Histoire de l’abbaye d’Hautecombe en Savoie/Note 5

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N° 5 (Page 174.)

Analyse d’un procès entre les communiers de Giez et l’abbaye d’Hautecombe pendant le xvie siècle.

À la suite de concessions de droits de pâturage sur le groupe des montagnes de Chérel, faites aux habitants de la commune de Giez en Genevois, par le vice-châtelain de Duingt, agissant au nom d’Humbert, comte de Genevois, par le seigneur de Dingy et par celui de Beauviviers[1], co-seigneur de Duingt, le 28 septembre 1399, les droits de l’abbaye sur ces mêmes montagnes eurent besoin d’être délimités.

Les parties s’en rapportèrent à la décision d’arbitres choisis. Par transaction du 3 septembre 1405, il fut convenu, en conformité du rapport des arbitres, que les terres possédées par l’abbaye à titre d’albergement seraient séparées de celles que tenait au même titre la commune de Giez, par un roc s’élevant entre le plateau Curtillis ursi et le plateau du Mollard de France.

Cette transaction ne fut point acceptée par l’abbaye. Elle s’adressa à Amédée VIII, souverain du Genevois depuis 1401, pour la faire réformer comme portant atteinte à ses droits. Le conseil du comte de Savoie, saisi de l’affaire, ordonne à la noble dame de Duingt Jeanne-Alamande, au seigneur de Beauviviers, à leurs jupes et officiers, de pourvoir sur la demande de l’abbaye, alléguant que, tant en vertu d’un contrat passé autrefois avec Pierre, seigneur de Duingt, qu’en vertu d’une longue possession et de justes titres, elle avait seule le droit de pâturage sur toute la montagne de Chérel, dont l’ordonnance indique les confins. Aussi, après informations prises par les châtelains de Duingt et de Beauviviers, il fut fait inhibition à Jean Dumoulin, procureur des habitants de Giez, d’y conduire le bétail, sous peine de 25 livres pour chaque habitant. Malgré cette défense, quelques hommes de Faverges y font paître leurs bestiaux parce que, disent-ils, ils tiennent ce droit du comte qui, à cause du château de Duingt, paie un servis annuel à l’abbaye.

Telles étaient leurs allégations. Sur ce, une enquête ait ordonnée par Pierre Bovet, juge de Duingt et de Beauviviers, et confiée aux notaires Guillaume d’Aillon et Aymon Pistons, suivant commission donnée à Annecy, le 27 juillet 1406.

Après avoir examiné les dépositions des témoins, le juge de Duingt confirme tous les droits revendiqués par l’abbaye. (19 octobre 1406.)

Appel de ce jugement par la commune de Giez devant François Marchand, juge des appels et des nullités pour le comte de Genevois. — Opposition de l’abbaye, disant que rappel avait été interjeté plus de neuf mois après la sentence. — Confirmation du premier jugement, le 10 décembre 1407. — Transaction nouvelle, faits nouveaux, recours au Conseil résident de Chambéry et au Conseil particulier du prince, renvoi au juge des appels. Enfin, le 17 janvier 1418, acquiescement définitif des deux parties à la dernière sentence[2].

Soixante-six ans plus tard, un procès semblable recommence.

Hélène de Luxembourg, comtesse de Genevois et dame de Duingt, avait succédé aux anciens seigneurs de Duingt. Les religieux d’Hautecombe réclament sa protection et lui exposent que les seigneurs de Duingt leur avaient concédé le droit de pâturage sur la montagne de Chérel et que, néanmoins, quelques personnes y coupent les bois, y construisent des maisons et y conduisent leurs bestiaux. Ils lui demandent de faire cesser ces méfaits et d’en punir les auteurs. Une enquête a lieu devant nobles Hugues Croset et Magninet, vice-châtelains de Duingt. Comme d’habitude, un arrangement intervient entre les religieux et leurs adversaires. Néanmoins, l’année suivante, de nouvelles usurpations ayant été commises, l’abbaye s’adresse à la cour de Rome pour que ses droits soient protégés par les armes spirituelles. À la suite de cette démarche, l’official de l’évêque de Belley lance l’excommunication contre ceux qui empiéteront sur les droits de l’abbaye, et les fait citer devant lui.

Les religieux appuient leurs prétentions sur les donations d’Aymon de Aula et de Raymond de Duingt, qui leur avaient concédé tous leurs droits sur Chérel. Le 14 juin 1487, leurs adversaires demandèrent pardon, promirent de ne plus reconduire leurs troupeaux sur la montagne de Chérel, de n’y plus construire leurs chalets, et ils furent relevés de l’excommunication[3].

Les religieux d’Hautecombe recoururent-ils à la Cour de Rome parce que la noble dame de Duingt ne défendait pas assez bien leurs droits ? C’est possible ; car, peu après, une nouvelle discussion s’éleva sur leur nature et leur étendue. On parvint néanmoins à s’entendre, et, le 17 septembre 1493, une transaction intervint entre l’abbaye, Louise de Savoie, les habitants du plateau de Ruange, la communauté de Giez et les seigneurs de Beauviviers. Louise de Savoie, qui était aux droits des seigneurs de Duingt, reconnut que l’abbaye en avait reçu le domaine utile, le fonds et la propriété de la montagne de Chérel dans les confins indiqués dans l’acte, et qu’à elle et au seigneur de Beauviviers appartenaient la souveraineté (jus superioritatis), la juridiction, le mère et le mixte empire[4].

Cette transaction fut ratifiée par l’abbé et les religieux, le 9 octobre suivant.

  1. La Tour, à l’extrémité sud du lac d’Annecy. Rég, gen., n° 1561.
  2. Bibliothèque de l’auteur. — Voir, à la fin de cet ouvrage, divers documents relatifs à ces procès, sous n°° 29 et 30.
  3. Voir Documents, n° 35.
  4. Voir Documents, n° 36.