Histoire des églises et chapelles de Lyon/Minimes

H. Lardanchet (tome Ip. 62-70).

L’ÉGLISE DES MINIMES

Un ermite de Calabre, François de Paule, réunit autour de lui quelques disciples, il leur assigna ses exemples pour règles, un maigre perpétuel pour aliments, l’humilité pour vertu dominante et la charité pour devise ; ainsi fut constitué l’ordre des Frères Minimes, nommés aussi les Bonshommes. Invité par Louis XI au Plessis-les-Tours en 1483, le saint patriarche ne guérit pas le roi vieilli et malade, mais il lui enseigna à bien mourir et il obtint de fonder près de sa cour, afin de l’édifier, le premier couvent français. Celui de Lyon, à la Croix de Colle, fut le seizième.

Saint François de Paule, d’après un tableau du xviie siècle.

Son origine est due aux prédications dont un excellent religieux, le P. Simon Guichard, se chargea dans l’église de Sainte-Croix, pendant le carême de 1552. Leur succès fut extraordinaire : leur vogue universelle. La ville entière fut ébranlée par cette éloquence pleine d’un feu apostolique et les calvinistes, dont le nombre et l’audace se multipliaient, se virent arrêtés dans leur propagande clandestine. On désira qu’un tel homme de Dieu ne s’éloignât plus et pour le conserver on lui promit un monastère. Les patentes de l’archevêque, le cardinal de Tournon, furent octroyées le 16 janvier 1553, dès que l’endroit propice à l’installation eut été arrêté. « Le lieu où vous voulez édifier une église, disait la lettre approbative, a été sanctifié dans les premiers temps du christianisme par la mort d’un grand nombre de confesseurs de la foi et en mémoire de la lutte de ces martyrs, il s’appelle encore la place de la Décollation. » Il était impossible de procurer à l’entreprise un plus touchant et plus glorieux patronage et la situation ne semblait pas moins convenir au recueillement et à la prière.

La Providence ménagea aux arrivants un protecteur aussi riche qu’influent dans le doyen du chapitre primatial, le chef du corps le plus considérable de la cité. Théodore de Vichy de Champrond, pourvu d’un canonicat, dès le 2 septembre 1533, avait été reçu le 23 décembre suivant ; le décanat lui était échu par la résignation que Jacques de Tournon avait faite en sa faveur, il en avait pris possession le 26 mai 1548. Un chroniqueur anonyme du couvent le désigne comme « le bon père et l’insigne bienfaiteur ». Ses dons abondants justifient ce titre. Non seulement il fournit l’appoint le plus considérable aux acquisitions terriennes, mais pendant plusieurs années il veilla à l’entretien et à la nourriture de la communauté : il s’était constitué son intendant d’office et, dans son testament, dicté le 5 juin 1555, codicille six jours seulement avant sa mort, le 2 janvier 1569. il leur légua en totalité les économies qu’il n’avait point épuisées à les assister. Ses amis particuliers furent les plus chauds soutiens de ses protégés et celui qui contribua à peu près exclusivement à la continuation de l’église, François de Chalvet, seigneur de Ferlus, se trouve au nombre des exécuteurs de ses dernières volontés.

Le P. Guichard avec ses compagnons eurent d’abord pour cloître la maison que leur vendit un bourgeois lyonnais, Laurent de Corval, par contrat du 20 avril 1553, sur le chemin public tendant de Saint-Just à Fourvière et à Saint-Paul. Ils s’y accommodèrent le moins mal possible et préparèrent le temple qu’ils voulaient élever à Dieu. Ils furent à même d’en poser la première pierre le 25 mars 1555 : M. de Vichy fit la cérémonie et la bénédiction fut prononcée par l’évêque auxiliaire de Lyon, Jean Bothéan, cordelier, titulaire de Damas. Le monument futur fut placé sous le vocable de l’Assomption de la Vierge Marie.

