Histoire de la vie de Hiouen-Thsang et de ses voyages dans l’Inde/Livre 4

慧立 Hui Li, 彦悰 Yan Cong
Traduction par Stanislas Julien.
(p. 176-227).
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LIVRE QUATRIÈME.


Ce livre commence à Tchen-po (Tchampâ) et finit au moment où le voyageur reçoit une invitation du roi de Kia-mo-leou-po (Kâmaroûpa).
De là il suivit le rivage méridional du fleuve King-kia {Gange), fit trois cents li à l’est, et arriva au royaume de Tchen-po [Tchampâ)^^1. Il y a dix Sam̃gharamas, où l’on compte environ trois cents religieux qui observent la doctrine du petit Véhicule.

La capitale est entourée de murs en briques, hauts de plusieurs dizaines de pieds, et de fossés larges et profonds, qui la protégent contre les attaques des ennemis.

Jadis, au commencement des Kalpas, tous les hommes habitaient dans des cavernes ; dans la suite, il y eut une fille du ciel qui descendit au milieu d’eux. Un jour cprdle se baignait dans le Gange, elle eut des relations avec le génie du fleuve, et mit au monde quatre fils qui se partagèrent le Tchen-pou-tcheou (Djamhoudvipa), tracèrent des limites, bâtirent des villes et régnèrent. Cette ville était la résidence royale d’un des quatre fils.

À plusieurs dizaines de Yeou-sun (Yôdjanas) des frontières méridionales de ce royaume, il y a de grandes montagnes couvertes de forêts sombres et épaisses, qui occupent un espace de deux cents li, et où habitent des

1 Inde centrale. éléphants sauvages qui errent par centaines. C’est pourquoi les princes des deux royaumes de I-lan-na (Hiraṇya parvata) et de Tchen-po (Tchampâ) comptent dans leurs armées un nombre immense d’éléphants. En toute saison, ils envoient dans cette forêt, des chasseurs d’élégants, qui en prennent et les domptent pour traîner les chars. On y voit aussi beaucoup de loups, de rhinocéros et de léopards noirs, de sorte que personne n’ose traverser ces forêts.

Suivant ce que rapporte la tradition, anciennement, avant la naissance du Bouddha, il y eut un pâtre qui conduisait plusieurs centaines de bœufs. Quand ils furent arrivés au milieu de la forêt, l’un d’eux s’écarta du troupeau et s’en alla seul. Le pâtre le crut perdu. Le soir, le bœuf voulut revenir ; quand il fut arrivé au milieu du troupeau, il parut tout rayonnant et d’une beauté remarquable. Ses mugissements mêmes avaient quelque chose d’extraordinaire. Les autres bœufs furent tous saisi de crainte et n’osèrent rester devant lui. Cela ayant duré pendant longtemps, le pâtre en fut émerveillé et l’observa avec beaucoup d’attention ; mais bientôt il s’enfuit encore. Le gardien courut aussitôt à sa poursuite. Il le vit entrer dans le creux d’un rocher et l’y suivit. Quand il eut fait quatre à cinq li, le souterrain s’élargit tout à coup et se trouva comme éclairé par une grande lumière. Il aperçut alors un bois riant, rempli d’arbres chargés de fruits, et des plaines ornées des leurs les plus rares ; l’œil en était ébloui et charmé. C’était un spectacle ravissant que l’on ne saurait rencontrer ici-bas. Il vit le bœuf brouter, dans un lieu écarté, une herbe aux feuilles lustrées et odorantes, tout à fait inconnue parmi les hommes. Les fruits des arbres étaient jaunes comme de l’or, d’une odeur exquise et d’une grosseur remarquable. Il en cueillit un ; mais, quoiqu’il éprouvât un désir extrême de le savourer, il n’osa y porter la bouche. Quelques instants après, le bœuf sortit et le pâtre marcha sur ses pas. Revenu à l’ouverture du rocher, il vit, au moment de sortir, un démon d’un aspect effrayant, qui lui arracha le fruit et le garda. Le pâtre interrogea à ce sujet un grand médecin, et lui décrivit en même temps la forme du fruit. Le médecin lui dit qu’il ne fallait pas se presser de manger de ce fruit, et lui recommanda de lui en apporter un une autre fois.

Le surlendemain, il suivit le bœuf et entra dans la caverne. En s’en retournant, il cueillit un fruit et le cacha dans son sein ; mais, au moment où il allait mettre le pied hors du souterrain, le même démon vint encore pour le lui prendre. Le pâtre introduisit alors le fruit dans sa bouche. Le démon l'ayant saisi à la gorge, il l’avala tout entier. Quand le fruit fut entré dans son ventre, tout à coup son corps devint énorme. Quoique sa tête fût déjà hors du souterrain, le reste de son corps y demeura arrêté, de sorte qu’il ne put s’en revenir. Quelques jours après, les gens de sa maison, l’ayant cherché de tous côtés, le retrouvèrent en cet endroit et furent effrayés à la vue du changement que son corps avait éprouvé. Cependant, il put encore parler et leur en expliquer l’origine. Ils s’en retournèrent et revinrent avec un grand nombre d’hommes, qui réunirent leurs efforts pour le tirer de cette pénible position ; mais ils ne purent même le faire remuer.

À cette nouvelle, le roi alla le voir lui-même, et, craignant qu’il n’en résultât dans la suite quelque calamité, il envoya une multitude d’ouvriers pour creuser la pierre et le tirer de la grotte ; mais ils ne purent non plus le faire bouger de place.

Par la suite des temps, il s’est changé peu à peu en pierre, mais il a conservé la forme humaine.

Quelque temps après, un autre roi ayant appris que cette métamorphose était l’effet d’un fruit divin, il dit à ses officiers : « Puisque sa métamorphose est due à une plante médicinale (sic), je regarde tout son corps comme une substance médicinale. Quoiqu’il soit maintenant de la nature de la pierre, ses membres doivent avoir des propriétés divines. Il faut envoyer des hommes qui l’entameront à l’aide du marteau et du ciseau ; quand ils en auront brisé ou enlevé une petite quantité, ils devront me l’apporter. »

Ceux-ci, dociles aux ordres du roi, se rendirent au lieu indiqué avec des ouvriers qui firent tous leurs efforts pour tailler et creuser la pierre ; mais, après dix jours d’un travail opiniâtre, ils ne purent en enlever même une parcelle. Aujourd’hui cette pierre existe encore.

De là il fit quatre cents li à l’est, et arriva au royaume de Kie-tchou-ou-k’i-lo (Kadjoûgira)[1].

(Le Maître de la loi) y rechercha les monuments sacrés et les visita avec respect. Dans ce royaume, il y a six ou sept couvents où l’on compte environ trois cents religieux.

De là il se dirigea vers l’est, passa le Gange, et, après avoir fait environ six cents li, il arriva au royaume de Pun-na-fa-tan-na [Poundravarddhana — Burdwan ?)^^1. Il rechercha les monuments antiques et les visita avec respect. Il y a une vingtaine de couvents où l’on compte environ trois mille religieux, qui étudient à la fois le grand et le petit Véhicule.

À vingt-quatre li à l’ouest de la capitale, on voit le couvent de Pa-ki-so (lisez : Pa-chi-pa^^2 Vdchpa), demi les tours et les pavillons sont remarquables par leur grandeur et leur élévation. On y compte environ sept cents religieux et novices.

Près de là, il y a un Stoûpa qui fut bâti par le roi Wou-yeou [Açôka). Jadis le Bouddha résida trois mois dans ce lieu et y expliqua la Loi. Souvent on en voit jaillir une lumière brillante. On y remarque en outre les traces des quatre Bouddhas passés.

À côté, il y a un Vihâra au centre duquel s’élève la statue de Kouan-tseu-ts’aî-poa-sa (Avalôkitêçvara bôdhisattva). Lorsqu’on le prie avec une foi sincère, il n’y a nul vœu qui ne reçoive son accomplissement.

De là il fit neuf cents li au sud-est, et arriva au royaume de kie’lo’na’SOU’fa’la-na (Karnasouvarna)^^3.

1 Inde du midi.

2 Si-yu’ki, liv. X, fol. 5.

3 Inde méridionale. Il y a une dizaine de couvents où l’on compte environ trois cents religieux du petit Véhicule, qui suivent les principes de l’école Tching-liang-pou (l’école des Sammitîyas). Il y a, en outre, trois couvents où l’on ne mange ni lait ni beurre, conformément aux préceptes laissés par Ti-po-ta-to (Dêvadatta).

À côté de la capitale, on voit le couvent de Ki-to-motchi (lisez : Lo-to-weï-tchi[2], Raktaviṭi sam̃ghârâma). Dans les temps anciens, lorsque la loi du Bouddha n’existait pas encore dans ce pays, im Samanéen de l’Inde du midi, qui y voyageait, réfuta et détruisit les raisonnements pervers d’im hérétique dont le ventre était couvert avec des feuilles de cuivre. Ce fut à cette occasion que le roi fit bâtir ce couvent.

À côté de ce Sam̃ghârâma, il y a un Stoûpa qui fut construit par le roi Wou-yeou (Açôka). Jadis, en cet endroit, le Bouddha expliqua la Loi pendant sept jours.

De là il sortit au sud-est, et arriva au royaume de San-mo-ta-to (Samataṭa)[3], qui est voisin d’une grande mer. Le climat est doux et tempéré ; il y a une vingtaine de couvents où l’on compte environ trois mille religieux et novices, qui suivent des principes de l’école Chang-tsa-pou (l’école des Sarvâstivâdas).

Il y a aussi, dans ce royaume, des hérétiques adonnés au culte des esprits, qui comptent un grand nombre de disciples[4].

À une petite distance de la capitale, il y a un Stoûpa ([ui fut bâti par le roi Wou-yeou (Açôka). Jadis, en cet endroit, le Bouddha expliqua la Loi pendant sept jours en faveur des hommes et des Dêvas.

À peu de distance de là, il y a un autre couvent au centre duquel s’élève une statue du Bouddha, en pierre bleue, qui est haute de huit pieds. Sa figure est grave et imposante ; en tout temps elle exhale de doux parfums, qui remplissent la cour, et, souvent, elle laisse échapper une belle lumière de cinq couleurs, qui s’élève jusqu’au ciel. Tous ceux qui sont témoins de ce prodige, ou l’entendent raconter, ne manquent jamais d’ouvrir leur cœur à la foi.

En partant de cet endroit, dans la direction du nord-est, sur le bord de la mer, entre des montagnes et des vallées, on rencontre le royaume de Chi-li-tcha-ta-lo (Çrikchatra).

