Histoire de la guerre entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Angleterre/Chapitre 08
Corbet, (Volume I, p. 257-282).
CHAPITRE VIII.
ENDANT la première année de la guerre, la Grande-Bretagne, profondément engagée dans les importantes affaires qui se traitaient en Europe, ne put donner que peu d’attention à celles d’Amérique. Aussi, comme nous l’avons dit, dans le courant de 1812 et même dans les premiers mois de 1813, aucun de nos ports ne fut dans un état de blocus réel.
Les revers de la France ayant laissé plus de forces disponibles à notre ennemie, et nos brillantes victoires sur l’Océan l’ayant vivement blessée, elle résolut d’en tirer une prompte et terrible vengeance. Aussi apprit-on bientôt qu’une escadre anglaise, ayant à bord des troupes de débarquement, et surtout bien munie de bombes et de fusées incendiaires, était arrivée aux Bermudes. Le but qu’on se proposait paraissait être d’attaquer et de détruire nos cités méridionales ; car il est bon de faire observer que les Anglais mirent toujours une différence entre les états du sud et ceux du nord, dans la ferme croyance que ces derniers états, peu favorables à la guerre, étaient très-disposés à se séparer de l’union, et à reconnaître de nouveau la domination britannique.
Notre tâche va devenir bien difficile : il nous faut retracer un genre d’hostilités sans exemple parmi les peuples civilisés. Comment conserver notre modération en parlant de scènes qui offrent à la fois la sordide et dégoûtante rapine des pirates de la Méditerranée, et l’atroce barbarie déployée envers nos malheureux compatriotes sur les bords de la rivière Raisin ! Quelle que soit en Angleterre la réputation de ceux qui ont dirigé de pareilles opérations, jamais en Amérique ils ne seront considérés que comme les instruments d’une infâme vengeance. Le souvenir des cruautés commises envers nous par les Anglais pendant la guerre de la révolution, souvenir qu’il était de leur politique d’effacer, fut réveillé dans toute sa force ; en un mot, si le désir de la Grande-Bretagne était de faire naître une haine invétérée dans le cœur d’un peuple libre et puissant, elle ne pouvait employer de meilleurs moyens. Taire de pareilles horreurs, parce que maintenant nous sommes en paix, serait manquer à tout ce que nous prescrit l’impartiale histoire : chercher même à adoucir, traiter avec indulgence une telle complication de crimes, serait un véritable scandale, et autant vaudrait-il désormais confondre ensemble la vertu et les vices les plus hideux !
Tout annonçait qu’aussitôt le printemps, nos côtes de l’Atlantique allaient devenir le théâtre d’une guerre de ruine et de dévastation. On parlait hautement de nous amener, par un châtiment terrible, à une prompte soumission ; et la conduite des Anglais à Copenhague ne nous donnait que trop lieu de craindre que nos riches et florissantes cités maritimes ne fussent réduites en cendres. Pour prévenir, autant que possible, de si grands malheurs, et dans l’incertitude où on était sur le point qui serait attaqué, quelques corps de troupes de ligue furent stationnés de distance en distance le long des côtes : au premier signal du danger, les milices des environs devaient se réunir à eux, ainsi que des détachements de matelots et de soldats de marine qui n’étaient pas pour lors employés sur les bâtiments de l’état.
Le 4 février, une escadre composée de deux vaisseaux de ligne, de trois frégates et d’autres plus petits navires, entra dans la Chesapeake, paraissant se porter vers Hampton-road. L’alarme se répandit immédiatement jusqu’à Norfolk, et toutes les milices furent appelées aux armes. Cependant l’ennemi ne fit aucune tentative contre la ville ; il se borna à bloquer toutes les rivières qui viennent décharger leurs eaux dans la baie, et à détruire les petites embarcations qui servaient de moyens de transport d’un lieu à l’autre.
