Histoire de l'astronomie moderne/Discours préliminaire

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.


Les recherches les plus exactes et les plus scrupuleuses n’ont pu jusqu’ici nous faire découvrir d’autre Astronomie que celle des Grecs. Partout nous retrouvons les idées d’Hipparque et de Ptolémée ; leur Astronomie est celle des Arabes, des Persans, des Tartares, des Indiens, des Chinois, et celle des Européens jusqu’à Copernic.

Partout nous voyons la Terre immobile au centre du Monde et de tous les mouvemens planétaires. À force de suppositions invraisemblables, on est parvenu, dans ce système, à sauver à peu près les apparences. On sait calculer à quelques degrés près tous les phénomènes, sans que l’erreur évidente des résultats inspire encore la moindre méfiance sur l’idée fondamentale.

Alphonse regrette de n’avoir pas été appelé au conseil quand Dieu créa le Monde ; il aurait donné de bons avis sur le plan qu’il eût fallu suivre ; mais il ne doute en aucune manière de la vérité du système, car il s’y conforme dans ses tables.

Plus anciennement on nous dit que quelques philosophes ont placé le feu au centre du monde ; qu’ils ont fait tourner la Terre autour du Soleil en un an, et autour d’elle-même en vingt-quatre heures. D’autres philosophes moins hardis ont laissé au Soleil le mouvement annuel, et se sont bornés à donner à la Terre un mouvement de rotation. Mais il est à remarquer que ces idées ne sont consignées dans aucun livre d’Astronomie, ni dans l’ouvrage d’aucun Géomètre. Ptolémée en fait à peine une légère mention ; il convient en passant que le mouvement de la Terre autour de son axe faciliterait quelques explications, mais tout le reste lui paraît trop absurde pour mériter d’être sérieusement combattu. Archimède nous dit qu’Aristarque a rejeté l’opinion des astrologues, et qu’il fait tourner la Terre autour du Soleil, dans un cercle dont le rayon est égal à celui que l’on donne ordinairement à la sphère du monde. Quant aux planètes, il n’en fait pas la moindre mention ; et s’il adopte hypothétiquement l’idée d’Aristarque, c’est pour nous dire que la grandeur exagérée que cette opinion donne à la sphère des fixes, ne l’empêchera pas d’exprimer, par ses chiffres, le nombre des grains de sable qui rempliraient la concavité de cette sphère immense. Archimède témoigne assez qu’il n’est pas séduit par les assertions d’Aristarque, et quand il construit son planétaire, il se range à l’opinion commune, qui fait de la Terre le centre unique de tous les mouvemens. D’un autre côté, Plutarque nous apprend que l’idée d’Aristarque était une simple hypothèse ou conjecture, qui depuis avait été démontrée par Seleucus[1] ; mais aucun auteur ne nous a transmis cette démonstration. Sénèque nous dit qu’il importe d’examiner si la Terre est immobile au centre du monde, ou si le ciel étant immobile, la Terre tourne sur elle-même… Si Dieu fait tourner tout autour de nous, ou s’il nous fait tourner nous-mêmes. On s’attend que Sénèque va nous détailler les raisons qu’on peut alléguer en faveur de l’une et de l’autre opinion ; qu’il va nous dire au moins celle qui lui paraît plus vraisemblable, mais il abandonne brusquement cette question intéressante pour disserter sur la nature des comètes.

Aristote est le seul qui nous explique les motifs d’après lesquels les Pythagoriciens se sont écartés des idées communes ; et quoiqu’il soit lui-même d’un sentiment contraire à celui de ces philosophes, il a du moins la bonne foi de nous informer des raisons qu’on lui peut opposer ; il est vrai que ces raisons ne sont pas bien décisives. Voici ce qu’il nous apprend, au chap. 13 du liv. 2 du Ciel.

« Il nous reste à dire en quel lieu se trouve la Terre ; si elle est un des corps immobiles, ou si elle est un de ceux qui ont quelque mouvement… A cet égard, les opinions sont partagées ; la plus répandue est que la Terre occupe le milieu. Cependant les Pythagoriciens y placent le feu ; ils disent que la Terre est un des astres uni circulent autour de ce milieu, et que par ses mouvemens elle se donne à elle-même le jour et la nuit. À l’opposite de notre Terre, ils en imaginent une autre, qu’ils appellent Antichthone. Ce ne sont point les phénomènes qui leur servent à établir leurs rapports, ni à rechercher les causes ; ils font au contraire violence aux phénomènes pour les rapprocher de leurs raisonnemens et de certaines opinions avec lesquels ils s’efforcent de les faire accorder. Plusieurs autres sont encore d’avis qu’il ne faut pas assigner à la Terre la place du milieu. Ce n’est pas non plus sur les phénomènes qu’ils se fondent, mais sur certains raisonnemens. Ils pensent que la place d’honneur doit être assignée au corps le plus honorable ; que le feu est plus noble et plus précieux que la Terre ; que les termes sont plus honorables que les parties qui sont placées entre ces termes ; que le bord et le milieu sont des termes. (τὸ δέ ἔσχατον καὶ τὸ μέσον, πέρας). Par ces considérations, ils ne croient pas que la Terre soit au centre de la sphère. C’est au feu que cette place appartient à plus juste titre. À ces raisonnemens les Pythagoriciens ajoutent : qu’il faut placer d’abord et mettre en sûreté ce qu’il y a de plus essentiel dans l’univers ; que la partie la plus importante est le milieu, qu’on appelle pour cette raison le Fort de Jupiter (Διὸς φυλακὴν). Ce fort est la place qu’occupe le feu.

Telles sont les opinions sur le lieu de la Terre ; il en est de même de son immobilité ou de son mouvement. Les avis sont également partagés. Ceux qui ne la croient pas au milieu, disent qu’elle tourne autour de ce milieu, ce qui est également vrai de l’antichthone, ou de la terre opposée. D’autres pensent qu’il est possible qu’un plus grand nombre de corps circule ainsi autour du milieu. Ils sont invisibles pour nous, parce que la Terre nous les cache. C’est ce qui fait que les éclipses de Lune sont plus fréquentes que les éclipses de Soleil, car chacun de ces corps peut, tout aussi bien que la Terre, couvrir la Lune de son ombre ; et puisque la Terre n’est pas au centre, qu’elle en est éloignée d’un hémisphère, rien n’empêche que les phénomènes ne soient pour nous exactement ce qu’ils seraient si nous occupions le centre… Quelques-uns disent que quand même elle serait au centre, rien n’empêcherait encore qu’elle n’y tournât autour d’un pôle fixe, comme il est écrit dans le Timée. »

Nous remarquerons que dans ce passage, dans cet exposé des rêveries de différentes écoles, Pythagore lui-même n’est pas une seule fois nommé. Au contraire, nous voyons dans Plutarque (Opinions des philosophes) que Pythagore faisait marcher le Soleil dans l’écliptique, et c’est la raison qu’il donnait pour expliquer comment jamais le Soleil ne passait le tropique. Voilà pourquoi, en parlant des auteurs qui attribuaient à Pythagore la première idée du mouvement de la Terre, nous avions dit que c’était un point assez obscur. Les raisons des Pythagoriciens n’ont rien de géométrique, elles n’étaient point fondées sur les phénomènes, ainsi nous les avions passées sous silence en analysant Aristote et Simplicius.

La question n’est pas de savoir si les anciens n’avaient pas eu une idée vague que le Soleil pouvait être immobile au centre du monde, et si la Terre, par ses mouvemens, ne pouvait pas produire les phénomènes que l’on observe. Nous en avions assez dit pour ne laisser aucun doute sur ce point ; nous avions rapporté les opinions d’Aristarque, de Philolaüs, de Nicetas et d’Ecphantus. On verra que Copernic est bien éloigné de s’attribuer la première idée des mouvements de la Terre ; il se fortifie de tous les témoignages qu’il peut recueillir, il a grand soin de citer tous les anciens qui ont conjecturé ce qu’il se propose de démontrer. La seule question est de savoir quels secours Copernic a pu trouver chez les anciens, pour établir plus solidement une idée si paradoxale, quoique déjà si ancienne. Or, il nous paraît impossible de douter que Copernic a été réduit à tirer tout de son propre fond.

Les Grecs étaient grands métaphysiciens et grands discoureurs. Ils aimaient la dispute et l’argumentation. Leurs sectes étaient divisées sur tous les points. Il suffisait qu’une école professât une doctrine, pour que l’école voisine embrassât l’opinion contraire. Thalès disait que l’eau était le principe de tout ; Anaximène prétendait que c’était l’air. Les plus anciens d’entre les philosophes avaient dit sans doute que la Terre était immobile au centre du monde ; que le Soleil, par ses divers mouvements, nous donnait le jour, la nuit et les saisons. Ils s’étaient contentés d’expliquer par quel mécanisme tous les phénomènes observés pouvaient s’opérer. Quelques Pythagoriciens, pour se distinguer, placèrent le Soleil au centre et lancèrent la Terre dans l’écliptique ; nous venons de voir leurs raisons. Ils prétendaient que le Soleil était le plus noble de tous les corps. On pouvait leur opposer que l’homme est l’être le plus important, que tout a été créé pour lui, qu’il convient d’assurer la stabilité de sa demeure, et que c’est aux astres à tourner autour de lui pour le chauffer et l’éclairer. Ces raisons, sans être meilleures au fond, avaient du moins un plus grand air de vraisemblance. Mais quels motifs peut-on supposer aux Grecs pour rejeter le témoignage de leurs sens et affirmer l’immobilité du Soleil ? Avaient-ils observé un seul phénomène dont on ne pût rendre raison dans l’hypothèse de la Terre immobile ? Quand les astronomes eurent observé les stations et les rétrogradations des planètes, Apollonius avait donné les théorèmes nécessaires pour expliquer et calculer ces apparences singulières. Le mouvement du Soleil dans l’écliptique expliquait d’une manière bien simple la succession et le retour des saisons. La conversion du ciel en vingt-quatre heures expliquait tout aussi naturellement le jour et la nuit. Les Pythagoriciens eux-mêmes ne disaient-ils pas que les phénomènes se comprennent également bien, soit qu’on place la Terre au centre, ou qu’on la fasse mouvoir le long de l’écliptique ? Comment Séleucus aurait-il pu démontrer ce qu’Aristarque s’était contenté de conjecturer ? Malgré les progrès immenses de l’Astronomie, les modernes ont-ils pu assigner une preuve directe du mouvement diurne de la Terre, avant le voyage de Richer à Cayenne, et la nécessité où il se trouva de raccourcir son pendule ? Ont-ils pu trouver une démonstration positive et directe du mouvement annuel de la Terre, avant que Roëmer eût mesuré la vitesse de la lumière, et avant que Bradley eût observé et calculé les phénomènes de l’aberration ? Avant ces découvertes, avant celle de la pesanteur universelle, les plus déterminés Coperniciens n’étaient-ils pas réduits à de simples probabilités ? Ne se bornaient-ils pas à faire valoir la simplicité du système de Copernic, qu’ils comparaient à la complication absurde du système de Ptolémée ? Les anciens, à plus forte raison, et surtout lorsqu’ils n’avaient encore que des idées très confuses des mouvements des planètes, se seraient trouvés dans le même embarras que les modernes. Ils n’auraient pu donner en preuve que la simplicité de l’idée Pythagoricienne. Mais cette simplicité même, l’ont-ils soupçonnée ? En voit-on chez les anciens la plus simple mention ? Puisqu’ils n’ont fait que si peu d’attention à cette idée (qui ne se trouve que chez Cicéron et Vitruve), que le Soleil était le centre des mouvements de Mercure et de Vénus, et qu’ils n’ont pas su étendre cette notion aux autres planètes, comment se persuader qu’ils aient pu rendre toutes les orbites, et même celle de la Terre, concentriques au Soleil, pour y trouver une explication plus simple des stations et des rétrogradations ? Enfin quand j’accorderais, malgré le silence universel de tous les auteurs, et contre ma conviction intime, que les anciens ont eu ces idées, il est du moins incontestable qu’il n’en restait aucun vestige. Copernic a été obligé de les imaginer de nouveau. Son système lui appartient en propre ; ce système n’est, pour nous, ni celui de Philolaüs, ni celui d’Aristarque, dont les écrits ne nous sont point parvenus ; il est celui de Copernic, qui a mérité d’y attacher son nom, par le soin qu’il a pris d’en expliquer toutes les parties, d’en faire sortir tous les phénomènes que l’on observe, d’y trouver la cause des mouvemens de précession remarqués depuis 1800 ans, sans que jamais on eût tenté de leur assigner d’autre cause que l’existence hypothétique d’une huitième sphère, qui faisait sa révolution en 56,000 ans autour des pôles de l’écliptique, et qu’il fallait en outre faire tourner en vingt-quatre heures autour des pôles de l’équateur, pour rendre raison des mouvements diurnes.

