Histoire des églises et chapelles de Lyon/Saint-François de Sales

H. Lardanchet (tome Ip. 97-102).

SAINT-FRANÇOIS-DE-SALES

Au xviiie siècle, l’espace limité actuellement par les rues de la Charité, Saint-Joseph, Sala et François-Dauphin était occupé par deux communautés de femmes : au nord, la maison des Filles-Pénitentes ; au sud, et sur l’emplacement de la prison militaire, la maison des Recluses. Voici les notices consacrées à ces deux maisons dans l’Almanach historique de la ville de Lyon de 1745, pour la première, et dans l’Almanach de 1755 pour la seconde :

Église Saint-François-de-Sales.

« L’établissement de la maison des Filles-Pénitentes, situé près de la place Louis-le-Grand, dans la rue Saint-Joseph, fui formé en 1654, enregistré au parlement par lettres patentes et approuvé le 20 décembre de la même année, par le cardinal de Richelieu, archevêque de Lyon. Les dames supérieures de la maison sont les religieuses de la Visitation de Sainte-Marie, place Louis-le-Grand ; elles ont la direction de la communauté pour le spirituel. On reçoit dans cette maison des filles de famille qui ont été déréglées dans leur conduite, en donnant une dot, dont les sieurs recteurs et administrateurs du temporel conviennent avec les père, mère ou parents des dites filles, pour y rester pendant leur vie, tant en santé qu’en maladie. C’est une maison de correction, où la plupart cependant de celles qui y ont été mises, au bout d’un certain nombre d’années, et après une longue épreuve, se font religieuses. Le bureau est composé de douze recteurs ou administrateurs. »

« La maison des Recluses est destinée à la correction des femmes et des filles de mauvaise vie. Elle doit son origine au zèle des citoyens qui formèrent et exécutèrent dans le siècle dernier le projet de les renfermer, pour arrêter leurs désordres et tâcher de les ramener au travail et à la vertu. Les lettres patentes qui en autorisent l’établissement sont datées du mois de janvier 1710 ; elles ont été enregistrées au parlement de Paris le 7 septembre 1723. Cette maison est soumise aux ordres de monseigneur
L’Assomption, par Fabisch (Église Saint-François).

l’archevêque, pour le spirituel, et à ceux de monseigneur le gouverneur ou de monsieur le commandant, en son absence, pour le temporel. Elle est régie par un bureau composé de plusieurs administrateurs ecclésiastiques et laïques qui, par leurs règlements, ne peuvent directement ou indirectement solliciter l’entrée ou la sortie d’aucune recluse. Le peu d’étendue des anciens bâtiments qui servent actuellement, et le défaut de fonds suffisants pour les augmenter, n’avaient pas permis jusqu’à présent au bureau de faire tout le bien qu’il n’a cessé de désirer, et qu’il espère des constructions nouvellement entreprises sur un plan médité pendant bien des années. Son objet principal est de séparer absolument les filles recluses qui se trouvent disposées à se convertir des plus perverses, et de faciliter les moyens de veiller sur toutes avec encore plus de facilité. Pour y parvenir, il a fallu former des bâtiments différents pour deux communautés ; des cellules à chaque fille en particulier pour y coucher, et bien d’autres constructions considérables ; ces constructions sont avancées, mais les administrateurs ont encore besoin de fonds pour les conduire à leur perfection : ils espèrent que des citoyens zélés applaudiront à leur vue et voudront bien y concourir ; plus ils recevront de secours, plus ils seront en état d’affermir et d’étendre une œuvre aussi intéressante. » Les Recluses étaient placées sous la conduite de dix dames de la congrégation Saint-Joseph. Lors de la fondation de l’établissement des Recluses, on y logea quelques-unes des pensionnaires de la maison des Filles-Pénitentes, celles qui y étaient enfermées par ordre de la police.

Le consulat ne fut pas étranger à la fondation de la maison des Filles-Pénitentes. Par délibération de 1657 (on voit que cette date ne concorde pas avec celle de 1654 donnée par l’almanach), il donnait l’autorisation à Antoine de Neufville, abbé de Saint-Just, neveu et vicaire général de l’archevêque de Lyon, de créer dans la ville une maison de Filles-Repenties qui devait être placée sous la direction des religieuses de la Visitation Sainte-Marie. En 1664, il faisait un don de 500 livres à cette communauté établie d’abord au Gourguillon, puis transportée près de Bellecour. Dans ce nouveau quartier la maison des Filles-Pénitentes et celle des Recluses n’avaient à l’origine qu’une chapelle commune, sous le vocable de Sainte-Madeleine, qui occupait remplacement de la petite nef actuelle de l’église Saint-François-de-Sales, sur la rue François-Dauphin. Cette chapelle fut érigée en prieuré en 1656, à la suite d’une donation faite par Michel Combet, curé de Saint-Romain de Saint-Pierre-le-Vieux. En 1067, l’archevêque Camille de Neufville fondait dans la chapelle Sainte-Madeleine des Pénitentes de Bellecour une Confrérie des Agonisants dont les associés s’engageaient à s’assister les uns les autres en cas de maladie et à l’article de la mort.

