Histoire des églises et chapelles de Lyon/Abbaye Saint-Pierre

H. Lardanchet (vol. IIp. 152-164).

SAINT-PIERRE ET SAINT-SATURNIN

Des nombreux couvents qui existent dans notre ville, il en est peu qui puissent se flatter de remonter à un passé aussi lointain que l’abbaye Saint-Pierre. Après avoir passé en revue les diverses opinions émises sur l’antiquité du couvent, on signalera les transformations subies par le monastère au cours des temps et on verra à quelle époque il faut attribuer la construction du monument tel qu’il existe aujourd’hui.

Des hypothèses plus ou moins vraisemblables ont été émises sur l’origine de l’abbaye Certaines légendes la font remonter aux temps apostoliques ; saint Paul, de passage à Lyon, aurait renversé un autel païen existant à cet emplacement, et aurait érigé un autel dédié à la Sainte Vierge ; il aurait appris à des jeunes filles à honorer la Vierge qui avait enfanté, et les aurait rassemblées en ce lieu, d’où serait sorti plus tard le monastère des religieuses Saint-Pierre. Cette légende, faut-il le dire, est dénuée de fondement ; en effet, aucun document historique n’indique que saint Paul ait été de passage à Lyon, ou y ait fait un séjour. On s’est appuyé sur un passage de ses épîtres pour affirmer qu’il était venu chez les Gaulois et, sans doute, à Vienne, avec son disciple Crescent ; mais il s’agit plus probablement des Calâtes ou Gaulois d’Orient et quant à Crescent, sa légende est aujourd’hui abandonnée par les historiens.

Il reste à examiner deux autres opinions relatives à la date d’origine du monastère. Certains auteurs sont d’avis de placer cette fondation vers l’an 546, et l’attribuent à saint Sacerdos, évêque de Lyon. Ce prélat fit construire, vers 550, une église dédiée à saint Paul ; or, disent-ils, il semble convenable qu’il ait déjà rendu cet honneur à saint.

Pierre, comme chef des apôtres. Cette église Saint-Pierre serait celle existant dans le monastère de ce nom, et aurait été érigée vers 546. On avouera qu’un tel argument a peu de portée. D’autres historiens attribuent à saint Ennemond, évêque de Lyon, la fondation de l’église et de l’abbaye Saint-Pierre vers l’an 664. Ce qui infirme cette dernière opinion, c’est que, d’après les documents, saint Ennemond aurait seulement fait un don en faveur des religieuses de l’abbaye : celle-ci aurait ainsi existé auparavant.

On ne saurait donc, faute de documents suffisants, assigner une date précise à la fondation du monastère. Ce qui est certain, c’est qu’il est d’origine ancienne, puisqu’en 664, il comptait déjà une certaine période d’existence. Cette antiquité est, en outre, confirmée par plusieurs anciennes inscriptions découvertes dans l’enceinte de l’abbaye. Un second point non moins certain, c’est que le couvent fut, dès son origine, dédié à la Sainte Vierge, dont les filles qui y habitaient prirent le nom et l’habit. Cette assertion est justifiée par l’existence de peintures qu’on y voyait autrefois, et qui furent détruites, plus tard, par les protestants. Ces fresques décoraient le cloître et le dortoir ; elles représentaient des religieuses vêtues d’une robe blanche et d’un voile bleu.

On ignore sous quelle règle vivaient les premières religieuses, mais, d’après les documents, on sait que, vers 665, elles prirent la règle et l’habit de saint Benoît, et furent ainsi une des premières congrégations de l’ordre bénédictin. Ces documents fournissent également plusieurs détails sur le costume des religieuses, leur vie intérieure, et les vertus pratiquées dans le monastère.

