Histoire de la musique (Lavoix, 1884)/Introduction

HISTOIRE DE LA MUSIQUE


INTRODUCTION

QUELQUES DÉFINITIONS EN FORME DE PRÉFACE

La musique. — Le son. — Le rythme. — L’accent. — L’harmonie. — Les timbres. — Les instruments. — Plan sommaire de cette histoire de la musique.

« La musique est l’art de combiner les sons d'une manière agréable à l'oreille. » Cette définition, qui est celle de J.-J. Rousseau, est la plus répandue ; mais il faut avouer qu’elle est aussi la plus incomplète et la plus fausse. Si la musique ne consistait que dans la sensation plus ou moins agréable qu’elle procure, elle serait un art bien inférieur à tous les autres. Cette sensation diffère suivant les époques, les âges, les individus. Les dilettantes du moyen âge trouvaient fort agréables des combinaisons sonores qui, aujourd’hui, révoltent les oreilles les moins sensibles, et cependant ces combinaisons, si barbares qu’elles nous paraissent, sont de la musique ; les amateurs exclusifs des anciens maîtres trouvent intolérables les hardiesses et les nouveautés que nous admirons dans les œuvres des compositeurs contemporains, et cependant ces œuvres sont de la musique. Bien plus, nous connaissons des pages qui, non seulement n’ont pas été écrites dans le but d’être agréables, mais dans l’intention bien formelle d’éveiller des sensations douloureuses et pénibles, et cependant ces pages, dont quelques-unes sont sublimes, sont encore et toujours de la musique. — « Croyez-vous donc que l’on écoute la musique pour son plaisir ? » disait Berlioz à Adolphe Adam, un musicien qui, lui, n’avait cherché qu’à plaire. Sous cette boutade exagérée, Berlioz cachait une vérité. La musique, telle que nous la comprenons aujourd’hui, est souvent un art de plaisir et d’agréables sensations, c’est vrai ; mais elle est surtout un puissant moyen d’expression. Elle a pour but idéal et noble, non seulement de distraire agréablement nos oreilles, mais d’éveiller en nous les émotions les plus diverses. Les goûts se sont modifiés bien des fois, les procédés matériels ont changé ; mais les seules œuvres vraiment durables sont celles qui n’ont pas été conçues et écrites pour le plaisir d’un moment. Aussi bien laissons de côté toute définition, heureux si le lecteur, en fermant ce livre, peut se faire une idée à la fois nette et grandiose de cet art sublime et singulier de la musique, dont le propre est de produire suivant les temps et les individus des effets différents, tout en ayant une esthétique à lui bien définie.

Il est dans la musique deux éléments premiers et constitutifs sans lesquels elle n’existe pas, le son et le rythme. Sous le rapport acoustique, le son est la vibration des molécules des corps frappant régulièrement notre oreille. Selon que ces vibrations sont plus ou moins rapides, le son est plus aigu ou plus grave, ou bien, comme on dit vulgairement par erreur, plus haut ou plus bas. On appelle intervalle la différence des vibrations par rapport les unes aux autres. Nous n’avons à parler ici ni d’acoustique ni même de théorie musicale ; cependant il est nécessaire de savoir que les sons, diversement disposés, constituent ce que l’on appelle des gammes et que c’est le système combiné de ces gammes qui est la tonalité. Les changements de tonalité, aux différentes époques et chez les différents peuples, ont donné naissance aux grandes évolutions de l’histoire musicale.

Le rythme consiste à disposer les sons de telle façon que, de distance en distance, régulière ou irrégulière, un son apporte à l’oreille la sensation d’un repos ou d’un arrêt[1]. Si nous comparons la musique à la langue parlée, nous pouvons dire que les sons représentent les mots, et que c’est au moyen du rythme que ces mots sont reliés entre eux sous forme de phrases. De cette union du rythme et du son naît l’accent, par lequel ces mots et ces phrases prennent un sens précis et expressif : la musique est de toutes les langues celle dont l’accent est le plus souple et le plus délicat.

Ce sont les combinaisons des rythmes et des sons multipliées à l’infini, et dont la variété est aujourd’hui encore bien loin d’être épuisée, qui ont, de tout temps, constitué la musique, depuis les essais les plus embryonnaires jusqu’à l’art le plus raffiné.

Non contents de chanter successivement les sons en les astreignant aux lois d’une tonalité et d’un rythme, les musiciens eurent l’idée de superposer et de faire entendre à la fois deux, trois, quatre, et même davantage de ces sons ; ils formèrent ainsi l’harmonie que l’on pourrait définir de la sorte : L’harmonie est l’art de combiner les sons, de manière à en faire entendre plusieurs à la fois. Cet assemblage de sons superposés présente deux caractères bien distincts : ou l’oreille éprouve comme une sensation de repos, ou, au contraire, certaines de ces combinaisons la laissent en suspens et pour ainsi dire inquiète ; elle exige alors impérieusement ce repos qu’on lui a fait désirer. Dans le premier cas, l’harmonie est dite consonante ; dans le second, elle est dissonante. L’histoire nous apprendra par quelles péripéties les dissonances sont devenues consonances et vice versa ; mais, en principe, c’est toujours d’après cette division que les superpositions de notes, dites accords, ont été désignées.

