Histoire de la Suisse (Rosier)

Payot & Cie (p. -carte).

HISTOIRE DE LA SUISSE
PAR
W. ROSIER

Ouvrage adopté par les Départements de l’Instruction publique
des cantons de
VAUD, NEUCHÂTEL et GENÈVE,
et contenant de nombreuses cartes et gravures.

Le présent cahier est destiné aux élèves appartenant au degré intermédiaire des Écoles primaires du canton de Vaud.
Le manuel complet leur est remis au moment où ils sont promus au degré supérieur.

LAUSANNE
PAYOT & Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS

1904
Tous droits réservés.
HISTOIRE DE LA SUISSE

PREMIÈRE PARTIE
TEMPS PRIMITIFS


CHAPITRE Ier

LES PREMIERS HABITANTS
DE NOTRE PAYS


1. Les hommes des cavernes. — La Suisse n’a pas toujours eu l’aspect et le climat qu’elle a aujourd’hui. Il fut un temps, très éloigné de nous, où elle était couverte d’immenses glaciers. Cette période dura longtemps. C’est vers la fin de cette époque, lorsque les glaciers diminuaient, que notre pays reçut ses premiers habitants.

D’où venaient-ils ? On ne peut le dire. On sait qu’ils étaient peu nombreux et qu’ils vivaient misérablement, comme vivent encore actuellement certaines peuplades sauvages d’Afrique ou d’Amérique. Ils ne cultivaient pas le sol et n’avaient pas d’animaux domestiques ; mais ils connaissaient déjà le moyen de faire du feu. Comme armes, ils se servaient de pierres grossièrement taillées. Ils chassaient le renne et d’autres grands animaux disparus aujourd’hui ; ils se nourrissaient de la chair de ces bêtes sauvages et s’habillaient de leur peau.

Ne sachant pas construire des maisons, ils habitaient des grottes ou de simples abris au pied des rochers. C’est pourquoi on a appelé ces premiers habitants les hommes des cavernes. On a retrouvé

Une partie du plateau suisse à l’époque glaciaire.

Fig 1. — Une partie du plateau suisse à l’époque glaciaire.
Plage d’Auvernier. Pilotis de l’ancien village lacustre.

Fig. 2. — Plage d’Auvernier. Pilotis de l’ancien village lacustre.


dans plusieurs grottes beaucoup d’objets qu’ils y ont laissés, des haches, des couteaux et des scies en pierre, des hameçons et des aiguilles en corne ou en os, des dents d’ours ou de loup, etc.

2. Populations lacustres. — Avec le temps, le climat s’adoucit, les glaciers reculèrent. Le pays prit peu à peu l’aspect que nous lui voyons aujourd’hui et se couvrit d’épaisses forêts. D’autres populations s’établirent sur le plateau suisse, entre les Alpes et le Jura. On les nomme les populations lacustres parce qu’elles construisaient leurs habitations sur les lacs, où elles se sentaient plus en sûreté que sur terre ferme.

Presque tous les lacs du plateau ont eu leurs

Habitations lacustres.

Fig. 3. — Habitations lacustres.


villages lacustres. Le lac Léman et ceux de Neuchâtel, de Bienne et de Morat en comptaient un grand nombre. Les huttes, construites en bois, reposaient sur un plancher. Ce plancher lui-même était situé à une certaine hauteur au-dessus de l’eau et placé sur des rangées de pieux. Un pont étroit reliait ces habitations à la côte.

Les populations lacustres ne se nourrissaient pas seulement des produits de la pêche et de la chasse. Elles élevaient déjà les animaux domestiques que nous connaissons, le bœuf, la chèvre, le mouton, le porc, le cheval. Sur les rives des lacs, le blé, l’orge, le lin étaient cultivés. Les peaux d’animaux, la laine, le lin servaient à faire des vêtements.

Pendant très longtemps, les outils, les armes furent fabriqués en pierre ou en os. Mais le travail était mieux fait que du temps de l’homme des cavernes. La pierre n’était pas seulement taillée ; les habitants des lacs savaient aussi la polir. Les objets étaient plus compliqués.

Puis les lacustres apprirent des étrangers à travailler les métaux, en particulier le cuivre et le bronze[1]. Avec le temps, le bronze remplaça la pierre. L’industrie s’améliora. Les objets furent plus variés, plus beaux de forme et souvent ornés de dessins.

C’est seulement plus tard qu’on employa le fer. On en fit d’abord des épées, des lances, des couteaux ; ensuite, on s’en servit pour fabriquer des outils et des ustensiles. Mais, à cette époque, les habitants avaient transporté leurs demeures sur terre. Les forêts du plateau suisse se défrichaient peu à peu et les villages y devenaient plus nombreux.

La plupart des habitations lacustres furent détruites par le feu. On retrouve sur les bords de nos lacs les pieux qui les supportaient. En creusant dans la vase, on a retiré de grandes quantités d’outils, d’armes, d’objets de parure, qui ont été placés dans nos musées.


1re LECTURE

Qu’est-ce que l’histoire ? — La Suisse est aujourd’hui très peuplée. Les cultures couvrent les bords de ses lacs, ses plaines et ses vallées. Des chemins de fer la traversent dans tous les sens. Elle a une multitude d’usines et de fabriques. On y voit des villes grandes et belles, d’autres plus petites et de très nombreux villages. Tous ses habitants ont suivi les écoles et savent au moins lire, écrire et compter.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Longtemps, très longtemps, elle n’eut aucun habitant. Ensuite, les hommes qui y vécurent furent de véritables sauvages. Ils n’avaient aucune instruction ; ils ne nous ont donc laissé aucun écrit, aucun récit de leurs aventures.

Tombeau lacustre d’Auvernier.

Fig. 4. — Tombeau lacustre d’Auvernier.
(Ce tombeau se trouve actuellement à Neuchâtel, à côté du Musée historique, où il a été reconstitué avec soin.)
La femme lacustre d’Auvernier.

Fig. 5. — La femme lacustre d’Auvernier.
(Cette figure a été reconstituée par M. le professeur Kollmann, de Bâle, à la suite d’une étude attentive du crâne de femme retrouvé dans le tombeau d’Auvernier.)

« Mais alors, me direz-vous, comment peut-on savoir quelque chose sur leur existence ? »

Voici comment. On a trouvé en certains endroits des armes, des instruments en pierre ou en métal, enfouis dans le sol. Des restes du même genre ont été découverts dans les grottes et dans la vase des lacs, non seulement en Suisse, mais dans d’autres pays. Ces débris sont très anciens, car ils sont souvent recouverts d’une couche de terre ou de gravier, qui a dû mettre longtemps à se former. Il faut creuser le sol pour les découvrir. On a ramassé ces débris ; on les a examinés. Et c’est ainsi qu’on a pu reconnaître comment vivaient les hommes des cavernes et les populations lacustres.

Ce n’est pas tout. On a retrouvé aussi des ossements humains, des tombeaux qui datent de ces temps reculés. En 1876, par exemple, un tombeau a été découvert non loin de l’ancien village lacustre d’Auvernier, dans le canton de Neuchâtel (fig. 4). Il renfermait des squelettes ; on a pu avoir ainsi quelques renseignements sur les hommes qui habitaient ce village, sur leur taille, sur leur aspect. Au moyen d’un crâne assez bien conservé, il a même été possible de reproduire la figure d’une femme lacustre (fig. 5).

Il existe aussi des monuments très curieux,

Menhir de Combasson.

Fig. 6. — Menhir de Combasson.
(Canton de Neuchâtel, non loin des Verrières.)


datant des temps anciens, et qui sont formés d’énormes pierres brutes. Ils sont beaucoup plus rares en Suisse qu’en France, par exemple. C’est parfois un bloc de pierre dressé sur sa pointe ; on le nomme un menhir[2] et l’on pense qu’il devait servir au culte. Le dolmen[3] est formé d’une longue pierre posée à plat sur d’autres pierres droites, fixées dans le sol. Bien des suppositions ont été faites au sujet des dolmens ; on croit aujourd’hui que ces monuments étaient des tombeaux. Enfin on remarque dans plusieurs parties de la Suisse des amas de terre, des monticules certainement élevés par l’homme ; on les appelle des tumulus. Ils recouvrent des tombes anciennes, où l’on a souvent trouvé des squelettes humains, des armes, des vases, des bijoux.

Quand les hommes surent écrire, ils racontèrent leurs aventures dans des livres ou dans des inscriptions gravées sur des monuments. Ils y indiquèrent les noms des chefs qui les conduisaient à la guerre, de leurs magistrats, de leurs rois. Beaucoup de ces inscriptions et de ces livres sont perdus aujourd’hui ; en outre, il faut examiner de près ces récits, car ils ne sont pas toujours exacts. Malgré cela, nous sommes beaucoup mieux renseignés sur les peuples qui les ont laissés que sur les habitants des cavernes et des villages lacustres.

C’est au moyen de ces récits qu’on a pu écrire l’histoire des hommes qui ont vécu avant nous sur la terre. L’histoire nous raconte les événements qui ont eu lieu ; elle décrit les mœurs et les usages de nos ancêtres ; elle nous dit comment ils cultivaient le sol, comment ils faisaient le commerce, en un mot comment ils vivaient.

Chers enfants, vous trouverez dans ce livre l’histoire de la Suisse. Vous devez la connaître, puisque c’est l’histoire de notre patrie, et vous verrez combien elle est intéressante.

La Suisse a eu ses grands hommes, entièrement dévoués à la patrie, et qui sont pour nous de beaux exemples à suivre. Elle a passé par des périodes de gloire ; mais elle a eu aussi ses jours de malheur. C’est grâce à l’énergie de nos ancêtres, à leur travail, à leur courage, qu’elle est devenue libre et qu’aujourd’hui elle est si prospère. Ce livre vous racontera tout cela. Quand vous saurez cette belle histoire, vous aimerez encore davantage votre pays et vous pourrez aller sans crainte, la tête haute, en disant : « Je suis Suisse. »


2me LECTURE

Les quatre âges. — Nous avons vu qu’un temps très long s’est écoulé avant que l’homme sût écrire. Sur ce temps-là, les débris retrouvés dans le sol, dans les cavernes et sur les bords des lacs sont les seuls renseignements que nous ayons. On divise cette longue suite de centaines et de milliers d’années en quatre périodes appelées âges. Ce sont :

1o L’âge de la pierre taillée.

2o L’âge de la pierre polie.

3o L’âge du bronze.

4o L’âge du fer.

Dolmen de Saint-Cergues.

Fig. 7. — Dolmen de Saint-Cergues.
(Au pied des Voirons, à l’est de Genève.)
Premiers dessins. Un renne broutant. (Débris trouvé à Thaingen.)

Fig. 8. — Premiers dessins. Un renne broutant. (Débris trouvé à Thaingen.)

L’âge de la pierre taillée est celui de l’habitant des cavernes. Les glaciers de la Suisse étaient alors plus étendus qu’aujourd’hui ; la végétation était pauvre. On a retrouvé des débris datant de cette époque à Veyrier près de Genève, dans les grottes du Sex près de Villeneuve, à Thaingen et au Schweizersbild dans le canton de Schaffhouse. Outre le renne, le chamois, le bouquetin, le loup et l’ours noir, de grands animaux sauvages vivaient alors dans notre pays ; par exemple le lion des cavernes, le rhinocéros, le mammouth[4], le bœuf sauvage, etc. L’homme n’avait pour se défendre contre ces ennemis redoutables que des armes grossières, faites de silex taillés. Mais il fabriquait aussi en corne ou en os, des aiguilles, des hameçons, des pointes de flèches. On sait qu’il aimait déjà à dessiner, car on a retrouvé dans les cavernes des pierres ou des os portant des dessins très ressemblants d’animaux (fig. 8).

L’âge de la pierre polie correspond à la première partie de la période des habitations lacustres. Des populations nouvelles sont venues s’établir en Suisse. Elles sont d’ailleurs mélangées ; à côté d’hommes de grandeur moyenne, il s’y trouve des pygmées ou nains, d’une taille de moins d’un mètre et demi. L’homme est alors plus actif et plus intelligent que l’habitant des cavernes. C’est toujours la pierre qu’il emploie, Pointes de flèches en silex.
Fig. 9 — Pointes de flèches en silex.
mais il sait beaucoup mieux la travailler et il a appris à la polir. Il se sert des pierres du pays, comme la serpentine, et aussi d’autres pierres dures que la Suisse ne possède pas et qu’il se procure par des échanges. On estime à 250 environ le nombre des anciens villages lacustres en Suisse. Quelques-uns étaient très grands ; celui de la baie de Morges, par exemple, comptait plusieurs centaines d’habitants. Des restes de l’âge de la pierre polie ont été retrouvés aussi en dehors des lacs, sur la terre ferme, dans des grottes et autres abris. Les tombeaux ont fourni beaucoup de débris ; les morts y étaient ensevelis accroupis.

Hache de pierre à double emmanchure.

Fig. 10. — Hache de pierre à double emmanchure.
(La pierre est enchâssée dans une douille de bois ou de corne, qui est elle-même fixée dans un manche de bois.)

L’âge du bronze a succédé lentement à celui de la pierre polie ; il correspond à la seconde partie de la période lacustre. Le métal est bien préférable à la pierre, mais il est plus difficile à travailler. Aussi son usage marque un grand progrès. On fabriquait en bronze des armes telles que des épées, des haches, des pointes de lance, des poignards ; des instruments de travail : couteaux, marteaux, scies, faucilles, aiguilles, hameçons ; des ornements, en particulier des bracelets, des broches, des boucles d’oreilles. Ces objets ont été recueillis par milliers

Pendeloques.

Fig. 11. — Pendeloques.
Distribution des anciens villages lacustres en Suisse. — Échelle 1/2 400 000

Fig. 12. — Distribution des anciens villages lacustres en Suisse. — Échelle 1/2 400 000


dans toute l’Europe, aussi bien sous les tumulus et les dolmens que dans les stations lacustres.

Avec l’âge du bronze, la période lacustre cesse. Enfin vient l’âge du fer. Dès que les hommes surent travailler le fer, ils le préférèrent au bronze, parce qu’il est plus solide et qu’il coupe mieux. On le considéra longtemps comme un métal précieux et on le réservait pour les armes. En Suisse, l’une des plus importantes stations de l’âge du fer est celle de la Tène, au bord du lac de Neuchâtel. On y a découvert un grand nombre d’épées, des lances ornées, des pointes de flèche, des monnaies, etc.

Haches de bronze.

Fig. 13. — Haches de bronze.


La Tène était peut-être une ville fortifiée des Helvètes, renfermant un dépôt d’armes.

Pendant les quatre âges, la Suisse a été habitée par des populations différentes. Elles sont parties de l’état sauvage et ont lentement amélioré leurs outils et leurs armes. Ces peuples ont disparu les uns après les autres ; mais ils ont laissé des traces de leur passage.

Pointe de lance. (Bronze).
Fig. 14. — Pointe de lance. (Bronze).
Un peu de leur sang coule encore dans nos veines, et c’est à eux que notre pays doit sa première civilisation.

Les quatre âges ont duré très longtemps, au total des milliers d’années. On estime que l’âge de la pierre taillée

Monnaie de l’âge du fer.

Fig. 15. — Monnaie de l’âge du fer.


n’a pris fin que vers 4000 ans avant Jésus-Christ. Celui de la pierre polie a duré de 4000 à 2000 environ ; celui du bronze, de 2000 à 1000. L’âge du fer a commencé, pour la Suisse, environ un millier d’années avant Jésus-Christ. Avec la station de Tène, nous arrivons aux Helvètes.


CHAPITRE II

LES HELVÈTES

1. Arrivée des Helvètes. — Les Helvètes habitèrent longtemps au nord de la Suisse actuelle, en Allemagne, dans la région du Rhin. Ils aimaient la guerre et ils se joignirent à deux peuples, les Cimbres et les Teutons, pour envahir la Gaule, c’est-à-dire la France actuelle. Un jeune chef intrépide commandait les Helvètes ; c’était Divico. Sur les bords de la Garonne, ils rencontrèrent les Romains, à qui appartenait le sud de la Gaule. Les Romains furent battus et durent passer sous le joug[5]. La bataille eut lieu près d’Agen, environ un siècle avant Jésus-Christ.

Quelque temps après, nous retrouvons les Helvètes sur le plateau suisse, entre le Jura et les Alpes. Ils étaient divisés en quatre tribus ; la principale était celle des Tigurins. Les Helvètes cultivaient la terre et faisaient du commerce avec les peuples voisins.Guerrier helvète.
Fig. 16. — Guerrier helvète.
Mais c’étaient avant tout des guerriers fiers et courageux. L’une de leurs principales villes était Avenches.

2. Orgétorix. — Les Helvètes aimaient les aventures. Ils savaient qu’il y avait en Gaule des territoires plus fertiles que le leur. Un de leurs chefs les plus riches, nommé Orgétorix leur proposa de quitter leur pays et d’aller s’établir en Gaule. Ils acceptèrent et préparèrent l’expédition.

Mais Orgétorix était un ambitieux. Son projet était de devenir roi des Helvètes. Or, les Helvètes ne voulaient point de roi. Ils punissaient de mort par le feu ceux qui cherchaient à le devenir. Lorsqu’ils surent le projet d’Orgétorix, ils lui ordonnèrent de paraître devant l’assemblée du peuple. Orgétorix, se sentant perdu, se tua.

3. Émigration des Helvètes. — L’expédition était prête ; les Helvètes partirent.

Ils brûlent leurs villes et leurs villages. Puis le peuple tout entier se met en route, les hommes à pied, les femmes et les enfants dans des chariots. Des tribus voisines se joignent à eux. À la tête de l’immense colonne marche le vieux Divico. C’était en l’an 58 avant Jésus-Christ.

Les Helvètes se dirigent sur Genève. C’est là qu’ils veulent passer le Rhône, pour continuer ensuite vers le sud. Jules César
Fig. 17. — Jules César
Mais Jules César, célèbre général romain, ne voulait pas les laisser s’établir en Gaule. Il leur barre le passage du fleuve. Les Helvètes suivent alors la rive nord du Rhône, passent le Jura et font route vers l’ouest. Ils traversent la Saône[6]. Mais avant d’avoir tous franchi la rivière, ils sont attaqués par Jules César ; leur arrière-garde est mise en déroute.

Alors Divico se présente à César, avec d’autres guerriers, et lui demande la paix. César répond que les Helvètes doivent avant tout lui livrer des otages. « Des otages, s’écrie Divico ; nos pères nous ont appris à en recevoir et non à en donner. Les Romains devraient s’en souvenir. » Divico et César se séparent.

