Histoire de l’Europe des invasions au XVIe siècle/32

CHAPITRE III

LES ÉTATS EUROPÉENS
DEPUIS LE MILIEU DU XVe SIÈCLE
JUSQU’AU MILIEU DU XVIe SIÈCLE

I. — La politique internationale

Ni les grandes transformations sociales, ni les grandes crises de la pensée ne coïncident nécessairement avec les modifications de la politique internationale. La Renaissance, la Réforme, le capitalisme ont sans doute exercé une influence profonde sur la vie des divers États ; ils n’en ont exercé aucune sur les conditions toutes nouvelles qui, depuis le milieu du xve siècle, déterminèrent la situation de ces États à l’égard les uns des autres. C’est au jeu des conjonctures que l’Europe a dû, au même moment où elle subissait tant de changements intellectuels, religieux et économiques, d’assister aussi à une perturbation radicale dans le système des forces qui, depuis le commencement du xiiie siècle, s’y trouvaient en présence.

Les cinquante années qui s’écoulent depuis la fin de la Guerre de cent ans ont suffi à bouleverser l’ordre traditionnel de la politique. La grande lutte de la France et de l’Angleterre n’a pris fin que pour placer la communauté européenne devant des problèmes inattendus. Tandis qu’en Occident, des nouvelles puissances entrent en scène : l’État bourguignon le long des côtes de la Mer du Nord, et au sud des Pyrénées l’État espagnol englobant désormais en un seul bloc monarchique la Castille et l’Aragon, à l’Orient l’Empire turc menace le monde chrétien d’une nouvelle invasion de l’Islam. Le hasard, cette force mystérieuse qui se plaît continuellement à déjouer les calculs des hommes, a donc fait que dans le même temps où une période critique débute dans l’histoire interne de l’Europe, celle-ci est obligée de faire face au péril extérieur.

L’invasion turque est sans doute le plus grand malheur qui, depuis la fin de l’Empire romain, ait affligé l’Europe. Partout où elle s’est avancée, elle a apporté la ruine économique et la décadence morale. Tout les peuples qui ont été soumis au joug, Bulgares, Serbes, Roumains, Albanais, Grecs, sont retombés dans un état voisin de la barbarie dont ils ne devaient sortir qu’au commencement du xixe siècle. Les Germains, qui avaient envahi l’Occident au ve siècle, n’étaient pas moins brutaux que les Turcs. Mais ils s’assimilèrent tout de suite à sa civilisation supérieure en se convertissant au christianisme, et furent bientôt absorbés par les populations conquises. Entre l’islamisme des Turcs, au contraire, et le christianisme de leurs sujets, aucune conciliation n’était possible. La différence des religions devait les rendre impénétrables les uns aux autres et perpétuer parmi eux le régime abominable d’un État ne reposant que sur la force, ne se maintenant que par l’exploitation et n’existant qu’au prix d’entretenir sans cesse chez les conquérants le mépris du vaincu et chez le vaincu la haine du conquérant. Sauf une partie du peuple albanais, aucune des nations soumises au sultan ne s’est convertie à l’islamisme et les Turcs n’ont fait d’ailleurs aucun effort pour les convertir. Au point de vue religieux, il suffisait à la gloire d’Allah que ses fidèles régnassent sur les giaours ; au point de vue politique, il ne fallait, pour maintenir cet État qui ne s’éleva jamais au-dessus de la conception primitive d’un régime purement militaire, que réduire les chrétiens au rôle de contribuables. Ainsi leur religion, en les privant de toute espèce de droits, assurait mieux leur servitude. Depuis Selim Ier (1512-1520) leur sang même fut soumis à l’impôt. Périodiquement les plus beaux enfants étaient arrachés à leurs parents, les filles pour servir aux plaisirs des hommes, les garçons pour être versés dans le corps des janissaires, après avoir été initiés à l’Islam.

L’Europe qui n’avait pu empêcher la prise de Constantinople, ne put empêcher davantage les progrès de la puissance turque sur le continent et dans le bassin de la Méditerranée. Les papes cherchèrent vainement à ranimer en elle l’esprit des Croisades. Leur propagande — dont le moine Campistan fut l’agent le plus remarquable — réussit bien à susciter des bandes de volontaires, mi-enthousiastes, mi-aventuriers, mais ce qu’il eût fallu, c’eût été une coopération des divers État à la défense commune, et une telle coopération était impossible. Les historiens qui en rendent responsable le prétendu égoïsme national des États modernes, oublient que les États du Moyen Age ne s’associèrent jamais en commun contre les Musulmans. Le caractère universel des Croisades leur vient de la participation des peuples, mais non de celles des gouvernements. Leur échec, contre des adversaires bien moins redoutables que les Turcs, prouve d’ailleurs que l’on n’eût rien pu en attendre quand bien même les conditions morales et sociales qui les avaient favorisées n’eussent pas disparu sans retour. Le seul moyen de résister avec succès à l’offensive turque eût été une ligue générale de toute l’Europe, unissant en un seul faisceau les ressources financières et militaires durant plusieurs années. Les coalitions du xviie siècle contre Louis XIV, celle du xixe contre Napoléon, celle de 1914 contre l’Allemagne donnent une idée du genre d’effort qui eût pu réussir. Mais les États du xve siècle en étaient matériellement incapables. Le péril n’apparaissait d’ailleurs aux plus puissants d’entre eux que comme une menace trop lointaine pour exiger leur intervention. Ils abandonnèrent le poids de la lutte à ceux qu’elle touchait directement.

Or les voisins immédiats des Turcs se trouvaient malheureusement hors d’état de leur tenir tête. Rien n’est plus lamentable que l’incapacité dont ils firent preuve et qui rendit inutile tant d’héroïques dévouements. En unissant leurs forces, la république de Venise, les Habsbourg d’Autriche, les rois de Bohême, de Hongrie et de Pologne auraient élevé devant l’ennemi une puissante barrière. Au lieu de cela, chacun ne se laissa guider que par ses ambitions ou ses intérêts et jamais ils n’agirent de commun accord. Venise ne se résigna qu’à des tentatives décousues, entreprises sans élan et terminées par les paix désastreuses de 1479 et de 1502 qui, de son magnifique domaine d’îles et de ports levantins, ne lui laissèrent que la seule Candie. Quant aux Habsbourg, qui avec quelque grandeur d’âme auraient pu devenir les sauveurs, au moins les champions de l’Europe, ils ne parvinrent pas à se hausser au-dessus d’une politique avide et tâtillonne. Frédéric III (1440-1493) et Maximilien (1493-1519) restèrent prudemment loin des batailles et n’envisagèrent les événements dont ils étaient incapables de comprendre la portée, que sous le point de vue dynastique, épiant l’occasion de s’approprier les couronnes de Bohême et de Hongrie, but suprême des louches intrigues de leurs ancêtres.