Plus loin, sur une baie située au sud-est, on trouve le royaume de Kia-mO’lamf-kia [Kâmaldnkd ?). Plus loin, à l’est, se trouve le royamne de To-lo-po-ti [Dârdpati], Plus loin, à l’est, se trouve le royaume de I-^hangna-pou-fo [Içdnapoura). Plus loin, à l’est, se trouve le royaume do Mo-ho-tchcn-po [Mahâfchampd). Plus loin, à l’ouest, le royaume de Yen-mo-lo-tcheou (lisez : Yen-mo-na-tcheo-koue[5], Yamanadvîpa poura ? ).

Ces six royaumes sont situés près de montagnes profondes et de mers lointaines. Quoique le Maître de la loi n’y soit pas entré, il a pu cependant apprendre à connaître les mœurs et les coutumes de leurs habitants.

De là il fit neuf cents li à l’ouest du royaume de San-mo-ta-to (Samatata) et arriva au royaume de Tan-mo-li-ti (Tâmralipti), qui est situé près d’une baie. Il y a une dizaine de couvents où l’on compte un millier de religieux. Près de la capitale, il y a un Stoûpa haut de deux cents pieds, qui fut construit par le roi Wou-yeou (Açôka).

Près de là, on voit encore les traces des quatre Bouddhas passés.

À cette époque, (le Maître de la loi) apprit qu’au milieu de la mer, il y avait le royaume de Seng-kia-lo (Siñhala — Ceylan) ; que là se trouvaient des religieux versés dans l’intelligence du triple recueil de l’école Changtso-pou (l’école des Sarvâstivâdas) et habiles à expliquer le Yu-kia-lan (Yôgaçâstra) ; et qu’on pouvait y arriver en faisant par mer sept cents Yeou-sun (Yôdjanas).

Avant d’y aller, il rencontra un religieux de l’Inde du sud, qui lui donna les avis suivants : « Pour aller dans le royaume du lion (Siñhala), il n’est pas nécessaire de faire une longue navigation, pendant laquelle les vents contraires, les flots impétueux et les Yo-tcha (Yakchas) « démons » vous exposeraient à mille dangers. Il vaut mieux partir de la pointe sud-est de l’Inde méridionale ; de cette manière, on peut y arriver, par eau, dans l’espace de trois jours. Quand même vous seriez encore, obligé de gravir des montagnes ou de traverser des vallées, vous pourrez voyager en toute sûreté. En même temps, vous aurez l’occasion de visiter les monuments sacrés de Ou-tch’a (Ouḍa — Orissa) et d’autres royaumes.

Le Maître de la loi se dirigea au sud-ouest et arriva au royaume de Ou-tch’a {Ouda). Il y a une centaine de couvents où l’on compte environ dix mille religieux qui étudient la loi du grand Véhicule ; il y a aussi des hérétiques qui fréquentent les temples des Dévas [Dévdr layas). Les partisans de l’erreur et de la vérité demeurent pêle-mêle. On voit une dizaine de Stoûpas bâtis par le roi Wou-yeou (Açôka), où éclatent souvent des prodiges extraordinaires.

Les frontières sud-est du royaume sont voisines d’une grande mer. Il y a une ville appelée Tche-li-ta-lo-tching (Tcharitrapoura). C’est là que s’arrêtent les marchands qui veulent s’embarquer et les voyageurs des pays lointains, qui vont et viennent en tout temps. À deux mille li (deux cents lieues) au sud de Seng-kia-lo [Sinhala), toutes les nuits, quand le ciel est pur et sans nuages, le diamant précieux placé au haut du Stoùpa de la dent du Bouddha, projette une lumière éclatante, qu’on aperçoit de loin, et, par sa forme radieuse, il ressemble à une planète suspendue au milieu des airs.

De là, au sud-ouest, il fit douze cents li à travers une vaste foret et arriva au royaume de Kong-yu-tho (Kongyôdha ? )[6].

De là, au sud-ouest, il fit de quatorze à quinze cents li à travers des forêts vastes et sauvages, et arriva au royaume de Kie-ling-kia {KaUnga)^^1.

Il y a une dizaine de couvents où Ton compte environ cinq cents religieux qui suivent les principes de l’école Chang-tso-pou (l’école des Sarvâstivâdas).

Jadis la population de ce royaume était fort agglomérée. Quelques personnes ayant insulté un hermite qui était doué des cinq facultés surnaturelles, il entra en colère et proféra des imprécations terribles contre les habitants de ce royaume ; les jeunes et les vieux périrent sans exception. Dans la suite, des hommes des autres contrées émigrèrent peu à peu dans ce pays et vinrent s’y établir ; mais aujourd’hui il n’est pas encore complètement peuplé.

De là il fit environ dix-huit cents li au nord-ouest et arriva au royaume de Kiao-sa-lo [Kôsala)^. Le roi est de la race des Tcha-ti-li [Kchattriyas) ; il révère la loi du Bouddha y et montre de Tafiection et de l’estime poiu* ceux qui cultivent la littérature et les arts. Il y a une centaine de couvents où l’on compte environ dix mille religieux et novices. On y voit aussi un grand nombre de temples des Dêvas que fréquentent les hérétiques (les brahmanes).

À une petite distance au sud de la ville, il y a un ancien couvent à côté duquel s’élève un Stoûpa bâti par Wou-yeoa [Açôka). Jadis en cet endroit Jou-lai (le Tathâgata) opéra de grands prodiges et terrassa les hérétiques (les brâhmanes).

Dans la suite des temps, le Pou-sa Long-meng (Nâgârdjouna bôdhisattva) s’établit dans ce couvent.

À cette époque, le roi, qui s’appelait So-to-p’o-ho (Sadvâha), était rempli d’estime et de respect pour Long-meng (Nâgârdjouna), et lui fournissait généreusement tout ce dont il avait besoin.

Dans le même temps, Ti-po-pou-sa [Déva bôdhisattva), qui arrivait du royaume de Tchi-sse-lseu {Sinhala)^ vint le trouver pour discuter avec lui sur les points difficiles de la doctrine. Arrivé sur le seuil du couvent, il pria le gardien de la porte de l’annoncer.

Long-meng [Ndgdrdjouna)^ qui le connaissait depuis longtemps, rcmpht aussitôt un vase d’eau, et ordonna à un de ses disciples de sortir en le tenant à la main et de le lui montrer.

Ti-po (Dêva), ayant vu l’eau, y jeta une aiguille sans proférer une seule parole.

Le disciple revint avec le vase. Ce que voyant Long-meng [Ndgdrdjouna), il fut ravi de joie, et s’écria avec l’accent de l’admiration : « L’eau pure qui remplit le vase est l’image de ma vertu. Ce sage, en venant ici, a jeté une aiguille qui a pénétré jusqu’au fond ; avec un tel homme, je puis raisonner sur les points les plus profonds et les plus mystérieux, pour le charger ensuite (le transmettre aux autres le flambeau (littéralement, la lampe) de la doctrine. « Aussitôt il ordonna de l’introHuirp et le fit asseoir auprès de lui. Alors ils parlèrent tour à tour et s’entretinrent avec bonheur. « Je suis accablé par l’âge, lui dit à la fin Long-meng (Nâgârdjouna) ; le brillant Soleil de l’intelligence réside-t-il en vous ? »

Ti’po (Dêva) se leva, baisa respectueusement les pieds de Long-meng (Nâgârdjouna), et lui dit : « Quoique je n’aie qu’un esprit borné, j’oserai me conformer à vos instructions bienveillantes. »

Dans ce royaume, il y avait un Po-lo-men (brahmane) qui excellait dans l’explication du In-ming[7]. Le Maître de la loi alla le trouver et resta près de lui pendant un mois. Chaque jour, il lisait sous sa direction le Traité Tsi-liang-lun (Santchitamâna çâstra ?).

De là, prenant la direction du sud, il entra dans une grande forêt, fit neuf cents li au sud-est et arriva au royaume de ’An-ta-lo (Andra)[8].

À côté de la capitale, il y a un grand couvent d’une construction imposante qui est orné de riches sculptures. Devant la façade, s’élève un Stoûpa, haut de plusieurs centaines de pieds, qui fut construit par les soins du vénérable ’O-tche-lo (Atchâra).

À environ vingt li au sud-ouest du couvent du vénérable Atchâra, il y a une montagne isolée sur laquelle on a construit un Stoûpa en pierre. Ce fut en cet endroit que Tchin-na-pou-sa (Djina bôdhisattva) composa le traité In-ming-lun[9] (Niyâya dvdra târaka çâstra).

De là, vers le sud, il fit mille li et arriva au royaume de To-na-kie-tse-kia[10] (Dhanakatchêka ?).

À l’est de la capitale, on a construit sur une montagne le couvent Fo’po-chi-lo-kia-lan (Pourvaçild sam̃ghârûma) ; à l’ouest de la ville, on a élevé sur le côté opposé de la montagne le couvent ’O-fa-lo-chi-lo-kia-lan (Avaraçilâ sam̃ghârâma). Un ancien roi de ce royaume l’avait construit en l’honneur du Bouddha et y avait déployé toute la magnificence des palais de Ta-hia (de la Bactriane). Les bois touffus dont il était entouré, et une multitude de fontaines jaillissantes, en faisaient un séjour enchanteur. Ce couvent était protégé par les esprits du ciel, et les sages et les saints aimaient à s’y promener et à y habiter. Pendant l’espace des mille ans qui ont suivi le Nirvana du Bouddha, on voyait constamment un millier de laïques et de religieux qui venaient ensemble y passer le temps de la retraite, pendant la saison des pluies. La retraite terminée, tous obtenaient le rang d’Arhân et partaient en franchissant les airs. Mille ans après (le Nirvana), les hommes du siècle et les sages vinrent y demeurer ensemble. Mais, depuis une centaine d’années, les esprits des montagnes ont changé de sentiments et font éclater sans cesse leur violence et leur colère. Les voyageurs, justement effrayés, n’osent plus aller dans ce couvent ; c’est pour cela qu’aujourd’hui il est complètement désert, et l’on n’y voit plus ni religieux ni novices.

À une petite distance au sud de la ville, il y a un énorme rocher. Ce fut là que le maître des Çâstras, P’opi-weî’kia (Bhâvavivêka), resta dans le palais des ’O-souh (Asoûras) en attendant que le Ts’e-chi-pou-sa (Mâitréya bôdhisattva) devînt Bouddha et dissipât ses doutes.

Pendant que le Maître de la loi était dans ce royaume, il rencontra deux religieux, l’un appelé Sou-pou-ti (Soubhoûti) et l’autre Sou-li-ye (Soûrya)y qui étaient très-versés dans la connaissance des Trois Recueils de l’école Ta-tchong-pou (l’école des Mahdsamghikas).

Le Maître de la loi resta près d’eux pendant plusieurs mois et étudia le Ken-peno-pi-f a-mo-lun (Moûlâbhidharma castra) et plusieurs autres traités de l’école Ta-tchçngpou (des Mahâsam̃ghikas), Ceux-ci, de leur côté, étudièrent avec lui les différents traités du grand Véhicule. Bientôt après, s’associant aux vues du Maître de la loi, ils l’accompagnèrent dans ses pieuses excursions, et allèrent adorer avec lui les monuments sacrés.

