Chapman et Hall (p. 153-163).


CHAPITRE VII.

les élections de la commune.

Sans tenir compte du mauvais vouloir, de l’hostilité, de la haine, des propositions ridicules, des projets odieux, sinistres et insensés de l’assemblée de Versailles, les électeurs de Paris procédèrent, le 26 mars, avec calme, en bon ordre et en toute liberté, aux élections des membres de la Commune.

Le temps était magnifique ce jour-là ; une grande foule se promenait dans les rues, tout était tranquille, l’ordre le plus parfait régnait partout, disaient alors tous les journaux sans distinction de couleur politique.

Le scrutin pour la nomination des membres du Conseil Communal a été ouvert à 8 heures du matin ; les électeurs se sont rendus paisiblement dans les diverses sections électorales des vingt arrondissements, afin de remplir leur devoir de citoyens-électeurs ; chacun d’eux a voté en toute liberté, aucune pression, aucune influence n’ont été exercées sur eux. Jamais la liberté du vote n’a été observée aussi scrupuleusement.

Le Comité Central de la garde nationale a prouvé jusqu’au bout son esprit libéral et son impartialité, son respect de la souveraineté du peuple et du suffrage universel. Sa loyauté a été égale à sa modestie et à son désintéressement.

Le même jour, afin de donner une nouvelle preuve de sa modération, il faisait mettre en liberté le général Chanzy.

Le Comité Central aurait, s’il avait été moins porté aux mesures de clémence, parfaitement pu retenir cet officier supérieur de l’armée, et même le faire condamner, car il avait la preuve que le général Chanzy était venu avec son armée dans l’intention d’organiser la résistance contre le Comité Central, et de conspirer contre lui avec Thiers, Jules Favre, Saisset, Schoelcher, Langlois, et tous les renégats du Quatre-Septembre.

Mais le Comité Central feignit d’oublier ou d’ignorer ce crime, la clémence, presque toujours bonne conseillère, l’emporta dans son esprit, et nous l’en félicitons bien sincèrement. C’était une manière aussi généreuse qu’intelligente d’honorer le scrutin du 26, et de préparer sous les meilleurs auspices l’avènement du nouveau pouvoir.

Les élections ont donné raison aux partisans de la Commune ; les candidats dévoués à cette dernière ont en effet triomphé dans tous les arrondissements, excepté dans les 1er, 2me, 9me, et 16me, où les conservateurs l’ont emporté.

Dans le premier arrondissement, celui du Louvre, l’un des plus aristocratiques de Paris, les candidats de la Commune, les citoyens Vésinier, Miot et Pillot, ont obtenu un nombre de voix bien supérieur à celui qu’ils espéraient ; le premier d’entre eux a eu 3 500 voix. Le même phénomène s’est produit dans le 2me arrondissement.

Le Comité Central de la garde nationale a eu un grand nombre de ses membres influents élus à l’assemblée de la Commune. L’association internationale des travailleurs a obtenu le même succès.

Les élections communales du 26 mars ont été une grande victoire pacifique remportée par la révolution démocratique et sociale.

Presque tous les élus sont des prolétaires, l’élément bourgeois ne figure parmi eux qu’en infime minorité. Le plus grand nombre d’entre eux sont des ouvriers, tous à l’exception des candidats des 1er, 2me, 9me et 16me arrondissements sont des travailleurs soit de la main, soit de la pensée. Quelques-uns exercent, il est vrai, ce que l’on est convenu d’appeler des professions libérales, mais ils n’en sont pas moins dévoués à la cause de la révolution démocratique et sociale, et à l’émancipation des prolétaires. Parmi eux nous citerons les citoyens Félix Pyat, Delescluze, Blanqui, Flourens, Miot, dont les principes révolutionnaires sont suffisamment connus.

D’autres citoyens moins célèbres n’étaient pas non plus des ouvriers, mais tous servaient avec dévouement et courage la cause de ces derniers. Citons parmi eux :

Le citoyen Tridon, avocat, n’ayant jamais exercé sa profession que pour se défendre devant les tribunaux de l’Empire, qui l’ont condamné à de nombreuses années de prison, et la dernière fois à la déportation.