Après la mort d’Albert d’Autriche en 1439, sa veuve appuyée par Frédéric III, avait essayé de conserver la Bohême et la Hongrie à son fils Ladislas, enfant posthume dont la longue minorité promettait d’être aussi fatale pour les peuples qu’avantageuse aux desseins habsbourgeois. La noblesse hongroise déjoua cette machination en offrant la couronne au roi de Pologne Vladislav III, tandis que les Tchèques reconnaissaient comme régent Georges Podiébrad. Vladislav périt en 1444, les armes à la main à la bataille de Varna, en combattant les Turcs. Ladislas avait cinq ans. Les magnats hongrois le réclamèrent à Frédéric III qui refusa de le leur livrer ; alors ils confièrent au plus vaillant d’entre eux, Jean Hunniade, le gouvernement et la défense du pays. Hunniade mourut en 1456, après avoir sauvé Belgrade, et Ladislas étant mort lui-même l’année suivante, Frédéric III s’empressa de réclamer pour sa maison la Bohême et la Hongrie. D’ailleurs, aussi avide que poltron, il ne se hasarda pas à agir et, sans tenir compte de ses prétentions, les Tchèques élurent roi Georges Podiébrad, et les Hongrois, Mathias Corvin, le fils de Hunniade (1458). Ce fils d’un héros fut un politique. Au lieu de tourner ses armes contre les Turcs, qui s’emparaient de la Serbie en 1458, subjuguaient la résistance de l’Albanie (1479) après la mort de Georges Castriot (Scanderberg, 1468), prenaient possession de la Bosnie et de l’Herzégovine et forçaient les principautés de Moldavie et de Valachie à leur payer tribut, il préféra chercher son agrandissement au détriment de ses voisins chrétiens. Le pape ayant excommunié Georges Podiébrad qui s’appuyait sur les utraquistes tchèques, et ayant prononcé sa déposition, il en profita pour l’attaquer et se faire proclamer roi de Bohême (1469) par les catholiques. Puis il se tourna contre Frédéric III qui cherchait à miner sournoisement sa puissance, marcha contre lui et l’expulsa de Vienne en 1485. Il mourut cinq ans plus tard après avoir donné à la Hongrie un éclat passager et des succès stériles. Il ne laissait pas d’héritier, et aussitôt les Habsbourg toujours aux aguets, revendiquèrent sa succession. Elle leur échappa de nouveau sans lasser leur patience. Les Hongrois reconnurent pour roi le prince polonais Vladislas, auquel les utraquistes tchèques avaient déjà donné la couronne du vivant de Mathias Corvin. Maximilien d’Autriche s’arrangea avec lui par un de ces traités matrimoniaux, dans l’art desquels sa maison excellait. Un double mariage unit Louis, fils de Vladislas, à Marie d’Autriche, petite fille de Maximilien, et Ferdinand, son petit-fils, à Anne de Hongrie. Après la mort de son père (1516), le jeune Louis II dut marcher contre Soliman II qui, ayant achevé la conquête de la Péninsule balkanique, se tournait maintenant vers la Hongrie et venait d’entrer dans Belgrade (1521). Il fut battu et tué à Mobacz en 1526. Cette défaite fut un des plus beaux triomphes de l’Autriche qu’elle mettait en possession des couronnes de Bohême et de Hongrie depuis si longtemps convoitées et que la victoire du Turc lui assurait enfin. Ferdinand se contenta du reste de succéder aux droits de son beau-frère. C’eut été le moment d’appeler l’Allemagne à la défense de ses frontières menacées. Mais l’Allemagne, troublée par la crise de la Réforme, était plus incapable que jamais de tout effort collectif. Les princes protestants voyaient dans les Turcs des alliés providentiels ; les princes catholiques n’entendaient pas, en luttant contre eux, assurer aux Habsbourg un accroissement de force qui les emplissait de jalousie. Soliman s’avança donc sans peine jusqu’à Pesth et parvint en 1529 sous les murs de Vienne que la mauvaise saison et les maladies de son armée l’empêchèrent de prendre. Du moins conserva-t-il toute la Hongrie jusqu’à l’Enns et Ferdinand consentit à lui payer tribut, lors de la paix qu’il fut contraint de conclure en 1547. La Hongrie fut divisée en sandjaks, sauf une étroite bande de territoire au nord et à l’ouest, ainsi que quelques parties de la Croatie et de la Slavonie qui restèrent aux Habsbourg. La Transylvanie et la partie orientale du pays formèrent des principautés particulières sous la vassalité de la Porte. Soliman lui-même transforma en mosquée la principale église de Pesth.

L’Empire turc parvient sous son règne (1520-1566) à la plus grande étendue qu’il ait jamais atteinte. Déjà sous Selim Ier (1512-1520), les bords de la Mer Noire avaient été occupés et les Tartares de la Crimée soumis au tribut. Dans la Mer Égée, Rhodes était conquise en 1522 et les chevaliers de Saint-Jean qui l’avaient héroïquement défendue, se transportaient à Malte où Charles-Quint les appela, et qu’ils devaient conserver jusqu’à la Révolution française[1]. La Mésopotamie, la Syrie, l’Égypte étaient annexées (1512-1520). Alger et Tunis, conquises par le corsaire renégat Barberousse, devenaient des postes avancés du Grand Seigneur dans la Méditerranée orientale. Ainsi, au milieu du xvie siècle, l’Islam possédait en Europe une situation bien plus formidable que celle qu’il y avait jamais eue à l’époque de sa grande expansion. Mais il devait en être de cette seconde poussée comme de la première. Le moment de son apogée fut aussi celui de son déclin. Ce n’est pas d’ailleurs que les Turcs, comme les Musulmans du xe et du xie siècle, aient compensé par leur civilisation ce qu’ils perdirent depuis lors en vigueur guerrière. Barbares ils étaient, barbares ils sont restés. Il n’y a rien là d’ailleurs, à mon sentiment, qui tienne à la race. Les Turcs ne se sont trouvés en contact, tant en Asie qu’en Europe, qu’avec les civilisations décadentes du khalifat de Bagdad et de l’Empire byzantin trop faibles pour s’imposer à leurs vainqueurs. D’autre part, l’organisation purement militaire de l’État a empêché chez eux le progrès social. Mais comme un tel État est improductif, il ne peut se maintenir que par la conquête. Il s’épuise dès que la guerre cesse de lui procurer les ressources qu’il est incapable de produire lui-même. Il doit s’agrandir toujours, se soumettre toujours de nouveaux tributaires pour pouvoir subvenir à son entretien. Le désordre des finances, l’oppression fiscale avec toutes leurs conséquences politiques, économiques et morales, se sont abattus sur la Turquie depuis que son expansion s’est arrêtée. Sans doute, elle a eu encore par instant des sursauts de vigueur. Mais à l’envisager d’ensemble, son histoire depuis la mort de Soliman II est celle d’un incurable déclin. Elle aurait depuis longtemps disparu du nombre des États si les puissances européennes n’avaient sauvegardé son existence faute d’entente sur le partage de ses dépouilles. L’admirable situation qu’elle occupe sur les détroits lui a donné une importance internationale qui l’à préservée du sort de la Pologne. L’Europe a toléré l’attentat commis contre un peuple chrétien ; elle n’a pas encore réussi à expulser les envahisseurs musulmans dont la présence sur son sol est un malheur et une honte pour la civilisation. Il est étonnant de penser que les Maures industrieux et inoffensifs du royaume de Grenade ont été refoulés en Afrique à la fin du xve siècle et que les Turcs sont encore à Constantinople en 1918. Faute de pouvoir les expulser, on s’est peu à peu accoutumé à leur présence et sans cesser de les considérer comme des intrus, on a fini par leur faire place dans la communauté européenne. Bien plus ! on a été de bonne heure jusqu’à les mêler à des querelles. François Ier n’a-t-il pas recherché contre Charles-Quint l’appui de Soliman II ?

