Histoire de la guerre entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Angleterre/Chapitre 02

Traduction par A. De Dalmas.
Corbet (Volume Ip. 77-106).

CHAPITRE II


Opérations navales. — Croisière du commodore Rodgers. — La frégate le Président chasse la frégate la Belvidera. — Prise de la frégate anglaise la Guerrière par la Constitution. — Le capitaine Porters prend l’Alerte. — La frégate les États-Unis s’empare de la Macédonienne. — Le Wasp capture le Frolick. — Armement de corsaires. — Effets que ces événements produisent en Angleterre.



ON dit généralement qu’un malheur en amène toujours d’autres à sa suite. Jamais la fausseté de cette remarque ne fut mieux reconnue qu’à l’époque du désastre éprouvé par nos armes sur les frontières de l’ouest. La nation, que ce malheur avait plongée dans une morne tristesse, reçut bientôt, d’un autre côté, des consolations aussi douces qu’imprévues. Une nouvelle ère toute glorieuse s’ouvrit pour notre pays, et même pour le monde. L’histoire redira aux siècles futurs que, par le plus singulier rapprochement, l’année qui vit saper la puissance de l’homme dont le sceptre de fer s’étendait sur tout le continent européen, vit aussi profondément humilier l’orgueil du tyran des mers. En un mot, les exploits les plus brillants, en excitant l’admiration de l’Europe étonnée, vinrent tout-à-coup élever notre gloire navale à une hauteur que jusqu’ici nul autre peuple n’avait atteinte.

Au moment de la déclaration de guerre, une escadre composée des frégates le Président, le Congrès, les États-Unis, et du brick le Hornet, se réunit, sous les ordres du Commodore Rodgers devant Sandy-Hook. Ces quatre bâtiments mirent en mer le 21 juin, à la poursuite du convoi des Indes Occidentales, qu’on savait avoir fait voile le mois précédent. Ils rencontrèrent peu après et chassèrent la frégate anglaise le Belvidera ; vers quatre heures de l’après-midi, le Président qui marchait le mieux de toute l’escadre, vint à portée de canon de la frégate anglaise, et commença à tirer dans sa mâture avec ses canons d’avant pour tâcher de la désemparer ; la Belvidera riposta avec ses canons de poupe : déjà cette canonnade durait depuis dix minutes, lorsqu’une des pièces du Président creva, tua ou blessa seize hommes ; le commodore Rodgers eut lui-même une jambe fracturée. Ce funeste accident et l’explosion de plusieurs gargousses qui s’ensuivit, produisirent tant d’avaries dans la batterie, qu’il devint impossible de se servir des canons de ce côté. En conséquence, le Président laissa venir en travers et envoya toute sa volée de l’autre bord à la Belvidera ; cette bordée lui fit beaucoup de mal, sans cependant la désemparer ; et le capitaine anglais jetant alors à la mer tout ce dont-il pouvait se passer, gagna de vitesse sur nos frégates, et parvint, au bout de quelques heures, à s’échapper. Après cette chasse infructueuse, l’escadre poussa jusqu’à l’entrée de la Manche ; puis, changeant plusieurs fois de route, elle fut reconnaître Madère, les Açores, l’île de Terre-Neuve, et enfin rentra à Boston le 30 août, après avoir capturé un assez grand nombre de navires marchands, mais sans avoir eu cependant autant de succès qu’on pouvait l’espérer, sa croisière ayant été constamment contrariée par un temps couvert et brumeux.

Pendant le même temps, la frégate la Constitution, commandée par le capitaine Hull, avait fait voile de la Chesapeake : elle fut chassée le 17 juillet devant Egg-Harbour par quatre frégates anglaises et le vaisseau de ligne l’Afrique. Ces bâtiments avançaient poussés par une petite brise, tandis que la Constitution éprouvait un calme plat qui la faisait rester en place. La chasse dura ainsi toute la journée, et le lendemain, au lever du soleil, les ennemis ne se trouvant plus qu’à cinq milles de distance, le capitaine Hull fit tout disposer pour le combat, et résolut de faire une opiniâtre résistance. Cependant, le calme durant toujours, il tenta un nouvel effort pour éviter une lutte si inégale ; ce fut de se faire remorquer par toutes ses embarcations, en même temps que de la frégate on virait sur des ancres mouillées successivement en avant. L’ennemi voyant que cet expédient réussissait à la Constitution, et qu’elle commençait à s’éloigner y se mit à imiter sa manœuvre. Cette chasse continua ainsi pendant deux jours, les navires, tantôt faisant voile avec de légères brises, tantôt étant remorqués par leurs embarcations ; enfin le troisième jour le capitaine Hull eut le bonheur de perdre de vue l’escadre anglaise. L’ennemi avait eu un prodigieux avantage en ce que son bâtiment de tête était remorqué par toutes les embarcations de l’escadre, tandis que le capitaine Hull était réduit aux seuls moyens de sa frégate ; aussi dut-il son salut à la supériorité seule de son habileté comme marin ; et bientôt il eut occasion de la déployer de nouveau dans une action à jamais célèbre dont nous allons faire le récit.

