Histoire de la guerre entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Angleterre/Préface

Traduction par A. De Dalmas.
Corbet (Volume Ip. 1-8).
PRÉFACE

DU TRADUCTEUR.


Séparateur



L E siècle dernier fut, témoin de l’un de ces grands événements qui font époque dans l’histoire du monde. De faibles colonies, différant entre elles de mœurs et d’intérêts, manquant de capitaux, d’armes, de munitions, n’ayant qu’une population peu nombreuse disséminée sur un immense territoire, osèrent lever l’étendard de la révolte contre leur puissante métropole. Celle-ci, malgré ses flottes formidables, malgré ses armées aguerries, malgré les dissensions intestines qu’elle sut fomenter, ne put rétablir sa domination  ; et au bout d’une lutte de huit années, l’Amérique unie, constituée en corps de nation, força l’orgueilleuse Angleterre à reconnaître ses droits, et à traiter avec elle d’égal à égal ; tant a de force, tant peut produire de nobles effets le véritable amour de la patrie et de l’indépendance  !

Si l’Amérique, au milieu du tumulte des armes, avait paru digne de fixer Inattention du monde entier, le spectacle qu’elle offrit après la paix glorieuse de 1783 ne fut pas moins intéressant. C’était beaucoup en effet d’avoir conquis la liberté  ; mais il restait à régler la manière dont chaque citoyen devait jouir de ce bien précieux  ; il fallait établir, assurer les rapports des différents états entre eux, édifier enfin un gouvernement tel qu’il fût assez fort pour maintenir et faire respecter la fédération, sans néanmoins blesser en rien l’administration de chaque état particulier. Ce résultat difficile fut obtenu par la constitution adoptée et proclamée en 1787. Dès-lors, l’Amérique, forte de ses nouvelles institutions, s’élança à pas de géant dans la carrière qui lui était ouverte. Son industrie ne connut plus de bornes  ; d’immenses déserts se couvrirent de riches moissons  ; des villes nombreuses et florissantes s’élevèrent de toutes parts  ; le pavillon américain flotta sur les mers les plus éloignées  ; enfin, les États-Unis, devenus l’asile de tous les malheureux de l’ancien monde, virent en peu d’années s’accroître leur population et leur puissance d’une manière prodigieuse.

Cependant, l’Angleterre voyait, avec, un dépit qu’elle ne cherchait pas même à dissimuler, les progrès rapides que faisait la fortune de ses anciennes colonies  ; et, dans l’espoir d’entraver leur marche prospère, il n’y eut pas d’outrages, d’injustices, qu’elle ne se permît envers elles. L’Amérique aurait dû  sans doute, ne pas souffrir, ou du moins venger promptement, de pareils affronts  ; mais sa constitution, si sage dans toutes ses autres dispositions, ne semblait pas accorder au gouvernement fédéral une force suffisante pour entamer la guerre, et la conduire avec succès. D’ailleurs, dans le repos d’une longue paix, les habitudes militaires s’étaient perdues, le bouillant enthousiasme déployé à l’époque de la révolution s’était refroidi  ; il n’y avait plus de Washington pour conduire les citoyens à la victoire  ; et ce ne fut pas sans effroi que beaucoup de bons esprits virent la législature nationale, lassée enfin de l’insolence intolérable de la Grande-Bretagne, lui déclarer la guerre en 1812.

Cette guerre, à laquelle les grands événements qui se passaient alors en Europe ne permirent pas de faire toute l’attention qu’elle méritait, fut fertile en résultats aussi étonnants qu’imprévus. Une marine, composée de quelques frégates, lutta avec la plus forte marine du monde, et sut la vaincre dans presque, tous les combats. Des armées, formées à la discipline dans les guerres européennes vinrent échouer contre des corps de volontaires et de miliciens. L’Amérique eut sans doute des fautes et des malheurs à déplorer  ; l’ennemi lui fit beaucoup de mal  ; il put incendier Washington, piller, saccager beaucoup d’autres villes, ruiner un grand nombre de particuliers  ; mais il ne put s’établir solidement nulle part : on le chassa de toutes les conquêtes éphémères qu’il avait faites  ; et le dernier combat de la guerre, celui qui fut livré sous les murs de la Nouvelle-Orléans, a dû convaincre l’Angleterre, par la perte énorme qu’elle y essuya  ? que désormais elle n’avait plus que honte et désastres à recueillir en venant attaquer les fils de l’Amérique sur le sol sacré de leur patrie.

Parmi les différentes relations de cette guerre qui parurent aux États-Unis peu après la conclusion de la paix, celle dont nous donnons en ce moment la traduction s’est fait particulièrement remarquer  ; et plusieurs éditions, épuisées dans le cours de quelques mois, ont suffisamment prouvé son succès. M.  Brackenridge, son auteur, a retracé, avec précision et clarté, toutes les opérations militaires qui, pendant près de trois années, ont eu lieu sur la vaste étendue des côtes et des frontières des États-Unis. Il est entré dans des détails fort intéressants, tant sur la manière dont le gouvernement américain s’y était pris pour engager les Indiens à adopter les mœurs de la civilisation, que sur l’ingratitude avec laquelle ceux-ci payèrent les faveurs dont ils avaient été comblés. Il a peint ces malheureux, séduits, entraînés par les menées sourdes, par les suggestions perfides de l’Angleterre, abandonnant tout-à-coup leurs villages déjà si florissants, portant la dévastation dans les établissements frontières, massacrant tout ce qui se présentait à eux, et forçant enfin les Américains, naguère leurs bienfaiteurs, à employer contre eux les moyens de répression qu’ils avaient rendus nécessaires. Bientôt, accablés de toutes parts, ils se repentirent des affreux désordres auxquels ils s’étaient livrés, et n’eurent d’autre ressource que d’implorer la générosité du vainqueur : la paix leur fut accordée, et ils rentrèrent dans un repos dont ils n’auraient jamais dû sortir, et qui, tout porte à l’espérer, ne sera plus troublé.

M.  Brackenridge a semé son récit de réflexions partant d’une âme douée d’un ardent patriotisme et d’une philantropie éclairée. Il rend hommage à la vertu partout où il la rencontre, même dans les rangs ennemis  ; mais aussi, c’est avec toute l’indignation d’un honnête homme qu’il tonne contre les cruautés inutiles, contre les lâches fureurs que, suivant lui, des généraux anglais ont ordonnées ou souffertes. Les imprécations qu’il lance contre eux sont de la plus grande force  ; et si ces généraux ne les ont pas méritées, ils auraient dû s’empresser de donner un démenti formel à leur auteur. Quant à nous, dans l’impossibilité de vérifier l’exactitude des faits imputés aux Anglais, nous avons dû nous borner à traduire fidèlement les passages qui les concernent  ; et nos lecteurs penseront sans doute comme nous, qu’avant de porter un jugement définitif sur des accusations si graves, et dont nous n’avons pour garant que l’accusateur lui-même, il est de toute équité d’attendre et de peser les moyens de défense des accusés.

Nous avons mis tous nos soins à ne pas affaiblir le style souvent très-énergique de notre auteur, et à rendre notre traduction la copie fidèle de son ouvrage. Heureux si nous pouvons faire partager à nos lecteurs l’intérêt que nous avons pris aux événements d’une guerre dont le double résultat a été de porter un coup sensible à la puissance britannique, et déconsolider à jamais la fédération américaine !