CHAPITRE VIII.
DE 1800 À 1815.


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I. Époque du Consulat (1800-1804) : — Pacification. — Rétablissement de l’octroi. — Organisation municipale. — L’Hôtel de Ville. — Retour au culte catholique. — Mgr Caffarelli. — L’école secondaire communale. — II. Époque du premier Empire (1804-1814) : — Incendie de la Préfecture. — Le nouvel Hôtel de Ville. — Accroissement des recettes. — Fêtes des courses. — L’hiver de 1812. — III. Époque de la première Restauration et des Cent-Jours (1814-1815) : Les fédérés. — Demande de réformes. — Le combat de Saint-Gilles. — IV. Institutions diverses : Statistique. — Presse locale. — Personnes notables. — Résumé.

I. — ÉPOQUE DU CONSULAT (1800-1804).


La révolution politique et sociale commencée dans les idées sous la monarchie absolue, continuée dans les faits de 1789 à 1800, ne finit pas d’un seul coup par l’avènement au pouvoir du général Bonaparte. Trois gouvernements se sont employés à l’achever depuis 1800 : l’empire, la monarchie et la république, deux fois chacun, et cependant les crises du temps présent prouvent évidemment qu’elle n’est pas terminée. Ces trois régimes n’ayant peut-être pas dit leur dernier mot, il nous suffira, sans toucher à la politique générale, d’indiquer à l’occasion ce que chacun d’eux a fait dans l’intérêt des libertés communales, qui nous intéressent ici tout particulièrement.

Quelle que soit l’opinion qu’on se fasse des résultats de la politique impériale, il est généralement reconnu que Bonaparte a eu le grand mérite, à l’époque de son consulat, de délivrer et d’agrandir le territoire et surtout, à l’intérieur, de rendre la paix au pays, de rouvrir les églises et de renouveler, ou plutôt de créer cette forte et régulière administration, sans laquelle il n’y a ni ordre, ni unité.

1800 (an viii et an ix). — Les mesures de réparation ne se firent pas attendre. Au lieu de discours, il y eut des actes. On s’empressa de rapporter la dernière loi sur les otages. Ceux-ci furent tous mis en liberté. Une amnistie fut ensuite promise à tous les chouans qui se soumettraient. MM. Legris-Duval et de Kerigant donnèrent l’exemple et déposèrent les armes. Le général Brune, commandant en chef de l’armée de l’Ouest, favorisait de tous ses efforts la pacification, et les habitants de Saint-Brieuc étaient déjà si rassurés qu’un jour on vint apprendre à l’adjudant-général Le Blanc, qui commandait la subdivision, « que les corps de garde près les fortifications extérieures étaient évacués, et que la plupart des habitants remplissaient déjà des douves ou fossés qu’on avait creusés pour la sûreté de la place. » C’était en germinal, cinq mois à peine après la chute du Directoire.

Ce mois de germinal vit installer le premier préfet, M. Boullé. Un arrêté des consuls, du 17 ventôse an viii, venait de créer une préfecture à Saint-Brieuc et cinq arrondissements dans le département. Ce n’était pas seulement dans ses divisions, c’était surtout dans son principe que le premier consul se proposait de modifier le système administratif établi par la Constituante. Il voulait que le département, l’arrondissement et la commune fussent organisés a l’image de l’État lui-même. À chacun de ces degrés, le pouvoir exécutif, confié à un seul, était séparé de l’assemblée délibérante, composée de plusieurs. Tous les représentants du pouvoir exécutif, formant une forte hiérarchie et relevant du chef de l’État, maintenaient l’unité du pouvoir. C’était juste et nécessaire, surtout au lendemain de la Révolution, pourvu qu’une centralisation excessive n’anéantit pas de nouveau les libertés communales.

La municipalité cantonale de Saint-Brieuc fut maintenue à titre provisoire, pendant l’année 1800, et la présidence en fut exercée, en dernier lieu, par un administrateur désigné suivant l’ordre du tableau. Bien qu’elle n’eût plus qu’une durée éphémère, l’ancienne administration poursuivit, conformément à la loi, le rétablissement de l’octroi. Il avait été suffisamment prouvé, depuis dix ans, que la part attribuée à la ville dans les impôts ne suffisait pas à couvrir ses dépenses ordinaires. Or, il fallait y ajouter une somme de plus de 20,000 fr., due à l’hospice pour l’entretien de cent enfants de la patrie. — L’hospice civil, qu’on venait de transférer du local de la Madeleine dans l’ancien couvent des capucins, était connu sous le nom d’hospice de l’humanité. On y recevait facilement les filles-mères de Saint-Brieuc et des communes voisines et on donnait même une prime de 120 francs à celles qui avaient mis au jour un garçon. De là, le nombre si considérable des enfants de la patrie. — On demanda donc au ministre un octroi municipal et de bienfaisance. Dès le mois suivant, la perception en était autorisée et mise sur le champ en activité. D’après le premier règlement, on voit que le droit d’octroi portait sur les boissons, le sucre, le café, les draps, cuirs, fers, ardoises, tabacs, bois à brûler, charbon.

Avant la fin de l’an viii, la tranquillité était si bien rétablie dans le département, qu’un arrêté des consuls du 4 floréal (23 avril) le replaça sous l’empire de la constitution. Il n’en avait été privé que pendant trois mois. Le 30 mai, le tribunal civil fut installé en grande pompe. Il eut pour président le citoyen Pouhaër. Le 14 juillet, en célébrant l’anniversaire de là Révolution, le préfet posa, sur la place de l’Égalité, la première pierre de la colonne départementale, dont les traces ont disparu depuis longtemps.

L’an viii vit organiser aussi le pouvoir législatif. Le 3 nivôse, les consuls avaient nommé la majorité du Sénat, en lui permettant de se compléter. Le Sénat, une fois constitué, fut chargé d’élire les 100 membres du tribunat et les 300 du corps législatif. En parcourant ces trois listes, on n’y remarque qu’un seul représentant des Côtes-du-Nord, le citoyen Le Mée, de Saint-Brieuc, ancien membre des Cinq-Cents.

Au moment où commençait la transformation administrative, la loge des francs-maçons, dont les membres avaient dirigé à Saint-Brieuc la Révolution et occupaient encore les emplois publics, fit le recensement de ses forces. Cette loge avait à sa tête le vénérable Piou père, ingénieur en chef des ponts et chaussées, et comptait 27 frères régénérateurs, 109 enfants de la loge, 31 frères affiliés et 3 frères servants. On retrouve dans cette liste la plupart des familles bourgeoises qui ont joué un rôle politique dans notre ville pendant la première moitié du xixe[1].

