Histoire des églises et chapelles de Lyon/Frères du Sacré-Cœur

H. Lardanchet (vol. IIp. 121-125).

FRÈRES DU SACRÉ-CŒUR

La parole adressée par Dieu à Abraham : « Ta postérité sera aussi nombreuse que les étoiles au ciel », pourrait vraiment s’appliquer aux innombrables communautés d’hommes et de femmes fondées, en France, dans le courant du xixe siècle. Nous en avons déjà cité un grand nombre ; d’autres suivront dans le cours de ce volume. Présentement, nous allons étudier deux de ces congrégations : celle des Frères du Sacré-Cœur et celle de Jésus-Marie, toutes deux vouées à l’enseignement et toutes deux fondées par une prêtre éminent, natif de notre ville, dont on va retracer, à grands traits, la biographie, abrégé de l’histoire complète écrite par l’un de ses fils spirituels, qui a mis en relief la force et la douceur du fondateur, cette audace et cette patience qui lui méritèrent les succès de l’apostolat.

André Coindre naquit à Lyon, le 26 février 1787, sur la paroisse Saint-Nizier, de parents qui s’employant à un honnête commerce, en avaient tiré quelque aisance. Les temps étaient difficiles à la religion : l’enfant les traversa sans y faillir, grâce à sa mère. Doué d’un cœur ardent, d’une humeur vive, d’un caractère entier, il sut tourner vers Dieu son énergie. Instruit à l’école cléricale de la paroisse, protégé par M. Besson, curé de Saint-Nizier, puis évêque de Metz, l’enfant fut reçu au séminaire de L’Argentière, y fit de bonnes études, y développa sa piété, et y reçut la tonsure, le 20 avril 1800, des mains de Mgr Canoveri, évêque de Verceil. Le 1er novembre 1809, il entra au séminaire Saint-Irénée de Lyon, reçut l’année suivante les quatre ordres mineurs, puis le 28 mai 1811, le sous-diaconat, le lendemain, le diaconat des mains de Mgr Simon, évêque de Grenoble ; enfin le 14 juin 1812, le cardinal Fesch l’ordonnait prêtre.

On sait que les Sulpiciens avaient été, au début de 1811, remplacés au séminaire de Lyon par des prêtres séculiers. L’un de ces derniers était M. Bochard, ex-curé de Bourg, qui, après quelques mois seulement de professorat, devint vicaire général du cardinal Fesch ; ces quelques mois lui avaient pourtant suffi à apprécier les solides vertus du jeune abbé Coindre, et sa réelle aptitude à la prédication. Il l’envoya à son ancienne cure, en qualité de premier vicaire. M. Coindre y resta jusqu’en 1815, sous la direction du curé, M. Chapuis, ayant pour collègue en vicariat l’abbé Ronat, prêtre distingué, plus tard curé de la primatiale de Lyon, évêque de Gap, enfin de Verdun. Quant à Coindre, s’il l’eût voulu, ou si seulement il se fût laissé faire, il serait promptement arrivé aux honneurs. En 1813, encore simple vicaire, il fut appelé à Lyon, par l’archevêque, de préférence à vingt prédicateurs de renom, pour y prononcer un difficile discours, à la gloire des armées françaises, discours rendu obligatoire par un décret du 19 février 1806, à toute chaire de l’Église de France, en mémoire du couronnement de l’empereur et de la bataille d’Austerlitz ; il s’en tira habilement, sans flagornerie tout ensemble. Ce qui mieux est, sa parole avait une singulière efficacité de conviction, parce qu’il la puisait dans son propre cœur. La Providence l’avait d’ailleurs abondamment pourvu de moyens naturels : voix extraordinaire d’étendue, de force soutenue et de pénétration. Par là méritait-il déjà qu’on le saluât comme un second Bridaine, et pourtant il avait à peine vingt-sept ans. À la fin de 1813, sur les instances de M. Bauzan, il entra à la communauté des Chartreux ou missionnaires diocésains de Lyon.

Après la première dissolution de la société par le gouvernement, il fut pressé de se rendre à Paris, pour y jeter avec Forbin-Janson, Sambucy, Frayssinous etQuélen, les fondements de la compagnie des missionnaires de France. Cette fois encore, il se déroba aux circonstances, qui frayaient à son amour-propre un si beau chemin, et demeura dans la cité de saint Pothin, prêchant sans relâche dans la ville et aux alentours, et multipliant les conversions.

Le Puy, notamment, a gardé le souvenir de ses sermons, où il commentait, par un jaillissement d’heureuses images, les paroles évangéliques. À Anse, à Saint-Étienne, il obtenait des chrétiens qu’au son de la grosse cloche, ils tombassent à genoux, pour violenter le ciel en faveur des impénitents.