Dans le même temps, une autre escadre, sous le commodore Beresford, composée du Poitiers de soixante-quatorze, de la frégate la Belvidera et de quelques avisos, parut à l’entrée de la Delaware, et s’empara de plusieurs caboteurs. Le commodore Beresford essaya de débarquer des troupes sur plusieurs points, mais il fut constamment repoussé par les milices rassemblées à la hâte. Le 10 avril, ce même officier ayant envoyé demander des vivres aux habitants de Lewistown, cette demande fut péremptoirement refusée parle colonel Davis qui y commandait. En conséquence de ce refus, la frégate la Belvidera reçut ordre d’aller s’embosser sous le village, et de le canonner jusqu’à ce que les vivres eussent été apportés. Elle s’y rendit en effet ; mais, malgré un feu non interrompu de vingt heures, elle ne put parvenir à intimider les Américains ; et après avoir été fort endommagée par une batterie construite sur le rivage, elle fut forcée de se retirer. Le 10 mai, l’escadre ayant envoyé ses embarcations faire de l’eau dans le voisinage du même Lewistown, le major Hunter, détaché avec cent cinquante hommes par le colonel Davis pour s’opposer au débarquement, fit si bonne contenance et ouvrit un feu si vif, que l’ennemi crut prudent de regagner avec promptitude ses vaisseaux sans avoir effectué l’objet qu’il se proposait. Peu après, le commodore Beresford retourna aux Bermudes, où l’amiral sir J. Borlace Warren préparait contre nous un armement formidable.
Maintenant il nous faut reporter nos regards vers l’escadre qui, au mois de février, était entrée dans la Chesapeake. L’amiral Cockburn, qui la commandait, se rendit bientôt célèbre par un genre d’exploits dignes des seuls écumeurs de mer. Il dirigeait ses attaques tantôt contre des fermes isolées, tantôt contre des maisons de campagne, où il était sûr de n’éprouver aucune résistance. Non content d’exercer d’infâmes traitements envers les propriétaires, de se livrer au pillage le plus éhonté, il égorgeait les bestiaux, détruisait tout ce qu’il ne pouvait emporter, armait les esclaves contre leurs maîtres, et les encourageait par son exemple à mettre tout à feu et à sang.
Il était impossible de stationner des forces dans chaque maison pour repousser de semblables agressions. Cependant plusieurs fois Cockburn et son infernale bande furent honteusement chassés par les habitants levés en masse et prenant courage de leur désespoir, Pour mettre un frein à ces brigandages, on forma, dans le Maryland, plusieurs compagnies de cavalerie, et on les plaça sur différents points de la côte pour se porter rapidement partout où l’ennemi se présenterait. Cockburn, se trouvant gêné par ces sages précautions, s’empara de trois ou quatre petites iles, d’où il pouvait en peu de temps se jeter sur le continent, quand les Américains paraissaient être moins sur leurs gardes..
Encouragé par ses premiers succès, l’amiral, dont la rapacité augmentait en raison du butin qu’il avait déjà fait, voulut opérer plus en grand, et se décida à porter ses attaques contre les hameaux isolés qui bordaient la côte ; ayant bien soin toutefois d’éviter les lieux peuplés, où ses rapines auraient pu être accompagnées de quelques dangers. Le premier de ses exploits de ce genre fut dirigé contre Frenchtown. Ce hameau, composé de six maisons et de deux grands magasins, était un lieu de dépôt pour les paquebots et les diligences qui se rendaient de Baltimore à Philadelphie ; et en conséquence Cockburn pensait avec raison qu’il devait s’y trouver beaucoup de marchandises. Il débarqua donc avec cinq cents hommes. Quelques miliciens d’Elkton firent une apparence de résistance ; mais ils laissèrent bientôt le champ libre à l’amiral, qui en profita pour enlever des magasins toutes les marchandises qu’ils renfermaient. Ensuite il livra aux flammes ces mêmes magasins, toutes les maisons du hameau et plusieurs navires marchands qui se trouvaient dans le port. Ayant ainsi achevé cette glorieuse expédition, et craignant l’approche des milices, il se retira promptement vers ses vaisseaux, chargé des dépouilles des malheureux habitants.