Cette alliance, si monstrueuse à première vue, n’est qu’une des conséquences du bouleversement politique de la chrétienté depuis le milieu du xve siècle.

La Guerre de cent ans, en prenant fin, avait laissé la France et l’Angleterre dans des situations bien différentes. En Angleterre, la lutte éclata presque tout de suite entre les maisons d’York et de Lancastre, et pendant que la noblesse se massacrait sur les champs de bataille et qu’à travers des perfidies, des crimes et des meurtres abominables, Edouard IV, Henri VI, Édouard V et Richard III arrivaient au trône ou en étaient précipités, le pays dut renoncer, jusqu’au jour où l’avènement du premier Tudor, Henri VII, en 1485, lui rendit le repos, à toute intervention active dans les affaires du continent. La France, au contraire, jouit sous Charles VII d’un calme réparateur. On eut pu la croire épuisée par l’épouvantable crise dont elle sortait. Il suffit de quelques années pour en faire disparaître les traces. Pour la première fois, la nation fit preuve de ce ressort et de cette nerveuse énergie qu’elle a toujours montrés après les grandes catastrophes de son histoire. Lorsque Louis XI succéda à son père en 1461, elle était redevenue sans conteste la plus grande puissance de l’Occident. Mais elle se trouvait aussi dans une position internationale toute nouvelle et qui allait modifier radicalement le cours de sa politique extérieure.

On peut dire que, depuis la fin du xie siècle, celle-ci n’avait cessé d’être déterminée par la nécessité vitale de repousser l’Angleterre du sol français. Ses interventions dans les Pays-Bas comme ses rapports avec l’Empire ou avec la Péninsule hibérique se ramènent presque sans exception à cette grande lutte. L’Angleterre était non seulement l’ennemie essentielle ; elle était la seule ennemie de la France. Elle n’en avait pas sur le continent où elle n’y eut que ceux qui lui furent suscités par l’Angleterre, Othon IV en Allemagne et les comtes de Flandre aux xiiie et xive siècles. A part cela, elle était en repos sur ses derrières et pouvait consacrer toutes ses forces à faire face à l’ouest. Or, au moment où s’achève la Guerre de cent ans, cet état de choses disparaît pour toujours. C’en est fait de l’antique sécurité continentale du royaume. C’est sur ses frontières de terre ferme qu’il va désormais avoir à lutter et, par un renversement complet de la tradition, l’Angleterre ne l’attaquera plus à l’avenir qu’en se coalisant avec ses adversaires d’Europe.

La formation de l’État bourguignon marque le point de départ de ce tournant dans l’histoire politique. On a vu plus haut comment Philippe le Bon avait profité de sa participation à la Guerre de cent ans pour grouper sous son pouvoir, à côté de la Flandre et de l’Artois, la plus grande partie des principautés territoriales nominalement dépendantes de l’Empire, qui s’étendaient des Ardennes au Zuiderzée, duchés de Luxembourg et de Brabant, comtés de Hainaut, Namur, Hollande et Zélande.

À ce bloc de possessions, Charles VII, en concluant la Paix d’Arras avec le duc (1439), avait annexé les villes de la Somme. Le duché et la Franche-Comté de Bourgogne s’ajoutaient à ce magnifique domaine dont ils n’étaient séparés que par la Lorraine et l’Alsace qu’ils menaçaient d’absorber. Ainsi, en quelques années, s’était constitué au nord et à l’est du royaume une puissance nouvelle qui occupait approximativement la place prise jadis, au ixe et au xe siècle, par l’éphémère royaume de Lotharingie. Les Pays-Bas sortaient du morcellement féodal pour s’unir sous une même dynastie en un seul État, commun ancêtre de la Belgique et de la Hollande moderne. Un sol fertile, une situation géographique incomparable au bord de la Mer du Nord, des fleuves profonds, des ports excellents, une population laborieuse et plus dense qu’en aucune autre partie de l’Europe au nord des Alpes, des villes florissantes, célèbres dans le monde entier par leur draperie ou par leur commerce, dont l’une, Bruges, était depuis trois siècles le grand port international de l’Occident et dont une autre, Anvers, préludait à une prospérité plus étonnante encore, la navigation entreprenante de la Hollande et de la Zélande qui commençait dès lors à se substituer à celle de la Hanse en décadence, enfin dans les régions agricoles de la Wallonnie, un peuple robuste et guerrier, tout cela semblait s’être réuni par miracle pour faire du jeune État une « terre de promission » et assurer à ses souverains le prestige extraordinaire qui a entouré Philippe le Bon et son fils Charles le Téméraire.

Mais plus ce nouveau voisin était riche et puissant, plus il était dangereux pour la France. Qu’il le voulût ou non, il était pour elle une menace permanente. D’Amiens ses troupes pouvaient, en deux jours de marche, paraître sous les murs de Paris. Et surtout, il s’imposait à l’Angleterre comme un allié naturel par la situation qu’il occupait. Il fallait craindre qu’à la première guerre il ne jouât de nouveau le rôle que les comtes de Flandre avaient joué si souvent au Moyen Age, mais cette fois avec des forces décuplées. En somme, la France semblait n’avoir expulsé les Anglais de son territoire que pour se voir exposée maintenant, sur sa frontière du nord, partout ouverte et sans défenses naturelles, aux entreprises de la Bourgogne.

