Histoire de la vie de Hiouen-Thsang et de ses voyages dans l’Inde/Préface

慧立 Hui Li, 彦悰 Yan Cong
Traduction par Stanislas Julien.
(p. i-lxxxiv).

PRÉFACE.


Depuis le ive siècle de notre ère jusqu’au xe, les pèlerins chinois qui sont allés dans les contrées situées à l’ouest de la Chine, et particulièrement dans l’Inde, pour étudier la doctrine du Bouddha et rapporter les livres qui la renferment, ont publié un grand nombre de relations, d’itinéraires et de descriptions plus ou moins étendues des pays qu’ils ont visités. Plusieurs généraux et magistrats, envoyés en mission à diverses époques par le gouvernement chinois, ont composé à leur exemple des mémoires, des routiers et des statistiques[1] d’un caractère bien différent, et qui n’avaient d’autre but que de servir les intérêts de la politique et du commerce, ou de seconder les vues ambitieuses des empereurs. J’ai fait connaître ces deux classes d’ouvrages géographiques, par des notices spéciales tirées la plupart d’une encyclopédie littéraire intitulée Yu-haï. Malheureusement, la plupart ne sont point parvenus jusqu’à nous, soit qu’ils aient péri, soit qu’ils restent encore ensevelis dans quelque obscur couvent de la Chine. On ne saurait trop regretter la perte de la Description des contrées occidentales, par Chi-tao-’an[2], Samanéen chinois qui embrassa la vie religieuse en 316 et précéda, par conséquent, Fa-hien qui ne partit qu’en 399 de notre ère. Mais la perte la plus déplorable est, sans contredit, la Description des contrées occidentales, en soixante livres, avec quarante livres de dessins et de cartes[3], qui, rédigée en vertu d’un décret par plusieurs écrivains officiels, d’après les mémoires des voyageurs religieux et séculiers les plus célèbres, parut en l’an 666 aux frais de l’État, avec une introduction de l’emipereur Kao-thsong. Il serait digne des missionnaires catholiques, qui résident aux environs de Nan-king, de faire chercher cette précieuse description dans la riche bibliothèque de cette ville, où mon ami feu M. Robert Thom (ancien consul du gouvernement anglais) découvrit et me fit copier, il y a dix ans, deux cent trente-deux volumes in-quarto de textes et de commentaires qui n’existaient plus, depuis plusieurs siècles, dans les librairies de la Chine[4]. Je dirai, pour me résumer, qu’à notre connaissance, les divers ouvrages de ce genre, dont la tradition nous a conservé les textes originaux, ne sont plus qu’au nombre de six, qui se trouvent tant en France qu’en Russie. La bienveillance extrême de Leurs Exc. MM. L. Séniavine et J. de Daschkow (anciens directeurs du département asiatique de Saint-Pétersbourg) a mis à ma disposition ceux qui me manquaient à Paris.

En voici les noms par ordre de dates :

1o Mémoire sur les royaumes du Bouddha, rédigé par Fa-hien[5], religieux chinois, qui partit de la capitale de l’Ouest l’an 399 de notre ère et visita une trentaine de royaumes. Il forme en chinois quatre-vingt-six pages.

2o Mémoire de Hoeï-seng et de Song-yan, envoyés dans l’Inde, en 518, par ordre de l’impératrice, pour aller chercher des livres sacrés et des reliques[6]. Le texte chinois forme trente-cinq pages.

3o Mémoires sur les contrées occidentales, rédigés en l’an 648 par Hiouen-thsang[7]. Ils forment douze livres, ou cinq cent quatre-vingt-cinq pages in-4o , dans l’édition impériale, et font partie de la grande collection bouddhique intitulée Chi-thsang.

Cet ouvrage embrasse la description de cent trente-huit royaumes ou pays dont, suivant un auteur chinois, Hiouen-thsang n’avait visité que cent dix ; mais, à l’aide de deux expressions techniques qui n’avaient pas été comprises jusqu’ici et que nous exposerons plus bas (page xxxix), un écrivain chinois, nommé Tch’ang-choue, nous a fourni le moyen de distinguer nettement les vingt-huit royaumes où Hiouen-thsang n’est pas allé et dont il n’a dû la connaissance qu’aux chroniques ou à la tradition.

4o Histoire da Maître de la loi des Trois Recueils, du couvent de la Grande bienfaisance[8].

Cet ouvrage, dont la rédaction primitive appartient à Hoeï-li, et qui fut continué et achevé par Yen-thsong, tous deux contemporains de Hiouen-thsang, contient l’histoire de son mémorable voyage, accompagnée de détails biographiques du plus haut intérêt, qui manquaient dans la Relation originale.

Le texte chinois forme deux cahiers dans l’édition de Nan-king et dix dans l’édition impériale, dont j’ai fait usage pour rédiger la présente traduction.

5o L’Histoire et les itinéraires de (cinquante-six) religieux de la dynastie des Thang, qui voyagèrent à l’occident de la Chine pour aller chercher la Loi[9].

Cet ouvrage, rédigé vers l’an 780 de J. C. par I-tsing, en vertu d’un décret impérial, forme en chinois deux livres ou soixante-huit pages in-4o.

6o L’Itinéraire du voyage de Khi-nie[10] dans les contrées de l’ouest. Un décret impérial l’avait envoyé, en 964, à la tête de trois cents Samanéens ; il revint en 976. Les notes de son voyage, qu’il avait écrites à la fin de chacun des quarante-deux livres d’un exemplaire du Nirvaṇa soûtra, ont été recueillies, sous la même dynastie, par Fang-tch’ing-ta, et forment une huitaine de pages dans l’ouvrage qu’il a publié en deux volumes, sous le titre de Ou-tch’ouen-lou[11].

On voit, par ce qui précède, que la plus étendue comme la plus précieuse des relations qui nous restent, est celle de Hiouen-thsang, qui passa dix-sept ans (de 629 à 645) dans les contrées situées à l’occident de la Chine et surtout dans l’Inde.

Klaproth et Rémusat en avaient bien compris la haute importance ; mais ils ne la connaissaient que par de nombreux fragments insérés, çà et là, dans le Pien-i-tien (ou Mémoires sur les pays et les peuples étrangers). L’un et l’autre avaient eu le plus vif désir de la traduire et de la publier, et l’avaient, chacun de leur côté, demandée en Chine. C’est un fait que m’apprit autrefois Morrison père, qui, après bien des recherches inutiles, leur répondit séparément que l’ouvrage était out of print (épuisé). Il se trompait, car cet ouvrage, qui fait partie des diverses éditions de la grande collection bouddhique, peut s’acheter aisément dans les monastères de la Chine. Du temps de ces deux savants, on ne l’avait donc pas complet en France. Il est par conséquent difficile de comprendre comment Abel-Rémusat a pu écrire[12] ce qui suit : « C’est à quoi je m’attacherai (savoir, à éclaircir les particularités du voyage de Hiouen-thsang) dans la deuxième partie de mes Voyages des Samanéens dans l’Inde, qui seront bientôt mis sons presse. »

En effet, pour être en état de mettre bientôt sous presse ces voyages, deux conditions étaient indispensables ; savoir : d’en posséder tous les textes et de les avoir traduits.

Or, à l’époque dont il s’agit, sur six des relations précitées, on n’en possédait que deux, celles de Fa-hien et de Song-yun. Hâtons-nous de dire, pour expliquer d’une manière plausible des assertions aussi hardies et des promesses aussi prématurées, que, par une précaution habile que je ne me permettrai pas de juger et qui n’est pas sans exemple dans les sciences et les lettres, Rémusat voulait, sans doute, s’assurer la publication exclusive d’un texte précieux, attendu de Chine de jour en jour, qu’il croyait avoir découvert le premier en 1831[13], et ne pas perdre le fruit des recherches qu’il pouvait avoir faites depuis longues années sur le même sujet. Quoi qu’il en soit, et en admettant que Rémusat eût possédé l’édition impériale de Hiouen-thsang, que j’ai eu le bonheur d’obtenir, il y a quinze ans[14], d’un missionnaire lazariste voyageant dans l’intérieur de la Chine, je me crois autorisé à dire, sans manquer de respect à la mémoire de ce spirituel orientaliste, qu’à l’époque où il vivait, des obstacles graves et nombreux s’opposaient à ce qu’on pût donner une traduction de Hiouen-thsang qui satisfît à la fois les sinologues et les personnes versées dans les langues de l’Inde. Car le style de l’auteur présentait à chaque pas des difficultés insurmontables pour quiconque n’aurait connu que la langue classique[15], et d’un autre côté, le texte était rempli de noms indiens de lieux, d’hommes et de choses, figurés par des sons chinois dont la valeur phonétique n’avait pas encore été déterminée à l’aide d’exemples corrects et par une méthode régulière. La lecture barbare de ces mots, telle qu’on la donnait à cette époque[16], eût fait le désespoir des savants et les aurait privés, en grande partie, des fruits qu’ils avaient droit d’attendre d’une aussi importante publication.

Ce n’est pas tout, une multitude considérable de noms indiens n’étaient exprimés que par leur traduction chinoise, à l’aide de laquelle, eût-on été le plus habile indianiste, on n’aurait presque jamais su remonter aux termes sacramentels qui y correspondaient dans l’esprit de l’auteur. La raison en est facile à comprendre : c’est que, dans ce cas, le mot chinois du texte peut être rendu de différentes manières en sanskrit lors même qu’il est littéral ; et lorsqu’on s’est contenté d’en donner l’idée générale, la restitution en est impossible. C’est ce que nous montrerons plus bas par des exemples clairs et décisifs.

Je me félicite moi-même de m’être arrêté à temps, lorsque, vers 1889, cédant à un entraînement bien naturel, j’avais commencé, à la demande de mon illustre ami M. Alex. de Humboldt, la traduction de Hiouen-thsang. À cette époque, j’étais aussi peu préparé que mes prédécesseurs, pour résoudre les difficultés dont je viens de parler et qui sont tout à fait indépendantes de la langue chinoise. Acquérant, à mesure que j’avançais, la conviction intime de mon insuffisance, je fermai le texte au livre IV, et je n’eus qu’à m’en applaudir ; car je me serais livré à un labeur excessif pour publier un ouvrage dont l’importance aurait été singulièrement affaiblie par l’absence des transcriptions indiennes, qu’auraient remplacés des sons barbares ou des mots chinois intraduisibles en sanskrit[17]. J’aurais, en outre, manqué l’occasion précieuse d’entreprendre, pour la lecture méthodique des mots sanskrits correctement figurés ou traduits, un travail long et épineux, il est vrai, mais dont les résultats, prouvés aujourd’hui d’une manière incontestable, pourront recevoir après moi de nouvelles et de plus amples applications.

M. Landresse a été frappé d’une partie de ces difficultés, et, en général, il a expliqué avec netteté, dans sa préface du Fo-koue-ki, les obstacles qui s’opposaient précédemment à leur solution.

Fa-hien, dit-il, ne s’est pas fait scrupule de tirer de la langue Fan[18] toutes les dénominations mystiques qui lui convenaient et pour lesquelles il ne trouvait pas d’équivalent en chinois[19]. Il a ainsi rempli sa narration de mots d’une signification embarrassante et quelquefois douteuse, moitié chinois, moitié indiens, et qui ne sont plus ni indiens ni chinois, grâce à l’altération qu’ils ont subie en passant d’une langue où tous les éléments orthographiques suffisent à toutes les intonations, dans une autre langue presque entièrement dépourvue de moyens pour les exprimer. On sait que dans ces transcriptions le caractère symbolique de l’écriture chinoise disparaît totalement, et que les signes, au lieu d’être des images destinées à éveiller la pensée, ne sont plus que des articulations qui doivent frapper l’oreille. Même quand l’analyse du son est évidente, le mot indien, ainsi représenté au figuré, ne peut être restitué avec certitude qu’autant qu’on connaît le sens qui lui est affecté[20], et l’on ne doit pas se dissimuler que les secours propres à faciliter ce rapprochement ne soient encore très-insuffisants. Il ne manque pas de nomenclatures théologiques[21] où la valeur des mots Fan est indiquée ; mais elles sont loin d’offrir une synonymie complète pour le nombre, satisfaisante pour les explications. »

Lorsque des tentatives réitérées et toujours infructueuses m’eurent clairement démontré l’impossibilité de restituer l’orthographe des mots sanskrits exprimés phonétiquement, et de retrouver la forme indienne de ceux dont les auteurs s’étaient contentés de donner la traduction chinoise, je ne songeai plus qu’à trouver les moyens de surmonter ce double obstacle. Il est fort curieux de remonter aux considérations qui ont guidé les interprètes dans le système qu’ils ont adopté dans le premier cas, c’est-à-dire lorsqu’ils ont laissé subsister les termes sanskrits qui nous embarrassent. Or, on va voir que ce n’est ni par paresse d’esprit, ni par caprice individuel, qu’ils ont agi ainsi. Dès l’époque où l’on commença (vers la fin du iie siècle de notre ère) à faire passer les ouvrages bouddhiques dans la langue fleurie du royaume du Milieu, on établit des règles et des principes invariables que devaient observer religieusement tous les interprètes des âges suivants. D’après le témoignage de Hiouen-thsang[22] les mots qu’on devait éviter de traduire étaient divisés en cinq classes :

1o Les mots qui ont un sens mystique, comme ceux des T'o-lo-ni (Dhâraṇîs) « charmes ou formules magiques. »

2o Ceux qui renferment un grand nombre de significations, comme P’o-kia-fan (Bhagavân) « qui a six sens. »

3o Les noms de choses qui n’existent pas en Chine, comme les arbres Yen-feou (Djambou), Pou-ti (Bhôdhidrouma), ’O-li (Harîtakî).

4o Les mots que l’on conserve par respect pour leur antique emploi ; par exemple, A-neou-pou-ti[23] (Anouttara bôdhi) « l’intelligence supérieure. » Ce n’est pas que ce mot ne puisse être traduit, mais depuis qu’il a été employé par Mo-teng[24] (Kâçyamâtanga), on l’a conservé sous sa forme indienne.

5o Les mots considérés comme produisant le bonheur ; par exemple, Pan-jo (Pradjñâ) « l’Intelligence. »

Hiouen-thsang ajoute d’autres considérations qui ont décidé les interprètes à conserver les sons de certains mots sans se permettre d’en donner la signification. « Si l’on eût traduit, dit-il, San-miao-san-pou-ti (Samyaksambôdhi) par « intelligence universelle, » on n’aurait pu distinguer ce mot d’expressions analogues, appartenant aux idées des Tao-sse, qui existaient auparavant dans la langue chinoise. Le mot Pou-ti-sa-to (Bôdhisattva), traduit littéralement par « être intelligent, » eût perdu de sa noblesse et de son emphase ; voilà pourquoi on la laissé comme voilé sous sa forme indienne. On a fait de même pour les noms sublimes du Bouddha qui, en passant dans une langue vulgaire, eussent pu être exposés à la risée et aux sarcasmes des profanes. »

Les traducteurs de nos livres saints ont sans doute été guidés par les mêmes motifs, lorsqu’ils ont conservé les mots Hosannah, Eloïm, Adonaï, Jéhovah, Alléluya, etc.

