Histoire des églises et chapelles de Lyon/Sœurs Saint-Charles

H. Lardanchet (vol. IIp. 203-208).


SŒURS SAINT-CHARLES

Le xviie siècle ne fut pas seulement une époque de bel apparat catholique, mais aussi l’âge de la réforme des lois et de l’éducation des pauvres et des enfants. Combien, parmi les justes admirateurs de Louis XIV, ignorent jusqu’aux noms de Le Nobletz, du Père Eudes Mézeray, de Bourdoise, du bienheureux Grignon de Montfort, de Lantages et de tant d’autres. Et pourtant des institutions comme celles des demoiselles de l’Instruction de Paris et du Puy, des sœurs de la Sagesse, des sœurs des Petites écoles, des Doctrinaires ont puissamment ajouté aux titres de cette glorieuse période de notre histoire. Les Messieurs de Saint-Charles, fondés par Démia, et à leur heure, rivaux en zèle et en succès des Eudistes de Grignon de Montfort, prennent rang parmi ces œuvres trop ignorées. Il importe de rappeler ici brièvement la vie et les mérites de Démia, fondateur des Filles de la Doctrine chrétienne, dites aujourd’hui sœurs Saint-Charles, et du séminaire du même nom.

Charles Démia naquit à Bourg-en-Bresse, le 3 octobre 1636. Son père exerça d’abord la profession de pharmacien. Son intelligence des affaires et sa parfaite probité lui valurent la charge de secrétaire du marquis de Thiange, gouverneur de la Bresse. Quelques années plus tard, le maréchal de La Mothe-Houdancourt, vice-roi de Catalogne, l’attacha à sa personne ; il ne jouit pas longtemps de ce bénéfice, car il mourut d’une pleurésie, à l’âge de 48 ans, laissant deux fils en bas âge, Charles et Joseph Démia. Leur mère mourut peu de temps après. La Providence, qui voulait accoutumer Charles à l’esprit de sacrifice, lui enleva son frère Joseph deux ans après. Elle le consola de la mort de ses parents, en substituant à leur place l’une de ses tantes, Jacquema Démia, personne recommandable par sa piété et sa prudence ; elle se chargea de son éducation.

La charité de Charles pour les pauvres, qui devait être la caractéristique de sa vie, se manifesta dès sa plus tendre enfance. On le vit tout jeune quitter en hiver sa chemisette pour la donner à un petit malheureux qui implorait sa compassion.

Charles Démia fit ses premières études au collège des Jésuites de Bourg et prit le grade de docteur en droit canon. À l’âge de dix-huit ans, il fit un voyage à Lyon et y fut tonsuré le 31 mars 1654 ; le 8 septembre 1660, il entra au séminaire Saint-Sulpice à Paris pour se préparer à la vie sacerdotale. Il eut le bonheur d’avoir pour directeur le célèbre Tronson, qui, à l’imitation de M. Olier, s’efforçait d’inspirer à ses élèves une haute idée de la fonction de catéchiste. De ces catéchismes naquit l’idée de former des personnes chargées de seconder les prêtres dans cet apostolat de la jeunesse. Ce fut l’origine des Dames de l’Instruction de Paris et du Puy, des sœurs Saint-Joseph, Saint-Charles et des Frères des Écoles chrétiennes.

En s’efforçant de se rendre capable de travailler un jour à la sanctification des autres, M. Démia ne négligeait point son propre avancement spirituel ; après une sérieuse préparation, il reçut les saints ordres, le 14 mars 1663. Avant de revenir à Bourg, il donna de petites missions en Poitou et en Touraine. Arrivé dans sa ville natale, il se fit agréger en qualité de prêtre habitué à l’église collégiale Notre-Dame. Son exactitude à remplir les fonctions ecclésiastiques lui attira la haine des prêtres peu réguliers. Pour être plus utile au prochain et afin d’éviter de nouveaux froissements entre collègues, il se retira dans sa maison, où il établit des conférences cléricales dont le but était l’instruction et la sanctification du clergé.

Charles Démia, fondateur du Séminaire Saint-Charles et des sœurs Saint-Charles de Lyon.

Durant son séjour à Bourg, M. Démia allait faire le catéchisme aux enfants les dimanches et les fêtes dans les paroisses environnant la ville, et propageait la dévotion envers la Sainte Vierge en distribuant des médailles qu’il avait fait graver. Il n’oubliait pas les pauvres, visitait les hôpitaux, les prisons et les pauvres honteux. Il devint bientôt le père de tous les infortunés de Bourg. Comme cette ville était trop petite pour satisfaire un zèle aussi actif que le sien, Lyon lui parut être le lieu où Dieu voulait l’appliquer au salut des âmes.