Une fois fixée, d’une manière approximative, la date de la fondation du monastère, il reste à étudier les diverses transformations qu’il eut à subir avant de devenir le monument imposant qu’on admire aujourd’hui. Le couvent, dès son origine, fut habité par des dames de familles illustres, et favorisé de plusieurs fondations royales. Au viiie siècle, par exemple, on trouve une donation du roi Lothaire pour le rétablissement de l’abbaye en partie détruite par les Sarrasins : c’est ce qui explique que le couvent fut pendant longtemps un lieu de sépulture pour les grands personnages. Ceci paraît extraordinaire, mais les règles du couvent étaient très différentes de ce qu’elles furent dans la suite ; les seuls lieux réguliers du monastère étaient alors l’église, le chapitre et le réfectoire ; les religieuses semblent avoir été libres dans les autres parties de l’enclos, et chacune y faisait construire à sa guise une habitation où elle passait le temps non occupé par les exercices communs. Aussi l’abbaye fut-elle richement dotée par les dames qui y apportaient une partie de leur fortune et par des dotations royales. L’abbesse portait la crosse et insérait dans son titre : « par la grâce de Dieu ». Au xive siècle, le monastère ne fut malheureusement pas exempt des désordres qui s’introduisirent alors dans les ordres religieux ; plus tard il fut envahi et dévasté par les protestants.

D’après les renseignements certains d’une statistique de 1668, l’abbaye Saint-Pierre comptait alors 40 religieuses, 4 novices, 12 sœurs laïques ou converses ; il s’y trouvait en outre 8 servantes et 4 valets pour les divers emplois subalternes.

Pour se rendre compte des changements survenus dans l’abbaye jusqu’à la construction du monument actuel, il semble nécessaire d’indiquer rapidement la disposition du quartier et du monastère, tel qu’il a existé. L’église n’a pas changé de place ; le clocher surmontait la façade actuelle : il ne fut démoli qu’au xviiie siècle comme menaçant ruine. Au devant se trouvait un cimetière transformé ensuite en une place. À côté de l’église on voyait le logement de l’abbesse, appelé hôtel abbatial ; sur la même ligne, les maisons particulières, bâties par les religieuses, se prolongeaient jusqu’à la rue Pizay. Sur la rue du Plâtre se trouvaient les dortoirs et galeries. Une enceinte assez vaste s’étendait au nord, bordée d’un mur, et à l’intérieur de ce vaste périmètre les dépendances et jardins. L’ancienne muraille de la ville, avec ses tours et contreforts, longeait la face nord du monastère ; les deux murailles n’étaient séparées que par une étroite ruelle. Aussi, lorsqu’en 1536, il fut question de démolir les anciennes fortifications et de combler les vieux fossés, à cause de l’accroissement de la population, une contestation s’éleva entre la ville et l’abbaye. Celle-ci en effet prétendait que l’espace compris actuellement entre le Rhône, la rue Lafont et la rue Puits-Gaillot relevait du couvent et qu’on ne pouvait rien y faire sans autorisation : l’abbesse craignait que des bâtiments y fussent construits qui auraient vue sur le monastère. Il y eut transaction ; le Consulat s’engagea à ne laisser construire aucun édifice approchant les murailles du couvent et à transformer en place publique les fossés et l’emplacement occupés aujourd’hui par la place des Terreaux et l’hôtel de ville. Il surgit un nouveau différend, lorsque, en 1646, on empiéta sur le terrain pour la construction de l’hôtel de ville. Le monastère obtint en compensation de faire une nouvelle construction projetée depuis longtemps, avec façade sur la place des Terreaux, et de faire construire tels bâtiments et boutiques que bon semblerait ; enfin la ville devait fournir une certaine somme pour faciliter la construction de la façade. L’architecte qui dressa les plans de cette colossale construction se nommait La Valfenière ; il avait présidé à la construction de nombreux monuments dans diverses villes. La première pierre du nouveau monastère fut posée en 1659 ; l’abbesse Anne d’Albert d’Ailly de Chaulnes dirigea les travaux qui furent achevés, après sa mort, par sa sœur qui lui avait succédé dans cette charge. La construction d’un monument aussi important ayant vile épuisé les ressources du monastère, il devint nécessaire de recourir à un emprunt difficilement réalisé. C’est ce qui explique que les travaux traînèrent en longueur, par manque de ressources et défaut d’unité dans la direction : en sorte que, en 1686, le bâtiment n’était pas encore terminé. Le manque de ressources empêcha aussi de couronner le monastère par un dôme imposant, comme on en avait eu l’intention.