De là, prenant la direction du sud, il fit environ mille li et arriva au royaume de Tchou-li-ye (Djourya).

Au sud-est de la capitale, il y a un Stoûpa qui fut bâti par le roi Wou-yeou (Açôka). Jadis, en cet endroit, le Bouddha fit briller ses facultés divines, terrassa des hérétiques, expliqua la Loi et sauva des hommes et des Dévas.

À l’ouest de la ville, il y a un ancien couvent. Ce fut là que Ti-po-pou-sa [Dêva bôdhisattva) discuta avec le vénérable Oa-ta-lo [Outtara) qui habitait ce couvent. Après qu’il l’eût interrogé pour la septième fois, le Vénérable, cessant de répondre, déploya secrètement ses facultés divines, se rendit dans le palais des Toa-sse-to [Touchitas), et interrogea le Bôdhisattva Mâitréya, qui lui donna toutes les explications nécessaires et lui dit ensuite : « Ce Ti-po (Dêva bôdhisattva), en considération de ses grands mérites, doit un jour, dans le Kalpa des sages (Bhadrakalpa), arriver à l’Intelligence supérieure (Paramabôdhi) ; gardez-vous de le traiter avec dédain. »

À son retour, il expliqua les difficultés qui lui avaient été soumises auparavant. Mais Ti-po (Déva) lui dit ; « C’est là une explication fournie par Mâitréya bôdhisattva. Malgré la science dont vous vous vantez, vous ne l’auriez certainement pas trouvée. »

L’Arhat fut rempli de confusion et s’avoua vaincu ; il se leva, lui offrit ses remercîments et partit.

De là, il prit la direction du sud, traversa une grande foret, et, après avoir fait de quinze à seize cents li, il arriva au royaume de Ta-lo-pi-tcVa [Drdvida)[11].

La capitale de ce royaume s’appelle Kien-tchi’-poU’k [Kdntchipoura], Cest le pays natal de Ta-mo-po-lopou-sa [Dharmapdla bôdhisattva). Ce Bôdhisattva était jadis le fils d’un grand ministre de ce royaume. Dès son enfance, il montra une intelligence remarquable. Quand il eut atteint l’âge de vingt ans, le roi, charmé de ses talents, voulut lui donner en mariage une princesse de sa famille. Mais le Bôdhisattva, qui depuis longtemps s’étudiait à fuir les désirs charnels, n’éprouvait aucun penchant pour les affections du cœur.

Le soir où cette union devait s’accomplir, il se sentit accablé de tourment et de douleur. Se prosternant alors devant la statue du Bouddha, il implora sa protection et le pria de le délivrer de ce cruel embarras.

Un roi des esprits, touché de la sincérité de son cœur, le transporta en secret et le conduisit à plusieurs centaines de li de cette ville. Puis il le plaça dans un couvent construit sur une montagne, au milieu de la chapelle du Bouddha. Les religieux, y étant venus, l’aperçurent et le prirent pour un voleur.

Le Bodhisattva leur raconta ce qui lui était arrivé. À ce récit, ils furent saisis d’étonnement et admirèrent la grandeur de son âme. Aussitôt il embrassa la vie religieuse. Dans la suite, il s’appliqua de tout son cœur à pratiquer la droite loi ; bientôt il acquit l’intelligence complète des doctrines des différentes écoles et s’exerça à la composition. Il écrivit alors, en cinq cents çlokas, le Ching’-ming-tsa-lun [Çabdavidyd samyoukta çâstra ?) ; il expliqua le Kouang-pe-lun [Çataçàstra vaîpoulyam ?), le Weî-tchi’lun ( Vidyd mâtra siddhi) et le In-ming-iching-limen-lan [Niyâya dvdra tdraka çâstra). Ses ouvrages, au nombre de plusieurs dizaines, sont très-répandus et jouissent d’une grande réputation. Il existe une histoire particulière où l’on fait connaître ses vertus brillantes et ses talents extraordinaires.

La ville de Kien-tchi (Kàntchipoura) est située sur un port de mer, à la pointe de l’Inde méridionale, en face du royaume de Seng-kia-lo (Sinhala), où l’on peut arriver après trois jours de navigation. Avant le départ du Maître de la loi « le roi de ce royaume (Sinhala — Ceylan) mourut. L’intérieur du royaume fut en proie à la famine et aux troubles civils. Il y avait deux religieux d’une vertu éminente, l’un nommé Pou-H-mi-ki-^hi-fa-lo [Bôdhiméghêçvara), l’autre,’Gfoye-teng-sse-lche-lo [Abhayadanchtra).

Environ trois cents religieux, du même mérite, vinrent dans l’Inde et se rendirent dans la ville de Kien-tchi (Kântchipoura).

Quand le Maître de la loi eut vu ces deux religieux, il les interrogea en ces termes : «  « J’ai entendu dire que, dans votre royaume, des religieux éminents expliquent les Trois Recueils de l’école Chang-tso-pou (de l’école des Sarvâstivâdas) et le Yu-kia-lun (Yôgaçâstra). Maintenant je désire y aller pour étudier sous leur direction. Oserais-je vous demander, vénérables maîtres, pourquoi vous êtes venus ici ? » — « Notre roi est mort, répondirent-ils, et les habitants sont en proie à la famine et privés de tout appui. Nous avons appris que le Tchen-pou-lcheoa (Djamboudvipa) est un pays riche et fertile, où règnent la paix et le bonheur ; que c’est le lieu où est né le Bouddha et qu’il offre une multitude immense de monuments sacrés. Voilà pourquoi nous sommes venus. Nous savons (railleurs qu’ici les disciples de la Loi ne la transgressent jamais. Nous autres, vieillards, nous voudrions, lorsque nous éprouverons des doutes, pouvoir vous interroger librement. »

Le Maître de la loi leur cita les principaux passages du Ya-kia (Yôgaçâslra) ; mais ils ne purent lui donner les explications de Kiai-hien (Çilabhadra).

Il entendit dire qu’à trois mille li des frontières de ce pays (Drâvidà), il y avait un royaume appelé Mo-lokiu’tcha (Malakoûta)[12] Comme il est situé près de la mer, il est extrêmement riche et abonde en produits aussi précieux que variés.

À l’est de la capitale, il y a un Stoûpa bâti par le roi Wou-yeou (Açôka). Jadis, en cet endroit, le Bouddha expliqua la Loi, fit éclater de grands miracles et convertit une multitude innombrable d’hommes.

Au sud de ce royaume, et près du rivage de la mer, s’élèvent les monts Mo-la-ye (Malaya), dont les sommets escarpés dominent des vallées profondes. Là croissent le sandal blanc (Tdilaparnika), qu’on appelle Tchentan-ni-po (Tchandanêva). Cet arbre ressemble au peuplier blanc ; comme il est d’une nature froide, un grand nombre de serpents s’y attachent (en été) ; mais, à l’arrivée de rhiver, ils se cachent sous terre. Voilà ce qui sert à distinguer cette espèce de sandal.

L’arbre odorant Kie-pou-lo (Karpoûra) y croît aussi. Son tronc ressemble à celui du pin, mais il en diffère par ses feuilles, ses fleurs et ses fruits. Quand le bois est humide, il n’a pas d’odeur. Mais, lorsque l’arbre a été coupé et qu’il s’est desséché, si on le fend par le milieu, on trouve son parfum sous forme de talc ; il est de la couleur de la neige congelée. C’est là ce qu’on appelle (en chinois) Long-nao-hiang (Karpoûra) « camphre ».

Il apprit, en outre, qu’au nord-est, sur le bord de la mer, il y avait une ville, et qu’en faisant (par mer) trois mille li au sud-est de cette ville, on arrivait au royaume de Seng-kia-lo (Sihhala).

Ce royaume a sept mille li de tour, et sa capitale, quarante li. La population est agglomérée et la terre produit des grains en abondance ; les habitants sont noirs, petits de taille, violents et emportés. Dans l’origine, ce pays s’appelait Pao-ichou ou l'Île des choses précieuses[13], parce qu’il produit une grande quantité de choses rares et précieuses.

Dans la suite des temps, la fille (d’un roi) de l’Inde du sud ayant été fiancée à un prince d’un royaume voisin, sur sa route, elle rencontra un lion. Les serviteurs du roi et les hommes qui formaient son escorte, furent remplis d’effroi et se dispersèrent, laissant la jeune fille seule sur son char. Le lion s’approcha d’elle, la prit sur son dos et s’enfuit au loin. Il se retira dans les profondeurs d’une montagne. Il cueillait des fruits et chassait des animaux pour subvenir à sa nourriture. Au bout de quelques années, la jeune femme mit au monde un garçon et une fille. Quoiqu’ils eussent une forme humaine, leur caractère était violent et féroce. Le fils, étant devenu grand, parla ainsi à sa mère : « De quelle espèce suis-je ? Mon père appartient à la race des quadrupèdes et ma mère à celle des hommes ! »

Sa mère lui raconta alors son ancienne aventure. « Puisque les hommes et les animaux, lui répartit son fils, sont d’une espèce différente, pourquoi ne pas le laisser et fuir pour demeurer ensemble ? »

« C’est bien mon intention, répondit la mère ; seulement je ne vois aucun moyen de nous échapper. »

Dans la suite, le fils suivit son père, gravit des montagnes et traversa des vallées, et observa avec soin les endroits où il passait. Le lendemain, ayant épié le moment où son père était parti au loin, il emmena sa mère et sa sœur, et chercha un refuge dans les villages. Enfin, il arriva dans le royaume où était née sa mère et s’informa de sa famille ; mais elle était complètement éteinte. Se trouvant sans abri, ils allèrent demander asile aux habitants des champs.

À son retour, le roi-lion, ne voyant plus ni sa femme ni ses enfants, entra en fureur, sortit de la forêt en poussant d’affreux rugissements, et immola un grand nombre d’hommes et de femmes des villages voisins. Le peuple ayant informé le roi de cet événement, il se mit à la tête de son armée, choisit et enrôla les hommes les plus courageux pour cerner le lion et le percer de flèches.

Quand le lion les eut aperçus, il poussa des rugissements horribles, qui firent tomber de frayeur les hommes et les chevaux, de sorte que personne n’osait s’avancer pour l’attaquer.

Beaucoup de jours s’écoulèrent ainsi sans résultat. Le roi lit une nouvelle proclamation, et promit cent mille pièces d’or à quiconque serait capable de tuer le lion.

Le fils dit alors à sa mère : « Il nous est impossible de supporter plus longtemps la faim et le froid ; je désire répondre à l’appel du roi, qu’en pensez-vous ?

— Il ne faut pas y aller, lui répondit-elle ; car, quoique ce lion soit une bête fauve, cependant c’est votre père. Si vous le tuez, vous ne mériterez plus le nom d’homme !