Le 19 septembre, la Constitution découvrit et chassa un navire qu’on reconnut bientôt pour être là Guerrière, frégate anglaise du premier rang. Cette frégate mit en panne, au grand contentement de nos courageux marins, qui désiraient d’autant plus se mesurer avec la Guerrière, que cette frégate avait donné un défi formel à tous ceux de nos navires qui étaient de sa force, et qu’elle semblait attendre avec impatience qu’on vînt répondre à soit appel. Elle avait mis, par fanfaronade, à la tête de son grand mât un pavillon sur lequel était écrit en grosses lettres : ce n’est pas le Petit-Belt ; faisant allusion aux bordées que la frégate le Président avait tirées avant la guerre sur une frégate de ce nom.

La Constitution, ayant fait branlebas de combat, laissa arriver vent arrière sur la Guerrière ; le capitaine Hull avait l’intention d’engager de suite cette frégate bord à bord ; mais le capitaine anglais, aussitôt qu’il se trouva à portée de canon, tira sa volée, fila de l’avant, vira de bord, et fit feu de son autre bordée, le tout sans produire aucun effet. Après cela, les deux frégates manœuvrèrent, chacune de son côté, pendant trois quarts-d’heure sans engager davantage le combat. La Guerrière cherchait à prendre position de manière à balayer les ponts de son antagoniste dans toute leur longueur ; mais ne pouvant y parvenir, elle serra le vent sous ses huniers et son grand foc. Le capitaine Hull imita sa manœuvre, et reçut, avec le plus grand sang-froid le feu de l’ennemi sans y riposter. Celui-ci, attribuant cette conduite à un manque d’habileté de la part du commandant américain, continua à lui lancer ses bordées sans interruption, pour tâcher de le désemparer. À bord de la Constitution, tout l’équipage brûlait d’impatience ; déjà deux fois on était venu annoncer au capitaine que plusieurs hommes avaient été tués dans la batterie, et cependant de son côté pas un seul coup de canon n’avait encore été tiré. Enfin le moment si long-temps attendu arriva ; le maître de manœuvre Aylwin ayant, avec un art admirable, amené la Constitution dans la position que le capitaine Hull désirait prendre, à cinq heures moins cinq minutes l’ordre fut donné de tirer volée sur volée sans le moindre intervalle. L’équipage comprit alors le plan de son chef, et le seconda avec zèle et courage. La canonnade devint épouvantable ; pendant quinze minutes le feu de la Constitution fut tellement nourri qu’il parut ne former qu’une seule flamme, et le tonnerre de ses canons roula sans interruption. Le mât d’artimon de la Guerrière tomba bientôt, et elle se trouva exposée à un feu qui, la prenant de l’arrière à l’avant, balayait tous ses ponts ; enfin son bois, son grément, ses voiles, étaient tellement criblés de boulets qu’elle ne pouvait plus gouverner. Dans ce moment la Constitution l’approcha de très-près, et le lieutenant Bush fut tué en voulant sauter à l’abordage avec les soldats de marine qu’il commandait. Toutefois la Guerrière se dégagea un peu, et chercha alors à virer de bord ; mais elle ne put pas dépasser le lit du vent, et elle essuya encore pendant quinze minutes tout le feu de la Constitution. Ayant enfin perdu tous ses mâts, excepté son beaupré, elle se rendit à cinq heures vingt-cinq minutes. Ainsi, disait le capitaine Hull dans son rapport, trente minutes après que je fus parvenu à ranger la Guerrière bord à bord, elle amena, n’ayant pas un mât debout ; et tellement percée au-dessus et au-dessous de l’eau que quelques volées de plus l’auraient indubitablement coulée. Elle était en effet tellement endommagée qu’on ne put l’amener dans nos ports, et qu’on fut forcé de la brûler le lendemain de l’action. Les avaries éprouvées par la Constitution furent comparativement peu considérables ; et elle était prête à recommencer le combat, si un autre ennemi se fût présenté. La Guerrière eut quinze hommes tués et soixante-trois blessés ; de notre côté nous n’eûmes que sept tués et sept blessés. Il est pour nous bien agréable de pouvoir dire que le capitaine anglais lui-même reconnut qu’après le combat la conduite de nos braves marins envers lui et les siens avait été aussi humaine que généreuse.