Les livres chinois relatifs à l’histoire, à la géographie ou aux doctrines de l’Inde, présentent des difficultés plus grandes encore dans les noms propres significatifs qu’on s’est contenté de traduire. Les Mongols, les Mandchous et les Thibétains ont suivi le même système, et les personnes qui cultivent ces trois derniers idiomes doivent éprouver le plus sérieux embarras pour en retrouver les équivalents indiens. On est surtout frappé de cette difficulté, en lisant le recueil de paraboles que Schmidt a traduit du thibétain et publié en allemand sous le titre de Der Weise und der Thor « le Sage et le Fou, » et dont on ne possède plus l’original sanskrit, traduit en chinois dans le iiie siècle de notre ère, par Hoeï-khio (Bouddhamati). Nous montrerons tout à l’heure que, sous ce dernier rapport, la position des sinologues est incomparablement meilleure, par la raison que deux lexicographes du Céleste Empire ont pris la peine de rédiger, chacun de leur côté, un recueil[25] de mots qui présentent la double difficulté dont nous nous occupons, et si ces deux ouvrages sont publiés un jour en France avec les transcriptions sanscrites, les orientalistes européens en tireront un plus grand parti que les Chinois eux-mêmes, à qui le texte original offre les noms indiens, traduits, il est vrai, dans leur propre langue, mais en les laissant figurés d’une manière barbare à l’aide de caractères phonétiques. Mais ce n’était pas tout que de posséder ou d’avoir à sa disposition ces précieux recueils. La première condition requise pour découvrir la forme originale de tous ces mots, sous l’enveloppe étrange des sons chinois[26], était de connaître la langue sanskrite à laquelle mes devanciers étaient restés étrangers. Je me livrai donc, seul et sans guide, à cette étude toute nouvelle pour moi, sans cependant en attendre de grands résultats, car je ne pouvais oublier que M. Abel-Rémusat n’avait pu triompher des obstacles que je désirais surmonter[27], quoiqu’il eût été puissamment aidé par MM. de Chézy et Eug. Burnouf, dont la sagacité rare et la profonde érudition ne lui ont jamais fait défaut. Il eût mieux réussi par lui-même, quand il n’aurait possédé, en sanskrit, qu’une faible partie de leur science. On voit mieux en effet par ses propres yeux que par ceux des autres ; on a de plus l’immense avantage de pouvoir tenir son esprit constamment occupé de la même difficulté, de la retourner sur toutes ses faces et de l’étudier dans tous ses détails ; ce que ne peut faire un savant que l’on consulte occasionnellement et qui est étranger au sujet sur lequel on l’interroge. Je l’ai éprouvé moi-même, et j’ai compris dès lors combien il m’était nécessaire d’apprendre le sanskrit, non pour lire un jour des textes inédits, à l’exemple des indianistes, mais pour comprendre et traduire seul, avec liberté et indépendance, sans engager la responsabilité de personne, les textes chinois qui font depuis longtemps l’objet de mes recherches, et où se rencontrent une foule de mots appartenant, comme disent les Chinois, à la langue Fan c’est-à-dire à la langue de Brahmâ.

La seconde condition était de posséder un nombre considérable de mots indiens transcrits et traduits. Dans ce dessein, je dépouillai, la plume à la main, les cinquante livres du San-thang-fa-sou (Dictionnaire des mots bouddhiques qui commencent par un nombre), ouvrage que M. Abel-Rémusat avait eu à sa disposition. Je recueillis tous les mots Fan avec leur traduction telle quelle ; et je reconnus bientôt que, relativement à l’immensité des livres bouddhiques, ce secours était tout à fait insuffisant. Heureusement que la bibliothèque du département asiatique de Saint-Pétersbourg possédait précisément, dans deux ouvrages fort rares, la collection presque complète des mots Fan, qu’il était impossible de se procurer en France. Le premier de ces Recueils, intitulé[28] Thang-chi-youen-ing-i-tsie-king-in-i (les sons et les sens de tous les livres sacrés des Thang), en XXV livres, a été composé vers l’an 649 par Youen-ing, qui était attaché comme traducteur au couvent de la Grande bienfaisance et fut un des collaborateurs de Hiouen-thsang.

Le second Recueil, intitulé[29] Fan-i-ming-i-tsi (collection de noms et de mots Fan traduits en chinois), a été compilé depuis l’an 1143 jusqu’en 1157, par Fa-yun (Dharmamêgha), religieux du couvent King-te-sse, dans l’arrondissement de P’ing-kiang, dépendant aujourd’hui de la province du Hou-kouang. Grâce à la bienveillance de M. Séniavine, directeur du département asiatique, j’obtins le prêt de ces deux importants ouvrages, et, dans l’espace de quelques années, je pus y relever à loisir tous les mots Fan et toutes les explications qui les accompagnaient. Je les soumis à un habile indianiste (M. Théodore Goldstücker), qui, dès la première lecture des transcriptions et des interprétations que je mettais sous ses yeux, me donna la forme correcte d’un millier de mots composant environ le quart de ceux que j’avais recueillis, et dont j’analysai de suite tous les éléments, pour jeter, à l’aide des signes simples ou multiples[30] que fournissait leur anatomie syllabique, les bases de l’alphabet harmonique que je méditais. Fort de ce secours préliminaire et aidé des connaissances que j’avais acquises moi-même en sanskrit, je parvins à rétablir à mon tour un nombre de mots de jour en jour plus considérable, et de leur analyse syllabique, je déduisis méthodiquement une multitude de nouveaux signes qui venaient s’ajouter aux premiers, toujours soutenus et confirmés par un ou deux exemples authentiques. Klaproth avait possédé, sans en comprendre toute la valeur, un syllabaire publié en 1760 par ordre de l’empereur Khien-long, sous le titre de[31] Thong-wen-yun-tong, pour la transcription du mandchou, du mongol et du thibétain en caractères chinois, ouvrage qui appartient aujourd’hui à la Bibliothèque impériale de Paris. On y trouve, liv. V, fol. 21, treize alphabets pour la transcription des mots sanskrits ; savoir :

1° Celui qu’on a suivi dans l’édition moderne des livres bouddhiques traduits en chinois, et dont nous ne pouvons nous servir pour la lecture des versions anciennes ;

2° Celui de Seng-kia-p’o-lo (Samghapâla) ;

3° Celui du religieux Pou-k’ong (Amôghavadjra) ;

4° Un autre alphabet du même traducteur.

Je dois me hâter de dire que ces alphabets ne présentent que les voyelles, les diphthongues et les consonnes suivies de l’a qui leur est inhérent. On y chercherait en vain les signes répondant aux consonnes suivies de toutes les voyelles et diphthongues.

Quant aux autres alphabets de Than-mo-lo-thsa (Dharmarakcha), Wou-tcha-lo (Môkchala), Kieou-mo-lo-chi (Koumâradjîva), Hiouen-thsang, Fo-t’o-pa-t’o-lo (Bouddhabhadra), Chi-tcha-nan-t’o (Çikchânanda), Ti-p'o-ho-lo (Divâkara), Pou-k’ong et Pan-jo (Pradjña), on n’y trouve que des lettres citées pêle-mêle et sans aucune classification méthodique.

Il est aisé de voir que je n’ai pu tirer grand parti de ces alphabets si incomplets. J’y ai néanmoins puisé d’importantes déterminations, qui, jointes à celles que j’avais déjà recueillies, me permettaient de marcher dans mes lectures d’un pas plus ferme et plus assuré. Les signes phonétiques que j’ai rassemblés jusqu’à ce jour, comme répondant aux cinquante-deux lettres de l’alphabet indien, s’élèvent déjà, avec leurs nombreux synonymes, à environ mille caractères chinois, qu’il sera aisé de faire paraître plus tard, soit dans l’ordre des prononciations chinoises, soit sous forme de tableaux synoptiques. Peu soucieux de garder la possession exclusive d’une méthode de lecture dont je ne suis redevable qu’à mes efforts persévérants, je la publierai bien volontiers, sans cependant assumer d’avance la responsabilité des erreurs où pourraient tomber ceux qui voudraient en faire à leur tour l’application, dans les ouvrages antérieurs à celui-ci ou dans leurs propres travaux, sans connaître les caractères chinois représentant phonétiquement les mots indiens. Je vais en dire la raison : c’est que beaucoup de sons chinois, parfaitement semblables pour nos oreilles et pour nos yeux, mais dont l’orthographe est différente, répondent à des sons indiens que la prononciation usuelle ne saurait indiquer. Ainsi che « historien » représente chi, dans touchita «  satisfait ; » che « prodigue » figure çya, dans vâiçya « un homme de la troisième caste ; » che « modèle » donne çi, dans çikhi « le feu ; » che « prendre » répond à ça, dans çabda « mot ; » che « l’esprit de la terre » figure dja, dans râdjâ « roi. »

Ces exemples que je pourrais multiplier à l’infini, montrent suffisamment le danger que je viens de signaler.

J’aurais pu m’épargner ce travail long et épineux qui me tient en suspens depuis plus de dix ans, si j’avais réussi à obtenir de Chine un ouvrage dont je dois la connaissance à Ma-touan-lin et où se trouvaient réunis les signes phonétiques que je cherchais et que je suis loin d’avoir trouvés tous. Il est intitulé[32] : King-yeou-thien-tchoa-tseu-youen « De l’origine des caractères de l’écriture indienne, » en sept livres, publié dans les années King-yeou des Song (1034-1038) par Siang-tsing et autres religieux. Ce curieux syllabaire doit pouvoir s’acheter à Péking. J’ai trouvé la preuve de son existence actuelle dans le grand catalogue[33] d’où j’ai tiré, en les rétablissant, environ neuf cents titres indiens de livres bouddhiques traduits en chinois[34].

Toutes les fois que les mots indiens étaient régulièrement figurés et correctement traduits, comme ils le sont toujours dans la Relation de Hiouen-thsang et dans les notices de I-tsing sur les cinquante-six voyageurs bouddhistes, il n’était pas fort difficile, avec les éléments phonétiques que j’avais rassemblés et une connaissance suffisante du sanskrit, d’arriver à l’orthographe Fan que l’auteur avait en vue ; mais, sans le travail préalable que j’avais exécuté, il m’eût été impossible délire les noms de pays dont la signification m’était inconnue. Si j’y suis heureusement parvenu dans le plus grand nombre de cas, c’est que j’ai pu appliquer avec certitude, à des mots douteux, la valeur de leurs éléments graphiques, empruntée à des mots indiens où je l’avais plusieurs fois reconnue, et dont la lecture et la signification étaient parfaitement établies. C’est aussi l’analyse de mots significatifs bien transcrits qui m’a fait découvrir les signes chinois des lettres cérébrales qui ont dans les dictionnaires un son tout différent[35], et certains artifices phonétiques qui défiguraient des mots importants au point de les rendre méconnaissables[36].

On se tromperait gravement en pensant que les mots indiens des livres géographiques ou religieux, que nous voulons reproduire fidèlement dans nos traductions, ne présentent d’autre difficulté que celle qui consiste à transcrire leurs éléments phonétiques. M. Landresse, dans le passage que j’ai cité de sa préface, n’a examiné que ce côté de la question ; on peut inférer du silence de Rémusat et de Klaproth, qu’ils n’ont point vu une autre difficulté plus sérieuse dont je vais parler et qui est précisément la contre-partie de la première.

Au point où est arrivée aujourd’hui la méthode de transcription, cette partie importante et tout à fait neuve de la philologie chinoise, rien n’est plus aisé que de reproduire les mots Fan, toutes les fois qu’ils sont en même temps figurés à l’aide de signes corrects et fidèlement traduits[37]. Il n’en est pas de même des mots indiens dont nous ne connaissons que la traduction chinoise et que néanmoins nous sommes dans la nécessité de donner en sanskrit. Là, nous rencontrons des difficultés pour la solution desquelles la connaissance même la plus profonde de la langue indienne se trouverait impuissante. Les interprètes ont deux manières de traduire ; les uns donnent le sens direct et littéral quand, par exemple, ils rendent l’épithète adôcha « exempt de fautes » par Wou-kouo 無過 qui a absolument le même sens en chinois. On pourrait donc remonter avec certitude de cette expression chinoise à l’expression indienne correspondante, si la langue sanskrite ne possédait une douzaine d’épithètes qui expriment la même idée[38]. De là, des doutes et des incertitudes qui mettraient en défaut la sagacité la plus pénétrante et la science la plus consommée.

D’autres interprètes (et le cas est plus grave encore) se contentent de donner un sens général, quand, par exemple, ils rendent Padmôttara « le plus excellent des lotus » par doué d’un corps très-merveilleux[39] ; Soûryaraçmi « brillant comme le soleil » par doué d’un éclat admirable[40]. Enfin, ils substituent souvent au sens du mot Fan, une idée complètement différente. Par exemple, ils rendent Vigatabhaya « délivré de crainte » par extrêmement pur[41] ; Ganêndra « roi de la multitude » par ineffable[42] ; Soughôcha « doué d’une belle voix » par doué de la vertu du dieu de l’eau[43], etc.

Le lecteur comprendra, sans que j’aie besoin d’insister davantage sur ce dernier point, qu’avec les traductions chinoises que je viens de rapporter et qui sont tirées d’un livre célèbre (le Recueil des noms des Bouddhas du Bhadra kalpa, en sanskrit, en thibétain, en mongol, en mandchou et en chinois), il serait absolument impossible de remonter aux mots indiens auxquels ils correspondent. J’ai trouvé un moyen sûr de lever, du moins pour le plus grand nombre de cas, cette immense difficulté. C’était de retourner tous les mots Fan des deux dictionnaires précités, et de recueillir et classer dans un ordre commode tous les mots chinois que fournissaient ces deux ouvrages comme équivalents, sans m’inquiéter de savoir si la traduction donnée était mot à mot ou générale, fidèle ou inexacte. J’ai, en conséquence, écrit sur des cartes particulières, rangées séparément, chaque mot Fan figuré par des signes phonétiques, et chaque mot chinois donné comme sa traduction fidèle ou approximative, en ajoutant les renvois nécessaires pour remonter immédiatement à l’ouvrage original qui les avait fournis. Loin de rejeter les mots tronqués et les orthographes corrompues, je me suis étudié à en recueillir le plus grand nombre, parce que ces mots sont surtout ceux qui présentent le plus de difficulté, tandis que d’un autre côté, lorsqu’on possède bien les règles de transcription et quelque teinture du sanskrit, les mots complets et corrects se lisent au premier coup d’œil.

De cette manière, j’ai composé, pour mon usage personnel, un double vocabulaire sanskrit-chinois et chinois-sanskrit, dont la présente traduction permettra d’apprécier le degré d’utilité, et qui, s’il est mis plus tard entre les mains du public, offrira à tout orientaliste muni des notions nécessaires, les moyens d’arriver aux mêmes résultats que moi, et probablement d’étendre et d’agrandir encore la voie que j’ai frayée le premier.

Parmi les noms cités dans notre relation et dont les lecteurs avaient besoin de connaître la forme originale, il n’en est pas de plus nombreux et de plus difficiles que les titres des ouvrages bouddhiques figurés tantôt par des signes phonétiques (comme ’O-pi-t’an ou Pi-t’an[44] (Abhidharma) « la Métaphysique »), tantôt par des mots chinois qui ne sauraient conduire à l’orthographe indienne (comme Touï-fa[45] 對法 « la loi qui répond » pour exprimer la même idée : la Métaphysique). Il m’en coûte beaucoup de me citer si souvent dans cet avant-propos, mais l’histoire des efforts qui ont été faits depuis quelques années dans l’intérêt de la philologie chinoise serait incomplète, si je ne rappelais qu’on ne connaissait auparavant que quelques titres indiens répondant à des titres chinois d’ouvrages bouddhiques[46]. Depuis qu’un précieux catalogue obtenu de Saint-Pétersbourg[47], m’a permis de rétablir près de neuf cents titres indiens qui y étaient exprimés phonétiquement, quoique le plus souvent par des prononciations tronquées ou corrompues, on possède dès à présent la concordance indienne des principaux ouvrages bouddhiques qu’on a l’occasion de rencontrer tant dans les relations des religieux ou des commissaires officiels qui ont visité l’Inde, que dans les livres chinois qui contiennent les bibliographies des Samanéens ou traitent des croyances et des doctrines indiennes. Aussi n’ai-je pas eu d’autre peine à prendre que de consulter mon propre travail pour trouver et offrir aux lecteurs la plupart des titres originaux[48].