Quelques renseignements sur l’organisation intérieure du monastère permettront de voir à quel usage étaient destinées les diverses salles qu’on admire aujourd’hui. La salle principale qui, après la Révolution, a longtemps servi de Bourse, était le réfectoire ; et celle située à l’est du grand escalier, la salle du chapitre. Au premier étage, du côté de la place des Terreaux et avançant sur la cour, se trouvait l’appartement de l’abbesse ; sous les cloîtres du premier étage s’ouvraient les cellules ou chambres des religieuses. Dans une pièce à l’angle nord-ouest était une chapelle dite du Saint-Sépulcre, parce que les religieuses défuntes y étaient exposées avant d’être portées à l’église. La salle de réunion des sociétés savantes était probablement la salle de communauté.

Saint-Pierre et Saint-Saturnin (Restitution de M. R. Lenail).

Après avoir retracé l’histoire de l’abbaye et indiqué les diverses transformations subies par les bâtiments du monastère, il reste à parler de l’église proprement dite, ou plutôt des églises qui se sont succédé.

Une donation de 587 et celle du roi Lothaire de 864 déterminent sa position entre le Rhône et la Saône dans le faubourg de Lyon. L’archevêque Leidrat avait fait reconstruire l’église et le couvent, depuis les fondements, ainsi qu’il l’explique dans sa lettre à Charlemagne, vers l’an 807. Il ne doit rien en subsister, à l’exception peut-être des gros murs de la nef et du clocher.

Une lettre circulaire de Guichard, archevêque de Lyon, du 14 août 1173, adressée à tout le clergé, explique qu’il existe dans sa cité épiscopale, une noble église appartenant aux religieuses Saint-Pierre, laquelle menace ruine, à cause de son antiquité ; il ajoute que l’abbesse a entrepris, tant avec les ressources de la maison, qu’avec des secours étrangers, de la restaurer élégamment ; que ses ressources sont insuffisantes pour achever un monument si important ; aussi fait-il appel à la confraternité des archiprêtres, prêtres et prieurs, les suppliant de bien accueillir les envoyés du monastère et d’engager leurs paroissiens à verser des aumônes pour cette œuvre. L’appel paraît avoir été entendu puisque le portail, le porche et une fenêtre qui subsiste encore sur le flanc latéral et éclaire la deuxième travée, présentent le caractère de l’architecture romane du xiie siècle : ce sont évidemment des ouvrages de la restauration de l’église à cette époque.

En outre, l’on peut apprécier les dispositions alors adoptées, en consultant le plan scénographique de Lyon au xvie siècle et celui de Simon Maupin daté de 1625, qui représentent l’édifice avant les modifications subies plus tard. L’église ne se composait alors que d’une seule nef précédée d’un porche surmonté d’une tour à trois étages et fermée par une abside à cinq pans moins élevée que la nef, et placée à l’endroit où commence à présent le sanctuaire. Le mur du fond de la nef, au-dessus de l’arcade où s’ouvrait le sanctuaire, était percé d’une rosace et de deux fenêtres. À une époque qu’on ne saurait préciser, on appliqua au flanc sud de la nef la chapelle de la Sainte Vierge qui forme actuellement la dernière chapelle à droite, sous le vocable du Sacré-Cœur. C’était une sorte de petite église ; son abside circulaire orientée comme celle de l’église principale et son petit clocheton sont fort bien indiqués dans les plans dont on a parlé. La chapelle était accompagnée de cinq autres, deux à droite et trois à gauche, savoir : Saint-Sauveur, Saint-André, Sainte-Agnès et Sainte-Catherine, lesquelles formèrent plus tard une sorte de bas côté par l’ouverture d’arcades entre elles.