1801 (an ix et an x). — L année 1801 vit organiser la nouvelle municipalité. Le préfet nomma d’abord les 30 conseillers, puis, le 20 pluviôse, en vertu d’un arrêté du premier consul, il installa maire M. Thierry, et adjoints, MM. Lymon-Belleissue et Du Bois du Rivage. Les discours échangés à cette occasion eurent un caractère modéré et pratique, sans flatteries officielles. En nommant le conseil municipal tout entier, le premier consul, si habile cependant à concilier les institutions du passé et les idées nouvelles, abandonna également les procédés de la monarchie et ceux de la Constituante. Non seulement il ne vit dans les administrateurs d’une commune que des agents chargés de l’exécution des lois sous l’autorité du gouvernement, il alla plus loin et n’admit même pas l’élection des conseillers, supprimant ainsi toute participation des habitants dans les affaires de la cité. S’en plaignit-on à Saint-Brieuc ? Non, du moins à cette époque. On était si fatigué des troubles de la Révolution ! Et puis l’ordre renaissait de toutes parts. Dans la fête qui fut célébrée, le 10 germinal, à l’occasion de la paix avec l’Empire, le représentant du gouvernement ne parla que de concorde, d’oubli des dissensions. La paix religieuse semblait renaître. L’église de Saint-Michel était rendue au culte catholique, pour répondre au vœu de la population ; celle de Cesson était mise à la disposition des habitants, à la charge pour eux de l’entretenir ; la ville et ses rues reprenaient les noms de leurs saints patrons et chaque famille renouait ainsi de chères et anciennes habitudes.

En même temps, les hommes honorables qui avaient accepté du gouvernement la mission délicate de gérer les intérêts de la cité, s’en acquittaient avec autant de zèle que d’indépendance. Un de leurs premiers actes fut de réclamer la réunion du Légué à la ville de Saint-Brieuc. Cette demande avait déjà été formulée en 1790 et n’avait échoué que par l’opposition de deux ou trois maisons de commerce de la rive gauche. Une commission, chargée de poursuivre cette affaire, rédigea un mémoire qui nous a fourni d’utiles renseignements, car il rappelle le passé du Légué et les sacrifices faits par Saint-Brieuc pour le développer. Là commission eut beau démontrer que le commerce de Saint-Brieuc et la commune elle-même, au point de vue de son octroi, souffraient de la situation privilégiée de la rive gauche, la réunion n’eut pas lieu. La question ne fut pas abandonnée pour cela et resta comme une pomme de discorde entre les habitants des deux rives du Gouët.

L’indépendance des magistrats municipaux de Saint-Brieuc se manifesta bientôt dans une discussion financière. Quatre commissaires avaient été chargés de vérifier les comptes communaux, de l’an iii à l’an viii. Ils ne purent trouver de pièces justificatives, les anciens maires n’ayant tenu note que des dépenses partielles, ou ayant obtenu décharge de leurs successeurs. Il fallut donc renoncer à déterminer les responsabilités et, comme il arrive à la suite d’un incendie, faire la part du feu, c’est-à-dire de la Révolution. Quand on voulut arrêter au moins l’actif et le passif de la commune, il se présenta une autre difficulté : Un arrêté du conseil de préfecture, du 29 germinal an ix, venait de déclarer domaine national l’Hôtel de Ville. Pour justifier cette décision, on remontait au décret du 15 août 1793 et l’on prétendait que la liquidation des dettes de la commune, ordonnée par ce décret, avait donné un passif de 2,492 fr. 79, auquel on devait ajouter 19,450 francs de constructions et réparations faites par l’administration départementale, depuis qu’elle occupait une partie de l’Hôtel de Ville. Le municipalité répondit en opposant à l’arrêté la confiscation du collège par l’État, et les dépenses dont nous avons déjà parlé pour l’établissement de la liberté. Il résultait de son compte que, toutes compensations faites, on lui devait près de 14,000 fr. Elle se plaignit avec vivacité « de ce qu’au nom d’une république qu’ils ont si généreusement servie, on voulût leur ravir une propriété si légitime, que la tyrannie même avait respectée dans son délire. » Rappelant l’état précaire des finances de la ville, elle ne craignit pas de dire : « Veut-on dégoûter des administrateurs gratuits ? » Ce fut là le point de départ d’un dissentiment qui se prolongea, entre le préfet et la municipalité. Pendant que M. Thierry, et surtout M. Du Bois du Rivage résistaient à Saint-Brieuc avec énergie, M. Lymon-Belleissue suivait à Paris les négociations avec habileté. La correspondance qu’il entretint à ce sujet avec ses collègues contient d’intéressants détails.

1802 (an x et an xi). — L’administration municipale finit par obtenir gain de cause. Un arrêté des consuls du 29 ventôse an x annula l’arrêté du conseil de préfecture concernant l’Hôtel de Ville. On abandonna de part et d’autre toutes les revendications, et le département lui-même compensa les loyers dus avec les dépenses qu’il avait faites dans l’immeuble. Nous avons insisté sur la conduite de la municipalité dans cette affaire, parce qu’elle sut, quoique nommée par le gouvernement, sauvegarder avant tout les intérêts de la ville.

Dans ses nombreux voyages à Paris, M. Lymon-Belleissue s’était employé, en vrai lettré, avec M. Baschamps, à enrichir la bibliothèque et le musée. Des lettres curieuses de M. Piou fils, l’ingénieur, adressées à M. Lymon-Belleissue, nous apprennent que la chapelle des Cordeliers était déjà divisée en deux parties dans le sens de la hauteur ; que la bibliothèque était établie à l’étage, et qu’on se proposait de couvrir de tableaux les murs de la salle inférieure. M. Piou parle aussi d’une société littéraire et d’agriculture fondée à Saint-Brieuc ; d’un groupe de travailleurs comprenant, outre ceux que nous venons de citer, MM. Fromaget, Jouannin, Jégou, Le Maout, Botidoux, Néther, Curo, presque tous professeurs à l’école centrale ; et même d’une petite société mondaine dans le salon de Mme Le Mée-Desfontaines, « qui avait tous les samedis un concert chez elle ».

