Histoire de la bienheureuse Raton, fille de joie/08

Éditions Mornay (p. 111-126).
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VIII


R aton, se croyant seule dans l’appartement de sa maîtresse, pensa se jeter au pied du portrait de M. le Duc. Elle ressentait le plus grand besoin de revoir son Divin Maître après une scène qui lui faisait presque oublier les blasphèmes et les cruautés de M. Peixotte, encore qu’elle en gardât un souvenir cuisant. Elle supplierait pourtant le Seigneur de conserver M. Peixotte dans la bonne voie qu’il s’était engagé de suivre et de lui épargner les entreprises du Malin pour le détourner de la conversion.

Comme elle poussait la porte du boudoir, elle entendit un cri de surprise. Elle eut le temps de voir Mme la Duchesse qui baissait ses jupes avec précipitation en se levant d’un sopha où elle se trouvait assise à côté d’une personne du sexe mâle qui n’était point M. le Duc.

À ce spectacle, Raton pensa que Mme la Duchesse l’aurait pu surprendre en compagnie de M. le Duc ou de M. Poitou, dans une posture moins équivoque. L’image qu’elle s’en fit lui ôta toute réflexion sur la conduite de sa maîtresse. Elle se retirait déjà précipitamment, comme si elle eût été trouvée sur le fait, quand Mme la Duchesse éleva sa voix pleine d’agrément :

— Viens ici, ma petite Raton, que je te présente à M. le Chevalier de Balleroy. Tu profiteras de cette occasion pour le remercier de t’avoir adressée à moi sans te connaître.

« M. le Chevalier, continua Mme la Duchesse, cependant que Raton pénétrait en tremblant, arrive en chaise de Bayeux. Comme c’est un bon ami qui sait qu’on l’excuserait dans un plus grand embarras, il n’a pas pris le temps de faire réparer un accroc à la dentelle de son poignet, ou simplement de changer de linge. Ces voyages causent toujours quelque tracas !… Nous sommes montés ici, pensant que tu ne tarderais pas à revenir, ou que, peut-être, tu étais déjà de retour. Allons, fais la révérence, et munis-toi du nécessaire.

« Cette enfant, reprit Mme la Duchesse, après que Raton eut exécuté la première de ces recommandations et durant qu’elle satisfaisait à la seconde, nous rend de si bons offices qu’Armand la substitue, en bien des circonstances, à son valet Poitou qui n’est plus propre à rien. L’autre jour, elle portait un pli chez son Éminence le Cardinal de Bernis, aujourd’hui elle rentre de chez M. Peixotte. Mais excusez-moi, Chevalier, je vous l’ai déjà dit, puisque la raison que nous sommes ici est celle de son attente.

— Elle est fort gentille, dit le Chevalier qui venait de se laisser discrètement déchirer un de ses poignets de point d’Alençon. J’étais curieux de la voir, et je me félicite d’avoir eu la main si heureuse en votre faveur, ma chère Duchesse…

Raton, à genoux devant le Chevalier, réparait la dentelle qui n’était pas médiocrement endommagée.

— Cela va prendre quelque temps, mon cher Chevalier, dit Mme la Duchesse, et j’en ai déjà trop perdu, bien que notre entretien ne dure que depuis quelques minutes. Je devais me rendre au chevet d’une amie malade, dans mon propre quartier, quand vous êtes venu me surprendre. Souffrez donc que j’y passe moins d’une heure. C’est peut-être moi qui vous surprendrais si je n’étais sûre de la vertu de Raton… Je vous préviens, Chevalier, qu’elle voudrait entrer en religion et qu’elle m’accompagne au Carmel tous les matins. Vous n’avez donc aucune chance de la séduire, brillant officier de Sa Majesté… À bientôt !

Mme la Duchesse disparut, après avoir donné sa main à baiser. Le Chevalier comprit son dessein de bailler le change à Raton sur l’importance de leur tête-à-tête. Sans doute aussi devait-il s’assurer de sa gratitude, partant de son silence, en se montrant généreux. Car il se pouvait que Raton eût aperçu des cuisses que Mme la Duchesse n’avait pas accoutumé de montrer en société, ou qu’elle ne fût pas si niaise que de se laisser abuser par un subterfuge.