C’est donc par Copernic que le mouvement de la Terre a été réellement introduit dans l’Astronomie, et non pas seulement dans les disputes de l’école ; c’est lui qui a démontré comment la révolution de la Terre autour du Soleil expliquait la succession des saisons et la précession des équinoxes ; c’est lui qui nous a fait voir avec quelle simplicité les mouvemens inégaux, dans des orbites concentriques au Soleil, donnaient naissance aux phénomènes des rétrogradations. C’est lui qui a posé l’Astronomie sur une base nouvelle, et qui, par ce changement important, a ouvert la route à toutes les recherches subséquentes. C’est à l’enthousiasme que cette vérité nouvelle excita chez Kepler, que nous avons dû la figure véritable des orbites planétaires et les lois des mouvemens. L’idée du mouvement de la Terre n’avait rien produit chez les anciens, parce que jamais elle n’avait été prise sérieusement en considération par leurs astronomes ; c’est son adoption qui est l’époque de l’Astronomie moderne.

Mais si Copernic eut la gloire d’être le fondateur de cette Astronomie, celle de s’en montrer le législateur était réservée à un génie plus inquiet et plus hardi. On dirait qu’effrayé du pas qu’il avait osé faire, Copernic n’eut pas le courage de mettre lui-même la dernière main à son ouvrage. Pour conjurer l’orage qu’il redoutait, il s’attacha uniquement à s’assurer le suffrage des astronomes, en leur prouvant que rien n’était changé pour eux, qu’ils n’avaient rien à oublier ni rien à apprendre ; que toutes leurs méthodes subsistaient, et même devenaient un peu plus faciles. Il retarda autant qu’il lui fut possible la publication de son livre, et mourut, dit-on, le jour même où il en reçut le premier exemplaire.

Jetez les yeux sur la figure qui représente le système de Copernic, en vous bornant d’abord aux considérations les plus générales ; rien ne paraîtra plus simple et plus naturel. Vous y verrez six orbites circulaires dont le Soleil est le centre commun. La Terre, en parcourant son orbite, présente successivement, aux rayons directs du Soleil, chacun des parallèles de sa zone torride, qui tous ont successivement le Soleil à leur zénit ; voilà les saisons expliquées. La succession des jours et des nuits s’entendra plus facilement encore par la révolution autour de l’axe en vingt-quatre heures.

Ce que nous disons de la Terre aura lieu également pour Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, pour les cinq planètes qui étaient alors inconnues, et pour toutes celles qu’on pourra découvrir par la suite. Chacune de ces planètes aura le même droit que la nôtre de se croire immobile au centre du monde, et de transporter au Soleil le cercle qu’elle décrit elle-même autour de cet astre, dans un temps plus ou moins long. Le mouvement que chacune attribuera au Soleil sera différent, mais également simple ; au lieu que si la Terre est immobile au centre du monde, que le Soleil décrive réellement l’écliptique, et que la Terre soit le centre commun, chacune des planètes décrira une courbe différente, qui aura ses nœuds et ses points d’intersection ; le mouvement qu’elle attribuera au Soleil aura la même complication ; enfin, le système ancien ne convient qu’à la Terre seule, et il présente des bizarreries inexplicables ; celui de Copernic est universel : il convient également à toutes les planètes ; tous les mouvemens ont les mêmes lois et la même simplicité.

Par cet arrangement, Copernic supprime tout d’un coup les épicycles que Ptolemée était forcé de donner aux planètes ; les stations et les rétrogradations de chacune d’elles, vues des cinq autres, deviennent des corollaires mathématiques de leurs différens rayons et de leurs mouvemens inégaux. Toutes les parties du système sont liées, les rapports mutuels sont déterminés, toutes les distances sont ramenées à une même échelle ; au lieu que dans l’ancien système, tout était incohérent et vague. On pouvait à son gré éloigner ou rapprocher chacune des planètes, sans s’imposer d’autre loi que de ne point intervertir l’ordre des distances, en mettant plus près du centre commun la planète dont la révolution zodiacale est la plus longue ; à cela près tout était arbitraire.

Ces avantages du système de Copernic étaient déjà de la plus grande importance. Jamais les anciens n’en ont eu le moindre soupçon, ou s’ils les ont connus, il est bien incroyable qu’aucun d’eux n’en ait parlé. Comment concevoir que les Pythagoriciens eussent négligé de les faire valoir, à l’appui de leurs raisons métaphysiques, du lieu le plus honorable et de la partie la plus précieuse ? Ces raisons mathématiques auraient-elles manqué d’obtenir l’assentiment d’Archiméde, d’Hipparque, de Ptolémée et de tous les géomètres de la Grèce. Pour faire triompher le nouveau système, des préjugés les plus invétérés, que fallait-il, sinon l’exposer dans tous ses détails et avec tous ses avantages. Voilà ce qui était impossible avant Ptolémée ; voilà ce que n’ont pu faire, ni Aristarque, ni Philolaus, ni Séleucus, puisqu’ils n’avaient point de tables des mouvemens planétaires ; voilà l’obligation que nous avons à Copernic. Telle est la partie brillante de son système ; le reste laissait beaucoup à désirer. L’auteur pose pour axiome, à l’exemple des anciens, que tous les mouvemens sont circulaires et uniformes. Dans le fait, on n’observe que des mouvemens continuellement variables. Pour en sauver les inégalités, Copernic est contraint de donner à chacun de ses cercles des centres différens. Toutes les planètes tournent autour de centres vides. Le Soleil est toujours dans l’intérieur de toutes les orbites, il n’est plus le centre d’aucune ; il n’a d’autre office que de distribuer la lumière ; il devient comme étranger à tous les mouvemens. Pour donner à ses tables moins d’inexactitude, Copernic, qui a supprimé les épicycles de Ptolémée, se voit forcé d’en créer de nouveaux. Il conserve à ses excentriques les inclinaisons et les librations de Ptolémée ; ses calculs des longitudes géocentriques ont toutes les longueurs et les défauts des calculs anciens ; ses latitudes ne sont ni plus commodes à calculer, ni moins fautives. S’il obtient sur Ptolémée quelques avantages importans dans sa théorie lunaire, en ce qui concerne les distances, les diamètres et les parallaxes, toutes ces améliorations sont dues à son adresse, à sa sagacité, et nullement à son système, qui a conservé presque toutes les absurdités et les embarras de l’ancienne théorie. Copernic a fait un pas important, et sans lequel tout progrès ultérieur était impossible ; mais si l’esprit de réforme se fût borné à ce qu’avait osé Copernic, il faut l’avouer, l’Astronomie pratique eût gagné peu de chose au changement de système. Pour aller plus loin, il manquait au fondateur de l’Astronomie moderne une suite considérable d’observations plus précises et plus sûres, il lui manquait le goût et l’aptitude pour les longs calculs. Mais la vie de l’homme est si courte, et ses forces sont si bornées ! Tycho fit ces observations, qui manquaient à Copernic. L’Astronome danois, en mourant, laissa Képler en possession de tout ce qui était nécessaire pour compléter la révolution commencée. Mais il faut dire aussi qu’il fallait que cet héritage tombât en des mains capables de le faire valoir. Longomontanus avait pu lire Copernic aussi bien que Képler, il avait une connaissance aussi entière de ces observations, auxquelles il avait si long-temps coopéré ; il avait tous les mêmes secours, excepté le génie des recherches ; et pour bien sentir ce que la science doit à Képler, il faut comparer l’Astronomie danoise à la Théorie de Mars et aux Tables Rudolphines.

Plutarque nous apprend qu’un philosophe disait que les Grecs auraient dû mettre en jugement, pour cause d’impiété, celui qui avait osé déplacer le sanctuaire de Vesta, en donnant à la Terre un double mouvement dans l’écliptique et autour de son axe. Voilà ce que Copernic redoutait pour lui-même, et ce qui lui fit différer pendant 36 ans la publication de son livre. Tycho, soit qu’il partageât réellement les scrupules des théologiens de son temps, soit qu’il ambitionnât la gloire de créer un système, Tycho se donna le mérite facile de concilier et de fondre en une seule les deux hypothèses contraires. Comme Copernic, il fit tourner toutes les planètes autour du Soleil ; il fit, pour Mars, Jupiter et Saturne, ce qu’au temps de Cicéron l’on avait fait pour Mercure et Vénus. Par respect pour les préjugés du temps, il rendit à la Terre son immobilité, et la donna pour centre aux mouvemens du Soleil et de la Lune. Plus d’une fois il promit qu’il démontrerait les absurdités du Système de Copernic, dans un grand ouvrage, dont à sa mort on ne trouva pas une seule page. Son système, sans avoir jamais joui d’aucune estime réelle, fut adopté en apparence par tous ceux qui craignirent de voir mettre leurs livres à l’index, et par tous ceux qui, tenant à quelque université ou à quelque corps religieux, n’avaient pas la liberté de manifester leur véritable opinion.

Les titres réels de Tycho à la reconnaissance des astronomes sont principalement ses observations. Né riche et d’une des premières familles du Danemarck, il consacra à l’Astronomie tout son tems et sa fortune. Il obtint de la cour la possession de l’ile d’Hueen, dans le Sund ; il s’y confina, dépensa cent mille écus de son patrimoine pour y construire un observatoire et le meubler d’instrumens. Tout ce qu’on avait imaginé jusqu’alors en ce genre, Tycho le fit exécuter avec plus de soin et dans de plus grandes dimensions ; il perfectionna la division de ces instrumens et leurs piunules ; il se procura de grandes armilles, avec lesquelles il pouvait suivre le Soleil de l’orient à l’occident. Il fit la première table de réfractions, et s’il ne l’étendit pas au-delà de 45°, c’est qu’à cette hauteur la réfraction, par sa petitesse, échappait à toutes ses mesures. Les moyens qu’il employa pour déterminer les positions relatives et absolues des étoiles, assurèrent à son nouveau catalogue une immense supériorité sur ceux d’Hipparque et d’Ulugh Beig. Ses tables du Soleil étaient d’une précision si heureuse que jamais, si nous devons l’en croire, il n’y trouva d’erreur qui passât un quart de minute. Mais il est permis d’en douter, d’après un passage décisif de Longomontanus, et quand on voit Cassini, cent ans plus tard, ne pouvoir éviter des erreurs d’une minute. Il ajouta de nouveaux perfectionnemens à la théorie lunaire de Copernic. Il reconnut, dans les longitudes de notre satellite, une équation considérable, qu’il nomma variation, et dans les latitudes, une équation analogue à celle qui est connue sous le nom d’évection ; il en détermina assez exactement la quantité ; il entrevit la quatrième équation de la longitude, mais sans en pouvoir fixer assez précisément ni la loi ni la quantité ; il laissa à ses successeurs une série régulière d’observations de toutes les planètes ; il les avait amassées dans l’intention de composer de nouvelles tables et de prouver l’excellence de son système, et Képler en fit un usage bien plus heureux pour établir à jamais le système de Copernic. Comme observateur, Tycho s’éleva fort au-dessus de tous ceux qui l’avaient précédé. À ce titre, joignez ses recherches théoriques sur la Lune et les comètes, et son nom vous paraîtra digne d’être placé à la suite de ceux d’Hipparque, Ptolémée et Copernic. Il avait fait tout ce qu’on pouvait se promettre de lui, lorsqu’une persécution, dont les causes ne sont pas bien connues, le priva des faveurs de la Cour, le força de s’expatrier et de se réfugier à Prague, où il mourut bientôt après. Lalande a voué à l’infamie et à l’exécration de tous les âges le ministre Walchendorp, qu’il cite comme le principal auteur de cette persécution. Tycho, dans le récit qu’il nous en a laissé, dans les vers où il a exhalé ses plaintes, ne nomme aucun de ses ennemis. Leurs fureurs odieuses ont, contre leur intention, produit un effet qui, sans les excuser, a tourné au profit de la science. Si Tycho fut resté dans son île, jamais Képler ne se fut rendu à ses invitations ; nous n’aurions certainement pas la Théorie de Mars, et nous ignorerions peut-être encore le véritable système du Monde.

Les astronomes, et Copernic lui-même, s’inquiétaient fort peu des causes physiques ; il leur suffisait de pouvoir imaginer une hypothèse qui pût servir de fondement à leurs calculs, et leurs prétentions n’étaient rien moins qu’exagérées. Copernic disait à Rhéticus, que si jamais il parvenait à représenter à dix minutes près les mouvemens célestes, il se croirait aussi heureux que l’avait été Pythagore, en trouvant le carré de l’hypoténuse. Képler ne voulut rien admettre sans en connaître la cause, et c’est uniquement pour faire disparaître une erreur de huit minutes qu’il fut conduit à changer toute l’Astronomie. Il commença par se demander pourquoi les planètes étaient au nombre de six et pas davantage, et quelle raison avait déterminé les rapports qu’il remarquait entre les distances, du moins dans le système de Copernic, car, dans le système ancien, ces rapports sont indéterminés. Pour satisfaire à ces idées d’ordre et de proportion, il crut qu’il manquait une planète entre Mars et Jupiter, et une autre entre Mercure et Vénus. Il crut voir ensuite que les six planètes connues laissaient entre elles cinq intervalles qui s’expliquaient par les cinq corps réguliers qu’on peut inscrire dans une même sphère. Il chercha les rapports qui lient ces distances aux révolutions. Il essaya tous les rapports en nombres entiers et fractionnaires ; il travailla dix-sept ans sans réussir et sans se décourager. Il trouva enfin que ce rapport est la puissance 3/2, ou que les carrés des temps sont comme les cubes des distances. Il n’en put donner la démonstration mathématique, qui dépendait d’un principe qu’il eut le malheur de méconnaître ; mais il montra par le fait que ce rapport est le même pour toutes les planètes. Ce rapport s’est vérifié sur les cinq planètes qu’on a découvertes depuis ; il s’est trouvé également vrai pour les quatre Lunes de Jupiter et les satellites plus nombreux de Saturne. C’est l’un des trois principes connus sous le nom de Lois de Képler.

