Histoire des églises et chapelles de Lyon/I-01

Face nord du cloître. (Reconstitution de M. Rogatien Lenail.)

HISTOIRE
des
ÉGLISES ET CHAPELLES DE LYON


CHAPITRE I
LA PRIMATIALE
et ses annexes
SAINT-ÉTIENNE ET SAINTE-CROIX




SAINT-JEAN


À l’église Saint-Jean se rattache toute l’histoire de la cité. Son titre de primatiale atteste encore l’antique suprématie de Lugdunum sur les trois Gaules, et quelques-uns de ses rites rappellent les origines grecques de l’Église de Lyon.

Le vocable de saint Jean-Baptiste fut d’abord attribué au baptistère de Saint-Étienne, église maintenant disparue et alors sanctuaire préféré des rois burgondes. Après le xiie siècle s’élèvera la basilique actuelle de Saint-Jean, témoignage de la puissance d’un chapitre qui personnifie pour les Lyonnais la période féodale. Saint-Jean eut pour hôtes des papes et des rois, depuis Innocent IV, ouvrant le treizième Concile œcuménique, jusqu’à Pie VII, y bénissant les drapeaux de la garde nationale ; depuis Louis IX, partant pour la croisade et, frappé par la peste, y recevant au retour les honneurs funéraires, jusqu’à Henri IV, y célébrant son mariage avec Marie de Médicis. Certains affirment que l’édifice est la parfaite expression du génie lyonnais, avec sa physionomie d’apparence froide, ses lignes simples et solides, ses tours inachevées, son intérieur où rien n’étonne les regards, où tout repose l’esprit.

Saint-Jean est l’œuvre du chapitre. Avant d’aborder l’histoire et la description de l’édifice, il n’est pas inutile de se remémorer les origines du chapitre lui-même. Leidrade, quarante-deuxième évêque de Lyon, élu vers 798, avait, d’après une respectable tradition, transporté le siège épiscopal à Saint-Étienne. Jusqu’alors, les évêques étaient restés sur la rive gauche de la Saône, territoire qui forma jadis le domaine sacré du temple d’Auguste, tandis que les rois et les comtes résidaient dans l’ancienne métropole impériale. Les Sarrasins ayant ruiné tous les édifices, Leidrade dut restaurer le vieux sanctuaire des rois burgondes. Il y installa, pour le service de l’église, des prêtres vivant selon les règles ou canons, d’où leur nom de canonici, chanoines ; avec le temps, les humbles « Frères de Saint-Étienne » deviendront ces chanoines opulents, rivaux en puissance et en richesses, des successeurs de Leidrade.

Le chapitre de Saint-Jean se considérait comme co-propriétaire, avec l’archevêque, des biens et terres de l’église. Du reste, celui-ci fut plus tard l’élu des chanoines qui, hormis le caractère dont il était revêtu, le regardaient comme le premier d’entre eux, primus inter pares. Il n’était admis au chœur de Saint-Jean que revêtu du camail des chanoines, et, à moins qu’il officiât, n’y avait d’autre siège que la première stalle canoniale.

Aussi, lorsqu’après une longue lutte entre les archevêques de Lyon et les comtes de Forez, le traité de 1160, ratifié en 1175, eut définitivement délimité les possessions de l’église et celles du comté, les chanoines s’empressèrent de se faire reconnaître, par l’empereur Barberousse, le titre de comtes de Lyon, conjointement avec l’archevêque (1184). Quelques années plus tard, en 1193, ils réclament le partage du domaine de l’église, et chacun des deux seigneurs a désormais ses officiers et sa juridiction. Les archevêques s’établissent au château de Pierre-Scize ; le quartier de Saint-Jean, enfermé dans une muraille, reste sous l’autorité du chapitre.