Le Havre-de-Grâce, joli bourg de vingt à trente maisons, situé sur la Susquehanna, à deux milles environ de l’embouchure de cette rivière, devint le second théâtre des déprédations de l’amiral. Le 5 mai, à la pointe du jour, il annonça son approche par quelques fusées incendiaires. Les habitants, saisis de terreur, se portèrent sur la rive où se trouvaient quelques canons de très-petit calibre. Ils tirèrent deux ou trois volées, mais les barges de Cockburn s’approchant toujours, ils se mirent tous à fuir, abandonnant leurs maisons et leurs propriétés à la discrétion des Anglais. Un seul citoyen, homme âgé, nommé O’Neil, resta à sa pièce, la chargea, et la tira plusieurs fois jusqu’à ce que le canon qu’il servait l’eût, en reculant, grièvement blessé ; s’armant d’un fusil, il fit, tout en boitant une retraite honorable devant la colonne ennemie qui pour lors était entièrement débarquée.
Dès que les Anglais se furent rendus maîtres du bourg, ils le livrèrent au pillage ; et après avoir assouvi leur sordide avarice, ils commirent une multitude d’actes aussi atroces qu’inutiles, et qui n’avaient pour but que de satisfaire leurs passions haineuses et cruelles.
La torche incendiaire fut portée de maison en maison, au milieu des cris de désespoir des femmes qui fuyaient de toutes parts pour éviter les outrages des soldats et des matelots. Celles qui ne purent se soustraire à ces monstres furent inhumainement dépouillées des vêtements même qu’elles portaient, se virent à chaque instant menacées du fer homicide ; et, chose horrible, ces infortunées ne trouvèrent pas un seul protecteur, un seul sentiment de pitié parmi les officiers qui présidaient à cette scène de désastres ! Enfin, ces misérables brigands, c’est le titre qu’ils méritent, ne respectant rien, sacagnèrent le temple même de l’Éternel, et commirent les plus infâmes profanations dans l’intérieur du sanctuaire !
Un seul bâtiment restait encore debout, c’était la maison du commodore Rodgers. Là, les femmes les plus distinguées avaient pris refuge, espérant qu’un amiral respecterait la demeure et l’épouse d’un brave et habile marin employé au service de sa patrie. Cependant l’officier qui dirigeait l’incendie se disposait à détruire ce dernier asile de la faiblesse et de la pudeur ; et ce ne fut qu’à grand’peine qu’on parvint à lui faire suspendre ses desseins jusqu’à ce qu’il en eût été référé à son chef. Celui-ci rendit une réponse favorable ; et telle fut sa conduite, qu’on lui doit des éloges pour s’être abstenu de ce qui aurait été le comble de l’infamie !
Les Anglais, ayant terminé dans le bourg l’œuvre de la destruction, songèrent à saccager les environs. Ils se partagèrent en trois bandes : l’une resta au lieu du débarquement ; la seconde suivit pendant plusieurs milles la route de Baltimore, pillant toutes les maisons, dévalisant tous les voyageurs qu’elle rencontrait ; la troisième bande tint la même conduite en remontant le bord de la rivière. Il serait sans fin de retracer tous les désordres, toutes les abominations, auxquels ces sauvages, qui ne le cédaient en rien aux Indiens, se livrèrent pendant leur court séjour à terre. Enfin le 6 mai, ils évacuèrent le Havre-de-Grâce, laissant ses tristes habitants au milieu de ruines encore fumantes. La plupart de ceux-ci n’eurent d’autre ressource que d’aller implorer la pitié des citoyens de Baltimore, qui les accueillirent avec des sentiments vraiment fraternels, et leur fournirent les moyens de reconstruire leurs maisons.