Le second est que les orbites des planètes sont des ellipses et non des cercles, comme on l’avait toujours supposé jusqu’à lui. Les mouvemens étaient donc essentiellement inégaux, et il réfuta, par le fait, cet axiome ancien, consacré par Copernic, que tous les mouvemens étaient uniformes et circulaires. Il démontra sa seconde loi par des recherches extrêmement ingénieuses, dont aucun astronome ne lui avait donné l’exemple. Mais le mouvement uniforme, qu’on avait placé d’abord sur la circonférence d’un excentrique, et puis autour d’un centre qui n’était ni celui des distances constantes, ni celui du zodiaque, était le premier fondement de tout calcul astronomique. En acquérant la connaissance de la véritable figure des orbites, on perdait tout moyen de les calculer. Il fallait retrouver quelque part cette uniformité qui n’existait plus ni dans les excentriques ni aux centres des équans. Il la plaça dans les aires décrites par les rayons vecteurs ; il fit croître ces aires proportionnellement aux temps. Il sentit longtemps la nécessité et l’exactitude de cette loi, sans pouvoir se la démontrer autrement que par le fait. Il fait sentir lui-même le vice des démonstrations qu’il imagine successivement, et qu’il remplace enfin par la démonstration véritable, reproduite depuis par Newton avec plus de rigueur et généralement adoptée aujourd’hui. Le calcul des mouvemens elliptiques n’est donc plus impossible ; il offre cependant encore de grandes difficultés : Képler les aplanit. Il renferma tout ce calcul dans trois formules élégantes et simples, qui suffiraient aux besoins de l’Astronomie pratique. On a depuis donné à ces formules quelques développemens utiles pour la Physique céleste, mais elles seront les fondemens immuables de tout ce qu’on pourra jamais faire, comme de tout ce qu’on a fait en ce genre. Par ces brillantes découvertes, le Soleil est enfin mis à la place que Copernic aurait voulu lui assigner, et dont il avait été contraint de le repousser lui-même. Le Soleil ne pouvait être au centre commun des orbites circulaires, mais il peut occuper un foyer commun à toutes les ellipses planétaires. C’est à ce foyer qu’il faut rapporter tous les mouvemens, et c’est de ce point qu’il faut compter les distances. Les plans de toutes ces ellipses s’entrecoupent au centre du Soleil, toutes les lignes des nœuds passent par ce même centre. Par des moyens ingénieux et nouveaux, Képler détermine les inclinaisons des différentes orbites avec l’écliptique et le problème qui donne la position apparente d’une planète pour un instant quelconque ; ce problème, calculé tous les jours par tous les astronomes, depuis Ptolémée jusqu’à Tycho, est pour la première fois résolu exactement par Képler, qui sur ce point ne put jamais se faire comprendre, ni de Tycho ni de Longomontanus.

C’est en cherchant à ramener tous les mouvemens à des causes physiques, que Képler a été conduit à ces lois fondamentales, dont jamais aucun astronome ni aucun géomètre n’avait soupçonné l’existence. En plaçant le Soleil au centre de l’univers, il sentit qu’il devait en faire la source et la règle principale de tous les mouvemens. Il lui donna une masse capable d’attirer et de mouvoir toutes les planètes. Il osa dire que le Soleil tournait sur lui-même en moins de trois mois, longtemps avant que Galilée eût observé cette rotation, dont il réduisit la durée apparente à celle d’un mois lunaire. Képler vit que la pesanteur universelle devait être la loi de la nature ; il établit les axiomes fondamentaux de la Physique céleste. Par une distraction, ou plutôt par une préoccupation difficile à concevoir, il crut que l’attraction devait décroître en raison de la simple distance ; quoi qu’il eût solidement établi que l’intensité de la lumière diminuait en raison des surfaces sur lesquelles elle se distribue, c’est-à-dire en raison du carré de la distance. Boulliaud lui reprocha cette distraction, quarante ans avant que Newton eût rien écrit sur ce sujet. Au lieu de rectifier Képler, Boulliaud se prévalut de cette erreur palpable, pour rejeter toutes ses idées, qui n’ont été dignement et généralement appréciées que depuis qu’elles ont été démontrées par Newton. La loi des carrés aurait pu guider le législateur de l’Astronomie, dans quelques discussions où il s’est laissé aller à des suppositions qui ne sont pas d’une Physique assez exacte ; mais dans l’état où était alors la science analytique, cette loi ne l’eut pas conduit bien loin. Ces taches n’empêchent pas que le livre sur Mars ne soit le code des astronomes et des géomètres. Képler, le premier, porta l’exactitude dans tous les calculs astronomiques. La forme de ses tables est celle que nous suivons encore aujourd’hui pour les mouvemens elliptiques de toutes les planètes ; seulement on y a joint les perturbations que la Géométrie de Képler était hors d’état de calculer, et dont Newton lui-même n’a pu qu’entrevoir les principales et les plus faciles à déterminer.

Képler apprit aux astronomes à tirer parti des éclipses de Soleil, négligées universellement jusqu’alors, soit à cause du peu de certitude des observations, soit à cause de la longueur des calculs. Il donna le premier exemple d’une différence des méridiens, calculée d’après une éclipse de Soleil. Cette même méthode s’étend aux éclipses d’étoiles, et elle est à juste titre regardée comme la meilleure qu’on puisse avoir pour déterminer les longitudes géographiques et pour améliorer les tables. Il enseigna les moyens de connaître les lieux qui verront successivement commencer et finir ces éclipses, et ceux qui la verront centrale. Il apprit à calculer, pour chacun de ces lieux, la partie du Soleil qui sera éclipsée et celle qui restera visible. Pour diminuer la longueur de ces calculs préparatoires, il imagina de considérer les éclipses de Soleil comme des éclipses de Terre. Il posa les premiers principes de la projection orthographique appliquée à ces éclipses. Cette dernière méthode jouit longtemps d’une faveur qu’elle a perdue, depuis qu’un examen plus attentif a prouvé que ce second moyen, excellent pour simplifier le travail des annonces dans une éphéméride, est tout-à-la-fois moins exact et plus long que le premier, quand il s’agit du calcul rigoureux d’une éclipse observée.

Képler écrivit sur l’Optique, et donna la première idée de la lunette à deux verres convexes qu’on a substituée avec tant d’avantage à la lunette de Galilée. Prompt à saisir toutes les idées heureuses de ses contemporains, il s’attacha à démontrer avec plus de détails l’invention nouvelle des logarithmes. La table qu’il en donna était à la fois table de logarithmes pour les nombres, les sinus et les tangentes. Elle était table de logarithmes logistiques pour la division du degré en 3,600″, et pour la division du jour, soit en 24 heures, suivant l’usage des modernes, soit en parties sexagésimales, suivant l’usage des anciens. Il lui donna depuis une forme plus appropriée à l’usage de ses tables Rudolphines, pour les calculs courans et pour ceux des éphémérides ; mais il avoue que pour d’autres usages il conviendra de recourir à celles de Neper, d’Ursinus ou de Briggs. Le premier il attira l’attention des astronomes sur les passages de Mercure et de Vénus, dont il fit sentir en partie les avantages. Il calcula des éphémérides, qu’il sut rendre plus intéressantes encore par les dissertations astronomiques qu’il y insérait. Nous n’avons rien dit encore de ses tables de réfractions, plus complètes et plus exactes que celles de Tycho, et qu’on trouvera bien remarquables, si l’on considère les erreurs des observations qu’il était forcé de prendre pour base, et l’ignorance où l’on était encore du théorème fondamental de cette doctrine.

Longtemps les astronomes avaient dédaigné les comètes, qu’ils considéraient comme des vapeurs fortuitement amassées, qui se dissipaient de même pour ne reparaître jamais. Regiomontanus ne s’était guère occupé que de leur parallaxe, dont la petitesse prouvait, contre le sentiment d’Aristote, qu’elles se mouvaient bien au-dessus de la sphère de la Lune. Apian en avait fait quelques observations grossières, desquelles il avait conclu qu’elles décrivaient un grand cercle autour de la Terre. Tycho et Mæstlin, en suivant cette idée, avaient déterminé des orbites circulaires qui enfermaient la Terre, à laquelle elles étaient médiocrement excentriques. De leurs mouvemens, Tycho avait tiré cette conséquence importante, que les sphères des planètes n’étaient nullement solides, comme le voulait Aristote, puisque les comètes les traversaient librement en tous sens. Képler ne crut pas aux orbites circulaires, puisque les comètes ne venaient pas se remontrer dans le temps qui serait résulté du mouvement uniforme qu’on leur supposait dans leur excentrique. Il préféra les orbites rectilignes. Il calcula les cordes des arcs décrits par la Terre dans l’intervalle des observations ; les longitudes observées de la comète lui donnaient les angles que les distances de la comète à la Terre formaient avec les cordes calculées ; il en conclut, par la Trigonométrie, les points et les angles d’intersections de toutes les lignes sur lesquelles la comète avait été vue de la Terre ; il ne restait qu’à couper toutes ces directions par une ligne droite dont les segmens fussent proportionnels aux temps que la comète avait employés à les décrire. Le problème était indéterminé, mais il offrait des limites. Képler les détermina, et il en conclut les limites des parallaxes et des distances. Il en résultait que les comètes étaient bien plus loin de nous que la Lune. Il vit que le mouvement uniforme, sur la trajection rectiligne, ne pouvait pas toujours représenter les observations ; il fut forcé de le ralentir vers la fin de l’apparition. Préoccupé de la fausse idée que les comètes ne revenaient pas, il s’obstina à supposer l’orbite rectiligne ; il n’eut pas l’idée si simple de leur faire décrire des ellipses autour du Soleil. Il crut que ce serait perdre son temps que de calculer scrupuleusement la marche de ces astres passagers, qui se dissipaient si promptement. En adoptant l’idée d’Apian, que la queue s’étendait toujours dans une direction opposée au Soleil, il crut que cette queue était formée par les rayons solaires, qui, en traversant le corps de la comète, entraînaient continuellement les parties les plus subtiles, en sorte que la comète finissait par se réduire à rien, parce que les parties qui formaient la queue se détachaient successivement à mesure qu’elle avançait. D’après ces idées, on conçoit l’espèce d’indifférence qu’il a témoignée, et le peu de soin qu’il a pris pour approfondir cette théorie ; mais dans sa manière de calculer toutes les circonstances de l’apparition, on remarque pourtant deux choses nouvelles, et qui n’ont pas été inutiles aux modernes. La première est la manière dont il calcule les triangles qui ont pour base les cordes décrites par la Terre. La seconde est cette ligne droite divisée proportionnellement au temps. Une trajection rectiligne ainsi divisée a beaucoup de ressemblance avec la corde d’une orbite parabolique, entre deux observations extrêmes, que par approximation on se permet de diviser d’après le temps pour y trouver le lieu de la comète dans l’observation intermédiaire ; ainsi la théorie incomplète et inexacte de Képler a fourni du moins les deux points fondamentaux de quelques approximations modernes.

Il est peu de vies aussi remplies que celle de Képler ; il en est peu qui aient été signalées par des découvertes aussi importantes et aussi inattendues. Né sans fortune, Képler n’eût, pour faire subsister sa femme et ses enfans, que le produit incertain de ses ouvrages et sa pension de mathématicien de l’empereur, pension mal payée, par le malheur des temps, et qui exigeait de sa part des sollicitations continuelles et des déplacemens dont le dernier lui coûta la vie. De nos jours, un prince, ami des sciences (Charles d’Alberg, alors prince primat), lui fit dresser un petit temple en marbre. On y voit son buste et l’ellipse de Mars, monument plus impérissable que les marbres et que l’airain.

Nous venons de voir le système de Copernic rectifié et complété par des améliorations dont les astronomes furent longtemps à sentir tout le prix. Presque à la même époque, ce système prenait faveur en Italie, par des découvertes qui, pour être senties, n’exigeaient guère que des yeux.