Si je ne le tue pas, dit le fils, il ne s’en ira jamais, et, peut-être, viendra-t-il jusque dans le village pour nous chercher et nous poursuivre. Si, un matiD* le roi-lion apprend notre retour, croyez-vous que nous puissions échapper à la mort. Pourquoi donc me retenez-vous ? Ce lion est une source de désastres, et le malheur finira par nous atteindre nous-mêmes. Faut-il que, pour épargner un seul individu, je cause le désespoir et la ruine de tout le peuple ? J’y ai bien réfléchi, mon premier devoir est de répondre à l’appel du roi. » En disant ces mots, il partit.

Quand le lion l’eut vu, il se coucha d’un air doux et soumis, et, oubliant ses dispositions meurtrières, il témoigna la joie la plus vive. Mais le fils, avec un couteau acéré, lui ouvrit la gorge et lui fendit le ventre. Le lion, bien qu’en proie à d’atroces douleurs, n’en conserva pas moins des sentiments tendres et affectueux ; il supporta, immobile, ses horribles souffrances, et bientôt après il expira.

À cette nouvelle, le roi, transporté de joie et d’admiration, demanda au jeune homme la cause de cette mort résignée.

Il cacha d’abord la vérité ; mais à la fin, pressé de nille manières, il laissa échapper son secret.

« Hélas ! s’écria le roi, si vous n’étiez pas issu de cette bête féroce, personne au monde ne pourrait s’expliquer l’affection qu’il vous a montrée. Quoi qu’il en soit, auparavant, j’ai promis une récompense et je ne manquerai pas à ma parole ; mais, comme vous avez tué votre père, je ne puis souffrir qu’un fils rebelle et dénaturé demeure plus longtemps dans mon royaume. »

Il prescrivit aux magistrats de lui donner une grande quantité d’or et d’argent, et de le chasser ensuite loin de son royaume. Aussitôt, on équipa deux vaisseaux sur lesquels on embarqua une grande quantité d’or, les vivres et des provisions de tout genre. On le conduisit (avec sa sœur) jusqu’au milieu de la mer, puis on les abandonna tous les deux au caprice des flots. Le navire du fils, après avoir longtemps vogué sur la mer, aborda dans cette île appelée P’ao-tchou (Ratnadvîpa). L’ayant trouvée fertile et riche en productions rares, il y fixa son séjour.

Dans la suite, des marchands y amenèrent leur famille pour recueillir des pierres précieuses, et s’établirent dans ce pays. Mais il tua les marchands et retint leurs femmes et leurs filles, dont la postérité se multiplia pendant une longue suite de générations. La population s’étant ainsi accrue par degrés, elle nomma un roi et des ministres, et comme leur ancien aïeul avait pris et tué un lion, ils tirèrent de cette circonstance le nom du royaume (et l’appelèrent Seng-kia-lo — Siñhala — Ceylan).

Le navire de la fille, après une longue navigation, aborda à l’ouest do Po-la-sse (Parsa — Perse). Etant tombée au pouvoir des démons, elle mit au monde une multitude de lilles ; maintenant ce pays s^appelle le royaume des filles d’occident.

Suivant certains auteurs, Seng-kia-lo (Sinhala) serait le nom du fils d’un marchand qui, par sa prudence, ayant échappé à la fureur homicide des Lo-tsa (Rakckor sas) « démons, » réussit ensuite à se faire roi. Etant arrivé dans cette Ile des pierres précieuses, il tua les Lotsa (les Itakchasas), et y établit sa capitale ; de là vint le nom de ce royaume. On en trouvera les détails dans le Si-yu-ki[14].

Anciennement, dans ce royaume, on ne connaissait pas la loi du Bouddha.

Dans la première centaine d’années qui suivit le Nirvana de Jou-laî (du Tathâgata), Mo-hirin-t’o-lo (Mahêndra), frère cadet du roi Wou-yeou (Açôka), ayant renoncé aux plaisirs du monde, prit avec lui quatre Cha-men (Çramanas), voyagea avec eux à travers les airs. et vint convertir ce royaume. Pour mettre en lumière et exalter la doctrine du Bouddha, il fit briller ses facultés surnaturelles. Les habitants, remplis de foi et d’amour, y fondèrent des Kia-lan (Sam̃ghârâmas). Aujourd’hui, il y en a une centaine, où l’on compte environ dix mille religieux qui suivent la doctrine du grand Véhicule et les principes de l’école Chang-tso-pou (des Sarvâstivâdas). Les religieux, vêtus de noir, sont graves et respectueux, et observent, avec autant de zèle que d’intelligence, les règles de la discipline. Ils se donnent mutuellement l’exemple et leur ardeur ne se ralentit jamais.

À côté du palais du roi, s’élève le Vihâra de la dent du Bouddha, qui est haut de plusieurs centaines de pieds ; il est orné de toute sorte de choses précieuses. Le sommet est surmonté d’un mât dont l’extrémité supporte une pierre précieuse, appelée Po-ta-mo-lo-kia (Padmarâga) « rubis, » dont l’éclat magique illumine tout le ciel. Dans le calme d’une nuit pure et sans nuages, tout le monde peut l’apercevoir, même à une distance de dix mille li.

Près de là, il y a un autre Vihâra, qui est également orné avec magnificence. Dans le centre, s’élève une statue d’or qui fut fondue par les soins d’un ancien roi de ce royaume. Sur le sommet de la tête, elle porte un diamant précieux, d’une valeur incalculable. Dans la suite, il y eut des hommes qui voulurent voler ce diamant ; mais le Vihâra était si bien gardé qu’ils ne purent y pénétrer, ils creusèrent alors un passage souterrain et entrèrent dans le sanctuaire ; mais lorsqu’ils voulurent le prendre, la statue grandit par degrés et devint tellement haute qu’ils ne purent l’atteindre. Ils se retirèrent alors et dirent entre eux : « Jadis, lorsque Jou-laï (le Tathâgata) menait la vie d’un Bôdhisattva pour être utile au créatures, il n’épargnait ni ses richesses, ni son propre corps. Comment se fait-il qu’aujourd’hui il se montre si avare ? Cela doit nous faire craindre que tout ce qu’on raconte de lui ne soit pas vrai. » Alors la statue se pencha en avant et leur donna le diamant.

Les voleurs, une fois en possession de ce joyau précieux, sortirent et cherchèrent à le vendre. Des hommes qui le connaissaient, les arrêtèrent et les conduisirent devant le roi.

Le roi leur demanda comment ils se l’étaient procuré.

« C’est le Bouddha lui-même qui nous l’a donné, » lui répondirent les voleurs. Ils lui racontèrent alors de quelle manière ils l’avaient obtenu.

Le roi étant allé lui-même dans le temple, il vit la statue dont la tête était encore baissée. Il fut ému de ce miracle et en conçut une foi plus vive. Il donna aux voleurs une grande quantité de perles et de choses précieuses pour racheter le diamant, et le replaça sur la tête du Bouddha. Ce diamant y existe encore aujourd’hui.

À l’angle sud-est du royaume, s’élève le mont Ling-kia (Lanka) où habitent un grand nombre d’esprits et de démons. Jadis, on cet endroit, Jou-lai (le Tathâgata) expliqua le livre sacré Ling-kia-king (Lankâvâtara soûtra).

Après avoir fait par mer plusieurs milliers de li au sud de ce royaume, on arrive à Tîle de Na-lo-ki-lo (Nârakiradvîpa). Les hommes de cette île sont petits de taille ; les plus grands n'ont pas plus de trois tchi (pieds). Ils ont un corps d'homme et un bec d'oiseau. Ils ne connaissent pas les moissons et se nourrissent des fruits du cocottier. Ce royaume est séparé par une grande étendue de mer. N'ayant pu y parvenir lui-même, le Maître de la loi a recueilli de la bouche des hommes les détails qu'on vient de lire.

De Ta-lo'pi'tcha (Drâvida), il revint au nord-ouest en compagnie de soixante et dix religieux du royaume da Lion (Siñhala) et visita avec eux les monuments sacrés. Après avoir fait deux mille li, il arriva au royaume de Kong-kien-na-pou-lo (Kongkanapoura)^^1. Il y a une centaine de couvents où l'on compte environ dix mille religieux qui étudient à la fois le grand et le petit Véhicule. On y voit un grand nombre d'hérétiques qui fréquentent les temples des Dêvas (Dêvâlayas).

À côté du palais du roi, il y a un grand couvent qui renferme environ trois cents religieux, tous doués d'une science profonde et de grands talents littéraires. Dans le Vihâra de ce couvent, on voit la statue du prince royal Si'fa-to (Siddhârtha)^^2. Son bonnet précieux est haut d'un

1 Inde méridionale.

2 C'est-à-dire de Çâkyamouni, lorsqu'il était encore prince royal (Koumârarâdjâ). peu moins de deux pieds ; on le serre dans une boite richement ornée. Chaque jour de fête, on le tire de cette boite et on le place sur un piédestal élevé. Un grand nombre de ceux qui le contemplent et l’adorent avec une foi parfaite, le voient entouré d’une lueur extraordinaire.

Dans un couvent situé à côté de la ville, il y a un Vihâra où l’on voit la statue de Ts’ê-chi-pou-sa (Mâitrêya bôdhisattva) sculptée en bois de sandal. Elle est haute d’environ cent pieds et répand souvent une lumière d’heureux augure ; on raconte qu’elle fut exécutée par les soins de vingt millions d’Arhân.

Au nord de la ville, il y a une forêt de To-lo (Talas) qui a trente li de tour. Ses feuilles sont longues et luisantes. Les hommes de tous les royaumes s’en servent pour écrire et y attachent un grand prix.

De là il prit la direction du nord-ouest, traversa une vaste forêt qui était infestée de bêtes féroces et, après avoir fait de deux mille quatre cents à deux mille cinq cents li, il arriva au royaume de Mo-ho-la-to (Mahâréàttra)^^1. Les habitants estiment l’honneur et le devoir et méprisent la mort ; le roi est de la race des Tsa-ti-li (des Kchattriyas) ; il a des goûts belliqueux et met au premier rang la gloire des armes. C’est pourquoi, dans son royaume, l’infanterie et la cavalerie sont équippées avec le plus grand soin, et les lois et ordonnances militaires sont connues de tous et sévèrement observées. Toutes les fois que le roi envoie un général pour livrer bataille, quand il

1 Inde méridionale. aurait été vaincu et aurait perdu toute son armée, il ne lui inflige aucune peine corporelle ; mais il lui donne des vêtements de femme afin de le pénétrer de honte. Aussi voit-on souvent des généraux qui se donnent la mort pour échapper au déshonneur. En tout temps, il nourrit plusieurs milliers d’hommes braves et plusieurs centaines d’éléphants sauvages. Un peu avant le combat, on les enivre de vin jusqu’à ce que l’ivresse les ait rendus furieux ; puis on donne le signal et on les lance contre les ennemis qui ne manquent jamais de se débander et de fuir. Fier de ces auxiliaires, il montre le plus grand mépris pour les peuples voisins avec qui il est en guerre. Le roi Kiaî-ji (Çilâditya) se vantait de sa science militaire, de la valeur et de la renommée de ses généraux, et il marchait lui-même à la tête de ses troupes ; mais il ne put jamais les dompter ni les tenir en respect.