Il ne faudrait pas croire cependant, en voyant la tranquillité régner dans la ville, que l’ordre fût aussi bien rétabli dans les campagnes. M. Piou écrivait en effet à M. Lymon-Belleissue, en l’an x : « Le département est désolé par des hordes de brigands que l’on ne peut atteindre à force armée. Leur tactique est d’enlever les citoyens les plus riches et de les rançonner. Vous avez su, dans le temps, la disparition de Veillet-Dufrèche, négociant. Comme il a été impossible de réaliser dans le délai accordé 150,000 francs, ils l’ont mis en pièces. Hier, on a appris l’enlèvement, à la Grand ville, de M. de Tréveneuc, votre voisin. On sait que d’autres particuliers doivent avoir le même sort. Cet état de choses est vraiment alarmant et la terreur se répand dans toutes les classes de la société ». De pareils brigandages n’étaient pas l’œuvre d’un parti, ils étaient la suite naturelle des désordres de l’époque précédente ; aussi allaient-ils bientôt disparaître devant un gouvernement énergique.

Tout en refondant l’administration civile, le premier consul songeait à rendre à la société française l’un de ses éléments de force et de durée, l’élément religieux, et, comme il comprenait les aspirations du pays, il voulut à la fois lui donner la liberté des cultes et lui restituer son antique organisation catholique. C’est assez dire qu’il rejeta la constitution civile du clergé et les prêtres assermentés, séparés de la communion romaine. Ceux-ci n’avaient jamais eu de crédit, ni à Saint-Brieuc, ni dans le département. Leur chef, l’évêque Jacob, avait accepté les fonctions de conseiller de préfecture et venait de mourir, en 1801, laissant la réputation d’un homme charitable qui serait resté bon prêtre dans une campagne, et qui eut le malheur d’être évêque à une époque de révolution. Son premier vicaire, Odio Baschamps, ancien recteur de Pordic, devenu professeur à l’école centrale et bibliothécaire. C’était là sa vraie place. Aussi quel n’avait pas été l’étonnement de l’adjoint Du Bois du Rivage quand, un jour du mois de thermidor an ix, après un exercice à l’école centrale, le citoyen Baschamps, se présentant comme vicaire épiscopal, lui avait fait part de son projet de procéder à l’élection d’un évêque ! En vain l’adjoint lui avait-il objecté que le moment était mal choisi, puisque le premier consul négociait en ce moment un concordat avec le pape, le vicaire n’en avait pas moins apporté, le lendemain, à la municipalité, « au nom des membres du presbytère de l’église veuve du département », le programme de la cérémonie d’élection et la liste des candidats. Grâce au préfet et à la municipalité, la réunion n’eut pas lieu et l’église veuve s’éteignit doucement.

Bientôt le concordat fut signé, la loi du 18 germinal an x sur l’organisation des cultes promulguée, et Mgr Caffarelli nommé à l’évêché de Saint-Brieuc. Il fut sacré, le 11 floréal (1er mai 1802). En attendant l’arrivée du nouvel évêque, l’ancien vicaire-général, M. Manoir, qui n’avait point quitté le diocèse pendant la Révolution, ramena les derniers dissidents du clergé, avec autant d’habileté que de dévouement. La voie ainsi préparée, Mgr Caffarelli fît son entrée, le 22 prairial an x. La municipalité, en le recevant, rendit hommage à son esprit de paix, de concorde et de charité. L’évêque, dans sa réponse, ne parla aussi que de charité : « Si la philosophie, dit-il, peut nous rendre l’ami des hommes, la religion seule nous montre en eux des frères ». Ainsi fut renouée entre la société civile et la société religieuse l’alliance nécessaire que la Révolution avait brisée, sans comprendre que cette rupture devait être l’une des causes de sa perte.

L’année 1802 vit aussi s’opérer une importante réforme dans l’enseignement. Les écoles centrales avaient trop rompu avec l’enseignement classique pour que le premier consul songeât à les conserver. Homme de science, il voulait cependant donner pour base à l’instruction une forte culture intellectuelle. La loi du 1er mai 1802 fut l’ébauche de son œuvre. Elle divisa l’enseignement en trois degrés : primaire, secondaire et supérieur. Le second degré fut représenté par des écoles publiques, dites lycées et écoles secondaires communales. Une école de ce dernier genre fut attribuée à la ville de Saint-Brieuc, qui l’organisa, l’année suivante.

1803 (an xi et an xii). — La clôture de l’école centrale eut lieu, le 27 messidor an xi, à la suite de la distribution solennelle des prix. En prononçant la clôture de cette école, qui avait fait preuve de vitalité pendant ses quatre années d’existence, le préfet rendit hommage au zèle des élèves, au dévouement des professeurs et adressa publiquement, au nom du département, des remerciements au citoyen Lymon-Belleissue, docteur-médecin, pour les services qu’il avait rendus à la jeunesse et à la société dans l’exercice des fonctions de membre du jury central d’instruction.

C’est à partir de ce moment que l’autorité municipale fut appelée à s’occuper de l’école secondaire. Elle en fixa l’ouverture au premier mois de l’an xii, dans les bâtiments de l’ancienne école centrale, et indiqua en même temps le but que poursuivait le gouvernement dans cette création : « On a tâché, dit-elle, de réunir à la sagesse des anciens collèges dans la gradation des études, l’avantage des écoles centrales dans le choix et l’enseignement des sciences ». Le 5 vendémiaire an xii (26 septembre 1803), M. Baschamps prêta serment en qualité de directeur provisoire de l’école. Il fut en même temps chanoine de la cathédrale et mourut en l’an xiii.

Le gouvernement provoquait à la fois les communes à développer l’instruction publique et à secourir les malheureux. Par arrêté du 30 ventôse an xi, le préfet avait établi un certain nombre de bureaux de bienfaisance dont un à Saint-Brieuc, avec mission de recueillir les aumônes pour les distribuer aux pauvres à domicile, et de créer des ateliers où l’on pût faire travailler les mendiants valides. Le conseil municipal ne trouva rien de mieux que de confier ce double soin aux sœurs de Charité, qui avaient repris leur œuvre de dévouement depuis leur sortie de prison et avaient fini, avec l’aide de la charité privée, par racheter leur ancienne maison de la rue Madeleine. L’atelier des mendiants ne répondit pas aux espérances qu’il avait fait naître et fut promptement abandonné ; le bureau, au contraire, fut conservé et prospéra, grâce à l’excellente direction qu’on lui avait donnée. On en profita pour reprendre l’idée tout entière et créer vers 1804 un autre atelier, dans de meilleures conditions, pour 60 jeunes filles pauvres.