La lunette avait été trouvée en Hollande, soit par un simple hasard, soit, comme il est plus probable, par les soins et la curiosité d’un amateur nommé Métius, dont le plaisir était de rassembler des lentilles de toute espèce, et de les combiner ensemble pour en varier les effets. Galilée en reçut la nouvelle : il chercha à deviner la composition de la lunette batave, et dès le lendemain il en avait une qui grossissait trois fois. Il continua ses essais, et parvint à amplifier trente fois environ le diamètre des objets. Il reconnut les phases de Vénus parfaitement semblables à celles de la Lune ; il en conclut que Vénus tournait autour du Soleil. Copernic, dit-on, avait annoncé que ces phases étaient une conséquence nécessaire de son système, ajoutant que si elles étaient invisibles, il ne fallait l’attribuer qu’à la petitesse du diamètre et à la vivacité de la lumière, qui empêchaient de bien distinguer la figure. En suivant Jupiter avec attention, il aperçut quatre Lunes qui faisaient autour de cette grosse planète des révolutions bien plus rapides que celles de notre Lune. Il y trouva autant de preuves que notre Lune peut tourner autour de la Terre et l’accompagner dans sa révolution autour du Soleil. Il découvrit, sur le disque de cet astre, des taches dont le mouvement lui fit conclure que le Soleil devait tourner autour de lui-même en 27 jours à peu près ; il entrevit même l’anneau de Saturne, mais sa lunette était trop faible pour lui en faire distinguer la forme, et cette découverte ne fut complétée que longtemps après, par Huygens. Chacune de ses découvertes détruisait une des objections qu’on avait faites à Copernic. Elles étendirent sa considération personnelle, et lui suscitèrent des envieux et des détracteurs ; les uns voulurent s’attribuer la gloire d’avoir aperçu les premiers les phénomènes qu’il annonçait ; d’autres voulurent les nier. Les quatre nouvelles planètes qu’il avait vues circulant autour de Jupiter, et qui portaient à 11 au lieu de 7 le nombre total des planètes, parurent en opposition avec les propriétés du nombre septenaire. Les sept chandeliers d’or de l’apocalypse étaient réputés désigner les sept planètes, aussi bien que les sept églises. Cette découverte parut donc contraire aux saintes écritures ; mais cette objection était trop ridicule, et ne fut pas la source des chagrins de Galilée. En défendant le système de Copernic, il ménageait peu Aristote et ses sectateurs, qui en conçurent un profond ressentiment. La réputation de Galilée, son titre de professeur et de premier mathématicien, firent craindre aux péripatéticiens et aux théologiens que la doctrine nouvelle ne fît trop de progrès, et ne vînt à renverser les autels d’Aristote. Ils se liguèrent contre lui, cherchèrent à lui nuire, soit auprès du grand-duc, soit à la cour de Rome. Nous voyons, par les mémoires et les lettres inédites de Galilée, publiées à Modène en 1818, par M. Venturi, que Castelli, élève de Galilée dans une conversation où le provéditeur de l’université de Pise lui conseillait de ne jamais parler du mouvement de la Terre, se crut obligé d’assurer positivement que le même conseil lui avait été donné depuis longtemps par Galilée, qui lui-même, depuis vingt-quatre ans qu’il professait, n’avait jamais traité ce point dans ses leçons publiques. Les péripatéticiens regardaient comme une hérésie l’idée de Copernic, et s’il faut croire que Galilée ne l’avait jamais soutenue comme professeur, il existe plus d’une preuve qu’il ne faisait pas mystère de son opinion. Nous trouvons dans le recueil cité un mémoire adressé à la mère du grand-duc. Il y prouve que le nouveau système n’est en rien contraire à l’Ecriture ; il s’y attache particulièrement à expliquer à sa manière le fameux passage de Josué : Sol ne movearis. Son explication est d’une subtilité assez remarquable.

Ce passage ne peut s’expliquer dans le système de Ptolémée, qui ne donne réellement au Soleil qu’un mouvement qui lui soit propre, celui d’un degré par jour vers l’orient. Or, la cessation de ce mouvement accourcirait le jour au lieu de l’allonger. Il en est de même du mouvement propre de la Lune. L’Ecriture ajoute que le Soleil s’arrêta au milieu du ciel (et ne s’avança plus vers le couchant jusqu’à la fin du jour). Galilée supprime ces derniers mots, et soutient que les précédens ne peuvent s’entendre du méridien ; car lorsque Josué donna son ordre au Soleil, cet astre devait être prés de se coucher. On le voit par tout ce que Josué avait déjà fait dans la journée. S’il eût été midi, il serait resté sept heures, qui auraient suffi pour achever la défaite des ennemis. Par ces mots, au milieu du ciel, il faut donc entendre le centre de la sphère céleste, où Copernic place le Soleil, qui n’a d’autre mouvement que celui de rotation. À l’ordre de Josué cette rotation s’arrêta, et par suite suspendit tous les mouvemens célestes. Il raisonnait ici d’après une idée de Képler. Ainsi, selon Galilée, ce passage prouve que le Soleil occupe le centre de la sphère. Quant au passage non moins fameux : In sole posuit tabernaculum suum ; et ipse tanquam sponsus procedens e thalamo suo exultavit ut Gigas ad currendam viam. Nec est qui se abscondat a calore ejus. Ce passage n’indique en aucune manière le mouvement du Soleil. Le Soleil est le réceptacle d’une matière extrêmement subtile et douée d’une vitesse prodigieuse, qui a été créée antérieurement au Soleil, qui n’a point sa source dans le Soleil ; où elle a été placée quelques jours seulement après sa création, et qui en sort comme un époux de son lit nuptial. Le Soleil est ce lit nuptial, et la lumière ce géant qui s’élance pour parcourir tout le ciel et porter partout la chaleur et la vie.

Ces explications, qui n’étaient guère que des subtilités, ne satisfirent pas les ennemis de Galilée, qui y virent au contraire plus d’une chose sentant l’hérésie. Galilée, apprenant que ses ennemis s’agitaient à Rome, obtint du grand-duc la permission d’y faire un voyage pour y disputer avec les péripatéticiens et les confondre. Suivant ses lettres, il y fut reçu avec beaucoup de distinction ; il y soutint sa doctrine dans de nombreuses conférences où il triompha des opposans. Il en eut entre autres une assez longue avec le dominicain Caccini, qui l’avait attaqué dans un sermon prêché à Florence, et dans lequel il avait pris pour texte : Viri Gallilœi quid statis adspicientes in cœlum. Ce dominicain, qu’il nous dépeint comme un homme faux et dangereux, lui fit toutes sortes de soumissions, et témoigna même du regret de son incartade. Nous verrons plus loin une preuve irrécusable de la duplicité de Caccini.

Galilée avait, dans le temps, porté sa plainte au général de l’ordre, Luigi Maraffi, qui, dans une lettre du 10 janvier 1615, lui témoigne son regret de ce qu’un frère de son ordre lui ait donné de justes sujets de plaintes. Il ajoute que c’est pour lui-même une chose assez fâcheuse, que d’avoir sa part dans toutes les bêtises (bestialità) que peuvent faire et QUE FONT trente ou quarante mille religieux.

Galilée nous dit encore qu’il a obtenu une audience du pape, qui l’a traité avec beaucoup de considération et de bonté. Mais, d’un autre côté, l’ambassadeur de Toscane à Rome écrit au grand-duc qu’il ne sait ce que Galilée est venu faire en ce pays, dont l’air ne lui vaut rien, et qu’il devrait quitter au plus tôt ; qu’il y dispute avec une humeur et un acharnement qui pourra lui susciter des affaires fâcheuses ; qu’il a été décidé par le pape et son conseil, que la doctrine de Copernic n’est pas conforme à la foi ; que les livres de cet auteur et de ses sectateurs seront suspendus jusqu’à ce qu’ils aient été corrigés, et qu’on supprimera totalement celui du carme Foscarini, qui a entrepris de prouver que les passages de l’Ecriture ne doivent pas s’entendre dans le sens littéral qu’ils semblent présenter. Il paraît que c’était là le point d’achoppement, ou plutôt le prétexte qu’on mettait en avant. On aurait passé à Galilée de parler en mathématicien de l’excellence de la nouvelle hypothèse ; mais on soutenait qu’il devait abandonner aux théologiens l’interprétation de l’Ecriture. En effet, le Saint-Office rendit le décret annoncé par l’ambassadeur : Galilée n’y était pas nommé ; le cardinal Bellarmin avait même consenti à lui donner une attestation de laquelle il résultait qu’il n’avait été forcé à aucune abjuration, et qu’il avait bien moins encore été condamné à des pénitences salutaires, mais que seulement on lui avait signifié la sentence du Saint-Office.

En conséquence du rapport fait par l’ambassadeur, le grand-duc fit écrire à Galilée : « qu’il avait pu apprendre par sa propre expérience quel était l’esprit persécuteur des moines ; que leurs altesses craignaient qu’un plus long séjour à Rome ne lui causât quelques désagrémens ; que puisque jusqu’alors il en était sorti avec honneur, il ne fallait plus picoter le chien qui dormait ; qu’il était invité à revenir au plus tôt ; que les moines étaient tout puissans, et qu’il courait sur lui des bruits assez déplaisans. »

Ce que peu de personnes ont remarqué, quoique le fait soit attesté par la première ligne de la sentence qui condamne Galilée, c’est que, dès le commencement de 1615, près d’un an avant l’injonction qui imposait à Galilée le silence le plus absolu sur le système de Copernic, sous peine d’être jeté dans les prisons (conjecerere in carcerem), l’inquisition instruisait déjà contre Galilée. Nous possédons une longue déposition du moine Caccini, de ce fougueux prédicateur qui avait insulté à Galilée en chaire, à Florence même. Cet acte fait partie des pièces du procès de Galilée ; il est du 20 mars 1615 ; le corps de l’acte est en latin ; les réponses du déposant aux interpellations qui lui sont faites sont en italien. Nous avons également en notre possession une lettre du dominicain Lorini, datée de février 1615, et qui dénonce à l’inquisition une lettre écrite le 21 décembre 1613, par Galilée à Benedetto Castelli, son élève, son ami et son suppléant en la chaire de Pise, et dans laquelle il donnait quelques développemens nouveaux à son explication du passage de Josué. On n’avait que des copies de cette lettre, et on aurait voulu avoir la lettre écrite et signée par Galilée. L’archevêque de Pise et l’inquisiteur Lélio se liguèrent, employèrent toute leur adresse et les témoignages d’amitié les plus perfides, pour tirer cet original des mains, soit de Castelli, soit de Galilée lui-même, à qui Castelli disait l’avoir renvoyé. Probablement ils ne purent y réussir, puisque tous leurs efforts se bornèrent alors à des dénonciations et à des procédures secrètes à Rome. Toutes ces menées avaient donc précédé le voyage de Rome, où Galilée eut des succès si brillans, et qui pourtant se terminèrent par cette défense de croire et d’enseigner en aucune manière la doctrine du mouvement de la terre. La lettre qui avait donné lieu à tant d’intrigues est aussi l’une des pièces du procès ; elle est entièrement conforme à la copie qu’en a donnée M. Yenturi, page 203 et suivantes de son recueil. Il y a toute apparence que jamais on n’a pu se procurer l’original, puisque la sentence ne parle que d’un exemplaire d’une lettre qu’on disait écrite par lui à l’un de ses disciples. V. page 665. Les pièces originales déjà citées nous fournissent des détails curieux sur l’impression des dialogues. « En 1630, Galilée porta à Rome, au P. maître du sacré palais, son livre manuscrit pour le faire imprimer, et selon le rapport (fol. 46), il fut, par ordre de lui (Nicolas Riccardi), revu par son collègue, dont le certificat ne parait pas. On voit au contraire, dans le même rapport, que le père maître du sacré palais voulait, pour sa plus grande sûreté, examiner lui-même le livre ; sur quoi, pour abréger le temps, il convint avec l’auteur que pendant qu’on imprimerait, il ferait voir ce livre feuille à feuille ; et afin que cela pût s’arranger avec l’imprimeur, il lui donna l’imprimatur pour Rome. L’auteur alla ensuite à Florence, d’où il pressa le maître du sacré palais de lui accorder la permission d’imprimer à Florence. Elle lui fut refusée. L’affaire fut renvoyée ensuite à l’inquisiteur de Florence, et le maître du sacré palais s’étant défait de cette cause, laissa à cet inquisiteur la charge d’accorder ou de refuser la permission, lui mandant aussitôt tout ce qu’il avait à observer pendant qu’on imprimerait. L’inquisiteur répondit qu’il avait confié la correction au père Stéfani, conseiller du Saint-Office, avec la copie de la préface ou du commencement de l’ouvrage, et de ce que l’auteur doit dire à la fin du livre même (folio 48). Après cela, le maître du sacré palais dit qu’il ne sait autre chose, sinon qu’il a vu le livre imprimé à Florence, et publié avec l'imprimatur de l’inquisiteur et avec l’imprimatur de Rome… Il examina le livre, et trouva que Galilée avait outrepassé les ordres et l’injonction qui lui avait été faite. En conséquence, le 25 septembre 1632, sa sainteté donna ordre d’écrire à l’inquisiteur de Florence, pour qu’il enjoignît à Galilée de se rendre à Rome (folio 52)… Arrivé et constitué au Saint-Office le 12 avril 1653, il dit (folio 69) qu’il croit avoir été appelé à Rome pour un livre composé par lui en dialogues, dans lequel il traite des deux plus grands systèmes, livre imprimé à Florence en 1602, lequel il a reconnu et dit avoir composé dix ou douze ans en ça, et dont il s’est occupé pendant sept ou huit ans, mais non pas continuellement. Dit que l’an 1616 il était déjà venu à Rome pour apprendre ce qu’il convenait de soutenir concernant l’opinion de Copernic, desquelles matières il s’est entretenu plusieurs fois avec les seigneurs cardinaux du Saint-Office, et en particulier avec les SS. Bellarmino, Aracœli, de Saint-Eusèbe, Bonzi et Ascoli, et que finalement il fut, par la congrégation de l’index, déclaré que la susdite opinion de Copernic, absolument prise, était contraire à la sainte Ecriture, et ne pouvait se soutenir et se défendre que par supposition. Cette déclaration lui fut notifiée par le cardinal Bellarmin… Il avoue l’injonction ; mais se fondant sur le certificat du cardinal Bellarmin (certificat qu’il produit), dans lequel les paroles quovis modo docere ne sont pas énoncées, il dit qu’il ne les avait pas retenues ; que pour imprimer son livre il vint à Rome ; qu’il le présenta au maître du S.P., qui le fit revoir et lui accorda la permission de l’imprimer à Rome. Contraint de s’en aller, il demanda par lettre la permission de l’imprimer à Florence ; mais lui ayant été répondu qu’on voulait de nouveau revoir l’original, et n’étant pas possible de l’envoyer à Rome sans danger, à cause de la contagion, il le remit à l’inquisiteur, lequel le fit revoir par le père Stefani, après quoi on lui accorda la permission de l’imprimer, en observant ce qui avait été prescrit par le maître du S.P., que si en demandant ladite permission il ne dit pas au maître du S.P. l’injonction susdite, c’est qu’il estima n’être pas nécessaire de la dire, n’ayant pas, dans son livre, adopté et défendu l’opinion de la stabilité du Soleil et du mouvement de la Terre, avant d’avoir montré le contraire et le faible des raisons données par Copernic. »