Il n’avait point encore reçu sa toiture, lorsque les Réformés, sous la conduite du fameux baron des Adrets, s’emparèrent de Lyon et exercèrent en particulier dans le faubourg de Saint-Just et Saint-Irénée les dévastations les plus violentes. Qu’entreprendre contre des murailles à peine sèches ? L’inventaire de la maison s’accomplit cependant le 8 mai par Antoine Pupier : les moines avaient pris la fuite et confié leurs clefs à un voisin. Giraud Grangeon, hôtelier de la Croix-Blanche, qui ouvrit les portes. Les chambres avaient conservé peu de meubles, tables de noyer, lits de sapin, tréteaux, coffres et garde-robes, communément enregistrés avec la mention : « De peu de valeur ». À la salle de travail, on releva « un dressoir d’étude auquel s’est trouvé six livres, sçavoir, deux bibles, des Psalmes de David, la légende Dorée, les Saints-Pères, en italien la grandmaire de Nobrijencis » embryon d’une bibliothèque, dont plus tard le savant bénédictin dom Estiennot signalera l’importance.

La paix conclue, les Minimes exilés rentrèrent et se signalèrent bientôt parmi les antagonistes les plus redoutés de l’hérésie ; dans leurs sermons ils abordaient sans détour les matières de controverse, réfutaient les erreurs importées de Genève et ils ne craignaient pas de se mesurer corps à corps, dans des conférences publiques, avec les plus célèbres ministres de la Réforme. Ces missions, où ils associaient le zèle et la science théologique, leur valurent une sérieuse popularité : plusieurs y acquérirent une renommée qui leur a survécu. Le P. François Humblot, le P. Rolland Guichard, le P. Jean Rospitel, devenu plus tard évêque suffragant, exercèrent un apostolat qui contribua pour une part sensible à la conservation de la foi romaine ; tous payèrent largement, soit dans la chaire, soit au chevet des pestiférés, leur droit de cité.

Au dedans la communauté se développait, en même temps qu’elle étendait au dehors son action et ses services : on jugea utile d’agrandir la chapelle, ouverte aux fidèles, et d’en doublera peu près l’étendue. Un doyen de Saint-Jean avait été jadis le fondateur de la première partie, celui de la nouvelle fut l’obéancier de la collégiale Saint-Just et ses libéralités payèrent entièrement la construction. Cet insigne donateur, Maurice de Fenoyl, dont il convient d’esquisser quelques traits biographiques, descendait d’une famille lyonnaise, dont les membres, après avoir exercé la charge notariale, avaient obtenu des grades supérieurs dans la milice bourgeoise. Sa noblesse, encore dépourvue des quartiers obligatoires, ne lui permit pas d’être admis dans l’illustre chapitre des comtes ; il se rabattit sur des bénéfices roturiers et en prit un peu de toute provenance. Dès l’année qui suivit sa première tonsure, reçue le 17 décembre 1580, il entra au chapitre de Saint-Just, plus tard il appartint aussi à celui de Saint-Paul et occupa une chevalerie à Saint-Jean. Nous le voyons simultanément prébendier de Saint-Pierre à la collégiale Saint-Just, de Saint-Blaise fondé par un prêtre du nom de Ferrières à Écully, de Sainte-Catherine à Saint-Laurent, de Sainte-Marie et de Saint-Guillaume à la chapelle de l’Annonciade de Saint-Paul, à Chamelet de Saint-Bartliélemy, à Rive-de-Gier de Saint-Sébastien, de Saint-Clair et de Saint-Denis de Monfauvey à Saint-Nizier-le-Désert, enfin dans la Primatiale il détenait une des quatre chapellenies de Gasle. Le lot est joli et il nous reste à citer la cure de Saint-Barthélemy-Lestra et la charge de recteur de l’Université de Valence où il fut élevé le 2 janvier 1637. C’est en 1611 que lui était échue la dignité d’obéancier, la première de sa compagnie, et dès 1625 il avait entrepris la bâtisse Minimoise.

