Histoire de la Révolution russe (1905-1917)/Chapitre VIII


VIII


Ces élections ne devaient pas avoir lieu suivant les règles fixées par la déclaration impériale d’octobre 1905. Bien que Nicolas II se fût engagé à ne pas modifier la loi électorale sans la Douma, il passa outre : l’ukase du 16 juin est un acte contraire à l’honneur. Le nombre des députés fut réduit ; la nouvelle procédure des élections, extrêmement compliquée, eut pour objet de mettre le pouvoir effectif aux mains des classes possédantes, par la formation d’une série de collèges électoraux. Le suffrage devint presque exclusivement indirect. De cette violation d’engagements solennels et de l’activité malfaisante du secrétaire d’État Kryjanovsky, il résulta que la droite eut la majorité dans la troisième Douma ; son président élu, Khomiakov, était un octobriste, mais le vice-président, prince Volkonsky, appartenait à la ligue des Cents Noirs.

La troisième Douma (novembre 1907 à novembre 1912) n’eut qu’une apparence d’activité. Des deux mille deux cents projets qu’elle discuta et adopta, la plupart étaient ce que les Russes appelaient « du vermicelle », de petites lois d’intérêt local ou particulier ; il y en eut très peu qui touchaient aux besoins essentiels du peuple ; la plus importante visa la suppression partielle de la propriété communale et familiale du sol, constituant une classe nouvelle de petits propriétaires paysans (21 décembre 1907).

Cette réforme, proposée par Stolypine, qui n’était pas sans astuce, avait pour but caché de créer une classe de paysans conservateurs, afin de faire échec aux tendances socialistes du mir, affirmées par les élections paysannes des deux premières Doumas. Dès la fin de 1912, on constatait que la réforme avait échoué ; la pauvreté de la plupart des paysans était telle qu’ils se trouvaient relativement mieux sous le régime communal. Seize pour cent seulement des chefs de familles avaient constitué en propriétés individuelles les terrains qu’ils possédaient dans le mir. On vit nombre de paysans, après s’être détachés de la communauté, abandonner leurs fermes en ruines pour émigrer en Sibérie ou se faire ouvriers dans les villes, ne pouvant même gagner le pain de chaque jour sur des terres de cinq à sept hectares seulement. Au bout de quatre ans, un tiers des terres reconnues comme la propriété légitime des paysans avait déjà passé en d’autres mains[1].

  1. Discours de Melgunov à la Douma (Darkest Russia, 2 juillet 1913).