Après ce discours, Galilée fut conduit dans le logement du magnifique Charles Sincere, procureur fiscal du Saint-Office, qu’on lui avait donné pour prison ; et dix-huit jours après, c’est-à-dire le 30 avril, il demanda d’être entendu et dit (folio 75 des pièces originales) :

« Ayant fait réflexion aux demandes qui m’ont été faites par rapport à l’ordre à moi donné de ne soutenir, défendre ni enseigner quovis modo la susdite opinion, pour le présent condamnée, je pensai à relire mon livre, que je n’avais pas revu depuis trois ans, afin d’observer si, contre mes intentions, les plus pures du monde, il ne serait pas sorti de ma plume des choses d’où l’on pût arguer tache de désobéissance, et autres objets qui donnassent lieu de m’imputer le dessein de contrevenir aux ordres de la sainte Eglise ; et l’ayant minutieusement examiné, m’y attachant, à cause du long non usage, comme à un écrit nouveau et d’un autre auteur, je confesse librement qu’il m’a paru en plusieurs endroits tellement étendu, que le lecteur, qui ne me connaît pas bien, aurait eu sujet d’en inférer que les argumens avancés comme du parti faux, et que j’ai eu intention de réfuter, ont été énoncés de telle manière, que leur force engagerait plutôt à les adopter qu’elle ne laisserait un libre choix. Deux surtout en particulier, l’un des taches solaires, l’autre du flux et reflux de la mer, entrent dans les oreilles du lecteur avec des attributs de force et de vigueur extraordinaire, plus qu’il ne paraissait convenir à l’auteur, qui les tient pour non concluans, et qui voudrait les réfuter, comme en effet dans mon intérieur et avec vérité, je les ai estimés et les estime encore comme non concluans et susceptibles de réfutation ; et pour m’excuser moi-même envers moi-même d’avoir donné dans une erreur aussi éloignée de ma propre intention, je ne m’en tiens pas uniquement à dire que dans l’exposé des argumens de la partie adverse, quand on a la volonté de le réfuter, on doit, surtout en écrivant en dialogue, s’attacher à la forme la plus exacte, et non les pallier au désavantage de l’adversaire. Non content, dis-je, d’une telle excuse, j’ai recours à celle de la complaisance naturelle que chacun a pour ses propres subtilités, et l’envie de se montrer plus fin que le commun des hommes, en trouvant, pour les propositions fausses, d’ingénieux et de spécieux discours de probabilité. En conséquence, quoique je sois comme Cicéron, avidior gloria quam satis sit, si j’avais maintenant à déduire les mêmes raisons, il n’y a point de doute, je les énerverais en telle sorte qu’elles n’auraient plus l’apparence de la force dont elles sont essentiellement et réellement privées. Mon erreur donc a été, je l’avoue, une vaine ambition, une pure ignorance et une inadvertance. Pour plus grande preuve que je n’ai point tenu et ne tiens point pour vraie l’opinion susdite du mouvement de la Terre et de la stabilité du Soleil, je suis prêt à en faire une plus grande démonstration. Si on me l’accorde, l’occasion est favorable, attendu que, dans le livre publié, les interlocuteurs sont d’accord de se retrouver ensemble après un certain temps, pour discourir sur divers problèmes physiques réservés et simplement annoncés dans leurs conférences ; et comme je dois y ajouter une ou deux journées, je promets de reprendre les argumens déjà donnés en faveur de ladite opinion fausse et condamnée, et de les réfuter de la manière la plus efficace que Dieu m’inspirera.

Pour sa défense, il présente le certificat du C. Bellarmin, aux fins de montrer qu’on n’y trouve point les paroles de l’injonction, quovis modo docere ; et il assure que dans le cours de quatorze ou seize ans, il a perdu entièrement la mémoire, n’ayant point eu occasion d’y penser (Folio 79—83). Pour qu’on l’excuse, s’il a enfreint l’injonction qui lui a été faite, puisque ne se rappelant pas les mots quovis modo docere, il croyait que le décret de la congrégation de l’index suffisait, étant ce décret publié et en tout conforme aux expressions qui sont dans ce certificat ; savoir, que ladite opinion n’a point dû être adoptée ni défendue, d’autant plus que pour l’impression, lui Galilée a observé tout ce à quoi son décret l’obligeait. Il le rapporte, non pour se disculper d’erreur, mais parce qu’il ne lui impute ni ruse ni méchanceté, et seulement une vaine ambition. Met humblement en considération son âge caduc de soixante-dix ans, accompagné d’infirmités dignes de pitié, d’affliction d’esprit pendant dix mois, les incommodités souffertes dans le voyage, les calomnies de ses rivaux, auxquels ont été soumis son honneur et sa réputation. »

Il faut en effet bien se pénétrer de ces dernières lignes, pour lui passer tout ce qu’on voit dans le reste de faiblesse et de manque absolu de sincérité. Il a dit, dans une lettre à l’un de ses disciples, que sa défense a fait hausser les épaules à ses juges, et on le conçoit ; ce qu’on a peine à concevoir, c’est qu’il ait pu croire tant de force à ses deux argumens des taches du Soleil et du flux et reflux de la mer ; il avait raison plus qu’il ne pensait, en assurant qu’ils sont peu concluans et susceptibles de réfutation. Pour plus grande preuve qu’il n’avait pas eu réellement l’intention de faire croire au système de Copernic, et qu’il n’avait eu d’autre ambition que celle de se montrer plus subtil que le commun des hommes, enfin que tout son tort était un vain amour de gloire, il aurait pu dire qu’il n’avait produit, en faveur de cette hypothèse, que des argumens tirés de son propre fond ou de ses découvertes, lesquelles, comme les phases de Vénus, les taches du Soleil, les quatre Lunes de Jupiter et les trois corps de Saturne, ne prouvaient absolument rien pour le mouvement de la Terre (puisqu’elles s’accommoderaient également bien au système de Tycho), et qu’il s’était bien donné de garde de dire un seul mot des lois de Képler et de tant d’autres preuves publiées déjà par cet astronome, et bien plus faites pour entrer avec une force et une vigueur extraordinaires dans les oreilles et dans l’esprit du lecteur ; mais sa situation ne le rend que trop excusable, s’il dissimule et offre même de réfuter plus amplement une opinion qu’il avait embrassée bien longtemps avant la première de ses découvertes, et qu’il n’a jamais véritablement abjurée.

Dans une lettre à Képler, qui venait de lui envoyer son Prodrome, on voit que, dès 1597, et longtemps auparavant, Galilée était copernicien décidé, qu’il avait beaucoup écrit sur ce sujet, mais qu’il n’avait osé rien publier ; il craignait le sort de leur maître commun, Copernic, qui, en s’acquérant une renommée immortelle dans l’esprit d’un petit nombre de lecteurs intelligens, s’est rendu ridicule aux yeux des sots, qui partout composent le grand nombre. Il serait plus hardi, s’il pouvait compter sur beaucoup de lecteurs tels que Képler. Celui-ci, dans sa réponse, lui conseille de prendre plus de confiance ; la force de la vérité est telle, qu’il doit compter sur les suffrages de tous les mathématiciens de l’Europe. Cependant, s’il trouve quelque danger à publier sa dissertation en Italie, il peut espérer plus de facilité en Allemagne. En effet, dans son Prodrome, Képler avait hautement plaidé la cause de Copernic, toute sa vie a été employée à fortifier de nouveaux argumens la nouvelle doctrine, et l’on n’a rien qui puisse donner le moindre soupçon qu’il ait été inquiété pour avoir librement expliqué sa pensée.

Seulement on voit, par une lettre adressée par lui à tous les libraires étrangers, août 1619, qu’il avait craint que si ses livres venaient à être prohibés en Italie, comme ceux de Copernic et de Foscarini, cette interdiction n’en restreignît le débit, et ne devînt nuisible à ses intérêts pécuniaires. Il déclare qu’il a écrit avec la liberté germanique ; mais qu’il est chrétien, fils de l’Evangile, et qu’il a toujours embrassé et approuvé la doctrine catholique autant qu’il a été en lui. (Quantum ad hanc usque meam œtatem capere potui.) L’opinion copernicienne avait été librement professée pendant près de 80 ans. Vieux disciple de Copernic, dont depuis 26 ans il est déclaré partisan, il apprend cette nouvelle, mais il espère que cette censure n’a pas été portée pour interdire toute dispute sur des choses purement naturelles. Jusqu’ici Copernic n’a pas été suffisamment entendu ; il se flatte qu’on ordonnera la révision de la cause, qu’on pèsera les nouvelles raisons qu’il expose dans son livre des Harmoniques, et que les juges, mieux instruits, réformeront la première sentence. En attendant, il conseille aux libraires de ne point rendre trop publique la vente de son livre, et de n’en céder les exemplaires qu’aux plus habiles théologiens, aux plus célèbres d’entre les philosophes, aux mathématiciens les plus exercés, enfin aux métaphysiciens les plus profonds, auxquels il n’a pas d’autre moyen de les faire parvenir.

On verra dans notre Histoire quelle fut la conduite de Galilée après le décret de 1616. Nous y donnons tous les détails de ce procès scandaleux, et toutes les pièces authentiques publiées par Riccioli. Nous ajouterons ici, d’après le recueil déjà cité de M. Venturi, que Benoît XIV a fait disparaître ce décret de l’index ; c’est-à-dire, en d’autres termes, qu’il l’a annulé. Mais quand nous avons écrit l’article Galilée dans notre Histoire, le livre de M. Venturi n’avait point encore paru. Ce livre même nous a fait naître l’idée de chercher et de consulter tous ceux qui avaient lu les pièces originales du procès, pendant qu’elles étaient à Paris. Nous avons obtenu les renseignemens curieux qu’on vient de lire. Ces pièces formeraient un volume de 200 pages environ, sans la traduction française, qu’on avait dessein d’y joindre. Dans la dénonciation de Lorini, dont nous avons fait ci-dessus une simple mention, on lit qu’un des griefs du bon père était le chagrin de voir attaquer la philosophie d’Aristote, dont la théologie scolastique fait tant d’usage. Il demande que, dans le cas où il y aurait lieu à correction, on puisse apporter les remèdes nécessaires pour que parvus error in principio non sit magnus in fine. On voit dans ces pièces que, le 19 mars 1615, le saint Père ordonna qu’on fît venir Caccini, qu’on le fixât à Rome avec le titre de maître et bachelier du couvent de Sainte-Marie de la Minerve, pour entendre plus commodément les dépositions et les renseignemens qu’il pourrait fournir. Voyez au reste, pour de plus grands détails, le volume publié par M. Venturi, et la suite qu’il promettait et qui vient de paraître sous le titre : Memorie e Lettere di Galileo, parte seconda. Modena, 1821, in-4o. Voyez aussi, dans le Mercure de France, février et mars 1785, deux écrits de Mallet-Dupan et Ferri, l’un contre et l’autre pour Galilée. Mais ces deux auteurs ne connaissaient aucune des pièces originales du procès ; ils ont dû se tromper assez souvent. Par exemple, Mallet assure que Galilée avait toute permission de traiter la question du mouvement de la Terre en astronome et en physicien, pourvu qu’il n’y fit point intervenir la Bible. Il paraît que Mallet n’avait pas lu les dialogues où Galilée ne parle qu’en physicien et en astronome, et où il n’est nullement question de l’Écriture ni des interprétations qu’on peut donner à quelques passages pour les concilier avec le système de Copernic.

Tiraboschi a imprimé que si Galilée eut été moins chaud et moins imprudent, jamais il n’eût été tourmenté pour ses opinions. Et, dans le fait, que lui importait de convertir des moines ignorans ou des partisans entêtés de l’ancienne philosophie ? Ne lui suffisait-il pas d’avoir donné aux astronomes les preuves les plus plausibles de l’opinion qu’il soutenait : et que pouvait faire pour l’Astronomie l’opinion du vulgaire ? Tel était le sentiment du célèbre frère Paolo, et voici ce qu’il écrivait à l’occasion de ce voyage à Rome, dont on vient de lire l’histoire.