Le panégyrique de saint Bonaventure fut l’apogée de son talent. Quel dommage qu’il écrivît peu, qu’il n’usât que de notes, de plans abrégés, pour préparer ses prodigieux « prêches de victoires », comme disait le bon peuple. Mais encore ne voulait-il de ce prestige sur les foules que comme un instrument de charité, suivant ses propres paroles, auxquelles il ajoutait celles-ci : « on doit prêcher pour secourir, et non pas seulement pour persuader » ; simples paroles qui en disent long sur les visées intimes de cet apôtre. Ces triomphes oratoires auraient pu, avons-nous dit, conduire M. Coindre aux honneurs ; il préféra convertir le peuple, et se donner à des œuvres humbles et pratiques. En parlant des religieuses de Jésus-Marie, nous raconterons comment, en 1817, il institua une Providence de quinze enfants dans une cellule des anciens Chartreux installée en 1818, sur le cours des Tapis, dans un local plus vaste et mieux aménagé. Il se sentait en plein dans sa vocation. Il avait également fondé une œuvre dite le Pieux-Secours, placée dans une maison et un vaste enclos au quartier des Chartreux, au-dessus du fort Saint-Jean, aujourd’hui cours des Chartreux, n° 1. L’année suivante, cette maison devint le berceau des frères du Sacré-Cœur, dont les débuts furent modestes et difficiles, mais que la Providence bénit ensuite avec abondance.

Chapelle des frères du Sacré-Cœur, aux Chartreux.

Le P. Coindre constatait que les surveillants et contre-maîtres séculiers du Pieux-Secours, qui donnaient l’enseignement aux enfants, et apprenaient des métiers aux adolescents ne répondaient pas suffisamment à ses vues. Il demanda à quelques-uns s’ils se donneraient volontiers au service de Dieu, avec une règle et un costume religieux. Il s’en trouva un seul, Guillaume Arnaud, qui répondit par un oui très affirmatif. Peu après, Claude Mélinand, touché de la grâce pendant une retraite que donnait le P. Coindre à Belleville, s’offrit spontanément. Telles furent les deux premières pierres de l’édifice. La Providence lui fit ensuite trouver toute une colonne à la fois, racontait-il familièrement. À Valbenoite, près de Saint-Étienne, dans un local appartenant au curé, M. Ronchon, sept jeunes gens vivaient dans une parfaite union, du fruit de leur travail. Le P. Coindre s’ouvrit à eux de son dessein d’une congrégation appliquée à l’éducation de l’enfance. Ils se rendirent aux Chartreux, se mirent en retraite avec leurs deux aînés dans la congrégation, entendirent la messe du P. Coindre à Fourvière, le 30 septembre 1821 : ce fut le jour de naissance des Frères du Sacré-Cœur. L’actif fondateur leur donna pour guide la règle de saint Augustin et les constitutions de saint Ignace, en attendant des règlements particuliers, que l’expérience dicterait : « Pensez, disait-il, que Dieu a rais six jours k démêler le chaos. » Leur premier costume fut à demi-séculier : une lévite noire, un carrick de même couleur, et un chapeau à haute forme. Trois ans plus tard, en septembre 1824, à Monistrol, ils prirent un nouvel habit, mieux adapté à l’austérité de la vie religieuse, et qui n’a que peu varié.

Nous avons nommé Monistrol, ce fut dans cette petite ville de la Haute-Loire que s’établit le noviciat des Frères du Sacré-Cœur. Le diocèse du Puy n’était pas encore restauré, et Monistrol, dépendait alors de Saint-Flour, dont l’évêque, Mgr de Salomon-Francose, était l’ami dévoué du P. Coindre, et protégea de tout son pouvoir l’œuvre à ses débuts. Mgr de Donald, premier évêque du Puy, siège restauré en avril 1823, continua sa protection. À la même époque les sœurs de Jésus-Marie rejoignirent les Frères du Sacré-Cœur à Monistrol, puis en 1825, elles se fixèrent au Puy. Le P. Coindre n’avait pas renoncé à ses missions, bien qu’il eût quitté la société des Missionnaires diocésains de Lyon, merveilleux séminaire d’évêques, qui produisit les Donnet, les Mioland, les La Croix d’Azolette, les Lyonnet, les Cœur, les Dufêtre. Jamais l’abbé Coindre n’avait tant remué les populations du Velay : il osait toutes les industries du zèle évangélique, plantait des croix, prêchait au grand air devant des multitudes enthousiastes flanquées du notaire et du maire, présidait des tribunaux de réconciliation pour arranger les différends de conscience en dépit des sarcasmes des incrédules.