Dans ce royaume, il y a plusieurs centaines de couvents où l’on compte environ cinq mille religieux qui suivent à la fois le grand et le petit Véhicule. Il y a aussi des temples de Dévas (Dêvâlayas) fréquentés par des hérétiques qui se frottent de cendres (Pâçoupatas).

Dans l’intérieur et en dehors de la capitale, il y a cinq Stoupas qui ont chacun plusieurs centaines de pieds de hauteur. Ils ont été bâtis par le roi Wou-yeou (Açôka) dans les lieux qui conservaient les traces des quatre Bouddhas passés.

De là, se dirigeant au nord-est, il fit environ mille li, passa la rivière Naî-mo-fo (la Narmmadâ) et arriva au royaume de Po-Iou-kic-tchen-po (Baroukatch’éva — Baroche)[15].

De là, marchant encore au nord-ouest, il fit deux mille li et arriva au royaume de Mou-la-po (Malva)[16]. Les habitants sont d’un caractère doux et poli, et ib aiment et estiment la culture des lettres. Dans les cinq parties de l’Inde, Ma-Ia-p^o (Malva) au sud-ouest et Mo’kiC’t’o (Magadha) au nord-est, sont les deux seuls royaumes dont les habitants se fassent remarquer par Famour de Fétude, Festime pour la vertu, la facilité de Félocution et Fharmonie du langage. Dans ce royaume, il y a une centaine de couvents où Fon compte environ vingt mille religieux qui étudient la doctrine de Fécole Tching-Iiang-pou (des Sammitiyas), qui se rattache au petit Véhicule. Il y a aussi une multitude d’hérétiques qui se frottent de cendres (des Pâçoupatas) et adorent les Dêvas.

Suivant la tradition, le trône était occupé, il y a soixante ans, par un roi nommé Kiaî-ji[17] (Çilâditya) ; il était doué de grands talents et possédait de vastes connaissances. Il était humain, affectueux, bienfaisant et dévoué pour le bonheur du peuple. Il était plein de respect pour les Trois précieux[18]. Depuis son avénement au tronc jusqu’au moment de sa mort, nulle parole inconvenante ne s’échappa de sa bouche, et la colère ne rougit point son visage. Jamais il n’eut l’idée de faire du mal à ses sujets ni de tuer une mouche ou une fourmi. Dans la crainte de causer la mort aux insectes qui vivent dans l’eau, il ne permettait pas d’en donner à boire aux éléphants ou aux chevaux avant de l’avoir soigneusement filtrée. Quant aux hommes du royaume, il leur défendait sévèrement de tuer des animaux. De là vient que les bêtes féroces s’attachaient aux hommes, les loups oubliaient leur fureur ; la paix régnait dans l’intérieur des frontières, et des présages de bonheur éclataient chaque jour.

Le roi fit construire des couvents où brillait une rare magnificence, et y plaça les statues des sept Bouddhas ; enfin, chaque année il convoquait la Grande assemblée de la Délivrance (Mokcha mahâparichad). Pendant les cinquante ans qu’il resta sur le trône, il n’interrompit point, pendant un seul instant, ces œuvres méritoires. Tout le peuple en conçut pour lui une vive affection qui n’est pas encore éteinte aujourd’hui.

À vingt li au nord-ouest de la capitale, à côté de la ville des Brahmanes (Brâhmaṇapoura), on voit une fosse profonde. Ce fut là qu’un brahmane plein d’arrogance, pour avoir calomnié le grand Véhicule, tomba vivant dans l’enfer. On en trouvera le récit dans le Si-yu-ki[19].

De là il fit de deux mille quatre cents à deux mille cinq cents li au nord-ouest, et arriva au royaume de ’O-tch’a-li (Aṭali ?). Ce pays produit le poivre appelé Hou-tsiao^^1 (les feuilles de l’arbre ressemblent à celles du Chou-tsiao^^2), et l’arbre qui donne le parfum Hiun-lou^^3, dont les feuilles ressemblent à celles du T’ang-li^^4.

De là il fit encore trois cents li au nord-ouest, et arriva au royaume de Ki-tch’a (Kiṭa)^^5.

De là il fit mille li au nord et arriva au royaume de Fa-la-pi ( Vallabhi)^^6. Il y a une centaine de couvents où l’on compte environ six mille religieux qui tous étudient la doctrine de l’école Tching-liang-pou (l’école des Sammitiyas), qui se rattache au petit Véhicule. Quand Jou-laï (le Tathâgata) vivait, il voyagea souvent dans ce royaume. Dans tous les lieux où était arrivé le Bouddha, le roi IVou-ycou [Açôka) éleva des monuments pour en conserver le souvenir. Le roi actuel est de la race des Tsa-ti’ïi [Kchatfriyas) ; il est le gendre de Cki’-lo-’(htie-4o [Çilâditya], roi de Kic-jo-kio-che [Kanyâkoubdja) ; son nom est Tou-loU’po-po-fo {Dhrouvapatou). Il est d’un naturel vif et bouillant, et ses manières sont brusques et emportées ; cependant il honore la vertu et estime la science. Il est rempli de foi et d’attachement pour les Trois précieux, Chaque année, il convoque une Grande assemblée, et, pendant sept jours, il invite les religieux des divers royaumes. Il leur distribue des mets recherchés,

1 Piper nigrum.

2 Piper pinatum.

3 Tagara.

4 Sorbus (Cormier).

5 Inde méridionale.

6 Inde méridionale. des lits, des sièges, des vêtements et jusqu’à des médicaments de tout genre ; en un mot, il les comble de tous biens.

De là il fit sept cents li au nord-ouest et arriva au royaume de ’O-nan-t’o-pou-lo [Anandapoura)^^1.

De là il fit cinq cents li au nord-ouest et arriva au royaume de Sou-la-tcKa (Sourâchtra)^^2.

De là il fit dix-huit cents li au nord-est et arriva au royaume de Kia-tche-lo (Gourdjara). Ensuite, il fit deux mille huit cents li au sud-est et arriva au royaume de Ou-che-yen-na (Oudjayana)^^4.

A une petite distance de la capitale, il y a un Stoûpa à l’endroit même où le roi Wou-yeou {Açôka) avait construit un enfer.

De là il fit neuf cents li au nord-est et arriva au royaume de Mo-hi-^hi-fa-lo-pou-lo [Mahéçvarapoura)^^5.

De là, tournant à l’ouest, il revint au royaume de Sou-la-tch’a (Sourâchtra).

De là il marcha de nouveau à l’ouest et arriva au royaume de ’O-tien-po-tchi-lo (Adhyavakéla ?)^^6. Quand Jou-laï (le Tathâgata) vivait, il voyagea souvent dans ce pays. Dans tous les lieux qui portaient les traces sacrées du Bouddha, le roi Wou-yeou (Açôka) éleva des Stoûpas qui tous subsistent encore aujourd’hui.

1 Inde occidentale.

2 Inde occidentale. ^ Inde occidentale.

3 Oudjdjayanî — Oudjein.

4 Inde méridionale.

5 Inde centrale.

6 Inde occidentale.

De là il fit deux mille li à l’ouest et arriva au royaume de Lang-kie-lo (Lângala)^^1. Ce royaume est voisin d’une grande mer et est situé en face du royaume des femmes d’occident.

De là, au nord-ouest, on arrive au royaume de Po-la-sse (Perse) qui ne fait pas partie de l’Inde. J’ai entendu dire qu’on tirait de ce pays une grande quantité de perles, de choses précieuses, de brocart, et de laine fine, des chèvres, des chevaux et des chameaux. Il y a (dit-on) deux ou trois couvents où l’on compte plusieurs centaines de religieux du petit Véhicule qui étudient la doctrine de l’école I-tsie-yeou-pou (l’école des Sarvâstivâdas). Le pot de Chi-kia-fo [Çâkyabouddha) se trouve actuellement dans le palais du roi (de ce pays). Sur les frontières orientales de ce royaume, on voit la ville de Uo’-mo ; au nord-ouest, il touche au royaume de Fo-lim.

Au sud-ouest du royaume, dans une ile, se trouve le royaume des femmes d’occident ; on n’y voit que des femmes et pas un seul homme. Ce pays abonde en productions rares et précieuses ; il est sous la dépendance du royaume de Fo-lin, dont le roi leur envoie chaque année des maris qui s’unissent avec elles ; mais lorsqu’elles mettent au monde des garçons, les lois du pays défendent de les élever.

Après avoir quitté le royaume de Lang-kie (Langala), il fit environ sept cents li au nord-est, et arriva au royaume de Pi-to-chi-lo (Pitâçilâ ?)^^2. On y voit un

1 Inde occidentale.

2 Inde occidentale. Stoûpa haut de plusieurs centaines de pieds, qui fut bâti par le roi Wou-yeou (Açôka). Il renferme des che-li (çarîras) « reliques » qui répandent souvent une lumière éclatante. Ce fut en cet endroit que jadis Jou-laï (le Tathâgata), lorsqu’il menait la vie d’un ermite, fut en butte à la cruauté du roi.

De là il fit trois cents li au nord- est et arriva au royaume de ’O-fan-tch’a {Avada)^^1. Au nord-est de la capitale, au milieu d’une grande forêt, on voit les anciennes fondations d’un couvent. Ce fut en cet endroit que jadis le Bouddha permit aux Bhikchous de porter des bottes. Il y a un Stoûpa construit par le roi Wou-yeou (Açôka). À côté, s’élève un Vihâra où l’on voit une statue du Bouddha debout, taillée en pierre bleue, qui lance souvent des rayons lumineux.

Plus loin, au sud, à une distance d’environ huit cents pas, on voit, au milieu d’une grande forêt, un Stoûpa bâti par Açôka. Jadis Jeu-lai (le Tathâgata) s’arrêta en cet endroit. Comme la nuit était très-froide, il se couvrit de trois vêtements. Quand le jour fut venu, il apprit aux Bhikchous à mettre (au besoin) un double vêtement.

De là il fit sept cents li à l’est et arriva au royaume de Sin-tou^^2 (Sindh). Ce pays produit en abondance de l’or, de l’argent, du cuivre, des bœufs, des moutons, des chameaux, du sel rouge, blanc et noir, etc. Les autres pays achètent (ce dernier sel) pour l’employer

1 Inde occidentale.

2 Inde occidentale. en médecine. Lorsque Jou-laï (le Tathâgata) vivait, il voyagea souvent dans ce royaume. Dans tous les endroits qui portaient les traces sacrées de ses pas, le roi Açôka éleva des Stoûpas pour en conserver le souvenir. On montre aussi les lieux où le vénérable Ou-po-kio-to (Oupagoupta) a porté ses prédications.

