Histoire des églises et chapelles de Lyon/Saint-Just

H. Lardanchet (tome Ip. 150-160).

SAINT-JUST

Deux églises ont été dédiées successivement à l’évêque lyonnais du ive siècle, Justus qui résigna sa dignité par une abdication volontaire et s’enfuit au désert, y mourir dans la pénitence et l’oubli. La première, rasée par les Protestants, occupait dans la rue actuelle des Macchabées l’emplacement où se voyait, il y a quelques mois, le pensionnat des religieuses de Notre-Dame des Victoires ; les travaux de la seconde, inaugurés en 1564, durèrent longtemps ; toujours debout elle sert aujourd’hui de paroisse aux habitants du coteau de Fourvière ; sa façade, diminuée de quelques marches du péristyle, s’ouvre sur la rue des Farges à une petite distance du fort et de la porte désignés sous le même nom. C’est en se retirant et en cédant les lieux à la communauté monastique, introduite par Hugues, archevêque de Lyon et légat de Grégoire VII et d’Urbain II, que le clergé de la basilique de Saint-Patient et de Saint-Remy fut amené à se bâtir une église comme centre de ses souvenirs et de ses usages, afin d’y maintenir ses traditions et ses privilèges. L’obituaire de Saint-Jean, l’unique source, croyons-nous, qui nous renseigne sur cet événement, est muet sur ses causes et ses particularités. Nous savons seulement que l’archevêque racheta de ses deniers quelques parties de l’ancien domaine qui avaient été aliénées ou usurpées par des laïques, qu’il inaugura l’ordre de choses, dont il était l’auteur, en présence d’une nombreuse assemblée d’hommes les plus recommandables et qu’il livra d’avance au glaive spirituel de l’anathème ceux qui chercheraient soit à le troubler, soit à le renverser. Chronologiquement, cette réforme se rattache aux années les plus voisines du commencement du xiie siècle.

Les chanoines de Saint-Just retinrent pour eux la seigneurie du faubourg et les paroisses dont la suzeraineté totale ou les dîmes leur appartenaient. Une bulle d’Alexandre III (9 avril 1170) confirmative d’une précédente d’Eugène III, en fournit l’énumération. Il y est aussi réglé que la charge de l’abbé sera élective et que l’administration des biens sera soumise aux délibérations communes. Quels droit de patronage ou de surveillance l’archevêque se réserva-t-il sur l’administration temporelle et sur l’ordre intérieur, il est difficile de le préciser ; en fait, la dignité abbatiale ne sortit à peu près pas de ses mains, de Bertrand de Goth (1290) à Jean de Talaru (1375), et de celui-ci à la fin des troubles du xvie siècle, mais dans cette dernière période ses pouvoirs furent plus nominatifs que réels. Auparavant on rencontre dans les listes trop incomplètes, qui nous sont parvenues, les personnages de la plus haute noblesse, attachés en même temps au chapitre de la cathédrale, tels que Hugues de Beaujeu, mort en 1127, Ilion II chamarier, qui fit don des colonnes et des peintures d’un portail de Saint-Jean, Girin de Sal, Humbert de Forez, fils du comte Gui II.

Intérieur de l’église Sant-Just.

Cependant, obéissant aux idées prédominantes de l’époque, abbés et chapelains songeaient à protéger la maison de Dieu qu’ils élevaient et leur propre demeure derrière d’épais remparts : le bourg, qui sortait de terre, ressemblait à une vaste forteresse, avec ses fossés, ses ponts-levis, ses créneaux et ses vingt-deux tours, capables de soutenir le plus long siège. La juridiction civile et criminelle du prévôt y était absolue et, comme dans le cloître comtal, sa garde veillait aux deux portes fermées à la chute du jour. Cette position exceptionnelle engagea le pape Innocent l à s’y fixer pendant la tenue du concile œcuménique, convoqué dans le dessein d’excommunier et de déposer Frédéric II ; il pensa que, dans une enceinte aussi solidement munie, il échapperait à tout coup de main tenté par l’empereur. Il arriva dans la première semaine de l’Avent, en 1244, probablement le 2 décembre. Son séjour devait se prolonger jusqu’après les fêtes pascales de l’année 1251, jusqu’au 19 avril.

