Histoire de l’Asie centrale/Appendice

Traduction par Charles Schefer.
Ernest Leroux (p. 253-304).


APPENDICE




I

KHORASSAN

La notice suivante sur le Khorassan est extraite du tome IX du Fihris out Tewarikh de Riza Qouly Khan. Elle précède le récit de l’expédition entreprise en 1110 (1796) par Aga Mehemmed Khan Qadjar contre les chefs Efchars, Turcs, Kurdes et Uzbeks qui s’étaient partagés cette vaste province pendant les troubles qui suivirent la mort de Nadir Châh.

J’ai placé après la notice de Riza Qouly Khan des détails géographiques et historiques sur les principaux districts et sur quelques villes du Khorassan, détails que j’ai recueillis dans les relations des voyageurs qui ont pu traverser et parcourir ce pays depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours.

Pour les districts et les villes des provinces qui relevaient du gouvernement de Delhy et qui avaient été annexées à l’Afghanistan, je me borne à renvoyer le lecteur à l’ouvrage classique de Walter Hamilton : A geographical, statistical and historical description of Hindostan and adjacent countries, Londres, 1820.

J’ai donné seulement quelques renseignements sur Laghman, Tchârik Kâr, etc., et sur les tribus des Lohany et des Kaukery. Ces renseignements ne se trouvent que dans des ouvrages publiés dans l’Inde et qui ne sont pas parvenus en Europe.

« La frontière du Khorassan, dit Riza Qouly Khan, est la plus étendue de toutes celles qui bordent la Perse et ce pays est la plus noble des colonnes qui soutiennent le royaume : il contient de vastes provinces, on y trouve des villes d’une haute antiquité. Il est borné à l’orient par le Zâboul et le Touran, au nord par le Kharezm et le Gourgan, à l’ouest par l’Iraq et le Mazanderan, au sud par le désert, le Kouhistan, le Sedjestan. Le Zâboul, le Gourgan et une partie du Tabarestan sont, quelquefois, mis au nombre des dépendances du Khorassan.

« Ce royaume est divisé en quatre boulouks ou provinces :

1o Le boulouk du Thokharestan,

2o Le boulouk de Mervi Châhidjan,

3o Le boulouk de Nichâpour,

4o Le boulouk de Hérât.

« Le Khorassan compte vingt-deux villes, dix-sept qassabèhs (gros bourgs), quinze places fortifiées : Esferaïn, Beyhaq, Djouïn, Djadjerm, Khâbouchan, Thous, Nichâpour, Kélât, Isfezâr, Foudjendj, Bakherz, Badghis, Djâm, Djecht, Khâf, Zevarèh, le Ghour, le Ghardjestan, Bâmian, Khoulm, Khoutlan, Thaiiqan, Fariâb, Abiverd, Nessa, Khâveran, Serakhs et Chibreghan dépendent du Khorassan.

Khand, Thabèsi Kileki, Tirchiz, Qaïn, Toun, Thabèsi Sina, Dechtibeyaz et Kenared appartiennent au pays du Kouhistan.

« Le Khôrâssan tout entier est situé sous le quatrième climat. Les montagnes et les collines occupent une superficie égale à celle des plaines. La forme de cette province est allongée de l’orient à l’occident ; il faut pour la parcourir d’un bout à l’autre un mois de marche. Les habitants sont renommés pour leur bravoure et leur générosité ; ils ont également des qualités, la grandeur d’âme, de l’intelligence et le jugement. Dans l’origine ils suivaient le culte des Sabéens ; ils adoptèrent ensuite les doctrines de Zoroastre, enfin ils embrassèrent l’islamisme. On compte aujourd’hui dans cette province plusieurs sectes religieuses.

« La première est celle des Esna Achary (chiites)[1] qui sont extrêmement nombreux. La deuxième est celle des sunnites dont le nombre est également considérable. La troisième est celle des chiites ismaéliens qui suivent la doctrine des Day ismaéliens et spécialement celle de Châh Seyid Nacir Khosrau Alevy[2] : ils sont établis dans les montagnes de Badakhchan, dans celles des Hezarèh et de Bâmian ; ils sont moins nombreux que les chiites et les sunnites. La quatrième est la secte des Nouceïry que l’on appelle aussi les Ghaly[3] ; ils poussent l’exagération jusqu’à accorder le caractère divin à Aly et à l’adorer comme Dieu : ils sont très-nombreux dans le Qouhistan, dans les montagnes des Hezarèh, à Bendi Berber et à Badakhchan. La cinquième : les Juifs, ils sont peu nombreux et ils vivent dans l’abjection. La sixième, les Indiens : ils sont les moins nombreux et les plus faibles.

« Les tribus et les nomades fixés dans le Khorassan échappent parleur multitude à tout dénombrement : ils sont plus nombreux que les étoiles du firmament ; nous pouvons citer parmi ces tribus : celle des Qizil Bach qui compte environ quarante mille familles ; les tribus kurdes forment près de cinquante mille familles ; quant aux tribus arabes qui sont venues dans le Khorassan, sous les khalifes Ommiades et Abassides et qui y résident encore, leur nombre dépasse celui de soixante mille familles.

« Quant aux tribus turques des Hezarèh, des Taïmeny, des Djemchidy et des Timoury qui s’étendent depuis les montagnes de Bâmian jusqu’auprès de Khâf et de Bakherz, le nombre de leurs tentes dépasse le chiffre de cent mille. Les Afghans sont divisés en deux classes : la première est celle des Abdâly que l’on appelle Dourâny : le pouvoir est entre leurs mains et cette tribu compte cent mille familles. La deuxième est celle des Ghalenzay dont le nom a été corrompu en celui de Ghildjaï : elle se compose de trente mille familles. Les Uzbeks et les Turkomans qui descendent de Djenguiz Khan et qui sont fixés à Serakhs, à Badghis, à Merv et dans ses environs, à Balkh et aux alentours de cette ville, sont au nombre de plus de cent mille.

« Le Khorassan, dont le nom signifie terre du soleil et qui est situé à l’est de l’Iran, a été soumis au pouvoir des rois Pichdâdiâns, d’Afrassiab, d’Alexandre, des rois ses successeurs, de la dynastie des Achganiâns et des Sassanides : il a été gouverné par des émirs, représentant les quatre premiers khalifes et par des gouverneurs Ommiades et Abbassides. En l’année 926 (1519), Chah Ismaïl Séfévi l’arracha à la domination étrangère. Le Khorassan subit le joug des sultans Uzbeks et en l’année 1145 (1732), Nadir Châh en fit la conquête. Après la ruine de l’empire de Nadir, le Khorassan présenta le spectacle de l’empire d’Alexandre partagé entre ses successeurs. Depuis le commencement du règne de Kerim Khan Vékil jusqu’à l’époque de Mehemmed Chah Qadjar, les chahzadèhs de la tribu des Efchar le gouvernaient. Les souverains de l’Afghanistan et de Boukhara y faisaient sentir tour à tour leur prépondérance. À la fin du dernier siècle Nadir Sultan, fils de Châh Roukh, fils de Nadir Châh, était le souverain indépendant de Mechhed. Dans le Turkestan, à Boukhara, dans le Kharezm et à Ferghanah, les Uzbeks affichaient la prétention d’être chefs indépendants. Depuis la naissance de la dynastie des Zend, le Khorassan était aux mains des chefs Efchar, fils et petits-fils de Nadir Châh. Le châh de Perse résolut de faire la conquête de cette province et, comme Châh Ismaïl Séfévi et Nadir Efchar, de l’annexer à ses Etats après avoir détruit les princes qui y commandaient : c’était une haute entreprise et un but élevé. »

Hérât. La province ou boulouk de Hérât est bornée au nord par le Tchar Vilayat et le pays des Firouz Kouhy, au sud par le Lach Djorven et le Seïstan, à l’ouest par la Perse et le Héry Roud, à l’est par le pays des Taïmeny, et la province de Qandâhar.

Elle comprend les districts de Ghourian, de Sebzvâr, de Ferah, de Kerak et d’Obèh. On y compte 446 villages, 8 grands canaux et 123 cours d’eau.

Les tribus établies dans la province sont celles des Turkomans Tèkèh, Sariq, Salor, Er Sary, Tchar Sengui, des Hézarèh, des Djemchidy, des Taïmeny, des Firouz Kouhy, des Timoury et des Berberi Hezarèh. Les forces que ces tribus peuvent mettre sur pied s’élèvent à 47,000 cavaliers et 23,000 fantassins.

La majeure partie de la population de la ville de Hérât se compose de Persans suivant le rite chiite ; le reste est Afghan, Hézarèh, Djemchidy et Taïmeny. On y compte sept cents Hindous et une quarantaine de familles juives.

Les historiens et les géographes arabes et persans nous ont laissé des descriptions détaillées de la ville de Hérât et de ses monuments.

Abdoul Kerim leur consacre aussi quelques lignes à la fin de son ouvrage.

Forster, Conolly, M. de Khanikoff et M. Ferrier ont retracé sa situation sous la domination des Afghans. Ce dernier voyageur en a donné une description exacte et complète à laquelle on ne peut reprocher que quelques inexactitudes dans les noms propres.

Hérât fui démantelée par Timour qui l’enleva à Sultan Ghial oud Din. La ville s’étant révoltée à la mort du gouverneur mogol, le fils de Timour, Mirân Châh y pénétra de vive force et la détruisit après en avoir massacré les habitants. Elle fut ravagée par Oulough Bek après la défaite de Yar Aly que les Hérâtiens avaient choisi pour chef.

Hérât fut pillée et brûlée en 864 (1477), sous le règne d’Abou Saïd Sultan Housseïn par Djiban Châh de la dynastie turkomane du mouton noir : en 941 (1554), par Oubeïd Khan et en 997 (1604), par le prince uzbek Abdôul Moumin Khan. Nadir Châh s’en empara en 1143 (1780) après une courte résistance. Ahmed Châh l’enleva à Châh Roukh Mirza. Après la mort de Timour Châh, Hérât échut à Mahmoud, Zéman Châh marcha contre la ville dont il s’empara par la trahison de Qilidj Khan. À la mort de Zéman Châh, Firouz oud Bin devint le maître de la ville. La paix qui suivit la bataille de Chekiban fut rompue en 1231 (1816). Les Persans vinrent mettre le siège devant Hérât. Firouz oud Din implora l’aide de Fêthy Khan. Celui-ci répondit à son appel ; il se jeta dans Hérât, se saisit du pouvoir et marcha contre l’armée persane qu’il défit dans la sanglante bataille de Koussan.

En 1232 (1817), Fethy Khan fut arrêté et privé de la vue par Kamran Mirza qui reconnut la suzeraineté de la Perse et s’engagea à lui payer tribut. Kamran expulsa de Hérât son père Mahmoud Châh qui vint à la tête d’une armée mettre le siège devant la ville : mais, il fut défait et obligé de battre en retraite.