Les deux orientalistes qui se sont occupés avant moi de la relation de Hiouen-thsang, avaient eu l’intention non-seulement d’en traduire et publier les fragments épars qui existent à Paris dans le Pien-i-tien ou « Mémoires sur les peuples étrangers[49] » (l’on a vu plus haut quels obstacles ils auraient rencontrés), mais encore d’en déduire des considérations géographiques et de tracer pas à pas l’itinéraire du voyageur. Là encore, ils auraient été exposés aux plus graves erreurs. En effet, parmi les cent trente-huit royaumes[50] qu’il a décrits dans son Si-yu-ki (Mémoires sur les contrées occidentales), les uns, au nombre de cent dix, ont été réellement visités par cet illustre pèlerin, et les vingt-huit autres dont il parle ne sont parvenus à sa connaissance que par les chroniques locales ou les récits des indigènes au milieu desquels il se trouvait. Les savants en question, dont le second (Klaproth) s’est surtout distingué par ses travaux géographiques, ont ignoré cette distinction et ont fait de vains efforts pour suivre constamment la marche de Hiouen-thsang à travers des pays qui n’ont point fait partie de son itinéraire, bien qu’il en ait donné la description. Pour y réussir, il fallait connaître et comprendre deux expressions techniques destinées à lever toute espèce de doutes à cet égard. Elles se trouvent[51] à la fin de l’ouvrage, dans un épilogue intitulé Ki-tsan « éloge de la Relation, » écrit par Tch’ang-choue, ministre d’état et prince du royaume de Yen, qui fut aussi le rédacteur de la préface du Si-yu-ki. Voici ces deux expressions capitales que le lecteur doit avoir présentes à l’esprit, sous peine de s’égarer. « Lorsqu’on a écrit, dit Tch’ang-choue, le mot hing « marcher, » suivi de la distance parcourue, on a voulu désigner[52] les pays que le voyageur a visités en personne. Mais le mot tchi « venir, arriver » s’applique aux pays qu’il n’a connus que par les chroniques ou la tradition orale[53]. »

Je vais citer deux exemples décisifs de ces deux cas. On sait que Hiouen-thsang n’est pas allé dans l’île de Siñhala (Ceylan). C’est pourquoi (Si-yu-ki, liv. XI, fol. 10), en parlant d’un pays fabuleux situé au midi de ce royaume, il s’exprime ainsi : « Après avoir fait plusieurs milliers de li en voguant au sud de ce royaume, on arrive ( tchi) à l’île de Na-lo-ki-lo (Nârakîra ou des hommes à bec de perroquet). » Lorsque, au contraire, il veut parler du Kôñkan où il est allé lui-même, il dit : « Étant parti du nord de Ta-lo-pi-tch’a (Drâviḍa), je suis entré dans des forêts et des plaines sauvages ; j’ai traversé une cité isolée et j’ai passé par une petite ville. Les routes sont remplies de brigands qui s’associent en troupes pour piller les voyageurs. Après avoir fait environ deux mille li (deux cents lieues), je suis arrivé au royaume de Kong-kien-na-pou-lo (Kôñkaṇapoura). »

M. Klaproth reconnaît[54] qu’il a eu le bonheur de retrouver l’itinéraire de Hiouen-thsang, de même que l’introduction de Tch’ang-choue et son Épilogue[55], où sont expliquées les deux expressions techniques que nous venons de faire connaître. Cependant, quoiqu’il fût bon géographe, il est de la dernière évidence qu’il ne les avait pas comprises. En effet, et comme on vient de le voir plus haut, Hiouen-thsang n’avait point visité Ceylan. Cela n’a point empêché M. Klaproth d’écrire[56] : « Il s’embarqua à Singhala ou Ceylan qu’il décrit avec de grands détails. Après qu’il eut quitté Ceylan, il retourna dans l’Hindoustan. »

J’ajouterai, en terminant, que, dès le début de sa notice, le même géographe a fait voyager à tort Hiouen-thsang à Mi-mo-ho (Meimorg), à Pou-kho (Boukhara), etc. qu’il n’a jamais visités, ainsi qu’on le reconnaît à l’expression on arrive ( tchi), et là, comme en beaucoup d’autres endroits, il a faussé de la manière la plus grave l’itinéraire qu’il voulait tracer.

Je regrette beaucoup d’avoir été entraîné aussi loin dans l’exposé de toutes les circonstances qui se rattachent à cette publication, et surtout dans le compte rendu des obstacles nombreux qui m’auraient mis dans l’impossibilité de m’acquitter de ma tâche d’une manière satisfaisante, si je ne m’étais préparé longtemps d’avance à les surmonter, suivant la mesure de mes forces. Je devais au lecteur les explications qu’on vient de lire, afin de prévenir des doutes bien naturels et de répondre préalablement à des questions inévitables. Mais pour que l’histoire du voyage que je publie aujourd’hui obtienne de sa part l’intérêt et la confiance que j’ambitionne, j’ai besoin d’esquisser, à grands traits, l’itinéraire de Hiouen-thsang, en prenant surtout pour base sa propre Relation, qui, sans avoir le mérite littéraire de l’ouvrage de Hoeï-li, doit ici obtenir la préférence comme étant plus grave, plus précise et plus détaillée.

Parti de Liang-tcheou, à l’extrémité nord-ouest de la Chine, ville qui était alors « le rendez-vous général des peuples à l’occident du fleuve[57], » Hiouen-thsang arrive, peu après, à Koua-tcheou. Cette ville existe encore sous le même nom, à quelques lieues au sud d’une rivière que les documents chinois modernes, employés par Klaproth pour la rédaction de sa grande carte de l’Asie centrale en quatre feuilles, nomment Sou-laï-ho, et qui est désignée dans la relation de Hiouen-thsang sous le nom de Hou-lou. Un peu plus bas, vers l’ouest, elle va se perdre dans un lac. C’était vers ce lac qu’était la frontière extrême de la domination chinoise et le commencement du célèbre royaume des Oïgours (I-’gou dans notre voyageur).

Là, au moment de pénétrer dans ces régions peu connues des Chinois eux-mêmes, un vieillard du pays indique à Hiouen-thsang les chemins qu’il lui faudra suivre. Ce vieillard, qui avait fréquemment parcouru les routes du pays d’Oïgour, dépeint ainsi la contrée où l’on va s’engager : « Les routes de l’ouest sont mauvaises et dangereuses ; tantôt on est arrêté par un fleuve de sables (mouvants), tantôt par des démons et des vents brûlants. Lorsqu’on les rencontre, il n’est personne qui puisse y échapper ; souvent des caravanes nombreuses s’y égarent et périssent. »

Quand ce bon vieillard parle ainsi des démons qui hantent ces plaines dangereuses, où il arrive souvent que des vents soulèvent d’immenses tourbillons de sable, ne croirait-on pas entendre les légendes que Marco Polo, six cent cinquante ans plus tard, recueillit en traversant les mêmes lieux ? « S’il advient (c’est le voyageur vénitien qui parle) qu’en chevauchant de nuit par ces déserts, un voyageur s’écarte et se sépare de ses compagnons, il entend autour de lui des voix qui l’appellent par son nom, et qui le conduisent ainsi dans des lieux où il se perd et meurt. D’autres fois, la voix de ces esprits du désert se fait ouïr comme si vous entendiez des légions d’instruments et de tambours… »

Hiouen-thsang chemine péniblement, pendant plusieurs jours, dans le désert sablonneux qui s’étend au nord et au nord-ouest de la rivière Hou-lou, ayant à supporter de rudes fatigues, en proie aux tourments de la soif, et fréquemment le jouet des illusions du mirage. Enfin, il voit reparaître de l’eau et de la verdure, et arrive à I-’gou, capitale du royaume du même nom (le royaume d’Oïgour). La ville d’I’gou paraît devoir répondre à celle qui, dans les documents modernes, est désignée sous le nom de Hami ou Kamil, chef-lieu d’un des districts du Turkestan oriental. Le royaume d’I-’gou était alors tributaire, ou du moins subordonné du roi de Kao-tch’ang ; car il est dit que celui-ci, ayant appris l’arrivée de Hiouen-thsang à I-’gou, expédia au roi de cette dernière ville l’ordre de lui envoyer immédiatement le Maître de la loi. La capitale du royaume de Kao-tch’ang était à six ou sept journées dans l’ouest de la ville d’I-gou, et à une demi-journée seulement de la frontière orientale du royaume ; la ville de Pe-li était, de ce côté, la première ville du Kao-tch’ang,

Après avoir quitté la capitale du Kao-tch’ang, l’itinéraire continue de nous porter à l’ouest, à travers des villes et des royaumes dont l’identification précise avec les noms de la géographie actuelle nous entraînerait plus loin que les bornes de cette analyse ne le comportent. En résumé, la région très-accidentée où le voyageur est entré, répond à ce que nous appelons aujourd’hui la Dzoungarie. Hiouen-thsang y nomme et décrit trois royaumes situés au nord de la grande rivière de Tarim ou de Kachghar, qui porte ses eaux au lac de Lob ou Lob-noor. Ces trois royaumes sont ceux d’A-ki-ni (aujourd’hui Kharachar), de Kioue-tchi (aujourd’hui Koutché) et de Pa-lou-kia (aujourd’hui Baï, suivant la grande géographie Haï-koue-thou-tchi).

Entre A-ki-ni (Kharachar) et Kiu-tchi (Koutché), le voyageur mentionne une montagne avec de riches mines d’argent, ajoutant que le produit de ces mines fournissait aux princes de l’ouest tout l’argent nécessaire à la fabrication de leurs monnaies. Cette indication peut avoir encore aujourd’hui son intérêt.

Du royaume de Pa-lou-kia, Hiouen-thsang se dirigeant au nord-ouest, arrive, après une marche de trois cents li, ou trente lieues environ, à la montagne de Lin-chan (aujourd’hui Mousour dabaghan), qui forme, dit-il, l’extrémité septentrionale des monts Tsang-ling[58] (c’est-à-dire de la chaîne neigeuse qui sépare le bassin de la rivière de Khara-char de celui du Sir-déria ou Jaxartes). Le voyageur chinois fait ici une belle description de cette montagne de Ling-chan et de ses dangereux glaciers. « Le sommet de la montagnes’élève jusqu’au ciel. Depuis le commencement du monde, la neige s’y est accumulée, et elle s’est changée en blocs de glace qui ne fondent ni au printemps, ni en été. Des nappes dures et brillantes se déroulent à l’infini, et se confondent avec les nuages. Si l’on y dirige ses regards, on est ébloui de leur éclat. On rencontre des pics glacés qui s’abaissent sur les côtés de la route, et dont les uns ont jusqu’à cent pieds de hauteur, et les autres plusieurs dizaines de pieds de largeur. Aussi ne peut-on franchir ceux-ci sans difficulté, ni gravir ceux-là sans péril. Ajoutez à cela des rafales de vents et des tourbillons de neige, dont on est assailli à chaque instant, de sorte que, même avec des souliers doublés et des vêtements garnis de fourrures, on ne peut s’empêcher de trembler de froid… »

Ces sortes de tableaux, où l’auteur chinois montre la précision et l’exactitude d’un explorateur moderne, ne sont pas rares dans la relation de Hiouen-thsang. Le voyageur emploie sept jours entiers à traverser les gorges difficiles de la montagne, où quatorze de ses compagnons périssent de fatigue et de froid. Enfin, il atteint les plaines opposées, et arrive bientôt après au bord d’un grand lac qu’il nomme Thsing-tch’i. La situation de ce lac, par rapport au pays de Kioue-tchi (Koutché) de l’autre côté de la montagne, son circuit de quatorze à quinze cents li, sa forme allongée de l’est à l’ouest, toutes ces indications parfaitement concordantes avec nos meilleures cartes actuelles, ne permettent pas de méconnaître, dans ce grand lac, celui qu’on désigne aujourd’hui sous le double nom mongol et turc de Témourtou et d’Issikoul.

Une remarque générale que nous ne devons pas omettre, c’est le parfait accord des données géographiques qui ressortent de cette partie de l’itinéraire du voyageur bouddhiste, avec les notions que les récents travaux de M. Alexandre de Humboldt, consignés dans son Asie centrale, nous ont données sur la zone moyenne de l’Asie. On avait cru jusqu’à ces derniers temps, et l’erreur se trouvait invariablement reproduite dans toutes les cartes, que du plateau de Pamir, où sont les sources de l’Oxus, jusqu’aux monts Altaï, qui enveloppent au sud le lac Baïkal, il existait une chaîne non interrompue de montagnes presque infranchissables. M. de Humboldt, le premier, a fait voir, en s’appuyant sur des documents jusqu’à présent inconnus ou mal employés, qu’une immense dépression sépare le massif de Pamir du massif Altaïque. Cette dépression, où les eaux accumulées donnent naissance à de nombreux et vastes lacs (notamment ceux d’Issikoul et de Tenghiz), forme un pays de plaines, de vallées et de pâturages, qui porte aujourd’hui le nom de Dzoungarie. C’est la seule communication qui existe entre les steppes élevées de la Mongolie et les plaines basses qu’arrose le Sir-déria (le Jaxartes des Grecs), C’est par cette issue naturelle que se sont faites, depuis les plus anciens temps, les innombrables migrations qui ont versé tant de tribus nomades vers la mer Caspienne et les plaines sarmatiques ; c’est la seule route que puissent suivre les caravanes ; c’est celle que traverse l’itinéraire de notre voyageur. Il côtoie pendant un certain temps les bords du lac Thsing-tch’i (Témourtou ou Issikoul), et, de là, pénétrant dans le bassin supérieur du Sir-déria (Jaxartes), il voit le verdoyant pays de Thsien-thsiouen ou des Mille sources (aujourd’hui Ming boulak en mongol, et Bin gheul en turc, mots qui ont exactement le même sens que la dénomination chinoise), il arrive, après plusieurs jours de marche, à la ville de Talas, qui existe encore sous le même nom. Ce nom, dans la relation de Hiouen-thsang, a pris la forme de Ta-lo-sse. Nous avons là encore un de ces points fixes et parfaitement certains qui, même dans les parties de la Relation où les changements de noms de lieux et de pays pourraient amener certaines difficultés d’identification, permettent de suivre sans hésiter, et de rétablir d’une manière satisfaisante, le tracé de l'itinéraire.

Lors du passage de Hiouen-thsang dans la région du Jaxartes et de la Transoxane, la puissante nation des Turcs (Tou-kioue dans la transcription chinoise) en était la maîtresse depuis un demi-siècle. Le Khan avait sa résidence aux environs du lac Issikoul ; mais sa domination, reconnue par toutes les tribus, s’étendait au sud jusqu’à l' Hindou-kouch, car il donne au Maître de la loi un interprète qui est chargé de l’accompagner jusqu’à Kia-pi-che (Kapiça), lieu qui marque l’entrée du pays de Kaboul. La Relation fournit de curieux détails sur les Tou-kioue, adonnés alors au culte du feu. Il est intéressant de comparer la réception que Hiouen-thsang trouva près du Khan, avec celle que le grand Khan Dizaboul fit, en 571, à l’ambassade de Justin II, conduite par Zémarque.

La relation nous donne la nomenclature des nombreuses principautés qui se partageaient, sous l’autorité du Khan, ces plaines fertiles de la Sog-diane et de la Bactriane. Hiouen-thsang n’a pas vu personnellement toutes les villes, tous les états qu’il mentionne et dont il indique la situation ; mais la formule, constamment employée dans ce cas par le rédacteur de l’itinéraire (voy. plus haut, pag. xxxvii), permet de distinguer avec certitude les pays que le voyageur a visités de ceux qu’il ne nomme ou ne décrit que d’après des informations recueillies de la bouche d’autrui. Pour ceux-ci particulièrement les directions et les distances peuvent demander çà et là quelques rectifications ; mais, en général, toute cette nomenclature donnée par les sources chinoises s’identifie sans peine avec celle que nous fournissent les auteurs arabes pour les ixe et xe siècles, si on les éclaire d’ailleurs l’une et l’autre par les notions positives des sources actuelles.