L’église paraît avoir conservé ces anciennes dispositions jusqu’au xviie siècle, époque où le monastère fut reconstruit, comme on l’a dit, sur les plans de François de Royers de La Valfenière, né à Avignon vers 1575, mort le 22 mars 1667. La première pierre du nouveau monastère fut posée le 18 mars 1659. On dut exécuter quelques travaux pour accorder les deux édifices. Le chœur des religieuses fut maintenu, comme il paraît avoir été de toute antiquité, au-dessus de la porte d’entrée et des premières travées de l’église : c’est à cause de cette disposition que le grand escalier du xviie siècle a été reporté vers l’angle sud-ouest, afin que du premier palier de la rampe, on pût arriver de plain-pied à cette tribune par un passage voûté et jeté sur une cour, lequel existe encore quoique transformé en habitation particulière. En 1678, l’abbesse Antoinette d’Albert d’Ailly de Chaulnes fit exécuter, sur les dessins du peintre architecte Thomas Blanchet, une décoration du sanctuaire selon le goût de cette époque. Les sculpteurs Nicolas Bidau, Simon Lacroix et Emmanuel Vaigneux y furent employés. Blanchet lui-même exécuta, pour ces travaux, cinq tableaux qui lui furent payés chacun trente louis d’or.

L’abbesse Anne de Melun (1738-1 772) fit entièrement accommoder l’église à la moderne, par l’architecte de Gérando ; on démolit la tribune formant chœur et on en construisit une autre derrière le sanctuaire. La nef fut décorée de nouveau, et l’on ouvrit latéralement de grandes fenêtres. Le rond-point du sanctuaire fut modifié une seconde fois. Un Saint Pierre aux Liens, sculpté par Bidau, fut enlevé ainsi qu’un tableau de Blanchet représentant La Cène : le Saint-Pierre resta longtemps entreposé au bas du grand escalier et la Cène fut transportée à l’église de Décines ; on ignore ce que ces œuvres sont devenues.

La Visitation, groupe sculpté (église Saint-Pierre).

Michel Perrache exécuta le nouveau maître-autel. Un tableau de forme ovale de Claude Spierre, donné par le maréchal de Villeroy, représentant aussi Saint Pierre aux Liens et composé, selon Mariette, « d’une grande manière et d’une fière exécution », couvrit la surface inférieure du sanctuaire, et au-dessus on éleva la grille du chœur, beau travail en fer doré. Les sacristies furent placées au-dessous du chœur supporté par des voûtes d’une grande hardiesse qui motivèrent les contreforts qu’on remarque encore latéralement au chevet de l’église. La démolition d’une partie de ces voûtes et la construction d’une nouvelle abside au fond des sacristies, ont permis d’agrandir l’église au xixe siècle et de lui donner l’aspect qu’elle présente aujourd’hui.

L’orgue se trouvait près du chœur, au temps de l’abbesse de Chaulnes. Anne de Melun en fit établir deux, un au fond de l’église et l’autre dans le chœur. Le clocher actuel remonte aux dernières années de l’administration de cette même abbesse : on lui persuada que l’ancien menaçait ruine et pourrait entraîner avec lui la chute de la façade ; on en démolit trois étages, et on construisit une œuvre vulgaire et disgracieuse qui coûta fort cher et où les anciennes cloches ne purent entrer qu’avec difficulté.

Rien ne rappelle plus à Saint-Pierre actuellement la mémoire de saint Ennemond qui fut inhumé dans cette église. Malgré un procès qui eut lieu entre les Dames de Saint-Pierre et le chapitre de Saint-Nizier, procès qui fut terminé, le 21 juillet 1486, par la victoire de ce dernier, il a été récemment démontré que la vérité historique était en faveur de Saint-Pierre.