À aucun moment de son histoire, Saint-Just n’eut une fortune plus brillante et une réunion d’hôtes plus illustres. On vit y affluer, avec la cour pontificale, des prélats de toutes les nations et des ambassadeurs de tous les princes. La réunion préparatoire du concile, à laquelle près de 150 évêques prirent part, se tint au réfectoire capitulaire : l’empereur latin de Constantinople, Baudoin II, s’y rencontra avec Reymond VII, le puissant comte de Toulouse ; Louis IX, en descendant à Aigues-Mortes, s’y arrêta avec sa femme, la reine Marguerite et ses trois frères, Robert d’Artois, Alphonse de Poitiers, Charles d’Anjou ; Guillaume de Hollande, élu roi des Romains, s’y rendit, en 1251, et fut le convive du pape à la table de la Cène du Jeudi-Saint. Les solennités religieuses s’associaient aux entrevues et aux négociations politiques : promotion de quatorze cardinaux, sacre d’évêques, canonisation de saint Edmond de Cantorbéry, procession de la Rose d’or, le dimanche de Lætare, consécration de l’église, même avant son complet achèvement, Innocent IV se prêtait à tout avec une bonne grâce et une activité infatigables. Sa bienveillance épuisa, pour ainsi parler, les concessions de privilèges, d’immunités, d’indulgences spirituelles, d’exemptions canoniques et bénéficiales. La chancellerie ne chôma pas ; il reste plus de quarante bulles rédigées à ce propos ; quatorze au moins recommandent au bon accueil de la chrétienté les quêteurs, dispersés jusqu’en Angleterre, afin d’en rapporter des aumônes permettant de mener à leur fin les travaux de l’église trop souvent suspendus.

On eut, un demi-siècle après, le retour de ces pompes romaines pour l’intronisation de Bertrand de Goth. L’archevêque de Bordeaux, élu pape sous le nom de Clément, se fit sacrer à Saint-Just le 14 novembre 1305 ; Philippe le Bel, auquel il était redevable de la tiare, était présent ; on apercevait à leurs côtés le roi d’Aragon, Henri, comte de Luxembourg, Gaston de Foix, le duc de Bretagne qui périt si misérablement, écrasé par la chute d’un mur, quelques heures après. Une fois encore la collégiale lyonnaise avait été le centre de la catholicité.

Des jours sombres et pleins de menaces s’entremêlèrent à ce mouvement et à cette prospérité dont les résultats, pour peu qu’on ne révoque point en doute les paroles satiriques d’un cardinal familier d’Innocent IV, furent moins favorables aux bonnes mœurs que fécondes en abus et en violences. Depuis longtemps la classe bourgeoise et les gens des métiers supportaient avec une évidente impatience l’administration civile de l’archevêque et du chapitre. Ils souffraient des conflits perpétuels qui éclataient entre les mandataires de l’un et de l’autre et qui se terminaient uniformément aux dépens de leur bourse et de leur tranquillité. Ils aspiraient à traiter eux-mêmes de leurs affaires communales. Leurs réclamations n’avaient pas encore reçu de solution. Une longue vacance de siège, après la démission et le mariage de Philippe de Savoie, qui n’avait jamais pris les ordres sacrés, leur parut une occasion favorable de s’émanciper et d’arracher enfin ces libertés municipales qu’on leur refusait, en les accablant de charges. Malheureusement les passions déchaînées engendrèrent la guerre civile ; on s’arma de part et d’autre : on dressa des barricades. Les citoyens pillent et saccagent le cloître de Saint-Jean : ils montent assiéger celui de Saint-Just dont le clergé avait embrassé la cause de ses confrères d’en bas ; ils tuent quelques soldats, en blessent plusieurs autres, incendient des maisons ; trois fois ils reviennent à l’assaut, mais les portes résistent ; ils se vengent, ou sait avec quelle cruauté, en mettant à sac Cuire, Geney et Couzon, en envahissant Écully, propriété des chanoines de la colline, et en brûlant, dans l’église, le curé et une vingtaine de ses paroissiens. La paix fut longue à se rétablir ; l’autorité de Grégoire X et les ordonnances de Philippe le Bel n’y réussirent qu’en modifiant la constitution des tribunaux et le règlement de la justice, et en octroyant à la commune les franchises qu’elle revendiquait.