Les Helvètes continuent leur route, suivis de près par les Romains. La bataille ne pouvait tarder. Elle eut lieu près de Bibracte, non loin de la ville actuelle d’Autun[7]. César en a fait le récit. Il raconte que les Helvètes furent complètement battus et qu’un grand nombre d’entre eux furent tués. Mais son récit n’est pas tout à fait exact.

Le choc des deux armées fut terrible. Les Romains étaient mieux armés que les Helvètes ; ils étaient aussi mieux préparés pour les grandes batailles. Après avoir vaillamment combattu, les Helvètes se retirèrent sur une colline, prêts à se défendre encore. Mais Jules César ne les attaqua pas de nouveau. Il raconte d’ailleurs que dans la lutte pas un Helvète ne tourna le dos.

Les Helvètes prirent le chemin du retour, suivis par l’armée romaine. Le moment arriva où ils manquèrent de vivres et ils durent se soumettre à César. Il leur ordonna de rentrer dans leur pays et de rebâtir leurs villes et leurs villages.

Plus tard, le Valais et la Rhétie furent aussi conquis par les Romains.

C’est ainsi que toute la Suisse actuelle dut accepter la domination romaine.

4. L’Helvétie sous les Romains. — Les Romains étaient un peuple très puissant de l’Italie. Par leurs conquêtes, ils avaient peu à peu soumis tous les pays qui entourent la mer Méditerranée. Soldat des légions romaines.
Fig. 18. — Soldat des légions romaines.
(Le soldat est représenté en marche ; ses vivres sont attachés à un bâton et son casque accroché à l’épaule droite.)
Rome, leur capitale, était devenue une ville considérable et magnifique. Les Romains avaient longtemps vécu en république ; mais peu de temps après Jules César, le pouvoir passa aux mains d’un seul homme, l’empereur.

La Gaule tout entière faisait partie de l’empire romain. Elle avait été conquise par Jules César après la soumission des Helvètes. L’Helvétie devint une partie de la Gaule romaine. La Rhétie forma une province distincte, beaucoup plus grande que le canton actuel des Grisons.

L’Helvétie fut longtemps la frontière de l’empire, du côté des Germains, qui habitaient l’Allemagne actuelle. C’est pourquoi elle était occupée par une nombreuse armée romaine. Cette armée gardait la frontière le long du Rhin ; sa principale place d’armes était Vindonissa (aujourd’hui Windisch, en Argovie). Les Romains construisirent à travers l’Helvétie d’excellentes routes militaires ; Vindonissa était le point central où se réunissaient ces routes.

Ruines du théâtre d’Augusta.

Fig. 19. — Ruines du théâtre d’Augusta.

Les Helvètes s’habituèrent peu à peu à la domination romaine. Le pays devint prospère et se couvrit de villages. Mais un peu plus d’un siècle après la bataille de Bibracte, il eut à souffrir de nouveaux malheurs.

À la mort de l’un des empereurs romains, une lutte éclata entre des généraux qui cherchaient à s’emparer du trône. Les Helvètes s’étant déclarés pour l’un d’eux, les troupes qui soutenaient son adversaire se vengèrent en dévastant le pays. Cécina, qui les commandait, battit les Helvètes au Bœtzberg (montagne du Jura, en Argovie). Il pilla Aventicum (Avenches), la capitale de l’Helvétie, et fit périr Julius Alpinus, le premier magistrat de cette ville. On crut que tous les Helvètes allaient être massacrés. L’empereur Vitellius devait se prononcer sur leur sort. Un Helvète, nommé Claudius Cossus, se rendit auprès de lui et lui parla d’une manière si touchante que l’empereur fit grâce aux vaincus.

Ensuite l’Helvétie passa par une longue période de paix et de prospérité. Le sol fut de mieux en mieux cultivé. Le pays s’enrichit par l’industrie et le commerce. De nombreuses écoles instruisirent la jeunesse. La Suisse occidentale surtout adopta complètement la religion, les usages et la langue des Romains. Là s’élevait la grande ville d’Aventicum, avec ses palais de marbre, ses temples superbes, ses théâtres, ses bains. Une autre belle ville était Augusta (actuellement Augst, près de Bâle).

5. Introduction du christianisme. — Les Romains avaient introduit chez les Helvètes le culte de Jupiter et d’une foule de dieux et de déesses. Mais cette religion fut remplacée plus tard par le christianisme. Les chrétiens furent longtemps persécutés. Une légende raconte qu’une légion[8] romaine, appelée la légion thébéenne, fut massacrée à Saint-Maurice, en Valais, parce qu’elle ne voulait pas renoncer à la religion chrétienne.

Trois cents ans environ après Jésus-Christ, la nouvelle religion, partie de l’humble bourgade de Nazareth, en Galilée, s’était déjà répandue en Helvétie. De nombreuses églises chrétiennes étaient fondées et plusieurs villes avaient leur évêque.


3me LECTURE

Les Helvètes. — Nous avons dit que les débris retrouvés dans les grottes, sur les bords des lacs et dans les tombeaux sont les seuls renseignements que nous ayons sur les hommes des cavernes et sur les populations lacustres. Sur les Helvètes, nous en savons davantage. On a conservé d’anciens livres qui nous parlent d’eux et qui nous donnent des détails intéressants.

Les Helvètes habitaient une grande partie de la Suisse, entre les Alpes et le Jura, et entre le lac Léman et le Rhin. Nous connaissons aussi leurs voisins. C’étaient les Rauraques, dans le Jura du nord, vers Bâle ; les Séquanais, dans le Jura de l’ouest ; les Allobroges, à Genève et en Savoie ; les Rhétiens, dans les Grisons. On considère généralement ces différents peuples comme appartenant à la grande nation des Celtes ou Gaulois, qui occupait la majeure partie de l’Europe centrale et occidentale.

On comptait douze villes et quatre cents villages dans le pays des Helvètes. Les habitations n’étaient en général que des cabanes en bois ou en terre. Cependant, les Helvètes étaient plus avancés que les lacustres. Ils savaient écrire. Ils connaissaient l’or, l’argent, le fer, le bronze, le verre. Pour le commerce, ils se servaient de monnaies.

La culture du sol, l’élève du bétail, la chasse et la pêche, telles étaient les occupations des Helvètes. Leurs vêtements étaient faits de laine et de lin. Ils aimaient la parure, les belles armes, les bracelets et les colliers en métal.

Les Helvètes étaient très jaloux de leur indépendance. Ils ne voulaient point de roi. Mais tous les hommes n’étaient pas égaux. Comme chez tous les peuples gaulois, il y avait parmi eux des nobles, qui possédaient la plus grande partie des terres. Dans chaque tribu, les nobles se réunissaient en

La justice chez les Helvètes.

Fig. 20. — La justice chez les Helvètes.
(D’après un tableau de Ravel.)
assemblée et nommaient un chef qui gouvernait pendant une année. Les nobles avaient de nombreux serviteurs et même des esclaves.

Les prêtres s’appelaient druides. Ils avaient un grand pouvoir, parce qu’ils étaient aussi médecins et juges. C’était dans les forêts de chênes qu’ils faisaient des sacrifices aux dieux ; souvent ils leur offraient des victimes humaines. L’une des principales fêtes religieuses était la cueillette du gui[9], que le prêtre, vêtu d’une robe blanche, coupait avec une faucille d’or.

Le peuple adorait les sources, les rivières, les arbres. Il croyait aux fées. L’œuf de serpent était un objet sacré. On racontait que les serpents se réunissaient dans une grotte. Là, par leur salive et l’écume de leur peau, ils finissaient par produire un œuf. Ils l’élevaient en l’air et le soutenaient de leurs sifflements. C’est le moment où il fallait s’approcher, le prendre et l’emporter en courant.

Les Helvètes avaient encore bien d’autres fables qui montrent qu’ils étaient très ignorants. Mais ils étaient braves, courageux et n’avaient pas peur de la mort.


4me LECTURE

L’empire romain. — Pendant que notre pays était encore à l’âge du fer et longtemps avant que les Helvètes fussent venus s’y établir, une ville s’était fondée en Italie. C’était Rome. Elle était habitée par un peuple de soldats qui se rendit peu à peu redoutable. Lentement, il soumit les peuples voisins les uns après les autres. Il arriva ainsi à être le maître du centre de l’Italie. Ensuite il conquit l’Italie du sud.

Les Romains étaient devenus puissants. Ils ne craignirent pas de franchir la mer. Ils s’attaquèrent à Carthage, grande ville dans le nord de l’Afrique. Après de longues guerres, ils la prirent d’assaut, la détruisirent et s’emparèrent des territoires qu’elle possédait. Puis ce fut le tour de la Grèce et des autres pays d’Orient, de l’Espagne et de la Gaule. Au temps de Jésus-Christ, les Romains dominaient sur tous les pays qui entourent la mer Méditerranée. Rome était la maîtresse du monde.

C’est à leur bonne organisation militaire que les Romains durent leurs succès. Leurs armées étaient divisées en grands corps appelés légions. Au complet, une légion comprenait environ 6 000 soldats à pied et, en outre, de la cavalerie et des troupes auxiliaires. Les soldats romains portaient un casque en fer, une cuirasse, un bouclier, et étaient armés

Fig. 21. — Gaule romaine. — Costumes.

Gallo-Romaine en costume de ville.                               Gallo-Romain.               

(D’après des bas-reliefs figurant sur des tombeaux gallo-romains.)

Fig. 21. — Gaule romaine. — Costumes.


d’une épée courte et d’une sorte de pique qu’ils pouvaient lancer comme un javelot. Ils étaient réputés pour leur bravoure, leur discipline et aussi pour leur patience à supporter les longues marches et les privations. Ils n’étaient jamais inactifs. En temps de paix, on les employait à construire des retranchements, des routes et des ponts.

Pendant la période de leurs grandes conquêtes, les Romains avaient vécu en république. Longtemps cette république avait été sagement administrée. Mais, en s’emparant des trésors des peuples vaincus, elle devint trop riche. La population perdit sa simplicité et sa vigueur. Les nobles et les grands propriétaires vivaient dans le luxe et dans le vice, au milieu de leurs nombreux esclaves, qu’ils traitaient cruellement. En dehors des nobles, la population libre était paresseuse et pauvre et n’aimait que les jeux du cirque. Les Romains ne pouvaient plus résister aux ambitieux qui cherchaient à s’emparer du gouvernement. En l’an 31 avant Jésus-Christ, Octave, surnommé Auguste, prit le pouvoir suprême. L’immense territoire romain n’obéit plus qu’à un seul homme ; l’empire remplaça la république.

L’empereur romain est un maître tout puissant. Il commande les armées et il est chef de la religion. Il peut faire mettre à mort ceux qui lui déplaisent et s’emparer de leurs biens. On cite beaucoup de mauvais empereurs, connus pour leur cruauté. Mais d’autres ont laissé un meilleur souvenir. L’un d’eux, Vespasien, fit beaucoup de bien à Avenches, où il avait passé une partie de sa jeunesse. Titus fut doux et bon, mais ne gouverna que peu de temps. Trajan, Adrien, Antonin et Marc-Aurèle sont regardés comme les meilleurs empereurs. Ils vivaient pendant le deuxième siècle après Jésus-Christ. Sous leur règne, l’empire jouit d’une paix profonde. Ce fut une période relativement heureuse et celle de la plus grande puissance de Rome.

Plus tard, l’empire s’affaiblit par les guerres civiles. Les empereurs étaient nommés par les soldats et massacrés bientôt après. Quelques souverains cherchèrent à relever l’empire et à mettre de l’ordre dans le gouvernement. L’un d’eux, Constantin, se prononça en faveur des chrétiens, qui avaient été jusque-là atrocement persécutés. En 313, il leur permit de pratiquer leur culte. Dès lors, les idées chrétiennes purent se répandre librement et exercer leur bienfaisante influence.

Après Constantin, la puissance de l’empire diminua de plus en plus. Il était attaqué sur toutes ses frontières par des peuples étrangers et ne pouvait résister à tant d’ennemis. Théodose le Grand est le dernier souverain qui ait réuni tout l’empire sous son autorité. À sa mort, en 395, l’empire fut partagé en deux États : l’empire d’Occident et l’empire d’Orient. Le premier eut pour capitale Rome ; le second, Constantinople. L’empire d’Occident se divisa bientôt en plusieurs parties.


5me LECTURE

L’Helvétie romaine. — Les Helvètes avaient perdu leur indépendance ; leur pays ne formait plus qu’une petite partie de l’immense empire romain. Au fond de l’Helvétie, comme à Rome, on obéit à Statuette de Mercure, retrouvée à Nyon.
Fig. 22. — Statuette de Mercure, retrouvée à Nyon.
l’empereur. Les Helvètes sont ses sujets et ils doivent lui payer un tribut, c’est-à-dire une certaine somme d’argent chaque année. Cependant ils avaient conservé quelques libertés et pouvaient nommer des magistrats chargés de les protéger et de les défendre.

L’Helvétie, ou le pays habité par les Helvètes, n’était pas si grand que la Suisse actuelle. (Voir la carte en couleur no 1.) Au nord-est, se trouvait le pays des Rauraques, avec la ville d’Augusta ou Augusta Rauracorum. Nyon, nommée alors Noviodunum, était la ville principale d’un pays appelé pays des Équestres ; ce nom provenait de ce que d’anciens soldats, qui avaient servi dans la cavalerie, s’y étaient établis.

Statuette d’acteur.
Fig. 23. — Statuette d’acteur.

Genava ou Genève était dans le pays des Allobroges ; on la désignait quelquefois sous le nom de Marché des Allobroges. Tous ces pays, de même que le Valais actuel, faisaient partie de la Gaule.

Le Tessin et la Suisse orientale appartenaient aussi aux Romains, mais ils étaient en dehors de la Gaule. Les Rhètes ou Rhétiens des Grisons et de la Suisse orientale étaient un peuple montagnard et sauvage que les Romains eurent beaucoup de peine à soumettre. Les Romains établirent un poste militaire à Curia ou Coire.

Sous les Romains, l’Helvétie se transforma complètement. Elle se civilisa et s’enrichit. La paix régna ; les habitants perdirent leur rudesse. Le latin, la langue des Romains, devint celle des Helvètes. La religion des druides fit place à la religion romaine avec ses nombreuses divinités. Des temples s’élevèrent à Jupiter, le dieu suprême, à Apollon, le dieu du soleil, à Minerve, la déesse de la sagesse, à Neptune, le dieu des eaux. Mercure, le dieu des marchands, était particulièrement honoré. En outre, chaque ville, chaque village, chaque fleuve avait son dieu particulier, son génie protecteur.

L’agriculture fit de grands progrès. Les Romains apprirent aux habitants à mieux cultiver leurs champs. Il est très probable que ce sont les Romains Amphore, retrouvée à Avenches.
Fig. 24. — Amphore, retrouvée à Avenches.
qui ont introduit en Helvétie plusieurs plantes de rapport ou d’ornement, telles que la vigne, le cerisier, le prunier, le pêcher, l’abricotier, le noyer, le rosier, le lis, etc. Le bétail suisse était déjà renommé. Les marchands italiens venaient acheter dans notre pays des fromages, du beurre, du suif, de la cire, du miel et des bois.

Le commerce était facilité par la construction de bonnes routes. Plusieurs de ces routes traversaient les cols des Alpes et faisaient communiquer la Suisse et l’Italie. L’une des principales franchissait le Grand Saint-Bernard, passait par Aventicum et Vindonissa et continuait Vase d’albâtre.
Fig. 25. — Vase d’albâtre.
ensuite vers le nord. Une autre venait de la Gaule et unissait Genève à Avenches.

Des villes bâties en pierre et des bourgs remplacèrent les villages helvètes, formés de simples cabanes. Parmi ces villes, il y avait dans la Suisse allemande actuelle Aquœ, (Baden), qui était déjà connue par ses bains, Salodurum (Soleure), Turicum (Zurich). Dans l’Helvétie de l’ouest, les localités étaient nombreuses. On peut citer Lousonna (Lausanne), Viviscus (Vevey), Minnodunum (Moudon), Urba (Orbe), Eburodunum (Yverdon), Octodurum (Martigny). À Neuchâtel, il y avait déjà un bourg. La principale ville était Aventicum (Avenches), le chef-lieu de toute l’Helvétie.

Avenches existait déjà avant la conquête de l’Helvétie par les Romains. Mais c’est sous l’empire

Plan d’Aventicum. — Échelle 1/30 000

Fig. 26. — Plan d’Aventicum. — Échelle 1/30 000


romain qu’elle prit une grande importance. Les ruines qui ont été retrouvées nous montrent qu’il y avait là une grande ville. Avenches était alors trente fois plus grande qu’aujourd’hui (fig. 26). On croit qu’elle avait 40 000 habitants environ. Elle était La Tornallaz.
Fig. 27. — La Tornallaz.
entourée d’une haute muraille, garnie de 80 tours. Mais il ne reste qu’une seule de ces tours ; on l’appelle la Tornallaz.

Il y avait à Avenches de très beaux édifices. Autour de la place publique s’élevaient des temples, de grands palais, des colonnades. L’amphithéâtre, sorte de cirque immense, pouvait contenir 12 000 personnes ; c’est là que des hommes armés, appelés gladiateurs, combattaient entre eux ou contre des bêtes féroces, pour l’amusement du public. Il y avait aussi un théâtre, des bains, de riches maisons dont la salle principale était pavée en mosaïque.

Avenches fut longtemps riche et prospère. Mais de cette magnifique ville romaine, il ne reste aujourd’hui que des ruines. Une haute colonne se dresse seule au milieu des débris des anciens édifices ; Le Cigognier.
Fig. 28. — Le Cigognier.
on l’appelle le Cigognier, parce que les cigognes construisaient autrefois leurs nids à son sommet.

Ainsi, une grande ville a pu être complètement détruite. Le moment vint où l’empire romain fut envahi par les ennemis qui depuis longtemps menaçaient ses frontières. Les Helvètes n’étaient plus les rudes guerriers du temps de Divico. L’amour du luxe et des plaisirs les avait affaiblis. Quand les peuplades sauvages du nord arrivèrent, ils ne purent leur résister ; les villes furent brûlées et le pays dévasté. La civilisation recula pour longtemps.

CHAPITRE III

PEUPLES NOUVEAUX

ALAMANS, BURGONDES et FRANCS

1. Les Germains. — Pendant l’époque romaine, des peuples encore barbares habitaient dans le pays qui forme aujourd’hui l’Allemagne. Les Romains les appelaient les Germains.