De là il fit environ neuf cents li à l’est, traversa le Sin-toa [Sindh — Indus), et, partant de la rive orientale de ce fleuve, il arriva au royaume de Meoa-lo-uai’fowlia (Moùltan)[20]. Tous les habitants adorent le dieu du soleil (Aditya)[21], dont le temple est d’une construction majestueuse et d’une rare magnificence. La statue du dieu du soleil est en or fondu ; elle est ornée de toute sorte de pierres précieuses. Les habitants des autres royaumes viennent en foule lui adresser des prières. On monte par un escalier en spirale du haut duquel on découvre une succession de bosquets fleuris et de bassins d’eau pure. Quiconque voit ce temple et ses alentours, ne peut se défendre d’un sentiment d’admiration.

De là il fit environ sept cents li à l’est et arriva au royaume de Po-fa-to-lo (lisez : Po-lo-fa-to[22], Parvata).

À côté de la capitale, il y a un grand couvent où habitent une centaine de religieux qui tous étudient h doctrine du grand Véhicule. Ce fut là que jadis le maître des Çastras, Tchin-na-fo-ia-lo {Djinapoutra)^ composa le Traité Yu-kia-sse-t’i-lun-chi (Yôgâtchâryyâ bhoûmi çâstra kârikâ), et que les maîtres des Çâstras, Hien-’aï (Bhadraroutchi) et Te-kouang (Gouṇaprabha), embrassèrent la vie religieuse. Dans ce royaume, il y avait deux ou trois religieux d’une vertu éminente, dont la science profonde pouvait servir de modèle.

Le Maître de la loi resta deux mois dans ce couvent, et, sous leur direction, il étudia, d’après les principes de l’école Tching-liang-pou (l’école des Sammitîyas), le Ken-pen-’o-pi-t’a-mo-lun (Moûlâbhidharma çâstra ?), le Che-tching-fa-lan (Saddharma sampârigraha çâstra), le Kiao-chi-lun (Praçikchâ satya çastra ?), etc.

De là, prenant une seconde fois la direction du nordest, il revint à Mo-kie-to (Magadha), dans le couvent Chi-woa-ye-sse (Nâlanda vihâra), et visita avec respect le religieux qu’on avait surnommé Tching-fa-ts’ang (c’est-à-dire le Trésor de la droite loi). Après quoi il apprit qu’à trois yu-chen-na (yôdjanas), à l’ouest de ce couvent, il y avait un monastère appelé Ti-lo-tse-kia (Tilataka ?), où habitait un religieux d’une vertu éminente nommé Pan-jo-pa-to-lo (Pradjñâbhadra), originaire du royaume de Po-lo-po-ti (Bâlapati ?), qui avait embrassé la vie ascétique dans l’école Sa-po-to-pou (des Sarvâstivâdas). Il était fort versé dans la connaissance des Trois Recueils, du Traité Ching-ming (Çabdavidyâ çâstra), du In-ming (Hêtouvidyâ çâstra), etc. Le Maître de la loi alla le trouver, et étant resté près de lui pendant deux mois, il l’interrogea pour obtenir la solution de tous ses doutes.

De là il retourna sur la montagne de la Forêt des Bâtons (Yachtivana fjiri), auprès d’un Kiu-sse (Oupâsaka), un fidèle qu’on appelait Ching-kian-lun-sse (Djayasêna) « le maître des Çâstras, » qui était originaire du royaume de Sou-la-fo (Sourâchtra). Il était de la race des Tsa-ti-li (Kchattriyas). Dans sa jeunesse il avait montré du goût pour l’étude ; il avait commencé par se mettre sous la direction du maître des Çâstras, Hien-’aî (Bhodraroatcln), et avait étudié près de lui le In-ming-lun (Hêtouvidyâ çâstra). Ce n’est pas tout, sous ’An-’hoeï-pou-sa (Sthitamati bôdhisattva ?), il avait étudié le Ching-ming (Çabdavidyâ castra) et les divers Traités (Çastras) du Grand et du petit Véhicule. En outre, il avait étudié sous le maître de la loi, Kiaï-hien (Çilabhadra), le Yu-kia-lun (Yôgaçâstra). Pour ce qui regarde les Livres du dehors (c’est-à-dire les livres profanes), les quatre Weî-fo (Védas), les ouvrages d’astronomie et de géographie, les livres de recettes médicales (Tchikitâs vidyâ), les Traités des sciences occultes (Kriyâvidyâ) et de l’arithmétique (Sâm̃khyâna), il n’y en avait aucun qu’il n’eût lu et approfondi. Il avait remonté à la source de ces ouvrages et les avait suivis jusque dans leurs derniers développements. Il embrassait toute la doctrine ésotérique et exotérique, et sa vertu éminente lui attirait les respects de tous ses contemporains.

Le roi de Mo-kie-t’o, (Magadha) Mouan-tcheou (Poûrnavarma) était rempli de respect pour les sages et d’estime pour les lettrés. Ayant été informé de la réputation du maître des Çastras, il en fut ravi de joie. Il lui envoya des messagers pour l’inviter à venir, le nomma lecteur suprême du royaume et lui assigna pour vivre e revenu de vingt grandes villes ; mais le maître des Çâstras refusa ces offres brillantes.

Après la mort de Mouan-tcheou [Poarnavarma], le roi Kiaï-ji (Çilâditya) Finvita aussi à recevoir le titre le docteur suprême du royaume, et lui assigna pour vivre e revenu de quatre-vingts grandes villes du royaume de Outch’a (Ouda — Odra — Orissa). Le maître des Çâstras refusa comme auparavant. Le roi lui ayant adressé encore plusieurs invitations pressantes, il persista énergiquement dans son refus. « Sire, dit Ching-kiun (Djayasêna) au roi, j’ai entendu dire que celui qui reçoit un traitement d’un autre homme doit se préoccuper de ses soucis et de ses peines. Maintenant que je travaille à sauver les hommes qu’entraîne le torrent de la vie et le la mort, comment aurais-je le temps de prendre part aux affaires de Votre Majesté ? »

À ces mots, il s’inclina et sortit, sans que le roi pût le retenir. Depuis cette époque, il demeura constamment sur la montagne de la Forêt des Bâtons [Yachti- HUia giri), et prit des disciples à qui il expliquait sans cesse les livres du Bouddha. Le nombre des religieux et des laïques qui venaient se mettre sous sa direction, s’élevait constamment à plusieurs centaines. Le Maître de la loi passa auprès de lui deux années entières et étudia : 1° Le Weï-tchi-kioue-chi-lun « le Traité pour la solution et l’explication des difficultés du Weî-tchi-lun (Vidyâ mâtra siddhi) ; » 2° le Weï-tchi-i-i-li-lun « le Traité de l’esprit, du sens et des principes du Weî-tchi (Vidyâ matrâ siddhi) ; » 3° le Tching-wou-wei-lun « le Traité des moyens par lesquels on devient exempt de craintes ; » 4° le Pou-tch’ou-nic’pan-chi-eul-in-youen-lun « le Traité des douze causes (nidânas) qui empêchent qu*on ne se repose dans le Nirvana ; » 5+ le Traité Tchoang-yeih king-lan [Soûtrdiangkâra tikd) ; puis enfin il Tinterrogei sur les endroits du Yu-kia (Yôgaçâstra) et du In-ming (Hêtouvidyâ çâstra), etc. qui lui laissaient encore des doutes.

Lorsqu’il eut terminé cette étude , il fut transporté en songe dans le couvent de Na-lan-t’o (Nâlanda vihâra). Les cellules étaient vides et désertes, et les cours, sades et infectes, étaient remplies de buffles qu’on y avait attachés : on n’y voyait plus ni religieux ni novices. Le Maître de la loi étant entré par la porte occidentale de l’enceinte qu’avait fait construire le roi Yeou-ji (Bâlâditya), vit, au quatrième étage (d’une tour), un homme de couleur d’or, et dont le visage grave et sévère répandait une lumière éclatante. Transporté d’une joie intérieure, il voulut monter ; mais, ne trouvant aucune voie pour s’élever jusque là, il pria ce saint personnage de daigner s’abaisser et de l’amener jusqu’à lui. Celui-a lui dit : « Je suis Man-tchou-che-li-pousa (le Bôdhisattva Mañdjouçri) ; vos péchés passés ne vous permettent pas encore de venir. » Alors, étendant la main et lui indiquant un point au delà du couvent, « Regardez cela, » lui dit-il.

Le Maître de la loi , suivant la direction de son doigt, regarda dans le lointain, au delà du couvent. Il vit un faste incendie qui dévorait les villages et les villes, et les eut bientôt réduits en cendres. « Bientôt, lui dit le personnage de couleur d’or, vous reviendrez dans cet endroit. Dans dix ans d’ici, le roi Kiaî-ji (Çilâditya) doit nourir. L’Inde entière sera en proie à des troubles affreux et des hommes pervers se feront une guerre acharnée. Souvenez-vous bien de mes paroles. » Âpres avoir achevé ces mots, il disparut.

À son réveil, le Maître de la loi fut rempli d’étonnement et d’émotion ; il alla trouver Ching-kiun (Djayaséna) et lui fit part du songe qu’il avait eu.

« Les trois mondes, lui dit Ching-kiun (Djayasâna), sont loin de jouir de la paix ; il est probable que cette prédiction s’accomplira. Puisque vous avez reçu cet avertissement, c’est à vous de prendre vos mesures. »

Il reconnut par là, que, dans toutes leurs actions, les grands sages sont protégés par les Pou-sa (les Bôdhisatvas). Ayant l’intention de partir pour l’Inde, il resta pour en donner avis à Kiaï-hien (Çîlabhadra). Comme il prolongeait son séjour et ne se pressait pas de s’en retourner, (Mandjouçri), pour l’y décider, lui annonça la mort prochaine (du roi Çilâditya). Or, si la conduite du Maître de la loi) n’eut pas été d’accord avec les sentiments du Saint (de Mañdjouçri), comment aurait-il pu avoir ce songe ?

À la fin de la période Yong-hoeï (650), le roi Kiaï-ji Çilâditya) mourut en effet, et, conformément à la prédiction, l’Inde fut en proie aux horreurs de la famine. Wang-hiouen-tse, que l’empereur de la Chine avait envoyé en ambassade dans l’lnde, fut lui-même témoin de cette calamité. L’époque où Ton était alors répondait au commencement de notre première lune.

Dans cette même lune, d’après les usages des royaumes de l’ouest, on sort du Couvent de l’intelligence (Bôdhivihâra) les che-li (çarîras) « reliques » du Bouddha. Les religieux et les laïques des autres royaumes viennent en foule pour les voir et les adorer.