L’église conventuelle, par cette addition, fut à peu près doublée d’étendue ; on déplaça le maître-autel pour le transporter au chevet de la partie neuve ; l’entrée fut percée dans l’ancienne abside qu’on orna d’une tribune et les chapelles demeurèrent dans la partie réservée au public. L’édifice est à une seule nef ; d’une belle élévation, avec une voûte aux arêtes ogivales, les fenêtres cependant à plein cintre. Il serait difficile de caractériser ce style, sinon en le désignant comme le style canonique de l’ordre, car d’autres monastères de Saint-François de Paule offrent le même type : pauvre, austère, sans ornements et, autant qu’il est permis d’en juger après toutes les transformations subies, comportant plus de rigidité que d’élégance, plus de simplicité que de recherche ; il n’a évidemment que très peu de la Renaissance qui le vit commencer et rien du grand siècle qui l’acheva. Les rites de la consécration solennelle furent accomplis, le lundi de la Pentecôte, 2 juin 1653, par l’évêque d’Autun, administrateur du diocèse de Lyon, le siège vacant. Ce prélat, Louis Doni d’Attichy, était un ancien religieux de l’ordre et, par la mort du cardinal de Richelieu, il avait pleine juridiction. Une inscription, toujours scellée à la muraille, conserve la mémoire de cette journée et de ces circonstances.

En nombre impair, quatre à gauche et cinq à droite, les chapelles s’ouvraient dans le mur par une large baie et elles s’étaient ajoutées, les unes aux autres, à différentes époques, selon les libéralités de leurs fondateurs. Celles du côté droit ou de l’épître étaient dédiées, la première à saint Antoine et à sainte Marguerite, la deuxième à sainte Marie-Majeure, la troisième à saint Pierre, la quatrième à saint Nicolas, la cinquième à Notre-Dame de Pilié ou des Affligés. Un face, dans le même ordre, les vocables étaient saint Denis et sainte Geneviève, le Saint-Esprit, Notre-Dame-de-Bon-Secours et saint François de Paule. Ces attributions n’ont pas été absolument fixes : par exemple, la chapelle de Saint-Nicolas vers 1742 fut dédiée au Crucifix et enrichie d’indulgences pour la bonne mort ; à l’origine, je crois qu’elle était placée sous l’invocation des Rois Mages. La chapelle du Saint-Esprit était souvent désignée sous le nom de Saint-Joseph, parce qu’elle renfermait un beau tableau, de la main de Guillaume Périer, représentant ce juste mourant entre les bras de Jésus et de Marie. Saint-François avait été précédé par Notre-Dame-de-Montserrat. Ces divers autels étaient dotés par beaucoup d’anniversaires institués à perpétuité et ils appartenaient, pour la plupart, aux plus notables familles de l’échevinage ou du négoce. Les Scarron possédaient Notre-Dame-de-Bon-Secours, les Pianelli Saint-François de Paule ; les Chaponay, Saint-Nicolas ; Sainte-Marie-Majeure relevait des Clapisson ; les Parisiens, émigrés sur les rives de la Saône, s’étaient réservé Sainte-Geneviève et les Espagnols, en l’adoptant, l’avaient baptisé Notre-Dame-de-Montserrat.

Alphose de Richelieu, cardinal archevêque de Lyon.

Les Confréries y célébraient leurs offices et y tenaient leurs assemblées. On en comptait trois, dont deux très populaires, sans parler d’un tiers-ordre formé par des sœurs séculières avec une d’entre elles élue pour correctrice. La plus fréquentée de ces pieuses associations était désignée sous le nom de Confrérie des Enfants de la ville ou des Nouveaux Mariés, quelquefois aussi on l’appelait le Royaume de Notre-Dame-d’Août. Primitivement organisée à Fourvière, elle remontait assez loin, sans qu’il soit possible de déterminer exactement la date de sa naissance. Elle s’était formée en un temps de désolation et de terreur, alors qu’une épidémie inexplicable frappait la plupart des nouveau-nés et menaçait les jeunes ménages d’être privés de postérité. On eut recours à la Mère de Dieu comme protectrice des berceaux et des langes et on la supplia par vœu d’intercéder pour la conservation des familles lyonnaises.