Ce brillant fait d’armes répandit une joie universelle dans toute la fédération. Le brave Hull et ses braves officiers furent accueillis avec enthousiasme et avec les acclamations de la plus vive gratitude. On offrit au capitaine, dans chaque ville qu’il traversa pour se rendre au siège du gouvernement, le droit de cité accompagné de présents d’une valeur considérable. Le congrès vota, pour être répartie entre tout l’équipage de la Constitution, une somme de 50, 000 dollars en compensation de la perte de leur prise. Le président de son côté promut plusieurs officiers ; Aylwin, maître de manœuvre, qui avait été grièvement blessé, fut, fait lieutenant, et le lieutenant Morris, qui avait été également blessé, reçut le grade de post-captain. Enfin ce combat satisfit complètement notre amour-propre national, et mortifia d’autant plus la Grande-Bretagne que depuis trente ans elle n’avait pas perdu une seule frégate dans un combat contre des forces à peu près égales.[1]

Une série d’autres exploits maritimes tint long-temps les esprits agréablement agités. À peine une victoire commençait-elle à être bien

connue, que déjà une autre lui succédait. Nous allons donc continuer à en faire le récit.

Le cornmodore Porter, commandant la frégate l’Essex, était sorti de New-Yorck le 5 juillet ;

peu après, il rencontra un convoi escorté par une frégate. S’étant tenu à une certaine distance

pendant le jour, il s’empara à la nuit d’un brick qui avait cent cinquante soldats à bord. Ces soldats, après avoir été désarmés, et avoir juré de ne pas servir contre nous de toute la guerre, furent laissés à bord du brick qui avait été rançonné moyennant une somme de 14, 000 dollars. Le commodore, dans la lettre qu’il écrivit au secrétaire de la marine, témoigna

tous ses regrets de n’avoir pas eu avec lui une corvette qui, pendant qu’il eût engagé la frégate, aurait pu s’emparer du convoi composé d’un assez grand nombre de navires ayant à bord deux mille hommes de troupes. Le 15 août, l’Essex rencontra et prit après une action de huit minutes la corvette l’Alerte, cette corvette vint elle-même attaquer l’Essex, la prenant pour le Hornet autre bâtiment des États-Unis à la recherche duquel elle était. Lorsqu’elle baissa pavillon, elle n’avait que trois hommes blessés, mais sa cale était remplie d’eau. Notre frégate n’essuya pas le moindre dommage ; mais le commodore se trouvant encombré d’Anglais, se détermina à envoyer l’Alerte en parlementaire, pour effectuer un échange de prisonniers. En conséquence cette corvette, après que ses canons eurent été jetés à la mer, se rendit à Sainte John sous les ordres d’un lieutenant de l’Essex. Le commandant de cette colonie anglaise protesta fortement contre l’usage de convertir en parlementaires les navires capturés ; mais d’après les attentions et les soins que le commodore Porter avait continuellement eus pour ses prisonniers, il voulut bien consentir à l’échange proposé.

l’Essex, poursuivant sa croisière, aperçut, le 30 août vers le soir, une frégate anglaise qui portait le cap sur elle. S’étant préparée au combat, elle fut à sa rencontre ; et la nuit étant survenue, elle alluma des feux pour prévenir toute séparation ; l’autre frégate en file autant ; toutefois à la pointe du jour l’ennemi avait disparu, au grand désappointement de nos braves marins qui brûlaient de soutenir la cause de la liberté du commerce et des droits des matelots. Le 4 septembre, étant près du banc de Saint-George, l’Essex aperçut deux vaisseaux de guerre au sud, et au nord un brick auquel elle donna chasse ; mais elle ne put le joindre faute de vent. Elle fut elle-même chassée par les deux vaisseaux qui se trouvaient au sud ; et par une savante manœuvre elle parvint à les éviter. Enfin, après une croisière active et heureuse, elle entra dans la Delaware le 7 septembre, ayant passé plus de deux mois à la mer.

Le 8 octobre, une escadre composée des, frégates le Président, les États-Unis, le Congrès, et du brick l’Argus, sortit de Boston. Le 13 suivant, un fort coup de vent sépara les États-Unis et l’Argus des deux autres frégates. Celles-ci, peu de jours après, eurent la bonne fortune de capturer le paquebot anglais le Swallow, ayant 200, 000 dollars à bord ; et le 30 décembre elles rentrèrent à Boston après avoir fait beaucoup d’autres prises.

L’Argus, lorsqu’il fut séparé de l’escadre, battit la mer dans toutes les directions entre les Antilles et le continent ; et après une croisière de quatre-vingt-seize jours il revint à New-Yorck avec des prises valant 200, 000 dollars. Il avait couru souvent le plus grand danger d’être pris ; une fois entr’autres il se trouva chassé et presqu’entouré pendant trois jours par une escadre anglaise ; il parvint néanmoins à s’échapper, et en vue même de cette escadre il amarina un bâtiment marchand.