Selon toute probabilité, la construction de l’église actuelle fut commencée sous le pontificat de Gaucerand ou Josserand, qui occupa le siège épiscopal de Lyon de 1107 à 1117. On ne sait presque rien sur l’ancien baptistère. Il est qualifié par Leidrade de maxima ecclesia, grande église, ce qui s’applique à ses dimensions. — Saint-Étienne ayant conservé son titre de cathédrale jusqu’au xiiie siècle. En effet, tant que le baptême s’est donné par immersion et n’a été administré que deux fois par an, aux veilles de Pâques et de Pentecôte, les baptistères étaient nécessairement de vastes édifices. Il est à présumer que celui de Saint-Jean, approprié plus tard aux fonctions du culte, avait été, vu l’exiguïté relative de la cathédrale, affecté aux cérémonies solennelles. M. Guigue signale que, vers 1080, le doyen Richon en restaura la toiture. On sait qu’une partie de l’emplacement sur lequel s’élève la basilique fut donné par un pelletier lyonnais. En reconnaissance de cette libéralité, la corporation des pelletiers, précédée de ses deux doyens montés sur des mules blanches, était, le jour de la fête de saint Jean-Baptiste, reçue à la porte de la cathédrale par le chapitre et était autorisée à suivre la procession, torches allumées.

Ce serait donc vers 1110 qu’auraient été entrepris les travaux de construction. On ne sait rien des premiers maîtres de l’œuvre. Tout autorise à croire que, dès le début, le plan de l’édifice était arrêté dans ses grandes lignes. Ainsi, de récents travaux ont mis au jour les deux murailles souterraines, destinées à supporter les piliers de la grande nef : ces murailles sont établies en lignes parallèles, et si, plus tard, la rangée méridionale subit cette déviation qui frappe le regard, il est d’évidence qu’elle n’entrait point dans les plans des premiers constructeurs. Il est à présumer que le tracé de l’église future enveloppait complètement l’ancien baptistère ; c’est l’hypothèse très admissible, émise par M. Guigue, dans la notice qu’il a écrite pour servir d’introduction au bel ouvrage de M. Bégule : Monographie de la cathédrale de Lyon. Le culte ne subit pas d’interruption et, d’ailleurs, il paraît prouvé que le clocher de l’ancienne église ne fut démoli qu’en 1293.

Il se peut très bien aussi que le chœur, qui fut la première partie construite, se trouvât en dehors, entre le vieux baptistère et la rivière. L’abside, les deux chapelles annexes et une portion du transept étaient achevées vers le milieu du xiie siècle ; le style en est des plus intéressants, avec son mélange de romano-byzantin et d’ogival. Ce qui n’est pas moins curieux, ce sont les pierres employées, tant par leur nature que par leurs dimensions. Le Lyon du moyen âge avait trouvé de véritables carrières de matériaux dans les monuments romains, épars sur le sol. Ce fut le forum de Trajan, démantelé par les Barbares, et dont les restes encore debout s’écroulèrent en 840, qui fournit au chapitre ces beaux marbres et ces blocs de choin calcaire à grain serré, qu’on admire dans les parties primitives de l’église.

Le transept fut achevé et la nef commencée sous l’archevêque Guichard qui siégea de 1165 à 1180. Au début de la construction, l’art ogival s’était accommodé aux traditions romanes de nos régions. Mais maintenant qu’il s’affirme partout, les lignes horizontales et relativement surbaissées de l’abside ne peuvent convenir aux élans qui sont la caractéristique du nouveau style. Le transept et la nef principale reçoivent donc une hauteur supérieure de 7m 50 à celle de l’abside ; pour racheter cette différence, un mur ajouré de verrières est élevé au-dessus de l’arc du chœur. Désormais les échantillons de matériaux antiques deviendront rares et seront de moindres dimensions ; ce sont les carrières de Lucenay et d’Anse qui alimenteront la construction.

L’édifice était assez avancé, en 1245, pour que le treizième concile œcuménique pût s’y réunir sous la présidence du pape Innocent IV. Lors du concile suivant, convoqué, en 1271, par Grégoire X, pour prononcer la réunion des Églises grecque et latine, quatre travées de la nef, à compter du chœur, étaient achevées et la basilique recevait les cinq cents évêques et les mille abbés ou prélats qui s’étaient rendus à Lyon en cette mémorable circonstance. En 1316, le cardinal Jacques d’Euse était élu pape par le Conclave réuni dans le couvent des Jacobins, et couronné dans notre cathédrale dont il prit le nom : Jean XXII. Cependant, la plupart des verrières du chœur et du transept avaient été posées, grâce à des libéralités privées ; ces dons se continueront pour les vitraux de la nef, en même temps que s’achèvera le clocher. Quant à la tour méridionale dite de la Madeleine, elle est d’un siècle et demi postérieure.