Il revint en 1237 (1821), à la tête d’une nouvelle armée : mais une réconciliation ménagée entre le père et le fils arrêta le cours des hostilités. Il n’entre pas dans mon sujet de poursuivre l’histoire contemporaine de Hérât. Les dissensions intestines, les invasions des Persans, des armées de Boukhara, les incursions des Uzbeks et la turbulence des tribus nomades ont changé le Khorassan, autrefois si prospère, en un pays appauvri et presque désert.

Balkh. La province de Balkh faisait autrefois partie du Khorassan : elle est située au sud et à l’est du khanat de Boukhara.

Balkh Bamy, la capitale, s’élève dans une vaste plaine couverte de ruines à treize fersakhs de l’Amou Deria. Cette ville a reçu des Musulmans les surnoms de Oumm oul Bilad (la mère des cités) et de Qoubbet oul Islam (la coupole de l’islamisme) Elle fut détruite par Djenguiz Khan, puis par Timour qui en massacra tous les habitants. Les environs de Balkh, arrosés par douze canaux dérivés du fleuve sont d’une grande fertilité ; mais le climat est extrêmement malsain. À l’époque où écrivait Mir Abdoul Kerim, le Serdar Nedjib oullah Khan, fils de Hukoumet Khan, gouvernait Balkh au nom du souverain de l’Afghanistan, mais le pouvoir était, en réalité, aux mains de Qilidj Aly Khan de Khoulm qui percevait un revenu de 30,000 roupies : un tiers de cette somme était versé au trésor de Kâboul, les deux autres tiers étaient également partagés entre les kohnèh nouker (vieux serviteurs), reste de la garnison afghane placée à Balkh par Ahmed Châh et les Uzbeks obligés de prendre part aux expéditions militaires en dehors de la province.

Chibreghan est situé à soixante-douze fersakhs au nord-est de Hérât et à dix-sept fersakhs à l’ouest de Balkh. La population s’élève à 12,000 âmes dont la majeure partie est uzbek, le reste parsivân. La ville est commandée par une citadelle dans laquelle réside le gouverneur.

Le petit État de Chibreghan entretient une force de 2,000 cavaliers et de 500 fantassins. Il a été tantôt indépendant, tantôt, selon les circonstances, placé sous la dépendance de Hérât, de Balkh ou de Boukhara.

Fariâb. Le district de Fariâb, célèbre pour la culture du safran, est situé à l’ouest du Djihoun, à trois étapes de Thaliqan et à six journées de Balkh. La ville de Fariâb a donné naissance au poëte Zehir oud Din mort à Tauriz en 598 (1201).

Endkhou. La ville d’Endkhou est située à quarante-deux fersakhs à l’ouest de Balkh, à sept fersakhs au nord-ouest de Chibreghan et à dix-huit fersakhs au nord-est de Meïmenèh. On compte dans la ville environ 3,000 maisons : l’oasis d’Endkhou est, en outre, habitée par des tribus Uzbeks et Efchar qui possèdent environ 3,000 tentes.

Les Efchar furent transplantés du Khorassan à Endkhou par Châh Abbas. Un proverbe persan dit : « Fuis Endkhou ! l’eau y est amère et salée : le sable y écorche : elle est remplie de scorpions et les mouches y sont venimeuses. Éloigne-toi de cette ville, elle est l’image de l’enfer ! » Abdoul Kerim a consacré quelques lignes à Endkhou.

Qoundouz. Les limites de ce petit État ne sauraient être exactement définies. Il est divisé en trois districts : 1o Qoundouz ; 2o Thaliqan ; 3o Hazreti Imam. La population s’élève approximativement à 270,000 âmes. La capitale Qoundouz (kohnèh diz, le vieux château) est située entre les rivières d’Aq Seraï et de Benky. Des canaux dérivés de ces deux rivières fournissent l’eau à la ville et servent à l’irrigation des environs, Thaliqan ne contient que trois cents maisons. La population appartient aux Sarigh Bach (têtes jaunes), fraction de la tribu de Minas.

Meïmenèh. Ce district renferme, outre la ville capitale de Meïmenèh, une dizaine de gros villages dont les plus considérables sont ceux de Qaïsser, Alter, Kafîr Qalèh et Khodja Kend.

La population peut être évaluée à cent mille âmes. Une partie est sédentaire, l’autre nomade. Elle est Uzbek et appartient aux tribus de Min, d’Atchmaly et de Duz.

Après la mort de Nadir Châh et l’élévation d’Ahmed Châh au trône de Kaboul, un Uzbek, soldat de fortune nommé Hadji Khan, qui avait servi dans l’armée de Nadir avec Ahmed Châh, reçut de ce dernier prince le gouvernement de Meïmenèh, sous la seule condition de fournir un contingent militaire. Hadji Khan s’établit à Balkh et fit administrer Meïmenèh par un de ses parents. Son fils Djan Khan qui lui succéda, forcé de s’enfuir à la suite de la révolte des habitants de Balkh et d’Aqtchèh, se retira à Meïmenèh. À sa mort, vers 1790, ses fils se disputèrent le pouvoir. Un d’eux fut aveuglé, un autre périt dans une sédition ; le plus jeune, nommé Ahmed Khan, gouverna Meïmenèh de 1798 à 1810. Il fut massacré dans une révolte. Son fils aîné Mizrab Khan prit la fuite et se réfugia à Mezar, près de Balkh, au tombeau de Châh Merdan (Aly). Son cousin Allah Yar Khan se saisit du pouvoir et l’exerça de 1810 à 1826. Il mourut du choléra.

Les habitants du district de Meïmenèh passent pour être de tous les Uzbeks les plus braves et les plus audacieux. Avant la domination des Afghans, les chefs de Meïmenèh faisaient un commerce considérable d’esclaves qu’ils allaient vendre à Boukhara.

La ville de Meïmenèh est située à vingt-huit fersakhs au nord-est de Hérât, à dix-sept fersakhs au sud-ouest de Balkh et à quarante-cinq fersakhs au sud de Boukhara. La population se compose d’Uzbeks, de Tadjik et d’Hérâtiens. Les chevaux de Meïmenèh jouissent d’une grande réputation. On les exporte à Hérât, à Qandahâr, à Kaboul et dans l’Inde.

Tchidjektou. Ce canton est situé sur la frontière du district de Meïmenèh : la petite ville de Tchidjektou est un lieu de passage où les caravanes doivent payer les droits de transit et de douane.

Ghardjistan. Ce district montagneux confine au Ghour. Le Ghardjistan comprenait autrefois le pays s’étendant jusqu’à Merv et Roud au nord, Ghazna au sud, Hérât à l’ouest, et jusqu’aux montagnes du Ghour à l’est. Ghar, dans le dialecte local, signifie montagne. Les deux villes principales sont Apchmin et Sourmin. Le Ghardjistan a formé un État indépendant dont les chefs portaient le nom de Châr.

On trouve quelques détails sur les princes qui ont gouverné le Ghardjistan dans le Tarikh Yeminy, d’Outby, et dans le Kamil fit Tarikh, d’Ibn el Athir.

Le dernier châr dont il soit fait mention est Aboul Nasr Ahmed, mort en 401 (1010). Le Ghardjistan a dû conserver longtemps son indépendance. Aly Ibn Husseïn Vaizh el Kachefy forcé de s’éloigner de Hérât, se réfugia dans le Ghardjistan en 939 (1532) et il dédia à Châh Mehemmed Sultan qui gouvernait ce pays, son recueil d’anecdotes intitulé : Lethaïf outh Thevaïf.

Bout Bâmian. Le district qui porte ce nom s’étend entre Balkh et Ghazna. La ville de Bout Bâmian est bâtie dans une petite vallée où s’élèvent, en outre, quinze villages fortifiés habités par des Hézarèh et des Tadjik. Le gouverneur du district réside dans un de ces villages.

Au nord de Bout Bâmian on voit une montagne abrupte, percée d’un millier d’excavations et sur la paroi de laquelle sont sculptées deux figures gigantesques appelées par les anciens géographes Sourkh bout (Idole rouge) et Khink bout (Idole blanche). On les désigne aujourd’hui sous les noms de Sersal et de Chemâmèh. Les Hindous de passage à Bout Bâmian rendent un culte à ces deux statues. Burnes en a donné une description détaillée dans son voyage.

Firouz Kouh. Ce district s’étend entre Hérât et Meïmenèh, le long du Héry Roud et du Mourghâb. Il a pour frontières : au nord, le pays occupé par les Turkomans ; au sud, l’arrondissement d’Hérât ; à l’est, les cantons des Mogols ou Charaï et des Hézarèh ; à l’ouest, ceux des Djemchidy.

Les Firouz Kouhy sont d’origine persane. Leurs ancêtres résistèrent vaillamment à Timour et furent transplantés des montagnes du sud du Mazanderan dans le Khorassan. Le district de Firouz Kouh est coupé de ravins et de précipices. Une fraction de la tribu des Firouz Kouhy est établie dans les environs de Nichâpour.

Ghour. La petite province de Ghour est aujourd’hui de fait indépendante de Hérât. Le gouverneur afghan ne peut lever aucun impôt sur la population dont une partie est nomade et dont l’autre partie habite des villages fortifiés.

La ville de Ghour, aujourd’hui Zerny, l’ancienne capitale des princes qui avaient rangé sous leur autorité le Khorassan, l’Afghanistan, le Sind et Lahore, est aujourd’hui en ruines et dépeuplée. Les habitants sont Taïmeny, Zoury et Guèbres.

Le district de Taïmen est situé au pied du Siah Kouh et au nord de la route de Guirichk et de Sebzvâr.

Les districts des Hézarèh sont situés dans la partie montagneuse du pays qui s’étend entre Kâboul et Hérât, et dont le nord est occupé par les Uzbeks et le sud par les Dourâny et les Ghildjaï. Cette contrée est à peu près inconnue ; on sait seulement que les rivières de Khochk, d’Endkhou, le Mourghâb, le Bendi Berber, les rivières de Qoundouz, de Ghazna, l’Erghendâb, l’Hirmend, le Ferâh Roud et le Héri Roud y prennent leur source.

Les Hézarèh sont d’origine mogole et sont venus à la suite de Djenguiz Khan et de Timour.

Aboul Fazl, dans l’Ayini Ekberi, prétend qu’ils faisaient partie de l’armée de Mangou Qaân, et Baber affirme que, de son temps, ils parlaient encore le mogol. Les Afghans les désignent encore aujourd’hui sous le nom de Mogols.

Les Hézarèh fixés dans les environs de Dèh Koundy se donnent comme les descendants d’un Arabe de la tribu de Qoreïch. Les Hézarèh suivent le rite chiite et professent une haine profonde pour les Ouïmaq et les Uzbeks qui sont sunnites. Leur langue est un patois persan.

Les titres en usage dans les tribus Hézarèh sont ceux de khan, sultan, ikhtiar, vely, mir, mehter et terkhan.