Le conflit, déjà latent entre Charles VII et Philippe le Bon, devait éclater sous leurs successeurs, Louis XI et Charles le Téméraire. La crise fut violente, mais elle fut courte. Les troubles civils de l’Angleterre l’empêchèrent d’y prendre part au moment opportun. Charles ne put compter au début que sur le duc de Berry, le frère du roi, sur le duc de Bretagne, le dernier grand vassal de la couronne, et sur quelques seigneurs ligués avec lui sous prétexte du « bien public » du royaume. Mais les coalisés ne s’entendaient pas entre eux. Après sa défaite à Montléry, le roi traita tout de suite et n’eut pas de peine à les détacher les uns des autres. Il restait seul en face du Bourguignon et pouvait se consacrer tout entier à sa perte. Il excitait contre lui les Liégeois qu’il devait désavouer au moment du péril, intriguait en Allemagne, en Angleterre, en Suisse, en Savoie, à Milan et à Venise, subtil, insaisissable et enserrant peu à peu dans les rets de la plus rusée des diplomaties, son fougueux adversaire. On a souvent caractérisé Charles en face de Louis XI, comme le dernier représentant de la féodalité aux prises avec le premier souverain moderne. Rien n’est moins exact. A part la différence des génies personnels, aussi prudent et aussi habile chez le roi qu’il était emporté et aventureux chez le duc, la différence de leur politique vient de la différence même de leurs États. Celle du prince français le rattache à une tradition séculaire et vise à ce même but de défense et d’unité nationale auquel ont tendu depuis le xiie siècle, avec plus ou moins de bonheur ou de talent, tous les prédécesseurs dont il tient sa couronne. La puissance bourguignonne, au contraire, est trop récente, elle a été échafaudée trop rapidement, elle est encore trop peu solide, trop mal liée entre ses parties, pour pouvoir imposer à celui qui la dirige des vues fermes et précises. Formée par la conquête, elle le pousse d’autant plus à de nouvelles conquêtes que les ressources qu’elle lui procure sont plus considérables et peuvent facilement le tromper sur ses forces réelles. La conduite de Charles justifie le mot de Machiavel, qu’un État se soutient par les mêmes forces qui l’ont créé. Il faut reconnaître d’ailleurs que beaucoup de ses entreprises s’imposaient à lui comme l’achèvement de l’œuvre de Philippe le Bon. L’annexion de la Gueldre et celle du pays de Liège complétaient au nord le bloc des Pays-Bas, et ses tentatives pour s’approprier l’Alsace et la Lorraine s’expliquent par la nécessité de relier à ceux-ci la Franche-Comté et le duché de Bourgogne. Mais on s’arrête difficilement dans la voie des conquêtes. Aveuglé par le succès et l’amour de la gloire, Charles a bientôt perdu de vue le possible et le réel et oublié les intérêts de ses peuples. Il rêve de se faire couronner roi des Romains, de se faire céder par le vieux René d’Anjou ses prétentions au royaume de Naples. Son expédition contre Neuss (1474-1475) où il s’obstine avec une passion maladive pour humilier l’empereur et l’Empire, lui fait manquer le moment de rallier Édouard IV d’Angleterre qui vient de débarquer à Calais pour marcher contre Louis XI et qui s’empresse de conclure la paix avec le roi en se voyant abandonné par son allié. L’occupation de la Lorraine entraîna le duc l’année suivante dans une guerre contre les Suisses. Vaincu coup sur coup à Granson, puis à Morat (1476), c’en est fait de son prestige militaire qui en imposait encore à l’Europe. Louis XI se prépare à prendre l’offensive. René de Lorraine rentre dans Nancy. La catastrophe de Charles était certaine. Elle fut plus rapide, plus tragique et plus profonde que ne l’espéraient ses ennemis. Attaqué par les Suisses pendant qu’il assiégeait Nancy, avec une armée réduite par la trahison de ses mercenaires italiens à quelques milliers d’hommes, il se jeta en désespéré dans la mêlée. Deux jours plus tard (7 janvier 1477), on retrouva sur la glace d’un étang son cadavre à demi dévoré par les loups et percé de trois blessures mortelles.

S’il n’avait tenu qu’à Louis XI, l’État bourguignon eût disparu en même temps que lui. Pendant qu’il s’emparait des villes de la Somme et envahissait l’Artois et la Bourgogne, le roi combinait un plan de partage des Pays-Bas qui, lui en donnant une partie et attribuant le reste à des seigneurs français ou à des princes allemands, les eût fait retomber dans le morcellement et l’impuissance. La réaction particulariste provoquée par la mort du duc dans toutes les provinces irritées par son despotisme secondait admirablement ses projets. Il était trop fin diplomate pour ne pas mener où il voulait les naïfs ambassadeurs bourgeois, députés élus par les États généraux précipitamment réunis à Gand et qu’aveuglait le désir de la paix et du rétablissement des franchises et des privilèges urbains. Mais le hasard généalogique, facteur mystérieux dont dépendirent surtout les destinées des États aux temps de la politique monarchique, allait le placer en face d’un péril bien plus grand pour la France que ne l’avait été le péril bourguignon qu’il se flattait d’écarter. Charles le Téméraire, en effet, ne laissait qu’une fille, Marie de Bourgogne dont le mariage déciderait du sort de ses domaines. Les Habsbourg n’avaient pas manqué naturellement de jeter les yeux de bonne heure sur une aussi riche héritière. Sept fois fiancée au gré des entreprises et des alliances de son père, elle avait été promise en dernier lieu à Maximilien d’Autriche. Cette promesse n’eût sans doute pas été plus valable que les autres si le duc avait vécu. Elle devenait pour Marie de Bourgogne le seul espoir de salut dans sa détresse. Pour échapper aux tentatives de Louis XI, elle offrit sa main à l’Autrichien. L’occasion était trop belle pour n’en pas profiter. Maximilien se hâta d’accourir et l’union fut conclue à Bruges, le 28 août 1477.

C’était un expédient bâclé sous la pression de la nécessité. Et pourtant jamais mariage politique n’a exercé une telle influence sur l’avenir de l’Europe. En faisant entrer le jeune État bourguignon dans l’ensemble hybride des domaines habsbourgeois, non seulement il le condamnait à subir désormais le contre-coup des combinaisons de la plus ambitieuse et de la plus avide des dynasties, mais il ouvrait en même temps entre la France et la maison des Habsbourg le long conflit qui ne devait se terminer qu’au xixe siècle. Brusquement, l’Autriche que tout semblait orienter vers les pays danubiens, prenait pied au bord de la Mer du Nord, entre les deux grandes monarchies de l’Occident. Rien, si ce n’est l’appétit territorial ne l’y appelait. Elle n’avait aucune mission à y remplir, aucun intérêt à y défendre, si ce n’est celui de ses princes. Sa politique purement dynastique s’y trouva dès les premiers jours en conflit avec les besoins et les aspirations des peuples. Encore si son but avait été de rétablir sur les Pays-Bas la suzeraineté désuète de l’Empire ! Mais tout au contraire elle entend bien ne les conserver que pour soi et ses efforts ont toujours tendu à les séparer de l’Allemagne. La situation qu’elle y occupe, à l’envisager au point de vue de la communauté européenne, apparaît donc aussi absurde qu’artificielle. Et de là les catastrophes qu’elle devait amener. Ce n’est pas impunément qu’à aucune époque les intérêts des princes et ceux des peuples se sont trouvés divergents. L’histoire de la maison de Habsbourg en est la démonstration saisissante. En acquérant les Pays-Bas, elle s’est trouvée entraînée dans cette voie de domination universelle, dans cette politique d’agrandissement pour l’agrandissement où les nations ne comptent que comme des héritages, les pays comme des domaines, et qui devait faire d’elle jusqu’à nos jours, l’ennemie jurée de toutes les aspirations nationales et de toutes les libertés publiques.

On ne peut s’étonner que les Pays-Bas aient laissé s’accomplir en silence un acte aussi fatal pour eux-mêmes. Leur fusion en un seul corps d’État était encore trop récente pour avoir pu y provoquer le sentiment de l’indépendance nationale. D’ailleurs, en pleine révolution particulariste, chaque province ne songeait qu’à soi-même et les bourgeois de Gand, qui menaient le mouvement, ne se préoccupaient que de rétablir les vieux privilèges municipaux et ne regardaient pas au delà du cercle étroit de leur politique locale. Quand ils se trouvèrent devant le fait accompli, il était trop tard. Le mariage de leur « princesse naturelle » avait fait d’eux des sujets de la maison d’Autriche pendant qu’ils discutaient sur leurs franchises.