C’est par un acte consulaire du 5 juin 1577 que le siège de cette confrérie fut transféré à la Croix de Colle ; les deux premiers gentilshommes, qui exercèrent la charge de courriers, furent Cuillin de Salla, seigneur de Montjustin, capitaine de la ville, et Claude de Fenoyl, sergent-major ; on leur adjoignit deux bourgeois, les sieurs Galas et Noyrat, et ce nombre de quatre fut définitif ; mais pour le remplir désormais on eut soin de ne choisir que des jeunes gens mariés dans l’année. L’Assomption se solennisait en grande pompe ; à cette occasion on élisait le roi et la reine. La première condition pour jouir de ce titre envié était de n’avoir pas dépassé six ans et le diadème se débattait aux enchères, au poids de la cire. Le plus gros cierge valait à son possesseur de l’emporter sur tous ses concurrents. L’émulation était parfois si vive et le cierge si lourd que l’enfant avait recours au bras de sa nourrice.

Le bien public était également intéressé à la Confrérie de la Santé. Érigée le 1er octobre 1628, elle avait pour fondateurs et recteurs perpétuels, MM. les commissaires délégués au bureau de la Santé. On sait le rôle important confié à cette institution chargée de l’hygiène, surtout aux époques de contagion et de peste, dont Lyon subit si fréquemment l’horreur. Nos pères ne séparaient jamais, dans les calamités, le recours à Dieu des moyens fournis par la science humaine et l’autorité civile ; ils demandaient que des prières spéciales fussent récitées pour écarter les fléaux et vaincre leur épouvante ; ils invoquaient les saints, tels que saint Roch, saint François de Paule, Notre-Dame-de-Consolation comme étant non moins utiles que les plus habiles médecins. On a conservé les noms des adhérents de la première heure qui se concertèrent dans ce religieux dessein ; les principaux furent Jean de Sylvecane et Pierre Mellier, l’un et l’autre, conseillers du présidial, Louis de Sève, seigneur de Charly, Pancrace Maicsllin, docteur, des bourgeois tels que François Mizaud, Jean-Antoine Candevelle, des marchands François Rey, Mathurin Gocquel, Arnaud Rochette, Barthélémy Ballet, etc., etc. Leur initiative inspira au prévôt des marchands de députer à Notre-Dame de Lorette deux prêtres de la communauté, afin d’y déposer un ex-voto en témoignage de la confiance et de la gratitude de leurs concitoyens. Les Pères Dominique Mellier et Pierre Foreizon s’acquittèrent de la mission le 19 janvier 1529 : ils suspendirent à la voûte de la Santa-Casa une lampe d’argent et à leur retour, ayant passé par Home et baisé les pieds du pape, ils rapportèrent « un voile sur lequel est représenté le portrait du corps du glorieux saint Roch de la façon qu’il repose dans une église de Venise ». C’est là qu’ils avaient acheté cette image ; enfermée depuis dans une châsse « de bois azuré et surdoré » connue sous le nom de suaire de saint Roch, elle devint l’objet de dévots pèlerinages.

La Société faisait célébrer une messe tous les samedis et un délégué, renouvelé chaque mois, y assistait ; il y avait messe chantée aux jours de l’Assomption, saint François de Paule, saint Roch et saint Remi ; mais la plus magnifique solennité était réservée à l’Ascension ; les clochetteurs la publiaient aux carrefours ; des affiches l’annonçaient ; on sortait les plus belles tapisseries ; les trésoriers veillaient à la dépense de l’ornementation et de la cire. Les commissaires du bureau se présentaient en corps à l’offrande avec un cierge à la main et pour la communion ils le conservaient aussi ; dans l’après-midi, une prédication suivait les vêpres et, du matin au soir, des quêteurs sollicitaient aux portes la charité des visiteurs.

Quant à la dernière de ces confraternités, établie au milieu du xviie siècle, en l’honneur de la Pureté de la Vierge Marie et sous le vocable de Notre-Dame de Bon Secours, elle n’était pas particulière au monastère de Saint-Just ; l’ordre l’érigeait à peu près dans toutes ses résidences ; Rouen avait été, je crois, son berceau et le pape Innocent X en avait autorisé la propagation par de nombreuses indulgences. « Elle était fondée, dit un chroniqueur inconnu, sur les trois états de la virginale pureté de la Mère de Dieu, afin d’exciter les chrétiens, chacun selon sa condition, à se conserver soigneusement dans la pureté des pensées, des paroles et des actions ». Un des religieux, le P. Jacques Payet, le 3 mars 1654, légua une somme importante pour que, les complies achevées, à la Conception, Nativité, Annonciation, Purification, Assomption et Noël, le chœur vint chanter les litanies de Lorette devant la statue miraculeuse de Notre-Dame de Bon Secours et la vêtir d’une somptueuse robe de brocart et d’or.