Dans la dernière partie du xive siècle, le maître de l’œuvre était Jacques de Beaujeu. Il prenait, dit M. Guigue, l’engagement, le 24 février 1392, de livrer complètement terminée à la fête de Toussaint suivante, la grande rose qui domine le portail ; les vitraux furent exécutés par Henri de Nivelle, maître verrier en titre depuis l’année 1378. L’édifice ne fut terminé que sous le pontificat de Sixte IV, dont les armes se lisent sur la façade et qui occupa la chaire romaine de 1471 à 1484. Le dernier maître de l’œuvre fut Marceau, décédé le 2 novembre 1482.

Chaque métier, charpentiers, serruriers et forgerons, couvreurs, verriers, formait une communauté travaillant sous la direction d’un maître, qui, lui-même relevait du maître général de l’œuvre, maçon ou sculpteur, quelquefois l’un et l’autre : tel Jacques Morel qui exécuta, en 1420, le tombeau du cardinal de Saluces dont il sera parlé plus loin. Il y avait même des maîtres peintres, dont l’un, Janon d’Écosse, peintre et brodeur, orna le chœur en 1420.

C’est dans l’œuvre de la pierre — le plus important et qui commandait les autres — que le caractère de communauté était surtout marqué. Chacun des membres de ces associations de frères sculpteurs, maçons, appareilleurs et tailleurs d’images, y travaillait en vue d’un succès commun, faisant abnégation de sa personne. Le nom même de ces vaillants architectes qui s’intitulaient simplement « maîtres » ne nous est connu que par des marchés ou des pièces comptables, conservés aux archives. Les gages étaient modestes, les décorations inconnues ; ils ont passé, heureux de servir la cause de l’art et de laisser aux générations futures un abri où les âmes se rencontrent dans l’amour et la prière.

L’étranger qui aborde Saint-Jean n’éprouve aucun de ces enchantements que procure la vue de certaines cathédrales, contemporaines de la nôtre : simple et sévère d’aspect, les Lyonnais l’ont faite à leur image. Les maîtres de l’œuvre, pendant les xive et xve siècles, ont évidemment subi l’influence qui se dégage des parties plus anciennes, d’un caractère si ferme et si sobre. Ainsi, la façade se profile simplement, en deux étages dont le second est en retrait sur le premier. Bien que la partie supérieure, d’un siècle plus jeune que la base, soit éclose en plein âge du gothique flamboyant, elle a peu de ressauts et reste d’une ornementation qui paraît indigente, comparée aux façades de la même époque. Elle comporte pourtant un soubassement digne d’intérêt, formé de plus de trois cents motifs, la plupart d’un art très pur, et qui n’ont de comparables que ceux de la cathédrale de Rouen, aux portes latérales.

L’Ancien et le Nouveau Testament, la vie des saints, l’histoire profane, le symbolisme, les scènes de la vie privée ont fourni la matière de ces images, mais aucun ordre ne préside à la distribution des sujets, particulièrement dans la décoration des portails latéraux, que l’on croit exécutée la dernière. Avec le temps, les traditions s’altèrent, les artistes qui avaient eu, pour ainsi dire, un répertoire ornemental peu étendu, dont on retrouve presque partout les éléments, interprétés d’une façon analogue, arrivèrent, au xve siècle, à faire de l’art pour l’art. De là, cet emploi de dragons et d’êtres fantastiques, dont les formes obéissaient au caprice de l’artiste et lui permettaient d’ordonner sans trop d’effort sa composition. Sous les voussures se déroulent des théories d’anges musiciens ou adorateurs, décapités hélas ! par les soudards calvinistes. Vides, sont les nombreuses niches, des personnages qui les peuplaient et contribuaient à donner de la vie à cette masse puissante, encadrée de tourillons octogones et qui revêt, dans la partie supérieure, un caractère féodal et militaire.

