fonctions de maître des novices ; enfin le noviciat s’ouvrit à son retour.

Plus tard, l’abbé Faure, prêtre et catéchiste de la société, alla ouvrir et diriger un juvénat à Nevers, par suite de la donation d’une maison faite par M. le vicomte de Maumigny, et lorsque les souscriptions eurent fourni aux besoins de la maison.

Cependant la congrégation passait par une rude épreuve de pauvreté, conséquence des pertes causées à Lyon par les inondations de 1840. Voici comment M. Querbes s’exprime à ce sujet : « Nous avions bon nombre de novices, excellents sujets, reçus gratuitement à ce titre. L’été s’était passé comme à l’ordinaire, en supportant nos charges et en attendant avec impatience le retour de l’hiver et de M. de Verna, pour reprendre les assemblées du bureau de nos recteurs et la collecte de nos souscriptions et de nos bourses. Mais l’inondation vient tarir la source des dons de la charité publique et privée, abattre et décourager le zèle, et nous obliger, je le dis avec douleur, à renvoyer ceux de nos novices qui ne paient pas leur pension. Nous avons 28.000 francs de dette fixe, laquelle est reconnue par le bureau de nos recteurs temporels. Nos dettes courantes s’élèvent, en outre, à la somme de 7.000 francs. Malgré les charges énormes de cette année, ces dettes ne se sont point augmentées. Pour faire face aux dettes passées, le bureau avait, sur ma proposition fait imprimer des billets à distribuer pour obtenir des dons de 50 et de 100 francs. Pour nous créer des ressources pendant quelques années à venir, on avait également dressé des feuilles de souscription dont chacune formait une bourse de 500 francs. On en avait déjà distribué un certain nombre. Ont-elles été remplies ? Nous avons mis en vente le château du Poyet et une maison sise à Panissières. La première propriété vaut 15.000 francs, la seconde 5.000 francs. Le château du Poyet conviendrait pour une maison de retraite et de refuge pour quelques ecclésiastiques qui auraient besoin de se dérober au monde, tandis que d’autres trouveraient à Fourvière un repos honorable, en qualité de chapelains ou de chanoines de cette insigne chapelle. La maison de Panissières conviendrait pour les sœurs de Saint-Charles du même lieu. »

Nous ne savons quelle réponse fut donnée par l’administration ecclésiastique aux desiderata du respectable prêtre. À ce moment la société se composait de cinq catéchistes majeurs ou du premier rang, dont deux prêtres ; de douze catéchistes formés ou du second rang, les uns et les autres ayant fait des vœux perpétuels. Il s’y trouvait, de plus, dix-huit catéchistes mineurs ou du troisième rang, au nombre desquels un prêtre, ceux-ci avec vœux temporaires de cinq ans. Une huitaine de novices avaient été renvoyés, et il en restait dix-huit à la maison, sur lesquels quatre retournaient à Nevers et six ou huit se disposaient à partir pour l’Amérique : Mgr Rosati avait été prié de se faire allouer le prix de la pension de ces derniers par le conseil de la Propagation de la foi ; restait enfin une dizaine de petits aspirants, dont sept déjà employés dans les établissements.

À cette époque la congrégation avait fourni des instituteurs aux paroisses de Vourles, Amplepuis (Rhône), Ambierle (Loire), Brangues (Isère), Mars (Loire), Gosné (Allier), Nîmes (Gard), La Louvesc (Ardèche), Salle-Guran (Aveyron), et dans la Nièvre à Nevers, Saint-Sulpice, Germigny, Azy-le-Vif, Fougues, Saint-Benin-d’Azy, la Machine, Château-Chinon, Thianges, enfin des sacristains dans plusieurs églises de Lyon et de Saint-Étienne.

Depuis cette époque lointaine, l’institut Saint-Viateur a fait de considérables progrès en France et à l’étranger : avant la mort de son fondateur survenue en 1852, il avait fondé deux nouvelles provinces, à Saint-Flour et à Rodez, en s’affiliant deux congrégations diocésaines, celle des frères de Saint-Odilon (1844) et celle des frères de Saint-Jean (1854), et une province au Canada, à la demande instante de Mgr Bourget. Cette dernière devint en quelques années si florissante, qu’elle put à son tour transplanter aux États-Unis, dans l’Illinois, un rameau plein de sève et d’avenir. Sans sortir de son but, en élargissant seulement sa sphère d’action, l’institut Saint-Viateur a ajouté à ses œuvres primitives des orphelinats professionnels et agricoles, des écoles de sourds-muets, des collèges d’enseignement moderne et classique, dont quelques-uns sont devenus, comme au Canada et aux États-Unis, de petits et même de grands séminaires.

On a élevé à Vourles un magnifique bâtiment avec une vaste chapelle, où ne retentit plus actuellement la louange de Dieu, puisque maison et chapelle ont été vendus par le fisc. Pourtant, dans le modeste village de Vourles comme dans le clergé de Lyon, le souvenir du Père Querbes reste en vénération et son œuvre, si elle subit présentement une éclipse, n’a pas perdu, loin de là, sa raison d’être et son utilité : elle reprendra plus tard sa place lorsque luira le soleil de la liberté.