On a déjà donné quelques renseignements sur les améliorations apportées au xviiie siècle à l’église récemment reconstruite. Il ne sera pas sans intérêt d’ajouter ici quelques détails donnant une idée de la richesse exceptionnelle du monument. Tout d’abord la chapelle fut enrichie de décorations, d’après les dessins exécutés par l’architecte Thomas Blanchet. L’ensemble se composait de pilastres d’ordre ionique, en marbres de couleur, couronnés par un entablement, au-dessus duquel étaient de petits anges alternés avec des cassolettes. Dans les espaces entre les pilastres furent placés des tableaux représentant les événements de la vie de saint Pierre. Au milieu un espace plus grand était destiné à recevoir une peinture représentant La Cène. Au-dessus de ce tableau était un enfoncement en forme de grotte, dans lequel on avait mis un Saint Pierre aux Liens. Cette statue commencée par les sculpteurs Lacroix et Vaigneux, fut achevée par le célèbre Hidau et coûta 600 livres. Ces aménagements entraînèrent l’exhaussement des murs, le bouchement des anciennes fenêtres et la construction à nouveau de la voûte, enfin la reconstruction du maître-autel qui n’avait pas encore subi de retouche sérieuse. Une magnificence exceptionnelle fut apportée à cette réédification. L’autel fut formé de marbres de couleur, comme les pilastres ; au milieu se trouvait un panneau rempli par un bas-relief en argent représentant L’Adoration des pasteurs à la naissance du Christ, travail exécuté par Martin Villette, maître-orfèvre de Lyon. Le tabernacle était en bronze doré et orné de statuettes mobiles également en argent ; quatre figures représentaient des enfants, dont deux sur le devant et deux sur le fronton. Les côtés étaient décorés de deux têtes de chérubins ; la porte du tabernacle représentait l’Apparition de l’ange à saint Pierre, au sépulcre, après la résurrection : le tout exécuté en argent. Un orgue fut aussi placé dans une tribune construite spécialement à cet usage et dont on ne sait la position exacte. Devant le maître-autel fut mise une balustrade, composée de douze pilastres et d’autant de panneaux dont deux représentaient des armoiries d’abbesses ; le sanctuaire fut aussi dallé en losange de pierre noire et blanche. En même temps l’orfèvre Michel-Paul Mouton fabriqua divers objets destinés au service du culte ; on citera particulièrement six burettes, une aiguière et un bénitier en argent ; divers chandeliers, une croix en argent de plus d’un mètre de hauteur. Cette argenterie était enrichie de figures et marquée aux armes du monastère, ou des abbesses qui avaient fait fabriquer ces objets.

Tous ces embellissements si riches, qui nécessitèrent des ressources considérables, furent l’œuvre exclusive de l’abbesse Antoinette d’Albert de Chaulnes dont le nom a déjà été rappelé, et qui dirigea le monastère Saint-Pierre de 1072 à 1708. Elle possédait une grande fortune personnelle et avait le goût de l’ostentation : son train de maison se composait de nombre de domestiques et d’une écurie bien fournie. Cette particularité, qui paraîtrait ridicule aujourd’hui, rentrait dans les mœurs de l’époque.

Des transformations successives, opérées dans la suite, vinrent s’ajouter à celles déjà faites. Deux orgues furent établies, un dans le fond de l’église et l’autre à l’opposé, dans le chœur des religieuses. Afin d’agrandir l’église devenue trop petite pour ceux qui y affluaient, une partie de la voûte fut démolie, et une nouvelle abside construite. Pendant l’invasion des protestants à Lyon, on avait enfermé les objets précieux dans une tribune et l’escalier y conduisant avait été muré. L’ouvrier qui avait fait le travail trahit le secret : ces objets d’une valeur inestimable furent mis au pillage et un grand nombre perdus sans retour.

Chanoine Dérozier, curé de Saint-Pierre, puis de Saint-Nizier.

L’église Saint-Pierre possédait, avant la Révolution, plusieurs tableaux de maître, qu’il sera d’autant plus utile de rappeler qu’on ignore ce qu’ils sont devenus. Au témoignage de Clapasson et de Debombourg, on remarquait, dans la chapelle des enfants du Plâtre, une peinture représentant La Sainte-Trinité, par Blanchet le cadet, et dans celle des maîtres Futainiers une Nativité de In Vierge, par Thomas Blanchet ; contre un pilier, du côté de l’évangile, au-dessous d’un autel, se trouvait un Saint Sébastien et un Saint Roch, d’un peintre inconnu, mais dont le travail était bon et dans la manière flamande ; enfin, d’après d’Expilly, on voyait, en 1766, à l’entrée de la nef, Saint Benoit donnant l’habit à Sainte Scholastique et Saint Benoit distribuant des aumônes.