Les Germains se divisaient en plusieurs grandes tribus. Ils étaient tous guerriers et voulaient s’emparer des terres riches et fertiles de l’empire romain. Les armées romaines les arrêtèrent longtemps. À la fin, les Germains forcèrent le passage. C’est cette entrée des Germains dans l’empire, qu’on appelle la migration des peuples ou l’invasion des barbares. Cette invasion ne s’est pas faite en une fois. Les Germains arrivèrent peuple après peuple et se fixèrent dans les différentes parties de l’empire romain.

2. Les Alamans. — Les premiers Germains qui envahirent l’Helvétie romaine furent les Alamans. C’étaient des guerriers pillards, qui détruisaient tout sur leur passage. Ils firent plusieurs invasions avant de s’établir en Helvétie. Au cinquième siècle, ils se fixèrent définitivement dans la contrée qui forme aujourd’hui la Suisse allemande.

Guerriers alamans.

Fig. 29. — Guerriers alamans.
(D’après une ancienne gravure.)

Les Alamans étaient païens. Ils aimaient la guerre et méprisaient le commerce. La chasse et l’élevage du bétail suffisaient à leurs besoins. Ce sont eux qui ont détruit les villes romaines en Helvétie, et en particulier Avenches. Ils s’emparèrent des terres et des troupeaux et firent des anciens habitants leurs serviteurs.

3. Les Burgondes. — Les Burgondes étaient aussi des Germains. Ils arrivèrent de l’ouest, c’est-à-dire de la Gaule, où ils avaient combattu contre les Romains. Vers le milieu du cinquième siècle, un général romain leur permit de s’établir en Savoie. C’est de là qu’ils avancèrent vers le nord dans le Pays de Vaud et jusqu’à l’Aar.

Les Burgondes étaient chrétiens. On les regardait comme les plus doux des barbares. Ils ne prirent pas toutes les terres pour eux ; ils les partagèrent avec les anciens propriétaires. Peu à peu ils se mêlèrent aux anciens habitants et ne formèrent plus avec eux qu’un seul peuple. C’est du mot Burgonde qu’est venu le nom de Bourgogne.

L’autorité, chez les Burgondes, appartenait à un roi. Le royaume burgonde ne comprenait pas seulement la Suisse occidentale ; il s’étendait vers l’ouest et vers le sud, dans l’ancienne Gaule. On l’a appelé le premier royaume de Bourgogne. Ce royaume a duré moins d’un siècle. Le plus célèbre de ses rois fut Gondebaud, qui mourut à Genève.

4. Domination des Francs. — Après leur établissement en Helvétie, les Alamans et les Burgondes ne restèrent pas très longtemps indépendants. Un nouveau royaume s’était formé en dehors de la Suisse, sur le cours inférieur du Rhin. C’était le royaume des Francs.

Les Francs étaient aussi des Germains. Par leurs conquêtes, ils s’emparèrent du nord de la Gaule. Clovis, l’un de leurs rois, étendit beaucoup leur territoire. Les Alamans étant entrés en lutte avec lui, ils furent battus en 496 et durent se soumettre à son autorité.

Plus tard, la guerre éclata entre les Francs et les Burgondes. Elle fut plus longue. Mais, à la fin, les Burgondes furent vaincus en 534.

Guerrier franc.

Fig. 30. — Guerrier franc.

Toute la Suisse actuelle tomba sous la domination des Francs.

5. Progrès du christianisme. — Les Burgondes étaient chrétiens. Leurs vainqueurs, les Francs, l’étaient aussi. Le christianisme devint donc de bonne heure la religion des habitants de la Suisse occidentale.

Les Alamans étaient encore païens lorsqu’ils pénétrèrent en Helvétie. Le christianisme, qui y était déjà établi, eut tout d’abord à souffrir de leur invasion. Mais peu à peu ils se laissèrent gagner par les idées chrétiennes, tout en gardant en partie leurs anciennes croyances. Ils furent définitivement convertis par des moines venus d’Irlande, au commencement du septième siècle. Les plus connus de ces moines sont Colomban et Gall. Colomban quitta bientôt la Suisse. Mais Gall y resta ; c’est sur l’emplacement de sa cabane que s’éleva plus tard le célèbre couvent de Saint-Gall et la ville de ce nom.

D’autres couvents et de nombreuses églises furent construits. La Suisse entière adopta le christianisme.

6. Charlemagne. — Le plus célèbre des rois francs fut Charlemagne ou Charles le Grand. Il vainquit ses voisins dans de nombreuses guerres et s’empara de leur territoire. Ses États s’étendirent ainsi sur un espace immense. Ils comprenaient l’Europe centrale et occidentale, c’est-à-dire les pays qui forment aujourd’hui la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, la Belgique, la Hollande, et, en outre, la moitié nord de l’Italie et une partie de la Hongrie. C’était le souverain le plus puissant de son temps. Le pape le couronna empereur à Rome, en l’an 800.

Charlemagne chercha à maintenir l’ordre dans ce vaste empire. Il faisait rendre la justice par des comtes, qui gouvernaient en son nom. La Suisse, comme les autres pays, fut ainsi divisée en comtés. Charlemagne aida aussi l’agriculture et le commerce. Il augmenta le pouvoir de l’Église et créa des écoles.


6me LECTURE

Les ancêtres des Suisses. — Les grandes invasions germaniques dans l’empire romain eurent lieu principalement à la fin du IVme siècle et au Vme siècle. Ce fut une période très troublée. L’occupation de plusieurs territoires de l’empire par les Germains ne fut pas partout accompagnée de guerres sanglantes. Mais l’Helvétie est une des contrées qui eurent le plus à souffrir. Les Alamans étaient un peuple violent et destructeur. Avant de s’établir, ils ravagèrent plusieurs fois la plus grande partie du pays. Les légions romaines le défendirent le plus longtemps possible. Elles construisirent le long du Rhin des forteresses, dont l’une donna naissance à la ville de Bâle. À la fin, elles durent se retirer en Italie et abandonner l’Helvétie à son sort.

Par suite des invasions des Alamans, une forte partie de la population disparut. Un grand nombre d’habitants périrent dans les combats ou moururent de misère ; d’autres s’enfuirent. Les Alamans et les Burgondes occupèrent les territoires abandonnés. C’est donc d’eux que la nouvelle population fut principalement formée. Les Suisses allemands et les Suisses romands descendent beaucoup plus de ces envahisseurs que des anciens Helvètes ou des populations lacustres. Les Alamans et les Burgondes sont les véritables ancêtres du peuple suisse actuel.

Les Alamans s’emparèrent des terres et réduisirent les anciens habitants à la servitude. Ils introduisirent leur langue, c’est-à-dire l’allemand ; ils donnèrent des noms allemands aux montagnes, aux rivières et aux localités. Dans la région où ils s’établirent, le latin, la langue des Romains, disparut. C’est pour cela qu’aujourd’hui on parle allemand dans la Suisse du nord et du nord-est et dans la Suisse centrale. Les Alamans détestaient les villes ; ils préféraient vivre dans les grandes fermes isolées et dans les villages. Leurs maisons étaient en bois et couvertes de chaume. Ils aimaient la guerre, la chasse et l’élevage des troupeaux. Les métaux précieux étaient rares. Le bétail servait de monnaie. Pour cinq francs de notre monnaie, on pouvait alors avoir une belle vache ; pour dix francs, un bœuf. À la tête du peuple était placé un duc, qui commandait l’armée. Mais, pour les choses importantes, les hommes capables de porter les armes se réunissaient en assemblées populaires et prenaient les décisions.

Les Burgondes occupèrent la Suisse occidentale. Ils étaient grands et forts ; les hommes hauts de deux mètres n’étaient pas rares chez eux. Ce sont eux qui ont introduit la race de bétail, appelée race tachetée ou race du Simmenthal, qui est très répandue dans nos contrées. Leur royaume s’étendait très loin vers l’ouest et le sud, jusqu’à la Loire et à la France méridionale. Genève fut l’une des capitales de cet État. Les Burgondes étaient plus civilisés que les Alamans. Ils laissèrent un tiers des terres aux anciens habitants. Peu à peu ils se fondirent avec eux et adoptèrent leurs mœurs et leur langue. Mais le latin se transforma. Avec le temps, il donna naissance à la langue française. C’est ainsi que le français devint la langue de la Suisse occidentale. Le roi Gondebaud fit beaucoup pour établir de bons rapports entre les Burgondes et les anciens habitants. La loi qu’il donna à son peuple a gardé son nom ; on l’appelle la loi gombette. Elle était très douce pour l’époque.

Grâce à leurs hautes montagnes, les Rhètes des Grisons furent à l’abri des invasions. Ils ne se mélangèrent pas avec les Germains et gardèrent leur langue. Cette langue, qui vient du latin, s’appelle le romanche. Elle est encore parlée dans une partie des Grisons.

La vallée du Tessin resta en dehors des territoires occupés par les Alamans et les Burgondes. Elle subit le sort de l’Italie et l’italien devint la langue de ses habitants.


7me LECTURE

Bienfaits du christianisme. — C’est sous la domination des Francs que le christianisme s’établit définitivement en Suisse. Le chef suprême de l’Église était le pape de Rome. Au-dessous de lui étaient placés les évêques. À leur tour, les évêques dirigeaient les prêtres et les moines. Dans la Suisse occidentale, il y avait trois évêques, ceux de Genève, de Lausanne et de Sion ; dans le reste du pays, ceux de Bâle, de Constance et de Coire. Parmi les évêques de cette époque lointaine, on cite Marius ou Saint-Maire, évêque de Lausanne. Il a écrit l’histoire de son temps. Pour se reposer de ses travaux, il cultivait les champs de ses mains et sculptait des vases de bois pour le culte.

L’Helvétie avait été dévastée par les invasions des peuples germaniques. Une fois fixés, les envahisseurs avaient recommencé à cultiver le sol. Mais ce travail était long. Une grande partie du pays restait couverte de forêts et de marécages. Bien des vallées aujourd’hui très peuplées étaient alors sauvages et complètement inhabitées.

Ces lieux déserts étaient justement ceux où les ermites et les moines aimaient à s’établir. Cherchant la solitude, ils se retiraient loin des hommes, au milieu des bois et des broussailles. Ils y bâtissaient quelques cabanes et une petite chapelle. Ils abattaient les arbres et se mettaient à cultiver la terre. Un monastère était fondé. Les moines construisaient un moulin, des greniers, une boulangerie ; ils fabriquaient des vêtements et des meubles.

Couvent et bourg de Disentis.

Fig. 31. — Couvent et bourg de Disentis.
(Le couvent est situé à gauche, dominant le bourg. Il fut fondé dans la sauvage vallée du Rhin antérieur par un disciple de Colomban.)
Ils avaient leurs fermiers et leurs serviteurs. Autour de leur couvent, le pays se peuplait, et les moines apprenaient aux habitants l’agriculture et les métiers.

Le Jura a été en partie défriché ainsi par les moines. Beaucoup de localités de la Suisse doivent leur naissance à d’anciens couvents ; par exemple : Saint-Gall, Disentis, Lucerne, Einsiedeln, Romainmôtier, Saint-Ursanne, Saint-Imier, Moutier, etc. L’abbaye de Saint-Maurice est de fondation très ancienne. Un roi burgonde, Sigismond, lui accorda de grands avantages. Il y créa un chœur de 500 moines ; en se relayant tour à tour, ces religieux exécutaient un chant qui ne devait jamais s’arrêter.

Les mœurs du temps étaient rudes et les lois cruelles. Les Romains avaient des esclaves en grand nombre. Les Germains n’abolirent pas l’esclavage. Mais l’Église chercha à adoucir les lois et à améliorer le sort des esclaves. Le maître n’eut plus le droit de vie et de mort sur son esclave, ni le droit de l’enlever de son village et de le vendre au loin. Avec le temps, l’ancien esclavage disparut.

Sans doute, les paysans étaient encore bien malheureux. On les appelait des serfs[10]. Ils devaient cultiver la terre de leurs maîtres et vivaient misérablement. Chez les Burgondes, le serf qui s’enfuyait de chez son maître était puni de trois cents coups de fouet. Pourtant le servage était moins dur que l’esclavage. Les serfs des couvents étaient mieux traités que les autres.

La population vivait dans une grande ignorance. Les seules écoles étaient celles des monastères. On y apprenait la grammaire, l’arithmétique, la musique ; on y lisait les livres des anciens auteurs grecs et latins. Ainsi les couvents étaient le refuge de ceux qui voulaient s’instruire. Les religieux ont rendu de grands services en empêchant notre peuple de tomber dans une complète barbarie.


8me LECTURE

Charlemagne, empereur d’Occident. — Lorsque Charlemagne monta sur le trône, la Suisse et les pays voisins étaient divisés entre un grand nombre de guerriers, de propriétaires, de nobles, qui n’obéissaient pas toujours au roi. Chaque propriétaire se regardait comme le seul maître sur ses terres. Charlemagne força tous ces petits seigneurs à reconnaître son autorité et les empêcha de se faire la guerre. Ce fut surtout un grand chef militaire. Grâce à ses armées, il fit régner l’ordre dans son royaume. Les comtes commandaient en son nom. Pour les surveiller, il chargeait des hommes de confiance de faire de grandes tournées à travers ses États.

On a compté que Charlemagne n’a pas fait moins de 53 expéditions de guerre. Il arriva ainsi à régner sur une grande partie de l’Europe. Il fit tous ses efforts pour répandre le christianisme et protégea l’Église ; en retour, le pape et les évêques l’appuyèrent. En l’an 800, le pape Léon III le couronna à Rome comme empereur d’Occident et comme le successeur des empereurs romains. Mais Charlemagne n’aimait, pas revêtir le costume impérial. Il préférait garder le costume des Francs, c’est-à-dire le pantalon de toile serré par des bandelettes, la tunique de laine et le large manteau.

Pour aider le commerce, Charlemagne ordonna aux comtes de construire de bonnes routes et de défendre les marchands contre les brigands, qui étaient alors très nombreux. Il protégea aussi l’agriculture. C’est sous son règne que les paysans de nos contrées se mirent à cultiver bien des terres qui étaient restées incultes depuis les invasions des Alamans. Statue de Charlemagne à Zurich.
Fig. 32. — Statue de Charlemagne à Zurich.
(Elle orne une des tours de la cathédrale.)

Charlemagne chercha à répandre l’instruction. Il voulait qu’il y eût une école à côté de chaque cathédrale et de chaque couvent. Il visitait les écoles et s’adressait aux élèves pour les encourager au travail. On raconte qu’un jour il se rendit à l’école de son palais et se fit présenter les devoirs des élèves. Les ayant lus, il vit que les travaux des enfants pauvres étaient très soignés, tandis que ceux des fils de nobles étaient mal faits. Il fit alors placer à sa droite les élèves appliqués et leur dit : « Merci, mes amis. Vous avez suivi mes conseils et vous en serez récompensés. Vous deviendrez évêques et vous serez comblés d’honneurs. » Puis se tournant vers les paresseux, il les regarda d’un air irrité et leur dit d’une voix menaçante : « Quant à vous, jeunes orgueilleux, vous avez délaissé l’étude pour le jeu. Je fais peu de cas de votre noblesse et de vos beaux habits. Si vous ne rachetez pas votre paresse par un travail persévérant, vous n’obtiendrez jamais rien du roi Charles. »

On peut reprocher à Charlemagne ses longues guerres ; ce fut une charge écrasante pour le peuple, qui était astreint à servir dans les armées. Ces luttes étaient sanglantes. Les vaincus étaient cruellement traités. Dans une guerre contre les Saxons, 4 500 prisonniers furent massacrés.

Malgré le christianisme, les mœurs étaient grossières. La vie d’un homme comptait pour peu de chose. Il y avait peu de moralité chez les nobles et dans le peuple. Charlemagne, lui-même, ne donna pas toujours le bon exemple.

Le grand empereur mourut en 814 à Aix-la-Chapelle. C’est de cette ville qu’il avait fait sa capitale. On y conserve son trône de marbre et son tombeau.


CHAPITRE IV

LA SUISSE
DU IXme AU XIIIme SIÈCLE

1. Division de l’empire de Charlemagne. — L’empire de Charlemagne ne dura pas. Ses successeurs furent trop faibles pour gouverner un aussi vaste État. L’empire était formé de trois peuples principaux, que nous appelons aujourd’hui les Allemands, les Français et les Italiens. Ces trois peuples se séparèrent. Mais les frontières des États changèrent souvent. L’autorité des rois était très faible. Chaque seigneur voulait être le maître sur son territoire. Par suite, les guerres étaient fréquentes. Les troupes armées dévastaient les campagnes et les paysans souffraient souvent de la famine. La mort de Charlemagne fut suivie, pour le peuple, d’une longue période de misère.

Dans la Suisse actuelle, les seigneurs puissants cherchaient à se rendre indépendants. Les montagnes du pays leur permettaient plus facilement qu’ailleurs de résister aux souverains des grands États. C’est ainsi qu’un nouveau royaume de Bourgogne fut fondé dans la Suisse occidentale. Le nord-est de la Suisse et la Rhétie firent partie du duché d’Alamanie, qui comprenait aussi une partie de l’Allemagne du sud. (Voir la carte en couleur no 2.)

2. Le second royaume de Bourgogne. — Un seigneur puissant dominait dans la Suisse occidentale ; c’était le comte Rodolphe. En 888, il se fit couronner roi de Bourgogne, sous le nom de Rodolphe Ier, dans l’abbaye de Saint-Maurice, en Valais. Ce royaume est appelé royaume de Bourgogne transjurane[11] ou second royaume de Bourgogne.

Monnaie de la Bourgogne transjurane.

Fig. 33. — Monnaie de la Bourgogne transjurane.

Sous Rodolphe II, successeur de Rodolphe Ier, le royaume atteignit sa plus grande puissance. Il s’étendait jusqu’à Bâle et à l’Argovie, jusqu’à la Saône et à la France méridionale. Rodolphe II épousa Berthe, fille du duc d’Alamanie. À sa mort, son fils Conrad était trop jeune pour régner. La reine Berthe prit le pouvoir. Elle fut généreuse et bienfaisante. La tradition la représente voyageant à travers son royaume, de Lausanne à Payerne et à Neuchâtel, filant sa quenouille tout en chevauchant, rendant la justice et faisant du bien. Le souvenir de la bonne reine Berthe s’est conservé dans le pays.