« J’apprends que Galilée se transporte à Rome, où il est invité par plusieurs cardinaux pour y démontrer ses nouvelles découvertes dans le ciel. Je crains bien que, dans cette circonstance, il ne développe les raisons qui le portent à préférer la doctrine du chanoine Copernic ; ce qui ne plaira nullement aux Jésuites ni aux autres moines. Ils ont changé en question théologique ce qui n’était qu’une question de Physique et d’Astronomie ; et je prévois, avec un grand déplaisir, que pour vivre en paix et sans le nom d’hérétique et d’excommunié, il se verra contraint à abjurer sur ce point ses véritables sentimens. Il viendra cependant un jour, et j’en suis presque certain, où les hommes, éclairés par de meilleures études, déploreront l’infortune de Galilée et l’injustice faite à un si grand homme ; mais, en attendant, il faudra qu’il la souffre, et il ne pourra s’en plaindre qu’en secret… L’hypothèse copernicienne, loin d’être contraire à la parole de Dieu révélée dans les saintes Ecritures, fait honneur bien plutôt à la toute-puissance et à la sagesse infinie du Créateur. »

Voilà certainement ce qui a été écrit de plus sage à l’occasion de cette dispute. Il y a loin de ce jugement et de ce passage vraiment prophétique du moine Sarpi, à l’opinion d’un archevêque de Pise, qui conseillait à Castelli pour son bien, et s’il voulait éviter sa ruine, d’abandonner le système de Copernic, parce que cette opinion, outre qu’elle est une sottise, est périlleuse, scandaleuse, téméraire, hérétique, et contraire à l’Ecriture. L’abbé Maurolyc avait prononcé que Copernic méritait d’être fustigé plutôt que repris plus sévèrement. Cette opinion, d’un homme qui avait la réputation d’un habile mathématicien, celle de quelques envieux, à qui l’on était obligé de supposer quelques connaissances, ont été aussi nuisibles à Galilée que celle de ses adversaires les plus fougueux. Si tous les professeurs de Mathématiques avaient montré plus d’union et moins de mollesse, les théologiens, qui les consultèrent pour la forme, auraient été retenus ; ils auraient mis un frein à leur zèle sauvage, et ils ne se seraient pas déshonorés par des excès si ridicules.

Les travaux qui ont acquis à Galilée la réputation du premier physicien de l’Italie ne sont pas de notre sujet, mais nous ne pouvons passer sous silence ses expériences sur la chute des corps et les oscillations du pendule. Quoique sa lunette et surtout son pendule ne fussent pas encore les instrumens qui, entre les mains de Picard et d’Huygens, ont changé la face de l’Astronomie, on ne peut nier qu’il ne puisse prétendre une part quelconque à l’honneur de ces inventions, si éminemment utiles, pour les observations astronomiques. On regrette seulement qu’il ait un peu exagéré les obligations qu’on pouvait lui avoir. Dans une lettre qu’il écrivait le 12 mai 1612, il se flatte que Képler apprendra avec un grand plaisir qu’il a finalement déterminé les périodes des satellites, qu’il en a dressé des tables exactes, et qu’il en peut calculer les constitutions passées et futures, sans erreur d’une seconde.

Dans la même lettre, on voit que La Galla traitait de fous les philosophes qui croient aux excentriques et aux épicycles. Il consent à être mis au nombre de ces fous ; « ce ne sont pas des chimères que ces mouvemens ; non-seulement il y a beaucoup de mouvemens dans des excentriques et dans des épicycles, mais il n’y en a pas d’autres ; et cependant il y avait déjà trois ans que Képler lui avait envoyé sa Théorie de Mars.

Cette opinion exagérée du mérite de ses inventions se montre encore dans la proposition faite au roi d’Espagne pour le problème des longitudes. Après avoir parlé de la rareté et de l’incertitude des éclipses de Lune, on assure en son nom qu’il est parvenu à découvrir des choses totalement inconnues aux siècles passés, qui équivalent à plus de mille éclipses tous les ans, qu’on peut observer avec la plus grande précision, et qu’on peut calculer par des tables d’une exactitude exquise, (Après 200 ans de travaux, combien nous sommes loin encore d’en pouvoir dire autant !)

« On consacrera cette découverte au roi d’Espagne, en réclamant toutefois pour l’inventeur les avantages auxquels il a un droit incontestable. Il montrera la manière de faire les observations et les calculs ; on demande que le roi d’Espagne fasse tous les frais nécessaires, soit pour la multitude de personnes qui devront être employées après avoir été préalablement instruites, soit pour les académies qu’il conviendra d’établir, soit enfin pour les vaisseaux qui serviront aux expériences toutes choses qu’on ne peut attendre que d’un grand monarque. »,

Dans le même recueil de M. Venturi, on voit, par deux lettres de Sagredo, en 1613 et 1615, que Galilée, dès 1603, avait imaginé une espèce de thermomètre. Son invention aurait ainsi précédé de 17 ans celle de Drebbel. On suppose, avec quelque vraisemblance, qu’il en avait puisé l’idée dans l’ouvrage de Héron, mécanicien d’Alexandrie.

La première édition des œuvres réunies de Galilée, est de Bologne, 1656, deux vol. in-4o . C’est celle que nous possédons. Cette édition, quoique moins complète que les suivantes, est cependant très estimée : e di Crusca, dit M. Venturi.

La seconde a paru à Florence en 1718 ; elle est en 3 vol. in-4o  ; on y trouve la vie de Galilée, par Salvini et Viviani.

La troisième est de Padoue, 1744, en 4 vol. in-4o . Le dernier contient les dialogues sur les deux plus grands systèmes du monde, qui paraissent enfin avec les autorisations convenables. Che ora esce finalmente alla luce colle debite licenze. Ce dernier ouvrage avait été exclu des éditions précédentes.

La quatrième a paru en 1811 à Milan, en 15 vol. in-8o . Les 1 2 premiers sont la copie des quatre volumes de Padoue ; la treizième ne contient rien qui soit de notre plan.

Le nouveau volume publié par M. Venturi est destiné à servir de supplément aux éditions de Florence et de Padoue. Il nous annonce une nouvelle vie de Galilée, en un fort volume in-4o , imprimé à Lausanne (Florence) en 1795, et qui vient enfin de paraître. Elle est de M. Nelli. Voyez la nouvelle Préface de M. Venturi.

Cet âge, déjà si fertile en inventions nouvelles, dont on n’avait eu jusqu’alors aucun pressentiment, fut encore illustré par une découverte désirée depuis longtemps, et qui ne pouvait plus guère échapper aux astronomes, puisque journellement ils en sentaient la nécessité. Tous les calculs trigonométriques se font par des multiplications et des divisions de sinus et de tangentes. Tous ces nombres ont dix figures, ou au moins sept. Sept figures multipliées par sept autres en donnent 13 ou 14 au produit. Ce produit doit encore assez souvent être divisé par un nombre de sept figures. On conçoit tous les dégoûts inséparables d’aussi longues opérations qui se présentent à chaque pas ; on conçoit les erreurs qu’il était si facile de commettre et si pénible de rectifier. Ces considérations avaient fait imaginer aux Grecs la division sexagésimale du rayon. Par là, si les opérations n’étaient pas abrégées, elles étaient au moins rendues plus faciles, en ce que jamais on n’opérait que sur des nombres de deux figures ? dont le plus fort ne passait pas 59. Cette méthode avait ses inconvéniens particuliers, qui heureusement la firent abandonner. On en revint à la division décimale du rayon, et l’on trouva dans les formules trigonométriques un moyen de changer les multiplications en additions ou en soustractions. Ce moyen fut, pour cette raison, appelé la prostaphérèse. Il restait encore à remplacer les divisions ; on en vint à bout, en combinant les sécantes et les cosécantes avec les sinus et les cosinus. Rigoureusement parlant, le problème était résolu ; il n’y avait pas d’expression trigonométrique si compliquée, que la Table de Rhéticus, par exemple, ne pût calculer par une suite d’additions et de soustractions ; mais ce moyen était souvent fastidieux par toutes les préparations qu’il exigeait. On n’avait, à la vérité, qu’un petit nombre de règles, qui revenaient toujours les mêmes, mais qu’il fallait combiner de diverses manières, en sorte que, le plus souvent, on en revenait aux multiplications et aux divisions, que l’on ordonnait de manière à supprimer de fait tout ce qui devait être finalement négligé. Archimède avait autrefois tiré un parti fort ingénieux de deux progressions, l’une géométrique et l’autre arithmétique, qui, suivant la notation moderne, se réuniront en une seule, en écrivant :

100: 101 : 102 : 103 : 104 : etc. à l’infini, ce qui équivaut à 1 : 10 : 100 : 1000 : 10000 : etc.

Il avait vu que 102 × 103 = 100 x 1000 = 100000 = 105 ; il aurait pu ajouter que  ; qu’ainsi la multiplication était changée en une simple addition, et la division en une simple soustraction. La première de ces remarques suffisait à son but ; il négligea l’autre. Il n’avait à faire que la première des deux opérations que nous venons d’indiquer ; il lui suffisait du théorème........ 10m × 10n = 10(m+n) ; il ne donna que cette seule règle ; il aurait pu donner la seconde .

Il n’appliqua même sa remarque qu’à la seule progression dont la raison est 10 et le premier terme est l’unité. Il fallait généraliser le principe, imaginer une progression e0 : e1 : e1 : e3 : e4 : e5, etc., dont la raison fût telle, que chaque terme différât si peu du précédent et du suivant, que la suite des nombres naturels 1, 2, 3, 4, etc., put s’y trouver tout entière, ou du moins, si la chose était impossible, que cette série offrit toujours un nombre assez approchant d’un nombre donné quelconque, pour que la différence pût être, négligée sans aucun inconvénient ; il fallait calculer une table dans laquelle, à côté de chacun des nombres naturels, on trouvât le nombre qui marque son rang dans la série, ou, si l’on veut, son exposant. L’addition des exposans de deux facteurs quelconques donnait alors l’exposant du produit, et cet exposant étant cherché dans la table, on trouvait à côté le nombre naturel auquel il appartenait, et par conséquent le produit demandé.

Pour en donner un exemple très simple, si nous avons à multiplier 2 par 3, nous savons que le produit doit être 6.

Prenons dans la table l’exposant de 2 ou.... 0, 3010300 = m
celui de 3 ou.... 0, 4771212 = n
la somme sera l’exposant de 2·3=6....0, 7781512 = m + n

Cherchons cet exposant dans la table, nous trouverons qu’il répond au nombre 6. Le nom d’exposant n’était point encore connu. Néper imagina celui de logarithme, λόγωr άρθμος, nombre des raisons, ou nombre qui exprime combien de fois la raison de la progression se trouve employée pour arriver du premier terme aux nombres 2, 3, 6, etc. ; les deux expressions sont donc synonymes. La moderne est plus concise ; celle de Néper, plus claire et plus développée. Ce que nous avons dit de 2 et 3 s’applique de même aux deux nombres quelconques x et y ; la somme de leurs logarithmes est le logarithme de xy, la différence de ces mêmes logarithmes sera le logarithme de .

L’Encyclopédie méthodique dit que le mot logarithme est formé des deux mots grecs λόγος et άρθμος, ce qui est vrai, et qu’il signifie discours sur les nombres ; ce qui est assez ridicule. Mais l’auteur n’avait là ni Néper ni Képler, et il ignorait sans doute que, chez les géomètres grecs, le mot λόγος signifie raison ou rapport.

Le moyen que nous venons d’exposer, le plus simple de tous en théorie, présentait d’assez grandes difficultés dans l’exécution ; on parvint cependant à les éluder sans beaucoup de peine. Choisissons le rapport  ; les deux premiers nombres de la série géométrique seront 1 et 1,0001 ; ils auront pour logarithmes 0 et 1. En continuant la progression géométrique, on aura 1,0002001, dont le log. sera 2 ; le suivant sera 1,00030003001, dont le log. sera 3 et ainsi de suite. Les nombres de la progression géométrique iront toujours en augmentant de , et les logarithmes iront en augmentant d’une unité ; tel était le système de Byrge, qui paraîtrait avoir été le premier inventeur ; mais il différa, nous dit-on, de publier sa découverte, et fut prévenu par Néper, qui s’y prit d’une manière un peu moins naturelle.

L’usage continuel des sinus avait fait sentir la nécessité d’un moyen qui facilitât les calculs ; c’est aux sinus que Néper s’attacha spécialement. Le sinus total est 10000000. Il lui donna le log. o ; le sinus le plus approchant du rayon était 9999999 ; il lui donna le log. 1 ; les log. 2, 3, etc., furent donnés aux termes suivans de la progression géométrique, dont la raison est . On voit qu’il ne fallait que du temps, de l’attention et de la patience pour trouver ainsi tous les termes de la progression géométrique, qui avaient pour logarithmes les nombres o, 1, 2, 3, 4 de la progression arithmétique. Le travail toutefois était encore assez pénible. On trouva des moyens pour l’abréger considérablement ; et Néper, en 1614, publia la table la plus ancienne qui soit connue. Il passe généralement pour le premier inventeur. Il est certainement le premier qui ait mis les astronomes en possession de cette découverte ; et les titres de Byrge ne sont ni aussi clairs ni aussi certains.