— Ce serait dommage, fit le Chevalier, en effleurant la gorge de Raton de la main même qu’il abandonnait à ses soins, ce serait dommage qu’une si jolie fille fût perdue pour le monde ! Tu ne songes vraiment pas à ce que vient de dire ta maîtresse ?

— Mais si, Monsieur le Chevalier ! répondit Raton que les privautés n’effarouchaient plus et qui commença de les faciliter en se penchant quelque peu, de façon à laisser pénétrer davantage dans le secret de sa gorge.

Le Chevalier, qui ne perdait pas cette gorge de vue, pensa que la nécessité de se baisser n’avait pas de rapport avec la position de sa manchette, qu’il tenait à hauteur convenable. Aussi s’empara-t-il de cette gorge qui s’offrait sans autre raison que de s’offrir. Elle s’offrait si bien que Raton se pencha plus encore pour aider à la fantaisie de M. le Chevalier. Même, elle se souciait si peu de réparer la manchette qu’elle l’abandonna tout à fait.

— Je suis bien aise de te connaître, dit Balleroy qui se trouvait la main encore plus heureuse qu’il ne l’avait avoué à Mme la Duchesse. Si je t’ai placée ici, ajouta-t-il sans détour, c’est pour faciliter ce que tu n’as pas été sans surprendre. Je comptais sur ta discrétion, que l’on m’avait vantée à la ronde, quand je m’occupais de trouver quelqu’un : maintenant…

Mais le Chevalier ne prit pas la peine d’achever sa pensée. Il ne comptait plus que sur la complaisance. Même il y comptait doublement, et, pour rattraper l’occasion perdue par la faute de Raton, il se mit en devoir de la recouvrer dans sa personne, laquelle ne se déroba point…

M. le Duc a dû passer par là, fit Balleroy, après s’être remis de son peu d’effort. On m’avait juré que tu étais sage, qu’on ne te connaissait pas de galant. Je te félicite, mon cher Duc ! reprit le Chevalier en se tournant vers le portrait. Je te félicite en somme d’avoir si peu de chance en amour, et ce n’est pas généreux de ma part. Mais, fit-il à Raton qui contemplait le portrait, elle aussi, sans toutefois y voir M. le Duc, je m’astreins à une amende que je crois honorable avec trois cents livres… À présent, charmante Raton, tu ne vas pas encore me soutenir que tu songes à entrer au Carmel ?

— Si, si, Monsieur le Chevalier ! répondit Raton en reprenant tranquillement son ouvrage. M. le Duc pourrait dire à Monsieur le Chevalier que je m’occupe de ma dot.

— Je ne sais ce qu’il faut en croire, tellement cela me semble comique. Va tout de même pour la dot ! J’y ajoute deux cents livres. Mais, quand tu dis t’occuper de ta dot, est-ce ainsi que tu l’entends ?

— Oui, Monsieur le Chevalier.

— Bon, bon ! c’est parfait ! hé hé !… Maintenant, que peux-tu bien avoir à la jarretière qui m’incommodait si fort ?… Serait-ce là que tu accroches tes ciseaux ou la clef de la garde-robe ?… Me répondras-tu au lieu de rougir ?… Non ?… Alors il m’y faut voir… De la résistance, à présent ?… Tudieu ! il ne sera pas dit… Quoi ! un crucifix !… Tu veux donc sanctifier jusqu’au temple de l’Amour ? Quelle idée saugrenue !… Ne serais-tu pas un peu folle ?… Au moins dis-moi, charmante Raton, puisque nous sommes en confiance, on t’a donc donné la fessée ? J’ai aperçu tes belles fesses toutes zébrées de coups… Du diable, si je n’ai pas ma culotte de pou de soie entièrement gâtée de pommade, et, comme dit le vieux rimeur :

En si digne façon que le fripier Martin
Avec sa male-tache y perdrait son latin !

« Holà ! la rougeur te tient encore lieu de réplique ?