Hiouen-thsang y après avoir quitté Talas, voit Samarkand (Sa-mo-kien) et Balkh (Fo-ko-lo). Au sud de Balkh, il s’engage dans les premières gorges des montagnes neigeuses et arrive à Bamian (Fan-yen-na), un des grands centres de la doctrine bouddhique dans l’ouest, et qui, depuis longtemps, était renommé par ses monuments religieux. Le Maître de la loi ne manque pas de les décrire et surtout d’en rapporter les légendes.

Sorti de Bamian, notre voyageur traverse, avec de grandes fatigues et au milieu de tourbillons de neige, de très-hautes montagnes, qu’il nomme les montagnes noires et qui répondent au Hindou-kouch des géographes persans. Ces montagnes franchies, il arrive au royaume de Kia-pi-che. Dans cette région que le Hindou-kouch domine au nord, Ptolémée et les géographes latins ont connu un canton et une ville dont le nom de Kapissa (sous sa forme grecque) est évidemment identique au Kia-pi-che de notre relation chinoise. Comme le Kapissa de Ptolémée se trouve indiqué d’un sixième de degré au nord de Kaboura, qui est évidemment Kaboul, on est ainsi porté dans les parties supérieures du système d’eaux qu’alimentent les pentes méridionales du Hindou-kouch, et que la rivière de Kaboul verse dans l’Indus. Peut-être même ne serait-il pas impossible, parmi les localités de ces hautes vallées, d’en trouver encore actuellement une dont le nom réponde à celui de l’ancienne Kapissa. Sans nous engager dans cette recherche, qui aura mieux sa place ailleurs, il nous suffit de dire qu’entre ce point et celui de l’Indus où vient déboucher la rivière de Kaboul, l’itinéraire de Hiouen-thsang coupe de l’ouest à l’est les vallées qui descendent du Hindou-kouch vers cette dernière rivière. La région que ces vallées occupent se partageait alors entre deux royaumes (outre celui de Kia-pi-che), le royaume de Lan-po (Lampâ) et celui de Kien-t’o-lo. Le premier se retrouve dans le pays des Lambatœ de Ptolémée, — ou plutôt Lampagœ, selon une meilleure leçon, car la forme de l’ethnique sanskrit est Lampâka, d’où s’est formé par corruption le Laghman moderne, que Baber écrit moins incorrectement Lamghân. Kren-t’o-lo est le Gândhâra, nom dont le siège primitif est à l’orient du Sindh, où nous le montrent les plus anciennes sources sanskrites, mais qui, par extension, s’est appliqué ensuite à une grande étendue de pays à l’ouest du fleuve. Pon-lou-cha-pou-lo, que Hiouen-thsang mentionne comme la capitale du Kien-t’o-lo (Gândhâra), cache la forme indienne Pourouchapoura, que l’usage local a corrompu en Perchavèr, comme écrit Baber dans ses Mémoires, et, par une altération encore plus récente, en Peïchavèr. Le site de l’ancienne Pourouchapoura est à une petite distance de la Peïchaver actuelle.

De Pou-lou-cha-pou-lo, Hiouen-thsang vient passer le fleuve à Ou-to-kia-han-tch’a, lieu qui est indubitablement l’Ouṭakhâṇḍa des sources sanskrites, et l’Attok (pour Outtak) des cartes modernes. À vingt li ou à deux de nos lieues communes environ, au-dessus d’Ou-to-kia-han-tch’a (Ouṭakhâṇḍa) vers le nord-ouest, il est fait mention d’une ville de Po-Io-tou-lo, d’où était originaire le grammairien Pâṇini. On voit, en effet, dans l’ouvrage de ce célèbre auteur, que sa famille habitait Çâlâtoura, près d’Ouṭakhâṇḍa. Or, comme il arrive souvent aux éditeurs chinois de confondre le signe phonétique so avec po [59], il est évident que Hiouen-thsang a voulu écrire So-lo-tou-lo (Sâlâtoura) ; seulement, trompé par la prononciation, il aura cru que la consonne initiale était une lettre sifflante (), au lieu d’une lettre cérébrale ().

Ici commence une nouvelle division de l’itinéraire du voyageur. Entre le Sindh d’Attok et la partie du Djéloum qui regarde les montagnes accidentelles du Kachemire, se trouve une contrée à laquelle se rattachent les plus anciennes traditions religieuses et les plus vieilles légendes du brahmanisme, et que plus tard le bouddhisme couvrit de ses monuments. Cette contrée est le pays d’Oudyâna, qu’une mauvaise interprétation des textes a fait longtemps reporter à l’ouest du Sindh. Dans Hiouen-thsang, le nom sanskrit d’Oudyâna (parc) se lit Ou-tchang-na ; mais en traduisant ce mot par youen (parc), il nous ramène naturellement à l’orthographe correcte des auteurs indiens. Notre voyageur parcourt en différents sens cette région, dont la sainteté traditionnelle était attestée par d’innombrables édifices destinés au culte ou à ses ministres, et par une multitude de ces constructions bouddhiques connues dans l’Inde supérieure sous le nom de Stoûpas (les topes des modernes). Les deux bords de la rivière Souvastou ou Soubhavastou (Sou-p’o-fa-sou-tou), une des branches supérieures de la rivière Svan de nos cartes actuelles, étaient couverts de ces édifices religieux, dont un grand nombre tombaient en ruines à l’époque où Hiouen-thsang les visita. La résidence ordinaire du roi de ce pays était dans la ville de Moung-kie-li, située, dans le sud-ouest, à deux cent cinquante li, ou vingt-cinq de nos lieues communes, des sources de la rivière Souvastou. Il est aussi question, au nord-ouest de Moung-kie-li, d’un grand lac situé au sommet d’une montagne désignée dans la relation chinoise sous le nom de Lan-po-lo. Malheureusement, la contrée dont il s’agit est si imparfaitement connue encore, que malgré le nombre, et, sur beaucoup de points, la précision des indications topographiques de nos sources chinoises, il serait plus que hasardeux de se prononcer d’une manière absolue sur l’identification des localités. Nous ne saurions, par exemple, dire avec certitude, si la cité royale de Moung-kie-li est représentée par la ville actuelle de Manghelli, située dans le nord-est d’Attok, sur la route de Mozafferabad, ou si on n’en doit pas plutôt chercher le site au village de Manikyala, non loin de Ravil Pindî, où l’on a découvert le plus grand et le plus magnifique des Stoûpas connus, et où il y a, en outre, des ruines considérables. Ces circonstances locales nous feraient incliner vers la seconde opinion ; d’autant plus que nous voyons, par la relation de Hiouen-thsang, que les environs de Moung-kie-li étaient tout remplis de Stoûpas et d’édifices religieux, et offraient une multitude de lieux consacrés par des traditions légendaires, tandis que rien ne nous indique, dans le peu de notions fournies par les voyageurs, que les environs de Manghelli se fassent remarquer par de semblables vestiges. Toutefois, nous le répétons, les renseignements que nous possédons sur ces parties extrêmes du Pendjâb, sont trop vagues encore et trop imparfaits pour que nous puissions nous prononcer, sur ce point, en toute connaissance de cause. Il faut attendre que les Anglais, aujourd’hui maîtres du pays, nous en aient donné une carte satisfaisante, avant de hasarder une opinion définitive. Il est d’ailleurs impossible que les explorateurs, maintenant que leur attention est éveillée sur ces localités d’un si grand intérêt archéologique, n’y fassent pas bientôt des découvertes positives, qui lèveront toutes les incertitudes. Ces incertitudes, qui tiennent surtout à l’insuffisance des notions actuelles, ont nécessairement pour résultat de jeter ici beaucoup d’obscurité sur l’itinéraire de notre voyageur. Ce que l’on peut voir, en général, c’est que Hiouen-thsang remonte la vallée de la Krichṇagañgâ (qui se réunit au Djéloum sous les murs de Mozafferabad), qu’il pénètre ainsi dans les cantons montagneux qui s’étendent au nord du Kachemire, et arrive, plus haut encore dans le nord, jusqu’à la partie de la vallée du Sindh voisine de l’lskardo actuel. Il paraîtrait que de ce dernier point, Hiouen-thsang serait revenu à Ouṭakhâṇḍa en redescendant, par la droite ou à l’ouest, la vallée du Sindh (qu’aucun Européen n’a exploré jusqu’à présent dans cette partie de son cours), et qu’il aurait eu ainsi à repasser le fleuve une seconde fois près d’Attok.

Deux pays visités par notre voyageur, durant cette longue tournée, la vallée de Ta-li-lo et le royaume de Po-lo-lo, paraissent devoir répondre, le premier, à la grande vallée de Talyl ou Tilyl, que des explorateurs récents ont mentionnée au pied des montagnes qui couvrent le nord du Kachemire ; le second, à la région alpine du Bolor, entre Iskardo et Badakchan.

Hionen-thsang fait de fréquents retours, et des séjours souvent prolongés dans les parties septentrionales du Pendjâb, qui devaient offrir un intérêt particulier pour les recherches et les conférences bouddhiques. Il descend d’Ouṭakhâṇḍa à Ta-tcha-chi-lo (Takchaçilâ) et à Seng-ho-pou-lo (Siñhapoura) ; remonte de là, au nord-ouest, par le royaume d’Ou-la-chi (Ouraçî), et pénètre dans le Kia-chi-mi-lo (Kaçmîra), par la grande passe de Baramoula, à l’extrémité nord-ouest du royaume. Le Maître de la loi séjourne deux années entières au Kachemire, et revenant aux plaines du Pendjâb, par la passe de Pîr Pandjab, il traverse le royaume de Pan-nou-tso (Panoutcha), dont la capitale existe encore sous le nom de Pantch (le Punch des cartes anglaises), et plus au sud, celui de Ko-lo-che-pou-lo (Râdjapoura, la Radjavar actuelle).

Le voyageur, poursuivant sa route vers le sud et le sud-est, passe le fleuve Tchen-ta-lo-p’o-kia (Tchandrabhâgâ ou Tchénab), traverse la ville de Che-ye-pou-lo (Djayapoura), et voit la ville de Tse-kia (Tchêka), qui avait succédé, dans le rang de capitale d’un état du même nom, à l’antique Che-kia-lo, la Çâkala des vieilles épopées indiennes, et la Sagala ou Sangala des historiens d’Alexandre. La relation chinoise nous apprend que le site ruiné de Çâkala était à quatorze ou quinze li (une lieue et demie environ) de la ville ancienne de Tchêka. Hiouen-thsang trouve encore, dans cette région sud-est du Pendjâb, les royaumes de Tchi-na-po-ti (Tchînapati), de Che-lan-t’a-lo (Djâlandhara, entre le Setledj et le Bîas), de Kou-lou-to (Koulouta) et de Che-to-t’ou-lou (Çatadrou) ; puis, franchissant le Setledj, il arrive au pays de Po-li-ye-ta-lo (Pâryâtra), et de là, cinq cents li plus à l’est, au célèbre royaume de Mathourâ, ou Mo-t’ou-lo dans la transcription chinoise.

La plupart des villes et des pays mentionnés dans cette longue énumération sont connus d’ailleurs par les sources sanskrites, notamment par la Chronique du Kachemire (Râdjatarañgiṇî), si riche en indications topographiques. Plusieurs sont, dès à présent, d’une identification certaine, et suffisent à marquer les principaux jalons de l’itinéraire ; les autres pourraient donner lieu à des discussions critiques dans lesquelles nous n’avons pas à entrer ici. Les obscurités de la Relation, lorsqu’elle en présente, ne viennent pas seulement de la rédaction succincte d’un journal qui avait un tout autre objet que les recherches géographiques ; elles résultent surtout de l’imperfection des cartes actuelles. Cette difficulté une fois levée, et nous espérons qu’elle le sera bientôt, maintenant que les Anglais possèdent le Pendjâb et que leurs ingénieurs peuvent le parcourir librement, la tâche du géographe deviendra facile.

Elle l’est beaucoup plus déjà pour la partie de la Relation qui suit l’arrivée du voyageur à la cité de Mathourâ. Hiouen-thsang, avant de descendre vers les contrées inférieures qu’arrosent les eaux du Gange, parcourt et visite en détail celles qui avoisinent le fleuve dans sa partie supérieure. La vaste mésopotamie comprise entre le Gange et la Yamounâ était alors partagée, comme elle lavait été dès les plus anciens temps, en un assez grand nombre de principautés ou de royaumes distincts. Hiouen-thsang parcourt et énumère ces différents états. Il en est plusieurs, tels que ceux de Sa-t’a-ni-chi-fa-lo (Sthânêçvara ou Tanessar), Sou-lou-k’in-na (Sroughna), Mo-ti-pou-lo (Matipoura), Po-lo-hi-mo-pou-lo (Brahmapoura), Kiu-pi-choang-na (Gôviçana ? ), Pi-lo-san-na (Vîraçâna ? ) que l’on ne trouve pas mentionnés (comme royaumes) dans les documents sanskrits que nous possédons. Le secours inattendu que nous apporte l’itinéraire de notre voyageur nous permet donc de reconstruire, au moins dans ses linéaments principaux, la carte politique de l’Inde du viie siècle, et nous ne craignons pas d’affirmer que ces indications jetteront de vives lumières, tant sur la vieille géographie poétique que sur la géographie épigraphique de cette région de l’Inde. Pour la première fois, on peut assigner sa véritable place à un état souvent mentionné dans les traditions épiques, et dans les légendes postérieures, comme un des foyers importants du brahmanisme, le royaume d’Ahikchêtra (’O-hi-tchi-ta-lo). D’autres cantons, dont l’emplacement est connu d’une manière certaine par leur correspondance actuelle, fournissent d’ailleurs des points fixes auxquels l’itinéraire du voyageur vient se rattacher de distance en distance, circonscrivant ainsi, dans des espaces bien déterminés, le champ où doivent se renfermer les recherches pour l’identification des noms inconnus ou douteux. Ainsi, la capitale du royaume de Kanyâkoubdja (Kie-jo-kio-che) subsiste encore dans la ville bien connue de Canoge, et l’emplacement d’une autre cité, Samkâçya, capitale d’un état indépendant appelé aussi royaume de Kapitha, a été retrouvé récemment près du bord occidental du Gange, au-dessus de Canoge, conservant, dans la tradition locale, son ancien nom, bien connu de Hiouen-thsang qui l’écrit Seng-kia-che. En général, le soin que le rédacteur de la relation chinoise a pris de toujours noter la distance d’une capitale ou d’une frontière à l’autre, ainsi que leurs positions respectives, permet d’établir sur la carte la chaîne non interrompue des localités géographiques mentionnées par le voyageur ; et bien que ces indications ne se trouvent pas toujours irréprochables, soit quant aux directions, soit quant aux distances, néanmoins les rapports connus sur lesquels on peut s appuyer fréquemment, circonscrivent, ainsi que je l’ai dit, les parties flottantes et douteuses de l’itinéraire, et ne permettent pas aux recherches, non plus qu’aux conjectures, de s’égarer dans des espaces indéterminés.

Après Kanyâkoubdja, la Relation nous fait suivre, avec un détail de plus en plus circonstancié, les courses du voyageur dans tout l’espace compris entre le Gange, la Gandak et les montagnes du Népal. Cette partie des plaines du Gange, qui forme aujourd’hui la province d’Aoude et le nord de l’Allahahad, était alors partagée entre une douzaine de petits royaumes. Hiouen-thsang les voit et les décrit tous, ou du moins il en énumère, outre les villes principales, tous les lieux que des souvenirs ou des légendes religieuses avaient consacrés. Les plus célèbres de ces royaumes sont ceux d’Ayôdhyâ (’O-yu-t’o), dont la renommée remonte aux plus anciens temps de la période héroïque de l’Inde ; Prayâga (Po-lo-ye-kia), avec sa capitale assise au confluent même du Gange et de la Yamounâ, et qui doit à cette situation la profonde vénération religieuse dont elle a toujours été l’objet ; Kapilavastou (Kie-pi-lo-fa-sou-tou), où naquit le Bouddha Çâkyamouni, apôtre et législateur du culte bouddhique, et Kouçinagara (Keou-chi-na-kie-lo) où il mourut ; enfin, Varâṇaçî (Po-lo-ni-sse), notre Bénarès actuelle, le seul lieu qui ait gardé à travers les siècles sa renommée des anciens jours. L’assiette de ces différentes villes et la circonscription de leurs territoires ne comportent pas de difficultés sérieuses ; plusieurs existent encore, et, parmi les autres, la position des plus importantes a été ou peut être déterminée d’une manière satisfaisante.