Un plâtre de style quelconque, de valeur nulle occupe le tympan du portail principal. Autrefois cette entrée était partagée par un pilastre que surmontait une statue de saint Jean, œuvre de Germain Pilon. Les chanoines firent abattre, en 1756, le pilastre qui gênait le passage du dais et des bannières dans les processions ; la statue, reléguée d’abord dans une chapelle, s’est perdue depuis.

La vieille basilique a plusieurs aspects. Aux jours d’hiver, aux heures sombres, ce sont des ténèbres grises, des pénombres mystérieuses, que colorent par endroits l’éclat discret des vitraux. Qu’importait celle demi-obscurité aux âges où le livre n’existait pas, où le clergé lui-même chantait l’office par cœur, où les fidèles s’associaient aux répons, l’esprit suspendu au sens mystique des chants ! Mais c’est dans la claire saison que tout prend une vie plus intense. Les quatre grandes rosaces semblent ces portes d’or et de pierres précieuses que les légendes naïves mettent à l’entrée du paradis ; les fenêtres de l’abside sont comme des bannières lumineuses et transparentes, d’où s’échappent des coulées de rayons diversement colorés. Les piliers et leurs colonnettes se dessinent, les saillies s’accusent, les nervures des voûtes se profilent dans toute leur souplesse robuste.

Seules, les absides et la façade ont conservé leurs vitraux anciens ; le style en est tout empreint d’archaïsme oriental, ainsi que l’observe M. Bégule qui en a fait une intéressante description. Des autres, une partie a été mutilée par les soudards du baron des Adrets. Puis vint le xviie siècle qui méconnut l’art du moyen âge, on peut presque dire l’art religieux. À plusieurs endroits, il remplaça de propos délibéré les verres de couleur par des vitres blanches, afin « d’éclairer » les églises. Une plus juste notion de l’harmonie a fait rétablir ces verrières au jour chaud et vibrant.

Saint-Jean est de dimensions modestes : soixante-dix-neuf mètres de longueur ; le vaisseau principal mesure onze mètres entre les piliers, et, en hauteur, trente-deux mètres sous clef. Mais l’ensemble du monument prend au regard une ampleur que n’ont pas nombre de basiliques couvrant un plus vaste espace.

Au premier coup d’œil, on constate que les quatre dernières arcades de la nef, les plus proches de l’entrée, s’écartent de l’alignement des autres et subissent une déviation fort sensible, surtout du côté droit. Plusieurs écrivains ont prêté à cette inclinaison un sens symbolique : elle rappellerait le mouvement du corps de Jésus en croix. Mais la courbe peut s’expliquer par le désir de conserver d’abord l’ancien cloître, situé au midi de l’église et autour duquel les chanoines avaient leurs résidences, au temps de la vie en commun. Ce cloître fut néanmoins sacrifié, plus tard, lorsque l’on construisit les chapelles latérales ; il en reste encore cinq travées formant, aujourd’hui, une annexe et servant au chapitre pour l’office privé, en hiver.

Chaque pilier de la nef est entouré de huit colonnettes, majestueuse fusée de pierre s’élançant vers les chapiteaux. Au-dessus des travées, court un triforium ou tribune aux ouvertures géminées ; c’est de là que, aux jours solennels, les curieux suivent les cérémonies. Plus haut, sous les fenêtres, garnies de vitraux modernes, passe une seconde galerie, simple couloir sans ornement.

Le fond de l’abside est percé d’une double rangée de sept fenêtres en ogive très évasée : c’est la plus ancienne application de l’art ogival dans le Midi. Les vitraux de l’étage inférieur, œuvre du xiiie siècle, sont particulièrement intéressants. En voici l’énumération d’après M. Bégule : les fondateurs de l’église de Lyon, Pothin, Irénée, Polycarpe ; saint Jean l’Évangéliste ; saint Jean-Baptiste ; la Rédemption, avec de curieuses intercalations d’animaux symboliques, la licorne et la calandre ; saint Étienne, les rois Mages, avec bordure de petits médaillons figurant les Vertus et les Vices ; enfin Lazare. Les fenêtres du rang supérieur sont occupées par les douze apôtres et les douze prophètes, faisant cortège au Christ et à la Vierge assis au centre.