Conrad, devenu roi, eut à combattre les bandes armées des Hongrois et des Arabes ou Sarrasins. C’étaient de nouveaux barbares pillards dont la Suisse souffrit horriblement. Rodolphe III, successeur de Conrad, fit don de ses États à l’empereur d’Allemagne. Après la mort de Rodolphe III, qui eut lieu en 1032, l’empereur Conrad II, surnommé le Salique, vint prendre possession du royaume. Il

La reine Berthe apprenant aux jeunes filles à filer.

Fig. 34. — La reine Berthe apprenant aux jeunes filles à filer.
(D’après un tableau de A. Anker.)


fut couronné roi de Bourgogne à Payerne et fit, quelque temps après, son entrée solennelle à Genève. La Bourgogne fut réunie à l’empire d’Allemagne.

3. Les Zæhringen. — Le royaume de Bourgogne ayant perdu son indépendance, toute la Suisse fit partie de l’empire. Durant le XIIme siècle, ce furent les ducs de Zæhringen qui gouvernèrent la plus grande partie du pays, au nom de l’empereur d’Allemagne. Leurs États s’étendaient du Léman au lac de Constance. Les nobles de la Suisse occidentale acceptèrent difficilement leur autorité ; ils se soulevèrent, mais ils furent battus.

Les ducs de Zæhringen cherchèrent à diminuer la puissance des nobles. Ils entourèrent plusieurs villes de remparts, pour leur permettre de résister aux troupes armées des seigneurs qui tenaient la campagne. En 1178, le duc Berthold IV fonda la ville de Fribourg sur la Sarine. Quelques années plus tard, en 1191, son fils et successeur, Berthold V, fonda la ville de Berne, sur l’Aar. Les deux princes cherchèrent à attirer les habitants dans ces villes en leur accordant de grandes libertés. Ils y réussirent et les cités nouvelles se peuplèrent rapidement.

Statue de Berthold V de Zæhringen, à Berne.

Fig. 35. — Statue de Berthold V de Zæhringen, à Berne.

Berthold V fut le plus puissant des ducs de Zæhringen. Il mourut en 1218, sans laisser de fils.

4. La maison de Savoie. — La mort de Berthold V fut un événement important pour la Suisse. La maison de Zæhringen s’éteignit avec lui et les territoires qu’il avait réunis sous sa domination se séparèrent. La Suisse fut alors divisée en beaucoup de petits États, faisant tous partie de l’empire, mais gouvernés séparément. Parmi les comtes qui y possédaient des territoires, les principaux étaient ceux de Kibourg, de Habsbourg, de Neuchâtel, de Gruyère et de Savoie. Certaines villes, avec les domaines qui en dépendaient, étaient gouvernées par des évêques ; c’était le cas de Coire, Bâle, Lausanne, Genève et Sion. D’autres territoires appartenaient aux abbayes de Saint-Gall et de Saint-Maurice. Enfin quelques villes, telles que Zurich, Soleure, Berne, s’administraient elles-mêmes et ne relevaient que de l’empereur d’Allemagne.

La maison de Savoie profita de l’état de division du pays pour accroître sa puissance du côté de la Suisse occidentale. Le plus célèbre des princes de cette famille fut à cette époque le comte Pierre. C’était un homme habile, énergique et un soldat intrépide. Par des achats, des traités et

alt=La partie la plus ancienne du Château de Neuchâtel.
alt=La partie la plus ancienne du Château de Neuchâtel.

Fig. 36. — La partie la plus ancienne du Château de Neuchâtel.
Château de Chillon.

Fig. 37. — Château de Chillon.


des conquêtes, il réussit à étendre peu à peu sa domination sur le Pays de Vaud, le Bas-Valais et une partie du canton de Fribourg actuel. Le comte de Gruyère et plusieurs seigneurs de l’Oberland durent lui prêter hommage. Même Berne, Morat, le Hasli lui demandèrent sa protection. Étant entré en lutte avec Rodolphe de Habsbourg, il resta victorieux.

Pierre de Savoie ne fut pas seulement un conquérant ; il sut aussi administrer sagement ses États et leur donner de bonnes lois. Il aimait à résider au château de Chillon, qu’il avait fortifié et agrandi. Il mourut en 1268. On l’a surnommé le Petit Charlemagne.

5. La maison de Habsbourg. — La famille de Habsbourg est originaire de l’Argovie. On y voit encore les restes du modeste château qui fut son berceau. Elle prit une grande importance sous le comte Rodolphe, qui fut l’un des personnages les plus illustres de son temps. C’était un homme simple de manières, généreux, bon pour les petits et, en même temps, très habile et très ambitieux. Il chercha par tous les moyens à augmenter ses domaines et arriva rapidement à être le seigneur le plus puissant du nord de la Suisse. En 1273, il fut nommé empereur d’Allemagne.

L’empire était alors dans une situation difficile.

Château de Habsbourg, en Argovie.

Fig. 38. — Château de Habsbourg, en Argovie.


Le souverain n’avait aucun pouvoir. Les nobles ne reconnaissaient pas son autorité. Les guerres entre seigneurs étaient fréquentes. Le brigandage régnait partout.

Rodolphe de Habsbourg sut ramener l’ordre dans l’empire. Grâce à lui, le paysan et le marchand purent travailler en sécurité. Mais il se servit de sa puissance pour accroître encore ses biens. À la suite d’une victoire sur un seigneur révolté, il s’empara du duché d’Autriche dont il fit une possession héréditaire de sa famille. Depuis lors sa maison fut désignée sous les deux noms de maison de Habsbourg et maison d’Autriche.

En Suisse, Rodolphe fit la guerre à la ville de Berne. Il parvint à ajouter à ses domaines Fribourg et Lucerne. Lorsqu’il mourut, en 1291, sa famille dominait sur une grande partie des cantons actuels d’Argovie, Zurich, Thurgovie, Glaris, Zoug, Schwytz, Lucerne, Unterwald et Berne. La maison de Habsbourg-Autriche devenait un grand danger pour les villes et les territoires restés en dehors de ses possessions.


9me LECTURE

La reine Berthe. — Il est peu de souveraines dont le nom soit plus connu que celui de la reine Berthe. Elle était la fille de Bourcard Ier, duc d’Alamanie. Les États de ce prince touchaient à ceux de Rodolphe II, roi de la Bourgogne transjurane. Les frontières n’étant pas nettement tracées, les deux voisins entrèrent en guerre à propos de territoires dont ils s’attribuaient l’un et l’autre la possession. La lutte ne fut pas de longue durée. Bourcard remporta une victoire sur Rodolphe, près de Winterthur, en 919 ou 920 ; les deux adversaires firent ensuite la paix. Le mariage de Berthe avec Rodolphe prouva que la réconciliation était sincère.

La reine Berthe eut l’occasion de gouverner le royaume en l’absence de son époux, car ce dernier, prince ambitieux et guerrier, fit une grande expédition en Italie et combattit les Hongrois en Allemagne, aux côtés de l’empereur Henri Ier. Sous Rodolphe II, la Bourgogne étendit ses frontières jusqu’à Bâle, à l’Argovie et à la France méridionale ; mais le centre du royaume resta la Suisse romande actuelle. Rodolphe II résidait tantôt à Saint-Maurice, tantôt à Lausanne ou à Soleure. Il mourut en 937 et fut enseveli à Saint-Maurice.

Conrad, son fils aîné, n’avait alors que treize ans. Il fut néanmoins proclamé roi et couronné à Lausanne. Othon le Grand, roi de Germanie et plus tard empereur, le prit à sa cour. Ce fut Berthe qui administra la Bourgogne pendant l’absence de son fils. Elle épousa Hugues, roi d’Italie. Ce mariage avec un prince fort peu estimable fut conclu malgré elle ; il ne paraît pas avoir été heureux et d’ailleurs dura peu. Devenue veuve une seconde fois,

Sceau de la reine Berthe.

Fig. 39. — Sceau de la reine Berthe.
Berthe put se consacrer entièrement au gouvernement de la Bourgogne.

Le pays avait grand besoin d’une autorité protectrice et bienfaisante. Le désordre régnait partout. Les nobles, abrités dans leurs châteaux forts, opprimaient le pauvre peuple. Les lois n’étaient plus observées. Il n’y avait point de routes, mais seulement des sentiers où les voyageurs ne se risquaient qu’avec précaution. Les marchands, pour ne pas être dépouillés, se cachaient sous l’habit de pèlerin et s’avançaient de monastère en monastère. Des bandes pillardes de Hongrois et de Sarrasins venaient ravager les campagnes et les cultivateurs n’étaient jamais assurés de pouvoir faire leurs récoltes. La détresse était si grande que les peuples découragés croyaient voir approcher la fin du monde.

En ces temps malheureux, la reine Berthe apparaît comme un modèle de piété, de douceur et de bonté. Un sceau de Payerne l’appelle humilis regina, humble reine. On n’a sur elle que peu de renseignements positifs. La légende a sans doute

Église abbatiale de Payerne.

Fig. 40. — Église abbatiale de Payerne.


embelli son portrait ; elle l’a confondue avec d’autres reines, même avec une déesse des peuples du nord et lui a attribué des choses qu’elle n’a pas faites. Mais nous en savons assez pour pouvoir la considérer comme la bienfaitrice de nos contrées. Elle filait comme les autres dames de son temps ; elle parcourait les campagnes, rendant la justice et répandant le bien autour d’elle. Elle encouragea l’agriculture et chercha à améliorer la condition des serfs. Pour protéger les habitants contre les Hongrois et les Sarrasins, elle fit construire des forteresses, des tours de refuge et élever des murailles autour des bourgs.

Berthe fut surtout bonne envers l’Église. Elle fit, en 962, de larges donations à l’abbaye de Payerne, par un acte qui a été conservé et que l’on appelle le « Testament de la reine Berthe. » C’est à Payerne qu’elle fut ensevelie. La tradition indiquait que ses restes devaient se trouver dans le temple de l’abbaye. Des fouilles faites en 1817 amenèrent la découverte d’un tombeau ; ne doutant pas que ce ne fût celui de la pieuse princesse, le gouvernement vaudois l’a fait transporter dans l’église paroissiale de la ville et recouvrir d’un marbre noir avec inscription. Le souvenir de la reine s’est maintenu, grossi de naïves légendes, chez les habitants de la Bourgogne transjurane. Berthe resta pour eux la « bonne reine, » la « royale filandière, » et plus tard la tradition s’établit de rappeler comme un âge heureux, trop tôt disparu, « le temps où la reine Berthe filait. »


10me LECTURE

Pierre de Savoie, le Petit Charlemagne. — Ce n’est pas sans raison que l’on a donné à Pierre de Savoie le glorieux surnom de Petit Charlemagne. Ce prince le mérita autant par son habileté et par ses conquêtes que par son sage gouvernement et les bonnes lois qu’il donna à ses États.

Né en 1203, il était le sixième fils de Thomas, comte de Savoie, qui, dans une guerre contre Berthold V de Zæhringen, s’était emparé de Chillon, de Moudon et de Romont. Sur le désir de son père, Pierre entra dans l’Église, bien qu’il n’eût pas de goût pour la vie ecclésiastique. À la mort du comte Thomas, en 1233, il s’empressa de renoncer à son titre de chanoine. Il ne possédait alors que quelques domaines de peu d’importance, mais, grâce à son génie, il sut en quelques années devenir un prince puissant en Europe. C’était un homme de

Pierre de Savoie.

Fig. 41. — Pierre de Savoie.


haute taille, à l’air noble et digne, plein d’esprit et aimable envers chacun. Il savait à la fois imposer le respect et gagner les cœurs. Sage, prudent et discret, il témoignait, lorsqu’il le fallait, d’une rare énergie et d’une volonté de fer.

Son mariage avec Agnès, la fille du puissant baron de Faucigny, en Savoie, fit de lui un des principaux seigneurs de la contrée. Puis, en 1237, à la mort de l’un de ses frères, il hérita du Chablais, qui s’étendait alors jusqu’à la Veveyse et au Grand Saint-Bernard. Il fortifia Martigny, Évian et le château de Chillon, dont il fit une forteresse redoutable. Sa nièce, Éléonore de Provence, avait épousé Henri III, roi d’Angleterre. Pierre, qui avait assisté au mariage, se fit remarquer à la cour d’Angleterre. Il acquit une grande influence auprès du roi, qui le combla d’honneurs et lui fit don de plusieurs terres. Les revenus qu’il retira de cette situation l’aidèrent à satisfaire son ambition et à accroître ses domaines dans la Suisse romande.

Par la possession du Chablais, Pierre de Savoie était arrivé aux portes du Pays de Vaud. Cette contrée était alors divisée entre un grand nombre de seigneurs rivaux qui s’épuisaient en luttes stériles. Pierre chercha à la soumettre à son autorité. La conquête ne se fit pas rapidement, par une invasion armée. Ce ne fut point l’affaire d’un an, mais d’une vingtaine d’années. Les seigneurs se soumirent successivement, les uns par amitié, d’autres pour obtenir la protection d’un prince puissant, d’autres encore à prix d’argent. D’ailleurs, lorsque c’était nécessaire, Pierre savait employer la menace. Comme on n’ignorait pas qu’il disposait de bonnes troupes et de forteresses bien armées, on n’essayait pas de lui résister. C’est ainsi que graduellement le Pays de Vaud accepta la domination de Pierre de Savoie. Même Berne se plaça sous sa protection. Mais quelques années plus tard, les Bernois lui ayant rendu de grands services dans un combat, il fit abandon de ses droits et la ville recouvra son entière liberté.

En 1263, à la mort de Boniface, chef de la branche aînée de Savoie, Pierre hérita de tous ses États et du titre de comte de Savoie. Il était alors au faîte de sa puissance. Ses États s’étendaient du Pays de Vaud jusqu’à Turin. Toutefois, un instant son œuvre parut compromise. Rodolphe de Habsbourg, qui voulait s’emparer de territoires appartenant à la sœur du comte Pierre, déclara la guerre à celui-ci et envahit le Pays de Vaud. Les historiens du temps racontent qu’une bataille eut lieu à Chillon et que Pierre remporta la victoire. On ne peut dire si ce fait est exact ; mais il est certain que les troupes de Rodolphe de Habsbourg durent reculer et quitter la terre romande. Les deux adversaires signèrent la paix au château de Lœwenberg, près de Morat.

Pierre de Savoie ne se borna pas à accroître l’étendue de ses domaines ; il sut se faire aimer de ses sujets par son esprit de justice et par la fermeté de son administration. Il divisa ses États en provinces. À la tête de chacune d’elles, il y avait un bailli et un juge. Le bailli du Pays de Vaud résidait à Moudon. L’ordre régnait dans les États du comte Pierre. Sa police empêchait les chevaliers brigands de piller les voyageurs et les marchands. Les routes étaient surveillées. De nombreuses forteresses gardaient les lieux de passage. Elles étaient toujours bien armées et renfermaient une réserve de grains et de vivres.

Le peuple bénéficia de ce sage gouvernement. Il vécut plus tranquille et plus heureux que sous l’autorité des petits seigneurs. Les villes obtinrent d’importants avantages, en particulier le droit de rendre la justice ; c’est ce que prouve l’acte appelé la Charte de Moudon, octroyé aux bourgeois de cette ville par le comte Pierre. Les lois qu’il donna à son peuple tendent à protéger les petits, les pauvres, les veuves, les orphelins. Elles instituent des avocats gratuits chargés de défendre les indigents ; elles simplifient les procès et ne font aucune mention de la torture.

On s’explique donc la popularité dont jouit Pierre de Savoie et la place qu’il occupe dans l’histoire. Fatigué, usé par une activité incessante, le vaillant prince, qui avait dû en 1268 faire un voyage en Italie, mourut dans le trajet de retour. Il avait passé les derniers temps de sa vie dans sa chère forteresse de Chillon, où il était venu chercher le repos. C’est là que dans une charmante poésie, Juste Olivier nous le montre écoutant les chansons de son troubadour[12] préféré :

Le vaillant comte Pierre
Avait un troubadour,
Et quand la batelière
Passe au pied de sa tour,
Peut-être elle répète
De l’antique poète
Un antique rondeau,
Sur l’eau,
Sur le bord de l’eau,
Un antique rondeau,
Sur l’eau.


11me LECTURE

Rodolphe de Habsbourg. — La famille de Habsbourg, à laquelle était réservée une si brillante destinée, resta longtemps assez obscure. Elle habitait un modeste château de l’Argovie, transformé aujourd’hui en une simple ferme. Grâce à des héritages, elle s’enrichit et accrut ses possessions, non seulement dans la région avoisinant sa demeure, mais jusque dans les contrées qui forment actuellement les cantons de Lucerne, de Schwytz et d’Unterwald.

Le comte Rodolphe, qui devait si grandement illustrer le nom de Habsbourg, naquit en 1218. On a peu de détails sur sa jeunesse. Il combattit en Italie où il se montra très courageux. Son ambition était grande et, pour la satisfaire, il usa de ruse et même de perfidie à l’égard de divers membres de sa famille. On le représente cependant comme un homme aimable, qui possédait le don de plaire et qui sut rester simple de manières, même au milieu des honneurs. Il avait six pieds et demi de haut, dit un de ses biographes, l’aspect vigoureux, le front large, le teint pâle, les cheveux blonds, les yeux bleus et animés. Sa figure, ordinairement Rodolphe de Habsbourg, empereur.
Fig. 42. — Rodolphe de Habsbourg, empereur.
(D’après une fresque de la Salle impériale, à Francfort-sur-le-Main.)
pensive et sérieuse, s’adoucissait dès qu’il parlait. Gai de caractère, il aimait à plaisanter et gardait sa bonne humeur même dans les circonstances difficiles. On cite de lui ce trait qu’un jour, étant dans une brasserie et trouvant la bière de son goût, il s’avança sur le seuil et invita les passants à venir se rafraîchir à ses frais. C’est ainsi qu’il savait se rendre populaire

La période qui s’écoula de 1250 à 1273 fut très malheureuse pour l’empire d’Allemagne. On l’a appelée le grand interrègne, parce qu’il n’y eut pas alors, en réalité, de gouvernement impérial et que, même, le trône resta complètement inoccupé pendant plusieurs années. Les seigneurs n’eurent plus de maître ; chacun d’eux chercha à étendre ses domaines par tous les moyens et le plus souvent par la force. Plus de loi, plus de sécurité pour le faible. Les campagnes furent dévastées par les guerres. Des troupes de chevaliers pillards pratiquaient en grand le brigandage.