Sainl-Just en 1550 (d’après un plan du xvie siècle).

Il serait bien curieux de pouvoir reconstituer cette église des puissants barons de Saint-Just, qu’ils édifièrent à la plus belle époque de l’art gothique, où tant de bienfaiteurs déposèrent les marques de leur munificence et le tribut de leurs vœux. Aucun dessin ne nous est parvenu, sauf celui du plan scénographique du xvie siècle, dont l’exactitude n’est que très approximative. Les documents écrits contiennent au moins de brèves indications qu’il est bon de ne pas tenir dans l’oubli : en les rapprochant et en les comparant entre elles, on a quelque idée de ce que le marteau et le fanatisme des démolisseurs ont anéanti. Le plus connu de ces documents, publié en 1662 et réédité par M. Guigne, le savant archiviste départemental, est le verbal des informations ordonnées par Charles IX sur les dommages causés par les Prétendus Réformés dans le faubourg : deux autres pièces antérieures, que nous souhaiterions aussi vivement voir mettre au jour, compléteront nos informations : la première est l’inventaire du trésor, rédigé en 1540, vingt-deux ans avant la catastrophe, la seconde un autre inventaire auquel les officiers du baron des Adrets procédèrent le 8 mai 1562.

Voici les principaux renseignements que ces textes fournissent. La façade du monument était percée de cinq portes, flanquée de deux tours carrées à toiture plate et ornée de colonnes de marbre. La porte centrale, la plus spacieuse et la plus fouillée, présentait l’image du Christ, ayant à ses pieds l’agneau symbolique du sacrifice : six grandes statues étaient placées de chaque côté : elles représentaient à droite saint Épipoi, saint Jean l’Évangéliste et saint Irénée ; saint Alexandre, saint Jean-Baptiste et saint Just occupaient les niches de gauche. Le carillon ne possédait pas moins de huit cloches, sans compter celle réservée à l’horloge. À l’intérieur, le chœur attirait les regards par ses vastes dimensions et par ses quatre-vingt-six stalles « peintes au dos en or de ducat et représentant images d’histoire » ; le maître-autel de forme rectangulaire était en marbre blanc ; au devant ce qu’on appelait le rastellarium, énorme candélabre formé de deux pieds et d’une bande plate destinée à porter les cierges, ne pesant pas moins de trois quintaux : plus au centre, un lutrin de cuivre doré. En arrière de l’autel, sur quatre colonnes, mesurant dix pieds de hauteur, reposait la châsse de saint Just en pur albâtre ; la relévation solennelle de ces ossements vénérables avait été accomplie, le 2 septembre 1292, par l’archevêque de Vienne, entouré d’un imposant cortège d’abbés, de clercs séculiers et de moines. On comptait au moins vingt-quatre chapelles ; quatre d’entre elles étaient séparées de la nef par un treillis de fer ; la plupart des autres possédaient, avec un autel de marbre ou de pierre, des armoires pour conserver les ornements sacerdotaux, des bahuts à serrure, où les confréries et les particuliers déposaient ce qui avait le plus de valeur. Il y a eu peut-être, au cours des âges, quelques variations dans leurs titulaires ; nous tenons cependant à énumérer ces divers patrons, tels que nous les avons le plus fréquemment rencontrés : leur liste forme comme un tableau des dévotions populaires et des intercesseurs dont on invoqua plus volontiers l’assistance céleste. Après deux chapelles, baptisées l’une du Corps-Dieu et l’autre de la Croix, à peu près contemporaines, fondées l’une en 1489, l’autre peu avant, trois étaient consacrées à la Vierge Marie, sous les noms de Notre-Dame-Antique, Notre-Dame-du-Clocher, dotée par Jean de Mourateur, curé de Saint-Just, le 16 mars 1485, Notre-Dame-de-Pitié avec la prébende des Grossets ; parmi les bienheureux, une place avait été réservée à saint André, saint Pierre, saint Just, saint Cyr, saint Nicolas, saint Denis, saint Antoine et saint Laurent, saint Galmier, saint Sébastien, saint Christophe, saint Roch ; les saintes honorées étaient sainte Marie Madeleine, sainte Anne, sainte Agathe, sainte Catherine, sainte Barbe, sainte Cécile et sainte Geneviève. Mentionnons, pour finir, une chaire en bois de noyer et une cuve antique, sur un piédestal formé de trois colonnettes accouplées, servant de bénitier d’entrée.