Les intrigues de la France ne manquèrent pas d’attiser et d’entretenir dans les Pays-Bas, sous Louis XI comme sous Charles VIII, le mécontentement général, d’agiter les Liégeois, de soulever la Gueldre et de paralyser ainsi les forces de Maximilien. Après la mort de Marie de Bourgogne (1482), la plus grande partie des villes et de la noblesse ne le considérèrent plus que comme un intrus et lui disputèrent la tutelle de son fils Philippe le Beau. Les Liégeois, soumis par Charles le Téméraire, reprirent leur indépendance, ainsi que la Gueldre. Maximilien, dont l’Empire se désintéressa complètement, se débattait impuissant au milieu de ce chaos. Il dut même souffrir l’humiliation, en 1488, d’être retenu pendant plusieurs semaines prisonnier des Brugeois. Malgré son alliance avec le roi d’Angleterre et le duc de Bretagne, la guerre entrecoupée qu’il fit à la France ne pouvait mener à rien de définitif. Elle fut provisoirement interrompue en 1493 par la Paix de Senlis.

A l’altération introduite dans la politique internationale par la naissance de l’État bourguignon, l’unification de l’Espagne, résultat du mariage d’Isabelle de Castille avec Ferdinand d’Aragon (1469), fit succéder bientôt une perturbation complète. Jusqu’alors les royaumes espagnols s’étaient trouvés trop faibles pour pouvoir intervenir activement dans les destinées de l’Europe. La guerre contre les Maures avait d’abord absorbé toutes leurs forces jusqu’au milieu du xiiie siècle. Puis, au moment où l’œuvre allait être achevée, des rivalités dynastiques, les querelles des rois avec la noblesse, et de la noblesse avec les villes, l’avaient interrompue, sauvegardant l’existence précaire du royaume musulman de Grenade. Favorisé par sa situation maritime, l’Aragon avait bien employé son activité au dehors, expulsé les Anjous de Sicile au profit d’une ligne collatérale de sa dynastie, conquis les Baléares, pris pied en Corse et en Sardaigne. Mais cette vigoureuse poussée s’était arrêtée dès le milieu du xive siècle à la suite de luttes avec la Castille, de dissensions dans la famille royale, de révoltes de Barcelone et de la Catalogne. La Castille était plus travaillée encore et plus affaiblie par les prétentions et l’insubordination de sa noblesse. Aucune force ne parvenait à s’imposer à une société vigoureuse, mais anarchique, quand l’union doublement nationale de Ferdinand et d’Isabelle, non seulement mit fin au long coflnit qui épuisait leurs royaumes, mais leur permit d’en rallier, puis d’en subordonner les peuples à leur pouvoir et de leur en imposer si profondément l’empreinte, de les soumettre si complètement à leur direction, dans tous les domaines de l’activité, que sans doute dans aucun pays ni à aucune époque, souverains n’ont exercé une action plus profonde.

Dans l’État espagnol, tel qu’ils l’ont fondé, le sentiment catholique et le sentiment politique s’associent si complètement l’un à l’autre qu’ils se confondent. La monarchie appelle à son aide le vieux fanatisme religieux de ses sujets, et sa cause s’identifie à leurs yeux avec celle de la foi. Son zèle pour l’orthodoxie l’a rendue profondément nationale et au milieu du plus intolérant des peuples, son intolérance a été l’instrument de son succès. Dès 1480, l’inquisition chargée de surveiller les Juifs convertis (maranos), devient, sans perdre son caractère ecclésiastique, une institution de l’État puisque l’État nomme le grand inquisiteur et que les jugements qu’il rend ne peuvent être portés en appel à Rome. La figure de Torquémada est inséparable de celles de Ferdinand et d’Isabelle. Tous trois sont sincères dans leur haine de l’hérésie, et si la couronne confisquant à son profit les biens des condamnés morts sur le bûcher, s’enrichit de leurs supplices, elle n’en profite que pour aborder de nouvelles entreprises aussi avantageuses pour elle-même que pour l’Église. La guerre sainte, depuis longtemps interrompue, est reprise contre les Maures, si bien que la constitution définitive du territoire national apparaît comme le résultat d’une Croisade. Mais il ne suffit pas de combattre les Musulmans. Les Juifs ne sont pas moins qu’eux les ennemis du Christ. En 1492, l’année même de la conquête de Grenade, ils étaient expulsés du royaume. Cette conquête et cette expulsion firent regorger le trésor et fournirent les ressources nécessaires aux progrès de l’expansion politique et religieuse. Pendant que Christophe Colomb s’élançait à la découverte d’un monde nouveau à soumettre et à convertir, les expéditions dirigées contre les côtes du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, semblaient annoncer que toutes les forces de l’Espagne allaient entrer en lice contre l’Islam. Rien ne paraissait mieux répondre à son caractère, à son rôle historique, à ses intérêts mêmes de peuple méditerranéen. Rien n’aurait pu en tous cas lui procurer une gloire plus belle et un plus grand ascendant que de se faire, en face du Turc, le champion de l’Église et de l’Europe. Rien enfin n’aurait plus hautement justifié ce titre de « rois catholiques » que Ferdinand et Isabelle venaient de recevoir d’Alexandre VI. Mais, arrivée à ce moment décisif de son histoire, l’Espagne dévie. Elle se détourne de la guerre sainte pour se laisser entraîner par les ambitions dynastiques de ses princes. Sans s’apercevoir qu’elle renonce à sa mission, elle va concentrer toutes les énergies qu’elle a acquises dans ses conflits séculaires avec le Croissant, à leur soumettre le continent chrétien, pour retomber enfin sur elle-même, ruinée, épuisée, par deux cents ans d’efforts, et presque aussi stérile que les côtes voisines du Maroc dont elle a sacrifié la conquête certaine et profitable aux rêves de domination universelle de ses souverains.

Pour trouver le point de départ d’une évolution aussi considérable, il faut remonter à la lointaine intervention de l’Aragon dans les affaires de Sicile. Depuis lors, les Anjou possédant sur la terre ferme le royaume de Naples, et les princes aragonais régnant dans l’île, n’avaient cessé de se trouver en conflit. La mort de la reine Jeanne de Naples (1435) qui, après avoir reconnu comme son successeur Alphonse d’Aragon, avait plus tard légué sa couronne à René d’Anjou, aurait certainement fait éclater une guerre si l’indolence et la faiblesse de René s’y étaient prêtées. Mais en mourant (1480), il avait légué ses prétentions à la maison de France. Charles VIII, l’héritier de Louis XI, brûlait de les faire valoir. Après avoir, par la Paix de Senlis (1493), mis provisoirement la frontière du nord à l’abri des entreprises habsbourgeoises, il passait les monts (1494} et, traversant l’Italie étonnée, venait prendre la couronne de Naples. Ce ne devait être que la courte aventure d’un jeune prince amoureux de gloire. Dès l’année suivante, le pape réunissait contre l’envahisseur Milan et Venise. Ferdinand et Isabelle, par solidarité pour leurs parents de Sicile, se joignirent à la coalition. Charles n’eut que le temps de battre en retraite et de rentrer en France où il mourut en 1498. Son successeur Louis XII devait malheureusement reprendre ses traces. Outre Naples, il revendiquait encore Milan, comme descendant de Valentine Visconti et, dès 1499, il s’en emparait presque sans coup férir. Un traité avec Ferdinand d’Aragon, stipulant le partage du royaume de Naples, lui permit sans plus de difficultés d’en prendre la part qu’il lui reconnaît. Mais Ferdinand rompit bientôt la convention. La guerre éclata, les Français furent vaincus et Louis XII, en 1505, renonça à toutes ses prétentions sur Naples qui devait depuis lors jusqu’aux Temps Modernes n’être plus qu’une possession espagnole. Il ne conserva pas Milan beaucoup plus longtemps. Le pape Jules II unissait contre lui en 1511 Venise, Ferdinand, puis bientôt après Maximilien et Henri VIII d’Angleterre. Louis dut quitter l’Italie pour courir au nord tenir tête aux Anglais qui, après l’avoir battu à Guinegat, se rembarquèrent, mécontents de Maximilien et faisant la paix.