En même temps que les dépenses des communes augmentaient par suite de leurs nouvelles charges, le produit de l’octroi était frappé par le gouvernement d’une retenue de 5 % pour le pain des troupes. Il fallut par suite modifier l’économie du budget. On arrêta les dépenses fixes, telles que frais d’administration, à raison de 0,50 par habitant ; les autres dépenses, dites variables, durent être contenues dans les limites des recettes. Or, en dehors de leurs ressources particulières (octrois et revenus divers), il ne fut pas permis aux communes de demander à l’impôt plus de 5 centimes par franc du principal de la contribution. Malgré ces restrictions, le budget de l’an xi ne put pas être réduit par le ministre au-dessous de 27,395 fr., et celui de l’an xiii, au-dessous de 48,498 fr. 87, dont 15,507 affectés à l’hospice et au bureau de bienfaisance et 11,308, à l’école secondaire. L’augmentation était déjà sensible.

Vers la fin du Consulat, tout dans les fêtes officielles préparait, à Saint-Brieuc, à l’établissement de l’Empire. Les discours et les adresses qui remplissent les registres municipaux témoignent de l’enthousiasme des magistrats. Quant à l’attitude des familles bourgeoises, elle était également favorable, si l’on en juge par la composition de la compagnie de la garde d’honneur, destinée à servir auprès du premier consul. Cette compagnie, qui comprenait 42 sergents, caporaux et fusiliers, avait pour lieutenant M. Morin, commandant de la garde nationale, et pour capitaine, le général Valletaux, membre du Corps législatif. Un étendard leur fut remis solennellement par la municipalité, le 1er vendémiaire an xii.

II. — ÉPOQUE DU PREMIER EMPIRE (1804-1814).


Les dix années du premier Empire ne nous ont laissé sur notre histoire locale que très peu de documents et encore sont-ils d’un intérêt secondaire. En parcourant les courtes et sèches délibérations du corps municipal, on comprend que l’activité de la nation s’exerçait peu dans les conseils et dans les assemblées. Elle était de préférence dans les armées et s’occupait de victoires et de conquêtes lointaines.

À l’intérieur, il se faisait certainement de grandes choses ; mais, ici comme à la guerre, l’initiative venait surtout de l’empereur. C’est la période par excellence du commandement militaire. À ce régime, l’administration civile elle-même prit une allure autoritaire. Ainsi, à Saint-Brieuc, il ne fut plus question d’opposition à faire au préfet par le maire et les adjoints, comme au temps du Consulat. M. Boullé fut en réalité maire et préfet tout ensemble.

De 1804 à 1811, c’est-à-dire à l’apogée de l’Empire, il y eut dans toute la France de grands travaux d’utilité publique. La ville de Saint-Brieuc prit part à ce mouvement et le conseil chargea, dès le début, une commission de faire un relevé des travaux les plus urgents. Les pavés, les fontaines et les canaux eurent la priorité ; mais il fallut bientôt porter ailleurs tous les fonds disponibles : un incendie venait de détruire, dans la nuit du 19 au 20 décembre 1805, une partie de l’hôtel où se trouvaient réunis, — nous l’avons déjà indiqué, — le département et la municipalité. L’installation de cet hôtel avait été encore une fois modifiée depuis l’établissement de la préfecture. L’administration municipale occupait le rez-de-chaussée, à droite ; le conseil de préfecture, à gauche ; le préfet avait son logement au premier étage ; les bureaux et les bâtiments de service étaient situés au fond de la cour. Le feu avait pris dans la salle du conseil de préfecture, et les réparations dont la ville fut obligée de faire les avances s’élevèrent à peu près à 17,000 francs. Le département rejeta la responsabilité de l’incendie sur la ville, propriétaire de l’immeuble. On en vint à une transaction. La ville vendit 60,000 francs au département ce qui restait de son vieil hôtel et, pour le remplacer, elle acheta, dans le lieu qu’occupe encore la mairie, la maison Montagne, ancienne demeure des Lenoir de Carlan. Le prix principal était de 40,000 francs, mais la maison Montagne avait servi d’auberge pendant la Révolution. Il fallut l’approprier à sa nouvelle destination, puis construire un bâtiment dans lequel on installa les pompes, le corps de garde et même une salle à toute fin, qui devint bientôt une salle de spectacle, l’ancienne chapelle du séminaire affectée à cet usage ayant été rachetée par l’évêque. Tous ces changements portèrent la dépense à environ 100,000 francs. Ils furent effectués de 1806 à 1808. À cette dernière date, la ville acquit une partie des jardins du Calvaire pour prolonger ses promenades, et M. Sébert, Louis, aîné, lui offrit gratuitement dans le voisinage un terrain, dit la Croix des maisons de santé. Ce terrain avait appartenu autrefois à la ville et rappelait le souvenir de la peste du xvii siècle. On mit ce lieu en communication avec les promenades, auxquelles il ajouta le charme d’un site délicieux.

M. Thierry qui avait présidé à la réorganisation municipale depuis 1801, quitta la mairie en 1808. Il fut remplacé par M. Leuduger-Fortmorel.

Depuis longtemps, la ville trouvait un sérieux inconvénient à loger des soldats chez les habitants et demandait à l’État de prendre des mesures à cet effet. Un décret du 23 avril 1810 lui accorda en toute propriété les bâtiments des Ursulines, de l’ancien hospice, de Saint-Guillaume et une partie du Calvaire, à la charge d’y établir le casernement et de l’entretenir. Un autre décret du 9 juillet promit en retour une garnison de 1,000 hommes, dont deux escadrons de cavalerie.

L’installation de l’Hôtel de Ville et des casernes ne fit pas oublier le progrès intellectuel et moral. L’école secondaire, que nous avons vu fonder, en 1803, dans le couvent des Cordeliers également concédé à la ville, était en voie de prospérité. Elle comptait, en 1811, 260 élèves. Ce développement inspira la pensée d’avoir un lycée. Le conseil en fit la demande, avec plan à l’appui, et offrit d’emprunter dans ce but 60,000 francs à la caisse d’amortissement, « ce qui, ajoutait-il, n’est pas au-dessus des facultés de la ville ». Malgré cette bonne volonté, la création du lycée n’eut lieu qu’en 1848. Le conseil réussit mieux à faire autoriser l’ouverture d’une maison d’instruction et d’un refuge par les dames de Montbareil de Guingamp, qui venaient d’arrenter l’ancien local des sœurs de la Croix.