Le trésor avec ses reliquaires, ses joyaux, ses évangéliaires, ses tapisseries, contenait des merveilles. Dans l’impossibilité de tout décrire, nous signalerons les plus fameuses pièces d’orfèvrerie : le calice, la croix de jaspe, la rose d’or d’Innocent IV, une châsse d’or, présent de Louis XI, pour enfermer le corps d’un des saints Innocents de Bethléem, une autre châsse, dite des Machabées, avec des fleurs de lis parsemées sur le couvercle et les à-côtés ; le buste de saint Just, morceau capital de la collection. Pierre de Vézelay, dorier et maître de la monnaie de l’archevêque, en était l’auteur : il avait reçu, comme matière, sept marcs et deux onces d’argent, et, par contrat du 9 avril 1330, il s’était engagé à déployer tout son savoir-faire. La mitre était couverte de pierreries, et, à la main qui tenait la crosse, brillait une superbe améthyste. De tant de richesses, il ne reste plus de trace : la Révolution a jeté au creuset ce qui avait échappé à la rapacité des protestants.

Nulle part ailleurs, en effet, autant qu’à Saint-Just, on ne souffrit des dévastations
Façade de l’église Saint-Just.

commises par les antipapistes, disciples de Calvin, et de leurs innombrables déprédations. Maîtres de Lyon dans la nuit du dernier avril au 1er mai 1562, ils se présentèrent le surlendemain, à la porte du faubourg, conduits par le prévôt de la maréchaussée et par les capitaines d’Estranges et Odefroy ; Provençaux et Genevois pour la plupart, ils entrèrent sans opposition et se logèrent chez les habitants, riant de leur terreur et vidant leurs caves. Leur fanatisme s’acharna sur l’église ; ils en brisèrent les statues et les lampes, jetèrent les livres au vent, emportèrent les brocarts et les dentelles ; ils organisèrent une procession sacrilège, traînant dans la rue, au milieu des huées et du chant des Psaumes de Marol, les saintes images et les objets du culte. L’orgie tombée, on procéda, huit jours après, à un récolement régulier, mais il suffit de le lire pour constater ce qui avait déjà disparu et à quel degré le désordre avait été porté. Toutefois, averti par sa famille et plus probablement par un de ses frères. Antoine Pupier, hôtelier de la Croix-Blanche, qui paraît avoir été un des chefs des émeutiers, l’obéancier François Pupier avait enlevé les plus précieux des reliquaires, des vases sacrés, des étoles et des chapes, et les avait emportés avec lui dans ses pérégrinations à Montrotier, à Montbrison, à Chazelles et enfin à Saint-Genis-Laval au camp du duc de Nemours.

On se mit ensuite à la démolition des remparts, et les soldats contraignirent la population à exécuter la corvée avec eux. Dans l’intervalle on procédait au déménagement et à la vente du mobilier de l’église, des bois, des ferrures, des marbres ; il est certain que plusieurs des beaux sarcophages antiques, les hachasses, épars dans le cimetière, disparurent à ce moment-là. On descendit les cloches vers le 24 juin ; la plus grosse fut cédée à Saint-Nizier ; Poncel et Chanouvrier achetèrent le beffroi, Pierre Manasset les bancs du chœur. À la fin de septembre, d’Estranges proposa à deux charpentiers, Jean Bilerne et Jean Duerne, en leur abandonnant les matériaux pour salaire, de saper l’église ; le jour de Saint-Michel, ils enfoncèrent le premier coup de pioche et allumèrent la première mine ; bientôt il ne resta ])as pierre sur pierre de l’édifice ; la vengeance contre les chanoines, qui avaient refusé aux protestants d’ouvrir un prêche dans leur juridiction, était complète.