Le Maître de la loi alla aussitôt avec Ching-kiun (Djayaséna) pour voir les che-li (çarîras) osseux, de différentes grosseurs. Les gros étaient comme des perles rondes, brillants et d’un blanc rougeâtre. Il y avait aussi des che-li (çarîras) de chair desséchée ; ils étaient gros comme les fèves appelées Oaan-teou, lisses et d’un rouge vif. Une multitude innombrable de religieux offrirent des parfums et des fleurs, célébrèrent les reliques et les adorèrent. Après quoi, on les rapporta dans la Tour (Stoûpa).

Quand la première veille de la nuit fut passée, Ching-kiun (Djayasêna) disserta avec le Maître de la loi sur les différentes grosseurs des che-li (çarîras). « Votre disciple, lui dit-il, a vu, partout ailleurs, que les che-li (çarîras) n’étaient jamais plus gros que des grains de riz. Comment se fait-il que ceux que nous venons de voir soient beaucoup plus gros ? Vénérable maître, lui demanda-t-il, auriez-vous des doutes à ce sujet ? »

— « En effet, dit le Maître de la loi, je partage aussi votre surprise et vos doutes. »

Quelque temps après, (les reliques) disparurent tout d’un coup et les lampes, placées au dedans et au dehors de la chapelle, répandirent un éclat extraordinaire. Ils sortirent tout étonnés, et, regardant au loin, ils virent la tour des reliques resplendir de lumière, et de son sommet s’élever une vaste flamme de cinq couleurs qui touchait au firmament. Le ciel et la terre étaient éclairés comme en plein jour. L’on n’apercevait plus les étoiles ni la lune, et l’on respirait un air suave et parfumé qui inondait l’enceinte du couvent. Alors le prodige qu’avaient fait éclater les che-li (çarîras) se répandit de bouche en bouche. À cette nouvelle, une multitude immense se rassembla de nouveau et vint les adorer en exaltant cette merveille extraordinaire. Mais au bout de quelques instants, cette lumière brillante diminua par degrés, et, lorsque les dernières lueurs allaient disparaître, ils firent plusieurs fois le tour du vase qui renfermait les reliques. Bientôt après, le ciel et la terre rentrèrent dans l’obscurité et les étoiles reprirent leur premier éclat.

Après avoir été témoin de ce miracle, toute la multitude fut délivrée des doutes qui l’assiégeaient. Ils adorèrent Y Arbre de V intelligence (Bôdhidrouma) et tous les monuments sacrés ; puis, après avoir passé ainsi huit jours entiers, ils revinrent au couvent de Na-lan-fo (Nâlanda vihâra).

Dans ce moment, le maître des Castras, Kiai-hien (Çilabhadra), envoya le Maître de la loi pour qu’il expliquât à la multitude le Traité Che-ta-^hing-lan (Mahâyâna sampârigraha çâstra) et le Weî-tchi-kioue-chi-lun, c’est-à-dire le Traité pour la solution des difficultés du Weî-tchi-lun (Vidyâ mâtra siddhi).

À la même époque, un religieux d’une grande vertu, nommé Sse-tseu-kouang (Sinharasmi) ^ expliquait déjà aux quatre multitudes[23] les Traités Tchong-lun (le Prdnyor moula çdstra tikâ) et Pe-lan [Çataçdstra) ; il en exposait l’esprit et combattait les principes du Ya^kior-lan [Yôgaçastra).

Le Maître de la loi avait approfondi ces deux Traités, et de plus il excellait dans l’intelligence du Yu-kia (Yôgaçâstra). Il pensait que les saints hommes qui ont composé ces ouvrages, avaient suivi chacun leurs idées particulières, sans cependant être en opposition les uns avec les autres. « Si l’on ne peut, disait-il, les mettre parfaitement d’accord, on n’a pas pour cela le droit de les considérer comme étant en contradiction. La faute en doit retomber sur ceux qui commentent ces écrits. Ces divergences d’opinions sont sans conséquence pour la Loi. »

Le Maître de la loi, prenant en pitié les vues étroites et bornées de ce religieux, alla souvent pour l’interroger et le convaincre ; mais il ne put lui répondre. De là vint que tous ses disciples se dispersèrent peu à peu et s’attachèrent au Maître de la loi. Celui-ci, à l’aide des principes du Tchong-lun [Prânya moula castra tikâ), du Pe-lun (Çataçâslra) et du Weî-tchi (Vir dyâ mâtra siddhi), combattait les erreurs des docteurs appelés Pien-ki (ou des Sâm̃khyîkas). Quoiqu’il ne parlât point de la nature (empruntée) qui naît du dehors, ni de la nature vraie qui naît d’elle-même, Sse-tseu-kouang (Sinharasmi) ne pouvait parvenir à le comprendre. Toutes les fois qu’il l’entendait discuter, il déclarait qu’il ne saisissait pas un seul de ses raisonnements. Seulement il disait que la nature vraie et parfaite par elle-même, telle que l’établit le Yu-kia (le Traité du Yôga), etc. devait être laissée de côté. Le Maître de la loi, pour rapprocher les deux doctrines (celle du Tchong-lan et du Pe-lun, et celle du Yôgaçâstra), et montrer qu’elles n’étaient point en contradiction, publia, en trois mille çlôkas, un ouvrage intitulé Hoeî-tsong-lun (ou Traité pour la concordance des principes). Quand il l’eut achevé, il le présenta à Kiaî-kien (Çîlabhadra) et à la multitude des religieux. Il n’y eut personne qui n’en fit l’éloge le plus pompeux et ne voulût le répandre et le proposer comme un sujet d’étude.

Sse-tseu-kouang (Sinharasmi) lut couvert de confusion et sortit sur-le-champ. Il alla dans le Couvent de l’Intelligence (Bôdhivihâra), et ordonna à un de ses condisciples de l’Inde orientale, nommé Tchen-ta-lo-^seng-ho (Tchandrasihha] y de venir avec lui et de discuter sur les points difficiles de la doctrine. Il espérait, avec son secours, effacer la honte dont il s’était couvert.

Mais quand ce religieux fut arrivé, il se sentit saisi de crainte et n’eut pas la force de proférer un seul mot. Cette circonstance ne fit qu’augmenter la réputation du Maître de la loi.

Dans le commencement, avant le départ de Sse-tseu-kouang (Siñharasmi), le roi Kiai-ji (Çilâditya) avait fait construire, à côté du couvent de Na-lan-t’o (Nâlanda). un Vihâra en teou-che (cuivre) haut de dix tchang (cent pieds), dont la magnificence était connue de tous les autres royaumes. Quelque temps après, le roi, revenant de faire la guerre au roi de Kong-yu-fo (Kongyôdha ?), passa par le royaume de Outch’a (Ouda — Odra — Orissa). Les religieux de ce royaume étudiaient tous le petit Véhicule, et n’avaient point foi dans la doctrine du grand Véhicule. Ils disaient qu’elle avait été exposée par les hérétiques Kong-hoa-waï-tao (Çounyapouchpas ?), et non par le Bouddha. Quand ils eurent vu le roi, ils vinrent lui faire des représentations : « Nous avons appris, lui dirent-ils, que Votre Majesté a fait élever, à côté du couvent de Ndlanda, un Vihâra d’une construction noble et imposante. Pourquoi ne l’avoir pas fait construire dans le couvent des hérétiques Kia-po-li (Kâpâlika^s), et avoir choisi de préférence ce couvent de Nâlanda ?

— « Pourquoi m’adressez-vous un tel reproche ? » leur dit le roi.

« C’est, répondirent-ils, que les hérétiques Kong-hoa-waï-tao (Çounyapouchpas ?) du couvent de Na-lan-t’o (Nâlanda), ne diffèrent en rien des Kia-po-li (Kâpâlikas). »

Précédemment, un prince de l’Inde méridionale, qui avait reçu l’onction royale (Moûrddhâbhichikta râdjâ)[24], avait pour maître un vieux Po-lo-men (Brahmane) nommé Pan-to-kio-to (Pradjhdgoupta), qui était versé dans la doctrine de l’Ecole Tching-liang-pou (l’Ecole des Sammitiyas), et avait composé, en sept cents çlôkas, un Traité pour combattre le grand Véhicule. Tous les maîtres du petit Véhicule en furent transportés de joie. Ils le montrèrent au roi et lui dirent : « Tel est l’exposé de nos principes. Y aurait-il maintenant un partisan du grand Véhicule qui pût en réfuter un seul mot ? » — « J’ai entendu dire, leur répondit le roi, qu’un renard se trouvant un jour au milieu d’une troupe de souris et de rats se vantait d’être plus brave que le lion ; mais dès qu’il l’eut aperçu, le cœur lui manqua, et il disparut en un clin d’œil. Vous n’avez pas encore vu, vénérables maîtres, de religieux éminents du grand Véhicule. Voilà pourquoi vous soutenez avec obstination vos principes insensés. Je crains bien qu’en les apercevant vous ne ressembliez au renard dont je viens de parler.

Si vous doutez de notre supériorité, répondirent-ils au roi, pourquoi ne pas rassembler les partisans des deux doctrines et les mettre en présence, pour décider de quel côté est la vérité ou l’erreur.

— Cela n’est point difficile, » répartit le roi. Sur-le-champ, il envoya au couvent de Nâlanda un messager chargé d’une lettre pour Kiaï-hien (Çilabhadra) qui était sumonmié Tching-fa-thsang (le Trésor de la droite voie — Saddharmagarbha ?). « Votre disciple, lui disait-il, en passant par le royaume de Ou-tch’a (Orissa), a vu des maîtres du petit Véhicule qui, poussés par des vues étroites et bornées, ont composé des traités (câstras) où ils dénigrent et calomnient le grand Véhicule dans un style fougueux et plein de fiel. Ils poussent l’audace jusqu’à vouloir discuter avec vous tous. Je sais que dans votre couvent, il y a une multitude de religieux qui se distinguent autant par leur vertu éminente que par leur talent et leur intelligence, et dont l’instruction profonde embrasse toutes les branches de la science. Leur ayant promis de favoriser ces conférences, je vous prie respectueusement de répondre à leur demande. Veuillez envoyer auprès d’eux, dans le royaume de Ou-tch’a (Orissa), quatre religieux versés dans leur propre doctrine (celle du grand Véhicule) et dans celle des autres (celle du petit Véhicule), ainsi que dans la doctrine ésotérique et exotérique. »

Dès que Kiaï-hien (Çilabhadra) eut reçu cette lettre, il rassembla les religieux et choisit, après un mûr examen, llaî-hoei (Sdgaramati ?)y Tchi-kouang (Djndnapror bha ?), Sse-tseU’kouang (Sinharasmi) et le Maître de la loi, et se disposa à les envoyer tous quatre en qualité de délégués pour répondre à l’appel du roi.