Les États de Rodolphe s’accrurent alors beaucoup, particulièrement dans l’Argovie, la Thurgovie, les pays de Zurich, de Lucerne et de Zoug. Pour les augmenter encore, ce prince déclara même la guerre à Pierre de Savoie ; de ce côté toutefois, il éprouva un échec. Il fut plus aimable avec la ville de Zurich, qu’il aida puissamment dans sa lutte contre les seigneurs du voisinage. Mais il fit la guerre à l’évêque de Bâle au sujet de la possession de territoires situés en Alsace ; la lutte fut violente et sanglante. À la fin, en 1273, il arriva avec une forte armée pour faire le siège de la ville. Les Bâlois, après s’être vaillamment défendus, étaient sur le point de se rendre, lorsque la nouvelle se répandit que Rodolphe venait d’être élu empereur. La ville s’empressa de lui ouvrir ses portes et de lui prêter hommage.

Le nouvel empereur chercha, par une bonne administration, à mettre fin aux maux causés par le grand interrègne. Il réprima le brigandage et fit exécuter un grand nombre de chevaliers pillards. Pour fortifier son pouvoir, il s’appuya sur l’Église. Il se rencontra avec le pape Grégoire X, à Lausanne, à l’occasion de l’inauguration de l’admirable cathédrale de cette ville. C’était le 19 octobre 1275. Le pape était accompagné de sept cardinaux, de dix-sept évêques et d’un grand nombre d’abbés et de religieux. L’empereur avait avec lui sa famille, sept princes régnants, quinze comtes et une foule de barons et de nobles. La cérémonie et les fêtes furent des plus brillantes.

Un prince puissant, Ottokar, roi de Bohême, ayant refusé de prêter hommage à l’empereur, celui-ci lui déclara la guerre et le battit complètement. Rodolphe profita de sa victoire pour s’emparer du duché d’Autriche et de territoires voisins qu’il donna à ses fils, et dont il fit une possession héréditaire de sa famille. Dès lors sa maison est désignée sous les deux noms de maison de Habsbourg et maison d’Autriche. Elle devint l’une des plus puissantes de l’Europe et ce sont ses descendants qui occupent encore aujourd’hui le trône d’Autriche-Hongrie.

L’empereur Rodolphe s’occupa activement aussi des affaires de notre pays. Les comtes de Neuchâtel, qui l’avaient combattu, encoururent sa disgrâce ; ils durent reconnaître comme suzeraine la maison de Chalon. Rodolphe déclara la guerre à la ville de Berne, qui dut faire sa soumission mais garda son rang de ville impériale. Il acquit à prix d’argent Fribourg et Lucerne, s’empara de la vallée d’Urseren et plaça le pays de Glaris sous son autorité. À sa mort, en 1291, une grande partie de la Suisse actuelle lui appartenait. Son projet de constituer entre le Rhin, les Alpes et le Jura une principauté dépendant des Habsbourg était presque réalisé. Mais, comme nous le verrons, son œuvre ne devait pas durer.


CHAPITRE V

INSTITUTIONS MŒURS
ET COUTUMES AU MOYEN ÂGE
[13]

1. La féodalité. — Dès le temps de Charlemagne, les guerriers avaient la coutume de jurer à leur chef de lui rester toujours fidèle et de combattre pour lui. Le chef appelait le guerrier mon homme ou mon vassal (c’est-à-dire serviteur) ; le vassal appelait son chef mon seigneur. Le vassal devait suivre son seigneur à la guerre. Le seigneur le récompensait de ses services en l’entretenant, en lui fournissant des armes et un cheval, et en lui donnant un domaine.

Ce domaine donné en salaire était appelé un fief[14]. Le seigneur qui accordait le fief se nommait le suzerain ou le seigneur suzerain. Les seigneurs de petite noblesse prêtaient serment à des seigneurs plus puissants, tels que les barons, les comtes, les ducs. À leur tour, les comtes et les ducs prêtaient serment au roi. Ainsi, chacun était à la fois vassal et suzerain. Le serment de fidélité prêté par le vassal s’appelait l’hommage, parce qu’il faisait du vassal l’homme de son seigneur.

Un hommage au moyen âge.

Fig. 43. — Un hommage au moyen âge.
Armement d’un chevalier.

Fig. 44. — Armement d’un chevalier.

Parmi les nobles, les chevaliers formaient une classe spéciale. Pour devenir chevalier, le jeune noble devait avoir appris le métier de la guerre et servi comme page et comme écuyer auprès d’un seigneur. Vers la vingtième année, il était reçu en grande cérémonie dans le corps de la chevalerie. La principale occupation des chevaliers était le métier des armes. En temps de paix, ils se livraient à des jeux guerriers, à des tournois, combats simulés parfois très meurtriers.

Au-dessous des nobles, se trouvait la population travailleuse, formée des hommes libres et des serfs.

On donne à cette organisation compliquée le nom de régime féodal ou de féodalité.[15]

2. L’Église. — La ferveur religieuse était grande au moyen âge. L’Église catholique jouissait d’une influence considérable. Les rois et les princes, comme le peuple, lui obéissaient. Celui qui lui résistait ouvertement et luttait contre elle était excommunié ; il devenait un être maudit dont chacun, même sa femme et ses enfants, s’éloignait. Privé de tout appui, il était obligé de se soumettre.

L’Église s’était enrichie par les redevances que lui payaient les fidèles et par les dons considérables qu’elle recevait. Les évêques et les abbés, ou supérieurs des abbayes, étaient de véritables seigneurs ayant de vastes domaines, des vassaux et de nombreux serfs. On compte qu’il y avait en Suisse, au XIIIme siècle, environ 300 couvents.

Le moyen âge est l’époque de la construction de la plupart des grandes cathédrales, non seulement en Suisse, mais dans toute l’Europe occidentale. Une foi religieuse intense portait les populations à donner largement pour élever ces édifices magnifiques.

C’est aussi cette foi qui les poussa à entreprendre les grandes expéditions appelées croisades[16]

Tournoi.

Fig. 45. — Tournoi.
Elles eurent pour but de délivrer Jérusalem et la Palestine de la domination des Turcs. Les guerriers chrétiens de tous les pays partirent en foule et, parmi eux, un grand nombre de seigneurs et

Chevalier en costume de croisé.
Fig. 46. — Chevalier en costume de croisé.
(D’après une ancienne gravure.)
de paysans de la Suisse actuelle. Ces expéditions furent tout d’abord victorieuses. Les chrétiens s’emparèrent de Jérusalem en 1099. Mais plus tard, ils éprouvèrent des défaites. Toute la Palestine retomba définitivement aux mains des Turcs.

3. La population des campagnes. — Au moyen âge la population campagnarde se divisait en hommes libres et en serfs.

Les hommes libres sont libres de leur personne et possèdent en toute propriété le sol qu’ils cultivent. L’exemple le meilleur que l’on puisse fournir est celui des montagnards de Schwytz, qui ne reconnaissaient d’autre seigneur que l’empereur ou son représentant.

La condition des serfs est beaucoup moins bonne. Ils sont attachés à la glèbe[17], c’est-à-dire au domaine du seigneur. Le serf a une famille, une maison, un champ, mais il n’est que fermier et ne peut pas quitter le domaine. Il doit payer au seigneur des redevances, en particulier la taille ou impôt en argent ; il doit aussi cultiver la terre du seigneur.

Entre l’homme libre et le serf, il y a des situations intermédiaires ; il y a des hommes appelés libres qui ne le sont qu’en partie et des serfs qui ne sont pas complètement assujettis. D’ailleurs les serfs des évêques et des couvents, de même que les serfs des seigneurs qui servent directement leurs maîtres comme domestiques, sont mieux traités que les autres. Le sort des serfs s’améliora peu à peu et beaucoup d’entre eux parvinrent à s’affranchir en rachetant les droits que les seigneurs avaient sur eux.

En Suisse, la nature montagneuse du sol rendait la résistance aux seigneurs plus facile que dans les pays voisins. Jamais la noblesse n’y est parvenue à se rendre aussi complètement maîtresse du pays. Il y subsista, surtout dans la Suisse centrale, un plus grand nombre d’hommes libres qu’ailleurs et le peuple parvint plus rapidement à s’émanciper de l’autorité des seigneurs. Certaines terres, formées de pâturages et de forêts, restèrent la propriété commune des paysans

Paysans apportant leurs redevances au seigneur.

Fig. 47. — Paysans apportant leurs redevances au seigneur.
(D’après un dessin de Bachmann.)
habitant des fermes ou des hameaux voisins ; c’est là l’origine des biens communaux[18].

Dans plusieurs vallées, par exemple dans celle d’Uri, les habitants prirent la coutume de se réunir une fois par année, en assemblée générale, pour discuter leurs intérêts communs. Ces assemblées, appelées Landsgemeinde, se sont conservées jusqu’à nos jours dans les cantons d’Uri, d’Unterwald, de Glaris et d’Appenzell. Le chef (ou ammann) de l’une des communes de la vallée présidait la Landsgemeinde et recevait de ce fait, le titre de Landammann.

4. Les villes et la bourgeoisie. — Les anciennes villes romaines avaient été en grande partie détruites lors des invasions germaniques. C’est au moyen âge que se sont fondées la plupart des villes actuelles de la Suisse. Elles durent leur existence ou leur accroissement à la protection d’un évêque, d’un abbé ou d’un seigneur. Leurs débuts furent modestes. Longtemps elles ne se distinguèrent des villages que parce qu’elles étaient entourées d’une muraille fortifiée et qu’il s’y tenait des marchés et des foires. C’est du bourg[19] ou château fort qui défendait la cité, qu’est venu le mot de bourgeois, par lequel on désignait les habitants des villes.

Les villes s’enrichirent par le commerce ; diverses industries prirent naissance, en particulier celles des toiles, des étoffes de laine et de soie, ainsi que celle des cuirs.

Peu à peu les bourgeois, tantôt en se révoltant, tantôt en payant de fortes sommes, cherchèrent à obtenir de leur seigneur qu’il leur concédât certains droits. Ces droits étaient mentionnés dans un écrit qu’on appelait une charte de libertés et de franchises.

Dans la plupart des villes, les citoyens arrivèrent à se constituer, sous l’autorité du seigneur, en une communauté ou commune, qui avait à sa tête ses magistrats et son conseil. Ce fut en particulier le cas de Genève, Lausanne, Neuchâtel. À Bâle, le premier magistrat portait le titre de bourgmestre ; à Berne, Fribourg, Soleure, celui d’avoyer. À Genève, les magistrats élus par les bourgeois se nommaient les syndics. Dans le Pays de Vaud, les députés des villes se réunissaient avec la noblesse, à Moudon, en une assemblée appelée les États de Vaud.

5. La justice. — L’un des principaux droits du seigneur sur ses sujets était de rendre la justice. En signe de son droit, il fait dresser sur sa terre un gibet. Il frappe d’amendes plus ou moins fortes ceux qui commettent des contraventions ; le produit de ces amendes appartient au seigneur. Il peut condamner à mort les criminels et les voleurs, et confisquer leurs biens. Avec le temps, dans les villes, les habitants parvinrent à enlever aux seigneurs le droit de rendre la justice et le confièrent à des notables pris parmi les bourgeois.

Dans les procès difficiles, lorsqu’on avait de la peine à découvrir le coupable, on faisait battre en duel les deux adversaires. Le vainqueur gagnait le procès. On employait aussi un autre moyen, appelé le jugement de Dieu. On faisait subir une épreuve à l’accusé, dans la pensée que Dieu, par un miracle, devait indiquer s’il était coupable ou non. Comme épreuves, on faisait porter à l’accusé un fer rouge pendant quelques pas ou tremper la main dans une chaudière d’eau bouillante ; si quelques jours après, sa main était sans blessure, il était considéré comme innocent. Dans d’autres cas, on le jetait attaché dans une mare ; s’il enfonçait, il avait gagné. Ces coutumes étaient bien cruelles. À la fin, l’Église ordonna de les supprimer.

6. La Trêve de Dieu. — Le moyen âge fut une époque de guerres. Au Xme siècle surtout, les luttes entre seigneurs étaient devenues si fréquentes et causaient de si grands ravages dans les campagnes que l’Église chercha à y porter remède. C’est grâce à elle que fut proclamée la Trêve de Dieu. En 1036, Hugues, évêque de Lausanne, convoqua une grande assemblée composée d’évêques et de nobles. Elle se réunit sur la colline de Mont-Riond, près d’Ouchy. Les seigneurs jurèrent de ne pas s’attaquer aux églises, aux moines désarmés, aux marchands inoffensifs, et de ne pas se battre durant la Trêve de Dieu. Cette trêve durait chaque semaine du mercredi soir au lundi matin suivant, et, en outre, pendant les grandes fêtes religieuses. Le peuple accueillit cette décision avec des transports de joie, aux cris de « Dieu le veut ! Paix ! Paix ! » La Trêve de Dieu fit beaucoup de bien, mais elle ne fut pas toujours observée.


12me LECTURE

L’abbaye de Saint-Gall. — L’abbaye de Saint-Gall doit son origine au modeste ermitage que le missionnaire irlandais Gall fonda au milieu des forêts vers l’an 614. Elle se développa grâce au travail des moines, aux dons qu’elle reçut des rois et des seigneurs, et devint au neuvième et au dixième siècle le monastère le plus célèbre de la Suisse. En 926, elle eut à souffrir de l’invasion des bandes sauvages des Hongrois, qui détruisaient tout sur leur passage. Mais les religieux, avertis de l’approche de ces barbares, purent heureusement trouver à temps un refuge.

Le nombre ordinaire des moines dépassait la centaine. Il y avait en outre de nombreux domestiques, des ouvriers, des pensionnaires, de sorte que l’ensemble des constructions nécessaires pour abriter cette population formait une petite ville. L’église et les bâtiments réservés aux moines en occupaient la partie centrale. Tout autour se trouvaient les cuisines, la boulangerie, les ateliers, les écoles, l’infirmerie, les écuries, le cimetière, etc. L’église était richement décorée. On y voyait des fenêtres claires en verre, chose rare pour l’époque, des lustres montés en or et en argent, des crucifix ornés

L’abbaye de Saint-Gall au XIme siècle.

Fig. 48. — L’abbaye de Saint-Gall au XIme siècle.
Spécimen de gravure ornant un manuscrit de l’abbaye de Saint-Gall.

Fig. 49. — Spécimen de gravure ornant un manuscrit de l’abbaye de Saint-Gall.
(Un moine offrant son ouvrage à saint Gall.)


de pierres précieuses et d’autres curiosités qui faisaient l’admiration des visiteurs.

Les moines devaient une obéissance absolue à leur supérieur, c’est-à-dire à l’abbé. Ils ne pouvaient rien recevoir en don ou en héritage ; tout devait être donné à l’abbaye. La nourriture était très simple ; elle se composait ordinairement de soupe et de légumes. La vie au couvent était fixée heure par heure. La règle ordonnait aux religieux de se réunir pour chanter la prière en commun, d’abord aux matines qui commençaient à deux heures du matin, puis six fois pendant le jour. Les moines savaient sculpter le bois, fondre les cloches, ciseler les métaux précieux. Ils copiaient des manuscrits et les ornaient d’images peintes dont les superbes couleurs se sont conservées intactes jusqu’à nos jours. La bibliothèque du couvent était regardée comme la plus riche de l’époque. Elle comptait 400 volumes, entièrement écrits à la main car l’imprimerie n’existait pas encore.

Le couvent de Saint-Gall fut surtout célèbre par ses écoles où étaient réunis jusqu’à trois cents élèves. Ses moines avaient dans toute l’Europe une grande réputation de savants et d’artistes. Ils enseignaient le latin, le grec, l’hébreu, l’allemand, la géométrie, l’arithmétique, la médecine, la musique. Les élèves étaient soumis à une discipline sévère et, pour des fautes légères, ils étaient punis de la verge. Aussi leur docilité était grande. On raconte qu’en 911, un roi allemand, Conrad Ier, qui visitait l’abbaye, fit répandre sur le sol de l’église, pendant une procession des Maître tenant à la main des verges.
Fig. 50. — Maître tenant à la main des verges.
(D’après un manuscrit du XIIIme siècle.)
élèves, une corbeille d’excellentes pommes ; mais aucun d’entre eux ne se laissa déranger et ne se baissa pour en ramasser. On dit aussi que le roi les fit venir vers lui et leur plaça à chacun une monnaie d’or dans la bouche. L’un d’eux la rejeta avec mépris. « Ah ! s’écria Conrad, celui-là fera un bon moine. » Charmé de sa visite, le roi accorda aux élèves trois jours de congé et fit des présents au couvent.

L’abbaye était très riche ; elle possédait de vastes domaines dans la Thurgovie, le pays de Zurich, l’Argovie et l’Alsace. Ses fermes, ses pâturages, ses forêts lui rapportaient des revenus qui ne firent qu’augmenter. Avec le temps, elle devint puissante, mais perdit de sa réputation comme centre d’études et de science.


13me LECTURE

Châteaux et églises au moyen âge. — Après les invasions germaniques en Helvétie, les solides constructions de pierre des Romains avaient fait place à des maisons beaucoup plus modestes et construites en bois. Même dans les villes, les maisons n’avaient qu’un étage. Les rues étaient mal

Château de Kibourg au XVIme siècle.

Fig. 51. — Château de Kibourg au XVIme siècle.


pavées, pleines de flaques ; en dehors du quartier commerçant, les vaches et les porcs se promenaient Chevalier revêtu de la cotte de mailles.
Fig. 52. — Chevalier revêtu de la cotte de mailles.
librement. Les maisons n’avaient rien d’élégant ; les chambres étaient basses et étroites et le jour n’y pénétrait que par de petites fenêtres aux carreaux de toile ou de papier huilé. Les lits étaient un luxe ; pour dormir, les bourgeois se contentaient d’une peau de mouton ou d’une paillasse placée directement sur le plancher. C’est à partir du treizième siècle que l’on se mit à construire en pierre les maisons d’habitation et que ces demeures devinrent plus spacieuses et plus commodes.