Le citoyen Rigault, étudiant, ex-rédacteur de La Marseillaise, de La Patrie en Danger, et de plusieurs autres journaux républicains, socialistes et libres-penseurs. Le citoyen Rigault avait fait ses preuves sous l’Empire, en combattant courageusement pour la cause du Peuple et de la Révolution. Il avait bravé et subi de nombreuses condamnations pour la défense et la revendication de ses idées politiques, philosophiques et sociales. Rigault était un des plus dévoués, des plus courageux et des plus intelligents membres de la Commune.

Le citoyen Protot, jeune avocat très-distingué, un des accusés dans l’affaire dite de la Renaissance, dont la plaidoirie admirable, devant la sixième chambre, avait été fort remarquée. Quoique bien jeune encore, le citoyen Protot avait déjà beaucoup travaillé pour la cause de l’affranchissement du prolétariat.

Le citoyen Vermorel, avocat devenu journaliste et publiciste, auteur de plusieurs volumes d’histoire, qui s’était toujours fait remarquer par ses attaques vigoureuses contre les hommes de l’opposition, qu’il accusait avec raison d’avoir perdu la République et compromis toutes les libertés par leur conduite coupable, leurs mesures réactionnaires, et leurs décrets liberticides.

Le citoyen Paschal Grousset, ex-rédacteur de La Marseillaise, condamné par la cour de Blois, écrivain original, et révolutionnaire hardi et dévoué.

Le citoyen Vaillant, ancien étudiant instruit, intelligent, et très-profondément convaincu, ayant mis son savoir au service de la révolution sociale.

Le citoyen Jules Vallès, écrivain de talent, journaliste populaire, ayant pris part à un nombre considérable de publications démocratiques et socialistes, et un des pamphlétaires les plus aimés du peuple parisien.

Le citoyen Cournet, rédacteur principal du Réveil, républicain militant bien connu par son zèle et son dévouement.

Le citoyen Arthur Arnould, ex-rédacteur du Rappel et de La Marseillaise.

Les citoyens Regère, docteur ; Lefrançais, ex-maître d’école ; Goupil, docteur ; Parisel, docteur ; Jules Allix, économiste ; Eudes, étudiant ; Verdure, ex-instituteur, rédacteur de La Marseillaise ; Léo Meillet, avocat ; J.-B. Clément, journaliste ; Bergeret, officier ; etc., n’appartenaient pas à la classe ouvrière proprement dite, mais tous avaient ses aspirations, ses besoins, et poursuivaient le même but qu’elle en politique, en philosophie et en économie sociale.

Les autres membres de la Commune étaient presque tous des ouvriers proprement dits. Il y avait encore un des élus du 26 mars, le citoyen Beslay, qui n’était pas ouvrier mais un riche rentier.

Voici par arrondissement la liste exacte du résultat des élections communales du 26 mars :

1er Arrondissement (Louvre).
(Résultat complet. — Quatre conseillers à élire.)
Adam 
 7 272
Méline 
 7 251
Rochard 
 6 629
Barré 
 6 294
(Ces quatre candidats sont élus.)
Vésinier 
 3 566
Grandjean 
 3 458
Dr Pillot 
 3 309
Jules Miot 
 3 219


2e Arrondissement (Bourse).
(Complet. — Quatre conseillers à élire.)
Brelay 
 7 025
Loiseau-Pinson 
 6 922
Tirard 
 6 386
Cheron 
 6 068
(Ces quatre candidats sont élus.)
Pothier 
 4 422
Serraillet 
 3 711
Durand 
 3 656
Johannard 
 3 639


3e Arrondissement (Temple).
(7 sections — 5 conseillers.)
A. Arnaud 
 8 679
Demay 
 8 736
Pindy 
 7 816
Cléray 
 6 115
Clovis Dupont 
 5 661
(Ces cinq candidats sont élus.)


4e Arrondissement.
(11 sections — 6 conseillers.)
Lefrançais 
 8 705
Arthur Arnould 
 8 584
Clémence 
 8 173
Gérardin 
 8 104
Amouroux 
 7 906
(Ces cinq candidats sont élus.)
Louis Blanc 
 5 232


5e Arrondissement.
(5 sections — 5 conseillers.)
Régère 
 4 026
Jourde 
 3 949
Tridon 
 3 948
Blanché 
 3 271
Ledroit 
 3 236


6e Arrondissement (Saint-Sulpice).
Albert Leroy 
 5 800
Goupil 
 5 111
Varlin 
 3 602
Beslay 
 3 714
Docteur Bobinet 
 3 904
(Ces cinq candidats sont élus.)
G. Courbet 
 1 172
Laccord 
 1 146
Hérisson 
 956