Isfezâr. Le district et la ville d’Isfezâr dépendaient autrefois du Seïstan : ils font aujourd’hui partie du boulouk de Hérât.

Ghourian, district situé au nord-ouest de Hérât. La ville de Ghourian est florissante et bien peuplée. Elle se trouve à six fersakhs et demie de Hérât sur la route de Mechhed. Elle est défendue par un château fort.

Khâf. Ce canton est situé au sud-ouest de Tourbeti Djâm. La ville de Khâf renferme cinq cents maisons ; elle est la résidence du chef de la tribu Timoury.

Bakherz. Le canton de Bakherz, situé entre Nichâpour et Hérât, est renommé pour sa fertilité et l’abondance de ses fruits.

Djâm. District fertile et bien peuplé entre Mechhed et Hérât, a pour capitale Tourbeti Cheikh Djâm. Cette ville doit son nom au tombeau d’un saint personnage, Cheikh Ahmed Namiqy, quiy mourut l’an 536 de l’Hégire (1141). On y voit les ruines des monuments élevés en son honneur par les princes de la dynastie de Timour. Les tombeaux et les édifices qui en dépendent ont été restaurés par Châh Abbas à son retour de Qandahâr en 1031 (1621).

Mouhavvelat est un district situé dans la province de Nichâpour au delà de Tirchiz. Je le trouve mentionné dans le Tezkerèhi Mouquim Khany, page 5 de l’édition de M. Senkovsky.

Le Qouhistan est la contrée montagneuse qui sépare la province de Hérât de celle de Nichâpour. Qayn, Toun, Thabèsi Kileki, Thabèsi Sina, sont les principales villes du Qouhistan.

Le Seïstan, Seguestan, Sedjistan ou Nimrouz, est une vaste province dont la partie septentrionale est désignée sous le nom de Zadestan ou Zadjestan : elle est bornée au nord par le Khorassan, au sud par le désert qui la sépare du Béloutchistan, à l’est par l’Afghanistan et à l’ouest par la Perse. Le climat est chaud et malsain ; le sol, en général sablonneux et imprégné de sel, est peu cultivé : il est couvert, surtout dans la partie nord-ouest, de tamarises, de plantes épineuses et d’une herbe dure et grossière. La partie sud-est, appelée Hamoun, est un vaste marécage formé par les débordements du Hirmend et habitée par une race aux formes athlétiques, à la face allongée, d’un aspect repoussant et vivant exclusivement du produit de la chasse et de la pêche.

Le Seïstan était autrefois une province bien cultivée ; on voit encore les traces de nombreux canaux savamment tracés pour les besoins de l’agriculture. On y trouve les ruines immenses de villes jadis florissantes telles que Douchâq, Pichaveran, Poulky. Douchâq, qui ne compte plus que dix mille habitants, a reçu au commencement de ce siècle le nom de Djelal Abâd en l’honneur de Djelal oud Din, fils de Behram Khan, chef du Hamoun.

Timour conquit le Seïstan en 785 (1383), après avoir triomphé de la longue résistance des habitants. Toute la population fut exterminée et les villes détruites, de fond en comble. La plus grande partie de la population du Seïstan se compose aujourd’hui de Tadjik, descendants des anciens Persans, de Beloutchy et d’Afghans.

La ville de Ferâh est bâtie dans une vallée fertile arrosée par le Ferâh Roud. Elle a une enceinte fortifiée en bon état et elle est entourée de jardins. Fêrâh est un lieu de station pour les caravanes qui se rendent de Qandahâr à Hérât.

Bemm est située à deux journées de marche à l’est de Guevachir, capitale du Kerman. Les environs sont bien arrosés et fertiles. Elle est défendue par une forte citadelle et possède trois grandes mosquées. L’une d’elles est affectée aux chiites, l’autre aux sunnites et la troisième aux khawaridj. Bemm jouissait autrefois d’une grande réputation pour ses étoffes.

Le district de Hirmend s’étend sur les rives de ce fleuve : ses frontières ne peuvent être exactement déterminées. Il était autrefois bien cultivé et on y voit encore les traces de canaux de dérivation creusés pour les besoins de l’agriculture. Aujourd’hui les bords de l’Hirmend sont occupés par des Afghans et des Beloutchy, qui ne vivent que de déprédations. Le gros village fortifié de Guirichk n’a d’importance que par sa situation sur la route de Qandahâr à Hérât.

Le district de Zemin Daver s’étend sur la rive droite de la rivière Hirmend au delà de Guirichk sur une longueur de sept fersakhs. Il est borné au nord par les montagnes des Hézarèh, au sud par le district de Guirichk, à l’est par la rivière Hirmend et à l’ouest par le Siah Bend. Le sol du Zemin Daver est bien arrosé et fertile, mais il est peu cultivé. Il est presque entièrement couvert de pâturages. Le pays est habité par les Afghans Dourâny.

Qandahâr s’élève au milieu d’une plaine arrosée par des canaux dérivés de l’Erghendâb et du Tirnaq. La ville actuelle a été construite par Ahmed Châh fondateur de la dynastie des Dourâny, qui en fit sa capitale et lui donna le nom d’Ahmed Châhy.

Qandahâr a été prise par Timour en 786 (1384), par Baber en 913 (1507), par Châh Abbas en 1030 (1620) et par Nadir Châh en 1165 (1751.) Ce dernier conquérant voulait construire sur remplacement de Qandahâr une ville nouvelle qui aurait reçu le nom de Nadir Abâd.

Qandahâr ne renferme d’édifices dignes de remarque que le Tcharsou ou bazar central et le tombeau d’Ahmed Châh. Ce dernier monument est de forme octogone ; il est surmonté d’une coupole et a un minaret à chacun de ses angles. Il s’élève sur une plate-forme en pierres de taille et il est construit en pierres et en briques recouvertes de stuc coloré en rouge et en bleu sur lequel on a peint des fleurs et tracé des inscriptions. Autour du tombeau d’Ahmed Châh sont disposés douze tombeaux plus petits renfermant les restes de ses enfants morts en bas âge.

La population de Qandahâr se compose d’Afghans, de Persans, d’Uzbeks, de Beloutchy, de Juifs et d’Hindous. Ces derniers sont les maîtres du commerce de la ville.

Timour Châh, fils d’Ahmed Châh, transporta le siège du gouvernement de Qandahâr à Kâboul.

Kelati Ghildjaï est situé sur la route de Qandahâr à Gaznah à dix-huit fersakhs au nord-ouest de la première ville. Cette ville est bâtie au sommet d’une colline conique de plus de cent mètres de hauteur. Elle passe pour être la place la plus forte de l’Afghanistan. Le sultan Baber s’en empara en 911 (1505).

Kâboul, la capitale de la province de ce nom, a été le siège du gouvernement avant le démembrement de la monarchie des Dourâny.

Le sultan Baber a laissé dans ses mémoires une longue description de Kâboul et de ses environs[4]. Ce prince voulut y être enterré, et son tombeau se voit sur une des collines qui s’élèvent au sud de la ville. Timour Châh, fils d’Ahmed Châh, repose aussi à Kaboul.

Les bazars de cette ville jouissaient d’une grande réputation. Le Tchehar Tchetèh, qui se faisait remarquer par sa merveilleuse architecture, a été détruit par les troupes britanniques en 1842, en représailles de la trahison des habitants et des assassinats commis par eux.

La population de Kâboul se compose d’Afghans, de Tadjik, de Hézarèh, d’Hindous, d’Arméniens et de Juifs. Dix ou douze mille Qizilbach ou Persans, descendants de ceux que Nadir Châh avaient fixés dans la ville, habitent le Tchândol, quartier séparé qu’ils ont fortifié pour se mettre à l’abri des attaques des Afghans sunnites.

Le docteur J. Atkinson a publié dans ses Sketches (Londres, 1842) des vues de Kaboul, de quelques-uns de ses monuments et du tombeau de Baber (planches xviii, xix, xx, xxi, XXII, xxiii et xxiv).

L’ancienne et célèbre ville de Ghazna a été détruite au xiie siècle par Ala oud Din Hassan Djihan Souz, souverain du Ghour. Une ville nouvelle a été bâtie à une demi-fersakh au sud-ouest. Elle est entourée d’une muraille flanquée de tours et percée de trois portes. Elle renferme tout au plus 5,000 habitants. La citadelle, bâtie au nord de la ville, sert de résidence au gouverneur. Le tombeau de Sultan Mahmoud se trouve dans la partie de l’ancienne ville appelée Raouzèh.

La description des portes de Soumnat, les inscriptions en caractères coufiques qui y furent sculptées, et celles du tombeau de Sultan Mahmoud se trouvent dans le rapport de la commission d’officiers formée par le général Nott. Toutes les inscriptionsont été lues et traduites par sir H. Rawlinson, alors major dans l’armée expéditionnaire de l’Afghanistan (1842). Le tombeau et les portes qui s’y trouvaient ont été dessinées par le capitaine Lockyer Willis Hart et le docteur James Atkinson dans le Character and Costume of Afghanistan, second series. Londres, 1843 (pl. viii, ix et xxvi).

Kélati Nacir Khan, capitale du Béloutchistan, est bâtie sur la pente orientale d’une colline qui porte le nom de Châh Merdan. La ville est entourée d’une muraille en terre percée de trois portes : elle est commandée par une citadelle construite sur une éminence à l’ouest de la ville. Le khan réside dans cette citadelle. Kélât est renommée pour ses fabriques de fusils à mèche, d’épées et de lances. Elle doit son surnom à Nacir Khan qui gouverna le Béloutchistan sous Nadir Châh et Ahmed Châh.

Khabis, dont le nom est fautivement orthographié par Mir Abdoul Kerim, est une ville qui renferme huit cents maisons ; elle est entourée d’une muraille en terre, et les jardins qui l’environnent produisent en abondance des dattes, des oranges et du hennèh.

L’ancienne ville de Khabis est en ruines et complètement abandonnée.

Nermachir ou Nermassir est une ville importante du Kerman, éloignée de deux journées de marche de Bemm.

Laghman. Le district de Laghman confine au Kafiristan et comprend le pays borné par les rivières de Tagao, de Kâboul et de Kouner. Les habitants de ce district sont des Afghans Ghildjaï et des Tadjik. Les premiers sont fixés dans la partie montagneuse, les autres dans la plaine. Les Laghmany parlent un dialecte particulier que l’on suppose être le même que celui des habitants du Qouhistan, du Derèhi Nour et des Kafir Siahpouch. Ils parlent aussi le persan. Les Laghmany sont industrieux et excellents agriculteurs. Les Ghildjaï et les Tadjik ont des chefs particuliers qui relèvent du gouverneur de Djelal Abâd.

Tchârik Kâr, district du Kouhistan du Kaboul. La ville de Tchârik Kâr est située sur la grande route qui conduit de Kâboul au Turkestan, à l’entrée de la vallée de Ghourbend. Elle est le centre d’un commerce très-actif avec les pays voisins : on en exporte une grande quantité de fer en barres ou travaillé en fers de chevaux.