De Varâṇaçî, notre voyageur n’a que le Gange à traverser pour se trouver dans le Magadha (Mo-kie-t’o). On sait que le Magadha répond à la partie du Béhar actuel qui s’étend au sud du fleuve. C’est ici surtout que la relation de Hiouen-thsang s’enrichit particulièrement d’observations locales, et abonde en détails topographiques aussi bien qu’en traditions historiques et en légendes religieuses. Il n’est pas, sur tout ce vaste territoire auquel le voyageur consacra cinq années entières, un seul édifice religieux, un seul Stoûpa ou pyramide commémorative, un seul Vihâra ou couvent, que la Relation ne mentionne avec un détail souvent très-circonstancié[60]. Nous trouvons ici sur la célèbre Pâṭalipoutra, la Palibothra des auteurs grecs et latins, des renseignements neufs et curieux. Ajoutons que les explorations archéologiques qui de nos jours ont été commencées dans l’ancien Magadha, en même temps qu’elles confirment de point en point et les informations contenues dans notre relation chinoise et celles que renferment les livres religieux des bouddhistes du nord, permettraient déjà de refaire avec un grand détail la carte ancienne de cette contrée de l’Inde.

Après le Magadha, la Relation devient de nouveau beaucoup plus rapide. Hiouen-thsang poursuit sa route à l’orient, d’abord au sud, ou à la droite du Gange, où il voit le petit pays d’Hiraṇyaparvata (I-lan-na-po-fa-to), la célèbre cité de Tchampâ (Tchen-po), capitale d’un autre royaume, et dont on voit encore aujourd’hui les ruines, et enfin le pays d’ailleurs inconnu de Kie-tchou-ou-k’i-lo (Kadjoûghira)[61] ; puis, passant au delà du Gange dans la direction du nord-est, il traverse les royaumes de Pouṇḍravardhana (Pun-na-fa-t’an-na) et de ' Kâmaroûpa (Kia-mo-leou-po), qui occupaient la partie nord-est du Bengale actuel, et s’avance jusqu’au royaume de Samataṭa (San-mo-ta-tch’a), dont le nom se retrouve beaucoup plus tard dans les nomenclatures géographiques de quelques Pourâṇas, parmi les contrées de l’extrême orient. La position approximative en est donnée par cette indication, qu’à neuf cents li, en revenant à l’ouest, on arrive au royaume de Tâmralipti (Tan-mo-li-ti), dont la capitale du même nom, souvent mentionnée dans le recueil des contes de l’Inde, existe encore sous le nom de Tamlouk, à la pointe sud-ouest du Delta du Gange.

Non content d’avoir étudié, pendant de longues années, les parties de l’Inde du nord où le Bouddhisme avait eu son berceau et son foyer le plus brillant, Hiouen-thsang ne voulut laisser sans les avoir vues aucunes des contrées de la péninsule où s’était répandue la religion de Çâkyamouni. Il venait de visiter les royaumes les plus orientaux que le Brahmapontra limite ou traverse ; c’est maintenant vers les contrées du sud qu’il va se diriger. Notre voyageur parcourt en effet l’Inde du sud presque entière, à l’exception de Ceylan, où il ne pénètre pas.

À partir de Tamralipti, l’itinéraire longe la côte maritime, à travers les royaumes d’Ouḍa (Ou-tch’a), de Kong-yu-t’o (Kôṇyôdha ? ) et de Kaliñga (Kie-ling-kia), jusqu’aux environs de la Godavari inférieure ; puis, rentrant dans les contrées intérieures, il visite le Kiao-sa-lo, qui est le Koçala méridional, vers la haute Narmadâ, et de là, revenant au sud par les royaumes d’Andhra (’An-t’a-lo), de T’o-na-kie-tse-kia (Dhanakatchêka) et de Djourya ou Tchôla (Tchou-li-ye), il s’avance jusqu’à la célèbre cité royale de Kântchî, capitale du royaume de Drâviḍa (Ta-lo-pi-tch’a). Cette ville, dont on connaît l’emplacement sur la Palar inférieure, entre Pondichéry et Madras, est le point le plus méridional que notre voyageur ait atteint. Remontant de là au nord-ouest, il vient visiter le Kôñkaṇa (Kong-kien-na), sur la côte opposée de la péninsule ; puis il traverse le Mahârâchṭra (Mo-ho-la-t’o), passe la Narmadâ inférieure, voit le royaume de Po-lou-kie-tch’e-p’o, pays dont le nom, ramené à sa forme sanscrite (Baroukatch’êva), s’identifie avec le Barygaza des documents grecs, et avec la Baroche actuelle, à l’embouchure même de la Narmadâ ; et il arrive enfin au royaume de Malva (Mo-la-p’o), dont le nom s’est conservé jusqu’à nos jours dans la même région.

Ici se placent une série d’excursions dans le Goudjarat et dans les cantons limitrophes à l’est et au nord ; mais les nombres de li indiqués comme marquant l’intervalle de ces différents pays entre eux, paraissent en général très-exagérés, et les directions sont souvent fautives. L’emplacement bien connu des pays dont les noms correspondent, soit à ceux des sources indiennes, soit à ceux de la géographie actuelle, fournit heureusement le moyen de contrôler ces indications fautives, et permet de les rectifier quand il y a lieu.

Ces courses achevées dans les provinces bouddhiques de l’ouest, Hiouen-thsang reprend sa route dans la direction du couchant et arrive au Sindh inférieur (Sin-tou). Il voit plusieurs royaumes de cette région frontière, remonte dans le Moultân (Meou-lo-san-pou-lou), et de là revient vers le Gange pour visiter une seconde fois le Magadha. Ce nouvel itinéraire fournit, comme tous les autres, de bonnes indications et d’utiles rapprochements avec l'ancienne géographie pouranique de l’Inde, et avec la géographie du Mahâbhârata.

Enfin, après tant d’années de courses et d’études dans toutes les parties de la péninsule, notre voyageur se remet définitivement en route pour retourner dans le Céleste Empire. Il remonte le Pendjâb, s’arrête à la capitale du royaume encore florissant de Takchaçilâ (la Taxila des historiens d’Alexandre), et, à trois jours de là, dans le nord-ouest, il passe de nouveau le Sindh au même endroit où il l’avait traversé seize ans auparavant à son entrée dans l’Inde. C’était, nous l’avons vu, près de la ville d’Ouṭakhâṇḍa, dont la moderne Attok a sûrement conservé l’emplacement, ainsi que le nom. Hiouen-thsang remonte, à petites journées, la pittoresque vallée où se précipite la rivière de Kaboul ; il revoit le royaume de Lampâ (Lan-po), traverse, plus au sud, plusieurs petits états, sur lesquels les sources sanskrites ne nous fournissent pas de lumières, et revenant de nouveau dans la direction du nord, il gagne, par Kapiça, une passe des montagnes neigeuses du Hindou-kouch. La peinture que le voyageur fait de cette passe difficile est frappante d’énergie et de vérité. « Après sept jours de marche, ils arrivèrent au haut d’une grande montagne qui offrait un amas de sommets dangereux et de pics effrayants, s’élevant pêle-mêle sous les formes les plus étranges et les plus variées. Tantôt on apercevait un plateau, tantôt une flèche élancée ; la scène changeait à chaque pas. Il serait difficile de raconter les périls et les fatigues auxquels ils furent en butte en gravissant ces hauteurs. On découvrait de tous côtés d’immenses glaciers, où l’on aurait péri cent fois si l’on n’avait été guidé par des indigènes, des nuages suspendus bien au-dessous des crêtes dont ils dérobaient la vue, des pierres amoncelées confusément, pareilles à de vastes ruines, et des pics arides se dressant à perte de vue comme une forêt d’arbres dépouillés. La montagne était si élevée et le vent si impétueux, que les oiseaux mêmes ne pouvaient la traverser en volant. »

Enfin les voyageurs redescendent la pente opposée, dont les eaux vont grossir le cours de l’Oxus, et s’engagent dans les vallées alpestres qui forment ce qu’on nomme aujourd’hui le Badakchan. Hiouen-thsang y énumère plusieurs petits royaumes, dont quelques-uns se peuvent encore reconnaître dans les noms actuels des vallées latérales du haut Oxus, ou dans ceux que nous fournit la géographie arabe. Notre voyageur continue de remonter le cours de l’Oxus jusqu’aux sources du fleuve, au pied d’une région élevée qu’on nomme le plateau de Pamir. Le lieutenant anglais John Wood, qui a vu les mêmes lieux en 1830, confirme pleinement la remarquable exactitude de la relation chinoise ; tous deux mentionnent, comme l’ayant vu de leurs propres yeux, un grand lac où l’Oxus prend sa source, et que nul autre voyageur, depuis Hiouen-thsang, n’avait vu ni mentionné.

Hiouen-thsang franchit de nouveau les montagnes glacées (les monts Tsong-ling de la géographie chinoise) qui couvrent au nord le bassin du Sindh ; c'est par cette voie difficile qu’il rentre dans les plaines de la Tartarie. La route que suit le voyageur, pour regagner la frontière nord-ouest de la Chine, coupe les royaumes de Kachghar, de Yarkand et de Khotan ; dans celle qu’il avait autrefois suivie, à son départ de la Chine pour arriver au lac Issikoul, il avait laissé ces trois royaumes à sa gauche, ou au sud.

Si, dans cet aperçu analytique, j’ai réussi à donner une idée complète de la longue pérégrination de Hiouen-thsang dans les contrées de l’ouest et dans l’Inde, non-seulement on peut déjà pressentir la très-haute importance de sa Relation pour l’histoire du bouddhisme et pour la connaissance géographique des pays visités, mais on peut juger aussi de la parfaite authenticité et de l’exactitude remarquable des documents où les détails de ce voyage nous ont été transmis.

La Relation de l’illustre pèlerin, depuis longtemps connue par l’analyse qu’on en trouve dans le Fo-koue-ki, devait donc inspirer le plus haut degré de confiance ; mais, soit à cause de l’embarras que l’on éprouvait (faute de connaître la clef que nous avons donnée plus haut, p. xxxvii), pour distinguer les pays réellement visités par le voyageur de ceux qu’il n’avait connus que par ouï-dire, soit pour toute autre raison qu’il nous est difficile de découvrir, ces récits ont cependant rencontré, dans ces derniers temps, des incrédules et des contradicteurs.

Le major Anderson a publié à Calcutta, en 1847, un Mémoire où il s’est proposé d’identifier quelques pays cités dans l’itinéraire de Hiouen-thsang[62]. Non content de vouloir dériver de l’arabe et du persan les mots sanskrits les mieux caractérisés[63], il considère la relation du voyageur comme une composition moderne, basée sur les géographies persanes et arabes et particulièrement sur celle d’Édrisi, dont il admet trois traductions[64] : « la première par Jaubert, la seconde (risum teneatis) exécutée en chinois par l’auteur du Hiouen-thsang, et enfin une retraduction française de celle-ci par Klaproth et Landresse » ! Qu’on s’étonne, après cette belle invention, de lui voir refuser à notre Si-yu-ki, une antiquité de cent ans[65]. Il ne veut y voir « qu’une compilation récente d’un faiseur de livres (bookmaker) »  », qui, « à l’exemple de l’abbé Barthélémy, après avoir lu les voyages de quelque Hiouen-thsang imaginaire, aura voulu publier à son tour le Voyage d’un jeune Anacharsis chinois, où il a raconté les pérégrinations non d’un seul Lama, mais d’un grand nombre, de manière à embrasser et à décrire, dans sa relation romanesque, toutes les parties de l’Asie où s’est établi le bouddhisme ». J’ajouterai, et ce n’est pas la partie la moins plaisante du Mémoire, que l’excentrique major a cru découvrir dans l’ouvrage de Hiouen-thsang « l’influence certaine et presque la collaboration des disciples de Loyola et des Russes ! »

De pareilles rêveries portent avec elles leur réfutation, et nous rougirions de les rapporter s’il n’était de notre devoir d’en faire bonne justice en les livrant à la risée du public.

Un indianiste, qui jouit à bon droit d’une estime universelle, a montré sur le même sujet, nous regrettons pour lui de le dire, une sévérité et une précipitation qui répondent mal à la modération habituelle de son esprit et à la maturité de son jugement. Nous prendrons la liberté de rappeler à cet illustre orientaliste, que la relation de Hiouen-thsang a été composée par ordre impérial en 648, et que peu d’années après la mort de l’auteur (en 669), elle se trouvait déjà analysée en détail dans la grande encyclopédie Fa-youen-tchou-lin ; voilà pour l’âge de l’ouvrage. Quant aux pérégrinations courageuses du religieux bouddhiste, elles sont en Chine de notoriété publique, et se présentent avec la double garantie des biographies contemporaines[66] et des Annales officielles de la dynastie des Thang[67], sous laquelle il a vécu.

Nous aimons à penser que M. Wilson se fera un devoir d’examiner consciencieusement le présent ouvrage, et qu’après l’avoir lu avec toute l’attention dont il est capable, il sera assez juste envers Hiouen-thsang, pour rectifier le premier l’opinion peu mesurée qu’il a émise il y a quelques mois[68], sur la véracité de ce célèbre pèlerin et sur l’authenticité de son voyage.

Combien de fois les critiques des derniers siècles n’ont-ils pas contesté la véracité d’Hérodote, et taxé d’imposture le célèbre Marco Polo lui-même, que de son temps, pour tourner en ridicule la prétendue exagération de ses récits, on appelait habituellement Messer Marco Milione ? Heureusement que les progrès de la science historique et de la géographie n’ont pas tardé à faire justice de ces aveugles préventions, et personne aujourd’hui n’oserait élever un doute sur la loyauté et la bonne foi de ces deux illustres écrivains.

Tout en défendant le caractère honorable de notre auteur, et l’authenticité surabondamment démontrée de sa Relation, nous ne voudrions cependant pas nous porter garant de la vérité d’un grand nombre de récits qui appartiennent moins à l’histoire qu’à la légende. Mais les faits surnaturels et les événements mythologiques qu’offre souvent cet ouvrage, à propos de certains personnages qui sont évidemment du domaine de la fiction, ne donnent à personne le droit d’affirmer qu’il a dû sortir du cerveau de quelque religieux exalté, et que le voyageur lui-même n’était qu’un imposteur ou un personnage imaginaire. Qu’on veuille bien se rappeler que Hiouen-thsang a passé dix-sept ans de sa vie dans un pays où l’histoire est inconnue, au milieu d’un peuple qui, nourri de fictions et de récits surnaturels, ne pouvait, au sujet des temples et des monuments sacrés sur lesquels l’interrogeait notre voyageur, lui raconter autre chose que les légendes dans lesquelles il avait été bercé dès son enfance, et qui remplissaient tous les livres, toutes les chroniques qu’il pouvait consulter. Ces légendes mêmes que l’auteur n’a pu inventer et qui portent au plus haut degré le cachet indien, sont une preuve de plus de sa sincérité et de sa bonne foi.