Entre les deux étages, règne une tribune aux arcades romanes, se reliant au triforium de la nef, à baies pointues. La décoration des parties pleines offre cette particularité qu’on retrouve à la cathédrale de Vienne : une ligne d’arcatures simulées, avec frises formées d’incrustations en ciment rouge et brun. Ce genre d’incrustations décoratives, d’origine orientale, est spécial à notre région. M. Bégule, qu’on ne saurait trop citer quand on parle de Saint-Jean, n’en a découvert, en dehors des cathédrales de Lyon et de Vienne, que deux exemples : à Saint-Pierre-le-Bas, à Vienne, et, à Autun, dans les fragments d’un tombeau, dit de saint Lazare, démoli en 1766. Des inscriptions apprennent le nom du constructeur de Vienne, Guillaume Martin (1132), et le nom du décorateur d’Autun, Martin moine (1170). Il est à présumer que les deux artistes appartenaient à la même famille, les traditions de métier, au moyen âge, se perpétuant de père en fils. Les incrustations de Saint-Jean étant de la même époque, il ne serait pas impossible que l’un ou l’autre des Martin, ou un de leurs élèves, en fût l’auteur.

Au-dessous de ces frises incrustées, sur toute la longueur du pourtour, existe une seconde rangée d’arcatures aveugles, cachées, sur les côtés, par des stalles provenant de l’abbaye de Cluny, au fond, par une estrade en bois qui reçoit le trône de l’archevêque, aux jours de fête. Ainsi se trouve dissimulé ce qu’on appelait le presbytère : un double banc circulaire de marbre, faisant place, au centre, à une chaire de marbre aussi. C’était le siège de l’archevêque, lorsqu’il célébrait ; les officiants s’asseyaient à droite et à gauche. Le trône spécial qu’on élève à présent pour les messes pontificales date du rétablissement du culte et contredit aux traditions qui faisaient de l’évêque le premier entre ses pairs.

C’est contrairement encore aux traditions, et même aux règles liturgiques, que les stalles du clergé se trouvent placées derrière l’autel. Autrefois l’autel s’élevait au fond de l’abside, et les stalles se développaient par devant, faisant retour le long d’un jubé qui séparait le chœur de la nef. Ce jubé, abattu par les huguenots, avait été rétabli dans le goût de la Renaissance. Il a été détruit de nouveau sous la Révolution, ainsi que l’ancien autel, de formes très simples et qui, selon l’antique liturgie, ne recevait sa garniture qu’au moment des offices. Ce n’est qu’en 1746 que Saint-Jean adopta l’usage romain de laisser en permanence les autels garnis de chandeliers et autres objets ; Saint-Just persévéra jusqu’à la Révolution dans l’ancienne pratique.

Tout Lyonnais sait que les deux croix processionnelles, fixées derrière l’autel majeur, sont pour rappeler l’union des deux Églises grecque et latine, prononcée au Concile de 1274 : les croix des deux clergés entrées de front dans la basilique y avaient été déposées en témoignage perpétuel d’union. Ce qu’on sait moins, c’est pourquoi, les jours de fête, un septième chandelier est placé sur l’autel, derrière la croix du centre. Autrefois, au milieu du chœur, s’élevait un rastelarium, râtelier, porté sur deux colonnes et garni de sept cierges : c’est en souvenir de ce luminaire, particulier à l’église de Lyon, que sept flambeaux sont placés sur l’autel.

Près de l’autel s’élevait le mausolée du cardinal de Saluces mort en 1419. Ce superbe monument, en marbre et albâtre, détruit par les protestants en 1562, ne comptait pas moins de dix-huit figures, dont un Dieu de majesté à qui la Vierge Marie présentait le défunt agenouillé. Ce genre de tombeau était rare à Lyon, où l’usage était de marquer les sépultures par une simple dalle gravée. Du reste les quelques tombes monumentales qu’on voyait dans nos églises, étaient en mémoire de personnages n’appartenant pas à des familles lyonnaises.

La rose au-dessus du chœur a subi de maladroites réfections. Sur les huit médaillons qui la composent, trois seulement sont anciens : ils représentent le Père éternel et deux patriarches. Des deux roses du transept, celle du nord a pour sujet les bons et les mauvais anges, celle du midi le cycle des deux Adam. Quant aux vitraux des fenêtres, ce sont des œuvres modernes, ceux du haut, simples pastiches des vitraux de l’abside.