L’archevêque de Lyon, Camille de Neuville, avait fondé le séminaire Saint-Irénée, pour la réforme de son clergé et de son diocèse, et en avait confié la direction à M. Hurtevent, prêtre de Saint-Sulpice. M. Démia alla offrir ses services au digne supérieur, afin de travailler sous ses ordres, et de s’occuper spécialement des enfants délaissés. M. Hurtevent comprit de suite quel trésor il possédait dans M. Démia. Il le présenta à Antoine de Neuville, abbé de Saint-Just et vicaire général, afin que, par son crédit, il eût libre accès auprès des personnes les plus recommandables de la ville. Par les soins d’Antoine de Neuville, l’archevêque de Lyon nomma M. Démia archiprêtre de la Bresse ; celui-ci, qui n’attendait que l’occasion d’exercer son zèle, s’acquitta de sa charge avec une activité et une ardeur qui justifièrent pleinement le choix du prélat. L’office de promoteur était venu à vaquer par la mort de M. Sève, chanoine de Saint-Nizier, M. Démia, sur les instances de M. Hurtevent, accepta encore cette charge qu’il remplit à la satisfaction de tous.

Son amour pour les pauvres lui fit établir un conseil et un bureau de prêt gratuit. Mgr de Neuville céda volontiers une chambre de son palais pour la réunion des personnes dévouées à ces institutions charitables. La première réunion eut lieu le 7 janvier 1678. Pour suffire à toutes les charges que ses supérieurs ecclésiastiques lui avaient imposées, il se fit un règlement journalier qu’il observa ponctuellement. Tous les jours, soir et matin, il faisait la prière avec ses domestiques, récitait les parties de l’office divin aux heures marquées par l’Église, et chaque année célébrait, avec action de grâces, l’anniversaire de son baptême et de son ordination. Sa mortification était connue de tous : jamais en hiver il n’usait de feu dans sa chambre ; sa table était d’une extrême simplicité, il se contentait des mets les plus ordinaires.

Ayant remarqué que la jeunesse et surtout les enfants du peuple vivaient dans un grand libertinage faute d’instruction, il prit la résolution d’appliquer tous ses soins à l’établissement des catéchismes et à la bonne discipline des écoles. Dans ce but, il adressa une supplique au prévôt des marchands et échevins de Lyon. Ses avis ne furent pas pris en considération. Cependant, malgré les difficultés, M. Démia ouvrit une école populaire dans le quartier Saint-Georges, le 9 janvier 1667.

Le maître d’école reçut 200 livres de gages par année. La classe des enfants pauvres attira l’attention des magistrats, et, le 30 décembre 1670, ils décidèrent qu’une somme de 200 livres serait prise sur les deniers communs pour être employés à une école publique où l’on apprendrait aux enfants les principes de la religion chrétienne et même à lire et à écrire : M. Chastal, prêtre de Clermont en eut la direction. Elle fut désignée sous le nom d’école de la Maison de Ville ou de Saint-Pierre. L’exemple des magistrats engagea des personnes charitables à créer les écoles de Saint-Michel, Saint-Nizier, Bourgchanin et Saint-Paul.

M. Démia, pour soutenir ces écoles, n’avait que les 200 livres fournies par la ville ; pour le reste, il comptait sur la Providence. Les épreuves ne manquèrent pas au digne fondateur. L’archevêque lui-même ne se montra pas d’abord favorable à ces projets. Le succès de l’entreprise vint dissiper toutes les hésitations. Au début, un prêtre était placé à la tête de chaque école, celles-ci se multipliant, M. Démia, en 1673, institua le Bureau des écoles, chargé d’inspecter les classes. Il fut décidé que chaque année, dans l’octave de la Nativité de la Vierge, le Bureau ferait un pèlerinage à Fourvière pour solliciter la protection de Marie, mère des pauvres. Pour attirer les enfants vagabonds et venir en aide à ceux qui vivaient d’aumône, M. Démia obtint que le Bureau de la Charité fournirait du pain et des habits aux élèves nécessiteux. Ces écoles produisirent un bien remarquable, non seulement les élèves devinrent plus nombreux mais ils se firent moniteurs et instruisirent leurs camarades qui ne pouvaient fréquenter les classes.