Au chevalier, les maisons ordinaires ne suffisent pas ; il vit pour la guerre et a d’autres besoins que le paysan et le bourgeois. Pour se défendre, il revêt une longue tunique de mailles de fer et couvre sa tête d’un casque d’acier ; il est armé d’une lance et d’une épée et pare les coups au moyen d’un bouclier. Sa demeure est fortifiée ; dans les premiers temps, c’est principalement une forte tour en bois, établie sur la hauteur et protégée par un fossé et un talus. Puis la construction prend plus d’importance. La pierre y remplace le bois. La tour principale, nommée le donjon, est réservée au seigneur ; c’est là qu’il habite avec sa famille, là qu’il met en lieu sûr son trésor, là aussi que se trouve la grande salle dite salle des chevaliers ou des gardes, où il reçoit ses vassaux et ses invités. D’autres bâtiments servent de logements aux serviteurs du seigneur et à ses soldats ou sont réservés pour les cuisines, les écuries, les greniers, etc. Ces constructions sont protégées par une épaisse muraille d’enceinte, garnie de tours et entourée de fossés profonds ou de précipices. L’ensemble forme une forteresse facile à défendre, à laquelle

Salle d’une maison du XIVme siècle (1306 environ), à Zurich

Fig. 53. — Salle d’une maison du XIVme siècle (1306 environ), à Zurich
(Cette salle a été reconstituée au Musée national. Le plafond est orné d’armoiries de seigneurs de la Suisse orientale.)
Château de Vufflens.

Fig. 54. — Château de Vufflens.
on donne le nom de castel ou château, et en pays allemand celui de burg.

Au douzième et au treizième siècle, il a été construit en Suisse un nombre considérable de châteaux. Le pays d’Unterwald, par exemple, en comptait 32 ; les Grisons, 149. Beaucoup ont complètement disparu ou n’ont laissé que des ruines pittoresques qui ornent le sommet des collines. D’autres ont subsisté jusqu’à nos jours et gardé leur fier aspect. L’admirable château de Chillon, si bien conservé, peut servir de type de la forteresse féodale. Aujourd’hui que la paix la plus complète règne en Suisse, nous avons de la peine à nous représenter le temps où de nombreux châteaux fortifiés dominaient nos campagnes et où les seigneurs couverts d’armures en sortaient pour guerroyer les uns contre les autres et piller les voyageurs et les marchands.

Plan de la cathédrale de Lausanne.

Fig. 55. — Plan de la cathédrale de Lausanne.

Les plus beaux monuments que nous a laissés le moyen âge sont les églises. Un grand nombre d’édifices religieux de notre pays datent de cette époque. Les premières églises furent des bâtiments simples et modestes, mais peu à peu elles prirent des dimensions plus vastes. On leur donna la forme d’une croix (fig. 55). La branche principale est formée par la nef, où se réunissent les fidèles ; l’autre branche, par le transept. De chaque côté de la nef se trouvent les galeries appelées les bas côtés. La tête de la croix est le chœur, où se tiennent les prêtres et où ont lieu les cérémonies.

Pour les voûtes, on employa d’abord le plein cintre, c’est-à-dire la forme en demi-cercle. Les portes, les fenêtres avaient aussi cette forme. On donne à ce mode de construction le nom d’architecture romane[20]. Dans la Suisse occidentale, on peut citer, parmi les plus anciens édifices romans, l’église de Romainmôtier, qui fut terminée vers la fin du XIme siècle, et l’église abbatiale de Payerne.

Voûte romane.

Fig. 56. — Voûte romane.

L’architecture romane a marqué un progrès, mais elle est lourde et massive. Avec le temps, on chercha à construire des monuments plus vastes et plus élevés. À partir du XIIme siècle, l’arcade ronde en plein cintre fut remplacée par l’arcade en pointe appelée ogive. Le portail, les fenêtres, les voûtes reçurent cette forme, qui est beaucoup plus élégante. En même temps, les murs furent percés de nombreuses fenêtres sculptées. Tout l’édifice, au dehors et au dedans, se couvrit de sculptures ; certaines parties, particulièrement ornées, devinrent comme une dentelle de pierre. Ce genre de construction est appelé architecture

Église de Romainmôtier.

Fig. 57. — Église de Romainmôtier.
Vue d’ensemble de la cathédrale de Lausanne.

Fig. 58. — Vue d’ensemble de la cathédrale de Lausanne.
La Collégiale, à Neuchâtel.

Fig. 59. — La Collégiale, à Neuchâtel.
La grande nef de la cathédrale de Saint-Pierre, à Genève ; au fond, le chœur.

Fig. 60. — La grande nef de la cathédrale de Saint-Pierre, à Genève ; au fond, le chœur.


gothique[21]. Les églises gothiques sont plus imposantes que les églises romanes et ont en même temps une apparence plus légère et plus gaie. Leurs voûtes hardies, qui s’élancent vers le ciel, sont si hautes qu’elles semblent se perdre dans l’espace.

Parmi les cathédrales gothiques de la Suisse, celle de Saint-Pierre, à Genève, a été construite au XIIme siècle. À Neuchâtel, l’église appelée Collégiale date aussi du XIIme siècle ; elle appartient au style roman par son chœur et au gothique par sa nef. La cathédrale de Lausanne, véritable merveille de l’art ogival, a été inaugurée en 1275. On ne sait pas exactement à quelle date a été édifiée la cathédrale de Saint-Nicolas, à Fribourg ; le premier document certain qui en parle est de 1314. La cathédrale de Berne, commencée en 1421, n’a été achevée qu’en 1573, mais la tour est de construction récente.


14me LECTURE

L’agriculture et le commerce. — Le paysan du moyen âge était complètement ignorant ; il ne savait ni lire, ni écrire. Les procédés pour travailler le sol se transmettaient de père en fils et les progrès de l’agriculture étaient très lents. D’ailleurs l’étendue des terres cultivées était moindre qu’aujourd’hui. Les couvents et les seigneurs avisés cherchaient à aider le paysan et à accroître la surface des terres productives. L’abbaye de Muri, en Argovie, faisait don à tout colon qui venait s’établir sur ses domaines d’une certaine étendue de terrain, d’une maison, d’une charrue, d’un char attelé de quatre bœufs, d’un porc, d’un coq, de deux poules et de semences. Les ducs de Zæhringen donnèrent des troupeaux de moutons aux habitants de la région de la basse Sarine et contribuèrent ainsi à créer les industries des laines et des cuirs.

On cultivait à peu près les mêmes plantes que de nos jours, à l’exception de la pomme de terre, du melon, du maïs, de la betterave et du colza, qui n’ont été connus que plus tard. Les bords des lacs du plateau étaient plantés de vignes. Les pâturages occupaient une grande étendue et l’on y élevait les mêmes animaux domestiques qu’aujourd’hui ; mais le bétail était de beaucoup moins

Fenêtres gothiques.

Fig. 61. — Fenêtres gothiques.
Instruments d’agriculture en usage au moyen âge.

Fig. 62. — Instruments d’agriculture en usage au moyen âge.
(D’après des gravures du temps.)


belle race. Comme le commerce n’était pas considérable et ne pouvait fournir des denrées agricoles en grande quantité, chaque contrée devait se suffire à elle-même. Dans les années de mauvaise récolte, la disette régnait. Les famines ont été fréquentes au moyen âge.

L’industrie se pratiquait dans les villes, mais elle n’avait pas l’importance qu’elle a prise de nos jours. Il n’y avait pas alors de grandes usines. Chaque patron travaillait dans sa maison, souvent seul ou avec deux ou trois ouvriers et autant d’apprentis. Les artisans exerçant le même métier formaient une société dont les règlements étaient sévères ; on donnait à ces corps de métier le nom de tribus ou d’abbayes. Celui qui voulait devenir maître, c’est-à-dire patron, devait être d’abord apprenti, puis compagnon ou ouvrier ; il devait en outre faire son tour de France ou d’Allemagne pour se perfectionner dans son métier, et enfin passer un examen. Peu à peu l’industrie se développa ; au treizième siècle, Zurich était déjà connu pour ses étoffes de laine et de soie, Saint-Gall pour ses toiles, Berne et Fribourg pour leurs draps.

Le commerce aussi devint plus actif. Pourtant la vie du marchand n’était pas toujours facile. Les routes n’étaient pas sûres en temps de guerre ; d’ailleurs, personne ne les entretenait. Les ponts étaient en petit nombre et souvent en mauvais état. En beaucoup d’endroits, il fallait passer les rivières en bac, ou à gué, et les noyades n’étaient pas rares. À la frontière de chaque seigneurie, les marchandises devaient payer des droits.

Ces difficultés n’arrêtaient pas les marchands ; mais les denrées étrangères étant rares, ils exigeaient des prix énormes et faisaient de gros bénéfices. De grandes foires, qui duraient plusieurs semaines, avaient lieu dans un certain nombre de localités. C’est là que les marchands se rendaient et que les habitants de chaque région venaient s’approvisionner. Ces foires étaient aussi l’occasion de fêtes et de divertissements ; la foule ne se contentait pas d’acheter, elle s’amusait à voir les saltimbanques, les montreurs de chiens savants et d’animaux féroces. Bâle, Zurich, Lucerne prirent de plus en plus d’importance comme villes de commerce. Genève avait des foires très fréquentées, où se rendaient des marchands de France, d’Allemagne et d’Italie ; c’était l’entrepôt des épices de l’orient et des fruits du midi. Le commerce de l’argent était entre les mains des banquiers juifs et italiens.

C’est grâce à l’industrie et au commerce que les villes s’enrichirent et qu’elles parvinrent à s’émanciper peu à peu. Beaucoup de bourgeois étaient plus riches que des seigneurs. On raconte que l’empereur Rodolphe de Habsbourg, dînant un jour chez un tanneur de Bâle, fut étonné de se voir splendidement servi dans de la vaisselle d’or et d’argent. « Comment se fait-il, lui dit Rodolphe, qu’étant si riche, vous continuiez à exercer votre métier ? » — « C’est que, répondit le tanneur, c’est le métier qui fait la richesse. »


RÉSUMÉ DE LA PREMIÈRE PARTIE — TEMPS PRIMITIFS

Chap. I. — Les premiers habitants de notre pays.

1. On a retrouvé des traces des premiers habitants de notre patrie. Ils vivaient dans des grottes ; de là le nom d’hommes des cavernes qu’on leur a donné. Comme outils et comme armes, ils se servaient de pierres taillées.

2. Ensuite, d’autres populations occupèrent le plateau suisse. On les nomme populations lacustres, parce qu’elles construisaient leurs habitations sur les lacs. Elles savaient élever les animaux domestiques et cultiver le blé, l’orge et le lin. Leurs instruments et leurs armes étaient en pierre polie ; ensuite elles employèrent le bronze, puis le fer.

Chap. II. — Les Helvètes.

1. Les Helvètes, partis de la région du Rhin, en Allemagne, se joignirent aux Cimbres et aux Teutons pour envahir la Gaule ; leur chef était Divico. Ils battirent les Romains près d’Agen (environ un siècle avant Jésus-Christ). — Quelque temps après, nous retrouvons les Helvètes sur le plateau suisse.

2. Un chef puissant, Orgétorix, proposa aux Helvètes d’aller s’établir en Gaule. Il avait formé le projet de devenir roi. Les Helvètes l’apprirent et citèrent Orgétorix devant l’assemblée de la nation. Celui-ci, se sentant perdu, se tua.

3. Néanmoins l’émigration des Helvètes eut lieu, sous le commandement de Divico. Mais Jules-César, général romain, s’opposa à leur marche vers la Gaule. Il les empêcha de passer le Rhône à Genève et les arrêta à Bibracte (58 ans avant Jésus-Christ). Les Helvètes durent rentrer dans leur pays, qui fut dès lors soumis aux Romains.

4. La domination romaine en Helvétie dura près de cinq cents ans. Ce fut en général une période de paix pour notre pays. Toutefois un peu plus d’un siècle après la bataille de Bibracte, il fut dévasté par le général romain Cécina qui battit les Helvètes au Bœtzberg et fit périr Julius Alpinus. Sous les Romains, l’Helvétie prospéra et se couvrit de villes et de villages ; sa capitale était Aventicum (Avenches).

5. Les dieux romains eurent en Helvétie leurs temples et leurs prêtres. Mais le christianisme y pénétra de bonne heure et s’y répandit malgré les persécutions dont les chrétiens furent l’objet.

Chap. III. — Peuples nouveaux : Alamans, Burgondes et Francs.

1. Les Germains, qui habitaient l’Allemagne actuelle, cherchaient à envahir l’empire romain. Ils en furent longtemps empêchés par les légions romaines. À la fin, ils les vainquirent et franchirent la frontière. Cette invasion est appelée la migration des peuples ou l’invasion des barbares.

2. En Helvétie, les premiers envahisseurs furent les Alamans. Au Vme siècle, ils se fixèrent dans la Suisse allemande actuelle.

3. Les Burgondes s’établirent dans la Suisse occidentale vers le milieu du Vme siècle. Leur royaume a été appelé le premier royaume de Bourgogne. Le plus célèbre de leurs rois fut Gondebaud.

4. Les Alamans et les Burgondes furent à leur tour soumis par les Francs. Un roi franc, Clovis, battit les Alamans en 496. Les Burgondes ne furent vaincus que plus tard, en 534.

5. Les Burgondes et les Francs pratiquaient le christianisme. Les Alamans, qui étaient restés païens, furent convertis au VIIme siècle, par des moines irlandais dont les plus connus sont Colomban et Gall.

6. Le plus puissant des rois francs fut Charlemagne. Grâce à ses conquêtes, ses États s’étendirent sur la plus grande partie de l’Europe occidentale. Le pape le couronna empereur en l’an 800.

Chap. IV. — La Suisse du IXme au XIIIme siècle.

1. Après Charlemagne, son empire se divisa. Les trois peuples qui le formaient, les Allemands, les Français et les Italiens, se séparèrent. La Suisse actuelle se rattacha principalement à deux États : la Suisse occidentale au second royaume de Bourgogne ; la Suisse du nord-est et la Rhétie au duché d’Alamanie.

2. Le royaume de Bourgogne transjurane ou second royaume de Bourgogne fut fondé par Rodolphe Ier, en 888. À ce prince succédèrent Rodolphe II, dont la veuve, la bonne reine Berthe, a laissé un souvenir durable, Conrad, et enfin Rodolphe III. Après ce dernier, en 1032, la Bourgogne transjurane passa à Conrad II le Salique, empereur d’Allemagne.

3. Toute la Suisse fit alors partie de l’empire d’Allemagne. Au XIIme siècle, les ducs de Zæhringen gouvernèrent la plus grande partie du pays. C’est à eux qu’est due la fondation de Fribourg et de Berne ; le duc Berthold IV fonda la ville de Fribourg en 1178, et Berthold V celle de Berne en 1191.

4. Au XIIIme siècle, la maison de Savoie chercha à accroître sa puissance du côté de la Suisse occidentale. Elle y réussit sous le comte Pierre, surnommé le Petit Charlemagne, qui parvint à étendre sa domination sur le Pays de Vaud, le Bas-Valais et une partie du canton actuel de Fribourg. Ce prince mourut en 1268.

5. Dans le nord de la Suisse, le seigneur le plus puissant était Rodolphe de Habsbourg, qui devint empereur d’Allemagne en 1273. Il réussit à faire du duché d’Autriche, une possession héréditaire de sa maison, qui fut dès lors désignée sous les deux noms de maison de Habsbourg et maison d’Autriche. À la mort de Rodolphe, en 1291, elle dominait sur une grande partie de la Suisse septentrionale et centrale.

Chap. V. — Institutions, mœurs et coutumes au moyen âge.

1. Notre patrie vécut au moyen âge sous le régime de la féodalité. Le pouvoir appartenait aux nobles. Le pays était divisé en un grand nombre de fiefs. Celui qui accordait un fief s’appelait le suzerain ; celui qui le recevait s’appelait le vassal. Le vassal devait prêter serment de fidélité à son suzerain.

2. L’Église avait une influence considérable. Elle possédait une arme redoutable dans l’excommunication. Les évêques et les abbés étaient de véritables seigneurs ayant de vastes domaines, des vassaux et des serfs.

3. La population des campagnes comprenait les hommes libres et les serfs. L’homme libre était maître de sa personne et de ses biens, tandis que le serf était attaché à la glèbe, c’est-à-dire au domaine du seigneur. Dans la Suisse centrale, la proportion des hommes libres était plus grande qu’ailleurs ; certaines vallées avaient déjà leur assemblée générale ou landsgemeinde.

4. Dans les villes, les bourgeois parvinrent peu à peu à s’organiser en communautés ou communes, dont chacune avait à sa tête ses magistrats et son Conseil. Les droits concédés par le seigneur aux bourgeois étaient inscrits dans un acte appelé charte de libertés et de franchises.

5. Le droit de rendre la justice appartenait au seigneur. C’était pour lui un revenu, car il touchait le produit des amendes. Avec le temps, dans les villes, le droit de justice passa aux bourgeois, qui le confièrent à des notables pris parmi eux.

6. L’Église chercha à diminuer les guerres entre seigneurs en instituant la Trêve de Dieu. Pour notre pays, la Trêve de Dieu fut proclamée en 1036, dans une assemblée convoquée par Hugues, évêque de Lausanne, sur la colline de Mont-Riond. Les seigneurs jurèrent de ne pas se battre pendant certains jours de la semaine et durant les grandes fêtes religieuses.



DEUXIÈME PARTIE
LA CONFÉDÉRATION DES TROIS CANTONS

CHAPITRE VI

FONDATION DE LA CONFÉDÉRATION

1. Les Waldstætten. — Dans la partie centrale de la Suisse actuelle, autour du beau lac des Quatre-Cantons, sont groupés trois petits pays qui ont joué un grand rôle dans l’histoire de notre patrie. C’est Uri, Schwytz et Unterwald. On les nomme les Waldstætten[22] ou les pays forestiers, à cause de leurs bois, autrefois plus étendus qu’aujourd’hui. Ils sont aussi appelés les cantons primitifs, parce que c’est là que la Confédération suisse a pris naissance.

Ils avaient déjà des habitants à l’époque romaine, mais c’est surtout après l’invasion des Alamans qu’ils se peuplèrent. Au VIIIme siècle, la contrée renfermait plusieurs villages. Au XIIIme siècle, la plupart des localités actuelles existaient déjà, avec les noms qu’elles portent aujourd’hui. La population vivait de la culture du sol et de l’élève du bétail. Ces montagnards avaient des mœurs simples ; habitués à vivre au milieu d’une nature rude, ils étaient patients, mais énergiques et résolus.

Armoiries d’Uri.
Fig. 63. — Armoiries d’Uri.
2. Uri. — La plus grande partie du pays d’Uri avait d’abord appartenu au duc d’Alamanie, puis au roi d’Allemagne. En 853, le roi Louis le Germanique, petit-fils de Charlemagne, en fit don à l’abbaye de Fraumunster à Zurich. Deux fois par année, le représentant de l’abbaye venait rendre la justice au nom de l’empereur[23], sous un tilleul près d’Altorf. Les habitants, serfs pour la plupart, jouissaient de droits qui les rapprochaient beaucoup des hommes libres. Ils possédaient en commun une certaine étendue de forêts et de pâturages et se réunissaient chaque année pour discuter leurs intérêts. Ces assemblées, qui furent l’origine de la landsgemeinde, développaient dans le peuple le sentiment de l’indépendance.