Avant de quitter le chœur, donnons un regard aux statues de saint Jean et de saint Étienne, dues au ciseau de Blaise qui les avait faites pour décorer la grande salle de la nouvelle Manécanterie, et contemplons un instant la belle rose de la façade, œuvre du xve siècle, où le verrier Henri de Nivelle a reproduit la vie des mêmes saints Jean et Étienne.

Passons à la visite des chapelles. À gauche la chapelle absidiale de la Vierge, autrefois sous le vocable de saint Pierre. Le vitrail du fond, précieux ouvrage du xiie siècle et surmonté d’une rose à sept lobes, retrace la vie du prince des apôtres. À droite, la chapelle de la Croix, autrefois dédiée à Notre-Dame du Haut-Don, est éclairée, au levant par une rose à quatre feuilles et un vitrail moderne, au midi par deux verrières du xiiie siècle figurant les patriarches antérieurs au déluge.

Dans le retrait que formait une ogive dont on voit la partie supérieure, s’élevait autrefois, contre la paroi orientale du transept sud, une chapelle dite de la petite Madeleine. Louis de Bourbon tué à la bataille de Brignais, en 1362, fut inhumé devant l’autel. La chapelle a disparu pour faire place à la porte de la grande sacristie, lorsqu’on l’a construite au xviiie siècle : c’est dans cette sacristie que se conserve le trésor, riche en objets anciens du culte ; nous y reviendrons pour en faire une description sommaire.

À côté, se trouvait la chapelle de la Grande Madeleine : d’où le nom de la Madeleine donné à la tour méridionale qui s’élève au-dessus. On voyait encore dans cette partie du transept deux autels dédiés à saint Ignace et à sainte Apollonie. Dans le transept encore deux tableaux s’offrent aux regards : ces toiles et la plupart de celles que nous rencontrerons sont des dons du cardinal Fesch. Mais, faute de connaître la provenance antérieure des unes et des autres, il est difficile de les attribuer avec certitude à tel ou tel maître. Toutefois, la Descente du Saint-Esprit qui orne la paroi occidentale offre une parenté évidente avec les deux toiles de Jouvenet que possède notre musée ; d’ailleurs elle est signée de Jean de Restout, neveu de Jouvenet, lequel, sans doute, l’a terminée après la mort de son oncle. L’autre, le Mariage de sainte Catherine, pour lequel on a prononcé le nom de Rubens, appartiendrait plutôt à Coippel ou à quelque Flamand de la fin du xviie siècle.

Contiguë à la petite porte qui conduit dans la cour de l’archevêché, se trouve la chapelle Saint-Raphaël, édifiée par le doyen Claude de Feugères, en 1494. Elle avait été transformée en magasin pour les chaises, mais elle a, depuis peu, été restaurée et rendue au culte. À la suite, la chapelle du Saint-Sépulcre, maintenant Sainl-Vincent-de-Paul, fondée par l’archevêque Philippe de Thurey en 1401, comprend deux travées. Dans l’origine s’ouvrait, au-dessus de l’autel, une élégante fenêtre qui s’est trouvée aveuglée quand on a construit la chapelle Saint-Raphaël ; il reste deux grandes baies, dont les rinceaux supérieurs sont encore garnis d’anciens vitraux, figurant des anges musiciens. Les panneaux du bas, une Piétà et l’Invention de la Sainte-Croix, sont de Maréchal, ainsi que celles de la chapelle voisine : saint Bonaventure, saint Louis, sa sœur sainte Isabelle et saint Thomas de Cantorbéry. Ce sont de « beaux tableaux », mais les verriers de la première moitié du xixe siècle ont complètement méconnu le caractère du vitrail qui doit emprunter ses effets à l’accent des lignes et à la franchise des couleurs juxtaposées ; un vitrail est une mosaïque transparente et non un tableau. Dans la chapelle Saint-Vincent-de-Paul est conservé le cœur du saint qui fut curé de Châtillon-les-Dombes, paroisse de l’ancienne juridiction du diocèse de Lyon.