Animé par le succès de cette descente, dans laquelle un si riche butin avait été fait avec si peu de danger, l’ennemi brûlait d’entreprendre quelqu’autre expédition également honorable pour les armes britanniques. Cockburn jeta les yeux sur deux petites villes très-florissantes, nommées Georgetown et Fredericktown, situées vis-à-vis l’une de l’autre sur les rives du Sassafras. Les espions qu’il avait à terre, car quel pays ne renferme pas des traîtres, l’avaient informé que là il pourrait satisfaire son insatiable rapacité et celle de ses gens. En conséquence, le jour même qu’il quitta le Havre-de-Grâce, il remonta le Sassafras avec six cents hommes, et se porta d’abord contre Fredericktown. Le colonel Veazy se trouvait sur ce point avec quelques miliciens, mais il fut forcé de faire retraite devant les forces supérieures de l’ennemi. Cockburn s’avança donc sans obstacle vers la ville, pilla toutes les maisons, puis les incendia sans avoir aucun égard ni aux cris, ni aux lamentations des femmes qui le suppliaient de ne point détruire leur asile. Laissant Fredericktown la proie des flammes, il traversa la rivière, et fit éprouver le même sort à Georgetown ; enfin, chargé du fruit de ses rapines, rassasié de cruautés, il retourna vers sa flotte. Peu après que ces horreurs avaient eu lieu, l’amiral Warren entra dans la Chesapeake avec sept vaisseaux de ligne, douze frégates et un grand nombre de navires d’un rang inférieur. Cette escadre avait à bord une armée de débarquement sous les ordres du général sir Sydney Beckwith. L’approche d’un armement aussi considérable causa la plus vive alarme dans toutes les villes voisines de la baie. Baltimore, Annapolis, Norfolk étaient à la fois menacées ; mais on s’aperçut bientôt que cette dernière ville devait recevoir les premiers coups.
Le 18 mai, le commodore Cassin apprit que l’escadre anglaise était mouillée dans la rade d’Hampton. De suite il fit embosser la frégate la Constellation entre les deux forts construits sur les bords de la rivière Élisabeth, et qui défendent l’approche de Norfolk. Dix mille miliciens de la Virginie, assemblés à la hâte, furent placés près de ces forts, et de plus une flotille de bateaux canonniers, sous le capitaine Tarbel, reçut ordre de descendre la rivière et d’engager les bâtiments avancés de l’ennemi. Le 20 mai, le capitaine Tarbel étant parvenu à prendre une position avantageuse à un demi mille environ de la frégate la Junon, on commença un feu très-vif de part et d’autre ; mais celui de la Junon ne faisait que peu de mal aux bateaux américains, tandis que les boulets de ceux-ci portaient presque tous dans la frégate ; aussi souffrit-elle tant qu’elle cessa entièrement de tirer, et qu’elle ne recommença son feu que quand un vaisseau rasé et plusieurs autres navires furent venus à son secours. La flotille américaine, ne pouvant lutter contre ce surcroît de forces, se retira, mais non sans avoir encore causé de grands dommages à l’ennemi.
Il était indispensable, pour attaquer Norfolk avec quelque apparence de succès, de se rendre préalablement maître des différents postes qui en défendaient l’approche. Le principal de ceux-ci était l’île Crany, située à l’embouchure de la rivière James. Aussi, dans la journée du 20 mai, la flotte anglaise vint mouiller assez près de cette île, et disposa un nombre considérable de barges pour l’attaquer. Le capitaine Tarbel donna aussitôt l’ordre aux lieutenants Neal, Shubrick et Saunders, de la Constellation, de se rendre avec une centaine de matelots sur l’île menacée, pour armer et défendre une batterie construite à la pointe nord-ouest, tandis que lui-même, avec les bateaux canonniers, se stationna de l’autre côté de l’île, de manière à s’opposer au débarquement.