L’homme de Dieu voulut étendre les bienfaits de l’éducation chrétienne à tout le diocèse de Lyon. Pour cela il obtint un arrêt du roi, en date du 7 mai 1674, qui lui permit de réunir de vertueux laïques et de pieuses filles afin de les former à la direction des écoles. Cette œuvre fut mise sous le patronage de saint Charles Borrhomée « l’un des saints qui ont témoigné le plus de zèle et d’estime pour les écoles ». La célébrité des petites écoles de Lyon engagea les curés de Saint-Étienne, de Saint-Rambert en Forez, de Villefranche et de Saint-Chamond à en établir dans leurs paroisses. Les évêques de Châlons, de Grenoble, d’Agde et de Toulon désirèrent des maîtres formés par M. Démia. Le saint homme avait réglé dans le plus grand détail l’ordre et la manière des leçons. Pour la bonne marche de l’école, il avait établi des officiers chargés de seconder le maître d’école. Le but principal que s’était proposé M. Démia était surtout l’éducation religieuse des enfants : pour cela, il fonda un séminaire. Les maîtres qui en sortaient étaient destinés à être à la fois maîtres d’écoles et vicaires pour le peuple des campagnes. La fondation fut connue sous le nom de séminaire Saint-Charles. La maison occupée par cet établissement était située rue du Villars, paroisse Saint-Nizier.

M. Démia aurait désiré voir l’établissement d’un hospice pour les prêtres vieux ou infirmes. Il fit même le voyage de Paris où se tenait la réunion générale du Clergé de France pour recommander à cette noble assemblée ce projet et celui non moins important de fonder dans les principales villes de France des séminaires destinés à former des maîtres pour l’instruction des enfants pauvres ; mais ses pressantes sollicitations demeurèrent sans effet. De Paris, M. Démia vint à Orléans pour visiter les écoles de cette ville et ranimer le zèle de ceux qui les avaient fondées.

Il aurait cru son œuvre imparfaite s’il n’avait établi, pour l’instruction des jeunes filles des écoles sur le modèle de celles des petits garçons. Aussi après avoir créé une communauté de maîtres, en forma-t-il une seconde pour les maîtresses. Elle prit le nom de communauté des Filles de la Doctrine chrétienne, aujourd’hui sœurs Saint-Charles. En 1673, on trouve établies deux écoles de filles, l’une sur Saint-Nizier, l’autre sur Saint-Paul. M. Démia fut prié d’en prendre soin. Il est vrai que quelques années plus tôt, deux sœurs Saint-Vincent-de-Paul avaient été chargées d’instruire les filles pauvres des paroisses Saint-Pierre-le-Vieux, Sainte-Croix et Saint-Georges, mais il paraît qu’au début, ces sœurs n’ayant pu réunir beaucoup d’élèves, elles s’occupaient surtout des pauvres honteux. M. Démia perfectionna ces écoles, et en établit de nouvelles dans les paroisses de la ville. Le Directeur proposa au Bureau d’en prendre la direction et la surveillance. L’assemblée agréa ce dessin et pria M. Démia de créer une compagnie de Dames chargées de l’instruction des jeunes filles. Dans cette vue, il loua, en 1680, une maison et y rassembla les maîtresses qui acceptèrent la direction du Bureau. Ces maîtresses s’employaient avec un zèle infatigable à former aux vertus chrétiennes, aux travaux manuels et à l’instruction, les fillettes qui leur étaient confiées ; car, chose remarquable, M. Démia voulait « en faire des filles propres pour le ménage et capables de s’occuper dans l’état où Dieu les voudra ». Dans cet ordre d’idée, il fonda des chambres de travail où on occupait les jeunes filles désœuvrées.

Cependant la communauté des maîtresses n’était pas encore bien affermie. Dans ce but, le digne prêtre fit venir de Paris sœur Marie-Ursule d’Orlé, religieuse de la congrégation du Saint-Enfant-Jésus fondée par le père Barré. Vers la fin de septembre 1687, M. Démia, qui poursuivait toujours le projet de former une véritable communauté de maîtresses, inculqua si fortement la nécessité de cette communauté aux dames de l’œuvre des écoles, qu’elles consentirent à l’établir sur un pied stable et permanent. Le sage directeur leur donna des règlements particuliers, et composa à leur usage une retraite pour les exercices spirituels. Les vertus qu’il leur recommandait le plus étaient l’abandon à la volonté de Dieu, l’oraison mentale, une grande douceur et une religieuse modestie. Les maîtresses qui composaient la communauté Saint-Charles se rendaient deux fois le jour dans leurs classes, et revenaient à la maison pour y pratiquer la vie commune. Lorsque M. Démia mourut, la communauté n’avait encore que cette première forme. Pour assurer le succès de sa fondation, il légua tout son bien à l’œuvre des écoles.