— Je me suis donné la pénitence. Monsieur le Chevalier…

— Ah ! ah ! ah ! Tu te la donnes chaque fois que tu t’es occupée de ta dot, comme tu dis. Combien de coups te vaudrai-je ?

— J’y songerai, Monsieur le Chevalier.

— Charmante enfant ! ta réponse est délicieuse. Elle me rendrait fat, me laissant à penser que tu proportionnes la douleur au plaisir. Je t’en ai donc beaucoup donné ?

— Quelle indiscrétion, Monsieur le Chevalier !

— Dans la question, ou dans la réponse que je te presse de faire ?… Ah ! Raton, que je t’embrasse encore pour ton esprit et ta gentillesse !… Mais, reprit Balleroy, après avoir pressé Raton contre son cœur, maintenant que tu as reprisé ma manchette, va me chercher la pierre à dégraisser, afin que ta maîtresse me retrouve présentable. Autrement, que lui dirais-je ?…

Raton fit ce que le Chevalier lui demandait. Pendant sa besogne, qui aurait renflammé le courage du Lieutenant du Roi s’il n’eût craint d’être surpris par la rentrée de Mme la Duchesse, Raton fut questionnée sur sa bonne nourrice. Elle laissa voir qu’elle l’avait complément oubliée. Le Divin Maître tenait toute la place en elle, et si quelqu’un l’eût partagée, c’eût été M. de Bernis, que Raton ne nommait jamais que Monseigneur.

Mme la Duchesse revint à point pour ne pas surprendre Raton, attentive à la belle culotte de pou de soie, tandis que le Chevalier laissait folâtrer sa main dans toute sa portée, en fredonnant des airs de chasse. Mme la Duchesse comprit au regard de Balleroy que ses libéralités avaient écarté tout péril et qu’ils pouvaient reprendre le tête-à-tête interrompu, bien que le Chevalier eût préféré le continuer avec Raton.

— La pauvre Marquise est encore bien mal ! dit Mme la Duchesse, car elle tenait à sauver des apparences qui s’étaient pourtant fait voir sous un aspect de frivolité indubitable et sans l’excuse de lui gagner le Ciel. Mais, mon bon ami, je suis à présent menacée de la visite de l’abbé Lapin, que personne ne songe à appeler M. l’Abbé : vous n’ignorez pas qu’après avoir joué de la guitare dans les petits appartements de Versailles à la demande de la Reine, il chante maintenant au Palais-Royal, dans je ne sais quel théâtre de perdition.

— Oui, oui, fit le Chevalier. Je connais une de ses chansons. Elle commence ainsi… Mais peste de l’air !… Ah ! je l’ai :

Robin a une vache
Qui danse sur la glace,
Au son du tambourin,
Maman, j’aime Robin
Maman, j’aime Robin !

La suite n’est guère convenable. Il l’a pourtant chantée à Versailles ; je m’en souviens. Que diable peut bien venir vous demander l’abbé Lapin ?

— Il pense, Chevalier, m’intéresser à la retraite des vieux comédiens dans une pension ecclésiastique, ce qui me paraît quelque chose d’inconcevable, puisque, la plupart du temps, on leur refuse la sépulture en terre sainte. Enfin, je veux bien aider de mon patronage, s’il sert à ramener à Dieu quelques libertins pénitents. J’ai la lettre qu’il m’a fait porter, mais je vous en fais grâce, mon cher Chevalier. Allons plutôt nous réfugier dans ma chambre. Raton le recevra dans ce boudoir et le priera d’attendre en lui tenant compagnie. Car on dit que l’habitude de la guitare lui conserve la main prompte. Si je le recevais en bas, et que M. le Duc rentrât, je crois qu’il le ferait jeter à la porte. Je ne suis pas si dure envers l’infortune ; d’ailleurs, l’abbé Lapin me supplie de me rappeler que j’ai bien voulu lui dire quelques mots obligeants qui l’ont profondément ému quand il chanta devant la Reine. Raton, l’on fera monter cette personne. Tu voudras bien rester ici en m’attendant. J’ai besoin de m’entretenir avec M. le Chevalier, que j’ai à peine eu le temps de voir… Mais tu ne manqueras pas de gratter à la porte pour me prévenir de sa présence.