Parmi les huit tableaux qui se trouvent présentement à Saint-Pierre, et qui tous proviennent d’églises dévastées à la Révolution, quatre sont de Trémolières, un de Restout, un de Frontier, un de Crelet et un de La Fosse ; tous furent réservés, en 1797, pour le Muséum et l’École de dessin, par les artistes Cogell et Jayet chargés de choisir, parmi les nombreuses toiles saisies dans les églises et couvents, celles qui présentaient un intérêt artistique. Ces tableaux furent mis sous la surveillance de l’École centrale du département du Rhône, avec un très grand nombre d’autres, dont on possède la liste, et où figurent des Stella, des Blanchet, des Sarrabat, des Vanloo, et de nombreuses copies. On ignore l’époque où ces peintures furent données à Saint-Pierre. La description de l’église actuelle, qu’on va entreprendre ici, serait promptement achevée, si l’édifice ne contenait ces remarquables œuvres d’art, sur lesquelles nous insisterons particulièrement.

L’église actuelle se compose d’une nef orientée, précédée d’un porche et accompagnée de bas côtés sur une partie seulement de sa longueur. L’édifice étant entouré de maisons ou de cours intérieures de tout côté, ses façades latérales n’offrent aucun intérêt, à l’exception d’une fenêtre datant du xiie siècle, d autres sont probablement masquées par les constructions parasites, qui en auront empêché la destruction. Le clocher est également enfoui dans les maisons du côté sud ; il n’offre aucun intérêt. Le portail, enserré dans des habitations particulières, contient la partie inférieure de l’ancien clocher dont on a démoli trois étages au xviiie siècle. Il est formé de deux larges contreforts encadrant la porte d’entrée au-dessus de laquelle s’élève une haute surface lisse construite en maçonnerie d’énormes pierres de taille percée d’une étroite fenêtre, et couronnée par un bandeau d’arcatures très simples. L’ensemble de cette bâtisse semble appartenir à une époque plus éloignée que celle de la porte qui doit être attribuée à latin du xiie siècle. Celle-ci se compose d’une arcade décorée de moulures, de pilastres, de colonnes et de chapiteaux d’un travail remarquable et d’une riche ornementation ; toutefois l’arcade à plein cintre a été un peu surbaissée par des tassements. Les vantaux de la porte datent de la fin du xviiie siècle, et méritent l’attention par leur sculpture. Le porche occupe la base de l’ancien clocher dans lequel est ouverte la porte d’entrée ; il est voûté en ogive ; l’ouverture qui le sépare de la nef reproduit l’architecture de la porte d’entrée, sauf l’arc qui est enrichi de petites arcatures.

Pénétrons dans l’intérieur de l’église. Elle se compose d’une nef séparée des bas côtés par six arcades de chaque côté, dont les pieds-droits, décorés de pilastres ioniques, supportent un entablement servant de base à la grande voûte en berceau ornée d’arcs doubleaux peu saillants. Des baies, ménagées dans les pénétrations à la partie basse du berceau, éclairent la nef ; elles sont décorées de clefs composées alternativement de têtes de chérubins et de consoles historiées. Trois arcades, de chaque côté en entrant, sont aveugles, les bas côtés ne commençant qu’à la quatrième ouverture.

Nous voici au chœur. Six colonnes d’ordre ionique, engagées contre les pieds-droits des piliers, accusent le sanctuaire qui est revêtu, en bas, d’une boiserie avec couronnement dans le fond en bois sculpté supportant un crucifix. Le chœur est orné de peintures importantes qui vont être décrites.

Sur la paroi de gauche, L’Adoration des mages, signée en bas et au milieu : « Trémolières invenit et pinxit, 1736 ». Cette toile, qui vient probablement de l’église des Carmes-Déchaussés, est mentionnée dans l’inventaire descriptif de 1797 signalé plus haut. La Vierge et l’enfant Jésus portent leurs regards à gauche ; derrière eux, se trouvent saint Joseph, les mages, et divers personnages ; enfin dans le haut des anges et le bas d’un édifice.

À la paroi de droite, on a placé L’Adoration des bergers, tableau non signé ; il est pourtant de la même main que le précédent, et fut exécuté par Trémolières, pour l’église des Carmes Déchaussés. Il ne vaut pas le précédent, qui était fort estimé à l’époque où il fut exécuté. Ce tableau figure également dans l’inventaire des tableaux mis en réserve, en 1797.