Les dépenses que nous avons énumérées au compte de la ville eurent pour résultat de modifier sensiblement le total du budget. Il était, en 1805, de 48,000 francs environ ; il s’éleva, en 1810, à 60,000 ; en 1811, à 73,000 francs ; en 1814, à 58,474 fr. 28 cent. Cependant, sauf la recette extraordinaire provenant de la vente de l’Hôtel de Ville, il n’était alimenté que par le produit de l’octroi. Ce produit avait donc augmenté d’une manière considérable. Le gouvernement, ayant à faire les frais de guerres continuelles, profita de la prospérité des communes pour frapper, en dehors des impôts ordinaires, de fortes retenues sur les octrois. Dès 1804, il avait prélevé 1/20e pour les compagnies de réserve ; en 1806, il doubla la retenue pour le pain des troupes, qui fut ainsi portée à 1/10e ; en 1811, il réclama 1/100e sur les revenus municipaux pour l’hôtel des Invalides. On sait d’autre part que les communes suppléaient à l’insuffisance des ressources des hospices et des fabriques, et qu’elles devaient couvrir les dépenses de l’instruction publique et du casernement. Il leur fallait aussi trouver quelques fonds pour célébrer les anniversaires du 15 août et du couronnement de l’empereur. Cette dernière fête amenait un autre couronnement qui a cessé avec l’époque impériale, celui d’une Rosière. La cérémonie se terminait par le mariage de la rosière avec un ancien militaire. La ville donnait à la jeune fille une dot de 600 francs, et le poète en vogue chantait au banquet des couplets en l’honneur de la rosière et de Napoléon. En 1811, à l’occasion de la naissance du roi de Rome, on dansa sur la promenade, et « les fonctionnaires publics se livrèrent à l’attrait du plaisir, en formant les premières contredanses ».

À côté des fêtes politiques, chaque année ramenait, depuis 1807, une fête locale qui plaisait fort à la population, celle des courses de chevaux. Autorisées par décret du 31 août 1805, les premières courses eurent lieu près de la tour de Cesson, sur une vaste grève, le 14 et le 15 juin 1807, dans des conditions très modestes. Le nombre des chevaux engagés ne fut que de neuf, tous de race bretonne, un seul excepté. Le grand prix fut gagné par un cheval de Trédarzec, Canaris, qui fut, ainsi que son propriétaire, un objet de vive curiosité. Comme complément de cette institution, on établit, le 22 juin 1810, une foire dite des courses, dans laquelle on distribua un assez grand nombre de primes. Néanmoins la période de fondation fut très difficile à traverser et les courses furent quelque temps compromises.

La véritable cause de cet insuccès se trouvait dans le malheur des temps. L’année 1812 en effet, c’est la désastreuse campagne de Russie, l’hiver rigoureux et la disette. Dès le mois de mai, le pain de seconde qualité coûtait 5 sous et celui de première, 6 sous 1/2 la livre. Il est vrai que ces prix élevés ne se soutinrent pas, grâce aux efforts de la charité, mais il fallut un dévouement admirable pour répondre à toutes les misères. Quand on fit le recensement des malheureux ayant besoin de secours, le nombre en dépassa 3,000. C’était, suivant l’expression de M. Habasque racontant ce fait, « la moitié de la population qui tendait la main à l’autre ». Après une vérification rigoureuse, la liste de ceux dont les besoins étaient tout à fait impérieux ne put être réduite par le comité d’enquête au-dessous de 1,700 personnes. Les secours distribués furent abondants, car, sans parler des dons individuels, le bureau de bienfaisance dépensa en pain et en travail 16,104 fr. 79 cent.

Malgré la gêne que dut apporter cette disette dans les finances municipales, le conseil offrit à l’empereur, en 1813, deux cavaliers équipés et montés. Cette même année, les habitants payèrent la contribution personnelle et mobilière au double, et 30 centimes additionnels aux trois autres contributions directes.

On comprend que, sous le poids des désastres, toutes les ressources aient été employées à la défense du pays et qu’il n’ait plus été question de travaux publics ni de revendication des libertés municipales. Du moins l’empereur n’aurait-il pas dû diminuer ces libertés. C’est cependant un décret du 8 février 1812 qui confia les octrois municipaux à l’administration des contributions indirectes. Cette mesure, avantageuse peut-être au point de vue de la bonne tenue des comptes, portait cependant atteinte à l’indépendance des communes. En 1813, la loi de finances dépouilla, dans le même but, les communes de celles de leurs propriétés qui ne servaient pas à une jouissance en commun ou à un service public, et les remit à la caisse d’amortissement, qui dut servir en échange une rente proportionnelle au revenu net. En présence de pareils faits, n’est-il pas juste de dire que, si la centralisation a mis de l’ordre et de l’unité dans l’administration, de 1800 à 1815, elle a imité, dans sa marche autoritaire, le gouvernement de Louis XIV et dépassé certainement, à l’égard des communes, les limites d’une tutelle ?

Le mode de recrutement des conseils municipaux avait en effet varié quelque peu dans ses détails, mais non dans son principe, de 1800 à 1814. Dans les communes dont la population était inférieure à 5,000 habitants, les préfets nommaient et suspendaient provisoirement les conseillers municipaux, les maires et les adjoints. Quand la population atteignait ou dépassait le chiffre de 5,000, chaque assemblée de canton présentait à l’Empereur, pour toute place vacante de conseiller, deux candidats inscrits sur la liste des plus imposes. Les maires et les adjoints étaient choisis par l’Empereur parmi les conseillers et nommés pour cinq ans. Les conseils municipaux se renouvelaient par moitié, tous les dix ans ; les conseils de département et d’arrondissement par tiers, tous les cinq ans, sur la présentation des collèges électoraux. Ces collèges participaient aussi aux élections législatives : ceux d’arrondissement, en présentant des candidats pour le corps législatif ; celui de département, pour le corps législatif et le Sénat. En vertu des dispositions de la constitution du 17 thermidor an x (4 août 1802), la députation des Côtes-du-Nord fut complétée par la nomination de MM. Beslay et Valletaux, en l’an x ; de MM. Couppé et Brelivet, en l’an xii. Elle fut renouvelée, à son terme légal, en 1809, et comprit MM. Beslay, Couppé, Vistorte et Gourlay, Joseph-Marie. Bien que les pouvoirs des députés de cette série expirassent le 31 décembre 1813, ils furent continués à diverses reprises jusqu’aux élections de 1815.

Mgr Caffarelli fut le seul évêque de Saint-Brieuc sous le Consulat et l’Empire. Il se fît aimer de son clergé dans des moments bien difficiles et sut en choisir les membres les plus distingués comme vicaires-généraux : M. Manoir, qui prépara si bien le retour des prêtres schismatiques ; M. J.-M. de La Mennais, qui, quoique jeune, révélait déjà de grandes qualités ; M. Courcoux, l’ancien principal du collège, l’orateur distingué, qui fut nommé curé de la cathédrale à son retour de l’émigration et accompagna son évêque à Paris, au concile de 1811. C’est dans ce voyage que Mgr Caffarelli osa résister aux desseins de Napoléon contre le Souverain-Pontife. Il resta dès lors dans une demi-disgrâce, pour avoir gardé en même temps sa dignité et sa fidélité à l’empereur, et mourut sous la première Restauration, le 11 janvier 1815. On lui rendit publiquement hommage pour tout le bien qu’il avait fait.