La frégate les États-Unis, commandée par le brave commodore Decatur, peu après sa séparation d’avec les autres frégates, eut la gloire d’ajouter à nos annales une nouvelle victoire non moins brillante que celle de la Constitution. Le 25 octobre, se trouvant par la hauteur des iles Occidentales, elle rencontra la Macédonienne, frégate anglaise du premier rang, portant quarante-neuf canons, et ayant trois cents hommes d’équipage. L’Anglais avait le vent, et se trouvait ainsi maître de combattre à la distance qu’il voulait. Aussi pendant toute l’action les deux frégates ne furent-elles jamais plus près qu’à portée de fusil. Par cette raison, et par la grosseur de la mer, le combat dura près de deux heures ; pendant tout ce temps ou put facilement remarquer combien l’artillerie américaine était supérieure à celle de l’ennemi, soit par la plus grande rapidité avec laquelle elle était servie, soit par le dégât énorme que chacune de ses volées produisait. Dans un certain moment la batterie des États-Unis fit un feu si continu que la Macédonienne crut qu’elle était incendiée ; mais elle aperçut bientôt son erreur, et peu de minutes après elle se rendit. Cette frégate avait eu trente-six hommes tués et soixante-huit blessés ; elle avait perdu son grand mât, et avait été très-endommagée dans son bois. Notre frégate au contraire souffrit si peu qu’elle ne fut pas obligée de rentrer ; elle n’avait eu que cinq hommes tués et sept blessés : parmi les tués nous eûmes à regretter le lieutenant Allen qui avait montré la plus grande bravoure.

Le commodore Decatur entra, avec sa prise, à New-Yorck le 4 décembre. Ce brave officier, qui déjà était en grande faveur auprès du public, fut accueilli avec autant de que l’avait été le capitaine Hull : comme lui, il eut à recevoir ces louanges nouvelles et précieuses que la conduite généreuse de nos marins leur mérita constamment, c’est-à-dire les louanges de leurs propres ennemis. En effet on rendit scrupuleusement aux officiers et matelots de la Macédonienne tout ce qui leur appartenait ; et la politesse, l’humanité présidèrent aux traitements qu’ils reçurent après leur capture.

Au milieu des scènes sanglantes que nous avons à retracer, il nous est bien doux de pouvoir quelquefois reposer l’attention du lecteur sur des actions qui font honneur au cœur humain. C’est donc avec empressement que nous rappelons le fait suivant, qui met dans tout son jour les sentiments de bienfaisance dont étaient animés les matelots de notre victorieuse frégate. Le charpentier des États-Unis, tué dans le combat contre la Macédonienne, laissait trois enfants en bas âge qui n’avaient pour soutien que leur mère, femme de mauvaises mœurs et incapable de remplir les devoirs que la nature lui imposait : nos matelots le surent ; aussitôt, d’un mouvement général et spontané, ils se cotisèrent entre eux, et réunirent 800 dollars qu’ils confièrent à des mains sûres pour être appliqués à l’éducation des malheureux orphelins. De tels actes méritent sans doute d’être inscrits en lettres d’or sur les tables de l’histoire.