Au fond du sanctuaire, sur la paroi de gauche : L’Assomption, toile signée en bas et au milieu : « Trémolières, 1736. » Dans le haut, la Vierge est soutenue par les Anges, tandis qu’au-dessous, les apôtres sont groupés autour du tombeau vide que recouvre un suaire. Au témoignage de Clapasson, il existait dans la chapelle du Confalon, avant la Révolution, une Assomption de cet artiste, composition accompagnée de sept autres dues à différents peintres, parmi lesquels figurait une Visitation de La Fosse. La toile dont nous nous occupons, est découpée par le haut, de la même forme que celle qui lui fait pendant, ce qui indique qu’elles proviennent toutes deux de la chapelle du Confalon.

Église Saint-Pierre, chapiteaux du porche. Dessin de M. R. Lenail.

Elle figure dans l’inventaire de 1797. Sur la paroi de droite est placée : La Visitation, peinture de Charles de La Fosse, qui figure dans l’inventaire de 1797. Le maître-autel, isolé, appartient au style usité au début du xixe siècle. Dans le coffre se trouve L’Ensevelissement de la Vierge, bas-relief en marbre, provenant de la chapelle des Pénitents du Confalon, et attribué à Bidau. Une balustrade en fer sépare le chœur de la nef ; elle fut exécutée par Jean Maliard, serrurier lyonnais, dont on conserve des dessins à la bibliothèque du musée d’art et d’industrie au palais du commerce.

Le chœur décrit, on va parcourir la grande nef, en commençant par le bas et à gauche. Au milieu de la première travée se trouve un bénitier formé d’un balustre décoré de guirlandes et d’un socle avec mascarons, la coupe est de marbre blanc ; c’est un travail du xviie siècle. En suivant la paroi de gauche, on trouve, dans la première travée, les fonts baptismaux du xviie siècle, dont la cuve est en marbre de couleur. Au fond, en stuc, le baptême du Christ, entre deux grands palmiers sur fond or. La deuxième travée est ornée d’une toile : La Circoncision, attribuée à Trémolières, par l’inventaire des tableaux mis en réserve en 1797. Saint Joseph présente l’enfant Jésus au grand-prêtre ; au second plan, à droite, la sainte Vierge, ou une figure de femme dont on ne voit que le buste, et un autre personnage ; au premier plan, à gauche, un jeune homme tient un plateau, sur lequel se trouvent divers ustensiles ; derrière lui, un personnage muni d’un flambeau ; enfin, dans le haut, volent des chérubins.

Dans la troisième travée, on admire : L’Exaltation de la Croix, signée au bas et au milieu : « Restout, 1748. » Ce tableau fut exécuté pour l’église Sainte-Croix de Lyon et figura à l’exposition de 1748 ; le livret l’annonça ainsi : « La vraie croix et un grand nombre de chrétiens ayant été pris, l’an 616, par Chosroës, roi des Perses, elle fut rendue, quatorze ans après, par Siroës, son fils, par un traité de paix qu’il fit avec Héraclius ; il lui rendit aussi tous les captifs chrétiens et entre autres Zacharie, patriarche de Jérusalem. C’est ce qui a donné lieu à la fête de l’Exaltation de la sainte Croix. » L’instrument de supplice est présenté à la foule ; Héraclius ou Zacharie est agenouillé à droite ; tout à côté, des personnages tiennent un casque, une croix processionnelle et des flambeaux ; au fond on voit le péristyle d’un temple. Ce tableau est également marqué dans l’inventaire descriptif de 1797. Au quatrième pilier est adossée la chaire en bois, sans caractère artistique et couronnée par une statue de saint Pierre. En reprenant au bas de l’église, adroite, on rencontre, dans la deuxième travée, un tableau remarquable : Les Disciples d’Emmaüs. Cette toile qui était presque carrée a été augmentée en haut et en bas, afin de pouvoir figurer en face de la Circoncision. Le coloris puissant est poussé au noir, sur lequel se détachent en clair les têtes et les extrémités. Le tableau est de Cretet ; il est indiqué sous le titre inexact de : La Fraction du pain, par Clapasson, dans sa description de la chapelle du Confalon, avant la Révolution. Le Christ au milieu de la table, rompt le pain ; les deux apôtres sont assis à l’angle gauche. Un vase riche se voit par devant ; un serviteur ou une servante sort d’une porte à gauche et apporte un plat ; au fond, à gauche se trouvent deux personnages, beaucoup plus petits, puis des édifices et des arbres éclairés par le soleil couchant.