III. — ÉPOQUE DE LA PREMIÈRE RESTAURATION ET DES CENT-JOURS (1814-1815).


La première Restauration eut lieu sans secousses à Saint-Brieuc. On disait publiquement que ce n’était pas une révolution, mais un changement de dynastie, « amené par la force des événements ». À Paris, les Chambres continuèrent de siéger ; à Saint-Brieuc, l’administration municipale exerça ses fonctions, comme par le passé, et les conserva même jusqu’à la seconde Restauration.

Le 15 avril 1814, le conseil municipal s’empressa d’adhérer aux actes émanés du sénat et du gouvernement provisoire, « comme annonçant l’aurore d’un beau jour, qui promet à la France le bonheur et son ancienne gloire, sous le règne d’un descendant de Henri IV ». Il envoya une députation porter au roi Louis XVIII le témoignage de ses sentiments. L’administration départementale fit aussi reconnaître le nouveau gouvernement et s’entendit à cet effet avec le comte de Ferrières, commissaire extraordinaire dans la 13e division militaire. Quelques maires furent remplacés, mais il n’y eut de changement dans le haut personnel que le 21 juin. Ce jour là, le préfet Boullé fit ses adieux aux maires. Trois jours après, à 5 heures du soir, le duc d’Angoulême était reçu à Saint-Brieuc et harangué par les autorités, au milieu des transports de joie. Le reste du jour, la ville fut en fête. À 9 heures, le prince alluma de sa fenêtre un feu d’artifice sur la place. Ce fut le signal d’une illumination générale et des danses, auxquelles se livrèrent, toute la nuit, les paysans du voisinage, autour des feux de joie.

Le rétablissement de la monarchie, accompagné de promesses libérales, semblait à un grand nombre annoncer le calme après la tempête.

Le retour de Napoléon de l’ile d’Elbe dut frapper comme un coup de foudre au milieu de cette évolution. Il s’ensuivit un tel bouleversement dans l’administration qu’il serait inutile de demander au registre municipal l’histoire des Cent-Jours à Saint-Brieuc (20 mars au 22 juin 1815). On la trouve un peu dans le Moniteur et beaucoup plus dans le journal Les Côtes-du-Nord.

Le Moniteur nous apprend que, le 24 mars, le préfet, M. de Goyou, crut devoir remettre l’administration à l’ancien préfet de l’empire, M. Boullé. Celui-ci ayant été envoyé par l’empereur dans le département de la Vendée, la municipalité, toujours en fonctions, se chargea du maintien de l’ordre et, de concert avec la garde nationale, réprima quelques manifestations dirigées par des jeunes gens contre des fonctionnaires royalistes.

Napoléon était rentré à Paris le 20 mars, et ce ne fut que le 14 avril que l’arrivée du nouveau préfet, M. Devismes, donna l’impulsion qu’on attendait. Il se mit à l’œuvre, sous la direction de Carnot, ministre de l’intérieur, et du conseiller d’état Caffarelli, commissaire extraordinaire dans la 13e division militaire, et avec le concours du général Fabre, commandant le département. L’assassinat du maire de Pommerit-Jaudy par quelques anciens chouans faisait craindre que la guerre civile ne vînt se joindre à la guerre étrangère. Pour suppléer à l’insuffisance des troupes de ligne, l’administration organisa la garde nationale, conformément à un décret du 10 avril, et favorisa la fédération qui avait pris naissance à Rennes et cherchait à s’étendre en Bretagne. Le 27 avril, des députés de la fédération bretonne arrivèrent à Saint-Brieuc. La garde nationale, commandée par M. Aubrée, et la population allèrent au-devant d’eux à une lieue de la ville. Le lendemain, dans une salle de l’ancien hospice, les députés exposèrent leur mission et leur but. Les fédérés se proposaient de propager les principes libéraux, de maintenir la sécurité et, de concert avec l’autorité publique, de soutenir l’empire et la constitution. Les assistants adhérèrent à ce programme et, le 1er mai, un banquet de 300 couverts réunit les fédérés dans la salle de spectacle. Des dames introduites à la fin du repas furent reçues au milieu des acclamations et la fête se termina par un bal. Pour répondre à la pensée des fédérés, une colonne mobile fut organisée dans chaque arrondissement.

De son côté, l’empereur, comprenant le tort que lui avait fait sa politique absolutiste et la nécessité de se concilier les libéraux, avait publié, le 22 avril, l’acte additionnel aux constitutions de l’Empire, en le soumettant à la ratification du peuple. Cet acte était évidemment un progrès, mais la manière dont il avait été préparé en dehors des représentants de la nation, déplut à un certain nombre de citoyens de Saint-Brieuc. Ils firent paraître, le 29 avril, un mémoire imprimé dans lequel ils se présentaient comme amis de l’Empire et demandaient qu’on fit nommer des députés pour travailler spécialement, avec des commissaires de l’empereur, à une constitution. Il n’en fut rien. Le collège électoral du département, convoqué le 13 mai à Saint-Brieuc, nomma des députés qui ne furent pas constituants. C’étaient MM. Claude Le Gorrec, l’un des signataires de la protestation, Ch. Beslay, Ol. Rupérou et Nic. Armez. Le député du collège de l’arrondissement de Saint-Brieuc était M. Bienvenüe, vice-président du tribunal ; MM. Faisant, Hello, Tassel et Carré représentaient les quatre autres collèges d’arrondissement. La seule concession que fit l’empereur aux partisans des libertés municipales, ce fut d’accorder aux assemblées communales la nomination des maires et des adjoints dans les communes ayant moins de 5,000 âmes.

Cependant, après le premier moment de stupeur, les royalistes avaient pris les armes en Vendée et en Bretagne. M. Courson de La Villevalio, nommé le 28 avril commandant du département des Côtes-du-Nord par M. Sol de Grissole, général en chef de l’armée royale de Bretagne, eut bientôt sous ses ordres une division de volontaires, qui parcourut les campagnes et trouva quelques points d’appui, mais non plus avec le même élan, ni la même vigueur que sous le Directoire. Aussi, pendant que le général Bigarré portait toutes ses forces de Rennes sur le Morbihan et que le général Lamarque, avec 25,000 hommes, écrasait la Vendée, l’administration des Côtes-du-Nord put-elle envoyer à Brest et à Saint-Malo deux bataillons de mobilisés et se suffire avec quelques colonnes mobiles.