Le 22 mai, à la pointe du jour, on découvrit les Anglais, au nombre de quatre mille hommes, qui avaient doublé la pointe de Nausimond : ils tentèrent leur débarquement hors de la portée des bateaux canonniers ; mais par cela même ils tombèrent sous le feu de la batterie armée par les matelots de la Constellation, Ceux-ci firent jouer leurs pièces avec tant de justesse et de célérité, qu’ils parvinrent à couler plusieurs barges de l’ennemi, et entr’autre la Centipede, qui portait le pavillon de l’amiral. Le plus grand désordre se mit à bord des autres barques, et l’ennemi fit bientôt après une retraite précipitée. Pendant que cette attaque par eau avait lieu, huit cents hommes, débarqués précédemment sur le continent, cherchèrent à se rendre dans l’île en traversant le canal qui la sépare de la grande terre, et qui est étroit et peu profond. Le colonel Beaty, et quatre cents volontaires virginiens avaient été placés à la garde de cette passe ils avaient quatre pièces de canon avec lesquelles ils portèrent la mort dans les rangs des Anglais, de sorte que ceux-ci furent forcés, après une grande perte, de se retirer et s’abandonner tout projet d’attaque ultérieure. Dans cette affaire l’ennemi eut plus de deux cents hommes tués ou blessés ; et un grand nombre de déserteurs profitèrent de l’occasion pour quitter les drapeaux britanniques.
Norfolk, ainsi que Gosport, Porstmouth, et les autres villes environnantes, durent leur salut à cette vigoureuse défense de l’île Crany. Aussi les habitants de ces villes rendirent de vives actions de grâces aux braves marins qui les avaient délivrés d’un danger si imminent, et ils n’oublièrent point, dans les témoignages de leur reconnaissance, le colonel Beaty et les miliciens qui avaient eu une part si importante à cette petite, mais glorieuse action.
L’ennemi fut irrité au-delà de tout ce qu’on peut dire de voir ses projets contre-carrés par une poignée d’hommes ; mais autant il désirait se venger d’avoir ainsi été privé du pillage de Norfolk, autant il résolut de mettre dorénavant de prudence dans ses attaques. Après une conférence entre les amiraux Warren et Cockburn, et le général Beckwith, il fut décidé de se porter contre Hampton, petite ville non fortifiée, peu importante, et qui se trouve à dix-huit milles de Norfolk. Elle avait alors une garnison de quatre cents hommes, tant artilleurs que fantassins. Les Anglais espéraient qu’en se rendant maîtres de cette place, ils couperaient toute communication entre Norfolk et le haut pays.
Le 25 mai, Cockburn s’avança vers la ville avec de nombreuses barques et les plus petits navires de l’escadre, tandis que le général Beckwith, avec deux mille hommes, débarqua plus bas. L’intention de ce dernier était de tourner la position des Américains, et de les attaquer par derrière en même temps que l’amiral en ferait autant en front. Le major Cruchifield, qui commandait à Hampton, et qui avait à sa disposition quelques pièces d’artillerie, reçut Cockburn si chaudement qu’il fut forcé de se retirer et d’aller s’abriter derrière une pointe de terre.
De son côté, sir Sidney Beckvvith eut beaucoup à souffrir d’une compagnie de tirailleurs qui s’était embusquée dans un bois près duquel il passa. Le major Cruchtfield, après avoir repoussé Cockburn, vint, avec ce qu’il avait d’infanterie, au secours des tirailleurs ; mais voyant bien qu’il était de toute impossibilité de résister plus long-temps à des forces sextuples des siennes, il fit retraite en bon ordre. Le capitaine Prior, qui était resté a la batterie au bord de l’eau, se trouva bientôt serré de près et de tous côtés par un corps de marine, qui le considérait déjà, ainsi que le peu de soldats qu’il avait, comme prisonniers ; mais ce brave officier, ayant d’abord encloué ses pièces, chargea avec tant d’impétuosité, qu’il enfonça les rangs de l’ennemi, fit une trouée, et parvint à s’échapper sans avoir laissé derrière lui un seul homme. Les Américains eurent en tout sept hommes tués et douze blessés : les Anglais, dans leur rapport, ont prétendu n’avoir eu que cinq tués et trente-trois blessés ; mais tout porte à croire que leur perte fut plus considérable.