D’un autre côté, et sans parier de la route qu’il a suivie, dont les détails topographiques annoncent constamment, comme on vient de le voir, un voyageur aussi exact qu’intrépide, les détails qu’il donne[69] sur la position des pays, sur leur étendue, sur la population, le commerce, l’industrie, l’agriculture, les mœurs, les religions, etc. (détails dont les livres chinois antérieurs n’offrent aucune trace), n’ont pu être recueillis que sur les lieux, par un observateur véridique ; et, à moins de vouloir nier la clarté du jour, on ne saurait, sans se faire taxer d’ignorance ou de mauvaise foi, les attribuer à un romancier ou à un faussaire ! Il se peut que les auteurs, dont l’admiration et l’enthousiasme percent à chaque page, aient ajouté certains traits pour donner plus de relief au héros de leur livre, étendu et embelli quelques épisodes, et (ce qui n’est pas sans exemple dans nos classiques les plus autorisés) prêté dans quelques passages, au Maître de la loi, leurs raisonnements habiles et leurs paroles élégantes ; mais ces artifices de langage ne détruisent pas plus que ne l’ont fait les harangues éloquentes attribuées par Thucydide, Tite-Live et Tacite, aux grands capitaines de l’antiquité, l’existence du personnage et la vérité des faits. Le témoignage des savants qui ont étudié l’Inde, soit personnellement, soit dans les livres, viendra en aide à Hiouen-thsang, et, ainsi que le dit un auteur célèbre[70], « sa Relation subsistera comme un monument impérissable, et comblera une immense lacune dans les ouvrages qui traitent de l'histoire et de la géographie des peuples étrangers ».

J’ai besoin maintenant de faire connaître l’auteur qui jeta les bases du présent ouvrage, interrompu par sa mort prématurée, et le religieux à qui nous en devons la continuation et l’achèvement.

Après avoir médité mûrement sur les divers procédés qui pouvaient me conduire, avec quelque certitude, tant au déchiffrement régulier des signes phonétiques, qu’à la restitution des mots indiens noyés dans le vague des traductions chinoises, après avoir amassé jour par jour, pendant longues années, les matériaux bilingues dont j’avais besoin d’être pourvu avant d’aborder l’entreprise que je méditais, j’allais enfin commencer la traduction définitive du grand ouvrage de ' Hiouen-thsang, lorsque j’appris que parmi les nombreux ouvrages chinois que la mission russe venait de rapporter de Péking, se trouvait un texte important, bien connu de moi, mais vainement demandé en Chine, savoir l’Histoire de sa vie et de ses voyages, précédée et suivie d’une multitude de détails biographiques qui manquent totalement dans la relation originale. Je jugeai, en conséquence, qu’il était indispensable de commencer par cet ouvrage, sans renoncer toutefois à publier plus tard le livre même de Hiouen-thsang, si rempli de curieuses légendes et de renseignements archéologiques, recueillis sur les lieux ou puisés par lui-même dans des manuscrits indiens qui n’existent plus aujourd’hui.

J’eus de nouveau recours à la bienveillance extrême de S. E. Mr J. de Dachkow, alors directeur du département asiatique, et, dès que j’eus reçu le texte de l’Histoire de la vie et des voyages de Hiouen-thsang, je me hâtai d’en rédiger la traduction française, que j’ai l’honneur d’offrir aujourd’hui au public. Je ne dois pas dissimuler que cet important ouvrage, composé par deux disciples enthousiastes du Maître de la loi, dans un style dont j’ai regretté bien des fois de ne pouvoir reproduire la grâce, l’élégance et le mouvement, offrait des lacunes extrêmement regrettables, les auteurs ayant omis, presque partout, la description des royaumes et pays dont il est question. J’ai pu heureusement suppléer à cette grave omission en puisant, dans la relation originale, toutes les notices d’histoire, de statistique et de géographie, dont l’absence aurait excité, à bon droit, les regrets des lecteurs. Je les ai publiées à la fin du présent volume, sous le titre de Documents géographiques.

Le premier auteur s’appelait, dans l’origine, Tseu-li, nom que l’empereur Thaï-tsong changea lui-même en Hoeï-li. Dans le monde, son nom de famille était Tchao ; il était originaire de Thien-chouï. Comme ses ancêtres, par suite de leurs fonctions publiques, étaient allés s’établir à Sin-phing, il devint citoyen du royaume de Pin. Son aïeul et son père avaient acquis une grande réputation. Hoeï-li était le troisième fils de I, qui fut membre du cabinet des Archives impériales sous la dynastie des Souï. Dès son enfance, il annonça de grandes dispositions et prit la ferme résolution de renoncer au monde.

À l’âge de quinze ans, il embrassa la vie religieuse et se fixa à Tchao-tcheou, dans le couvent de Tchao-jin. Il s’y fit remarquer par la finesse de son esprit, l’éclat de ses talents, l’élévation et la pureté de son caractère. Sa réputation s’étant étendue au loin, un décret impérial l’appela dans le couvent de la Grande bienfaisance en qualité de traducteur des livres sacrés, sous la direction de Hiouen-thsang ; un autre décret l’éleva ensuite au rang d’administrateur du couvent Ta-youen-sse.

Hoeï-li, considérant qu’il n’existait point d’histoire spéciale des voyages que Hiouen-thsang avait faits dans l’Inde pour aller chercher des livres sacrés, et craignant qu’on ne vînt à les oublier dans les siècles futurs, se mit à rédiger, en cinq livres, l’ouvrage intitulé Ts’e-ngen-san-thsang-hing-tch’ouen[71] (Histoire des voyages du Maître des Trois Recueils, du couvent de la Grande bienfaisance) et mourut avant de l’avoir achevé[72].

La biographie des religieux célèbres, intitulée Song-kao-seng-tch’ouen, nous a fourni (liv.IV, fol. 6) les renseignements qui suivent sur le religieux qui a repris le livre de Hoeï-li et y a mis la dernière main : « On ne sait pas à quelle famille appartenait le religieux Yen-thsong. Vers la fin de la période Tching-kouan (649), il se rendit à la capitale et alla étudier auprès du Maître des Trois Recueils (Hiouen-thsang). Il était fort versé dans toutes les connaissances que cultivaient les bouddhistes et les lettrés, et s’élevait au-dessus des autres par le charme de son élocution et l’élégance de son style.

« À la même époque, vivait dans le couvent de l’occident (Si-sse) un religieux nommé Hoeï-li, d’un caractère fier et superbe, qui se disait appdé à devenir le défenseur de la Loi. Il avait composé une histoire uniquement consacrée à la mémoire du Maître des Trois Recueils (Hiouen-thsang). Dans cet ouvrage, il avait décrit les magnifiques résultats des voyages que ce religieux célèbre avait entrepris et exécutés pendant la période Tching-kouan (de 629 à 645) dans les pays étrangers, et avait raconté, sous une forme noble et brillante, ses longues et périlleuses excursions.

« Lorsque Hoeï-li eut terminé son ouvrage, il le cacha dans un caveau souterrain. Étant tombé malade au bout de quelque temps, et voyant sa fin approcher, il appela plusieurs de ses disciples, et leur fit part de son secret. Ils creusèrent la terre dans un endroit indiqué, mais à peine furent-ils en possession de son travail qu’il expira.

« Après la mort de l’auteur, son manuscrit voyagea de côté et d’autre pendant plusieurs années, et ce ne fut qu’à l’aide de longues recherches et à prix d’argent qu’on finit par se le procurer. Les anciens disciples de Hoeï-li chargèrent Yen-thsong de mettre en ordre les feuillets épars et d’y ajouter une introduction. Dans beaucoup d’endroits, cet ouvrage offrait des erreurs, des contradictions et des lacunes. Yen-thsong fit les changements nécessaires ; il développa la composition originale à l’aide de documents inédits, corrigea les imperfections, éclaircit les endroits obscurs, et donna au travail primitif de Hoeï-li plus d’ampleur, de solidité et d’éclat.

« L’édition préparée par ses soins se composait de dix livres. On ignore en quel endroit Yen-thsong termina ses jours. »

J’aurais voulu, si les bornes de cette préface me l’eussent permis, donner une esquisse rapide de la vie et des voyages des autres religieux qui sont allés dans l’Inde, depuis le ive siècle de notre ère jusqu’au xe pour se procurer des livres sacrés, étudier la doctrine du Bouddha et visiter les monuments élevés en son honneur (voyez ci-dessus, page vi). Mais ce travail aurait occupé ici une place trop considérable. J’aime mieux le réserver pour le second volume, où je me propose de donner, pour la première fois, les itinéraires des cinquante-six religieux des Thang, composés par I-tsing (730), ainsi que le routier de Khi-nie (964). Pour observer l’ordre des dates, je les ferai précéder d’une traduction nouvelle du Fo-koue-ki de Fa-hien (399-416) et de la relation de Song-yun (518-521) qui parcourut tout le Gândhâra et demeura deux ans entiers dans le royaume d’Oudyâna[73].

De cette manière, on trouvera réunis dans un même ouvrage, tout ce qui nous reste des documents historiques et géographiques recueillis par les pèlerins chinois qui ont voyagé à l’occident de leur pays et particulièrement dans l’Inde, et la promesse faite prématurément par Abel-Rémusat se trouvera enfin remplie.

Je me propose de donner en outre, dans le second volume, si cela est en mon pouvoir, une analyse détaillée de la Relation de Hiouen-thsang, analyse que je viens d’achever et qui servira de supplément et de contrôle à l’histoire de ses voyages. Elle sera précédée de l’Histoire descriptive du Magadha, qui forme en chinois cent huit pages in-4o dans la Relation de Hiouen-thsang.

Je voudrais ajouter encore aux documents que contiendra le second volume, tous les renseignements bibliographiques que j’ai pu me procurer sur les livres bouddhiques que mentionne le présent ouvrage, ainsi que les biographies abrégées des religieux éminents qui y figurent avec éclat. Ces dernières notices seraient intercalées à leur date, dans une chronologie traduite dun grand recueil du xiiie siècle, intitulé Fo-tsou-tong-ki, qui offre les faits les plus intéressants pour le bouddhisme indien et chinois, et que j’ai extraits, à partir de la naissance de Çâkyamouni jusqu’à la mort de Hiouen-thsang (664).

Les vies des vingt-six patriarches qui se sont transmis le dépôt de la Loi, suivraient la chronologie, par la raison que les légendes, dont elles sont trop souvent entremêlées, ne permettent point de les confondre avec l’histoire. J’établirais la même démarcation pour un certain nombre de biographies et de mémoires tirés, par les Chinois, des sources indiennes, et qui, malgré une foule de récits mythologiques, ne laissent pas que de fournir des matériaux intéressants pour l’histoire du bouddhisme.

L’ouvrage sera terminé par deux index chinois-sanskrit et sanskrit-chinois, une table des mots français qui ont besoin d’explication, deux cartes chinoises fort anciennes, et enfin par une carte construite exprès pour l’intelligence de l’itinéraire de Hiouen-thsang, par M. Vivien de Saint-Martin, rédacteur en chef des nouvelles Annales des voyages. Je ne terminerai pas cet avant-propos sans payer un tribut d’estime et de gratitude à l’habile géographe que je viens de nommer, bien connu par de savants Mémoires dont plusieurs ont obtenu les suffrages de l’Académie des Inscriptions, et qui poursuit depuis plusieurs années d’importants travaux sur la géographie de l’Inde, travaux que M. Eugène Bumouf a connus et vivement encouragés.

M. Vivien de Saint-Martin, prenant un grand intérêt à l’Histoire des voyages de Hiouen-thsang, a bien voulu la lire au fur et à mesure que j’avançais dans ma traduction, et m’a communiqué, maintes fois, d’utiles rapprochements et d’intéressantes rectifications. Je me plais à reconnaître que si j’ai pu tracer nettement la marche du religieux chinois, d’après la Relation originale, à travers la Tartarie, la Transoxane, l’Inde et le Tokharestan, et son retour en Chine par Kachghar, Yarkand et Khotan, en m’appuyant à la fois sur les cartes et sur les récits des géographes qui ont exploré en grande partie les mêmes contrées, et en invoquant le témoignage des auteurs modernes les plus autorisés ; que si enfin, j’ai réussi à faire évanouir des doutes sérieux et de graves critiques, échappés par mégarde à un indianiste des plus éminents, et à montrer au grand jour la bonne foi de notre illustre pèlerin et l’authenticité de son voyage, j’en suis surtout redevable au concours obligeant et éclairé de M. Vivien de Saint-Martin, qui m’a permis de mettre à contribution ses profondes lectures et son expérience consommée.

Je n’acquitterais que la moitié de ma dette, si je ne laissais éclater, en finissant, ma reconnaissance et mon admiration pour mon meilleur ami, M. Christian Lassen, aujourd’hui le plus illustre représentant, en Europe, de la philologie et de l’érudition indiennes, qui, non content de suivre pas à pas les progrès de la méthode que je cherchais à établir en vue du déchiffrement, de la lecture et de la restitution des mots sanskrits dans les livres chinois, n’a pas dédaigné d’accorder, dans le grand ouvrage qu’il publie, une place honorable à une foule de faits, d’observations et même de documents étendus que je traduisais (sans prétendre à une telle faveur) pour répondre à ses questions multipliées.

Pendant le cours de mon travail, M. Lassen m’a constamment aidé de ses lumières, fortifié par ses conseils, et soutenu par les témoignages les plus flatteurs, que je considère, à bon droit, comme une récompense anticipée de mes veilles et de mes efforts. Je regarde comme un devoir d’ajouter que sa vaste et savante composition « Indische Allerthumskunde », m’a initié, mieux que tout autre ouvrage, à la connaissance d’un monde nouveau pour moi, et qu’elle est venue fournir le plus puissant aliment à mon zèle, en me montrant, presque à chaque page, combien la connaissance de la langue chinoise, appuyée à la fois sur le sanskrit et la nouvelle méthode de transcription, peut offrir de ressources à quiconque voudra désormais étudier dans les Annales du Céleste Empire, l’histoire, la géographie, les antiquités et la littérature religieuse de l’Inde ancienne.

  1. Voici les titres de la plupart de ces ouvrages que cite, avec quelques détails, l’encyclopédie Yu-haï 玉海 :

    Souï-si-yu-thou-ki 隋西域图记 « Mémoires sur les contrées situées à l’occident de la Chine, avec des cartes géographiques, » publiés en trois livres, sous la dynastie des Souï. Cet ouvrage, rédigé vers l’an 606, par Feï-kiu, en vertu d’un décret impérial, embrassait la description statistique de quarante-quatre royaumes. (Voyez le Journ. asiat. de Paris, n° d’octobre 1847.)

    Sous la même dynastie, on publia encore deux ouvrages, savoir : 1° Souï-si-yu-tchi 隋西域志, ou « Description statistique des

    contrées occidentales, » en trois livres ; 2° Souï-si-yu-tao-li-ki 隋西域道里记 « Mémoires sur les distances itinéraires des pays occidentaux, » en trois livres.

    Dans l’année 648 de notre ère, l’empereur envoya dans l’Inde un haut fonctionnaire nommé Wang-youen-tse. On peut voir dans le Journal asiatique de Paris (juillet 1847) « le récit de son expédition, extrait de Ma-touan-lin. À son retour, il publia un ouvrage intitulé Wang-youen-tse-tchong-thien-tchou-hing-ki 王元策中天竺行记. « Mémoire de Wan-youen-tse sur son voyage dans l’Inde centrale. »

    La même encyclopédie cite encore un Routier des contrées occidentales, par Tching-sse-tchang 程士章西域道里记 (en 3 livres) et la Relation du voyage de Wei-hong-ki dans les contrées occidentales 韋弘机西域道里记, également composés sous les Thang dans la première moitié du viie siècle.

    Un ouvrage plus important encore était le Thang-si-yu-thou-tchi 唐西域圖志 « Description géographique et statistique des contrées occidentales, avec des cartes, » en quarante livres, qui fut terminé et présenté à l’empereur, l’an 658 de notre ère. (Voy. le Journ. asiat, n° d’octobre 1847.)