À la tonalité, au rythme, à l’harmonie vient se joindre un quatrième élément, le timbre, qui joue dans la musique le rôle du coloris dans la peinture. Chanter ne suffisant pas à l’homme, il voulut inventer des voix factices permettant de varier les sons, et il trouva ce que l’on appelle des instruments de musique. Si nombreux qu’ils aient été, depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos jours, tous les instruments peuvent se réduire à trois types principaux : 1° les instruments à cordes ; 2° les instruments à vent ; 3° les instruments à percussion. Les instruments dits à cordes se subdivisent eux-mêmes en deux espèces : tantôt les cordes sont mises en vibration au moyen d’un archet, comme dans le violon ; tantôt on arrive au même résultat en les pinçant avec le doigt, comme dans la guitare. Il existe aussi des instruments dont les cordes sont frappées avec des marteaux.

Dans les instruments dits à vent, on distingue trois types principaux : ceux à bec, comme la flûte, dans laquelle l’air vibre en se brisant contre un biseau ; ceux à anche simple ou double, comme le hautbois ou la clarinette, dans lesquels une ou deux fines languettes de roseau sont mises en vibration au moyen des lèvres et font résonner, par conséquent, l’air contenu dans le corps de l’instrument. Dans les instruments à embouchure, l’air, poussé avec force dans une sorte de bocal, résonne en se précipitant à travers une étroite ouverture dans un ou plusieurs tuyaux. Ces tuyaux sont le plus souvent en métal, ce qui fait que les instruments à embouchure, comme la trompette, le cor, le trombone, etc., ont pour désignation générale le nom d’instruments de cuivre. Enfin les instruments de percussion sont ceux qui retentissent quand on les frappe, soit avec la main, comme le tambour de basque ; soit avec des baguettes, comme le tambour ou les timbales ; soit au moyen de marteaux, comme les cloches et clochettes ; soit quand on les heurte les uns contre les autres, comme les castagnettes et les cymbales. Quelques transformations qu’aient subies tous ces instruments, depuis la plus haute antiquité jusqu'à nos jours, c’est toujours au moyen des cordes, du bec, de l’anche, de l’embouchure ou de la percussion qu’ils ont résonné.

Ces définitions sont, il faut l’avouer, assez fastidieuses, mais indispensables. Le son, le rythme, le timbre seront, en effet, les personnages principaux, pour ainsi dire, de cette histoire, sous forme de mélodie, de mesure, d’harmonie, d’instrumentation. Nous laisserons de côté les origines primitives de la musique. Outre que là le champ est ouvert à toutes les hypothèses et que de tout temps on a fort abusé de la permission, le sujet regarde plus la philosophie et même l'anthropologie que l'histoire artistique, et nous commencerons avec les anciens peuples de l’Orient, c’est-à-dire les Égyptiens et les Assyriens, au moment où un art musical nous apparaît véritablement constitué. Passant à travers la Grèce et Rome, nous tenterons de trouver les liens qui unissent la musique antique à l’art moderne, car, il ne faut pas s’y tromper, il n’y a pas de lacune dans l’histoire musicale, il n’y a que des ignorances. Si les anneaux de la chaîne nous paraissent brisés, c’est que les historiens n’ont pas su les rattacher.

Le moyen âge nous montrera les origines de la musique moderne, de notre harmonie, de la tonalité qui fait aujourd’hui le fond de notre langue musicale. Des musiciens primitifs du moyen âge aux grands maîtres qui, du xvie au xviiie siècle, ont été les précurseurs et les créateurs de notre art moderne, la transition sera facile ; enfin la musique contemporaine servira de conclusion à cette histoire ; elle sera le résultat inévitable et logique de tous les faits qui se seront rapidement déroulés devant nous, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours.

Nous l’avons dit, ceci est une histoire de la musique et non des musiciens. Des noms, des dates, des titres de compositions, voilà tout ce que nous pourrons dire sur eux, à moins que quelques anecdotes, quelques détails de leur vie se rattachent directement à l’historique de leurs œuvres. Ce court volume ne suffirait pas s’il fallait entreprendre, même en abrégé, la biographie de chacun des maîtres qui ont successivement contribué aux progrès de l’art musical.

Ambros. Geschichte der Musik. 5 vol. in-8o, 1880-1882 (s’arrête au xvie siècle).

Brendel (Franz). Geschichte der Musik, in-8o, 1878.

Burney. A general history of Music. 2 vol. in-4o, 1788-1801.

Clément. Dictionnaire lyrique, in-8o, 1869.

Fétis. Histoire générale de la Musique. 5 vol. in-8o, 1869-1876 (s’arrête au xive siècle). — Résumé philosophique de l’histoire de la Musique 1er vol. de la Biographie des Musiciens, 1re édition). — Biographie des Musiciens (2e édition), 8 vol. in-8o, 1860-1865, avec 2 vol. de supplément par A. Pougin, 1878-1880.

Forkel. Allgemeine geschichte der Musik. 2 vol. in-4o, 1788-1801.

Grove. A dictionary of music and musicians, 1850-1880. In-8°, 1879.

Hawkins. History of the science and practice of music. 3 vol. in-4o. 1777. Nouvelle édition, 1853.

Laborde. Essai sur la musique ancienne et moderne. 3 vol. in-4o, 1780.

Langhans. Die Musik geschichte in Zwölf Vorträgen. In-8°, 1879.

Marcillac. Histoire de la Musique et des Musiciens en Italie, en Allemagne et en France, depuis l’ère chrétienne jusqu’à nos jours. 1 vol. in-8o, 1879.

Mendel. Musikalisches conversation’s Lexicon. 10 vol. in-8o 1870-1878.




  1. Lussy (Matthis), le Rythme musical.