Il n’était donc que rarement présent au milieu de ses frères, qui ne purent garder leur ferveur, et se développer que par miracle dans cette singulière condition de religieux séparés de leur supérieur. Une pire épreuve les attendait ; le P. Coindre, après s’être adonné à plusieurs missions fructueuses dans le centre de la France, ne put se soustraire à l’amitié impérieuse de l’évêque de Blois, Mgr de Sauzin, qui le garda à ses côtés, en le nommant supérieur de son grand séminaire et vicaire général. Après une dernière mission au Puy, un dernier voyage à Monistrol, où il quitta ses frères pour ne plus revenir, au début de février 1826, non sans avoir transmis la direction de sa congrégation à son frère, l’abbé Vincent Coindre, aumônier du Pieux-Secours depuis quelques années. Les Frères du Sacré-Cœur occupaient alors les maisons de Pradelle et de Montfaucon (Haute-Loire), de Saint-Symphorien de Lay et de Neulize (Loire), de Fontaine (Rhône), fondées en 1825, et celles de Vais, de Blesle (Haute-Loire) et de Murât (Cantal), fondées au cours de cette même année 1826.

L’abbé Vincent Coindre, prêtre simple et droit, avait la manie de bâtir ; il faillit ainsi se ruiner et ruiner l’institut ; il démissionna le 20 août 1841 et eut pour successeur le frère Polycarpe.

Aujourd’hui, par suite de la brutale expulsion des communautés, les frères du Sacré-Cœur se sont vus obligés de se réfugier à l’étranger ou de subir une sécularisation à laquelle ils n’étaient point préparés. Leur collège florissant de Lyon fut dispersé et les bâtiments vendus. L’œuvre pourtant ne devait point périr : des pères de famille, anciens élèves de la maison, ont reconstitué l’établissement sous le nom de pensionnat Saint-Louis ; ils ont loué les bâtiments et les élèves sont revenus nombreux dans les classes un instant désertées. La chapelle a repris son aspect d’autrefois, et rien ne paraît changé.

Elle s’ouvre au milieu des édifices du pensionnat, cours des Chartreux n° 1. Quoique d’aspect modeste, elle est suffisamment vaste pour contenir la nombreuse assistance des élèves et de leurs parents. L’autel, par une singularité peu commune, est de fonte peint en blanc avec ornements dorés, il est décoré, sur le devant, des cœurs de Jésus et Marie dorés sur fond bleu ; au retable brillent de petites croix. Derrière l’autel, tout au fond, se trouve une statue du Sacré-Cœur dans une niche du style grec. Sur la paroi du fond sont peintes deux fresques exécutées par F. Péreyron en 1892 ; l’une représente Jésus bénissant les enfants, l’autre, Jésus au milieu des docteurs. Dans le chœur, à droite et à gauche, s’ouvrent deux petites niches contenant des statues de bois peint ; l’une représente saint Joseph portant l’Enfant Jésus, l’autre, vis-à-vis, la Vierge Immaculée. La nef, plafonnée, est peinte d’ornements divers, qui ont malheureusement souffert. Au-dessus du chœur, on a représenté dans la voûte le Saint-Esprit au milieu d’une gloire. Les murs de la nef sont également décorés d’ornements avec des gerbes d’épis. Entre chaque ouverture on a placé, comme dans le chœur, sous un arceau, les statues, à droite, de saint Louis de Gonzague, saint François-Xavier et saint Ignace ; à gauche, de saint Stanislas portant l’Enfant Jésus et de saint François de Sales.

La chapelle est éclairée par des baies dont plusieurs sont ornées de vitraux ; œuvre très remarquable, exécutée en 1900 par notre collaborateur, M. L. Bégule ; ils représentent : 1° saint Pothin et saint Irénée les vaillants fondateurs de l’église de Lyon ; 2° saint Épipode et saint Alexandre, jeunes étudiants martyrisés pour leur foi ; 3° sainte Blandine, la mère des chrétiens, menant au martyre et au ciel le jeune Ponticus. La difficulté des temps a fait renvoyer à une époque plus favorable le vitrail projeté et esquissé représentant Attale, colonne de l’église et Vettius Epagathus, avocat des chrétiens, modèles et protecteurs des anciens élèves. Dans la chapelle, il se trouve également quatre panneaux représentant les quatre évangélistes, don des élèves en 1894-95. Au fond, s’élève la tribune où se trouvaient autrefois les orgues, en dessous de laquelle on a placé trois verrières portant les monogrammes de la Vierge Marie et de saint Joseph, enfin un cœur dans un champ de fleurs et d’épis. Entre ces vitraux on a placé les statues de saint Roch et de saint Antoine de Padoue.