Histoire de la maladie des pommes de terre en 1845/Chap IX

Chapitre IX - De l'innocuité des tubercules malades comme aliment.


CHAPITRE IX.


De l’innocuité des tubercules malades comme aliment.


L’expérience a démontré aujourd’hui que l’usage alimentaire des pommes de terre malades ne produit aucun effet nuisible ni sur la santé des hommes ni sur celle des animaux domestiques, et qu’à plus forte raison, en enlevant les portions altérées, on conserve aux tubercules toutes leurs qualités. Je puis citer, à l’appui de ce fait, ce qui se passe depuis plusieurs semaines dans les casernes de la banlieue de Paris, où les soldats se nourrissent de tubercules avariés qu’ils obtiennent à très bas prix, et qu’ils préfèrent, après les avoir épluchés, aux légumes secs ; il est bien entendu qu’il ne peut être question ici de tubercules putrilagés.

En Hollande, des familles indigentes, dont la nourriture consiste cette année en pommes de terre malades, n’éprouvent d’autres désagréments que celui d’ajouter, à cet aliment de mauvaise qualité, une faible quantité de vinaigre pour masquer l’odeur que répandent, par la cuisson, les tubercules avariés. Les petits cultivateurs du même pays, pour qui ces tubercules doivent former la base de l’alimentation, y ajoutent quelques gros légumes au lieu de se nourrir exclusivement de pommes de terre bouillies suivant l’usage du pays. Ces expériences reproduites depuis quelques semaines sur une grande échelle, sont démonstratives et de nature à calmer les craintes pour l’avenir.

En Belgique, on a reconnu que des porcs pouvaient être impunément nourris pendant trois mois au moyen de tubercules avariés, bouillis ou crus ; ce résultat fort important, comme l’a fait remarquer M. Bourson, permet au petit cultivateur de compter sur l’engraissement du porc qu’il entretient pour servir à sa nourriture d’hiver.

Des observations suivies avec soin, du 24 août au 7 septembre, par M. Numan, professeur à l’école vétérinaire d’Utrecht, ont prouvé d’une manière plus certaine encore l’innocuité des tubercules avariés sur des porcs et des chiens. Quatre porcs, nourris chaque jour avec dix kilogrammes de tubercules crus et très gâtés, auxquels on ajoutait deux litres de lait de beurre, se sont engraissés comme ceux auxquels on accordait dix kilogrammes de pommes de terre gâtées et bouillies, deux litres de lait de beurre et un kilogramme de farine d’orge.

Il est un fait plus rassurant encore à ajouter, c’est que les bestiaux, et surtout les porcs, nourris exclusivement aujourd’hui de tubercules fortement avariés n’ont ressenti jusqu’ici aucune incommodité, et que les cultivateurs paraissent, du moins en Belgique et en Hollande, entièrement rassurés sur les effets de ce mode d’alimentation. Ce fait est d’autant plus important qu’il atténue les résultats désastreux de la maladie. Partout en Belgique on ramasse les pommes de terre, depuis longtemps abandonnées dans les campagnes, pour en nourrir les bêtes à cornes, auxquelles on les administre, il est vrai, avec modération. Aujourd’hui revenu en général à des idées plus justes, quoique fort éloignées encore de la vérité, le cultivateur ne perd rien des tubercules qu’il avait jugé prudent de rejeter dans le principe, lorsque, sous la préoccupation d’une croyance erronée, il attribuait aux tubercules malades tous les cas de mort qui se manifestaient parmi ses animaux domestiques.

En résumé, rien ne prouve le danger des tubercules malades ; et si, contre toute probabilité, la maladie venait à sévir de nouveau, les cultivateurs, éclairés par tout ce qui précède, trouveraient pour eux-mêmes un emploi utile des tubercules gâtés, et sauraient qu’à l’aide de quelques légères précautions ils peuvent, avec la même sécurité, nourrir leur bétail des parties les plus avariées.