Le seul épisode de cette guerre malheureuse qui concerne l’histoire de Saint-Brieuc, est le combat de Saint-Gilles.Une colonne, composée de volontaires, et principalement de douaniers, de vétérans et de gendarmes, après avoir le 18 juin, le bourg de Plaintel, dont les habitants tenaient pour les royalistes. Ceux-ci se trouvaient à Saint-Quihouet, à peu de distance de Plaintel. Il vinrent s’embusquer sur le chemin de Saint-Brieuc à Quintin, que devait suivre à son retour la colonne mobile. L’avant-garde de la colonne ayant découvert l’embuscade, le corps principal se massa dans le village de Saint-Gilles, près de la chapelle. Les royalistes au contraire, dispersés derrière les haies, tiraient sans danger. La colonne mobile se replia vers Saint-Brieuc, sous la protection des douaniers et des vétérans, qui gardèrent leurs rangs avec beaucoup de sang-froid. Elle perdit, dit-on, une quinzaine d’hommes. Les royalistes eurent un homme tué et un grand nombre de blessés. Le même jour, avait lieu la grande bataille de Waterloo, qui décida du sort de l’Empire.

Quand on connut l’abdication de l’empereur, le préfet Devismes annonça, suivant les instructions de Carnot, la proclamation de Napoléon II par les Chambres et, quand cette dernière tentative eut échoué, il se retira, le 15 juillet On rendit plus tard hommage à sa modération.

IV. — INSTITUTIONS DIVERSES.


En exposant, dans les paragraphes précédents, les faits généraux de l’histoire de Saint-Brieuc de 1800 à 1815, nous avons constaté que le gouvernement de Napoléon avait réorganisé l’administration municipale sans trop se préoccuper des anciennes libertés, puisque le maire et les conseillers ne furent plus que les délégués du pouvoir central. Si les administrateurs nommés dans de pareilles conditions n’avaient qu’une influence limitée, ils étaient encore plus à même que des étrangers d’apprécier et de Page:Lamare - Histoire de la ville de Saint-Brieuc.djvu/278 commença en troisième, et celle des mathématiques, en quatrième. La situation de l’école fut un moment compromise quand MM. Jégou et Le Boyer furent tous deux nommés professeurs au lycée de Nantes. Pendant l’administration de M. Grovalet (1808-1815), l’école secondaire subit encore une transformation et devint le collège communal. Sous ce titre, il fit partie de l’Université, tout en restant à la charge de la ville. Chaque élève payait à l’Université 15 francs de rétribution, et 36 francs à la ville, ce qui n’empêchait pas celle-ci de supporter, chaque année, un déficit d’environ 8,000 francs. Malgré ces embarras financiers, on augmenta le nombre des régents et on perfectionna l’enseignement. Les résultats obtenus furent très satisfaisants : tous les ans, le collège fournit quelques sujets à l’école polytechnique, à la marine et à l’école militaire.

Si l’État imposait des sacrifices à la ville, il lui abandonnait en retour plusieurs édifices et prenait même à son compte des services importants. De ce nombre était le port du Légué[2]. Cette charge ne fut pas bien lourde, de 1804 à 1814, car on prolongea seulement le quai de la rive droite d’une centaine de mètres et le chemin de halage de la rive gauche, sur une très petite étendue. L’accès du port, du côté de la ville, devint plus facile, après la reconstruction du pont de Gouët, en 1806.

On faisait, à cette époque, sur divers points de la France, des essais de triangulation pour servir à l’établissement du cadastre. La trace de ces opérations se voit encore, dans notre commune, sur une hauteur voisine de la gare. C’est une borne portant sur trois de ses faces les inscriptions suivantes : ST Brieuc. BRE. an 14. 1805. — Vienna capta. — Base de 1715. Un associait ainsi l’entreprise du mois de brumaire de l’an xiv à celle de 1715 et à l’un des grands événements de l’année 1805 : la prise de Vienne.

Dans l’intérieur de la ville, il y eut beaucoup à faire pour réparer les ruines accumulées par la Révolution. Les églises et les chapelles étaient dans un état déplorable. On fut sur le point d’abandonner la cathédrale plutôt que de la restaurer à grands frais ; quand l’église Saint-Michel fut rendue au culte par arrêté du 12 floréal an vin, le préfet recommanda de prendre des précautions, vu le délabrement de l’édifice.

Heureusement, tout le monde voulut contribuer au rétablissement du culte, les fidèles comme le clergé. L’évêque, de son côté, était préoccupé de l’idée de rouvrir le grand séminaire. Le 9 janvier 1810, il en racheta les bâtiments pour la somme de 15,000 fr., et confia la direction de cet établissement à l’abbé Chantrel, qui en fut le restaurateur.

Nous avons mentionné dans un autre paragraphe l’acquisition d’un hôtel de ville et la construction, dans les dépendances de l’hôtel, d’une salle de spectacle. Cette salle quoique modeste, coûta 40,000 francs. Elle fut inaugurée en 1811, et l’on admira fort dans le temps les décorations, habilement exécutées par un peintre du pays, M. Nether. Malgré tous les charmes déployés pour attirer le public, la première troupe qui desservit le théâtre n’y fit pas de brillantes affaires, puisque le directeur, dans son compte de 1814, accusait un déficit d’un millier de francs.

Cette même année 1811 vit encore quelques essais destinés à favoriser les rapports sociaux : une société philharmonique donna quelques concerts, et un cercle d’hommes se forma sous le nom de société du Jeu de boule. Ce cercle fut approuvé par décision du ministre de l’intérieur du 15 novembre 1811, et s’établit dans une partie du jardin de l’ancien couvent du Calvaire.

La ville de Saint-Brieuc ne s’est pas étendue, de 1800 à 1815, en dehors des limites qu’elle avait avant la Révolution. Le chiffre de sa population n’a pas non plus varié et a peut-être même un peu diminué. La statistique officielle donne, il est vrai, à Saint-Brieuc, en 1801, 8,090 habitants et 9,000, en 1811 ; mais la diminution résulte du relevé suivant : Page:Lamare - Histoire de la ville de Saint-Brieuc.djvu/281 serait spécialement consacré à L’insertion des matières politiques et littéraires, et qu’il y aurait une feuille annexe pour les annonces, les affiches et les avis divers. Cette division, qui semblait annoncer une publication importante, fit ressortir davantage la pauvreté du fond. Nous n’y avons, en effet, trouvé à glaner que quelques détails sur les Cent-Jours.