La chapelle du Saint-Sacrement, plus ordinairement appelée chapelle des Bourbons, est un précieux spécimen de l’art à la fin du xve siècle. Elle eut pour fondateur l’archevêque Charles de Bourbon qui y fut inhumé et dont la statue, agenouillée, se voyait au côté gauche de l’autel. La statue a été détruite, et les délicates dentelures, où s’enlacent la vigne et le chardon, portent les traces de mutilations nombreuses. Par malheur l’obscurité ne permet pas d’apprécier tous les détails de cette élégante décoration ; à peine découvre-t-on la tribune, à balustrade ajourée, qui a été ménagée dans l’épaisseur de la muraille, en retour d’équerre au couchant et au midi. Un tableau quelconque se trouve au-dessus de l’autel : mais fût-il un chef-d’œuvre, ce serait autant de perdu, car, en dehors du transept, Saint-Jean manque de la lumière qui est indispensable pour la mise en valeur et même pour la conservation des peintures. Une Cène, de l’école de Jules Romain, se voyait autrefois dans cette chapelle, et un Christ au tombeau, de Piérino del Vaga, dans celle du Saint-Sépulcre : ces deux toiles, citées entre les meilleures que possédait la cathédrale, ont disparu pendant la Révolution.

Le chœur d’hiver des chanoines, en contre-bas de huit marches, occupe les cinq travées encore existantes de l’ancien cloître. Les arcades de gauche s’ouvraient sur un préau qui fut recouvert en partie par la chapelle des Bourbons ; les portiques qui longeaient l’église tombèrent du même coup ; le reste disparut en 1753, pour faire place à la nouvelle Manécanterie. Ce cloître était le lieu ordinaire de sépulture des chapelains ou perpétuels : trois inscriptions qui subsistent font connaître les noms de quelques-uns d’entre eux, tous morts dans un âge avancé, dont un à quatre-vingt-dix-huit ans.

Une toile représentant les Pèlerins d’Emmaüs accuse la main de Philippe de Champaigne. Au-dessus de la porte qui met en communication le chœur avec la nef sud, se voit une Circoncision, œuvre française du xviiie siècle ; en retour, surmontant le tambour de chacun des deux portails collatéraux, une Adoration des Mages et un saint Dominique.

En remontant la nef du nord, on rencontre d’abord la chapelle des fonts baptismaux, autrefois dédiée à la Vierge et à saint Antoine, par l’archidiacre Antoine de Gibertès, en 1622. Ce sanctuaire est de peu d’intérêt, ainsi que les deux suivants : la chapelle Sainte-Anne, vouée, vers 1617, par le doyen Jean Meslet, à Notre-Dame et à saint Jean-Baptiste, et la chapelle Saint-Joseph, édifiée par le doyen Claude Caste, à la fin du xve siècle, en l’honneur de saint Denis, martyr, et de saint Austrégisile, abbé de Saint-Nizier. Il est bien peu d’autels dans les églises de Lyon, qui, au rétablissement du culte, aient été replacés sous leur ancien vocable. Tant il est vrai que, même pour les saints, la stabilité n’est pas de ce monde.

Dans la chapelle, autrefois dédiée à saint Jean-Baptiste, se voyait une toile de Leblanc : la Vierge ayant à ses pieds un saint Jean et un chanoine — sans doute le donateur — en costume du temps. Le retable est maintenant orné d’un tableau qui pourrait bien être du Poussin : la Femme adultère, singulièrement placée au-dessus d’un autel voué à Sainte-Anne.

Un passage reliait les deux églises, Saint-Jean et Saint-Étienne : on en a fait la sacristie paroissiale. À la suite se trouvait une chambre qui servait de trésor aux custodes de Saint-Étienne, communiquant avec la nef collatérale par une porte élégante et recevant la lumière extérieure d’une baie en forme de fleur de lis. Cette coquette cellule a été réunie à l’ancienne chapelle Saint-Michel, aujourd’hui du Sacré-Cœur, fondée par le custode Jean de Grolée en 1448. Ce que l’art moderne a fait de ce sanctuaire n’est point à l’honneur de notre temps. La chapelle voisine, dite de l’Annonciade, a été construite, en 1496, par le custode Pierre de Semur ; ses armes se voient au centre du retable qui orne la paroi orientale et qui couronnait l’autel. Ce retable est un curieux ouvrage à trois compartiments où se mêlent l’ornementation ogivale dans la partie inférieure et les formes de la Renaissance dans le haut. Cette chapelle, qui donne accès à la montée du clocher, est restée longtemps dans un état complet d’abandon. Elle vient d’être affectée au culte du curé d’Ars, le bienheureux Jean-Marie-Baptiste Vianney.