Lorsque l’ordre fut rétabli et l’autorité royale exercée par le maréchal de Vieilleville, les chanoines de retour constatèrent l’étendue de leurs pertes : ils étaient sans église, sans domicile, sans argent. Leurs actes capitulaires marquent une première assemblée au mardi 6 juillet 1563 ; ils s’étaient installés provisoirement chez les Minimes absents, dont ils avaient rouvert la chapelle, et ils tenaient séance dans une salle haute de l’auberge attenante de Laurent Thévenet.

Leur plus grave souci fut d’écarter la réunion que le maréchal gouverneur voulait leur imposer avec le Chapitre de Saint-Paul ; pour refuser ils s’appuyèrent sur le comte de Tournon, premier chanoine d’honneur de leur compagnie, ainsi que sur sa mère, et ils n’épargnèrent pas à cet effet leurs voyages à Roussillon. Après l’abandon de ce projet d’association, ils se demandèrent à quel endroit se fixer. Fourvière leur parut trop écarté ; le couvent de la Croix de Colle aurait plu, mais les religieux réclamaient leur propriété et soutenaient leur droit de n’être pas délogés, même avec indemnité. Rebâtir sur l’emplacement primitif et sur le plan d’autrefois ne souriait à personne ; on manquait de ressources et le lieu n’offrait plus assez de sécurité. Près du corps de garde, en avant de la porte communiquant avec le faubourg, plusieurs tènements avec des maisons sans importance se trouvaient disponibles : les tènements Bodet, Langlois, Crotte-Bérelle, la maison de Jésus. Cette dernière eut la préférence : elle était alors louée au prix de 90 livres à un hôtelier nommé Guyot, catholique assez tiède, qui avait cependant conservé l’enseigne de Jésus. L’acquisition coûta 2.000 livres ; on calcula que sur ce terrain l’église neuve pourrait avoir 137 pieds de longueur sur une largeur de 40 ; la hauteur irait à 80 pieds et, en employant les matériaux des ruines, on estima la dépense totale à 24.000 livres tournois. Immédiatement on creusa les fondations et on entreprit le déblaiement. Les capitulants de la collégiale n’auront pas désormais de préoccupation plus constante, dans leurs délibérations, que de conduire le monument à son plein achèvement, à sa perfection. La Révolution les surprendra dans leurs perpétuelles combinaisons d’embellissement ou d’agrandissement : leur corps sera dissous, mais en disparaissant il léguera à la paroisse concordataire le fruit de son zèle et de ses épargnes. Il nous reste à raconter rapidement les principaux incidents de ces travaux et de ces transformations intermittentes.

Le plan de la bâtisse fut dressé par M. du Chaffault, ingénieur du roi : Pierre Faure eut la maçonnerie, la charpente échut à Étienne Garin : Nicolas Durand posa les deux verrières du fond, mesurant 17 pieds et demi de haut et dix deux tiers de large ; Jean Decourtel les quatre autres de la nef et une cinquième au-dessus de l’entrée. Trois chanoines acceptèrent la mission de veiller à l’exécution de tout et de régler les ouvriers, Jean Laurencin, le futur obéancier, Michel Gautrelet et le sacristain Antoine Bellièvre. Les ressources vinrent de divers côtés ; on proposa le rachat de nombreuses redevances et servis ; on vendit les droits de justice du faubourg ; on reçut du Consulat une notable subvention ; on emprunta et un marchand lucquois par exemple, Paulin Benedicti, souscrivit 1.000 livres ; on sacrifia des joyaux et des pierreries ; la châsse du saint Innocent en particulier fut confiée à M. Thomas, garde de la monnaie, qui l’estima et la transforma en ducatons. Un accord avec les Frères Minimes, que nous avons publié dans l’histoire de leur couvent, laissait entendre que la collégiale quitterait la Croix de Colle à Noël 1565 ; elle entra donc à cette époque dans l’église neuve, assez avancée pour y célébrer les offices. La consécration solennelle en fut cependant retardée jusqu’au lundi-saint, 8 avril 1391 ; Mgr d’Épinac, qui s’était chargé des fonctions pontificales, choisit ce jour-là, parce qu’il était l’anniversaire de la dédicace célébrée, trois siècles et demi auparavant, par Innocent IV.