Bas-relief de l’autel de la Sainte-Vierge, dessin de Janmot. (Église Saint-François)

En 1690, la chapelle primitive Sainte-Madeleine fut remplacée par un édifice sous le même vocable, construit en forme de T, dont la partie principale, correspondant à la grande nef actuelle de l’église Saint-François-de-Sales, était ouverte au public, et dont les deux bras étaient réservés, l’un, celui de droite, séparé du sanctuaire par des grilles barreaudées, aux Recluses (chapelle actuelle de la Sainte Vierge) ; l’autre, celui de gauche, aux Filles-Pénitentes (nef de la rue François-Dauphin). On voyait dans la chapelle des Filles-Pénitentes un tableau de Notre-Dame de Pitié de Jean Crétet, qui passait pour le meilleur ouvrage de cet artiste lyonnais.

Sous la révolution, les Lyonnais restés fidèles, ne pouvant plus fréquenter les églises livrées au clergé schismatique, avaient adopté quelques chapelles de communautés : celle des Filles-Pénitentes était du nombre. La populace, excitée contre eux par les clubs, s’y portait à l’heure des offices, et leur prodiguait des insultes et des violences ; ce fut alors qu’à la sortie de la chapelle de la Visitation Sainte-Marie, dont l’emplacement est aujourd’hui en partie occupé par la caserne de gendarmerie, des femmes furent outragées et fouettées publiquement. Le maire Vitet, au lieu de sévir, prit prétexte de ces désordres pour faire fermer les chapelles fréquentées par les catholiques.

La maison des Recluses, transformée alors en prison, devint l’une des innombrables bastilles élevées en France par la révolution. De nombreux Lyonnais y furent enfermés et la plupart n’en sortirent que pour monter à l’échafaud ou être fusillés. Un témoin raconte qu’à son entrée aux Recluses, douze cents Lyonnais, dénoncés et arrêtés depuis le siège, en peuplaient l’enceinte, dont les quatre cinquièmes devaient périr, que sur cent prisonniers partis un matin des Recluses à onze heures et conduits à l’hôtel de ville, dix-sept étaient déjà condamnés, livrés au bourreau et exécutés à onze heures et demie, et que, sur une autre fournée de même nombre, il n’échappa à la mort que trois de ses compagnons de captivité. Une nuit, quelques prisonniers des Recluses, trompant la surveillance des geôliers, étaient parvenus à percer un trou dans le mur de la salle où ils étaient enfermés ; mais l’ouverture devenue praticable ne donnait d’issue que dans la chapelle contiguë transformée en magasin national, rempli d’objets d équipement pour les armées et dont toutes les portes étaient fermées. Les fugitifs ayant alors entrepris de s’ouvrir un nouveau passage à travers le mur de la chapelle qui les séparait de la rue, furent entendus au cours de leur travail par le magasinier du dépôt qui donna l’alarme, réintégrés dans leur prison et chargés de chaînes.

La prison des Recluses fut le Théâtre, le 4 mai 1795, lors de la réaction qui se fit à Lyon contre les excès des conventionnels, d’une scène atroce : le peuple ameuté contre les auteurs de tant de crimes qui avaient décimé les familles, poussant des cris de vengeance, força les portes des prisons et massacra les jacobins qui y étaient enfermés ; à la prison des Recluses, quarante-deux de ces malheureux furent mis à mort.

Le Concordat ayant rétabli en France la paix religieuse, de nouvelles paroisses furent délimitées dans la ville de Lyon, en 1803, sous l’administration du cardinal Fesch. C’est de cette époque que date la fondation de la paroisse Saint-François-de-Sales, ainsi dénommée en souvenir de la mort de ce saint évêque survenue le 18 décembre 1622, au couvent de la Visitation de Bellecour. Par arrêté du préfet du Rhône du 8 avril 1803, l’état cédait à la succursale Saint-François-de-Sales le bâtiment des Filles-Pénitentes et l’affectait au logement du desservant et de ses vicaires. En fait, l’église des Filles-Pénitentes était ouverte au culte depuis deux ans déjà : le premier acte de baptême y fut enregistré le 3 août 1802.

En 1807, on éleva la nef de la rue François-Dauphin avec ses tribunes et dans son état actuel, sur l’emplacement agrandi et élargi de l’ancienne chapelle Sainte-Madeleine. Le portail monumental qui donne accès de la rue François-Dauphin dans cette partie de l’église provient du troisième monastère lyonnais de la Visitation, dit Sainte-Marie-des-Chaînes, qui était situé à Serin. La provenance de ce portail peut s’expliquer par ce fait qu’avant la révolution, la direction de la maison des Filles-Pénitentes était confiée aux religieuses de la Visitation de Bellecour. Il porte, au fronton, gravée sur un cartouche suspendu à des guirlandes de fruits, une inscription dont voici la traduction : « Seigneur, effacez les péchés de ceux qui prient en ce lieu et montrez-leur le chemin par où ils doivent passer ».

