Histoire de la Révolution russe (1905-1917)/Chapitre XXV


XXV


On put croire un instant, au commencement de septembre 1915, que l’union était faite entre le tsar et le pays. Avant de prendre le commandement en chef des armées, avec Alexeiev comme chef d’état-major, Nicolas II prononça des paroles réconfortantes. Toutes les organisations de la Russie avaient répondu à l’appel de la patrie ; le tsar répéta qu’il était décidé à poursuivre la guerre jusqu’à la victoire, à quoi Rodzianko répondit que la Russie, serrée autour de son souverain, était prête à tous les sacrifices pour briser à jamais les chaînes allemandes. Mais les causes de désaccord étaient trop profondes pour que des paroles éloquentes pussent les écarter. Une nouvelle rupture eut pour prétexte le vœu exprimé par toute la gauche de la Douma de voir enfin établir la responsabilité ministérielle devant l’assemblée. Irrité ou circonvenu, Nicolas II prorogea la Douma jusqu’au 14 novembre (16 septembre). « Le renvoi de la Douma, dit un journal américain[1], pourrait être à bon droit compté à Berlin parmi les succès allemands sur le front oriental. Le tsar vient de porter un coup à ses alliés en rompant avec les représentants du peuple. » Pendant une semaine, il y eut des grèves et des tentatives d’émeute. Puis la réaction reprit de plus belle. Le prince Stcherbatov fut remplacé par un membre de la droite, Khvostov, ancien gouverneur de Nijni ; député à la quatrième Douma, il s’était signalé à l’attention en interrompant le discours du trône par le cri retentissant : « Vive S. M. le tsar, autocrate de toutes les Russies ! » Le premier acte de ce ministre de l’Intérieur fut de proclamer la loi martiale à Moscou. Mais les élections au Conseil de l’Empire assurèrent des gains importants au bloc progressiste (novembre). Trepov, nommé ministre des Communications (31 octobre), passait pour un homme énergique ; toutefois, son passé l’inféodait à la réaction. En 1913, étant gouverneur de Kiev, il s’était acharné contre un groupe de sculpture, placé à l’entrée d’une exposition industrielle, qui représentait un ange penché sur un ouvrier, comme pour le protéger et le bénir. « Pur socialisme ! » s’écria Trepov ; et il fit enlever la figure de l’ouvrier — n’osant toucher à l’ange — pour le remplacer par l’écusson de la ville.

En novembre, la réunion de la Douma fut de nouveau différée. Un congrès des zemstvos et des municipalités devait s’assembler à Moscou : il fut interdit. En revanche, les congrès de la droite à Pétrograd et à Nijni furent autorisés et le ministre de l’Intérieur y envoya des représentants. Comme pour défier la Douma, on y tint les discours les plus violents : le Gouvernement fut invité à supprimer la Constitution, à rétablir l’autocratie intégrale, à museler la presse. Chose plus grave, des hommes qui avaient appartenu au Gouvernement depuis la guerre déplorèrent la politique qui avait conduit à une rupture avec l’Allemagne. Une fois de plus, les tendances germanophiles de l’extrême-droite étaient ouvertement confessées.

  1. New-York Nation, 1915, II, p, 371.