Bientôt la nation eut encore à se réjouir d’une nouvelle victoire d’autant plus éclatante qu’elle fut remportée sur un ennemi de force supérieure. La corvette le Wasp, commandée par le capitaine Jones, avait mis en mer le 13 octobre. Le 16, dans un grand coup de vent, elle perdit deux hommes et eut de fortes avaries. Le 17 au soir, elle découvrit plusieurs voiles  ; et comme deux d’entre elles paraissaient être des vaisseaux de guerre, le Wasp crut devoir se tenir pendant la nuit à une certaine distance. Le jour suivant, elle reconnut que les voiles vues la veille formaient un convoi sous l’escorte du Frolick, très-fort brick portant vingt-deux canons, et de deux navires armés chacun de douze canons. Le Frolick ayant fait filer son convoi, et étant resté de l’arrière, à onze heures et demie du matin le Wasp laissa arriver sur lui  ; et ces deux navires, après avoir mutuellement échangé leur feu, s’approchèrent et continuèrent un combat très-chaud. En cinq minutes le grand mât de hune du Wasp fut emporté  ; et il tomba avec le grand hunier sur le petit hunier et la vergue de mizaine, de manière que ces deux voiles ne purent plus être manœuvrées pendant le reste de l’action ; deux minutes après, le Wasp perdit encore sa vergue d’artimon et son mât de perruche. La mer était très-houleuse, et les canons du Wasp étaient souvent dans l’eau, de sorte qu’il ne pouvait tirer que lorsqu’il s’élevait sur la lame, et alors tous ses coups portaient dans le corps même du Frolick, tandis que celui-ci, ne tirant que lorsqu’il plongeait, ou perdait ses boulets ou n’atteignait que la mâture de son antagoniste. Au bout de quelque temps, le Wasp, par une manœuvre habile, envoya une volée qui, prenant le Frolick de l’avant à l’arrière, lui fît le plus grand mal. Dès ce moment le feu de l’Anglais commenta à se ralentir, ce que le Wasp apercevant, il le serra tellement près que les refouloirs des canonniers se touchaient. Dans ce moment critique, le Frolick eut le malheur d’engager son beaupré entre les, mais du Wasp, qui put lui tirer à bout portant une volée entière par laquelle tout ce qui se trouvait sur son pont fut balayé. Après cette bordée meurtrière, le lieutenant Biddle, suivi du midshipman Baker et de deux autres hommes, s’élança sur le pont du Frolick, et, à leur grand étonnement, ils ne trouvèrent de boni que trois officiers et le timonier qui était au gouvernail. Le pont était jonché de cadavres, le sang ruisselait de tomes parts, enfin il n’y eut jamais de scène plus épouvantable. À l’approche de nos gens, les officiers anglais jetèrent leurs épées et se rendirent : toutefois le pavillon britannique flottait encore, faute d’un matelot pour l’amener ; ce fut le lieutenant Biddle, qui, de ses propres mains, l’abattit. Ainsi, après quarante-trois minutes d’un combat, le plus sanglant de la guerre, nous devînmes maîtres du Frolick. Ce navire n’offrait que ruine et confusion ; sa cale, son entrepont, étaient encombrés de morts et de mourants ; tous ces mâts tombèrent peu après l’action, et il ne présentait plus qu’une masse informe devenue le jouet des flots et des vents. Il avait eu trente hommes tués et cinquante blessés ; de notre côté, nous perdîmes cinq hommes, et cinq autres furent légèrement blessés ; mais le Wasp avait, comme nous l’avons dit plus haut, éprouvé de grandes avaries dans sa mâture, de sorte qu’il ne put échapper au Poitiers, vaisseau anglais de 74, qui vint en vue peu après le combat, et s’empara facilement du Wasp et de sa prise.

Le capitaine Jones, dans son rapport, parla en termes très-honorables de tous ses officiers ; mais, par une modestie commune à tous nos braves marins, il ne dit que peu de mots de la part importante que lui-même avait prise à cette brillante action. Le lieutenant Booth, M. Rapp, les midshipmen Grant et Baker, étaient particulièrement désignés ; le lieutenant Clanton, quoique très-malade et hors de service, se traîna sur le pont pour, disait-il, être témoin du courage de ses braves camarades. Un matelot, nommé Jack Lang, qui deux fois avait été pressé par les Anglais, montra une bravoure extraordinaire. Le capitaine Jones ayant été échangé, revint à New-Yorck vers la fin de novembre. Les législatures de Massachusset, de New-Yorck et de Delaware, lui adressèrent des remercîments publics, et lui offrirent de belles épées et plusieurs pièces d’argenterie. Le congrès vota une somme de 25,000 dollars pour lui tenir lieu ainsi qu’à son équipage de la perte qu’ils avaient éprouvée en ne pouvant amener leur prise à terre. Bientôt après, ce brave capitaine fut appelé au commandement de la frégate la Macédonienne, que le commodore Decatur avait capturée. Tandis que la marine de l’état cueillait de si brillants lauriers, les vaisseaux armés par des particuliers se signalaient également par de nombreux exploits. Aussitôt après la déclaration de guerre, des lettres de marque avaient été délivrées, et des corsaires, sortis de tous nos ports, firent éprouver des pertes énormes au commerce de l’ennemi. Ces corsaires, pour la plupart très-fins voiliers, dans tous les combats qu’ils eurent à soutenir montrèrent la même supériorité que les vaisseaux de la marine nationale. On peut citer, en exemple, l’Atlas, commandé par le capitaine Moffat ; qui, le 3 août, rencontra deux navires armés marchant de conserve, les combattit et les fit amener tous les deux, quoiqu’il ne pût en amariner qu’un.

Le capitaine Endicot, de Salem, commandant le Dauphin, dans une croisière de quelques semaines, s’empara de quinze bâtiments ennemis, et se rendit célèbre par son courage et son activité. Il eut quelque temps après le malheur d’être pris par une escadre sous les ordres du commodore Broock, qui d’abord le traita assez mal, d’après le préjugé qui existe généralement contre les corsaires, et à cause du dommage que le commerce anglais en avait reçu ; mais on doit dire à l’honneur du commodore Broock et de ses officiers, qu’ils changèrent de conduite aussitôt qu’ils surent avec quelle humanité le capitaine Endicot et son équipage avaient toujours traité leurs prisonniers. Un trait surtout doit être rapporté : Sur une des prises du Dauphin se trouvait une vieille femme, qui avait à bord toute sa propriété montant à 800 dollars ; elle poussait les hauts cris, et déplorait amèrement son malheur de se trouver ainsi, dans un âge avancé, dépouillée de tout ce qu’elle possédait ; mais ce fait ne fut pas plus tôt connu des matelots que spontanément ils déclarèrent qu’ils renonçaient à tous leurs droits sur ce qui lui appartenait. Cette bonne femme fut tellement reconnaissante de cet acte de générosité, qu’à son arrivée aux États-Unis elle le fit publier dans tous les journaux.