L’abbé Lapin ne tarda guère.

Introduit par Poitou, dont la figure était truffée de bleus et fleurie d’écorchures, il jeta de tous côtés des regards inquisiteurs, et quand ils se rencontrèrent avec ceux de Poitou qui refermait la porte en prenant son temps, on aurait pu deviner à leur escrime que ces deux mauvais garçons se reconnaissaient capables des pires choses et se craignaient mutuellement.

L’abbé Lapin était un petit homme quinquagénaire à la tête chafouine et porteur de bésicles. Il n’avait plus dans la bouche que des chicots, et semblait contenir dans son cou toute une provision de cordes de guitare, tant les veines et les muscles en étaient tendus et décharnés. Une queue de rat, pareille au dard d’un scorpion, se relevait derrière sa tête grisonne. Il s’approcha tout de suite de Raton qui venait de frapper à la porte de sa maîtresse et le priait d’attendre. Mais, avant qu’elle eût achevé son petit discours :

— Raton, je ne suis venu que pour toi, dit-il tout bas, en mettant une main en rabat-voix contre sa bouche et en paraissant se chuchoter à l’oreille, d’une lèvre mince. J’ai entendu parler de ta dot et de ta vocation. Tu ne ramasseras jamais cinq milles livres ici. Ton maître qui s’amusait de toi est maintenant furieux quand on lui en touche un mot. Ta maîtresse ne tardera pas d’être avertie de ton commerce. Que tu dises vrai ou non, conserve le motif que tu invoques, et viens demain à l’adresse que je te donne sur ce billet. Tu demanderas l’abbé Lapin. Demain de bonne heure, on apportera une lettre pour toi, que j’ai écrite, et qui te servira de prétexte pour quitter l’hôtel. Elle sera censément remise par une connaissance arrivée de ton pays. Ne prends pas de bagage, si tu ne peux éviter le porteur. Tu n’auras besoin de rien. De rien ! car tu gagneras beaucoup d’argent. Si tu n’y consens pas, déchire le billet, brûle la lettre, et silence. Maintenant écarte-toi ; je vais m’asseoir. Je ne te parle plus, je ne te connais plus.

Là-dessus, l’abbé Lapin prit un siège, à côté d’un bonheur-du-jour. Il serra son chapeau contre sa poitrine et regarda le bout de ses chaussures rapetassées. Quant à Raton, elle se tint debout contre une chaise, intriguée par ce discours, par le singulier personnage qui le lui avait tenu et qui s’obstinait à ne plus lever les yeux sur elle. Le billet qu’elle tenait serré lui brûlait la main. Elle ne put résister à l’ouvrir, et elle lut :

Madame Gourdan,
Rue Saint-Sauveur,
chez le marchand de tableaux.

Raton ne savait qui pût être Mme Gourdan, mais elle se sentit d’autant plus résolue de l’aller voir qu’elle demeurait sous le vocable du Sauveur. Au moins n’y retrouverait-elle pas M. Poitou, qui exigeait le don de son corps, lui prenait une bonne part de son argent, et lui en donnait les raisons, tantôt dans le patois de la ville, qu’elle n’entendait point, tantôt par des coups qui rendaient ces raisons péremptoires. M. Poitou avait mis le comble à son infamie quand elle était revenue de chez M. Peixotte. Il l’attendait derrière la porte, au pied de l’escalier dérobé. Elle lui avait remis trois cents livres.

— Trois cents livres ! fit M. Poitou. Ça ne fait pas le quart du michon. C’est le stuque d’un mion de boule. Ou tu n’as pas su plumer l’ornie, ou tu me donnes le bouis en me prenant pour un loffe. Fonce-moi encore deux cents livres, sans quoi je te fais péter le maroquin, et je révèle tout à la daronne !