A les envisager dans l’ensemble de l’histoire de France, les expéditions de Charles VIII et de Louis XII en Italie apparaissent comme de simples hors-d’œuvre. Elles ne se rattachent à aucune nécessité nationale. Provoquées uniquement par l’ambition dynastique, ce furent des «guerres de magnificence », c’est-à-dire des guerres inutiles. Elles contribuèrent sans doute à accélérer dans le royaume le goût et la passion de la Renaissance. Mais la politique qu’elles inaugurèrent, et qui ne devait être décidément abandonnée que sous Henri II (Paix de Cateau Cambrésis), n’aboutit qu’à un vain gaspillage d’hommes et de finances. Leur seul résultat durable fut d’orienter l’Espagne vers l’Italie et, par une conséquence inévitable, de la rapprocher de la maison de Habsbourg.

Il était évident, en effet, qu’entre Maximilien luttant contre la France dans les Pays-Bas, et les rois catholiques luttant contre elle dans le royaume de Naples, l’alliance politique et sa suite obligée, l’alliance dynastique, allaient s’imposer à bref délai. Dès 1496, le double mariage de don Juan, l’héritier de Ferdinand et d’Isabelle, avec Marguerite, fille de Maximilien, et de Philippe le Beau, son fils, avec l’infante Jeanne, attachait étroitement les deux familles. Rien ne pouvait faire prévoir en ce moment que leurs héritages dussent jamais se confondre en un seul. Mais une fois de plus la nature travailla pour les Habsbourg. La mort faucha le chemin devant eux. Les décès successifs de don Juan (1497), de sa sœur aînée Isabelle (1498) et du fils de celle-ci, don Miguel (1500), appelèrent Jeanne et Philippe le Beau à recueillir la succession des royaumes espagnols. Six ans plus tard, Philippe était enlevé inopinément par une fluxion de poitrine, léguant ses droits à son fils Charles, à peine âgé de sept ans. Ferdinand vécut assez longtemps pour épargner au frère orphelin le danger de lui succéder avant d’être sorti de l’enfance. Quand le vieux roi mourut en 1516, son petit-fils venait d’être proclamé majeur.

Charles-Quint est un des très rares personnages depuis l’Antiquité dont le nom jouit d’une audience universelle. Il s’en faut de peu qu’il ne soit aussi célèbre que Charlemagne ou que Napoléon. Pourtant ce n’est pas à son génie, c’est à ses héritages qu’il doit sa grandeur. Avec des aptitudes médiocres, il s’est trouvé porté par les circonstances à une telle fortune qu’avant lui le seul Charlemagne et après lui le seul Napoléon ont exercé sur l’Europe une action aussi étendue. En lui viennent aboutir trois dynasties et confluer trois histoires : celles d’Autriche, de Bourgogne et d’Espagne. Petit-fils de Maximilien de Habsbourg et de Marie de Bourgogne en même temps que de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille, il se trouve posséder à la fois tant de parties de l’Europe, qu’elle semble promise tout entière à son pouvoir. Il a, en Allemagne les duchés autrichiens, le long de la Mer du Nord les Pays-Bas, sur la côte de l’Atlantique l’Espagne, au centre de la Méditerranée le royaume de Sicile. Et avec ces héritages, il a naturellement recueilli les prétentions qui s’y rattachent : celles de l’Autriche sur l’Empire, sur la Bohême et sur la Hongrie ; celles des Pays-Bas sur la Bourgogne, celles de l’Espagne sur l’Italie et les côtes barbaresques. A cela s’ajoute enfin le Nouveau Monde que les conquistadors lui soumettent. Fernand Cortez s’empare du Mexique de 1519 à 1527. François Pizare du Pérou de 1531 à 1541. L’étonnante conquête de l’Amérique du Sud est achevée avant la mort de Charles. Toutefois, trop récente encore sous son règne, elle n’a ni contribué à augmenter sa puissance, ni influé sur sa politique. Les conséquences ne s’en manifesteront que sous son fils. Pour lui, tous ses projets, comme toutes ses ressources, sont encore déterminés par la vieille Europe. Son titre de « dominateur des îles de la Mer Océane » et sa devise « plus oultre » ne sont que les présages d’un avenir qu’il a tout au plus pu pressentir.

Au moment où l’Espagne lui échut par la mort de Ferdinand (23 janvier 1516), puis l’Autriche par celle de Maximilien (12 janvier 1519), il était aussi complètement étranger à la première qu’à la seconde. Élevé dans les Pays-Bas par des seigneurs belges qui, ne voyant en lui que « leur prince naturel » n’avaient pas même pensé à lui faire apprendre ni l’allemand — qu’il ne sut jamais — ni l’espagnol, il choqua tellement les Castillans lorsqu’il apparut au milieu d’eux en 1517, ne parlant que le français et entouré de favoris flamands et wallons, qu’ils l’accueillirent par la révolte des Comuneros. Mais il ne lui fallut pas longtemps pour se composer l’attitude distante, froide et impersonnelle qui s’imposait à un prince destiné à régner sur des populations et sur des pays si divers.

S’il conserva, toute sa vie, par souvenir de jeunesse, quelque prédilection pour les Belges, il n’appartenait en réalité à aucun des peuples dont il hérita les couronnes et il lui fut facile de leur montrer à tous une impartialité qui provenait de son indifférence. Insensible à tout sentiment national, il n’eut en vue que la grandeur de sa maison. Il régna sur les pays que le hasard groupa sous son sceptre, sans s’intéresser à aucun d’entre eux ou, pour mieux dire, en ne s’y intéressant que dans la mesure où il répondait à ses desseins. Le contraste éclate entre lui et ses contemporains François Ier, ou Henri VIII, dans lesquels semblent s’incarner la France et l’Angleterre. Comparé à eux, il n’est qu’un souverain sans caractère propre, parce qu’il est sans patrie, et auquel la popularité ne s’est attachée nulle part.

Déjà Ferdinand et Isabelle, par leur politique italienne, avaient commencé à détourner l’Espagne de la lutte contre l’Islam pour la mêler aux conflits de l’Europe. Charles-Quint l’y engagea définitivement. Sans doute il ne renonça pas tout à fait à la conquête des côtes barbaresques. Ses expéditions de 1535 contre Tunis et de 1541 contre Alger se rattachent encore à la tradition. Mais ce ne furent là que de courts intermèdes, des entreprises sans lendemain. Il fallait choisir entre la guerre d’Afrique et la guerre d’Europe, et comment Charles aurait-il pu renoncer à celle-ci sans renoncer en même temps à ses héritages ? Sa politique ne fut pas et ne pouvait pas être celle d’un roi d’Espagne ; elle fut et elle devait être celle d’un Habsbourg, et l’Espagne, sous sa direction, consacra ses forces à la réalisation de desseins qui étaient non seulement étrangers mais opposés à ses vrais intérêts.