La troisième travée contient : Moïse et le serpent d’airain, signé au bas et au milieu : « Frontier, 1743. » L’auteur s’était fixé à Lyon, et J.-J. de Boissieu fréquenta son atelier pendant quelque temps ; il mourut à Lyon le 2 septembre 1763. Le tableau est très expressif : Moïse elle serpent sont sur une éminence, et les malades au premier plan ; au fond, à gauche, on voit les tentes des Juifs. Ce tableau, comme son pendant de la paroi de gauche, faisait partie, d’après Clapasson, de la décoration du chœur de l’église Sainte-Croix. Il figura à l’exposition de 1743, et fut réservé, en 1797, pour le musée et l’école de dessin.

Saint-Pierre (façade projetée de la nouvelle église).

Au quatrième pilier, est adossé le banc d’œuvre, bon travail de la fin du xviiie siècle ; il est composé d’un fronton avec deux pilastres corinthiens et corniche, accompagnés, dans le bas, de consoles enrichies d’ornements. À l’extrémité de la basse nef de gauche : Le Crucifiement de saint Pierre, toile moderne. Contre le deuxième pilier, adossé à la paroi de gauche une Mater dolorosa, peinture ancienne. Contre la même paroi, au-dessous de la fenêtre éclairant la troisième travée du bas côté : La Visitation, bas-relief de marbre, provenant de la chapelle des pénitents du Confalon ; on l’attribue à Bidau. Sur le pilier de la chaire : La Vierge, l’Enfant Jésus, saint Joseph et saint Bruno, toile ancienne, anonyme ; Marie et l’Enfant Jésus sont sur un nuage, saint Joseph et saint Bruno au bas, à droite et à gauche.

Après avoir décrit la nef, il reste à dire quelques mots des chapelles. Près de l’entrée latérale est placé un bénitier en marbre de couleur, style italien du xviiie siècle, dans l’écusson duquel on a peint, en utilisant les veines du marbre, La Fuite en Égypte. Ce morceau très intéressant, est à moitié effacé par le frottement des mains des fidèles ; il mériterait d’être transporté dans un emplacement présentant plus de sécurité. Au-dessous se voit : Saint Pierre, à mi-corps, toile ancienne. Dans la chapelle du Sacré-Cœur, située en haut de la petite nef de droite, l’autel est moderne, de marbre de couleur et de style indéterminé ; il porte des médaillons d’anges en bronze. Sur le tabernacle se trouve une statue du Sacré-Cœur, en marbre, œuvre de Dufraisne, sculpteur lyonnais.

La chapelle de la Sainte-Vierge est située au sommet de la petite nef de gauche. L’autel isolé, de style napolitain, est de stuc et marbres de couleur ; il appartint primitivement à l’église d’Ainay, puis fut cédé par M. Boue, curé de cette paroisse, à l’église Saint-Pierre. Dans le coffre est couché un Christ au tombeau, statue de marbre ; la table est supportée par deux cariatides. Sur le tabernacle, se trouve La Vierge et l’Enfant Jésus, groupe de marbre.

À l’extrémité de la petite nef de droite se voit : Saint François de Sales au pied du Sacré-Cœur, toile moderne. Contre la paroi, en face de la première travée, La Fuite en Égypte, peinture ancienne ; enfin, vis-à-vis de la deuxième travée : Saint Jérôme dans le désert, tableau ancien.

Un décret ministériel ayant annoncé la désaffectation de Saint-Pierre, l’honorable curé M. Pangaud, a confié à M. Gaillard architecte, la construction, rue du Bàt-d’Argent, d’une nouvelle église destinée à remplacer celle qui malheureusement disparaîtra. L’édifice est commencé depuis un an, il comprendra une crypte, une église supérieure, et pardessus, la cure et les écoles. L’église sera de style gothique.