Néper sentit lui-même qu’il n’avait pas mis toute la précision possible dans la construction de sa table. Il engagea les calculateurs à la recommencer avec plus de soin. Ursinus entreprit ce travail, et donna des tables à huit chiffres pour tout le quart de cercle de 10 en 10”, au lieu que Néper ne les avait données que pour les minutes.

Néper reconnut encore qu’on aurait des tables plus commodes pour la pratique, si l’on donnait les log. o, 1, 2, 3 aux puissances successives de 10 ; mais les logarithmes, au lieu d’être des nombres entiers comme dans le premier système, devenaient presque tous fractionnaires ; et, pour les déterminer, le travail était énorme. Néper se contenta d’en donner un essai, et mourut peu de temps après.

La même idée était venue à Briggs, professeur de Mathématiques à Oxford, qui fit exprès le voyage d’Ecosse pour en conférer avec Néper. De retour à Oxford, il s’y appliqua avec tant de courage et de constance, qu’en 1618, il publia dans ce nouveau système une table à huit chiffres pour tous les nombres, depuis 1 jusqu’à 1000. Reprenant ensuite ce même travail sur un plan plus vaste, il donna les logarithmes à 14° décimales pour tous les nombres, depuis 1 jusqu’à 20000, et depuis 90000 jusqu’à 100000. Tous les autres s’en pouvaient déduire avec facilité. Cette table, malgré son étendue, était insuffisante pour les astronomes ; il en fallait une pareille pour les sinus et les tangentes. Briggs y travailla avec le même zèle, mais elle ne parut qu’après sa mort. Pour donner une idée de ce travail immense, il suffira de dire que chacun des nombres premiers dont on veut déterminer le logarithme n’exige pas moins de 50 extractions consécutives de racines carrées et quelquefois davantage. Aussi voyons-nous dans la Logarithmotechnie de Speidell, que Briggs n’avait pas moins de huit calculateurs, qui employèrent une année entière aux extractions jugées indispensables. Pour sa table des sinus, avant d’en trouver les logarithmes, il eut besoin d’en calculer avec la même précision les nombres naturels. Ces deux ouvrages composent le monument le plus vaste qui ait longtemps existé en ce genre ; il a été la source où l’on a puisé constamment, pour nous donner les tables diverses qu’on réimprime continuellement sous diverses formes et avec plus ou moins d’étendue. Ce monument n’a été surpassé que par les grandes Tables du Cadastre, calculées sous la direction de M. de Prony ; mais ces tables n’existent encore qu’en manuscrit.

Les astronomes étaient en possession de tables qui suffisaient à tous leurs calculs, lorsque Mercator, reprenant le problème en géomètre, parvint à une formule qui aurait bien diminué le travail, si elle ne fût pas venue si tard. Cette formule, suivant une notation plus moderne, est

log (n+dn) = log n + dn/n − 1/2(dn/n)2 + 1/3(dn/n)3 − etc.,

d’où Wallis tira tout aussitôt la suivante, qui n’exigeait qu’un changement de signe,

log (ndn) = log ndn/n − 1/2(dn/n)2 − 1/3(dn/n)3 − etc.,


De ces formules générales, les géomètres qui sont venus depuis ont su tirer des formules plus convergentes, qui diminueraient encore la besogne. D’intrépides calculateurs les ont employées pour nous donner des logarithmes à 20, 48 et jusqu’à 61 décimales. Mais ces tables, heureusement, sont inutiles aux astronomes.

Dans le même ouvrage, qui contient la formule fondamentale dont toutes les autres ne sont que des corollaires, Mercator indiqua le premier une relation singulièrement curieuse entre les logarithmes et les espaces hyperboliques renfermés entre la courbe et ses asymptotes, mais cette théorie, si remarquable et si belle, est encore étrangère à l’Astronomie. L’auteur même déclare que la nature des logarithmes ne dépend nullement de la Géométrie ; il y remarque seulement une douce affinité très digne d’être contemplée. Plus loin il ajoute que ceux-là se trompent grandement, qui croient que l’hyperbole facilite en rien la recherche des logarithmes, il serait bien plus vrai de dire que ce sont les logarithmes qui mènent à la quadrature de l’hyperbole.

A la suite des grands hommes dont nous venons de parler, et qui remplissent presqu’en entier notre premier volume, nous avons placé quelques-uns de leurs contemporains, de leurs disciples ou de leurs commentateurs. Ainsi, après Copernic, on voit paraître Rhéticus, qui, le premier, écrivit en faveur du nouveau système ; et Reinhold, qui refit avec un peu moins d’inexactitude les tables de Copernic. Après Tycho, nous donnons une notice sur Longomontanus, son élève et son assistant pendant plus de douze années, et une autre sur Ursus Dilhmarsus, esprit bizarre et détracteur acharné de Tycho. Nous n’avons mis personne après Képler, dont les brillantes découvertes ont été négligées si longtemps. Mais, à la suite de Galilée, nous montrons Scheiner et Marins, qui ont prétendu s’approprier ou partager la gloire de ses découvertes ; Tardes et Malapertius, qui ont travaillé sur les taches du Soleil, auxquelles ils avaient donné les noms d’astres de Bourbon et d’astres d’Autriche.

La réformation grégorienne du calendrier a suivi de 40 ans environ la mort de Copernic ; mais elle est un fait historique qui ne se lie à rien bien précisément, et dont la place la plus naturelle nous a paru devoir être en avant d’un ouvrage où nous allons exposer l’origine et les progrès d’une Astronomie nouvelle. Depuis longtemps cette réformation était demandée de toutes parts ; on s’en occupait depuis plus d’un siècle, puisque Regiomontanus était mort en 1476, à Rome, où il avait été appelé pour y travailler. D’ailleurs, le nouveau calendrier ne suppose aucun système astronomique, ni même aucune table ni de la Lune ni du Soleil. L’année adoptée par les réformateurs n’est guère plus précise que celle d’Hipparque ; tout est fondé sur des périodes imparfaites, ou des artifices de calculs et des idées qui remontent aux Grecs d’Alexandrie ou plus haut encore, telles que les épactes et le nombre d’or de Méton. L’explication de ce calendrier aurait interrompu notre marche sans aucune nécessité, sans aucun avantage, et nous en avons fait un livre séparé. Nous avons exposé sans partialité les conditions arbitraires et gênantes de problème, et l’inutile complication qui en est résultée. Mais en conservant le système qu’on avait choisi sans aucune raison vraiment importante, nous avons applaudi bien sincèrement à l’adresse qu’on a mise à étudier les difficultés, et pour atténuer les inconvéniens qu’il était impossible de faire entièrement disparaître.

Pour faciliter l’intelligence de cette vaste conception, pour en aplanir la pratique et l’application, nous avons tout réduit en formules qui donneront tous les articles du calendrier ; les lettres dominicales, le nombre d’or, les épactes, le jour pascal, et, par suite, toutes les autres fêtes mobiles, avec toute la facilité que comportent ces différens problèmes, et avec une généralité et une sûreté qui dureront autant que le calendrier même. Nous avions donné nos idées principales, soit dans notre Astronomie, soit dans la Connaissance des Temps ; elles ont été critiquées en Italie par un professeur d’Astronomie que nous avions autrefois connu à Paris, et qui nous a même envoyé son livre. Les raisons qu’il nous a opposées, et par lesquelles il s’efforce de prouver la simplicité et la nécessité du système adopté, ne nous ont nullement convaincu ; mais elles nous ont paru mériter une réponse. Peut-être l’avons-nous faite trop longue, quoiqu’elle le soit beaucoup moins que la critique à laquelle nous étions forcé de répliquer. Mais le lecteur y trouvera du moins cet avantage, qu’en regard de nos formules il aura celles de notre adversaire, appliquées aux mêmes exemples, en sorte qu’il aura le choix entre les deux méthodes diverses. La réformation grégorienne fut adoptée avec soumission dans tous les pays d’obédience ; elle fut vivement et longtemps critiquée dans les pays protestans ; et comme, en fait de mesure, le mérite principal est et sera toujours l’uniformité, il en est résulté, pendant près de deux siècles, des embarras plus fréquens et plus incommodes que les prétendus inconvéniens auxquels on voulait remédier. Au reste, c’est un sujet qui nous paraît épuisé, et sur lequel nous ne reviendrons plus.

Seconde partie. En parlant de Rhéticus, dans notre premier volume, nous ne l’avions considéré que comme disciple et partisan très zélé de Copernic. Il a des droits bien plus réels à l’estime et à la reconnaissance de tous les calculateurs. Le premier il osa concevoir l’idée d’une table des sinus, des tangentes et des sécantes en nombres naturels à dix décimales, pour tout le quart de cercle, de dix en dix secondes. Il exécuta heureusement cette entreprise ; il avait même calculé tous les sinus à 15 décimales. Ce travail prodigieux l’occupa toute sa vie ; il y manquait encore quelques tangentes et quelques sécantes, lorsque la mort le surprit. Son disciple Othon les ajouta, et publia le tout sous le titre d’Opus Valatimun de Triangulis. Les tables étaient précédées de 700 pages d’explications, que peu de personnes sans doute ont eu le courage de lire, et que personne ne lira plus désormais. Nous en avons eu la patience, et l’auteur ne donnant aucun théorème, nous avons eu à examiner les 285 exemples numériques qu’il a calculés sur le même triangle. Nous y avons trouvé la preuve que Rhéticus possédait les six théorèmes des triangles rectangles. Quatre seulement étaient connus des Grecs ; le cinquième avait été trouvé par Géber ; le sixième est la propriété incontestable de Rhéticus, et Victe le trouva aussi quelques années plus tard, mais avant la publication de l’Opus Palatinum. Nous avons acquis la certitude que Rhéticus n’en connaissait pas un de plus, et ce septième est sans doute impossible, puisqu’il n’a pu résulter de tant de combinaisons différentes auxquelles Rhéticus s’était livré.

Ce serait donc rendre un véritable service à l’ouvrage que de le délivrer de cette superfétation de 700 pages inintelligibles, qui le rendent si incommode. Nous en avons extrait la substance, nous avons donné l’esprit des méthodes, et notre extrait ne remplit pas trois pages.

Les sinus à 15 décimales ont été retrouvés après la mort de Rhéticus et celle d’Othon, et ils ont été attribués à Pitiscus, qui n’a eu d’autre mérite que de les publier et de s’en servir pour corriger les tangentes et les sécantes de ses derniers degrés, qui se trouvèrent défectueuses, probablement parce qu’elles n’avaient pas été calculées par Rhéticus lui-même, mais par son élève, lequel paraît d’ailleurs n’avoir été qu’un calculateur très médiocre.

Ces Tables de Rhéticus doivent être considérées comme un ouvrage fondamental, puisqu’elles ont servi à Vlacq pour calculer ses grandes Tables logarithmiques à dix décimales, dont Gardiner et Callet n’ont donné que des abrégés ; c’est donc à Rhéticus que l’on a la première obligation de toutes les tables trigonométriques usitées aujourd’hui, et qu’on a multipliées sous tant de formes différentes ; nous avons dû considérer cet auteur comme un homme du premier ordre en son genre, et montrer à sa suite tous ses éditeurs, abréviateurs ou commentateurs, tels que Pitiscus, Clavius, Adrien Romain, Torporley et même Lansberg, dont les tables estimées de Képler n’ont paru que 15 ans après l’Opus Palatinum, et l’année même où Pitiscus venait de faire imprimer ses corrections pour les six derniers degrés. Lansberge était d’ailleurs un astronome laborieux, à qui l’on a justement reproché de s’être trop vanté lui-même, ce qui était un petit mal, et le tort plus réel d’avoir falsifié des observations pour les faire mieux cadrer avec ses tables, dont il voulait établir la supériorité sur toutes celles qui avaient paru jusqu’alors.

Snellius, qui vient ensuite, ne fut pas un simple éditeur ; on lui doit quelques théorèmes curieux de Trigonométrie, et le théorème célèbre de la réfraction, attribué longtemps après à Descartes, qui l’a peut-être aussi trouvé de lui-même. Enfin Snellius est le premier auteur, non d’une mesure exacte d’un degré du méridien, mais d’une mesure exécutée sur les principes que l’on suit encore aujourd’hui. Pour donner une longueur suffisante au livre qui porte son nom, nous lui avons adjoint Vernier, qu’on peut aussi considérer comme le bienfaiteur de l’Astronomie, à cause de l’invention si commode, si simple et si ingénieuse qui porte son nom, et qu’inutilement on a voulu lui disputer.