Les essais dans lesquels se manifesta, sous l’Empire, l’activité des bourgeois de Saint-Brieuc, semblent bien modestes, venant surtout d’hommes qui avaient pris part aux luttes politiques de la première Révolution : c’était peut-être le souvenir de ces luttes sanglantes qui les avait empêchés de tenter de nouveaux efforts, et les avait amenés à se contenter d’une large égalité et d’une liberté restreinte sous un gouvernement fort et glorieux. Lorsque la force et le prestige guerrier de Napoléon eurent disparu, ils acceptèrent sans beaucoup de difficultés la monarchie, qui leur offrait de reconnaître les droits dont ils avaient joui sous l’Empire. Napoléon, à son retour, fut bien obligé de s’appuyer sur les mêmes hommes. Il en résulta que, sous les deux régimes qui se succédèrent d’une façon si rapide dans l’intervalle d’une année, la bourgeoisie ne perdit pas, à Saint-Brieuc, les positions qu’elle avait acquises depuis la Révolution, et qu’elle s’employa, de concert avec l’administration, à y maintenir la tranquillité. Ce fut là son dernier acte, et l’on peut dire que les Cent-Jours virent se terminer la vie politique de la génération qui avait fait la Révolution, mais qui n’avait pas pu la diriger.

Avant de quitter la période impériale, il est juste de rappeler encore une fois les noms de deux hommes qui, sans être originaires de Saint-Brieuc, ont rendu, pendant plusieurs années, des services à notre ville et y ont acquis droit de cité : le général Valletaux et le préfet Boullé.

Né dans la Charente, le jeune Valletaux entra dans la garde constitutionnelle de Louis XVI et s’efforça de protéger le roi et la famille royale, au 20 juin et au 10 août. C’est à son courage qu’il dut tous ses grades jusqu’à celui de général de brigade. Appelé, en 1795, au commandement des Côtes-du-Nord, il vint camper au Tertre-Buette pour couvrir Saint-Brieuc et préserva cette ville des chouans et des Anglais. Il s’y établit après avoir été mis en disponibilité, de 1796 à 1800. Il fut appelé à représenter le département au Corps législatif en l’an x, et servit avec distinction en Allemagne et surtout en l’Espagne. En 1811, il livra un combat aux Espagnols sur la route de Miranda et les défit complètement ; il mit aussi en déroute un corps de 7,000 hommes à Pirelo, et mourut devant Astorga.

Boullé, Jean-Pierre, né à Auray en 1753, fut, avant la Révolution, avocat estimé et membre du corps municipal à Pontivy. Élu par ses concitoyens député à la Constituante, maire de Pontivy et administrateur du département, il fut emprisonné quelque temps avant le 9 thermidor. Après la chute de Robespierre, il fut nommé procureur-général syndic du Morbihan et, sous le Directoire, député aux Cinq-Cents. Préfet des Côtes-du-Nord, de 1800 à 1814, il eut à surmonter de nombreuses difficultés pour organiser l’administration et s’occupa sérieusement des affaires. Envoyé dans la Vendée pendant les Cent-Jours, il ne fit qu’y passer et revint s’établir au Vaumeno, en Saint-Brieuc. Sa carrière politique a donc fini avec l’Empire, bien qu’il ne soit mort que le 13 juin 1816.

En dehors des hommes appelés aux affaires administratives, il en est peu qui aient brillé, pendant cette période, dans les lettres, les sciences ou les arts. Nous ne devons pas oublier cependant l’horticulteur Catros et le graveur Julien Jouannin, morts vers la fin de l’Empire.

Catros Toussaint, naquit à Saint-Brieuc, le 20 mai 1757, d’une famille de laboureurs et de jardiniers. Après avoir été employé à Paris aux pépinières royales, il fut nommé directeur de la pépinière de Bordeaux. Dépouillé de cet emploi par la Révolution, il fonda prés de Bordeaux un vaste établissement d’horticulture et se fit connaître avantageusement, en 1810, par son Traité raisonné des arbres fruitiers. On ne connaît pas exactement la date de sa mort.

Jouannin, Julien-Marie, naquit à Saint-Brieuc, le 15 avril 1780. Il travailla quelque temps, à Saint-Brieuc, avec M. Chauvin et fut, à Paris, l’un des élèves de Chaudet. Au concours ouvert par l’Institut en 1809 , il remporta le second grand prix de gravure en médaille. Dans sa trop courte carrière, il n’eut le temps d’exécuter que quelques médailles, entre autres une tête de Napoléon, le Mariage de Napoléon et de Marie-Louise, la Naissance du roi de Rome, Fabius Cunctator, l’Egypte conquise. Les coins de ces médailles et un album de dessins ont été déposés par la famille de M. Jouannin au musée de Saint-Brieuc. Ce jeune artiste est mort, le 30 juin 1813, dans sa ville natale, en laissant les matériaux d’un ouvrage consacré à la gravure et la sculpture, et en regrettant de ne pouvoir appliquer ses idées sur le progrès de ces deux arts[3].

Quelques autres savants, nés à Saint-Brieuc avant la Révolution, se sont fait connaître par leurs talents, sous l’Empire ; mais, comme ils se sont encore distingués plus tard, nous nous bornerons pour le moment à les mentionner. Ce sont l’agronome Allaire, les publicistes Catineau Etienne et Catineau Laroche, son frère ; les naturalistes Le Maout et Ferrary ; Jean-Baptiste Jouannin, l’architecte, et Jean-Marie Jouannin, l’orientaliste.

En résumé, après avoir rendu hommage à l’œuvre de restauration sociale accomplie par le Consulat, nous avons constaté l’intérêt secondaire que présente notre histoire locale sous l’Empire. Il nous semble donc permis de dire, au point de vue qui nous occupe, que le pouvoir central a su, dans les premières années de cette période, réorganiser l’administration municipale, mais qu’il ne lui a communiqué ensuite ni le mouvement ni la vie.



  1. Cette liste, imprimée à Port-Brieuc par J.-M. Beauchemin, nous a été communiquée par M. Ch. Le Maout. Elle est aussi utile que curieuse, car elle indique la profession, l’âge et le lieu de naissance de presque tous les membres de la loge.
  2. Tous les renseignements concernant les travaux exécutés au Légué depuis la Révolution, ont été vérifiés et complétés d’après l’ouvrage le plus compétent eu cette matière : Notices sur les ports des baies de Saint-Brieuc et du Guildo, par M. Pelaud, ingénieur en chef des ponts et chaussées.
  3. Les Notions historiques de M. Habasque nous ont fourni d’utiles renseignements sur M. Jouannin et quelques-uns de ses contemporains. Nous y avons eu recours également, en traitant des établissements et des travaux publics, depuis les dernières années de l’Empire jusqu’à 1834, époque de la publication des Notions historiques'.