Les Réguliers, sous l’ancien régime, transformaient leurs chapelles en véritables nécropoles ; les gens du dehors y choisissaient volontiers leur sépulture, par dévotion ou par amour-propre, mais aussi dans l’espoir nullement imaginaire d’être secouru outre-tombe par des prières plus abondantes et de plus méritoires suffrages. La bibliothèque municipale possède le Livre funéraire du monastère de la Croix de Colle, emporté en 1791 par le dernier sacristain, le P. Claude Chevillard, et tombé on ne dit pas comment dans ce dépôt. La liste des trépassés y est considérable : les uns possèdent des caveaux de famille et y descendent de père en fils pendant plusieurs générations ; d’autres ont payé pour le droit à une simple fosse, immédiatement comblée après leur inhumation. Tous les rangs s’y confondaient un peu : nobles et roturiers, prêtres et laïques, bourgeois et marchands voisinaient dans l’égalité de la mort. Beaucoup de noms seraient à remémorer : nous en relèverons quelques-uns, des plus notables. Claude Huvet et Paul d’Aubarède, chanoines de Saint-Just ; Verbois, prieur de Saint-Côme et de Saint-Damien ; les Périer, le père et le fils, deux peintres de talent ; un religieux de Malte, Pierre Mallet, des Piégay, des Du Soleil, le médecin Pancrace Marcellin, dont la pierre tumulaire n’a pas été détruite ; Claudine de Fenoyl, femme de Jacques Cardon de la Roche, nièce de Maurice de Fenoyl, déposée près de son oncle, au centre du chœur ; Françoise de La Mure de Rilly, veuve du sieur de la Fougère, fondatrice du couvent de Roanne ; noble dame Marthe de Gadagne, fille de M. le comte de Verdun, religieuse professe du prieuré de Jourcey, venue pour consulter les médecins, décédée le 4 novembre 1684. Trois générations des Pianelli de la Valette vinrent s’y rejoindre, dans la chapelle Saint-François de Paule qu’ils avaient dotée ; ainsi le trésorier de France Jean-Baptiste, mort à 84 ans, le 21 mai 1689 ; André, son frère, doyen des conseillers du Présidial, à 86 ans, le 20 février 1699 ; le fils et le petit-fils du premier : Laurent, président des trésoriers de France, Prévôt des marchands, à 75 ans, le 10 octobre 1718 ; Jean-Baptiste, mort le Vendredi saint, le 24 mars 1758. La cave funèbre des moines était creusée au bas des degrés du maître-autel ; elle occupait toute la largeur du sanctuaire ; le dernier qui y fut porté, le 16 octobre 1789, fut le P. Antoine Deschamps, âgé de 47 ans, après vingt ans de profession.

Ces ossements en poussière furent l’unique chose que la Révolution respecta dans ces lieux fondés par le P. Guichard et le doyen de Saint-Jean, M. de Vichy. L’Histoire du couvent des Minimes de Lyon raconte quels furent les derniers actes d’une communauté que l’indiscipline, l’oisiveté, le philosophisme avaient atteinte, avant que les décrets de la Constituante la bannissent. Depuis trop longtemps la cognée était à la racine de l’arbre, lorsqu’il tomba sous les coups violents de législateurs aussi dépourvus de justice que de prévoyance. Le cloître, au moment de la visite domiciliaire des officiers de la municipalité, abritait seize religieux, deux ex-provinciaux, le correcteur, le P. J.-B. Lombard, onze prêtres et deux frères lais. Quatre seulement exprimèrent le désir de continuer la vie commune, les Pères Lombard, Posuel, Chevillard et Roux. Rendus à la vie séculière, pour se soustraire à la persécution, la plupart prêtèrent les serments exigés par la loi et livrèrent leurs lettres d’ordination. L’un d’entre eux, Jean-François Posuel, arrêté à cause
Statue de la Vierge. (Cuivre repoussé).