C’est ainsi que l’Angleterre apprit que les corsaires américains étaient différents de ceux des autres nations ; qu’ils étaient soumis aux mêmes règles que les vaisseaux de l’état ; qu’enfin ce n’était pas la cupidité seule qui présidait à leur armement ; mais qu’ils devaient être considérés comme un de nos principaux moyens d’attaque, en servant à blesser l’ennemi dans sa partie la plus vulnérable. Le courage déployé par les navires de ce genre procurait à ceux qui les montaient une considération presqu’égale à celle qu’on accordait aux officiers militaires ; aussi se piquaient-ils d’avoir une conduite irréprochable sous tous les rapports. Cependant il n’est que trop vrai que dans le cours de la guerre les corsaires qui eurent le malheur d’être pris furent souvent traités par les Anglais avec un degré de dureté et même de barbarie que rien ne peut justifier.

Dès le commencement des hostilités, l’un de nos plus anciens et de nos plus distingués officiers, le commodore Barney, qui depuis long-temps vivait dans la retraite, prit le commandement du corsaire le Rossy : dans l’espace de quelques mois il fit à lui seul plus de mal au commerce anglais qu’il n’en avait éprouvé pendant de nombreuses années de tous les ennemis de l’Angleterre. Ce brave officier avait déjà acquis une grande célébrité lors de la guerre de la révolution, en s’emparant du Moine, bâtiment anglais, infiniment plus fort que celui qu’il commandait.

Ainsi nos premières opérations navales contre l’Angleterre eurent pour résultats la cap ture de deux de ses plus fortes frégates par deux des nôtres, et la capture plus glorieuse encore d’un brick évidemment plus fort que celui de nos bâtiments qui s’en empara. De plus, lorsque le congrès se rassembla au mois de novembre il fut prouvé par des rapports authentiques que deux cent-cinquante navires, dont cinquante étaient armes, trois mille prisonniers et cinq cent-soixante-quinze canons étaient tombés entre nos mains. Pour contrebalancer cette perte immense, l’ennemi n’eut que de bien faibles succès à présenter. La croisière du commodore Rodgers avait beaucoup facilité la rentrée de nos navires marchands, de sorte que peu furent pris. La capture du Frolick et du Wasp ne procura, ainsi que nous l’avons raconté, aucune gloire à leurs capteurs. Il en fut de même pour deux autres petits bâtiments de guerre ; l’un d’eux, le Nautilus de douze canons, se rendit à la frégate anglaise le Shanon ; l’autre, le Vixen, commandé parle capitaine Reed, amena devant la frégate la Northampton, commandée par sir James Yeo. Cette dernière frégate ainsi que sa prise firent côte peu après, et ce fut aux soins du capitaine Reed qu’on dut principalement d’avoir sauve une partie des effets des deux navires naufragés. Sir James Yeo le remercia publiquement des services qu’il lui avait rendus dans cette occasion, et lui fit accorder la permission de retourner sur parole dans son pays ; mais ce généreux capitaine refusa cette faveur, ne voulant pas jouir d’un avantage que ses officiers et son équipage ne partageaient pas. Il se rendit donc avec eux dans la Nouvelle-Écosse, où bientôt il mourut victime du climat. Les Anglais, rendant hommage à sa bravoure et à ses grandes qualités, le firent inhumer avec tous les honneurs de la guerre.

L’éclat inattendu dont se couvrit notre marine contrastant avec la défaite de l’armée de terre, attira à la première toute la prédilection de la nation. Sentiment bien naturel sans doute ; car si, dans plus d’une occasion, nos troupes avaient mérité de justes éloges, dans d’autres aussi la honte avait suivi leurs pas  ; au lieu que la marine dans chaque combat avait toujours élevé de plus en plus la gloire nationale. Nos victoires navales, au moyen de nos nombreux journaux, allaient promptement répandre la joie dans la riche cité comme dans le plus humble hameau ; et le ton de modestie de nos braves et habiles marins, dans le récit de leurs brillants exploits, était la satire la plus amère du style plein de boursouflure employé trop souvent par nos généraux pour décrire le plus léger engagement. Enfin, chose bien digne de remarque, la Grande-Bretagne avait hautement déclaré qu’elle ferait disparaître des mers le pavillon américain ; tout semblait prédire l’accomplissement de cette menace ; et tremblants sur le sort de notre marine si faible encore, nous cherchions du courage dans l’espoir d’envahir le Canada et d’éloigner ainsi un ennemi incommode et dangereux. Eh bien ! nouvelle preuve de la vanité de l’homme quand il veut scruter les desseins de la providence, nos craintes et notre espoir furent également trompés ; vaincus où nous comptions conquérir, nous cueillîmes d’éclatants lauriers là même où tout annonçait ruine et désastre !