Peinture de Janmot. (Église Saint-François-de-Sales).

En 1816, le conseil municipal décidait la création de la place actuelle Saint-François précédemment englobée dans les bâtiments de la prison militaire ; à cette occasion, l’église fut accrue de l’espace nécessaire pour ajoutera l’édifice, au midi, une nef latérale avec une tribune au-dessus, et, au levant, la chapelle du Sacré-Cœur, et la petite sacristie située derrière. Peu après, la fabrique achetait l’ancien réfectoire des Filles-Pénitentes, aujourd’hui occupé par les écoles paroissiales et construisait le clocher ; le 23 avril 1823 avait lieu la bénédiction de quatre cloches dont les parrains et marraines furent : le comte de Brosse et la vicomtesse Paultre de la Mothe ; M. de Savaron et Mme de Saint-Trivier ; le marquis de Regnaud de Parcieux et Mme de la Pape ; le comte Laurent de Seras et la marquise de Leusse. En 1830. on construisit le chœur, la façade ; on compléta les nefs latérales et les tribunes qui les dominent ; en 1835, le presbytère fut restauré. En 1839, M. Benoît, architecte, recevait la mission d’exécuter tout un ensemble de travaux dont le projet comprenait : 1° la reconstruction de la chapelle de la Sainte Vierge ; 2° la réfection de la sacristie et des fonts baptismaux ; 3° la reconstruction du dôme et des piliers qui le supportent ; 4° l’agrandissement du chœur ; 5° la construction de deux nouvelles chapelles de chaque côté du chœur : tous ces travaux étaient terminés en 1847.

Après la période de construction de l’édifice, restait à pourvoir à sa décoration intérieure. En 1856, la chapelle de la Sainte-Vierge était restaurée et recevait la belle statue de l’Assomption, une des meilleures œuvres de Fabisch. En 1858, Louis Janmot fut chargé de peindre la coupole : l’artiste s’y est montré le digne disciple d’Orsel et d’Ingres et l’émule d’Hippolyte Flandrin. On lui doit encore le tableau qui décore la chapelle du Sacré-Cœur ; celui de la chapelle de Saint-Joseph fut exécuté en 1866 par M. Ravel de Malleval. Le grand orgue de Saint-François, œuvre de la maison Cavaillé-Coll, et l’un des meilleurs de ceux que possèdent les églises de Lyon, a été inauguré le 16 décembre 1880 par M. Charles-Marie Widor, organiste de Saint-Sulpice, fils de M. Charles-François Widor, qui fut organiste de Saint-François de 1838 à 1891.

L’église Saint-François possède une belle statue du Sacré-Cœur, du sculpteur Cabuchet, d’un sentiment religieux très élevé. Son trésor renferme aussi de merveilleux objets d’orfèvrerie religieuse, œuvres de M. Armand-Caillat : un reliquaire offert en 1890 à Mgr Gourgout, curé de la paroisse, lors de la célébration de ses noces d’or sacerdotales, et surtout l’ostensoir composé en 1886 avec un très riche écrin de diamants et de pierres précieuses léguées à la paroisse par une généreuse bienfaitrice et merveilleusement enchâssées dans l’œuvre vraiment géniale du grand artiste lyonnais. Les quatorze tableaux du Chemin de la croix (1895), formés de plaques de cuivre gravées, champlevées et émaillées au feu, sont également une création de M. Armand-Caillal, quia su y traduire avec les ressources de son art original, l’émotion ressentie au spectacle des grandes scènes de la passion du Sauveur. Dans la chapelle du Sacré-Cœur sont exposées de nombreuses reliques de saint François de Sales.

L’année 1900 ramenait l’anniversaire, après soixante années, de l’ordination du vénérable curé de la paroisse. À l’occasion de ses noces de diamant sacerdotales, ses paroissiens lui ont offert pour son église, avec le produit d’une souscription, un nouveau baptistère dont l’exécution fut confiée à M. Sainte-Marie Perrin. Le monument, composé par l’éminent architecte dans le style de l’église, est décoré d’une très belle statue en bronze de saint Jean-Baptiste, œuvre du sculpteur Dubois, surmontée de cette inscription : Joan, in deserto baptisans baptismum pœnitentæ in remissionem peccatorum, et de deux écussons, l’un aux armes du cardinal Coullié, archevêque de Lyon, qui a béni le baptistère le 2 mai 1900 ; l’autre, aux armes du cardinal Penaud, évêque d’Autun, membre de l’Académie française, qui fut baptisé à Saint-François le 7 février 1828. Enfin, une inscription rappelle que les registres des baptêmes de la paroisse, entre autres noms illustres dans la cité, portent, à la date du 18 avril 1826, celui du P. Antoine Chevrier, le saint fondateur de la Providence du Prado.