A. de La Croix, obéancier de Saint-Just (xviiie siècle).

On attendit 70 ans sans toucher aux constructions, quoiqu’elles fussent très imparfaites, privées de façade et de chevet ; on éleva alors un chœur dont le prolongement ajoutait près d’un tiers à la superficie totale de l’édifice. Les chanoines le réclamaient depuis longtemps, humiliés, disaient-ils, d’avoir à chasser des femmes agenouillées jusque dans leurs stalles, faute de place ailleurs. Le prévôt des marchands et ses collègues de l’échevinage posèrent la première pierre, le 5 avril 1662, et l’archevêque Mgr Camille de Neuville, le 23 décembre de l’année suivante, procéda à une seconde consécration générale. Les mémoires des entrepreneurs, vérifiés par Antoine du Soleil, montèrent à 24.000 livres. Pour la plus grosse part, moins le don de 3.000 livres des échevins, ils furent soldés grâce aux libéralités de l’obéancier, Mathieu Gayot. Ce prêtre de mérite et de vertu, ancien trésorier de France, protonotaire apostolique, ex-prieur de Serrières, qui s’associa à la compagnie des catéchistes-missionnaires de Saint-Michel, réserva les revenus de sa charge à cette intention et même, après son décès, survenu le 3 janvier 1664. Louis et Jacques Gayot de la Bussière, ses deux frères et ses exécuteurs testamentaires, versèrent au syndic les pensions en retard, à mesure que les débiteurs les acquittaient.

Après le chœur on entreprit le jubé, en 1666, et, après le jubé, on songea au portail en 1704. La tradition attribue la paternité de cette façade aussi élégante que correcte, à Ferdinand Delamonce, architecte célèbre dont Lyon conserve plus d’une création qui honore ses talents. Cependant c’est avec son père que le chapitre traita, le 20 août 1704, et le contrat porte en toutes lettres qu’il fournira tous les dessins jugés nécessaires et qu’il ne sera suppléé par son fils que dans le cas de maladie.. Les honoraires furent arrêtés à 200 francs, payables par versement de 25. Le cours des travaux fut interrompu par une ennuyeuse déception. Claude Vitet, un maître charpentier de la montée du Griffon, responsable de l’entreprise, après dix mois de chantier, quand il était à peine au quart de sa besogne, cessa tout à coup de paraître et, une nuit, il enleva les échafaudages et s’enfuit. Les gens de justice le découvrirent à Annecy, où il prétendit être venu pour des affaires de famille. On le condamna, mais le trésorier de Saint-Just, trop docile à ses fréquents appels de fonds, eut à se repentir d’une naïve confiance. Le monument toutefois serait demeuré imparfait, si quelque part, en évidence, on n’avait pas réservé une place aux armoiries des fondateurs, emblème héraldique de leur baronnie, sceau de leur propriété, aide-mémoire pour les feudataires. L’assemblée du 23 janvier 1708 désigna le sieur Tourton « sculpteur en pierre » pour l’exécution de ce morceau capital et on désira qu’il servît de fronton à la grande entrée. Le même artiste compléta l’ornementation par deux bas-reliefs au-dessus des portes latérales ; du même coup on régularisa et on acheva le perron ; on demanda ensuite au Père de Colonia de consacrer par une inscription lapidaire l’heureux terme d’une si longue et si coûteuse restauration. Le lettré jésuite proposa le texte suivant, qui, me semble-t-il, est encore inédit :

D. O. M.
Hæc ædes antiqua modo renovata coruscat
Sancto pontifici Justo sacrata patrono ;
Sumptibus hanc propriis minitantem pene ruinam
Nobilis hic clerus, populo mirante, refecit
Anno Domini 1711.