Elle est la résidence du gouverneur du Kouhistan et l’on y prélève les droits sur les marchandises à destination du Turkestan ou importées de ce pays. Tchârik Kâr est défendue par plusieurs petits forts en terre dont le plus grand porte le nom de Khodja Mir Khan.

Youssouf Zey. Le district des Youssouf Zey forme la partie orientale du gouvernement de Pichâver. Ses limites sont, au nord, les montagnes des Youssouf Zey ; au sud, la rivière de Kâboul ; à l’est, l’Indus, et, à l’ouest, la Maïra. C’est un pays plat, exclusivement habité par les Mandan, fraction de la grande tribu des Youssouf Zey.

Le Tcherki Louguer ou cercle de Louguer consiste en une vallée dont le sol est presqu’entièrement inculte. Il est borné au nord par la rivière de Kâboul, au sud par le district de Kharwar, à l’ouest par celui de Ghazna, et à l’est par le pays de Djadjy. Le Louguer est habité par des Wardaq, des Tadjik, des Ghildjaî, des Qizilbach et des Mohmend. Les uns sont chiites, les autres sunnites, et ils vivent dans un état d’hostilité perpétuelle. Louguer est un des quatre districts directement placés sous l’autorité de Kâboul.

Le pays de Kouner s’étend le long de la rivière de ce nom entre Pichout et Chewa. Les habitants sont des Safy, des Mohmend et des Tadjik. Ces derniers sont fixés dans la ville de Kouner et dans les villages où ils se livrent au commerce et à l’industrie. Le sol de Kouner est fertile, le climat tempéré. Les collines sont couvertes de forêts de pins. Les Ghildjaï conduisent, pendant l’hiver, leurs troupeaux dans la vallée de Kouner et payent pour ce fait une redevance au gouverneur. On recueille de l’or en lavant les sables de la rivière de Kouner. Ce district est gouverné par des chefs qui prennent le nom de seyid. L’un d’eux, Seyid Nedjib, se révolta contre Zéman Châh et força ce prince à se réfugier dans le château de Achour Chinvary où il fut arrêté et livré par la garnison aux émissaires de Mahmoud Châh.

Pichout. Cette ville est située dans la vallée de Kouner et sur la rive gauche de cette rivière ; elle est éloignée de six fersakhs de Djelal Abâd. Elle est défendue par un fort appartenant aux seyids de Kouner. Les habitants sont des Afghans Ibrahim Kheil de la tribu de Salar Zey. Ils peuvent mettre sur pied quatre mille hommes armés de mousquets.

Les Lohâny sont une fraction de la grande tribu des Povindah qui s’adonnent exclusivement au commerce. Ils se divisent en Daoulet Kheil, Pany et Mian Kheil. Ils campent, en été, dans les environs de Panah et de Qarabagh. Dans cette saison, la plus grande partie des hommes fait le commerce à Kaboul ou entreprend le transport des marchandises à Samarqand et à Boukhara. Les tentes occupées par les femmes et par les enfants sont protégées par une force suffisante de guerriers. En automne, toute la tribu franchit le défilé de Goumal et va s’établir dans les Deïrèhs. Les hommes se rendent à Lahore et à Benarès, d’où ils reviennent au mois d’avril. La tribu retourne à cette époque à ses campements de Panah et de Qarabagh. Les Lohâny payent annuellement une redevance au souverain de Kâboul pour avoir le droit de faire paître pendant l’été leurs troupeaux dans le district de Ghazna.

Le pays de Kaukery est situé à l’extrémité sud-est de l’Afghanistan : aucun voyageur européen n’a pu y pénétrer jusqu’à ce jour. Les Kaukery prétendent descendre d’un certain Cheref oud Din dont la généalogie remonterait jusqu’à un des compagnons du Prophète. Cheref oud Din laissa cinq fils qui sont la souche des cinq tribus formant le peuple des Kaukery. Les Kaukery sont répandus dans tout l’Afghanistan, et l’on trouve quelques familles établies dans le Kachmir, sur les bords du Bjhelam.

Les Kaukery possèdent d’immenses troupeaux de bœufs, de moutons et de chameaux. Ils exportent dans les Deïrèhs et à Qandahâr de la laine, des peaux et du ghi (beurre clarifié et liquide).

Ils récoltent dans leur pays de l’assa foetida et des gommes aromatiques qu’ils transportent à Hérât où ils ont le monopole de ce commerce.


II

LE BALA HISSAR DE KÂBOUL.


Le Bala Hissar de Kâboul a joué dans l’histoire de l’Afghanistan un rôle si important que j’ai cru devoir en insérer ici une description très-détaillée. Les auteurs orientaux que j’ai eus à ma disposition ne disent que peu de mots sur son origine et ils s’abstiennent de donner le moindre renseignement sur cette résidence royale.

M. Charles Masson dans le second volume de son ouvrage qui a pour titre : Narrative of varions journeys in Baluchistan, Afghanistan and the Panjab (Londres 1842), a consacré à cet édifice les pages suivantes qui contiennent des détails intéressants et que l’on chercherait vainement ailleurs.

« Le Bala Hissar a, dans l’origine, été très-solidement construit. Les murailles qui suivent la configuration du terrain sont en maçonnerie dans leur partie inférieure et elles s’appuient sur le roc à une profondeur de quinze ou vingt pieds. Dans leur partie supérieure, elles ont six ou sept pieds d’élévation et elles sont construites en briques cuites. Elles forment un parapet crénelé pourvu d’embrasures et de meurtrières, ainsi que d’une suite régulière de Kangourèhs (créneaux).

« On a, autrefois, élevé entre la muraille et le fossé, un chirazy ou fausse-braye en terre. Le fossé est large, mais de profondeur inégale. Il n’a point été entretenu et il a été envahi par une végétation abondante qui, à la fin de l’automne, lorsque les eaux ont diminué, sert de pâture au bétail.

« À l’extrémité sud-ouest des fortifications, à l’endroit où la colline la plus basse de Bala Hissar se relie à la plus élevée et où s’ouvrait autrefois la porte de Djebbar (Dervazèhi Djebbar), le fossé n’a pas été continué, soit que la nature du rocher ne l’ait pas permis, soit que les obstacles qu’il présentait aient été jugés trop considérables pour entrer en ligne de compte avec les avantages à obtenir. Ce côté semble, cependant, avoir été considéré comme le point faible de la place. Pour le fortifier, on a construit sur la colline qui le commande, une tour massive appelée Bourdji Houlakou, que la tradition rattache à ce conquérant. Les travaux de défense élevés par le serdar Djihan Khan s’étendaient jusqu’à ce point et renfermaient la tour de Houlakou. Dans les guerres intestines qui ont eu lieu dans ces dernières années, cet ouvrage, destiné à défendre la forteresse, est toujours, dès le début des hostilités, tombé entre les mains des assaillants.

« Le Bala Hissar de Kaboul commandé au sud-ouest et à l’ouest par des hauteurs qui le dominent et sur lesquelles Nadir Châh avait établi ses batteries, ne peut pas être considéré comme capable de résister à une attaque faite selon les règles de l’art. Si nous nous reportons à des temps plus reculés, nous pouvons partager l’avis du judicieux Baber sur l’importançe qu’il attachait à ses fortifications. Le siège soutenu à une autre époque contre Nadir n’a pas diminué la réputation de cette forteresse.

« Le Bala Hissar de Kâboul renferme deux parties bien distinctes : Bala Hissar Payn et Bala Hissar Bala. Bala Hissar signifie la forteresse supérieure. Pichâvér, Kâboul, Ghaznâ, Qandahâr et Hérât ont toutes leur Bala Hissar qui équivaut à l’Erk des villes de la Perse. Bala Hissar Bala et Bala Hissar Payn donnent donc l’idée d’une forteresse supérieure et d’une forteresse inférieure. À Hérât, à Qandahâr et à Ghazna, la citadelle est comprise dans l’enceinte de la ville ; à Kaboul, à Pichâver, elle est située en dehors.

« Sous le règne des souverains Sadou Zey, le Bala Hissar Bala servait de prison d’État. Aujourd’hui, c’est une solitude remplie de ruines.

« Le sommet de l’éminence sur laquelle est construit Bala Hissar Bala est surmonté d’un bâtiment carré flanqué de tourelles et qui tombe en ruines. On lui donne le nom de Koulahi Firengui (le chapeau européen). Il est de date fort récente, car il est l’œuvre du serdar Sultan Mehemmed Khan, qui le fit élever par un architecte fort inexpérimenté, Hadji Aly Kouhistany, officier qui servait sous sis ordres. Ce bâtiment n’avait d’autre but que celui de permettre au sêrdar et à ses amis de jouir de la beauté du paysage environnant : aussi la construction en était fort légère. De cet endroit, le spectateur domine complètement le palais royal.

« On trouve à Koulahi Firengui, au-dessous des murs et du côté nord, deux objets qui méritent d’être décrits. Ce sont deux blocs de marbre blanc taillé formant ce que l’on appelle ici des takhts ou trônes. Sur le côté de l’un d’eux, onbvoit un flacon sculpté. Ce symbole de la joie et de la bonne chère peut expliquer l’usage de ces trônes et rappelle à la pensée que, c’est à cette même place, que Baber a si souvent tenu ses réunions joyeuses. Il s’en souvenait sans doute, quand il déclarait que Kâboul est le meilleur endroit du monde pour boire du vin. Il y a, à côté de ces trônes, un réservoir en miniature ne pouvant servir à des ablutions générales, mais qui convient parfaitement pour laver ses mains, les pialèhs (coupes) et pour satisfaire à toutes les exigences d’un repas oriental.

« Dans l’enceinte de Bala Hissar Bala, on trouve deux puits revêtus de maçonnerie. L’un d’eux nommé Siah Tchâh (puits noir) a servi de prison jusqu’à Châh Mahmoud. Le vézir Fethy Khan a enfermé plusieurs de ses frères, entre autres Dost Mehemmed Khan dans ce Siah Tchâh. Après les exécutions, on y jetait quelquefois les corps des suppliciés. L’autre puits, aujourd’hui abandonné, fournissait autrefois une eau excellente. L’enceinte extérieure de Bala Hissar Bala est percée de trois portes. La première conduit dans Bala Hissar Payn, un peu au sud du palais. Cette porte a été minée par Dost Mehemmed Khan, quand il assiégea le prince Djihanguir, fils de Kamran. La seconde porte est nommée Dervazèhi Kachy, à cause des plaques de faïence émaillée qui la recouvrent. Elle regarde la plaine du côté de l’est, C’est par cette porte que s’échappa le prince Djihanguir. La troisième porte, plus petite que les deux autres, mène à la colline de Khodja Sefer, près de la porte de Djebbar. Elle est appelée « porte du sang », parce que l’on y faisait passer secrètement la nuit les cadavres des membres de la famille royale, victimes des craintes ou du ressentiment du souverain régnant.