Mais ces libertés furent menacées au XIIIme siècle, lorsque la maison de Habsbourg fut désignée pour représenter l’empereur dans le pays d’Uri. Les Uranais purent craindre de devenir de simples sujets des Habsbourg. Pour éviter ce danger, ils

Tour en ruine à Silenen (Uri).

Fig. 64. — Tour en ruine à Silenen (Uri).
(Restes de l’ancien manoir des seigneurs de Silenen, qui existait à l’époque où les Waldstædten conquirent leur indépendance.)
s’adressèrent au roi Henri, qui gouvernait l’Allemagne en l’absence de son père, l’empereur Frédéric II. Ils lui demandèrent de les libérer de la domination des Habsbourg et de les placer sous l’autorité directe de l’empereur. À cette époque, relever directement de l’empire, c’était, pour un peuple, être délivré du joug des seigneurs et devenir à peu près indépendant.

Le roi Henri accueillit bien la demande des Uranais et leur accorda, en 1231, une charte de liberté impériale, leur garantissant qu’ils n’auraient pas d’autre maître que l’empereur. Ils devaient continuer à payer leurs redevances à l’abbaye de Fraumunster ; leurs juges, nommés par l’empereur, ne pouvaient être que des gens du pays. Pour le reste, les Uranais avaient le droit de s’administrer eux-mêmes.

Armoiries de Schwytz.
Fig. 65. — Armoiries de Schwytz.
3. Schwytz. — Le territoire de Schwytz était limité à la partie méridionale du canton actuel. La population se composait principalement d’hommes libres qui se distinguaient par leur amour de l’égalité et leur ardeur à faire respecter leurs droits. Ils furent longtemps en guerre avec le couvent d’Einsiedeln, au sujet de la limite de leurs domaines. Les empereurs d’Allemagne donnèrent raison à l’abbaye ; malgré cela, les Schwytzois refusèrent de se soumettre et continuèrent la lutte. La querelle ne se termina que lorsque les terres contestées eurent été partagées entre eux et l’abbé d’Einsiedeln.

Les Schwytzois relevaient de l’empire et des baillis impériaux qui étaient les Habsbourg, mais ils possédaient d’importantes libertés et avaient en particulier le droit de se réunir en assemblées générales. Redoutant l’ambition des Habsbourg, ils cherchèrent à se placer sous la protection impériale. Ils envoyèrent des délégués à l’empereur Frédéric II, qui guerroyait en Italie, et furent assez heureux pour obtenir de lui, en 1240, une charte d’affranchissement analogue à celle que son fils Henri avait donnée aux Uranais.

Engelberg.

Fig. 66. — Engelberg.

Toutefois, Schwytz ne parvint pas à s’émanciper complètement des Habsbourg. L’empereur Rodolphe de Habsbourg refusa de reconnaître la charte accordée par Frédéric II. Sa puissance était grande et, tant qu’il vécut, les Schwytzois ne purent songer à se révolter contre lui. Il les traita d’ailleurs avec bienveillance, mais cela ne pouvait compenser pour eux la perte des avantages que leur accordait la charte impériale.

Armoiries d’Unterwald.
Fig. 67. — Armoiries d’Unterwald.
4. Unterwald. — La population des riantes et fertiles vallées de l’Unterwald était dans une situation moins bonne que celle d’Uri et de Schwytz. Elle ne possédait pas de terres en commun et n’avait pas reçu de charte impériale. Les hommes libres, moins nombreux qu’à Schwytz, étaient groupés principalement autour de Sarnen et de Stans. Le pays était divisé en domaines appartenant à un certain nombre de seigneurs et de couvents, entre autres aux Habsbourg et à l’abbaye d’Engelberg. En outre, les Habsbourg

Sceaux d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald en 1291.

Fig. 68. — Sceaux d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald en 1291.
(Sur le sceau d’Uri figure une tête de taureau avec une boucle dans les naseaux. Le sceau de Schwytz représente saint Martin, patron du bourg de Schwytz, partageant son manteau pour en donner la moitié à un mendiant. Le sceau d’Unterwald porte une clef, emblème de l’apôtre Pierre, patron de l’église de Stans.)


exerçaient une autorité générale sur tout le pays comme représentants de l’empereur.

Les hommes libres cherchèrent à s’unir et à résister aux Habsbourg. Toutefois leurs tentatives pour s’émanciper de la tutelle de cette puissante maison ne réussirent pas. Sous l’empereur Rodolphe, ils ne purent les renouveler, mais le mécontentement était prêt à éclater.

5. L’alliance perpétuelle de 1291. — Telle était la situation des Waldstætten lorsque survint la mort de l’empereur Rodolphe, en 1291. Quel était le lien qui unissait ces trois petits peuples dont les conditions différaient sensiblement ? C’était, outre d’anciennes relations de bon voisinage, la crainte de l’ennemi commun, de l’ambitieuse famille de Habsbourg-Autriche.

Quelques jours après la mort de Rodolphe, les représentants des pays d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald se réunirent et conclurent un traité d’alliance perpétuelle, le 1er août 1291. Par ce traité, qui a été conservé (fig. 69), les trois cantons s’engagent à se prêter mutuellement secours contre les ennemis du dehors. Ils décident qu’ils n’accepteront aucun juge, aucun bailli impérial qui soit étranger à leurs vallées. Ils déclarent que si une dissension naît entre eux, ils s’en remettront à l’avis d’arbitres pris parmi les plus sages et les plus prudents des Confédérés, et que si l’un des cantons repousse cette décision, les autres la feront respecter. Enfin, ils indiquent de quelle manière la justice doit être rendue et fixent les peines à infliger aux coupables.

Le traité a été probablement conclu sur territoire schwytzois. Il n’est pas signé, mais l’on sait quels étaient à cette époque les hommes les plus en vue dans les Waldstætten. On croit que parmi les auteurs de l’alliance, il faut citer pour le pays d’Uri : le landammann Arnold, de Silenen, et Werner d’Attinghausen ; pour le pays de Schwytz : le landammann Conrad ab Iberg et Rodolphe Stauffacher.[24] Ces hommes énergiques et sages, qui eurent assez de courage pour braver les ennemis de leur patrie, ont droit à tout notre respect.

Avant l’alliance de 1291, les Waldstætten avaient déjà conclu entre eux d’autres traités, mais qui étaient temporaires et n’avaient pas la même importance. Le pacte de 1291 doit être regardé comme l’acte de fondation de la Confédération suisse et comme l’origine de notre indépendance et de nos libertés.

Reproduction réduite du Pacte de 1291.

Fig. 69. — Reproduction réduite du Pacte de 1291.
Ce vénérable document, rédigé en latin, se trouve dans les archives de Schwytz. Son rédacteur fut très probablement un ecclésiastique. Les sceaux d’Uri et d’Unterwald sont encore attachés au parchemin ; celui de Schwytz, qui figurait le premier, a disparu.


TRADUCTION DU PACTE DE 1291


Au nom du Seigneur, amen. C’est chose honnête et profitable au bien public de consolider les traités dans un état de paix et de tranquillité. Soit donc notoire à tous que les hommes de la vallée d’Uri, la commune de la vallée de Schwytz et la commune de ceux de la vallée inférieure d’Unterwald, considérant la malice des temps et à l’effet de se défendre et maintenir avec plus d’efficacité, ont pris de bonne foi l’engagement de s’assister mutuellement de toutes leurs forces, secours et bons offices, tant au dedans qu’au dehors du pays, envers et contre quiconque tenterait de leur faire violence, de les inquiéter ou molester en leurs personnes et en leurs biens. Et, à tout événement, chacune des dites communautés promet à l’autre de venir à son aide en cas de besoin, de la défendre, à ses propres frais, contre les entreprises de ses ennemis, et de venger sa querelle, prêtant un serment sans dol ni fraude, et renouvelant par le présent acte l’ancienne Confédération ; le tout sans préjudice des services que chacun, selon sa condition, doit rendre à son seigneur.

Et nous statuons et ordonnons, d’un accord unanime, que nous ne reconnaîtrons dans les susdites vallées aucun juge qui aurait acheté sa charge à prix d’argent ou de quelque autre manière, ou qui ne serait indigène et habitant de ces contrées. Si quelque discorde venait à surgir entre les Confédérés, les plus prudents interviendront par arbitrage pour apaiser le différend, selon qu’il leur paraîtra convenable, et si l’une ou l’autre des parties méprisait leur sentence, les autres Confédérés se déclareraient contre elle.

En outre, il a été convenu que celui qui, frauduleusement et sans provocation, en tuerait un autre, serait, au cas où l’on se saisirait de lui, puni de mort selon son mérite ; et, s’il parvient à s’échapper, il ne pourra en aucun temps rentrer dans le pays. Pour les fauteurs et receleurs d’un tel criminel, ils seront bannis des vallées jusqu’à ce qu’ils aient été dûment rappelés par les Confédérés. Celui qui, de jour ou de nuit, aura méchamment causé un incendie, perdra pour jamais ses droits de concitoyen ; et quiconque dans les vallées assistera et protégera ce malfaiteur, devra réparer de ses biens le dommage souffert. Et si l’un des Confédérés porte atteinte à la propriété d’autrui par vol ou de toute autre manière, les biens que le coupable pourrait posséder dans les vallées, serviront, comme il est juste, à indemniser le lésé. En outre, personne ne doit prendre un gage d’autrui, sinon des débiteurs ou cautions manifestes, et après avoir, même dans ce cas, obtenu l’autorisation du juge. Et chacun doit obéir à son juge et indiquer, s’il est besoin, quel est dans le pays le juge à l’autorité duquel il est soumis. Et si quelqu’un refusait obéissance au jugement, au point de faire dommage par sa résistance à l’un des Confédérés, tous les Confédérés seraient tenus de contraindre le contumace à donner satisfaction. En cas de guerre ou de discorde entre Confédérés, si l’une des parties se refuse à recevoir jugement ou composition, les Confédérés devront prendre la cause de l’autre partie.

Tout ce que dessus, statué pour l’utilité commune, devant, s’il plaît à Dieu, durer à perpétuité. En foi de quoi le présent acte a été dressé, à la requête des prénommés, et muni des sceaux des trois communautés et vallées. Fait en l’an du Seigneur 1291, au commencement d’août.


CHAPITRE VII

PREMIÈRE GUERRE
des
CONFÉDÉRÉS CONTRE L’AUTRICHE

1. Albert d’Autriche. — L’alliance de 1291 donnait aux Confédérés la force qui résulte de l’union. Toutefois, leur avenir était encore bien incertain ; ils sentaient qu’ils auraient beaucoup à lutter pour assurer leur indépendance. La maison de Habsbourg était devenue, sous l’empereur Rodolphe, la puissante maison d’Autriche,[25] nom sous lequel nous la désignerons dorénavant. Le fils de Rodolphe, Albert, duc d’Autriche, et ses successeurs, loin de donner la liberté aux Waldstætten, vont chercher par tous les moyens à maintenir leur autorité en Suisse. C’est donc contre les ducs d’Autriche que les Suisses auront à combattre.

Albert désirait vivement succéder à son père comme empereur, mais les princes allemands ne le désignèrent pas. Ils nommèrent Adolphe de Nassau. L’élection de ce prince fut accueillie avec joie dans les Waldstætten. Uri et Schwytz firent confirmer par lui leurs chartes de franchises. Malheureusement, en 1298, Adolphe fut tué dans un combat et son rival, Albert d’Autriche, élu empereur à sa place.

Sous l’empereur Albert, la situation des Waldstætten se modifia peu. S’il ne reconnut pas les chartes d’Uri et de Schwytz, rien ne prouve qu’il ait opprimé durement les montagnards. Sous son gouvernement, chacun des trois cantons eut son landammann.

Au reste, le règne d’Albert d’Autriche ne fut pas de très longue durée. En 1308, ce prince fut assassiné près de Windisch en Argovie, par son propre neveu, le jeune duc Jean d’Autriche, et plusieurs autres nobles. Jean reprochait à son oncle de vouloir lui ravir l’héritage qui lui venait de ses parents ; il se vengea de l’injustice par le crime. Les meurtriers parvinrent à s’enfuir. Un seul fut Église de l’ancienne abbaye de Kœnigsfelden.
Fig. 70. — Église de l’ancienne abbaye de Kœnigsfelden.
(L’abbaye de Kœnigsfelden a été transformée en hôpital, puis en asile d’aliénés, L’église sert de musée historique.)
pris, le moins coupable, Rodolphe de Wart, qui subit le supplice de la roue. La maison d’Autriche s’acharna à poursuivre les parents et les serviteurs des régicides. Plusieurs châteaux furent détruits et un grand nombre d’innocents mis à mort. La veuve d’Albert, l’impératrice Élisabeth, fonda sur le lieu même de l’attentat, l’abbaye de Kœnigsfelden.

2. Bataille de Morgarten. — Le successeur d’Albert, l’empereur Henri de Luxembourg, témoigna une grande bienveillance aux Waldstætten. Non seulement il confirma les lettres de franchises d’Uri et de Schwytz, mais il en accorda à l’Unterwald qui n’en avait point possédé jusque-là (1309). En outre, il envoya aux trois pays un bailli

Carte du champ de bataille de Morgarten.

Fig. 71. — Carte du champ de bataille de Morgarten.
Échelle : 1/117 500
impérial pris en dehors de la famille d’Autriche. C’était rompre tout lien entre les Waldstætten et cette maison.

Après Henri, deux princes se disputèrent le trône impérial : Louis de Bavière et Frédéric le Beau, duc d’Autriche, l’aîné des fils d’Albert. La guerre éclata entre les deux rivaux. Les Morgenstern.
Fig. 72. Morgenstern.
Waldstætten prirent parti pour Louis de Bavière. D’autre part, les Schwytzois étaient de nouveau en lutte avec l’abbaye d’Einsiedeln que protégeait la maison d’Autriche. Frédéric le Beau résolut de réduire les Waldstætten par la force et chargea son frère, le duc Léopold, de diriger contre eux une expédition militaire.

C’était en 1315. Des deux côtés, on se prépara à la guerre. Le duc Léopold réunit à Zoug une brillante armée ; les chevaliers se croyaient tellement sûrs de la victoire qu’ils s’étaient munis de grosses cordes pour ramener le bétail enlevé. D’autres troupes autrichiennes devaient attaquer l’Unterwald. Les Confédérés avaient construit des retranchements barrant les routes venant du nord et du nord-est et conduisant à Schwytz. On raconte que le chevalier Henri de Hunenberg avait prévenu les Suisses en leur lançant une flèche avec un billet leur disant : « Gardez-vous au Morgarten. » Mais le fait n’est pas certain.

Le 15 novembre 1315, l’armée de Léopold s’avance le long du lac d’Aegeri (fig. 71). La route passe par un défilé que dominent les hauteurs du Morgarten[26]. Les Confédérés, au nombre de 1 300 à 1 500, postés sur les pentes et dissimulés dans les sapins, suivent des yeux les mouvements de l’armée. Tout à coup des blocs de rochers et des troncs d’arbres, lancés par les montagnards, roulent sur les cavaliers et jettent le désordre dans leurs rangs[27]. Puis les Confédérés, armés du morgenstern, massue garnie de pointes, et de la terrible hallebarde, se précipitent comme une avalanche, en poussant de grands cris. C’est moins un combat qu’un massacre. Les chevaliers embarrassés de leurs armures et ne pouvant se déployer sont pris comme dans un filet. Nombreux sont ceux qui tombent sous les coups des montagnards ou qui périssent noyés dans le lac. Les autres s’enfuient et parmi eux le duc Léopold. La bataille finie, les Confédérés se mettent à genoux pour remercier Dieu. Plus tard, une chapelle fut élevée pour rappeler le souvenir de cette victoire des paysans sur les nobles orgueilleux.

Chapelle de Morgarten.

Fig. 73. — Chapelle de Morgarten.


Le comte Otto de Strassberg avait envahi l’Unterwald, par le Brunig, à la tête de troupes autrichiennes. À la nouvelle de la défaite du duc Léopold, il se retira précipitamment.

3. Le pacte de Brunnen. — Trois semaines après la bataille de Morgarten, le 9 décembre 1315, les représentants des Waldstætten jurèrent un nouveau pacte, à Brunnen ; cette alliance renforça celle de 1291 et rendit plus complète l’union des pays d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald. L’année suivante, l’empereur Louis de Bavière[28] confirma à nouveau leurs franchises. Les ducs d’Autriche refusèrent d’accepter cette décision, mais

La plaine de Brunnen et le lac des Quatre-Cantons.

Fig. 74. — La plaine de Brunnen et le lac des Quatre-Cantons.


finalement ils durent conclure une trêve avec les Waldstætten. C’était reconnaître l’existence de la Confédération[29].

L’alliance de 1291 était secrète. Celle de 1315 fut connue publiquement et l’Autriche dut en prendre son parti. La victoire de Morgarten avait prouvé que les Confédérés étaient capables de défendre leurs libertés.


LES TRADITIONS NATIONALES SUR LES ORIGINES DE LA CONFÉDÉRATION

Les grands faits de l’histoire ont été souvent embellis par la légende. Il en a été ainsi des événements qui ont amené la fondation de la Confédération. L’émancipation des Waldstætten, qui n’avaient pas craint malgré leur petitesse de résister à la puissante maison d’Autriche, était bien de nature à frapper les imaginations. Des récits se transmettant de père en fils donnèrent lieu à des traditions et à des chants, tels que la ballade de Tell, que nous connaissons par les écrivains du XVme et du XVIme siècle, et surtout par le célèbre Egide Tschudi (1505-1572). C’est ce dernier qui a donné un corps à ces traditions et les a fondues en un récit émouvant, rempli de détails pittoresques, mais dont aucun écrit du XIVme siècle ne fait mention. Il est impossible d’établir nettement, dans ce récit, la part de la légende et celle de la vérité. On ne peut, cependant, le rejeter entièrement. Le souvenir du serment du Grutli, en particulier, doit se rapporter à un fait réel. Quoi qu’il en soit, ces traditions nous sont chères. Nous aimons ces grandes figures de Guillaume Tell, Walter Furst, Werner Stauffacher, Arnold de Melchthal, qui personnifient l’amour de la patrie et la lutte pour la liberté. La gracieuse prairie du Grutli que la jeunesse suisse a achetée, en 1859, par une souscription nationale, pour en faire don à la Confédération, est le lieu vers lequel, lors de nos grandes fêtes patriotiques, se tournent les pensées des citoyens.