L’Angleterre, blessée dans le principe même de sa force, fut cruellement mortifiée. Vainement chercha-t-elle à dissimuler ses affronts : à l’entendre, les frégates américaines étaient des vaisseaux de ligne déguisés, et ses propres vaisseaux n’étaient que de simples frégates ; dans toutes les occasions elle représentait nos forces comme infiniment supérieures aux siennes. Peut-être aurait-on pu croire à cette dernière assertion, si elle n’eût été avancée que pour tel ou tel combat ; mais donner toujours la même cause pour chacune de ses défaites, c’était par trop présumer de la crédulité des peuples. Toutefois elle ne put pas expliquer si facilement la supériorité marquée de notre marine, tant dans la manœuvre des vaisseaux, que dans celle de l’artillerie. Aussi un comité d’enquête fut-il chargé d’examiner ce point ; le résultat de son travail fut de reconnaître que par une inconcevable négligence la marine anglaise était dégénérée ; et on dut recommander sérieusement à ses fameux héros de refaire l’apprentissage de leur métier, afin d’être capables de lutter avec ce nouvel ennemi, si rusé, si extraordinaire, si fécond en ressources !

C’est ainsi que cette nation superbe, qui se proclamait fastueusement la reine des mers, et sans la permission de laquelle aucune voile ne pouvait être déployée, se vit complètement humiliée par la plus jeune, la plus faible des puissances maritimes ; par un peuple qui, repoussant loin de lui l’ambition des conquêtes, ne combattait que pour jouir en liberté d’un élément destiné par le Très-Haut à rester la propriété commune du genre humain.

    portants tous les autres, y compris le capitaine, étaient ou morts, ou grièvement blesses.

    Le 17 septembre 1810, à deux heures après midi, la frégate la Vénus, capitaine Hamelin, sort du port Louis, île de France, pour chasser la frégate anglaise le Ceylan, capitaine Gordon. Après une chasse de onze heures, la Vénus joint et engage au vent la frégate ennemie. Le capitaine Hamelin perd son mât d’artimon et ses mâts de hune ; mais, sans être décourage par ce grave accident, il laisse arriver, et, par une manœuvre habile, se met en position de tirer deux volées consécutives dans la poupe du Ceylan. Cette frégate est à son tour désemparée de tous ses, mâts de hune, et amène son pavillon à quatre heures et demie du matin. Le Ceylan avait à bord, outre son équipage, cent trente soldats, un général et son état-major, qui se rendaient à l’île Bourbon.

    Le 26 mai 1811, le brick l’Abeille, portant vingt canonnades de 24 et deux canons de 6, commandé en l’absence du capitaine, par de Mackau, aspirant de première classe, a connaissance, en sortant de Bastia, île de Corse, d’un brick de guerre. Les deux navires vont à la rencontre l’un de l’autre, et le combat s’engage à portée de pistolet. Après trois quarts-d’heure du feu le plus nourri et le plus meurtrier, le brick l’Alacrity, commandé par le post-captain Palmer, et portant dix-huit caronnades de 32, deux canons de 6, deux de 4,

    que tous les navires étant à l’ancre aucun boulet n’était perdu, dura, presque sans interruption, depuis deux heures après midi, jusqu’au lendemain, et eut pour résultats la prise de la Néréide, capitaine Willougby, et la destruction des frégates la Magicienne et le Syrius qui, toutes deux, sautèrent pendant l’action ; la seule l’Iphigénie, qui avait moins donné que ses compagnes, parvint à se faire remorquer par ses embarcations sous le fort de la passe, qui, comme nous l’avons dit, était entre les mains des Anglais ; mais cette frégate et le fort furent forces de se rendre à une autre division française qui arriva dans ces parages quelques jours après le combat.

    Les Anglais perdirent dans cette affaire quatre frégates, eurent plus de six cents hommes tués, et on leur fît environ douze cents prisonniers, y compris la garnison du fort de la passe.

    Quelque temps après ce glorieux combat, le capitaine Bouvet, qui était passe, avec les restes de son équipage, montant à peine à deux cents hommes, sur l’Iphigénie, rencontra, entre les îles de France et de. Bourbon, la frégate anglaise l’Africaine, capitaine Cobbet, ayant quatre cent vingt hommes d’équipage. Au bout d’un combat de quarante minutes bord à bord, la frégate anglaise, rasée de tous ses mâts, amena son pavillon. Quand on fut l’amariner, on trouva qu’elle gavait plus que cent vingt hommes debout et bien

    un de 12, amené son pavillon, et est remorque par l’Abeille dans le port de Bastia. Le capitaine Palmer, légèrement blessé, mourut de chagrin d’avoir été pris par un jeune homme de vingt-deux ans, qui n’avait pour le seconder dans le commandement que des aspirants comme lui.