de ses principes inciviques et de son fanatisme, se reconquit en prison ; il déclara ouvertement dans son interrogatoire sa croyance à la divinité de Jésus-Christ et à l’autorité du pape. Quand on lui demanda s’il renonçait à son caractère de prêtre, bien qu’il ait eu la faiblesse de se déclarer abdicataire quatre mois auparavant, il répondit que son sacerdoce était ineffaçable. Incarcéré le 23 pluviôse an II, il passait, six jours après, en jugement devant la commission révolutionnaire qui l’envoyait à l’échafaud. La fournée des rebelles, dans laquelle il fut compris, comptait vingt-trois victimes ; dans ce nombre il y avait sept autres prêtres avec lui et une religieuse carmélite, Jeanne Beauquise, âgée de 63 ans. Un de ses confrères, Sibille-Pierre Vergniaud, mis sous les verrous par la section du Gourguillon, une des plus terribles, échappa, je ne sais comment, au même sort. Trois des survivants, dont l’un était vicaire intrus à Saint-Nizier, lors de la restauration concordataire, rentrèrent dans la communion romaine.

L’église et le claustral avaient subi le sort des biens ecclésiastiques ; mis en vente le 14 septembre 1791, ils avaient été chaudement disputés et adjugés à la flamme de la 19e bougie pour la somme de 100.600 fr. L’acquéreur, Antoine Donat, négociant, place de la Comédie, avait le droit d’entrer immédiatement en possession ; cependant on avait excepté de cette vente le mobilier de l’église, les autels, retables, tableaux, table de communion, chaire à prêcher, boiseries du chœur et de la tribune ; la cloche, le beffroi et l’horloge du clocher n entraient pas non plus dans le lot ainsi que la bibliothèque avec sa menuiserie et ses dépendances. J’ignore à quels usages ces immeubles furent réservés par leur nouveau propriétaire. En 1826, M. l’abbé Dettard, un maître d’une réputation inoubliable, les acheta et les destina à une institution de jeunes gens ; Notre-Dame des Minimes est aujourd’hui une école plus florissante que jamais, après une existence scolaire de quatre-vingts ans, remplie d’admirables succès et éminemment utile aux lettres, à la patrie et à l’Église.

La vieille chapelle des Minimes n’a pas subi à la Révolution le sort réservé à tant d’autres édifices religieux. Aujourd’hui encore (quoi qu’elle soit depuis longtemps désaffectée), elle dresse sur la place des Minimes sa masse imposante. Elle sert de salle de récréation, et plusieurs de ses chapelles sont utilisées pour les classes moins nombreuses. Lorsqu’on pénètre dans l’intérieur, on est frappé de la hauteur des voûtes et de l’ampleur du vaisseau. Il n’y a qu’une seule nef, mais tout au fond se dresse une vaste tribune. Des écussons armoriés et quelques inscriptions funéraires se voient encore soit dans l’église, soit dans les couloirs qui y accèdent.

L’église, ne pouvant être entièrement utilisée, on en a réservé un tiers pour former la chapelle du collège. Cette dernière possède aussi une ample tribune occupée par un orgue. Elle est éclairée par cinq baies garnies de vitraux récents, représentant la Vierge bénissant des enfants et d’autres scènes de l’adolescence chrétienne. Le maître-autel est en marbre blanc ; sur le devant on a sculpté en bas-relief Jésus-Christ entouré des quatre évangélistes. L’autel est surmonté d’un tabernacle richement sculpté. Au mur sont suspendus quatre grandes peintures achetées par le collège à la succession du cardinal Fesch : elles représentent l’entrée à Jérusalem, la Pentecôte, l’Ascension et la Chananéenne. Dans l’ancienne église, on voit également trois peintures, d’une certaine valeur, parmi lesquelles l’Assomption et le Retour de l’Enfant prodigue.