À peine les Anglais furent-ils tranquilles possesseurs de la ville, que, suivant leur coutume, ils la livrèrent au pillage ; et lorsqu’ils eurent assouvi leur première avidité, ils se jetèrent avec fureur sur ceux des habitants qui, à cause de leur âge, de leur sexe, ou de leurs infirmités, n’avaient pu fuir. Les femmes devinrent la proie d’une soldatesque effrénée. L’épouse fut arrachée du sein de son époux blessé et mourant, la fille des bras de sa mère ; et par un raffinement de cruauté, c’était aux yeux mêmes de la mère, de l’époux, que le déshonneur d’êtres si chers était consommé. De jeunes femmes, pressant leurs premiers nés entre leurs bras, voulaient s’élancer dans les eaux, seul refuge qui leur restât ; mais leurs implacables bourreaux leur refusaient cette triste et dernière ressource, et d’une main violente les retenaient pour les soumettre à des outrages mille fois pires que la mort ! Loin de nous de retracer en détail toutes les scènes horribles qui se passèrent ; mais apprendra-t-on sans frémir qu’un vieillard infirme, nommé Rirby, qui ne pouvait quitter son lit, fut massacré de sang-froid dans les bras de sa vieille épouse, et qu’elle-même, pour prix de ses gémissements, reçut une balle au travers du corps ? Deux malades furent tués à l’hôpital ; tous les médicaments furent détruits ; les malheureux blessés, abandonnés sur le champ de bataille, y restèrent non-seulement sans être pansés, mais sans recevoir aucune nourriture, et y périrent presque tous ! Enfin, pendant les deux jours que les Anglais restèrent à Hampton, ils voulurent, ce semble, prouver au monde entier qu’ils avaient entièrement dépouillé le caractère d’hommes et de chrétiens !
Qu’on ne croie pas que ce tableau soit chargé ; ce n’est qu’un simple extrait du rapport rédigé par un des comités du congrès, d’après des témoignages nombreux et authentiques. D’ailleurs, sir Sidney Beckwith fut lui-même forcé de reconnaître la vérité de la plupart des faits contenus dans ce rapport que le général Taylor lui communiqua, en lui écrivant une lettre où se trouvait l’éloquence mâle et simple d’un homme d’honneur indigné d’outrages si affreux faits à l’humanité. Dans cette lettre, après avoir retracé les lâches fureurs des Anglais, il demandait quel genre de guerre on voulait suivre envers les États-Unis.
— Si le gouvernement britannique avait autorisé les scènes d’Hampton. — Si ce gouvernement, mettant de côté tout sentiment honorable, renonçait aux usages établis parmi les nations civilisées. — Enfin, il terminait par cette apostrophe remarquable : « Honte au vainqueur qui., sans nécessité, ajoute aux horreurs de la guerre, et trempe ses lauriers dans les larmes d’un sexe faible et timide ! »
Sir Sidney Beckwith se borna à répondre qu’il était fâché des excès commis à Hampton, et qu’il espérait qu’à l’avenir l’humanité serait mieux respectée. Cette réponse évasive n’ayant pas satisfait le général Taylor, il en demanda une plus explicite. Alors le général anglais prétendit que les excès dont on se plaignait avaient été une sorte de représailles de la conduite des Américains qui, pendant l’attaque de l’île Cranny avaient, disait-il, tiré sur des soldats sans défense, réfugiés sur une barque chavirée. De suite le général Taylor convoqua une cour martiale, et la chargea d’examiner cette accusation, qui fut reconnue n’avoir aucun fondement. Le résultat de l’enquête ayant été communiqué à sir Sidney Beckwith, il ne jugea pas à propos de faire une réponse écrite, et se borna à promettre verbalement de retirer ses troupes du voisinage ; ajoutant, pour s’excuser, que ceux de ses soldats qui avaient servi en Espagne ne pouvaient pas être contenus dans les bornes du devoir, mais qu’aussitôt qu’il avait vu les désordres auxquels ils s’étaient livrés, il s’était empressé de les faire rembarquer. De pareilles excuses paraîtront sans doute bien peu valables, et il est fâcheux de voir impliqués dans une si détestable affaire, l’amiral Warren et sir Sidney Beckwith, dont la conduite a été en général à l’abri du reproche, quant à Cockburn, il était là dans son véritable élément, et nul doute qu’il ne prît un extrême plaisir à la vue des épouvantables fléaux amoncelés sur les tristes et malheureux habitants d’Hampton.