7e Arrondissement.
(12 sections sur 19.)
Dr Parisel 
 3 367
Ernest Lefèvre 
 2 859
Urbain 
 2 803
Brunel 
 1 947
(Ces quatre candidats sont élus.)
Ribeaucourt 
 968
Arnaud (de l’Ariége) 
 653
Toussaint 
 627


8e Arrondissement.
Raoul-Rigault 
 2 175
Vaillant 
 2 145
Arthur Arnould 
 2 114
Allix 
 2 028
(Ces quatre candidats sont élus.)
Carnot 
 1 922
Aubry 
 1 840
Denormandie 
 1 804
Belliard 
 1 618


9e Arrondissement.
(6 sections sur 9 — 5 conseillers.)
Ranc 
 8 950
Desmarest 
 4 232
Ulysse Parent 
 4 770
E. Ferry 
 3 732
Nast 
 3 691
(Ces cinq candidats sont élus.)
Dupont de Bussac 
 2 005
George Avenel 
 1 449
Docteur Sémerie 
 1 382
Briosne 
 1 085


10e Arrondissement.
(Résultat complet. — 5 conseillers.)
Fortuné (Henri) 
 11 042
Pyat (Félix) 
 11 813
Gambon 
 14 734
Rastoul 
 10 325
Babick 
 10 738
Olive 
 3 986


11e Arrondissement.
Mortier 
 19 397
Delescluze 
 18 379
Protot 
 18 062
Assy 
 18 041
Eudes 
 17 392
Avrial 
 16 193
Verdure 
 16 577


12e Arrondissement (Bercy-Reuilly).
(8me et 11me sections.)
Varlin 
 2 312
Geresme 
 2 194
Fruneau 
 2 173
Theisz 
 2 150
(1re, 2me et 3me sections, les mêmes candidats l’emportent à une forte majorité.)


13e Arrondissement.
Léo Meillet 
 6 631
Général E. Duval 
 6 482
Chardon 
 4 663
Frankel 
 4 480


14e Arrondissement (Montrouge).
(Trois conseillers. — Résultat complet, sauf une section.)
Billoray 
 6 100
Martelet 
 5 927
Descamps 
 5 830
(Ces trois candidats sont élus.)


15e Arrondissement (Grenelle).
Parisel 
 2 773
Lefèvre 
 2 370
Urbain 
 2 304
Brunel 
 1 528
Bibeaucourt 
 1 247


16e Arrondissement (Passy-Auteuil).
(Deux conseillers.)
Dr Marmottan 
 2 036
De Bouteiller 
 1 909
Félix Pyat 
 1 332
Victor Hugo 
 1 274
(Les deux premiers sont élus.)


17e Arrondissement (Batignolles).
Varlin 
 9 356
Clément 
 7 121
Gérardin 
 6 142
Chalin 
 4 547
Malon 
 4 199
(Ces candidats sont élus.)


18e Arrondissement (Montmartre).
(6 sections sur 12 — 7 conseillers.)
Dereure 
  
Theisz 
  
Blanqui 
  
J.-B. Clément 
  
Th. Ferré 
  
Vermorel 
  
Paschal Grousset 
  
(Ces candidats sont élus avec 14 000 Voix environ.)


19e Arrondissement.
(10 sections sur 16.)
Puget 
 9 547
Oudet 
 10 060
Delescluze 
 5 840
Jules Miot 
 5 520
Cournet 
 5 540
Ostyn 
 4 100
(Ces six candidats sont élus.)


20e Arrondissement (Belleville et Charonne).
Ranvier 
 14 127
Bergeret 
 14 003
Blanqui 
 13 498
Flourens 
 13 333

La Nouvelle République résume comme suite le résultat définitif des élections :

“ Le nombre des votants a dépassé le chiffre de 250 000.

“ La moyenne des voix attribuées aux candidats élus dépasse le quart des électeurs inscrits ; elle est très-supérieure à la majorité moyenne ordinaire dans les élections municipales.

“ La liste révolutionnaire a triomphé dans seize arrondissements sur vingt, les 3e,4e, 5e,6e, 7e,8e, 10e,11e,12e,13e,14e,15e,17e,18e,19e, et 20e, et remporté un demi-succès dans le 9e.

“ Les 1er,2e, 9e et 16e arrondissements seuls ont voté pour la réaction, représentée par les maires et les adjoints. ”