« Au Dieu très bon et très grand. Cette église antique a été récemment restaurée ; elle est dédiée à l’évêque Justus. Le noble clergé de l’église, aux applaudissements des fidèles, a réparé, à ses frais, la basilique qui menaçait ruine, l’an 1711. »

Un des premiers actes du vandalisme révolutionnaire fut d’abattre les armoiries du chapitre, qui ornaient le portail, elles fameuses licornes leur servant de support. Le conseil général du district ordonna de rétablir ces sculptures ; mais la municipalité déclara que le blason des ci-devant barons de Saint-Just représentait « un monument monstrueux de la féodalité » et son refus dénonça, une fois de plus, le conflit latent soulevé entre les deux assemblées, qui fut si funeste à la paix et à l’ordre public.

Cette stupide destruction avait coïncidé avec la suppression du chapitre lui-même, dissout par la loi sur la Constitution civile du clergé. La dernière délibération, dont les registres contiennent le procès-verbal, fut tenue le 22 septembre 1790 ; la déclaration des biens conformément aux décrets avait été déposée, le 20 février précédent, et, le 22 juin, on avait procédé officiellement à l’inventaire général. L’église, en cessant d’être la première des collégiales de la ville, était maintenue comme paroissiale, et on y joignait, à titre d’annexés, le sanctuaire de Notre-Dame de Fourvière et la chapelle Saint-Roch à Choulans. Le curé, David Bottin, de Normandie, installé le 26 février 1789, prêta serment afin de n’être pas congédié ; malheureusement on le vit donner le spectacle le plus scandaleux des passions jacobines, associées à des mœurs licencieuses, qui le menèrent à l’abdication de son sacerdoce et au mariage civil.

À la reprise du culte public, après la publication du Concordat, le prêtre, chargé de ressusciter et de gouverner la paroisse, fut un ex-vicaire épiscopal de Lamourette, Antoine Désiré Lemontey, lyonnais de naissance, d’un âge trop avancé et, en 1789, cordelier du couvent de Dôle en Franche-Comté. M. Claude Frangin, vicaire de la Primatiale et son futur curé, lui succéda en 1806 ; il fut à son tour remplacé par l’abbé Honoré Greppo, savant épigraphiste, correspondant de l’Institut, dont l’érudition et les œuvres recommandent la mémoire. Il appartenait à M. Jean Boue, homme de goût et de zèle, bibliophile distingué, écrivain comme son prédécesseur, d’attacher son nom aux plus importantes restaurations de la vieille église, exécutées au siècle dernier. M. Gay, architecte, en eut la direction ; elles furent couronnées par la consécration de l’autel majeur, sévère et imposante œuvre de marbre, un peu lourde peut-être, que Mgr de Pins, administrateur apostolique du diocèse et archevêque d’Amasie, inaugura le 3 janvier 1831. Vers la même époque, M. Legendre-Héral livrait les statues de saint Irénée et de saint Just, placées sur la façade. Ainsi le temps, si puissant qu’il soit pour détruire, sert à rajeunir et à éterniser les pieux édifices que la religion protège, qu’une vigilance attentive et dévouée conserve, que les arts et la foi persévèrent à embellir.

Comme il a été dit, l’église Saint-Just, vaste construction des xvie et xviie siècles, est loin d’offrir à l’œil un aspect imposant. Sur la façade, on remarque les statues de saint Just et de saint Irénée au-dessus de deux bas-reliefs de Legendre-Héral représentant l’un l’adoration de la croix et l’autre une scène de martyre.

Lamourette, évêque constitutionnel de Rhône-et-Loire.

En pénétrant dans l’église, on est surtout frappé par la largeur (douze mètres) de la grande nef en comparaison de sa hauteur. Le maître-autel en marbre blanc est orné du monogramme du Christ. Dans la nef de droite, la chapelle de la Sainte-Vierge possède un autel de marbre blanc avec un bas-relief de l’Annonciation, une statue de la Vierge Mère, à la voûte des peintures relatives aux litanies de Lorette ; un peu plus loin on rencontre la chapelle Saint-Joseph, dotée d’un joli autel de marbre, avec au centre un bas-relief représentant la mort du saint patriarche, enfin, dans une niche supérieure, sa statue.