L’escadre de l’amiral Warren, pendant le reste de l’été, menaça tantôt Washington, tantôt Annapolis, tantôt Baltimore, et par ce moyen fatigua beaucoup les milices qui furent presque continuellement sur pied, mais elle ne tenta rien d’important.
Cockburn, avec une division considérable, fut envoyé sur les côtes de la Caroline et de la Géorgie, pour y continuer son plan de dévastation. Au commencement de juillet, il se présenta devant Ocracoke, village de la Caroline du nord, entra dans la rivière, attaqua deux corsaires qui s’y trouvaient et qui, après une longue résistance, furent forcés de se rendre. La patache de la douane parvint à s’échapper, et à se réfugier à Newbern : l’amiral l’y poursuivit ; mais les milices voisines s’étant rassemblées à la hâte, il retourna sur ses pas sans avoir pu rien opérer. Peu après, il débarqua trois mille hommes, et se porta contre Porstmouth, dont il s’empara aisément. Ayant traité les habitants de cette ville avec la même barbarie que ceux du Havre de Grâce et autres lieux saccagés par lui, il retourna à bord chargé de butin, et suivi d’un grand nombre de nègres auxquels il avait persuadé d’abandonner leurs maîtres, en leur promettant la liberté ; mais, peu après, il les envoya aux Antilles où il les fit vendre sans tenir aucun compte de sa promesse.
Les côtes du Nord, sans avoir eu à souffrir des déprédations aussi épouvantables que celles dont les rivages de la Chesapeake avaient été le théâtre, gênées dans leurs communications, souvent attaquées par l’ennemi, ne sentirent que trop les funestes effets de la guerre. New-Yorck, depuis le printemps, était bloqué de près. Les frégates les États-Unis et la Macédonienne, et la corvette le Hornet, qui se trouvaient dans ce port, essayèrent au mois de mai d’en sortir pour aller en croisière ; mais les forces supérieures de l’ennemi les empêchèrent de mettre ce projet à exécution, et dans une nouvelle tentative que ces bâtiments firent le premier juin, ils furent contraints de se réfugier à New-London. Cette place avait peu de fortifications ; mais aussitôt six cents miliciens arrivèrent pour défendre l’escadre : Je commodore Decatur débarqua quelques canons qu’il mit en batterie sur le rivage, et, après avoir allégé ses navires, il parvint à les faire remonter assez haut dans la rivière, de manière à ce qu’ils fussent à l’abri des insultes des Anglais. Ceux-ci, voyant les sages précautions qu’on avait prises, ne hasardèrent aucune attaque, et se bornèrent à surveiller de près le commodore, qu’ils tinrent ainsi bloqué pendant plusieurs mois.