Chapelle des sœurs Saint-Charles.

Sur la fin de sa vie, l’archevêque de Lyon le nomma visiteur extraordinaire des églises de son diocèse. Il s’acquitta de cette importante mission avec une grande ardeur. Cependant ce saint prêtre se sentant défaillir désirait finir ses jours dans la solitude ; il se démit de l’office de promoteur de la foi et ne conserva que celui de visiteur des écoles et des églises. Cette dernière fonction l’absorba complètement, et les fatigues que lui occasionnèrent ses fréquents voyages lui tirent contracter une fièvre maligne qui le conduisit au tombeau. Il mourut dans sa maison d’Ainay, le 23. octobre 1689, dans la 53e année de son âge. Les seize cents enfants qui fréquentaient les seize écoles de Lyon firent des funérailles remarquables à cet homme de devoir considéré comme un saint et un des bienfaiteurs de l’enfance au xviie siècle.

La maison-mère actuelle des sœurs Saint-Charles occupe le monastère dit des Bleues-Célestes, fondé, en 1624, par les religieuses de l’Annonciade. Les sœurs ayant été chassées de leur couvent par la Révolution, les bâtiments furent concédés par Napoléon Ier, en 1807, à la congrégation Saint-Charles.

L’église, dont la construction remonte à 1637, se trouvait alors hors d’état de service. Faute de ressources, la Communauté dut se contenter, tout d’abord, d’une chapelle provisoire. Enfin, avec le concours des Dames associées à leur œuvre et sous la direction de M. Dubost architecte, les sœurs Saint-Charles purent, vers 1817, réparer l’ancienne église. Le sanctuaire de la chapelle se trouvait en contre-bas de deux mètres du chœur des religieuses, lequel devint, par la suite, trop exigu pour la communauté. Il fallut, en conséquence, songer à l’agrandir. Mère Saint-Apollinaire Dupont prit l’initiative de cette mesure. Les travaux commencés en mai 1864, sous la direction de M. Bresson architecte, furent terminés en 1866, et le dimanche 6 mai, M. Grange, vicaire général et supérieur de la congrégation, bénissait solennellement la chapelle, sous son vocable primitif : le mystère de l’Annonciation ; le 19 novembre 1867, le cardinal de Donald consacra le maître-autel, sous le titre de l’Annonciation et en l’honneur de saint Charles Borrhomée, après y avoir renfermé des reliques des saints martyrs Clément, Clair, Léon et de plusieurs autres.

L’église actuelle, longue de 38 mètres et large de 10, est de style roman, à nef unique, avec, en plus, une chapelle latérale. Au maître-autel, se trouve un retable, style renaissance, conservé de l’ancienne église. Au-dessus de l’autel un tableau représente : L’Annonciation ; en 1895, la chapelle a été décorée par un peintre italien.

Dans la nef de droite se dresse un autel de marbre blanc élevé en l’honneur de la Sainte-Vierge et surmonté de sa statue. C’est l’accomplissement d’un vœu fait par la mère Nicoud, supérieure générale, le 31 mai 1832, pour obtenir que la communauté fût préservée du choléra qui désolait alors la France entière. L’autel fut bénit, le 7 octobre 1837, par M. Cattet, vicaire général et supérieur de la congrégation, sous le titre du Très-Saint-Cœur de Marie. Au côté gauche de l’autel majeur s’ouvre une chapelle en contre-haut qui renferme l’ancien chœur des Annonciades.

L’église possède des reliques considérables de saint Boniface martyr, trouvées dans les catacombes et apportées de Rome, en 1846, par M. Dartigue, curé de Sainte-Blandine. De plus le trésor de la chapelle possède un souvenir insigne ; c’est un calice monumental portant en exergue à sa base : « Du second monastère de l’Annonciade céleste, 1700. » Ce calice, qui avait disparu pendant la tourmente révolutionnaire, fut retiré du milieu de débris de ferrailles destinées à être refondues, et grâce, sans doute, à l’inscription susdite, offert par un bijoutier à la communauté Saint-Charles, qui en fit l’acquisition. C’est un travail remarquable : au milieu de têtes d’anges, de gerbes d’épis et de grappes de raisins, le mystère de l’Annonciation y est représenté par l’apparition de l’archange Gabriel à Marie. À l’entrée latérale de la chapelle, mais à l’extérieur, se trouve un oratoire de la Vierge, avec statuette du xviie siècle, très vénérée.