À ces desseins, la France devait nécessairement résister de toute son énergie. Le long duel de Charles-Quint et de François Ier ne s’explique nullement par l’opposition de leurs caractères ou de leurs ambitions. La cause profonde en est l’incompatibilité de la politique dynastique du premier avec la politique nationale du second. On pourrait le caractériser en disant que c’est le conflit d’une maison, la maison des Habsbourg, avec une nation, la nation française. Enserrée en effet de toutes parts par les domaines de Charles, au sud par l’Espagne et par l’Italie, à l’est par la Bourgogne, au nord par les Pays-Bas, la France se voyait menacée d’être étouffée par un adversaire qui, ayant triomphé d’elle, jouirait en Europe de la domination universelle. Ce n’était pas seulement son prestige en Europe, c’était sa sécurité qui se trouvait mise en péril par un véritable encerclement. Et à cela s’ajoutait le danger couru par son expansion en Italie, où François Ier venait de reconquérir le Milanais sur le champ de bataille de Marignan (septembre 1515).

La mort de Maximilien en 1519 rendait la situation encore plus redoutable. Charles ne pouvait manquer en effet de poser sa candidature à l’Empire qui, depuis Albert d’Autriche, n’était plus sorti de la maison de Habsbourg. François mit tout en œuvre pour détourner les électeurs de ce trop puissant rival et les amener à donner leurs voix soit à lui-même, soit au moins à Frédéric de Saxe. Mais les Médicis ne purent lui fournir autant d’argent que les Fugger en avancèrent à Charles. Les électeurs étant à l’enchère se vendirent au plus offrant. Le 28 juin 1519, la banque allemande ayant acheté tous leurs suffrages, ils accomplirent le marché et passèrent livraison de la couronne d’Allemagne au roi d’Espagne.

Dès lors, la guerre était certaine. Elle éclata en 1521, sur les frontières des Pays-Bas tout d’abord, où Henri VIII vint joindre ses troupes à celles de Charles, puis elle se transporta en Italie et ne s’interrompit que par l’éclatante défaite du roi de France à Pavie (25 février 1525). Tombé aux mains de son ennemi, François finit par consentir à la Paix de Madrid (14 janvier 1526). Mais il était bien décidé à ne pas en tenir compte et à reprendre les armes. Sa défaite avait rendu sa situation beaucoup meilleure. La victoire de Charles épouvantait tout le monde et la France apparaissait maintenant comme le champion de la liberté de l’Europe. Le pape Clément VII, pour affranchir l’Italie du joug espagnol se rapprochait d’elle et, après le sac de Rome par les bandes allemandes de l’empereur, entrait formellement dans son alliance. Henri VIII agissait de même s’apercevant trop tard qu’il n’avait été dans la campagne précédente qu’un instrument de l’hégémonie habsbourgeoise. Enfin l’explosion du protestantisme en Allemagne et l’invasion des Turcs en Hongrie assuraient la neutralité de l’Empire. L’équilibre était rétabli. En 1529, la Paix de Cambrai rendait la Bourgogne à la France, qui renonçait de son côté à sa suzeraineté périmée sur la Flandre et l’Artois ainsi qu’à ses prétentions sur l’Italie. Les deux adversaires n’attendaient d’ailleurs qu’une nouvelle occasion de recommencer la lutte. L’attitude des princes luthériens y encourageait le roi de France ; il n’hésita même pas à conclure en 1546 un traité avec Soliman II. Ainsi, contre le roi catholique qui venait de violer Rome, le roi très chrétien s’unissait aux hérétiques et aux Musulmans ! La Paix de Crespy, après des campagnes indécises (1544) laissa les choses dans le statu quo. Elle permit du moins à l’empereur de se porter enfin contre les princes protestants d’Allemagne. Sa victoire de Muhlberg ne manqua pas de les jeter épouvantés dans les bras de la France. Pour se procurer le secours du successeur de François Ier, Henri II, qui chez lui poursuivait cruellement les hérétiques, ils lui offrirent les trois évêchés, Metz, Toul et Verdun, (1552). C’était amener enfin la politique française à l’un dés buts qu’elle visait dans la patiente campagne menée par elle depuis le xiiie siècle afin de redresser la frontière tracée en 843 par le Traité de Verdun. Charles dut aussitôt faire face à l’ouest et se détourner des protestants. Tous ses efforts échouèrent devant Metz obstinément défendu par le duc de Guise. Avant d’abdiquer, il conclut avec son adversaire la Trêve de Vaucelles (1556).

Il laissait l’Europe dans l’état le plus menaçant et grosse de guerres inévitables. La succession qu’il transmettait à son fils Philippe II comprenait outre l’Espagne, le royaume de Naples, le Milanais, la Franche-Comté de Bourgogne et les Pays-Bas, sans parler des immenses possessions du Nouveau Monde. L’Italie, subjuguée au sud et au nord, voyait s’évanouir les rêves d’affranchissement qui avaient inspiré les génies si différents de Guichardin, de Machiavel, de Jules II et de Clément VII. Elle ne devait plus être, jusqu’aux Temps Modernes, qu’une expression géographique et la lourde domination espagnole allait achever d’y écraser ce qui y subsistait encore de la civilisation de la Renaissance. Les États du pape et ceux de la république de Venise y conservaient seuls une indépendance que garantissait aux premiers la tradition catholique et que la seconde devait à sa situation maritime. Quant aux Pays-Bas, agrandis par l’annexion définitive du duché de Gueldre et des provinces frisonnes, ils allaient désormais constituer au nord une « citadelle d’acier » aux rois d’Espagne. Par la pragmatique sanction (1549) Charles avait eu soin d’y régler le droit successoral de manière qu’ils ne pussent échapper à ses descendants et, en les constituant par la convention d’Augsbourg (1548) en cercle de Bourgogne, il avait réglé leurs rapports avec l’Empire de telle sorte que celui-ci n’avait plus en réalité d’autre droit sur eux que celui de les défendre. La dignité impériale ne lui avait servi qu’à assurer l’avenir de sa maison. Il n’avait pas seulement enlevé les Pays-Bas à l’Allemagne, il avait même fait obtenir à son frère Ferdinand, en 1531, la couronne de roi des Romains, et lui avait cédé les duchés patrimoniaux d’Autriche qui, s’ajoutant à la possession des couronnes de Bohèmes et de Hongrie échues à Ferdinand en 1526, garantissaient définitivement au centre de l’Europe la puissance habsbourgeoise. Divisée en deux branches, la famille n’en devait pas moins rester unies par l’intérêt dynastique. Par l’Italie, l’Espagne correspondait avec l’Autriche ; par les Pays-Bas, elle lui permettait de dominer plus facilement l’Allemagne, et, grâce aux services qu’elle pouvait lui rendre, elle était assurée à l’avance de sa docilité.