« Sous les princes Sadou Zey, Bala Hissar Payn renfermait, outre le palais et ses dépendances, le quartier de la garde royale ou Ghoulam Khanèh. Bala Hissar Payn contient un millier de maisons environ. Le bazar est bien pourvu. Cette agglomération de maisons est divisée en plusieurs quartiers ou mahallèh qui tirent leurs noms des races qui les habitent : ainsi, Mahallèhi Arab, quartier des Arabes, Mahallèhi Habechy, quartier des Abyssins, Mahallèhi Ermeny, quartier des Arméniens, etc. La police est faite par un koutouval, et les délits sont jugés par une Cour de justice. »

Le docteur J. Atkinson a donné une vue du Bala Hissar de Kâboul, dans ses Sketches of Afghanistan, Pl. xx.


III

NOTICE SUR L’ETAT DU TURKESTAN ET SUR NER BOUTÈH BI QUI A GOUVERNÉ PRÉCÉDEMMENT CETTE CONTRÉE.


La notice qui suit est placée à la fin du Tarikhi Ahmed. Cet ouvrage a été composé pour Abdourrahman Khan, fils de Hadji Mehemmed Rouchen Khan par Mehemmed Abdoul Kerim Mounchy. Il comprend l’histoire de l’Afghanistan depuis le commencement du règne d’Ahmed Châh jusqu’à la fuite de Mahmoud Châh dans le Qouhistan (1212-1797). Il comprend donc un espace de quarante-sept ans.

Le règne du fondateur de la dynastie des Dourâny formant la partie la plus importante de ce livre, l’auteur lui a donné en l’honneur de ce prince le titre de Tarikhi Ahmed. Il a placé à la fin de son récit la description du Pendjab et des itinéraires de Pichâver à Kâboul, Qandahâr et Héràt, de Kâboul à Qandahâr, de Quandahâr à Hérât, de Hérât à Djecht. La dernière partie est consacrée au Turkestan et le lecteur en trouve ici la traduction.

« Il faut savoir que les tribus turques, uzbeks, aliman et qirghiz portent des vêtements noirs faits de peaux de cheval. Le plus illustre des khans turcs, et le chef le plus important des tribus uzbeks est Ner Boutèh Bi dont l’autorité est reconnue par les tribus uzbeks établies dans les plaines depuis Samarqand, Yarkend, la steppe de Goukan jusqu’aux frontières de la Chine du Nord. Le nombre de ces Uzbeks s’élève approximativement à cent cinquante mille familles. Ce prince a toujours auprès de lui cinquante mille cavaliers sans compter ceux des tribus nomades. Il fait sa résidence dans la ville de Khoqand qui est de toutes les villes la plus rapprochée de la frontière de la Chine. L’empereur de la Chine en parlant de lui, l’appelle « son fils ».

« Tous les ans ou tous les deux ans, un ambassadeur de Ner Boutèh Bi se rend auprès de l’empereur et lui offre en présent, des chevaux, des peaux de martre et d’autres cadeaux. L’empereur témoigne à l’ambassadeur de ce prince des égards et une considération qu’il n’accorde pas aux envoyés des autres souverains et des autres princes. Lorsque l’ambassadeur de Ner Boutèh Bi paraît en sa présence, l’empereur lui demande à trois reprises des nouvelles de la santé et de l’état du khan, en ces termes : « Mon fils Ner Boutèh jouit-il de toute satisfaction et de tout contentement ? » Les présents qu’il lui envoie en or rouge et en autres objets représentent une somme de plusieurs laks de roupies. Ner Boutèh Bi exerçant son pouvoir sur des hordes et des tribus nombreuses, l’empereur de Chine met tous ses soins à entretenir de bonnes relations avec lui. »

Châh Ghafrân oullah Serhindy, dont les enfants habitent aujourd’hui la ville de Pichâver, s’était rendu, d’après l’ordre de Timour Châh ou de Zéman Châh, à Khoqand en l’année 1209 de l’Hégire (1794). Il a raconté à quelqu’un que le qazhi oul qouzhat de la ville de Khoqand était allé auprès de l’empereur de Chine en qualité d’ambassadeur de Ner Boutèh Bi. « Au bout de quinze jours de marche, racontait le qazhi, j’arrivai à la frontière de Chine ; j’y trouvai une voiture traînée par des chevaux et montée par deux hommes. »

« Lorsque je m’approchai, ils me firent entrer seul et asseoir dans cette voiture, dont la forme était semblable à celle d’un grand coffre. Ils la firent avancer ; nous étions à la dernière période de l’hiver ; ils placèrent devant moi une pierre noire aussi chaude que le feu et qui ne causait aucune incomodité au corps ni aucun dommage aux vêtements. Je vis, dans cette voiture, tout ce qu’il fallait enbfait d’aliments et de boissons. En route, on me faisait déjeûner, et, le soir, on me faisait descendre dans une grande tour solidement construite occupée par cinq cents hommes de garnison et dans laquelle se trouvait tout ce qui est nécessaire à la vie. La voiture était fermée des quatre côtés ; je ne vis point sur toute la route un seul endroit bien peuplé. En résumé, je mis un mois et quelques jours à franchir la distance qui sépare la frontière de la capitale de la Chine et dans toutes les stations et dans tous les postes fortifiés où je descendis, les Chinois avaient préparé le repas du matin et le dîner. J’arrivai à la capitale dans cette même voiture et l’on me conduisit en présence de l’empereur. Quand on approcha au palais, je descendis et j’y entrai à pied, Je vis une résidence ravissante et magnifique ; les murs et le plafond étaient dorés et incrustés de glaces ; au milieu se trouvait un pavillon élégant couvert de dorures et de glaces fixées dans les murailles. Je me conformai aux instructions de la personne qui m’accompagnait et je saluai en me prosternant à terre. Je vis paraître au haut du pavillon une main, et une personne m’interpella en langue turque du Khita en me disant : « L’empereur daigne demander : Mon fils Ner Boutèh Bi jouit-il d’une bonne santé et de tout contentement ? » Après ces paroles, je me prosternai selon la recommandation qui me fut faite et je répondis humblement : « Ner Boutèh Bi n’a d’autre occupation que celle de faire des vœux pour Sa Majesté. » Lorsque j’eus la permission de me retirer, l’empereur fit présent au khan d’objets et de curiosités de Chine dont la valeur était de dix laks de roupies. Il m’accorda en or la somme de vingt mille roupies sans compter des cadeaux en produits de l’industrie de ce pays. Tous ces présents furent placés dans la voiture ; on m’y fit remonter et l’on me reconduisit à la frontière de Khoqand dans le même espace de temps que celui que j’avais mis pour me rendre à Pékin. » Tel est le récit qui a été fait par le qazhi oul qouzhat.

Châh Ghafrân oullah racontait ce qui suit : « J’ai parcouru et vu tout le Turkestan ; je n’y ai point rencontré un homme aussi juste, aussi équitable, aussi clément, d’un sens aussi rassis que Ner Boutèh Bi. Il a construit pour sa résidence, un palais d’une grande élégance et d’une rare beauté, dont les murs sont couverts de glaces incrustées. Personne ne peut pénétrer jusqu’à lui ; cinquante ou soixante soldats montent la garde autour de ce palais ; ils recueillent les suppliques des solliciteurs, les portent dans l’intérieur et les rendent avec une annotation manuscrite. Tous les vendredis, le khan se rend à la mosquée escorté par environ dix mille cavaliers et par des soldats bien armés. Il y trouve les ulémas et les seyids et il reçoit les suppliques. Il prend des décisions pour toutes les affaires dont la solution est facile. Il confie à la justice des muftis l’examen de celles qui sont difficiles et qui exigent une longue étude pour qu’elles soient jugées selon les prescriptions de la loi religieuse. Après cela, il se rend dans un palais qui peut contenir dix mille personnes et il y fait un repas. La nourriture du khan consiste en viandes apprêtées à la manière uzbek ; il mange peu de riz. Quand ce repas est terminé, il retourne à son palais d’où il ne sort que le vendredi suivant pour recevoir les salutations du peuple et s’occuper d’affaires. Les ambassadeurs ne sont reçus en sa présence qu’avec le cérémonial usité chez les souverains. Il a auprès de lui, les représentants de tous les khans du Turkestan ; comme Chah Murad Bi, souverain de Boukhara, Khouday Nazar Bi et autres. Ces envoyés lui exposent leurs affaires par écrit. »

« Boutèh en turc et aussi en hindy signifie le petit du chameau ; le mot bi est une abrévation de beik ; il se place à la suite des noms turcs et mogols de la même manière que le mot khan à la suite des noms afghans. Comme le jeune chameau est vigoureux, agile et léger à la course, on a donné ce nom au chef du Khoqand qui fait preuve, dans son gouvernement et dans son administration, de force, de décision et de promptitude dans le jugement. En effet, les noms servent à caractériser les personnes et principalement les noms et les surnoms donnés aux souverains et aux princes du Turkestan. »

« Châh Murad Bi est un des chefs et des souverains les plus considérables du Turkestan ; il descend de Touktoumich Khan qui était le chef du Turkestan à l’époque de Timour Gouregan. Touktoumich combattit ce prince ; il fut vaincu et fit sa soumission. »

« Khouday Nazar Bi est un des chefs uzbeks les plus illustres. Il réside à Ouratèpèh ville située au nord-ouest de Kâboul, à la distance de six cents karohs[5] ; il commande à dix mille familles. Il a une fois mis en déroute Châh Murad Bi qu’il a poursuivi jusqu’aux portes de Boukhara. Il dépense tous les ans dix mille tillas qui représentent la somme de quarante-huit mille roupies pour l’entretien des ulémas, des gens de loi, des cheiks et des étudiants. Timour Châh Dourâny lui envoyait des présents en argent et en vêtements, en haine de Châh Murad Bi. Sa domination s’étend jusqu’aux environs de Balkh. Zéman Châh Dourâny lui témoignait aussi beaucoup de considération, À cette époque il était en paix avec Châh Murad Bi.