Dans la nef de gauche, faisant pendant à la chapelle de la Sainte-Vierge, s’ouvre celle de Saint-Just, patron de l’église, avec une toile représentant ce saint par Lacuria. L’autel est de marbre blanc et porte le monogramme de cet évêque. Un peu plus bas, on a dédié au Sacré-Cœur un autel de marbre blanc dont le devant est enrichi de deux anges adorant le Cœur de Jésus ; au-dessus de l’autel, une statue représentant le Sacré-Cœur.

L’église Saint-Just offre au visiteur quelques peintures qui ne sont pas sans intérêt. À gauche de la porte principale, au-dessus du bénitier, la Samaritaine par Genod ; à droite, surmontant le baptistère, le baptême du Christ, xviiie siècle. Au chœur, à droite : 1o la Vierge, refuge des pécheurs, dans le goût d’Ary Scheffer ; 2o la Naissance de Jésus ; 3o l’Annonciation, très belle peinture ; à gauche, 1o la Trinité ; 2o la Descente de croix ; 3o l’Adoration des mages, par Boullogne l’aîné. Près du pilastre, à gauche, bonne peinture : le Sacré-Cœur adoré par les anges ; autour de l’arc triomphal, dans sept médaillons, le Christ entouré des quatre évangélistes et des saints Just et Alexandre.

Les vitraux ne sont pas tous d’égale valeur ; en voici cependant la description complète. Au chœur, la sainte Trinité, les quatre évangélistes, la Déposition de la croix, saint Jean penché sur le Cœur du Sauveur. Dans la chapelle de la Sainte-Vierge, l’Assomption, la Naissance du Christ, la Proclamation du dogme de l’ImmaculéeConception, la Vierge Marie, Ressource des infirmes, Consolatrice des affligés. Secours des chrétiens, la Sainte-Famille, le Rosaire, enfin le couronnement de la mère de Dieu.

Près de l’autel Saint-Joseph : saint Joseph portant l’Enfant Jésus, sainte Anne, la Sainte Famille au désert, saint Pothin devant ses juges, la mort de saint Joseph.

Chapelle Saint-Just : scène de la vie du saint, martyre des frères Machabées, jugement de saint Alexandre, Jésus donnant les clefs à saint Pierre, les disciples d’Emmaüs, le Sacré-Cœur et la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, le martyre de sainte Blandine.

Contre le pilastre de droite, statue de sainte Philomène, contre celui de gauche, saint Antoine de Padoue. La chaire est de marbre rouge et jaune, sans caractère. Dans la chapelle de la sainte Vierge, pierre tombale de l’avocat Joseph Berthois ; dans la chapelle Saint-Just, autre pierre sépulcrale gothique, en partie illisible ayant couvert la dépouille de Jean Masson, sacristain du lieu, mort le 12 janvier 1465.

La sacristie possède quatre bons tableaux ; 1° Jésus chassant les vendeurs du temple, copie réduite de l’original du musée de Lyon ou de celui du Louvre ; 2° la Résurrection de Lazare, copie réduite de l’original de Jouvenet, du musée de Lille ou de celui du Louvre ; 3° grand paysage de l’école de Poussin, sur lequel on a peint après coup la Fuite en Égypte ; 4° Jésus bénissant les enfants, toile plutôt médiocre.

Dans la chapelle Saint-Just, près du pilastre de gauche, intéressante inscription dont voici le texte :

« L’abbé Lacroix de Laval, obéancier de Saint-Just, a fondé à perpétuité deux messes, l’une qui sera chantée le 17 janvier, et l’autre, messe basse, se dira le 26 janvier. Pour l’acquittement de cette fondation, il crée une rente de 70 francs le 10 septembre 1824. »

Sous le premier vitrail de la nef gauche, autre inscription par laquelle on apprend que Jean-Pierre Garcin, décédé à l’âge de 92 ans, fabricien de la paroisse Saint-Just, de 1803 à 1867. a fondé à perpétuité deux messes : l’une pour le repos de l’âme de Marie Pupier son épouse, décédée le 13 octobre 1847, l’autre pour le salut de son âme.