Nous donnons donc dans les deux lectures qui suivent un résumé de ces traditions populaires que tout Suisse doit connaître.


15me LECTURE

Les baillis autrichiens. Le serment du Grutli. — Après l’élection d’Albert d’Autriche comme empereur d’Allemagne, les trois pays d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald envoyèrent auprès de lui le landammann Werner d’Attinghausen, avec la mission de lui demander de confirmer leurs franchises et de leur donner un juge impérial. Albert refusa, mais il fit faire les plus belles promesses aux hommes des Waldstætten s’ils consentaient à accepter la domination autrichienne. « Je vous comblerai de biens, dit-il, et je créerai parmi vous des chevaliers. » Les Confédérés lui répondirent : « À ces brillants avantages, nous préférons la liberté de nos pères et la protection immédiate de l’empire. »

Ce fier langage irrita l’empereur. Au lieu de donner aux Waldstætten un juge impérial, il leur envoya des baillis autrichiens qui fixèrent leur résidence dans le pays, contrairement au droit et à la coutume. L’un d’eux, Gessler, qui devait dominer sur Uri et Schwytz, s’établit dans le château de Kusnach. Un second, Landenberg, désigné pour l’Unterwald, s’installa au château de Sarnen. Un sous-bailli, du nom de Wolfenschiess, fut placé au château de Rotzberg, non loin de Stans. Ces baillis étaient de véritables tyrans, qui s’entourèrent de gens armés et gouvernèrent avec une extrême rigueur. Ils augmentèrent les impôts, levèrent des taxes nouvelles et condamnèrent les habitants à l’amende et à la prison pour le moindre délit. Leur but était d’amener les montagnards à se révolter, pour les soumettre ensuite, par la force des armes, à la maison d’Autriche. Gessler fit construire dans le pays d’Uri une forteresse à laquelle il donna le nom de Zwing-Uri (Dompte-Uri).

À Altzellen, dans l’Unterwald, vivait un homme brave et courageux, du nom de Conrad Baumgarten. Un jour, le sous-bailli Wolfenschiess, passant par ce village, vit la femme de Conrad et lui ordonna de lui préparer un bain. Celle-ci obéit, puis saisissant un prétexte, alla chercher son mari qui était occupé à couper du bois dans la forêt voisine. Conrad arriva aussitôt et tua le tyran dans son bain.

Un honnête paysan du Melchthal (Unterwald), nommé Henri an der Halden, s’était attiré la haine du bailli Landenberg, parce qu’il encourageait ses compatriotes à ne rien sacrifier des libertés que leur avaient léguées leurs pères. Pour une légère faute commise par Arnold, fils de Henri, Landenberg fit saisir une belle paire de bœufs que possédait celui-ci. Le valet du bailli vint détacher les bœufs de la charrue, en s’écriant : « Si les paysans veulent manger du pain, qu’ils tirent eux-mêmes la charrue. » Hors de lui, Arnold frappa le valet de son bâton noueux et lui cassa deux doigts, puis franchissant les montagnes, il se réfugia dans le pays d’Uri. Le père d’Arnold fut arrêté par ordre de Landenberg et comme il ne pouvait ou ne voulait pas révéler la retraite de son fils, le bailli confisqua ses biens et lui fit crever les yeux.

Vers le même temps, Gessler traversant le village de Steinen, dans le pays de Schwytz, vit une belle maison neuve qui appartenait à Werner Stauffacher, paysan très estimé dans la contrée. Celui-ci était assis devant sa demeure ; Gessler lui demanda à qui était cette jolie maison. « Elle appartient à monseigneur le roi, répondit modestement Stauffacher, c’est votre fief et le mien. » — « Je représente ici le roi, répliqua Gessler d’un ton menaçant, et je ne veux pas que les paysans bâtissent, sans ma permission, de si belles maisons et vivent comme s’ils étaient des seigneurs. » Les paroles du bailli remplirent Stauffacher d’inquiétude. Il les rapporta à sa femme, qui fut indignée de ce langage. « Jusqu’à quand, dit-elle à son mari, faudra-t-il supporter de telles insultes ? Va trouver les hommes d’Uri et d’Unterwald sur lesquels tu peux compter ; concerte-toi avec eux et cherchez ensemble les moyens de secouer le joug de la tyrannie. »

Le Grutli.

Fig. 75. — Le Grutli.
(On peut y accéder de Brunnen en bateau. La gravure permet de distinguer le petit port où l’on débarque et plus haut la maison du gardien.)

Sur ce conseil, Stauffacher se rendit dans le pays d’Uri, où il vit Walter Furst et Arnold de Melchthal. Ces trois hommes s’entretinrent des malheurs de leur patrie et convinrent de la délivrer du pouvoir des baillis. Ils se réunissaient dans une prairie solitaire, le Grutli (Rutli), située au bord du lac des Quatre-Cantons, au pied du Seelisberg. Dans la nuit du 7 novembre 1307, une dernière assemblée eut lieu au Grutli. Chacun des trois conjurés avait amené dix hommes de confiance de son pays. Tous jurèrent de défendre la liberté, d’expulser les baillis et de tout sacrifier pour la délivrance de la patrie. L’exécution du complot fut fixée au 1er janvier 1308. Jusque-là, chacun devait garder un secret absolu sur les décisions prises.


Monument de Guillaume Tell à Lausanne.

Fig. 76. — Monument de Guillaume Tell à Lausanne.


Tellsplatte.

Fig. 77. — Tellsplatte.
16me LECTURE

Guillaume Tell. Expulsion des baillis. — Bientôt Gessler crut remarquer que le peuple relevait la tête et montrait plus de fierté. Il conçut des soupçons. Pour éprouver les Uranais, il fit planter sur la place publique d’Altorf une perche surmontée d’un chapeau aux couleurs de l’Autriche. Tous les passants devaient se découvrir devant ce chapeau et s’incliner en signe de soumission. Or, un jour, Guillaume Tell, un habile arbalétrier de Burglen, passe sans faire le salut exigé. Il est aussitôt saisi et conduit devant le bailli. « Je sais, lui dit celui-ci, que tu es un adroit tireur. En punition de ta désobéissance, je te condamne à abattre une pomme placée sur la tête de ton fils. » C’est en vain que Tell demande en grâce que cette cruelle épreuve lui soit épargnée. Gessler est inflexible. Il menace même Tell et son fils de les faire mettre à mort si ses ordres ne sont pas exécutés. Tell obéit en frémissant ; la flèche part et perce la pomme sans toucher l’enfant. Le peuple marque sa satisfaction par des cris de joie.

Mais Gessler s’est aperçu que Tell, avant de tirer, a caché une autre flèche sous ses habits. « Pourquoi cette seconde flèche, dit-il ? » Tell évite de répondre d’une manière positive. Gessler le presse de questions, l’assurant qu’il n’a rien à craindre pour sa vie. Tell alors répond hardiment : « Si la première flèche avait atteint mon fils, la seconde ne vous aurait pas manqué. » — « Il est vrai que je t’ai promis la vie sauve, réplique Gessler plus furieux que jamais, mais je vais t’enfermer en un lieu

Chapelle de Tell au chemin creux.

Fig. 78. — Chapelle de Tell au chemin creux.


où tu ne verras plus ni le soleil, ni la lune. » Tell est garrotté, conduit à Fluelen et placé dans une barque pour être transporté dans les prisons du château de Kusnach.

La barque quitte le port et s’avance sur le lac des Quatre-Cantons. Mais le fœhn souffle et bientôt la tempête sévit avec violence. Les flots menacent d’engloutir l’embarcation ou de la briser contre les rochers qui bordent le lac. Les bateliers, pâles de terreur, s’écrient : « Tell est le meilleur batelier du pays ; lui seul peut nous sauver. » Gessler ordonne qu’on le délie. Tell prend alors le gouvernail et, d’une main sûre, conduit la barque au pied de l’Axenberg, vers un rocher disposé en plate-forme, qui a gardé son nom[30] et où, plus tard, une chapelle a été construite en son honneur. Là, il s’élance d’un bond sur la rive et repousse du pied la barque au milieu des flots. Ensuite il traverse rapidement le pays de Schwytz pour attendre Gessler à Kusnach. Il se poste en embuscade au « chemin creux » et, lorsque le bailli paraît, lui perce le cœur d’une flèche[31].

La nouvelle de la mort de Gessler fut accueillie avec joie par les amis de la liberté. À la date fixée par les conjurés du Grutli, c’est-à-dire le jour de l’an 1308, la révolution eut lieu. Le château de Rotzberg fut pris le premier. Un jeune homme y pénétra au moyen d’une corde qu’une servante du château lui avait lancée de la fenêtre de sa chambre. Ensuite, il y fit entrer vingt compagnons par le même moyen. Une fois réunis, ils s’emparèrent du château et le détruisirent.

Le même jour, une vingtaine d’hommes se présentèrent au château de Sarnen. Ils apportaient suivant l’usage, des moutons, des veaux, des chèvres, de la volaille, comme présents de nouvelle année. Le bailli Landenberg, qui se rendait à l’église, les rencontra et ordonna de les faire entrer au château. Lorsqu’ils furent arrivés sous la porte, l’un d’eux sonna du cor. À ce signal, tous armèrent leurs bâtons de pointes de fer qu’ils avaient jusque-là cachées sous leurs habits ; en outre, trente autres conjurés accoururent de la forêt voisine. Le château fut pris et livré aux flammes. Landenberg s’enfuit, mais il fut arrêté, conduit à la frontière et expulsé, après avoir juré de ne jamais revenir dans le pays.

De leur côté, les Schwytzois détruisirent le château de Schwanau, qui se dressait dans une île du lac de Lowerz. Les Uranais en firent autant de la forteresse de Zwing-Uri. Des feux de joie brillèrent sur les montagnes, annonçant la victoire remportée sans effusion de sang sur les oppresseurs des Waldstætten. Chacun était heureux de voir le pays délivré du joug de l’étranger. L’empereur Albert résolut de châtier les audacieux montagnards. Il arriva en Argovie dans l’intention d’y rassembler des troupes. Mais il périt, assassiné par son neveu Jean d’Autriche.



RÉSUMÉ DE LA DEUXIÈME PARTIE — LA CONFÉDÉRATION DES TROIS CANTONS

Chap. VI. — Fondation de la Confédération.

1. Les pays d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald sont désignés dans leur ensemble sous le nom de Waldstætten ou pays forestiers. On les appelle aussi les cantons primitifs. Ils se peuplèrent surtout après l’invasion des Alamans.

2. La vallée d’Uri dépendait, pour la plus grande partie, de l’abbaye de Fraumunster, à Zurich. L’empereur y était représenté par la maison de Habsbourg. Les Uranais redoutaient beaucoup de devenir de simples sujets de cette famille. Pour éviter ce danger, ils s’adressèrent au roi Henri et obtinrent de lui une charte de liberté impériale, stipulant qu’ils relevaient directement de l’empire (1231).

3. Dans le pays de Schwytz, la population se composait surtout d’hommes libres. Cette contrée était limitée au nord par les terres de l’abbaye d’Einsiedeln, avec laquelle les Schwytzois furent longtemps en guerre. Comme les Uranais, ils craignaient l’ambition des Habsbourg, qui remplissaient chez eux les fonctions de baillis impériaux. Ils furent assez heureux pour obtenir de l’empereur Frédéric II, une charte de liberté impériale (1240). Toutefois, l’empereur Rodolphe de Habsbourg refusa de la reconnaître.

4. La population de l’Unterwald dépendait d’un certain nombre de seigneurs et de couvents, entre autres des Habsbourg et de l’abbaye d’Engelberg. En outre, les Habsbourg, comme représentants de l’empereur, exerçaient une autorité générale sur tout le pays.

5. Les Waldstætten sentaient bien que leur union seule leur permettrait de lutter contre l’ambitieuse maison de Habsbourg. Aussi, le 1er août 1291, quelques jours après la mort de l’empereur Rodolphe, les représentants des pays d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald se réunirent et conclurent un traité d’alliance perpétuelle. C’est ce traité qui est regardé comme l’acte de fondation de la Confédération suisse. Ses auteurs furent très probablement pour Uri : le landammann Arnold, de Silenen, et Werner d’Attinghausen ; pour Schwytz : le landammann Conrad ab Iberg et Rodolphe Stauffacher.

Chap. VII. — Première guerre des Confédérés contre l’Autriche.

1. Le successeur de Rodolphe sur le trône impérial fut Adolphe de Nassau, qui ne régna que quelques années. En 1298, il fut tué dans un combat et son rival, Albert d’Autriche, fils de Rodolphe, fut élu empereur. Albert ne paraît pas avoir opprimé les Waldstætten ; toutefois, il ne reconnut pas les chartes d’Uri et de Schwytz. Il mourut en 1308, assassiné près de Windisch, en Argovie, par son neveu Jean d’Autriche.

2. L’empereur Henri de Luxembourg, qui succéda à Albert, confirma les chartes d’Uri et de Schwytz et, en outre, accorda la liberté impériale à l’Unterwald.

Après lui, les ducs d’Autriche, craignant de voir les Waldstætten leur échapper définitivement, tentèrent de les réduire par la force. Le duc Léopold, fils de l’empereur Albert, partit de Zoug avec une armée pour envahir le pays de Schwytz. Mais il fut complètement vaincu par les Confédérés à la bataille de Morgarten, en 1315.

3. Peu après, les représentants d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald conclurent une nouvelle alliance, qui renforçait celle de 1291. C’est le pacte de Brunnen (1315). D’autre part, l’empereur Louis de Bavière confirma les franchises des trois pays.
L’Helvétie sous les Romains.

1. – L’Helvétie sous les Romains.
Échelle : 1/1 750 000
Second royaume de Bourgogne (sous Rodolphe II) et duché d’Alamanie.

2. — Second royaume de Bourgogne (sous Rodolphe II) et duché d’Alamanie.
Échelle : 1/1 750 000
La Confédération des trois cantons (1315).

3. – La Confédération des trois cantons (1315).
Échelle : 1/800 000
  1. Le bronze est un métal encore très employé aujourd’hui ; il est obtenu par le mélange du cuivre avec une certaine quantité d’étain.
  2. Menhir est un mot breton qui signifie : pierre longue.
  3. Le mot dolmen signifie table de pierre.
  4. Le mammouth était une sorte d’éléphant gigantesque, remarquable par ses longues défenses recourbées et par la fourrure dont sa peau était recouverte.
  5. Le joug était formé d’une pique placée horizontalement sur deux autres piques que l’on avait plantées en terre. Pour humilier les vaincus, on les forçait à passer dessous, en se courbant.
  6. La Saône, rivière de France, est un affluent du Rhône ; elle se jette dans ce fleuve à Lyon.
  7. Autun est une petite ville française, située en Bourgogne.
  8. La légion était un corps de troupes des armées romaines ; elle comptait 6 000 soldats environ.
  9. Le gui est une plante qui vit sur les branches de certains arbres ; il y forme des touffes d’un beau vert doré.
  10. Le mot serf vient du mot latin servus, qui signifie esclave, serviteur.
  11. Le mot transjurane est formé du mot latin trans, qui signifie au delà de, et du nom de Jura. La Bourgogne transjurane était appelée ainsi, parce que, pour les habitants de la France actuelle, elle était située au delà du Jura.
  12. Les troubadours étaient des poètes du midi de la France qui allaient de château en château réciter ou chanter leurs vers en s’accompagnant de la guitare.
  13. On désigne sous le nom de moyen âge le temps qui s’est écoulé entre la chute de l’empire romain et le milieu du XVme siècle ; c’est la période intermédiaire entre les temps anciens et l’époque moderne.
  14. Le sens primitif du mot fief était celui de bien, avoir.
  15. Les deux mots féodal et féodalité dérivent du mot fief.
  16. Les croisades doivent leur nom à l’habitude qu’avaient ceux qui y prenaient part de coudre sur leurs habits une croix d’étoffe rouge.
  17. Le mot glèbe vient du mot latin gleba, qui signifie motte de terre.
  18. Ces biens communaux sont désignés en allemand sous le nom d’allmend.
  19. Le mot français bourg vient du mot allemand burg, qui signifie château fort.
  20. L’adjectif roman vient du mot latin romanus, en français : romain. On l’emploie par exemple pour désigner les langues qui dérivent du latin ; le français est une langue romane. L’architecture romane porte ce nom parce qu’elle est une transformation de l’architecture romaine.
  21. Cette architecture a pris naissance en France. Les Italiens, qui ignoraient ce fait, la prirent pour une invention des Germains qui avaient envahi l’Italie, les Goths, et l’appelèrent gothique. Ce nom lui est resté.
  22. Géographiquement, le nom de Waldstætten s’étend aussi au pays de Lucerne, et quelquefois à ceux de Glaris et de Zoug, mais ici il n’est question que des trois cantons fondateurs de la Confédération. Historiquement, l’expression courante : les trois Waldstætten, ne s’applique qu’aux pays d’Uri, de Schwytz et d’Unterwald.
  23. Les rois de Germanie ou d’Allemagne prirent le titre d’empereur à partir d’Othon le Grand (962). L’empereur était élu par un certain nombre (longtemps sept) de princes et d’évêques allemands et devait recevoir des mains du pape la couronne impériale.
  24. Il n’est pas possible de se prononcer pour ce qui concerne l’Unterwald. Le premier landammann de ce pays dont on connaisse le nom est Rodolphe d’Oedisried (1304).
  25. Voir plus haut, page 20.
  26. Le Morgarten est un petit chaînon montagneux, en grande partie couvert de prairies, qui domine de 500 mètres environ le lac d’Aegeri.
  27. On a attribue cette grêle de pierres à des bannis des Waldstætten, qui auraient cherché ainsi à mériter leur grâce ; il est beaucoup plus probable que cette première attaque faisait partie du plan de combat.
  28. La lutte continua pendant plusieurs années entre Louis de Bavière et Frédéric le Beau ; elle se termina par la défaite de ce dernier en 1322.
  29. Voir la carte en couleur no 3.
  30. C’est la Tellsplatte.
  31. Une autre version de la tradition place la mort de Gessler, non pas au chemin creux de Kusnach, mais à la Tellsplatte. Guillaume Tell, après avoir sauté sur le rocher, se serait retourné et aurait tiré sur le bailli.