Il nous est bien agréable de pouvoir faire remarquer une différence énorme entre la conduite de Cockburn et celle du commodore Hardy, commandant des forces navales anglaises stationnées dans le Nord. Celui-ci, brave, humain, plein d’honneur, ne se permit jamais aucune action déloyale dans les différentes incursions qu’il fit sur notre territoire. Il fut pour nous un ennemi redoutable, et sut cependant s’attirer notre estime. Quant à l’autre, on ne saurait trop répéter que si ses rapines, ses expéditions incendiaires, étaient autorisées par son gouvernement, ce gouvernement suivait une bien fausse politique ; car rien sans doute n’était plus propre que de semblables forfaits à rendre chez nous la guerre vraiment nationale, et à étouffer, dans un besoin commun de vengeance, toutes les haines, toutes les divisions de partis, qui régnaient malheureusement à cette époque jusqu’au sein de nos assemblées législatives.
Le congrès, pendant sa session d’hiver, avait rendu une loi dont nous ne saurions parler sans regret, et qui peut à peine trouver son excuse dans la guerre d’extermination de laquelle les Anglais nous menaçaient. Cette loi portait que quiconque parviendrait, par d’autres moyens que les navires armés ou commissionnés des États-Unis, à détruire des navires ennemis, aurait droit à une récompense égale a la moitié de la valeur de ces mêmes navires. La machine, nommée Torpédo,[1] dont il fut à cette époque si souvent parlé, avait donné l’idée de cette mesure. Nous ne pouvons nous empêcher de dire qu’il y a quelque chose de vil et de lâche à essayer de porter ainsi la mort à son ennemi, sans courir soi-même aucun danger de pareils moyens peuvent être mis sur la même ligne que l’empoisonnement secret des fontaines, que l’explosion des mines ; et il est, selon nous, aussi détestable de s’en servir que de massacrer un ennemi désarmé ; car dans l’un comme dans l’autre cas, il n’y a pas plus de résistance. Les lauriers, pour avoir du prix, doivent être gagnés avec honneur et courage.
En conséquence de la loi dont nous venons de parler, plusieurs tentatives furent laites pour embraser les vaisseaux ennemis. Voici les deux plus remarquables.
Au mois de juin la goélette l’Aigle, remplie de poudre, et ayant par-dessus quelques barils de farine, au milieu des quels on avait placé un ressort qui devait faire jouer la détente d’un pistolet au moment où on essayerait de décharger la cargaison, fut envoyée, comme en dérive, vers l’escadre qui bloquait New-London. Les bateaux de cette escadre s’en emparèrent ; mais avant de la conduire le long du Ramilies, vaisseau amiral, les matelots voulurent distraire à leur profit quelques-uns des barils de farine dont elle paraissait chargée. Pendant qu’ils étaient ainsi occupés, la goélette sauta, et porta la destruction tout autour d’elle.
La seconde tentative dont nous avons à parler fut faite contre le Plantagenet, vaisseau de soixante-quatorze. On se servit cette fois du Torpédo. Cette machine, coulée à cinquante toises du Plantagenet, et entraînée vers lui par la marée, fit bientôt explosion ; elle lança une immense colonne d’eau qui retomba avec fracas sur le vaisseau, et en même temps ouvrit un profond abîme dans lequel il paraissait devoir s’engouffrer. Toute la proue du Plantagenet fut emportée, et son équipage, saisi de terreur, se hâta de l’abandonner. Le commodore Hardy, justement indigné, adressa de fortes remontrances aux autorités américaines, et fit sentir combien de pareilles attaques étaient contraires aux lois de la guerre. Depuis ce temps le Torpédo ne fut plus mis en usage ; mais l’effet qu’il avait produit tint les vaisseaux anglais dans une continuelle méfiance, et ils n’osèrent plus s’approcher autant de nos ports. Toutefois, avant de terminer ce chapitre, nous dirons qu’on aurait pu employer un aussi terrible moyen contre l’incendiaire Cockburn, mais qu’il était mal de s’en servir envers un ennemi généreux et loyal, tel que le commodore Hardy.
- ↑ Machine infernale qui devait éclater sous l’eau, et faire périr les navires contre lesquels elle était dirigée. (Note du Traducteur.)