Nous voici dans le transept nord, où s’élevait un autel à saint Thomas : il existait au commencement du xve siècle et avait été restauré, en 1443, par le sacristain Henri de Sacconay. C’est là qu’est placée l’horloge fameuse qui, à elle seule, a plus fait pour le renom de Saint-Jean que tout le reste de l’édifice et lui attire plus de curieux que de dévots. Les abbayes et collégiales ont eu, de toute ancienneté, des horloges intérieures pour marquer l’heure et la durée des offices : c’étaient, à l’origine, de simples clepsydres. L’ancienne cathédrale Saint-Étienne en possédait une, don du roi Gondehaud, construite par Boèce, le ministre du roi visigoth Théodoric. On ignore quand Saint-Jean reçut, en son état premier, l’horloge qui existe à présent : il est certain qu’elle fut, d’abord, de moindre importance. Détériorée comme tant d’autres objets d’art, par les soldats du baron des Adrets, elle fut, en 1598, restaurée et complétée d’automates dans le goût du temps, par Hugues Levet, horloger lyonnais, et Nicolas Lupe ou Lippius, de Bâle. Un des cadrans faisait fonction de calendrier ecclésiastique, rappelant aux clercs qui chantaient l’office sans l’aide d’aucun livre, la férie du jour. Une seconde restauration, avec de nombreuses additions, est faite, en 1660, par Claude Nourrisson ; on trouve nouvelle remise en état par Charny, en 1779. Depuis longtemps le mécanisme n’avait plus une marche normale ; il a été complètement rétabli, il y a dix ans, mais cette horloge, dont la sonnerie a pour objet d’annoncer l’heure des offices, se tait tout juste à ces moments.

Une visite de Saint-Jean est incomplète sans une ascension au clocher. Il est même bon de s’arrêter à mi-chemin et de parcourir le triforium ou tribune. C’est de là que l’œil peut saisir une ornementation fine et variée dont les détails échappent d’en bas, et contempler les beaux vitraux de l’abside. Bel âge pour l’art que ce temps où, dans l’unité de direction et dans un même sentiment d’harmonie générale, chaque artiste conservait son individualité et imprimait à son œuvre un accent personnel ! Notre temps est enclin à voir l’unité dans l’uniformité et comprend difficilement que la variété est un élément nécessaire de l’harmonie.

Avant l’occupation de Lyon par les calvinistes, la sonnerie comptait onze cloches : deux seulement furent laissées en place. La sonnerie fut rétablie avec six cloches, et c’est encore le nombre actuel. Deux sont anciennes : la Grosse cloche qui, dans son état présent, date de 1622, et le Quart-Sing — signum, signal — fondu en 1671. Une inscription latine indique que la Grosse cloche a été coulée en 1308, et baptisée sous le nom de Marie ; puis, après accident, refondue en 1555, et en dernier lieu en 1622. Le poids du métal est de deux cents quintaux. Au nom de Marie s’est joint, on ne sait comment, le nom de Thérèse ; d’où le dicton populaire :

Je m’appelle Marie-Thérèse.

Vingt milliers je me pèse :

Qui ne veut croire me repèse.
La sonnerie de Saint-Jean, comme sa liturgie, a conservé un caractère spécial, quoique, pour l’une comme pour l’autre, ce caractère se soit sensiblement altéré. C’est ainsi que l’ancien mode de sonner avec les cordes imprimait un demi-tour à la Grosse cloche et selon l’expression technique la « levait sur gorge » ; avec le nouveau procédé du balancement, on ne la sonne plus qu’en « vannant ».
intérieur de la primatiale