Et Poitou, une main levée, cherchait de l’autre à s’emparer de l’argent que Raton recelait dans son corsage. Raton se défendait de son mieux. Mais enfin, la grosse patte de M. Poitou était allée pêcher le petit magot, sans qu’il fût question de partage. Il ne lui avait pas même laissé le rosaire. Quelle chose incroyable que la contenance de cette main !… Survint alors M. Grand-Jean. Depuis un instant, il montrait sa tête dans l’entre-bâillement de la porte. Il s’était jeté sur M. Poitou, qui l’avait pris aux cheveux. Sans qu’on entendît d’autre bruit que celui des poings de M. Grand-Jean contre la mâchoire de M. Poitou, ç’avait été une lutte ignoble, à laquelle Raton ne voulut pas assister. Ramassant ses cottes, elle avait grimpé l’escalier, en enjambant plusieurs marches à la fois. Plus de cinquante coups de pénitence pour abreuver ou M. Grand-Jean ou M. Poitou, et peut-être tous les deux, à moins que ce ne fût M. Petit-Louis qui ne s’était pas encore montré : Raton en méditait avec amertume. Elle regardait, elle aussi, la pointe de ses souliers, tout comme M. l’abbé Lapin. Poussant un grand soupir et levant les yeux vers le portrait de M. le Duc, elle vit son Divin Maître lui sourire. Elle s’y vit elle-même dans un fond qui représentait une rue de Paris, sans doute la rue Saint-Sauveur. M. l’abbé Lapin l’accompagnait en jouant de la guitare. Il marchait les jambes en cerceau. Sa queue de rat frétillait par-dessus le rebord de son tricorne, et les pans de son manteau flottaient comme des ailes de chauve-souris. Le Carmel planait toujours dans son nuage d’or.

Raton toussa légèrement. L’abbé Lapin leva la tête. Alors, elle lui fit signe que oui, en lui montrant le billet qu’elle cacha dans sa gorge. L’abbé daigna sourire affreusement, et elle eut envie, pour manifester sa joie, de chanter l’air de M. le Chevalier :

Robin a une vache
Qui danse sur la glace.

Enfin Mme la Duchesse daigna paraître. L’abbé Lapin lui fit une profonde inclination qui révélait à la fois le pauvre diable et le curé de campagne. Puis il s’engagea dans un préambule amphigourique qui sentait le régent de collège. Mme la Duchesse s’était assise sans prier l’abbé d’en faire autant. Elle témoignait sa gêne et son impatience par des signes certains.

« Monsieur, pensait-elle, on n’arrache pas une femme de qualité des bras de son amant pour lui donner le spectacle d’un vieillard édenté qui fleure le barbet des jours de pluie, et l’on ne lui débite pas de pompeuses impertinences, après les tendresses d’un galant homme !… »

L’abbé Lapin ne tenait pas à la composition rigoureuse de son discours. À vrai dire, ayant terminé l’exorde, il ne songeait qu’à s’en aller. Toutefois, pour justifier sa démarche, et surtout dans l’espoir d’un geste charitable, il traça des vieux comédiens dans la misère et le repentir un tableau qu’il crut rendre pathétique parce qu’il s’y peignait lui-même, mais en omettant des ombres funestes.

— L’abbé, fit Mme la Duchesse, tandis que l’orateur toussait d’essoufflement et de modestie dans le fond de son chapeau, je suis extrêmement intéressée par tant d’infortune, et je vous félicite de la faire si bien valoir, si j’ose dire. Veuillez accepter cinquante livres, me compter parmi vos dames patronnesses et ne m’oublier pas dans votre retraite, quand ces Messieurs et ces Demoiselles s’apercevront qu’il est un Dieu.

L’abbé fit un profond salut, prit les cinquante livres qu’on lui tendait, et sortit à reculons, avec autant de révérences que de pas.

— Voilà un bien sinistre quidam ! fit le Chevalier qui s’avança dans le boudoir. J’eusse été le maître de maison que les porteurs d’eau auraient entendu son discours dès le commencement, car la fenêtre est assez large pour la mesure d’un foutaquin de prestolet !

— Vous pourriez du moins l’ouvrir pour moi sans

dessein homicide. Chevalier ! soupira Mme la Duchesse qui errait de table en guéridon. J’étouffe, mon ami !… Je me souviens pourtant d’avoir posé là mon éventail, là, sur ce bonheur-du-jour !… Un Frago, mon cher Chevalier, un amour de Frago !…