« Une personne qui appartenait à la famille des directeurs spirituels de Khouday Nazar Bi racontait que, malgré sa vieillesse, il mangeait tous les jours un mouton entier ; il dormait pendant le jour ; le soir, on apprêtait en ragoût un mouton qu’on laissait bouillir longtemps ; on en remplissait deux grands plats creux que l’on plaçait devant lui. On mettait à sa portée des couteaux bien affilés et pendant toute la nuit, il mangeait tout doucement la viande qu’il coupait avec son couteau. Quand il avait achevé de manger : « maintenant je suis rassasié » disait-il. Il se plaignait que son appétit avait beaucoup diminué. Il est doué d’une telle valeur que deux cents cavaliers ne peuvent tenir devant lui. Sa lance est si pesante et si longue que lui seul peut la soulever. »

« Mir Mehemmed Châh, roi de Badakhchan a environ dix ou quinze mille cavaliers et fantassins Tadjik ; (il faut comprendre dans ce nombre les soldats d’origine turque qui sont dans les villes et dans les villages) mais il est toujours vaincu par les Uzbeks. Il maintient sa domination tantôt par des arrangements pacifiques, tantôt par la guerre. Il est d’une famille de seyids. Il réside dans la ville de Feyz Abâd. Badakhchan et la principauté qui porte ce nom sont au nord de Kâboul, à la distance de deux cents et quelques karohs ; elle est située entre Balkh, Qoundouz, Hissar et Koulab. Le Badakhchan commence à l’Hindoukouch qui se trouve à cent et quelque karohs de Kâboul et il se termine au canton de Qoundouz et de Koulab. Dans ce pays chaque chef commande dans la localité où il est établi, bien qu’il affecte en apparence d’obéir au roi de Badakhchan. Ces chefs paient de temps en temps, selon leur convenance, quelques impôts. Cette province renferme des mines de lapis lazuli et de rubis situées près de la ville de Feyz Abâd. »

« En l’année 1212 (1797) de l’hégire, il y avait d’autres petits chefs uzbeks tels que Feth Aly Khan, Djafer Aly Khafi et autres. Ces chefs sont nombreux dans les environs de Qoundouz, de Hissar et de Koulab. Chacun d’eux possède un château-fort et un territoire proportionné à sa forcé et à sa puissance. Toutes les fois qu’un souverain parvient à les dominer, il se fait attribuer une somme proportionnée à leur richesse et il se charge de protéger leur territoire. »


IV

LE TURKESTAN ET LE DECHT.


Cette description du Turkestan est tirée du Djihan Numa de Hadji Khalfa. J’en ai fait de nouveau la traduction bien que M. Klaproth en ait déjà publié une dans le Magasin asiatique, tome II, Paris, 1826, que Ritter a insérée dans le tome VII de son Erdkunde.

« Le Turkestan est borné à l’est par les frontières de la Chine, au nord par le Dechti Qiptchaq et les steppes de la Russie, au sud par le pays de Badakhchan, le Ma vera oun Neher, le Kachmir et le Tibet ; à l’ouest, par le Kharezm et le Daghestan. Dans le Dechti Qiptchaq, c’est la rivière de Ten qui lui sert de limite. Les villes sont peu nombreuses et éloignées les unes des autres. La plus grande partie du pays se compose de plaines couvertes de verdure et habitées : cette circonstance fait que ce pays est compté parmi les contrées les moins civilisées. La principale province est celle de Kachgar ; elle est la plus vaste du Turkestan ; elle est située à quinze journées de marche au nord-est d’Endedjan. Cette province est bornée au nord par les montagnes du Mogholistan, d’où descendent de nombreuses rivières qui viennent l’arroser. Au sud, sa frontière est bordée en partie par le pays de Chach (Ferghanah) et en partie par une plaine sablonneuse ; à l’ouest, elle est bornée par une longue chaîne de montagnes qui se détachent de celle du Mogholistan : les rivières qui prennent leur source dans cette chaîne coulent à l’est. Les provinces de Kachgar et de Khoten sont situées au pied de cette montagne. À l’est, quand on dépasse Thourfan, on arrive au pays des Qalmâq ; à l’est et au midi se trouvent des plaines sablonneuses et boisées d’une très-vaste étendue. De Chach à Thourfan, il y a trois mois de route ; il y avait jadis dans ces plaines des villes florissantes, mais, aujourd’hui, il ne subsiste que le nom de deux d’entre elles : l’une est Sob et l’autre Kenk ; toutes les autres sont en ruines et recouvertes par le sable qui les a envahies. On trouve dans ces plaines des chameaux sauvages auxquels on fait la chasse. La capitale de Kachgar est située au pied des montagnes qui bordent la province à l’occident ; dans ces montagnes prennent leur source plusieurs rivières qui arrosent les champs cultivés ; l’une d’elles s’appelle le Temen. Autrefois cette rivière traversait la ville de Kachgar ; Mirza Abou Bekr détruisit la ville, et la rebâtit sur une rivé de ce même cours d’eau qui la longe. L’auteur du Takouim écrit Kachgar avec un qaf. C’est une grande ville dont la population est musulmane. D’aprés l’auteur du Qanouni Massoudi, cette ville porte aussi le nom de Ordoukend. Le cheikh Saad oud Din Kachgary est né dans cette ville.

Yarkend est située par 112° de longitude et 42°½ de latitude ; c’est la capitale de la province de Kachgar. Cette ville, autrefois très-considérable, était tombée graduellement en décadence et elle avait fini par devenir le refuge des bêtes fauves ; son climat et ses eaux ayant plu à Mirza Abou Bekr, ce prince la rebâtit et en fit sa capitale ; il y amena les eaux des environs, fit construire de magnifiques édifices et l’entoura d’une muraille fortifiée de trente coudées de hauteur. Il fit planter dans ses environs près de douze mille vergers ; ses canaux, ses arbres et ses jardins toujours fleuris font que, dans la province de Kachgar, il n’y a pas de ville plus agréable que Yarkend. Ses eaux sont remarquables par leur pureté et leur bon goût ; elles sont peu abondantes au printemps, mais considérables au mois de juillet. On trouve dans le lit des rivières la pierre de jade. L’air de Yarkend n’est pas pur ; mais, en général, le climat de Kachgar est froid et salubre, et la population y jouit d’une bonne santé ; malgré l’abondance des fruits, les maladies sont rares. Le commerce des fruits est peu considérable. La population se divise en quatre classes : 1o les cultivateurs, 2o les Qoutchin qui forment la classe militaire, 3o les Ouïmaq et 4o les gens de loi et les administrateurs des biens de mainmorte. De Yarkend jusqu’à Lakhouf, qui est situé à trois journées de marche, on ne voit que canaux, arbres, vergers et jardins. Quand on dépasse Lakhouf, jusqu’à Khoten situé à dix journées de marche, on ne trouve que les constructions élevées pour servir de station aux caravanes ; il n’y a tout le long de la-route aucun endroit cultivé, on ne voit que le désert.

Yenghy Hissar, par 110°½ de longitude et 42°½ de latitude est peu éloignée de Yarkend. Khoten est une ville située à l’extrémité du Turkestan, au delà de Yuzkend ; elle est arrosée par plusieurs rivières, elle se trouve par 116° de longitude et 42° de latitude. L’auteur du Traité des sept climats dit que Khoten doit être comptée parmi les villes célèbres, mais qu’aujourd’hui elle est en décadence. Les deux rivières principales sont nommées l’une Bouqratach et l’autre Barourenktach ; on trouve dans le lit de ces deux rivières la pierre de jade qui est pour les habitants un objet de commerce et une source de richesse. Khoten produit principalement de la toile et des étoffes de soie ; le blé y est abondant ; tous les vendredis on y tient un marché auquel on se rend de tous côtés ; l’on y voit réunis jusqu’à vingt mille hommes.

Yessy est situé à 101° de longitude et à 43° de latitude. Cette ville célèbre est la capitale du Turkestan. C’était autrefois la résidence des khans uzbeks. Khodja Ahmed, cheikh de l’ordre des Naqchbendy, doit son surnom (Yessevy) à cette ville.

Sinan est situé à une journée de marche à l’ouest de Yessy.

Otrar est situé à une journée de marche de Yessy, du côté de Tachkend. Le jurisconsulte hanèfite Qawwam oud Din est né dans cette ville.

Thourfan est située sur la route de Samarqand en Chine ; elle se trouve à dix-huit journées de marche d’Endedjan. Cette ville est placée au milieu du Mogholistan ; quelques auteurs prétendent qu’elle est située entre Kachgar et Khoten.

Tendou est situé à 114° de longitude et 39° de latitude.

Bersadjan, situé à 114°½ de longitude et de 41° de latitude, est à l’est de Kachgar. D’après Ibn Saïd, il y avait deux capitales dans le Turkestan : l’une était Kachgar et l’autre Bersadjan…

Autrefois on se rendait de Khoten en Chine en quatorze journées de marche. Le pays que l’on parcourait était cultivé et offrait des ressources ; on n’avait pas besoin de se réunir en caravane pour faire le voyage, un ou deux voyageurs pouvaient marcher en sécurité. Aujourd’hui cette route est au pouvoir des Qalmaq qui l’interceptent et empêchent d’y passer, et il faut suivre une route que l’on parcourt en cent étapes. Khodja Ghias, ambassadeur d’Oulough Bey, raconte qu’il a suivi cette route : parti de Samarqand, il arriva à Ildouz après deux mois de marche ; à la fin du troisième mois, il atteignit Thourfan ; il lui fallut ensuite vingt jours pour gagner Qamil et vingt-cinq jours pour arriver à Sektcheou, place située sur la frontière de Chine.

Le pays qui sépare ces différentes villes est désert. De Kachgar, capitale du Turkestan, jusqu’à Samarqand, situé à l’ouest, il y a trente journées de marche ; jusqu’à Lahore au sud, vingt-quatre ; de Yessy à Samarqand, dix-sept ; jusqu’à Boukhara, vingt-cinq ; jusqu’à Tachkend, neuf ou dix étapes ; de Tachkend jusqu’à Samarqand, situé à l’ouest, il y a six étapes ; jusqu’à Endedjan, sept ; d’Endedjan jusqu’au Mogholistan, huit ; et du Mogholistan jusqu’à Thourfan, dix.


V

Les deux chapitres suivants sont extraits de l’ouvrage de Séify, qui a pour titre : Histoire des souverains de l’Inde, du Sind, du Khita, du Khoten, de Derèh, de Dervaz, du Kachmir, de la Perse, de Kachgar, des Qalmaq, etc.


II.

LE CHEF DES QALMAQ. — LE ROYAUME DU TIBET.

Le pays des Qalmaq[6] est situé en deçà de la Chine. Le chef de cette contrée porte le nom d’Oktaï et le surnom de Altoun. Tous les chefs Qalmaq reçoivent ce surnom. Altoun Khan descend de Djenguiz Khan qui franchit le Djihoun, revint sur ses pas et mourut dans le pays des Qalmaq. De nos jours, Altoun Khan a fait placer les ossements de Djenguiz dans un cercueil en or qu’il transporte partout avec lui. Toutes les fois que surgit une affaire importante, il se prosterne, en se conformant à sa fausse croyance, devant le cercueil de Djenguiz et il implore son aide, car les Qalmaq sont infidèles.