Ainsi le continent était écrasé par le colosse habsbourgeois campé sur l’Autriche et sur l’Espagne. A côté de lui, la France et l’Angleterre paraissaient bien faibles et bien menacées. Mais, c’était David devant Goliath. Elles avaient ce qui manquait à la monstrueuse puissance dynastique qui les affrontait. Au lieu d’être comme elle une juxtaposition de peuples et de pays agglomérés les uns aux autres par le hasard des héritages, que rien, sauf les droits de propriété des souverains, n’unissait entre eux, elles possédaient cette conscience collective que donne la communauté des destinées, la constance des efforts, l’harmonie de la politique des rois avec les tendances nationales. C’est de là que venait leur force et c’est là ce qui leur permit non seulement d’échapper au péril, mais d’en triompher, à travers des péripéties auxquelles la question religieuse déchaînée par la Réforme, allait donner le poignant intérêt des luttes pour la foi.

II. — La politique interne

Ce qui frappe tout d’abord si l’on jette un coup d’œil d’ensemble sur la constitution des États européens de 1540 à 1560, c’est l’augmentation du pouvoir monarchique. Avec Louis XI en France, avec Henri VII en Angleterre, avec Ferdinand et Isabelle en Espagne, il atteint à une force et à un prestige qu’il n’a jamais possédé auparavant, et qui se développera encore sous leurs successeurs. En Hongrie, sous Mathias Corvin, en Suède sous Gustave Waza, il réalise de tels progrès que toute l’organisation politique en est transformée. Il s’impose au jeune État bourguignon sous Philippe le Bon et Charles le Téméraire. Il n’est pas jusqu’à l’Allemagne qui ne s’en ressente. Car si les rois des Romains et les empereurs y demeurent réduits à une autorité nominale, les princes particuliers, dans leurs territoires, y prennent de plus en plus l’apparence de souverains locaux, et l’Autriche, la Bavière, la Saxe, le Brandebourg voient s’imposer à eux des institutions qui, en fait, sont des institutions monarchiques.

Un phénomène aussi général suppose des causes aussi générales que lui-même. L’individualité des princes, la tradition, les circonstances ont évidemment imprimé dans chaque pays un caractère particulier à la monarchie. Mais si grandes que soient les différences locales, la ressemblance des traits essentiels y témoigne que l’évolution correspond partout à des tendances irrésistibles de la société. On se trouve en présence d’une poussée analogue à celle qui, au xe siècle, a produit le régime féodal, et au xiie siècle le régime urbain. Et comme pour ceux-ci, il est permis, sans tenir compte des détails et des nuances, d’esquisser dans ses grandes lignes, un mouvement qui s’est manifesté dans toute l’Europe occidentale[2].

Le pouvoir royal était en rapports trop étroits avec la constitution sociale pour n’être point affecté par la grande transformation économique et intellectuelle à laquelle celle-ci est soumise depuis le milieu du XVe siècle. Le capitalisme, la Renaissance, le luthéranisme ne pouvaient point ne pas agir sur lui, et il est facile de voir qu’ils ont tous collaboré pour leur part à le doter d’une vigueur nouvelle. Chacune de ces grandes forces en lutte contre le passé devait nécessairement rechercher et obtenir l’alliance de l’autorité monarchique. Leur hostilité aux vieux privilèges, aux vieilles institutions, aux vieilles idées qui limitaient cette autorité leur en assurait le concours. Elle prit à leur égard la même attitude qu’elle avait prise en France et en Espagne à l’égard des bourgeoisies, lorsque celles-ci avaient jadis sollicité son appui contre la féodalité. Aujourd’hui comme alors son propre développement dépendait du développement général de la société. En agissant en sa faveur, elle agissait pour elle-même. Son intérêt le plus évident était d’être moderne et de combattre les tendances conservatrices qui s’opposaient autant à ses propres progrès qu’au progrès social. Ne travaillait-elle pas à son profit en aidant le capitalisme à ruiner le particularisme municipal, en favorisant la propagande des humanistes contre les préjugés moraux ou politiques, en protégeant les luthériens qui lui soumettaient la direction et les biens de l’Église ? Tous les droits qui s’opposaient à la puissance de la couronne s’appuyaient sur les traditions. Il n’en fallait pas davantage pour qu’elle approuvât de bonne foi toute critique de cette même tradition et qu’elle considérât comme sa mission d’en affranchir ses sujets et de s’en affranchir elle-même.

Les faits répondent à la question avec une netteté parfaite. Dans tous les pays où le capitalisme se développe, on voit les princes lui prodiguer les preuves de leur bienveillance. Dans les Pays-Bas, ils se prononcent régulièrement en sa faveur contre la politique réactionnaire des métiers urbains, et poussent de toutes leurs forces au développement d’Anvers, la ville de la liberté commerciale. En Angleterre, depuis le règne de Henri VII, la couronne seconde les entreprises des Merchant adventurers et s’intéresse à tous les projets d’expansion maritime. En Espagne, c’est son intervention qui [ rend possible la découverte du Nouveau Monde. En France, Louis XI acclimate le ver à soie dans le midi, fait exploiter des mines, suscite de toutes manières l’initiative économique, et François Ier s’efforce d’introduire dans le royaume des industries italiennes. Protégé par les souverains, le capital met en revanche ses ressources et son crédit à leur disposition. Grâce à lui, ils sont dispensés de recourir aux assemblées d’États pour se procurer les moyens de faire la guerre. Leurs banquiers les affranchissent du contrôle gênant de leurs sujets. La longue lutte de Charles-Quint et de François Ier serait incompréhensible sans le concours de la haute finance. Les Fugger et quantité d’autres maisons d’Anvers n’ont cessé, durant tout le règne de l’empereur, de lui avancer les sommes colossales qu’il dévorait.

La faveur des princes ne s’atteste pas moins clairement pour la liberté intellectuelle que pour la liberté économique. A l’exception des rois d’Espagne, tous affichent leurs sympathies pour les idées que répandent les hommes de la Renaissance, sans s’inquiéter des protestations des théologiens. Érasme est protégé par Charles-Quint et par François Ier ; Thomas Morus est fait chancelier d’Angleterre par Henri VIII. Gattinara et Granvelle, les deux principaux ministres de l’empereur, sont des adhérents convaincus de l’orientation nouvelle des esprits. Il est trop évident, en effet, qu’elle est tout à l’avantage de l’État, car les humanistes ne pouvant attendre que des princes les réformes qu’ils espèrent, le gouvernement des princes leur apparaît par cela même l’instrument essentiel du progrès. Leur mépris du passé leur fait tout attendre de la monarchie et ils lui apportent l’adhésion de cette aristocratie intellectuelle qui, dans chaque nation, se trouve désormais jouir du monopole de représenter l’opinion publique.

La Réforme enfin, du moins à ses débuts, n’a pas moins participé que la Renaissance à cette conspiration de toutes les grandes forces sociales en faveur du pouvoir souverain. Que les princes l’aient protégée ou combattue, ils en ont également profité.



Ici se termine le manuscrit.





  1. Malte fut prise par Napoléon en 1798 pendant sa traversée vers l’Égypte.
  2. En Russie aussi l’expansion de la principauté de Moscou et la croissance du pouvoir de ses princes commencent à la fin du xve siècle, mais les causes en sont dans l’effondrement de la domination tartare et n’ont rien de commun avec le développement de l’Europe. La Pologne aussi reste en dehors du mouvement.