    Les différents combats que nous venons de rappeler, et dont nous nous sommes procurés les dates et les résultats avec la plus grande exactitude, sont loin de comprendre toutes les actions d’éclat qui ont illustré la marine française pendant le cours de la dernière guerre ; mais ils suffisent pour prouver que nos braves marins, au milieu des malheurs dont ils ont été si souvent les victimes, ont soutenu dignement l’honneur du pavillon, et ont su plus d’une fois humilier l’orgueil d’un superbe ennemi, qui dut la plupart de ses succès à la supériorité du nombre, et surtout à l’immense avantage de tenir ses matelots constamment à la mer, tandis que les nôtres restaient bloqués dans nos ports. (Note du traducteur.)

  1. Cette assertion est trop inexacte pour que nous, puissions la passer sous silence. Certainement personne ne rend justice plus que nous aux brillants exploits de la marine américaine, et nous aimons à reconnaître que ce fut une chose vraiment admirable que de voir quelques frégates et quelques corvettes faire face avec avantage et sur presque toutes les mers à la marine britannique, forte de mille vaisseaux manœuvrés par des équipages habitués de longue main à la guerre, et commandés par des officiers experts dans toutes les évolutions navales ; mais la gloire des marins américains est assez grande pour qu’on ne cherche pas, à la relever encore aux dépens des autres rivaux de l’Angleterre ; et si M. Brackenridge s’était livré à quelques recherches, il eût su que ce n’était pas la première fois depuis trente ans, comme il l’avance, que la marine anglaise avait éprouvé des échecs à forces égales. La marine française, au milieu des désastres qu’elle a essuyés, et dont nous ne rechercherons point ici les causes, a eu, dans une multitude de combats, des succès glorieux aux-quels les brillantes victoires et les immenses conquêtes de nos armées de terre n’ont pas toujours permis de faire toute l’attention qu’ils méritaient.

    Quelques faits, pris au hasard, et qui se sont présentes à notre mémoire, prouveront que les marins anglais, loin d’avoir toujours eu l’avantage à nombre égal, ont souvent été contraints de baisser pavillon devant des forces inférieures.

    Le 14 décembre 1799, la corvette de vingt canons de 8, la Bayonnaise, commandée par le lieutenant de vaisseau Richer, s’empare, à l’abordage, de la frégate anglaise l’Embuscade, ayant quarante-deux canons, et portant du 16 en batterie.

    Le 6 juillet 1801, les vaisseaux le Formidable, capitaine Lalonde, monté par le contre-amiral Linois ; l’Indomptable, capitaine Moncousu ; le Desaix, capitaine Chrisly-Pallière, et la frégate le Muiron, capitaine Martineneq, sont attaqués au mouillage d’Algésiras par six vaisseaux de ligne et une frégate, commandés par l’amiral Saumarez. Après un combat des plus meurtriers, et qui dura sept heures, les Anglais quittèrent la partie, abandonnant le vaisseau de soixante-quatorze l’Annibal, qui s’était échoué en voulant passer à terre de la division française. Le vaisseau le Pompée, qui s’était aussi échoué, et qui avait également amené, ne put être amariné pendant le combat ; et à l’aide de la frégate anglaise, il fut remis à flot, et prit la fuite avec les quatre autres vaisseaux de Saumarez.

    Le 20 août 1810, les frégates la Bellone, capitaine Dupéré ; la Minerve, capitaine Bouvet ; et la corvette le Victor, capitaine Morice, revenant de croisière avec deux prises, le Windham et le Ceylan, bâtiments de la compagnie des Indes, se présentèrent devant le grand port de l’île de France. La frégate anglaise la Néréide était mouillée dans la passe, et les forts qui dépendaient cette même passe étaient tombes quelques jours auparavant entre les mains des ennemis. Néanmoins, le capitaine Dupéré, qui commandait la division française, donna l’ordre de forcer l’entrée de la rade. Cette opération réussit parfaitement, maigre le feu continuel des forts et de la Néréide ; et la division française alla, le 21 au matin, s’embosser dans le fond du grand port. À peine avait-on eu le temps de mettre à terre les nombreux prisonniers qui encombraient les navires français, que trois autres frégates anglaises, le Syrius, la Magicienne et l’Iphigénie, attirées par la canonnade qui avait eu lieu, vinrent rejoindre la Néréide. La capitaine Dupéré se disposa aussitôt au combat, qui ne fut cependant livré que le lendemain 22 août. Ce combat, d’autant plus sanglant