  2. Chi-tao-’an-si-yu-tchi 释道安西域志. (Voyez l’encyclopédie Youen-kien-louï-han, publiée en 710, liv. CCCXVI, f. 10, et la biographie de ce religieux dans Chin-seng-tch’ouen, liv. II, f. 1.)
  3. Si-yu-tchi-lou-chi-kiouen 西域志六十卷 ; Hoa-thou-sse-chi-kiouen 画圖四十卷 « Description des contrées occidentales, en soixante livres, avec quarante livres de dessins et de cartes. » (Voy. l’encyclopédie Fa-youen-tchou-lin, liv. CXIX, fol. 23.)
  4. Voy. dans le Journ. asiat. de Paris, octobre 1847, le préambule de l’article intitulé Renseignements bibliographiques sur les relations de voyages, etc.
  5. Fo-koue-ki 佛國记. Cet ouvrage fut appelé aussi Fa-hien-tch’ouen 法顯傳 « Histoire de Fa-hien », et Fa-hien-hing-tch’ouen 法顯行傳 « Histoire du voyage de Fa-hien ». L’encyclopédie intitulée Thong-tien, publiée sous les Thang, cite cette relation, mais comme l’empereur Tchong-tsong avait le petit nom de Hien , les écrivains de cette époque étaient obligés d’en éviter l’emploi, et d’y substituer un synonyme. De là vient que Thou-yeou, auteur du Thong-tien, a donné à ce voyageur le nom de Fa-ming 法明. Le Catalogue impérial de Khien-long dont nous avons donné la notice sur le Fo-koue-ki dans le Journ. asiat., (oct. 1847), nous apprend un fait intéressant pour l’intelligence de certains passages de cette Relation, savoir, que l’auteur, en vue du nom de Madhyadéça, appelle l’Inde Tchong-koue 中國, ou « le royaume central » (expression qui désigne ordinairement la Chine), et il caractérise le royaume du milieu proprement dit par Pien-ti 邉地 « le pays des frontières ».

    Le texte chinois a été imprimé plusieurs fois. On le trouve à la Bibliothèque impériale, dans les Recueils Tsin-taï-pi-chou, sect. x, Han-wen-tsong-chou, sect. iv, et Choue-feou, liv. LXVI.

    La traduction française : Fo-koue-ki, ou Relation des royaumes bouddhiques, traduite et commentée par Abel-Rémusat, etc. (in-4o , 1836), se vend à Paris, chez B. Duprat, no 7, rue du Cloître-St-Benoît.

  6. Seng-hoeï-sing-sse-si-yu-ki 僧惠生使西域記. Le texte chinois de cette relation se trouve dans le Ve livre de l’Histoire des temples bouddhiques de la ville de Lo-yang, qui fait partie du recueil Tsin-taï-pi-chou, sect. x.
  7. Ta-thang-si-yu-ki 大唐西域记 « Mémoires sur les contrées occidentales, publiés sous les Thang ». Le titre de l’édition impériale nous apprend un fait extrêmement curieux que personne n’avait remarqué, quoiqu’il soit consigné dans Ma-touan-lin (liv. CVI, fol. 6), savoir, que cet ouvrage fut traduit des langues de l’Inde, en vertu d’un décret impérial, par Hiouen-thsang, maître versé dans la loi des Trois Recueils : 三藏法师玄奘奉诏译. Cette expression ne doit pas être prise à la lettre : elle veut dire que la partie fondamentale de l’ouvrage, concernant l’histoire, l’archéologie, les légendes, etc. a été tirée de sources indiennes ; car il est évident que l’indication des distances qui séparaient les lieux visités par le voyageur, et une foule d’observations personnelles, n’ont pu émaner que de Hiouen-thsang lui-même. Comme ce religieux, qui n’avait parlé que des langues étrangères, pendant une absence de dix-sept ans, avait peut-être perdu l’habitude d’écrire dans sa langue avec toute l’élégance requise, la rédaction officielle de ses Mémoires sur les contrées occidentales fut confiée à Pien-ki, religieux attaché au couvent Ta-tsong-tchi (大總持沙門辯機撰).
  8. Ta-thang-ts’e-’en-sse-san-thsang-fa-sse-tch’ouen, Hoeï-li-pen-chi-yen-thsong-tsien 大慈恩寺三藏法師傳。惠立本。釋彦悰箋。十卷。.
  9. Ta-thang-khieou-fa-kao-seng-tch’ouen. Thang-seng-i-tsing-tsiouen 大唐求法高僧傳。唐僧義净撰。二卷。 (Cf. Ma-touan-lin, liv. CXVII, fol. 16.)

    Il parait certain que l’auteur de la préface du Fo-koue-ki ne connaissait qu’imparfaitement cet ouvrage, lorsqu’il a dit (p. 42) : « On a, en deux livres, le Catalogue des Relations écrites par cinquante-six religieux, qui, pendant les trois siècles des Thang (618-904), entreprirent des voyages dans l’Occident. » En effet, les détails peu étendus qui se rapportent à chaque religieux, ne méritent pas de s’appeler des Relations, et, d’un autre côté, ils sont dus à un seul auteur (I-tsing), qui mourut presque deux cents ans avant la fin des Thang.

  10. Khi-nie-si-yu-hing-tching 繼業西域行程.
  11. Ce petit fragment a été réimprimé dans la xviiie section du grand Recueil Tchi-pou-tso-tchaï (en deux cent quarante volumes) que possède la Bibliothèque impériale.
  12. Mélanges posthumes, p. 77, en note.
  13. Klaprolh, au contraire, dans un petit mémoire en allemand, lu le 15 mars 1834, à la Société géographique de Berlin, affirme que c'est lui qui a découvert, dès 1816, non seulement la Relation de Fa-hien, dans le Tsin-taï-pi-chou, mais encore les fragments de Hiouen- thsang, dans la collection intitulée Pien-i-tien, de la Bibliothèque impériale.
  14. Depuis cette époque, j’ai reçu de M. Robert Thom, ancien consul à Ning-po, un second exemplaire de l'édition impériale, que j'ai renvoyé en Chine pour être gravé et imprimé à mes frais, et de plus, un exemplaire in-4o oblong, d’une impression très-ancienne.
  15. La preuve de ce que j’avance se trouve dans un morceau très-étendu de Hiouen-thsang, traduit par Rémusat et publié dans le Fo-koue-ki, p. 52-59, qui montre que le style de la Relation aurait dû être pour lui l’objet d’une étude particulière, car il y a telles pages (par exemple, 57, 58) dont presque pas une phrase n’a été comprise ni traduite correctement. Plus tard, je publierai ce morceau avec le texte chinois, non pour le plaisir de critiquer, mais pour montrer les progrès qu’a faits chez nous l’étude de la langue chinoise, qu’il a eu le mérite de fonder en France. La haute estime que professent à bon droit les orientalistes pour M. Abel-Rémusat, ne doit pas les empêcher d’être très-réservés et très-circonspects lorsqu’ils citent son Fo-koue-ki. En effet, cet ouvrage, très-recommandable pour l’époque où il a été publié, n’est pas sans dangers pour les personnes qui ne sont pas en état de vérifier ses traductions sur le texte chinois. Je me contenterai de citer quelques exemples. Faute de connaître une importante règle de position grammaticale, dans les passages relatifs à la dimension des statues, il a constamment pris les fractions pour des nombres entiers, comme si l’on disait en français, 50 mètres (150 pieds) au lieu de 1m, 50 (4 pieds 1/2). Ainsi, p. 34, 1 tchang 8 (pieds) ou 18 pieds chinois (le tchang vaut 10 pieds chinois), devienent à ses yeux 8 tchang ou 80 pieds chinois ; p. 148, 1 tchang 6 (pieds) ou 16 pieds chinois, équivalent, selon lui, à 6 tchang (60 pieds chinois).

    Dans les livres bouddhiques des Chinois, le mot indien Bôdhi (Intelligence), le principal attribut du Bouddha, a pour équivalent Tao, , qui a une signification particulière chez les Tao-sse, et de là est venu, depuis la dynastie des Tsin jusqu’à celle des Song (265-420 après J. C), l’usage de donner aux religieux bouddhistes le nom de Tao-jin 道人 « les hommes de l’Intelligence », ou « prétendant à l’Intelligence », qui est considérée comme le plus haut degré de la perfection. Abel-Rémusat, ignorant cette importante acception, a pris les Tao-jin 道人 (c’est-à-dire les religieux bouddhistes, souvent cités par Fa-hien) tantôt pour des prêtres de la secte de Lao-tseu, chez qui il expliquait le mot Tao par raison, λόγος (Fo-koue-ki, pag. 22), tantôt pour des voyageurs ou hommes en chemin (ibid. p. 98), parce que Tao signifie souvent « voie, chemin ». Klaproth a été beaucoup plus loin, lorsqu’il avance (ibid. p. 230) que le Richi Asita, qui tira l’horoscope de Çâkyamouni, au moment de sa naissance, était un Tao-

    sse ; de cette façon, la secte des Tao-sse aurait existé dans l’Inde avant la venue du Bouddha, et bien avant la naissance de Lao-tseu !

    Le même mot Tao « Intelligence » (Bôdhi) a encore induit en erreur Rémusat et Klaproth, qui, dans tous les passages signifiant « obtenir l’Intelligence » 得道, « devenir Bouddha » ; arriver à « l’Intelligence accomplie » 成道, ont toujours traduit : « obtenir la doctrine, obtenir la Loi, — accomplir la doctrine, accomplir la Loi ». (Fo-koue-ki, p. 171, 198, 213, 224, 227, 235, 276.)

    Citons un dernier exemple : Un religieux bouddhiste de l’Inde, dont on a fait encore un sectateur de la Raison, expose les livres sacrés (Fo-koue-ki, p. 351) devant une assemblée dont Fa-hien faisait partie, et raconte que le pot du Bouddha se trouve actuellement dans le Gândhâra (pris à tort pour le Kandahar, ibid. p. 353, note 5), que dans tant de centaines d’années (若干百年), il retournera dans le royaume des Youeï-tchi, etc. La même locution, employée cinq fois dans la même page, a été traduite par onze cents ans. Une note jointe au texte nous apprend qu’au moment où Fa-hien entendit faire cette lecture, le religieux indien avait nettement articulé le nombre des années ; l’ayant oublié, lorsqu’il rédigea sa relation, il se vit obligé d’employer la locution vague jo-kan 若干 « tant » (dont le second signe, écrit ici thsien « mille » au lieu de kan, était extrêmement facile à rétablir, l’expression jo-thsien-pe 若千百 « comme mille cent » pour dire « onze cents » n’existant pas en chinois).

  16. Dans le Fo-koue-ki, p. 323, on trouve Ho-kia-lo pour Vyâkaraṇas « les prédictions » ; P’o-t’o, pour les Avadânas « les comparaisons » ; l-ti-mo-to, pour Itiyouktas « les récits » ; ce sont trois des douze sections des Livres sacrés.

    Klaproth cite (ibid. p. 325) les cinq écoles qui s’établirent dans les cinq cents premières années qui suivirent la mort du Bouddha :

    1o Dans l’orthographe Tan-wou-te, il n’a pas su reconnaître les

    Dharmagouptas « les gardiens de la Loi » ; il y voit le mot Tamoghna « destructeur de l’obscurité » ;

    2o Dans Sa-p’o-to (lisez les Sarvâstitâdas « ceux qui affirment l’existence de toutes choses »), il voit « la somme ou les préceptes des lectures d’Oupâli » ;

    3o Dans Kia-ye-i (lisez les Kâçyapîyas, ou « sectateurs de Kâçyapa »), il voit « la contemplation du double Vide » ;

    4o Dans Mi-cha-sai, il n’a pas su lire les Mahîçâsakas « ceux qui convertissent le monde » ;

    5o Et dans P’o-ts’o-fou-lo, les Vâtsîpouttrîyas, ou « les sectateurs de celui qui, suivant une légende, était né d’un veau » (de vatsa « veau » et de pouttra « fils »).

  17. Ainsi, sans le travail préparatoire dont je parlerai plus bas, je n’aurais pu rétablir Bhâskaravarma avec les sons Pouan-sai-kie-lo-fa-mo, ni Djyôtichka avec Tchou-ti-sse-kia. On en peut dire autant des noms propres chinois Te-hoeï (Gouṇamati) et Kien-hoeï (Drîḍhamati) dont Hiouen-thsang (Si-yu-ki, liv. XI, fol. 17) avait omis la forme indienne.
  18. Le mot Fan est l’abréviation de Fan-lan-mo (Brahmâ) ; les mots Yen « paroles », et Yu « langage », précédés de Fan , signifient « mots indiens, langue indienne ».
  19. On verra plus bas (p. xvii, 1. 8) que l’emploi de ces sortes de mots ne dépendait point du goût ou du choix des écrivains bouddhistes.
  20. Il ne suffit pas de connaître le sens affecté au mot indien qu’on rencontre et qu’on veut écrire correctement, il faut encore 1o que ce mol soit complet et fidèlement transcrit ; car, par exemple, l’expression Che-wang 闍王 « le roi Che » qu’on rencontre souvent, ne conduirait pas à Adjâtaçatrou, ni Che-li 闍黎 à Atchâryya « un maître » ; 2o de plus, comme le sens affecté à un mot peut être général ou littéral, il faut connaître sa véritable signification ; par exemple, les mots Fong-te 豐德 « vertu florissante » ne serviraient de rien pour découvrir dans la leçon tronquée et corrompue Che-weï 舍衛 forme correcte Çrâvastî (nom de royaume), dont le sens littéral est « (où) l’on écoute », et qui doit être écrite Chi-lo-fa-si-ti 室羅筏悉底.
  21. J’ignore absolument de quelles nomenclatures M. L. veut parler, car je n’en connais aucune de ce genre dans la collection chinoise de la Bibliothèque impériale, aujourd’hui la plus riche de l’Europe. Le Vocabulaire pentaglotte, le seul qu’on puisse appeler une nomenclature théologique, ne saurait donner la transcription sanskrite des mots indiens exprimés phonétiquement par Fa-hien et Hiouen-thsang, et encore moins des mots Fan que ces deux auteurs se sont contentés de présenter sous leur forme chinoise. En second lieu, comme la langue sanskrite possède souvent plusieurs synonymes pour exprimer la même idée, et que, d’ailleurs, ces mots sont traduits tantôt littéralement, tantôt d’une manière générale, il est presque impossible (à moins de recourir aux moyens et aux procédés que nous exposerons plus bas) de remonter, dans le plus grand nombre de cas, au mot sacramentel que l’auteur avait en vue.
  22. Préface du dictionnaire Fan-i-ming-i-tsi, liv. I, fol. 1.
  23. Fa-yen (Dharmamêgha) commet ici une erreur en disant que ces sons correspondent aux mois chinois Tching-pien-tchi 正遍知 « doué d’une intelligence universelle », qui sont une des qualifications du Bouddha, et dont l’équivalent indien n’est pas Anouttara bôdhi, mais Samyaksambouddha. Cf. Vocab. pentaglotte, liv. I, fol. 1.
  24. Mâtanga vivait sous l’empereur Ming-ti, des seconds Han (56-75 de notre ère).
  25. Ces recueils sont les dictionnaires intitulés Hiouen-ing-i-tsie-king-in-i, vingt-cinq livres en huit volumes, et Fan-i-ming-i-tsi, vingt livres en six volumes, dont il sera parlé plus bas, pag. xxiii.
  26. Dans le Fo-koue-ki, p. 387, on a donné les sons suivants comme noms de cinq rois de Magadha :Lo-kia-lo-a-yi-to ;Fo-tho-kiou-to ;Tha-ka-to-kiou-to ;Pho-lo-a-yi-to ;Fa-tche-lo ; lisez Çakrâditya, Bouddhagoupta, Tathâgatagoupta, Bâlâditya, Vadjra.

    À l’article 44, pag. 381, qui reconnaîtrait le royaume de Himatala (dérivé de hima « neige » et tala « au-dessous », en chinois 雪山下) dans Sse-ma-tsia-lo, dont on a fait un roi de Tou-ho-lo (Toukhâra), qui aurait régné six cents ans après le Nirvâṇa ?