Dans cette contrée se trouve une caverne située sur le flanc d’une montagne ; du sein de cette caverne s’élève une colonne de flammes qui atteint la hauteur d’un minaret. Les Qalmaq rendent un culte à cette flamme : selon eux (que Dieu nous préserve d’un pareil blasphème), Djenguiz Khan fait des miracles. Toutes les fois que le chef des Qalmaq fait la guerre à un prince voisin, il transporte avec lui le cercueil de Djenguiz au-dessus duquel il plante son drapeau. Altoun Khan fait quelquefois la guerre à l’empereur de Chine, mais il ne peut pas lui résister efficacement ; il fait des expéditions jusqu’à la grande muraille de la Chine, met en fuite les gens qu’il rencontre et enlève leurs troupeaux ; mais il ne peut franchir les fortifications, car il n’a ni canons, ni fusils, tandis que les Chinois en possèdent beaucoup. L’empereur de Chine désigne alors un général pour marcher contre Altoun Khan, car, il ne prend jamais part, de sa personne, à aucune expédition. Dans toutes ces contrées, il n’y a personne qui puisse résister aux Chinois. L’empereur de Chine désigna une fois un général pour aller combattre Altoun Khan : celui-ci le vainquit dans une bataille et le fit prisonnier ; l’empereur, outré de colère, fit marcher un autre général avec une armée innombrable, Altoun Khan voulut lui résister, mais il fut battu et son frère fut tué ; son camp fut pillé ; un grand nombre de Qalmaq restèrent sur le champ de bataille. Altoun Khan, incapable de résister, demanda la paix et rendit la liberté au général qu’il avait fait prisonnier. Aujourd’hui, les deux parties ont renoncé aux hostilités et sont en paix ; mais les Qalmaq, divisés en petites troupes, se jettent sur tout ce qui se rencontre en dehors des villes chinoises, puis ils battent en retraite. Quand les troupes chinoises sont informées à temps, elles fondent sur les Qalmaq, mais sans s’aventurer dans leur pays, parce qu’elles marchent avec lenteur, à cause de leur artillerie et de leur armement. Ces Qalmaq ressemblent par leur manière de combattre aux Tatars. Si l’empereur de Chine fait des représentations à Altoun Khan au sujet de ces incursions, celui-ci se borne à répondre qu’il n’en a aucune connaissance, qu’il recherchera les brigands et qu’il les punira. Cet état d’hostilité est perpétuel entre les deux pays.

Au delà du pays de Kachgar se trouve la tribu des Qazaq : ce sont des nomades qui n’ont ni villes, ni villages ; leur nombre s’élève à deux cent mille familles ; leurs khans portent le nom de Tevekkul. Ces Qazaq firent une fois une expédition contre les Qalmaq ; le chef des Qalmaq, en fut informé, et envoya à leur poursuite un de ses vézirs. « Ne reviens pas, ordonna-t-il, sans ramener Tevekkul, ou sans rapporter sa tête. » Le vézir se mit en marche. Tevekkul fit une reconnaissance du côté de son campement, et voyant le nombre infini des guerriers Qalmaq, il jugea toute résistance impossible et se réfugia à Tachkend. Les Qalmaq poursuivirent les Qazaq et pillèrent la moitié de leur tribu. Tevekkul laissa l’autre partie de sa tribu à Tachkend.

Tachkend est une grande ville qui a été autrefois la capitale d’Afrassiab. À cette époque, le souverain de Tachkend était Bouzour Ahmed Khan, qui portait le surnom de Barâq Khan : il descendait de Djenguiz. Tevekkul s’était donc réfugié à Tachkend ; les Qalmaq, après avoir pillé sa tribu, étaient retournés dans leur pays ; Tevekkul envoya un émissaire à Barâq Khan. « Je suis venu dans votre pays, lui fit-il dire, je me suis mis sous votre protection ; nous sommes attachés l’un à l’autre par les liens de la parenté, nous descendons tous les deux de Djenguiz ; en outre, nous sommes musulmans et coreligionnaires ; accordez-moi votre aide et marchons tous deux pour tirer vengeance de ces infidèles. » Barâq Khan lui fit répondre : « Si dix princes comme vous et moi se liguaient ensemble, ils ne pourraient résister aux Qalmaq, car ils sont aussi nombreux que les hordes de Yadjoudj. » En effet, ils ressemblent par leur multitude au peuple de Magog. Ils sont, comme les hommes de ce peuple, de petite taille. Les Qalmaq mangent toutes sortes d’animaux et même des serpents. Cependant, tous les Qalmaq n’agissent pas ainsi, mais seulement quelques fractions de tribus. Quand un Qalmaq vient à mourir, on met sur son tombeau tous les objets qui lui ont appartenu ; personne n’y touche, car, selon leur vaine croyance, si quelqu’un enlevait de ces objets, il serait chargé de tous les péchés du mort. C’est pour cela qu’ils n’osent rien dérober.

Les habitants de Tachkend font quelquefois des incursions sur leur territoire et enlèvent des Qalmaq. Après les engagements, quand les habitants de Tachkend dépouillent les morts et qu’ils enlèvent les cottes de mailles et les armures, on reconnaît des jeunes filles parmi ceux qui ont succombé. Cette tribu des Qalmaq est douée d’une telle intrépidité que les jeunes filles elles-mêmes vont à la guerre, après s’être couvertes d’armures.

Une fois, Altoun Khan, le chef des Qalmaq, donna le commandement d’une nombreuse armée à un de ses vézirs. Celui-ci, dans l’expédition dont il était chargé, tomba malade auprès de la ville de Thourfan, dans le pays de Kachgar. Il fit demander un médecin dans cette ville et les habitants, pour éviter le pillage, lui en envoyèrent un pour le soigner. À son retour, ce dernier raconta qu’ayant marché un jour et une nuit à travers le camp des Qalmaq, il n’était arrivé que le lendemain matin à la tente du chef. Malgré leur nombre infini, les Qalmaq ne peuvent résister à l’empereur de la Chine et ils sont vaincus par lui.

Distique. « Dieu, qui a créé le firmament et tout ce qui se trouve au-dessous, a établi les puissances sur la terre. »

Le Royaume du Tibet. — En deçà du Khita se trouve le Tibet, pays vaste et florissant. Il n’est pas gouverné par un chef unique, mais il est soumis à plusieurs princes qui se font continuellement la guerre. Si un ennemi extérieur vient les attaquer, ils font trêve à leurs inimitiés particulières, s’unissent et se portent mutuellement secours. Ce pays est couvert de montagnes escarpées et couvertes de forêts : on n’y a accès que par des défilés. Lorsque l’empereur de Chine veut faire une expédition contre les Tibétains, ceux-ci occupent les défilés et en défendent l’entrée. Ils reconnaissent néanmoins l’autorité de l’empereur de Chine ; mais ils se révoltent quelquefois contre lui. On importe de Chine en Tibet une feuille que l’on appelle « tchay » (le thé). Ils en font un breuvage qu’ils boivent comme on boit le café chez nous ; quand ils n’ont pas de thé, leur caractère devient morose comme celui des Theriaqy à Constantinople. Le climat du Tibet est malsain, mais le thé en corrige la mauvaise influence ; la nécessité de se procurer le thé leur fait avoir avec la Chine des relations amicales. Le costume des Tibétains est noir des pieds à la tête ; l’or est si abondant chez eux, qu’ils en fabriquent leurs plats et leurs assiettes. Les Tibétains sont de très-petite taille. Le Tibet est borné d’un côté par le Kachmir et l’Hindoustan, de l’autre côté par le pays des Qalmaq et la province de Kachgar ; mais, entre ces derniers pays et le Tibet, il y a un désert de plusieurs journées de marche.


III.

LA PROVINCE DE KACHGAR. — LE PAYS DES QAZAQ ET DE TOURA.


La province de Kachgar. — Le pays de Kachgar est d’une vaste étendue, on l’appelle aussi le Khoten ; au delà du Khoten s’étend l’empire de la Chine. Kachgar est désigné sous ces deux noms comme la Perse est désignée par les mots Adjem ou Iran, et la Chine par ceux de Tchin et Matchin. Yarkend, capitale du royaume de Kachgar, est la résidence du souverain. La province elle-même s’étend sur une longueur de quarante journées de marche. Le pays est bien cultivé ; le souverain se nomme Abd our Rechid Khan, il descend de Djenguiz ; il est Mogol, car les descendants de Djenguiz sont divisés en différentes tribus. Ceux qui occupent le pouvoir en Crimée se nomment Tatar ; les khans de Toura, au delà du Dechti Qiptchaq s’appellent Choban ; les khans de Boukhara sont Uzbeks. Les tribus qui sont au delà de Kachgar et s’étendent jusqu’aux frontières de la Chine, sont celles des Qalmaq. Tous les chefs de ces différents peuples descendent de Djenguiz. On voit dans le Djenguiz Namèh que Djenguiz s’empara de tous ces pays et qu’il les partagea entre ses neuf fils ; mais tous n’ont point acquis une égale célébrité. Il est inutile, du reste, d’entrer dans des détails à ce sujet. Le souverain de Kachgar, Abd our Rechid, se fait remarquer par son esprit d’équité ; il est, de tous les descendants de Djenguiz, celui qui pratique le plus exactement la justice. Il ne prélève sur son peuple que l’impôt du dixième et il ne se livre point aux exactions comme les khans de Boukhara.

C’est de Kachgar que vient la pierre de jade. On voit dans ce pays une haute montagne dont personne n’a jamais pu atteindre le sommet ; un fleuve considérable se précipite du haut de cette montagne, et ses eaux entraînent le jade. Personne ne sait où se trouve la mine d’où sort cette pierre ; on sait seulement qu’elle provient de cette montagne. Pendant l’été, lorsque les eaux diminuent, la population va récolter le jade dans le lit du fleuve. La moitié des pierres qu’elle trouve est réservée au souverain, l’autre moitié est abandonnée aux ouvriers. Le jade est divisé en sept espèces, selon sa couleur, la plus grande partie est expédiée en Chine, car, ainsi que nous l’avons dit plus haut, sans le jade, qui préserve de la foudre, la Chine serait dévastée.

À l’extrémité de Kachgar se trouve la ville de Thourfan, au delà de laquelle on ne rencontre plus de musulmans ; les marchands des différentes parties du monde, qui se rendent en Chine, se rassemblent au nombre de plusieurs milliers dans cette dernière ville ; ils choisissent un chef auquel ils obéissent. Thourfan est situé sur la limite de Kachgar, et les villes de Qamil et de Souteheou sont les premières villes de la frontière de Chine : entre Thourfan et ces deux dernières villes se trouve un désert d’une étendue de quarante journées de marche ; il n’y a aucun endroit cultivé, mais on y trouve de l’eau. Ce désert était autrefois peuplé et cultivé, mais Djenguiz, les empereurs de Chine et les chefs Qalmaq l’ont entièrement dévasté ; c’est une plaine parfaitement unie. On ne peut le traverser en hiver, à cause de la terreur qu’inspirent les Qalmaq ; car ces tribus, qui sont nomades, viennent s’y établir pendant la mauvaise saison. Pour ce motif, les caravanes ne s’y aventurent que pendant l’été. On provoque la pluie avec la pierre deyèdèh ; cette pluie rafraîchit la température et permet de continuer son chemin. On franchit ainsi une route de vingt journées de marche ; après ces vingt journées, la température est moins élevée et on n’a plus besoin de faire tomber de la pluie. Le yèdèh se trouve également en Crimée, chez les Tatares Nogaï ; c’est une substance osseuse de la grosseur d’une noix et qui a la dureté de la pierre, on la trouve dans la tête de l’homme, du cochon, du cheval et d’autres animaux, mais il faut faire mille expériences avant de rencontrer la pierre véritable. Les gens qui font profession de connaître le yèdèh y inscrivent avec du sang de porc le nom de certains démons et de certains mauvais génies. Ils mettent aussi en usage certaines pratiques pour découvrir le yèdèh et ils s’en servent pour faire neiger, pleuvoir, et pour provoquer le froid. Les marchands qui se rendent en Chine prennent à leur solde un yèdèdjy, qui fait tomber la pluie et leur permet de marcher avec une température modérée. Pour conjurer les effets du yèdèh, il faut réciter le chapitre du Qoran « Ech chems[7] » et, avec la permission de Dieu, on annule son influence[8]. Le climat de Kachgar est si salubre que les maladies y sont inconnues, et la vieillesse seule met un terme à la vie. La population est remarquable par sa beauté.