Haï-hoeï (Sâgaramati ?) et ses deux collègues éprouvèrent une vive inquiétude ; mais Çilabhadra se hâta de les rassurer. « Pour ce qui regarde les diverses écoles du petit Véhicule, leur dit-il, lorsque Hiouen-thsang, maître de la science des Trois Recueils, se trouvait dans mon pays natal, puis lorsqu’il fut entré dans le royaume de Kachmire, il les a toutes étudiées et en a approfondi les principes. Si les partisans de cette doctrine prétendaient s’en servir pour renverser le grand Véhicule, ils n’y réussiraient jamais. Bien que Hiouen-thsang n’ait qu’une instruction médiocre et une intelligence ordinaire, il ne peut manquer de leur tenir tête et de les vaincre. Je vous supplie donc, vénérables maîtres, de ne plus vous tourmenter à ce sujet ; mais, si par hasard il éprouvait une défaite, dès ce moment le religieux de la Chine ne prendrait plus part à de semblables discussions. »

Ces paroles remplirent de joie les trois religieux.

Peu après, le roi Kiaî-ji (Çilâditya) adressa à Çilabhadra une nouvelle lettre où il disait : « Avant hier, je vous avais demandé plusieurs religieux d’un grand mérite ; pour le moment, il ne faut pas qu’ils partent. Plus tard, je les prierai de se mettre en route. »

À cette époque, il y eut encore un hérétique de la secte appelée Chun-chi (la secte des Lôkâyatas) qui vint pour discuter sur les points difficiles. Il écrivit un abrégé de sa doctrine en quarante articles et le suspendit à la porte du couvent. « Si quelqu’un, dit-il, peut en réfuter un seul article, je lui donne ma tête à couper pour reconnaître sa victoire. »

Quelques jours s’étant écoulés sans que personne eût répondu à cette insolente provocation, le Maître de la loi envoya un homme pur (un religieux) de l’intérieur du couvent, avec ordre de détacher cet écrit. Il le prit, le déchira et le foula aux pieds. Le Po-lo-men (brâhmane)[25] entra en fureur et lui dit : « Qui êtes-vous ? »

— « Je suis, répondit le Maître de la loi, l’esclave Mo’ho-ye-na-ti’po (Mahâyânadêva). »

Le brâhmane, qui depuis longtemps avait entendu parler de la réputation du Maître de la loi, fut rempli de confusion et n’osa pas discuter avec lui.

Le Maître de la loi le fit entrer, le mit en présence du maître Kiaï-hien (Çilabhadra) et pria les autres religieux de lui servir de témoins, pendant qu’il discuterait avec lui et réfuterait ses principes. Alors, parcourant dès l’origine les opinions des diverses écoles des hérétiques, il s’exprima ainsi : « Les hérétiques Pou-to (Bhoûtas), les Li-hi (Nirgranthas), les Leou-man (Kâpâlikas) et les TchoU’tching’kia (Djouṭikas ?) portent des vêtements différents. Les Sou-Aan-’waî’tao (les Sàmkhyikas) et les Ching-lan-waî-lao (les Vâiçêchikas) ont établi des principes opposés. Les Pou-to (Bhoutas) se frottent le corps avec de la cendre, s’imaginant accomplir un acte d’un grand mérite. Toute leur peau est d’un blanc livide, comme celle d’un chat qui aurait couché dans une cheminée. Les Li-hi (Nirgranlhas) croient se distinguer en laissant leur corps nu, et se font une vertu d’arracher leurs cheveux. Leur peau est toute fendue et leurs pieds sont calleux et gercés ; on dirait de ces arbres pourris qui sont près des rivières. Les Leou-man (Kâpâlikas) se font des chapelets avec des ossements de crânes, en ornent leur tête et les suspendent à leur cou ; ils habitent le creux des rochers, semblables aux Yo-tcha (Yakchas) « démons » qui hantent les tombeaux. Quant aux Tching-kia[26], ils portent des vêtements souillés d’ordures et dévorent des mets pourris et des viandes corrompues. Ils sont aussi infects et aussi dégoûtants qu’un porc au milieu d’un cloaque. Et cependant, vous autres, vous considérez cela comme des actes de vertu ! N’est-ce pas le comble de la stupidité et de la folie ?

« Quant aux hérétiques qui suivent la doctrine appelée Sou-lun (Sâm̃khyâ), ils ont établi vingt-cinq vérités. Suivant eux, de la nature qui nous est propre naît l’augmentation (de l’intelligence) ; de l’augmentation (de l’intelligence) naît le moi qui produit les cinq choses subtiles, ensuite les cinq grandes choses, et enfin les onze racines. Ces vingt-quatre choses sont toutes au service du moi et contribuent aux jouissances du moi. Quand nous sommes dégagés de toutes ces choses, nous obtenons la pureté parfaite. »

Le Maître de la loi passa en revue les points principaux de la philosophie Sâm̃khyâ et de la doctrine des Vâiçêchikas, et en démontra sans peine le ridicule et l’absurdité. Le brâhmane fut attéré et resta longtemps sans pouvoir proférer un seul mot. Enfin, il se leva et dit : « Aujourd’hui je suis vaincu ; je vous laisse libre de profiter de ma première convention (c’est-à-dire de me couper la tête).

— Nous autres enfants de Çâkya, lui dit le Maître de la loi, nous ne faisons jamais de mal aux hommes. Aujourd’hui, je me borne à vous prendre à mon service comme un esclave soumis à toutes mes volontés. »

Le brâhmane fut transporté de joie et le suivit avec respect. Il ne put s’empêcher de louer avec enthousiasme tout ce qu’il venait d’entendre.

Le Maître de la loi eut le désir de s’arrêter dans le royaume de Ou-tch’a (Orissa). Il se procura alors le traité en sept cents çlokas qu’un docteur du petit Véhicule (nommé Pradjñâgoupta) avait composé pour réfuter la doctrine du grand Véhicule. Ayant remarqué dans cet ouvrage quelques endroits douteux, il dit au brâhmane qu il venait de vaincre : « Avez-vous entendu expliquer ce livre ?

— « Je l’ai entendu expliquer cinq fois d’un bout à l’autre, » répondit celui-ci.

Le Maître de la loi ayant voulu qu’il expliquât ces passages, il répondit : « Maintenant je suis votre esclave ; serait-il convenable que je donnasse des leçons à mon vénérable maître ? »

— « Ces principes me sont étrangers, lui dit le Maître de la loi, je n’en avais encore aucune idée ; expliquez-les donc sans scrupule ni hésitation. »

« En ce cas, dit le brâhmane, veuillez attendre jusqu’au milieu de la nuit. Je craindrais que les hommes du dehors ne m’entendissent et qu’en paraissant étudier sous la direction de votre esclave, vous ne ternissiez votre honorable réputation. »

Quand la nuit fut venue, il éloigna tout le monde et ordonna au brâhmane d’expliquer ce livre d’un bout à l’autre.

Quand il l’eut bien compris, il en rechercha les erreurs et composa à son tour un traité en mille çlôkas, intitulé P’o-o-kien-lun (Traité pour réfuter les mauvaises doctrines), où il exposait de point en point les principes du grand Véhicule et renversait ceux du petit Véhicule ; puis il le présenta au maître de la loi, Kiaï-hien (Çilabhadra), qui le montra et le lut à ses nombreux disciples. Ceux-ci ne purent contenir leur admiration. « Quand on possède à fond un tel ouvrage, s’écrièrent-ils, quel est l’adversaire que l’on ne puisse anéantir ? »

Le Maître de la loi dit alors au brâhmane : « Pour avoir été vaincu en discutant, vous êtes devenu esclave ; vous avez été assez humilié. Maintenant, je vous rends la liberté ; vous pouvez aller où vous voudrez. »

Le brâhmane fut ravi de joie et prit congé de son naître. Il alla à Kia-mo-leou-po (Kâmaroûpa), dans l’Inde le l’est, se rendit auprès du roi Kieou-mo-lo (Koumâra) et l’entretint des vertus et de la justice du Maître de la loi.

Le roi en fut charmé et envoya sur-le-champ un de ses grands officiers pour l’inviter à venir dans ses états.

  1. Inde centrale.
  2. Si-yu-ki, liv. X, fol.
  3. Inde méridionale.
  4. Le Si-yu-ki (liv. X, fol. 7 v°) s’exprime d’une manière un peu différente : Il y a une centaine de temples de Dêvas (temples brâhmanîques) : les sectateurs des différentes croyances habitent pêle-méle. Les (hérétiques) Ni-kien (Nirgranthas), qui vont nus, ont un nombre considérable de disciples.
  5. Si-yu-ki, liv. X, fol. 8.
  6. Inde orientale.
  7. J’ignore s’il s’agit du In-ming-lun (Hêtouvidyâ çâstra) ou du Inming-tching-li-men-lan (Niyâya dvâra târaka çâstra).
  8. Inde méridionale. Le Si-yu-ki (liv. X, fol. 16) donne une leçon un peu différente : De là, au milieu d’une grande forêt, il fit neuf cents li au sud, et arriva au royaume de 'An-ta-lo.
  9. Lisez : In-men-tching-li-men-lun. Diction. Fan-i-ming-i-tsi, livre II, fol. 22.
  10. Inde méridionale.
  11. Inde méridionale.
  12. Inde méridionale. Le Si-yu-ki (liv. X, fol. 21 verso) emploie ici la locution qui indique que le voyageur est allé dans un lieu : De là, prenant la direction du sud, il fit trois cents li et arriva au royaume de Malakoûṭa.
  13. Ratnadvîpa.
  14. Liv. xi, fol. 1 et suiv. C’est la relation originale d’Hiouen-thsang, dont le titre signifie Mémoires sur les contrées de l’ouest.
  15. Inde méridionale.
  16. Inde méridionale.
  17. Il ne faut pas confondre ce roi avec Çilâditya, roi de Kanyâkoubdja, qui était contemporain de notre voyageur. Voy. liv. passim.
  18. Triratna ou Ratnatraya, c’est-à-dire Bouddha, Sam̃gha (l’assemblée des religieux), Dharma (la Loi).
  19. C’est-à-dire dans la relation originale d’Hiouen-thsang, liv. XI, [illisible].
  20. Inde occidentale.
  21. Je suis ici le Si-yu-ki (liv. XI, fol. 21) qui est plus correct.
  22. Inde du nord. Le Si-ya-ki donne la leçon Po-fa-to pour Parvata. Celle de notre auteur est préférable, si l’on a soin de rétablir l’ordre des signes phonétiques : Po-lo-fa-to.
  23. Aux bhikchous et aux bhikchounis, aux oupâsakas et aux oupinkit ; c’est-à-dire : aux religieux mendiants, aux religieuses mendiantes, et aux fidèles des deux sexes.
  24. D’après ce que nous lisons page 223, l. 8, ce parait être Çîlâditya.
  25. C’est-à-dire le brahmane de l’école des Lôkâyatas qui provoquait le religieux.[illisible]
  26. Plus haut, ces hérétiques sont appelés Tchou-tching-kia.