    Dans l’article Magadha déjà cité, il y a encore plusieurs mots indéchiffrables, à moins d’en connaître les éléments orthographiques et le sens en sanskrit. Par exemple : la montagne Po-lo-nou-po-ti (pour Prâgbôdhi « intelligence antérieure ») ; la forêt Si-se-tchi (pour Yachṭivana « la forêt des bâtons ») ; Kiu-tche-ko-lo-pou-lo (pour Kouçâgarapoura « ville dont les palais voient croître l’herbe sacrée kouça ») ; Ko-lo-tche-kou-li-sse (pour Râdjagriha). Il est vrai que, dans ce dernier cas, on a bien donné le sens de « maison du roi », mais comment arriver rationnellement au mot indien avec les sons qui précèdent ?

  27. Je me bornerai à citer le mot Kia-lan, abréviation de Seng-kia-lan, que l’on rencontre à chaque pas dans le Fo-koue-ki. M. Rémusat nous apprend (page 19) que M. Eugène Burnouf, à qui il avait soumis ces sons et leur interprétation, proposa de les restituer par le mot Sañghâgâram. Mais la lecture correcte était Samghârâma « couvent », qui résulte des sons Seng-kia-lo-mo 僧伽羅蘑. (Thang-chi-youen-ing-i-tsie-king-in-i, liv. XIV, fol. 3.)
  28. 唐釋元應一切經音義.
  29. 翻譯名義集.
  30. J’appelle signe simple celui que les meilleurs interprètes emploient uniquement pour figurer la même lettre, par exemple na pour ṇa (avec l’n cérébral) ; et signes multiples les caractères différents qu’on rencontre dans les divers auteurs comme répondant à une même lettre. Ainsi, pour a , j’ai trouvé ngo 阿。惡。 。堊。閼  ; ngan 安。 ; ’o  ; ho  ; ko 遏。廅 ; etc.
  31. 欽定同文韻统 livres en quatre volumes.
  32. 景祐天竺字源。七卷. Cet ouvrage, dit Ma-touan-lin (liv. CCXXVII, fol. 14) « a été compilé et présenté à l’empereur par les religieux Siang-tsing, etc. Les signes chinois et indiens sont placés en regard avec l’indication de leur valeur respective. On y compte douze sons, c’est-à-dire douze articulations pour les voyelles et les diphthongues, et trente lettres ou consonnes qui, sous le nom de mères, (à cause du grand nombre de sons qu’elles produisent quand elles sont suivies des voyelles ou des diphthongues), sont divisées en cinq classes : 1o les dentales ; 2o les palatales ; 3o les linguales ; 4o les gutturales ; 5o les labiales.

    L’ouvrage est précédé d’une préface de l’empereur Jin-tsong.

  33. Ce catalogue est intitulé 至元法寳勘同總录 dix cahiers in-fol. oblong. Il appartient au département asiatique de Saint-Pétersbourg. Le syllabaire chinois-indien dont nous venons de parler s’y trouve dans la section marquée du caractère in (音字號), l’un derniers signes du livret des mille mots qu’on a employés comme chiffres dans la classification de la grande collection bouddhique. Nous osons recommander ces indications aux membres de la mission russe de Péking, qui seuls pourraient faire acheter ou copier ce précieux ouvrage et en doter les sinologues européens, dont les travaux ont pour but de faire connaître l’histoire, la géographie, la littérature et les doctrines de l’Inde ancienne.
  34. Voyez le Journal asiatique de Paris, novembre-décembre, 1849, tome XIV.
  35. Ainsi, tch’a figure ḍa dans Drâviḍa, tchi se trouve pour ṭi dans kôṭi ; pour ce dernier son, on emploie aussi tchi 知 。穉。檡。。恥。 tchouï 椎。槌。 ts’e  ; etc.
  36. Devant la première syllabe des mots qui commencent en sanskrit par ra, les interprètes mettent ordinairement ngo, ho, ko (a de notre alphabet) ; ils écrivent, par exemple, Ko-lo-heou-lo pour Râhoula (nom propre) ; Ngo-lou-pa pour Roûpya « argent » ; Ko-lo-che-pou-lo (Fo-koue-ki, p. 381, art. 44) pour Râdjapoura. Nous avons fait quelque chose d’analogue lorsque nous avons ajouté un e devant les mots dont le radical latin conmiençait par sp (par exemple espérance, de sperare) ou par sc (escalier, échelle, venant de scala).

    Citons encore un autre procédé, que nous avons aisément découvert en analysant un grand nombre de mots. La langue chinoise ne possédant point de signes propres à figurer certaines lettres sanskrites suivies, par exemple, de r, k, t, comme dra, ska, sta, les interprètes se sont servis de deux caractères commençant chacun par la consonne requise et se terminant par la même voyelle ou diphthongue ; ils ont ainsi écrit ta-la pour tra, sa-ka pour ska, sa-ta pour sta, sou-tou pour

    stou, etc. Ce principe une fois connu, il est aisé de trouver Stoûpa dans Sou-tou-po, et Çatadrou dans Che-to-t’ou-lou, pourvu toutefois qu’on possède déjà la synonymie des signes phonétiques.
  37. J’ai déjà montré, p. xvi, note 1, et ci-après p. xxxii, par les exemples 1, 2, 3, 4, qu’il est impossible de lire correctement ou de restituer les mots qui n’offrent pas ce double caractère, savoir une transcription régulière et une traduction fidèle. Autrement, on ne peut y réussir que lorsque ces mots sont compris dans les deux dictionnaires déjà cités, page xxiii, notes 1, 2, et qu’à l’aide d’index, alphabétiques ou par clefs, on peut remonter à l’instant d’une transcription tronquée ou corrompue à la transcription régulière, et d’une traduction fausse à la traduction littérale (voy. p. xvi, note 1).
  38. Voir l’épithète faultless (exempt de fautes) dans le Dict. anglais-sanskrit de Monier Williams, in-4o, Londres, 1851.
  39. 殊妙身佛。 nom du sept cent vingt-neuvième Bouddha du Bhadra kalpa.
  40. 妙光佛。 nom du neuf cent trentième Bouddha.
  41. 最清净佛。 nom du sept cent trente-quatrième Bouddha.
  42. 不可說佛。 nom du sept cent trente-troisième Bouddha.
  43. 水天德佛。 nom du sept cent quarante-troisième Bouddha.
  44. 阿毘曇 ou 毘曇.
  45. On trouve aussi, dans le même sens, Hoeï-lun 慧論 « le Traité de l’intelligence ». Voy. le Dictionnaire bouddhique Fan-i-ming-i-tsi, liv. IX, fol. 11.
  46. Par exemple : Ling-kia-’o-p’o-to-lo-king (Langkâvatâra soûtra) et Miao-fa-lien-hoa-king (Saddharma poundarîka soûtra).
  47. Voyez plus haut, pag. xxviii, note 1.
  48. J’ai donné la liste alphabétique de ces titres chinois-sanskrits dans le Journal asiatique (novembre-décembre, 1849, tom. XIV), en offrant un spécimen des sons barbares sur lesquels j’avais à opérer pour restituer la lecture et l’orthographe des mots indiens. Contre mon attente, l’alphabet harmonique, que j’avais péniblement construit, ne me fut presque d’aucun secours, et il me fallut en composer peu à peu un autre à l’aide des signes que je parvenais à identifier avec les lettres indiennes, au fur et à mesure que j’avançais dans le déchiffrement des titres indiens.

    J’ai besoin de dire ici ce qu’il faut penser des titres d’ouvrages indiens qui sont suivis d’un signe de doute (?) dans le présent ouvrage. Ce sont ceux que j’ai composés moi-même avec des éléments déjà employés, et que je n’ai point osé présenter comme existant réellement, quoique souvent leur transcription ou leur restitution me fut bien démontrée. Par exemple, dans Che-li-fo-a-pi-t’an-lan, je savais parfaitement que les trois premières syllabes répondaient à Çâripouttra, a-pi-t’an à Abhidharma et lun à Çâstra, et j’aurais pu écrire sans scrupule Çâripouttrâbhidharmaçâstra ou le Traité de Çâripouttra sur la métaphysique.

    J’ai suivi la même méthode pour les noms propres d’hommes, de lieux, etc. Dans Youeï-kouang 月光 « celui qui a l’éclat de la lune », on peut être sûr que le premier mot répond à tchandra et le second à prabhâ ; j’ai cru cependant devoir montrer une égale réserve en écrivant Tchandraprabha (?).

    Ces explications étaient tout à fait nécessaires pour rassurer les

    qui auraient pu croire, en voyant un grand nombre de signes de doute (?), que l’ouvrage était rempli de mots altérés ou incertains.

    Je me suis imposé la même loi lorsqu’il s’agissait de noms de lieux inconnus dans la géographie, surtout de ceux de la Transoxane et du Tokharestan, dont les éléments n’étaient pas indiens. Là, j’ai donné aux caractères chinois les sons que me fournissait mon alphabet, et, comme le doute était mieux fondé encore que dans les deux cas ci- dessus, je n’ai pu éviter d’avertir le lecteur par le même signe pour éveiller son attention et amener peut-être la rectification de la lecture que j’ai proposée.

  49. Klaproth, dans le petit Mémoire allemand cité plus haut, page ix, note 1, et où il a tracé fort inexactement l’itinéraire de notre voyageur (voy. pag. xxxix, ligne 9), dit : « qu’à l’aide des secours qu’il vient d’énumérer, il commencera l’année prochaine (1835) une traduction de la Relation de Hiouen-thsang. »
  50. On lit dans l’Encyclopédie Yu-haï (liv. XVI, fol. 5) : Hiouen-thsang visita cent trente-huit royaumes du Si-yu et décrivit les montagnes, les rivières, les villages, les mœurs et les antiquités. On ajoute, en note, l’opinion d’un auteur chinois qui affirme que le voyageur ne visita que cent dix royaumes ou pays, et qu’il n’acquit la connaissance des autres que par les livres ou la tradition. (Voy. p. xxxviii, n. 1.)
  51. Si-yu-ki, liv. XII, fol. 29.
  52. 書行者。亲遊踐也。舉至者。傳聞記也。.
  53. J’ai donné dans l’Appendice, page 463, le catalogue de ces cent trente-huit royaumes, et j’ai distingué par des petites capitales ceux que le voyageur n’a pas visités.
  54. Dans le mémoire cité page ix, noie 1.
  55. Die Marschroute Hiouen-thsangs, so wie die Einleitung und die Nachschrift zur Reise selbst. Cet Épilogue se trouve dans le Pien-i-tien, liv. XLIII, sect. Si-fang-tchou-koue-tsong-pou-i-wen, § i.
  56. « Schiffte sich zu Singhala oder Ceylon ein, das er ausführlich beschreibt. Nachdeni er Ceylon verlassen, kehrte er wieder nach « Hindustan zurück. »
  57. Pour les Chinois du nord, cette expression le fleuve, prise ainsi dans un sens absolu, désigne le Hoang-ho, ou « fleuve Jaune ».
  58. On lit dans le Pien-i-tien, liv. LV, art. Kioue-tchi : Ces montagnes sont hautes de plusieurs milliers de pieds. Sur leur sommet, on voit beaucoup d’ognons qui sont comme enlacés ensemble « et forment un immense réseau. Le nom étranger de ces montagnes est Tartachi daban.
  59. Voici un exemple de cette confusion. Dans le dictionnaire Fan-i-ming-i-tsi, liv. VIII, fol. 8, on trouve Sa-che-lo-po 薩闍羅婆 pour Sa-che-lo-so 薩闍羅娑 Sardjarasa, « sorte de résine. »
  60. L’histoire et la description du Magadha forme, dans le Si-ya-ki, cent huit pages in-4o ; c’est presque deux fois l’étendue du Fo-koue-ki.
  61. Les habitants de ce pays sont cités sous le nom de Kadjingas, dans le Vichṇu pourâṇa de M. Wilson, p. 196.
  62. An Attempt to identify some of the places mentioned in the Itinerary of Hiouen-thsang. By major W. Andenon, Beng. artill. (Journ. of the Asiat. Society of Bengal, december 1847).
  63. Par exemple, au lieu de Lo-i-ta-kia (Lôhitaka « rouge » ), il propose Lal tukeyuh. Dans Tchi-na-lo-che-fo-ta-lo (Tchîna râdjâ pouttra « fils du roi de la Chine » ), il trouve tout simplement les mots persans Cheene shuftaloo, « pêches de Chine. »

    M. Anderson nous apprend qu’après bien des tentatives inutiles, pour identifier quelques-uns des pays cités, il a eu l’idée de substituer l’alphabet arabe et persan à la prononciation française de l’original chinois. Il ajoute que son travail a été couronné d’un succès qu’il n’avait pas osé espérer ; c’est ce que nous allons voir. Son procédé est bien simple : Il prend une prononciation chinoise, par exemple Tsao (p. 1185, n° 10), qu’il veut identifier avec Soorum; il retranche les lettres qui le gênent et trouve, ou à peu près, le mot dont il a besoin. « En retranchant, dit-il, l’n final et I’r nous avons à l’instant Tsao pour Soorum. » Ce n’est pas plus difficile que cela.

    Citons encore un exemple (p. 1186, n° 14). Il y a dans le texte Fa-ti, dont la traduction chinoise est Si-’an « le repos de l’orient. » Il réunit le nom propre étranger Fa-ti à la traduction chinoise Si-’an, et dit : « Fa-ti Si-’an est évidemment Budukhchan, le kh étant prononcé comme h et cette lettre-ci ayant disparu comme aspirée.

    Grâce à ce système ingénieux et moyennant un tout petit changement, on pourrait identifier Presbourg ou Phalsbourg avec Pétersbourg,

    Lisbonne avec Libourne, Louvain avec Louviers, Bargos avec Parga ! Notre major d’artillerie ne fait rien de moins hardi lorsqu’il prétend trouver Circassia dans Chi-khi-ni (Sighnak), Goorukpoor dans Ko-lo-che-pou-lo (Râdjapoura), Chinyout dans Tchînapati (prince de Chine), Semundus dans Hi-mo-ta-lo (Himatala), Guznee (Gazni) dans Ki-kiang-na (le Kikan des Arabes), Kofadeyan dans Kie-pou-tan-na (Kapôtana), etc.

    Pour être juste, je dirai, en terminant, que M. Anderson a néanmoins donné avec exactitude un certain nombre d’identifications qui sautaient aux yeux, comme Kharizm pour Ki-li-sse-mo, Bolor pour Po-lou-lo, Kolom pour Ko-lou-mo, Kotol pour Ko-tou-lo, etc.

  64. « We have thus Edrisi : French translation by Jaubert. — Chinese « translation by the author of Hiouen-thsang. — French retranslation by « Klaproth and Landresse. »
  65. « The présent nomenclature cannot claim for the work of the Chinese author, in its present form, an antiquity of one hundred years. »
  66. Tao-siouen, qui florissait vers 649, a décrit dans les livres IV et V de son Supplément à l’histoire des religieux célèbres (Sou-kao-seng-tch’ouen), la vie et les voyages de Hiouen-thsang. Cf. Khaï-youen-chi-kiao-lo (liv. XIX, fol. 18), immense catalogue bouddhique, en vingt livres, publié l’an 730 de J. C.
  67. Voy. l’édition impériale des Anciennes annales des Thang (Khieou-thang-chou), liv. CXCI, fol. 21.
  68. « It is of a legendary, that is of a very mendacious character, and is not calculated to inspire any prepossession in favour of the authenticity of Hiouen-thsang’s travels. » Journal of the royal Asiatic Society, vol. XIII, p. 213.
  69. Voir les Documents géographiques, p. 353, 461.
  70. Tch’ang-choue, ministre d’État et prince de Yen, auteur de la préface et de l'éloge de la Relation originale. Si-yu-ki, liv. I, fol. 5, et liv. XII, fol. 39.
  71. Voy. le titre complet, p. vi, note i.
  72. Ces détails sont extraits du grand catalogue bouddhique, Khaï-youen-chi-kiao-lou (liv. XIX, fol. 16), publié sous les Thang, en 730.
  73. M. Ch. Fried. Neumann a déjà publié en allemand la Relation de Song-yung, dans son mémoire intitulé Pilgerfahrten buddhistischer Priester, etc.