Abd our Rechid Khan professé les plus grands égards pour les ulémas ; il les fait venir en sa présence, juge leurs discussions et rend hommage au mérite de chacun.

Distique. « Reconnais à la science la valeur qui lui est due, et garde-toi de faire éprouver le moindre dommage à la loi religieuse. »

En deçà de Kachgar habitent de nombreuses tribus qui portent le nom de Qirghiz ; elles sont nomades, leur origine est mogole ; elles n’obéissent point à un souverain, mais à des chefs qui portent le nom de qachgâ. Les Qirghiz ne sont ni musulmans ni infidèles ; ils habitent des montagnes d’un accès difficile et dans lesquelles on ne peut pénétrer que par des défilés. Quand un souverain leur déclare la guerre et dirige des troupes contre eux, ils envoient leurs familles dans l’intérieur des montagnes et ils se portent à l’entrée des défilés et en interceptent le passage ; ils usent alors du yèdèh ; ils font tomber une neige abondante, provoquent le froid et quand les troupes ennemies sont engourdies et incapables de faire un mouvement, ils fondent sur elles et les mettent en déroute.

Ils n’enterrent point leurs morts, mais ils les placent dans un cercueil qu’ils suspendent aux sommets des arbres les plus élevés ; ils les y laissent jusqu’à ce que les ossements soient tombés en poussière.

Le Pays des Qazaq. — Les Qazaq sont établis dans le voisinage du pays des Qirghiz ; c’est une tribu qui compte plus de deux cent mille familles. Ils sont musulmans, du rite hanéfite. Leurs khans, qui descendent de Djenguiz, portent le nom de Tevekkul. Les ancêtres des Qazaq tentèrent jadis de conquérir Boukhara et Tachkend ; ils furent battus et obligés de se réfugier dans le désert, où ils s’établirent : c’est à cette circonstance qu’ils doivent le nom de Qazaq[9]. Ils possèdent un nombre considérable de moutons, de chevaux et de chameaux ; leurs tentes sont placées sur des chariots ; leurs robes sont faites de peaux de mouton, qu’ils teignent de différentes couleurs et qui ont l’éclat du satin. On les porte à Boukhara, où on les vend au même prix que les robes de satin ; tant elles sont élégantes et estimées. Ils ont aussi des manteaux faits en peaux et que la pluie ne peut traverser ; ils doivent cette qualité à certaines herbes qui croissent dans le pays des Qazaq et qui servent à préparer ces peaux.

Le Pays de Toura. — En deçà des Qazaq et au delà du Dechti Qiptchaq, et s’étendant sur une longueur de vingt journées de marche, se trouve le pays de Toura, dont le chef porte le nom de Koutchoum Khan. Il est de la race de Djenguiz et musulman du rite hanéfite. Koutchoum Khan s’étant un jour éloigné, les infidèles russes s’emparèrent de la ville de Toura. Koutchoum Khan revint, investit la ville, et pendant deux ans bloqua les Russes. Ceux-ci, réduits à la dernière extrémité, durent céder la ville. Cet événement a eu lieu récemment. Quand les Russes s’emparèrent de Toura, ils y firent prisonnier un fils de Koutchoum Khan qui fut envoyé à Moscou.

Autour du pays de Koutchoum Khan, on rencontre des tribus de peuples extraordinaires dont l’apparence extérieure excite l’étonnement. Personne ne comprend leur langue ; ils ne suivent les prescriptions d’aucune religion ni d’aucune secte. Ils sont semblables à des animaux sauvages. Dans ce pays les nuits sont extrêmement courtes, et, pendant quarante jours consécutifs, on ne peut faire la prière de la nuit, parce que l’aube paraît immédiatement ; c’est un fait parfaitement connu.

Les ancêtres de Koutchoum Khan ont exercé le pouvoir dans ce pays depuis Djenguiz Khan ; les aïeux d’Abd our Rechid dominent à Kachgar depuis l’expédition de Djenguiz Khan.

Un poète persan a composé quelques vers pour fixer la date de l’expédition de Djenguiz qui envoya son fils Houlagou contre Bagdad où le khalife Montassem fut mis à mort. Lui-même ne dépassa jamais les frontières du Khorassan.

Vers : « En l’année de l’hégire 656, le jeudi quatrième jour du mois de safer, le khalife se rendit devant le sultan mogol, et ce jour vit la fin de la dynastie des Abassides. »

Dans le partage que Djenguiz fit de son empire à ses enfant, il attribua le pays de Kachgar à son fils Touly. Abd our Rechid descend donc de Touly Khan ; il y a donc trois cent cinquante ans que le royaume de Kachgar est au pouvoir de cette dynastie. Le chef des Qalmaq descend de Mangou Qaân. Les ancêtres d’Altoun Khan exercent le pouvoir depuis Djenguiz Khan.

  1. Les doctrines des Esna Achary ou sectateurs des douze Imams, sont exposéés par Cheheristany dans son ouvrage sur les sectes religieuses et philosophiques, publié par M. Cureton, Londres, 1842, page 128.
  2. Nacir Khosrau Alevy, naquit à Ispahan et mourut à Badakhchan. Son existence fut des plus agitées : Hadji Louthf Aly Bey, dans son Atech Kedèh a reproduit une prétendue autobiographie de Nacif Kosrau, pleine de détails romanesques et dénuée de toute valeur historique. Cette pièce a été également placée en tête du Divan de Nacir publié à Tauriz en 1280 (1863).
    Outre son Divan ou recueil poétique, Nacir Khosrau a publié un Seadet Namèh (livre de la félicité), un Rouchenay Namèh (livre de la clarté) et un ouvrage en prose sous le titre de Kenz oul Haqaïq (le trésor des vérités). Ces ouvrages sont d’une extrême rareté. Nacir Khosran mourut, selon Daoulet Châh, en 431 (1039) et selon Hadji Khalfa en 480 (1087). Je crois ces deux dates inexactes. Je possède un exemplaire du Rouchenay Namèh copié au XVe siècle et qui a fait partie de la bibliothèque de Sultan Husseïn à Hérât. Nacir Khosrau dit à la fin de cet ouvrage qu’il l’a terminé en l’année 343 de l’Hégire (954).
    Les doctrines des Ismaïliens sont exposées dans Cheheristany, édition de M. Cureton, pages 125 et 147, et dans le Dabistan oul Mezahib, édition de Bombay, 1262 (1845), page 235 et suivantes ; et tome II, page 397 et suivantes de la traduction de MM. Troyer et Shea.
  3. Cf. Cheheristany : Le livre des sectes religieuses et philosophiques, publié par M. Cureton, pages 132 et 143. Dabistan oul Mezahib, page 247.
  4. Memoirs of Zehir eddin Baber, page 136.
    Mémoires de Baber, traduits par M. Pavet de Courteille, tome I, pages 278 et suivantes.
  5. Le karoh ou coss désigne une mesure de distance variable selon les différents pays, mais que l’on estime généralement à deux milles anglais (3 kilomètres 200.)
  6. La première mention des Qalmaq dans les auteurs orientaux se trouve dans l’itinéraire des ambassadeurs envoyés en 822 (1419) par Châh Roukh et Oulough bey à la cour de Pékin. Cet itinéraire a été inséré par Aboul Hassan Saïd el Djourdjany dans son ouvrage géographique intitulé : Messalik oul Memalik. « Thourfan, dit l’auteur de l’itinéraire, est une ville fortifiée. On y trouve les Qalmaq, qui se livrent au brigandage. » Witsen a donné la traduction de l’itinéraire extrait de Saïd el Djourdjany dans son ouvrage : « Noord en Oost Tartaryen ». Amsterdam, 1785, pages 491 et suivantes. Seyid Aly Ekber Khitay ne consacre aux Qalmaq que quelques mots sans intérêt.
  7. Le chapitre Echchems ou du Soleil est le LXXXXIe du Qoran. Il comprend 21 versets.
  8. Le lecteur pourra consulter sur le yédèh, appelé en turc djedèh et en arabe hadjer oul mathar (pierre de la pluie), une longue noté inséréé par M. Ét. Quatremère dans l’appendice de l’histoire des Mongols de Rechid oud Din. M. Quatremère a réuni tous les passages des auteurs orientaux et occidentaux qu’il a pu consulter et qui sont relatifs au yédèh et aux qualités que lui attribuent les peuples de l’Asie centrale ; Histoire des Mongols de la Perse écrite en persan par Raschid Eldin, traduite par ÉEt. Quatremère, Paris, 1836, in-fo, pages 428 et suivantes.
    On lit dans la description du Turkestan insérée dans le voyage de M. Timkowski :
    « L’yada tach ou bezoar est dur comme le sel géminé ; il varie pour la grosseur et la longueur ; il y en a de jaune, de rouge, de blanc, de vert, de brun. On le trouve dans l’estomac des vaches et des chevaux, dans la tête des cochons, le meilleur, dans leur estomac. Quand les Turkestani veulent obtenir de la pluie, ils attachent le bezoar à une branche de saule qu’ils posent dans de l’eau pure, ce qui amène infailliblement ce qu’ils demandent. Quand ils désirent, du vent, ils mettent le bezoar dans un petit sac qu’ils attachent à la queue d’un cheval ; quand ils veulent un temps frais, ils l’attachent à leurs ceintures. Ils ont, pouf ces différentes circonstances, des conjurations ou prières qui, selon leurs opinions superstitieuses, manquent raremens de succès. Les Turkestani, les Targaout et les Oelet se servent fréquemment du bezoar, dans de longs voyages, pour se préserver de la chaleur. L’effet du bezoar est encore plus grand dans les mains des Lama. »
    Timkowski, Voyage à Péking. tome I, pages 412-413.
  9. Le mot Qazaq en turc oriental a les différentes significations de : émigré, exilé, rebelle, brigand, vagabond, aventurier.