Briggs, à plus d’un titre, aurait mérité un article à part, comme l’un des deux inventeurs, et comme le véritable créateur du système de logarithmes qui a remplacé celui de Néper. Il est encore auteur de tables trigonométriques de tout genre, qui sont l’un des monumens les plus vastes que l’on connaisse de la patience et de l’industrie humaines. Ses sinus, tant naturels que logarithmiques à 14 décimales ; ses logarithmes de 30,000 nombres, auraient eu la préférence sur tout ce qui a été imaginé en ce genre, si une division du degré en 100 parties, au lieu de 60 ou 360, n’eût empêché les calculateurs de leur accorder cette préférence. Un centième de degré vaut 36” : on a donc réellement dans ce recueil beaucoup moins de sinus et de tangentes que dans ceux de Rhéticus ou de Vlacq ; mais si ces tables ont moins servi aux usages ordinaires, elles offrent au moins les vérifications les plus précieuses pour toutes les autres tables publiées avec lesquelles elles se rencontrent au moins de 3 en 3 minutes, et les moyens les plus sûrs pour étendre, par une interpolation facile, ces nombres de 14 décimales, ou aux millièmes de degré, ce qui suffirait à tous les besoins de l’Astronomie, ou à toute autre division du quart de cercle, comme la division centésimale, qui n’a pu encore s’établir généralement, même en France, par les embarras inséparables de tout changement dans des méthodes devenues très usuelles. Briggs a eu le mérite d’entrevoir au moins la loi qu’observent les différences de tous les degrés des sinus ; il a eu celui de trouver des méthodes d’interpolation dont il a tiré grand parti, mais dont il a soigneusement caché l’origine. M. Le Gendre s’est assuré de l’exactitude de ses méthodes ; il les a démontrées par des moyens certainement inconnus à l’auteur ; il a regretté que Briggs n’eût pas indiqué les fondemens de ses méthodes. Nous avions d’abord désespéré de deviner la voie suivie par l’auteur, lorsqu’une réflexion très simple nous a mis sur la voie. Après avoir abandonné cette recherche, nous y avons été ramené dans la suite ; nous avons démontré ces formules par une opération simplement arithmétique, et d’une grande facilité. Nous avons refait, par nos propres règles, toutes les interpolations données pour exemple, et nous nous sommes assuré que les sinus naturels, donnés par l’auteur avec 19 décimales, pourraient s’étendre à tout le quart de cercle par une interpolation aisée, qui donnerait toujours 18 décimales exactes, et souvent 19. Tant de décimales à la vérité sont inutiles le plus souvent ; mais, dans des circonstances extraordinaires, sans se donner la peine de calculer la table entière, on pourrait se procurer à 18 décimales un sinus quelconque que l’on voudrait avoir avec cette précision.

Le livre IX, qui porte les noms de Métius, de Boulliaud et de Seth-Ward, ne nous offrira aucune remarque bien importante. Métius n’est connu que par son rapport du diamètre à la circonférence, mais Boulliaud, dont les idées sont assez extraordinaires, a joui de trop de réputation dans son temps pour qu’il nous fût permis de le passer sous silence. Nous en dirons autant de Seth-Ward. Leur hypothèse elliptique simple était un pas rétrograde, on a eu grande raison de l’abandonner ; mais elle fait partie de l’histoire de l’esprit humain. Bayer, dont la notice termine ce livre, nous fournit une chose qui n’était pas difficile à imaginer, et qui est restée comme le rapport de Métius. C’est l’idée qu’eut Bayer de désigner chaque lettre d’une constellation par une lettre grecque, romaine ou latine. Cette attention si facile a immortalisé le nom de Bayer. Il faut avouer que c’est devenir célèbre à bien peu de frais. Schyrle, dont il est aussi fait mention dans ce livre, a le premier fait exécuter la lunette astronomique à deux verres convexes, imaginée par Képler ; et cette innovation a eu en Astronomie des suites de la plus grande importance, qu’il était impossible de deviner.

Le livre X ne parle que de Descartes, et nous craignons bien qu’on ne nous accuse d’une excessive sévérité pour un grand homme dont la gloire est regardée comme une propriété nationale qui mérite tous nos respects. Nous prions nos lecteurs de se souvenir que nous écrivons une histoire, et non des éloges. Un panégyriste peut amplifier ce qu’il trouve de grand et de beau dans son héros, et glisser adroitement sur ce qu’il faut dissimuler. L’historien ne doit aux morts que la vérité. Ce n’est pas notre faute si Descartes, en Astronomie, n’a produit que des chimères ; si, rejetant toute observation, tout calcul, toute démonstration et toute Géométrie, il s’est uniquement livré à ses réflexions solitaires, et s’est perdu dans un monde qui n’a jamais existé que dans son imagination. Ce n’est pas notre faute si, en méditant ses écrits, sa conduite et les circonstances de sa vie, il nous a paru impossible de rejeter cette idée affligeante, que ce puissant génie était atteint de cette maladie, dans laquelle une idée fixe, qu’on n’abandonne jamais, fait qu’on déraisonne sur tout ce qui tient ou qu’on rattache à cette idée. De grands hommes ont été atteints de cette maladie. Pascal, qui voyait toujours à côté de lui le précipice où il avait manqué périr, avait en outre quelques idées noires et non moins chimériques, qui sont la base uniforme de ses Pensées. J. J. Rousseau croyait tout l’univers ligué contre lui. Ces travers d’imagination ne les ont pas empêché d’être des écrivains du premier ordre, des dialecticiens forts et subtils, et des modèles de style en des genres très différens. Descartes avait, comme eux, sa chimère, sa Science admirable, qui lui fit parcourir toute l’Allemagne à la poursuite des Roses-Croix, qui annonçaient quelque chose qui ressemblait à sa science. Nous accorderons à Descartes tout ce qu’on voudra en Géométrie ; mais en Astronomie nous ne verrons en lui qu’un esprit très dangereux, dont les visions se sont opposées long-tems à l’établissement des saines doctrines ; et dont les succès trop long-tems soutenus peuvent égarer des esprits d’un ordre moins élevé. Dans les systèmes enfantés au mépris des connaissances positives, par les imaginations les plus déréglées, a-t-on jamais vu rien de plus impossible, de plus bizarre et de plus inutile que ces tourbillons absorbés les uns par les autres, quand les astres qui sont au centre viennent à s’encroûter ; rien de si chimérique que la matière subtile, rien de si ridicule que la matière canelée ; et cependant quelle vogue n’ont pas eu de pareilles visions ? Quel auteur de système ne se croira pas assez dédommagé de ses peines, s’il peut obtenir que ses rêveries soient préconisées pendant cent ans, dussent-elles à la fin éprouver le sort de celles de Descartes ? La gloire de Descartes n’a-t-elle pas enflammé l’imagination de tous ces faiseurs de systèmes que nous voyons éclore chaque année ? N’avons-nous pas vu un docteur allemand envoyer à la classe des Sciences mathématiques un Mémoire dans lequel, à l’aide de quelques principes métaphysiques, il créait une Chimie tout entière, et qui ressemblait à la Chimie réelle, comme le monde de Descartes ressemble au monde que nous connaissons depuis que le culte de Descartes est aboli. Voilà les réflexions qui nous ont fait une loi de la sévérité que nous avons montrée ; mais cette sévérité a-t-elle surpassé celle de Pascal et celle de Gassendi, à l’apparition du livre des Principes ? Et la preuve que loin d’avoir été dominé par des impressions défavorables, nous avons recherché avec un soin tout particulier ce qui pouvait être loué sans blesser la vérité, c’est que nous avons fait valoir en l’honneur de Descartes une chose dont avant nous personne n’avait parlé ; une idée qui devait conduire un géomètre à la découverte de l’aberration, dont elle renferme toutes les règles. C’est ce principe, énoncé formellement par Descartes, qu’en vertu du mouvement de la lumière, jamais un astre ne nous paraîtrait occuper le lieu où il est réellement, mais celui qu’il occupait à l’instant où il nous a envoyé le rayon de lumière qui nous le fait apercevoir. Mais ce corollaire mathématique d’un fait qui est contraire à son système, il le présente comme une objection. Il avait décidé que la transmission de la lumière devait être instantanée, et il s’attache à prouver que nous voyons le Soleil et les planètes dans les lieux où elles sont en effet. Il invoque le témoignage de tous les astronomes ; aujourd’hui tous les astronomes déposent contre lui en faveur du principe qu’il a reconnu le premier, et qu’il a rejeté. N’avons-nous pas dit que ce peu de lignes de Descartes avaient pu guider Brudley, et que probablement et presque certainement elles avaient guidé Roëmer ? Est-ce montrer de la partialité contre un grand homme, que de tenter de l’associer à la découverte la plus brillante du dernier siècle ? Voyez tome V, pages 203 et 204.

Morin, qui vient après Descartes, est une espèce de fou, tout préoccupé des visions de l’Astrologie judiciaire, qui s’est rendu ridicule par des prédictions impudemment annoncées comme certaines, et démenties tout aussitôt par les évènemens. Sa réputation équivoque a pu prévenir défavorablement ses juges dans le débat sur les longitudes. Mais les torts les plus graves ne furent pas du côté de Morin ; il avait eu le bonheur de s’assurer le premier qu’on pouvait voir des étoiles en plein jour, et pour tirer le parti le plus brillant de sa remarque, il ne lui manqua que de savoir appliquer les lunettes aux instrumens qui servent à la mesure des angles. Il fit quelques pas vers cette application, et il abandonna ses recherches pour achever son grand traité d’Astrologie. Mais la collection de ses œuvres, à ce traité près, nous prouve qu’il n’était point un savant si méprisable.

Riccioli, qui lui succède, est un esprit plus sage, mais qui n’eut pas en toute sa vie une idée qui lui appartînt, ou qui méritât le moindre examen. Il est recommandable par son érudition, mais dépourvu de goût et de critique. Son Almageste, qu’on pourrait nommer l’Astronomie monacale, présente au moins cette singularité, qui en rend parfois la lecture moins fastidieuse, c’est que, chargé par ses supérieurs (il était jésuite) de combattre le système de Copernic, il ne tarit pas sur les louanges de l’auteur avec lequel il est obligé de se mesurer ; qu’il le vante avec autant ou plus d’enthousiasme que ne pourrait le faire le copernicien le plus décidé ; qu’il exagère même les avantages de ce système, et que, pour le réfuter, il n’y oppose que les argumens plus insignifians et les explications les plus misérables.

Gassendi, chanoine et prévôt de Digne, professeur royal d’Astronomie, homme d’esprit, homme du monde, sans manquer à aucune des bienséances de son état, laisse voir tout aussi évidemment qu’il est partisan de Copernic. Il ne l’attaque jamais, le défend en toute occasion, et toujours en protestant qu’il souscrit à tout ce que l’Église a décidé, s’il est vrai pourtant que l’Église ait décidé quelque chose ; et remarquons que Riccioli lui-même convient que l’Église n’a rien décidé sur le fond de la question, c’est-à-dire sur le mouvement ou la stabilité de la terre. Gassendi laisse entrevoir un esprit libre de préjugés ; mais jamais il ne s’explique qu’avec la plus grande réserve. Il n’en faut pas davantage pour expliquer ses succès dans le monde. Quand on le lit, on est un peu étonné de la réputation qu’il a laissée. Observateur assez assidu de tous les phénomènes, il n’est cité en Astronomie que pour son observation du passage de Mercure, qu’il vit le premier sur le Soleil, et qu’il vit seul.

Mouton, bien moins généralement connu, nous a fourni un chapitre beaucoup plus intéressant, moins par ses observations des diamètres, ou son projet de mesure universelle, prise dans la nature, que par une méthode toute nouvelle d’interpolation. Il faut avouer qu’elle était restée fort imparfaite entre ses mains ; mais le principe en est simple et fécond, et il nous a été facile d’en tirer une méthode générale qui peut suffire, et bien au-delà, dans tous les besoins de l’Astronomie. Réduite en formules et en tables qui dispensent de recourir à ces formules, elle nous a fourni des moyens aisés pour refaire avec plus de précision toutes les interpolations faites par Briggs et celles qu’il convient n’avoir pu faire. Ramené par ce succès à nous occuper de nouveau du géomètre anglais, nous avons vu disparaître tout-à-coup la difficulté qui avait paru insurmontable ; nous avons retrouvé la voie qui avait conduit Briggs à ces formules curieuses, dont il avait soigneusement caché les démonstrations. Nous avons donc deux méthodes également sûres d’interpolation : celle de Briggs paraît d’abord plus facile ; mais elle exige des attentions plus minutieuses, et, de l’aveu de l’auteur, elle ne réussit que dans les cas où la dernière différence est d’un ordre impair ; celle que nous devons à Mouton est plus uniforme, plus générale, et nous la préférons.

Mouton nous fournit des moyens précieux pour abréger la construction des tables astronomiques et les calculs des éphémérides. Hévélius, qui vient après lui, fut l’un des plus grands observateurs que nous connaissions. Ses instrumens surpassent ceux de Tycho, et sont d’un usage plus commode ; ses observations sont et plus nombreuses et plus précises. Il sut en tirer un catalogue d’étoiles plus exact et plus étendu. Il est connu par une description de la Lune, la plus complète qui existe ; il eut des idées assez justes de la libration de la Lune, qu’il a observée plus assidûment que personne, et dont il a donné une explication presque entière ; il a fait des recherches immenses sur les comètes, et il leur assigne pour orbites des sections coniques et surtout des paraboles ; il ne dit pas que le Soleil en occupe le foyer, mais il démontre que l’orbite rectiligne ou circulaire est insuffisante pour satisfaire à toutes les observations d’une même comète. Il fut au nombre des savans étrangers qui ont reçu les bienfaits de Louis XIV. Un incendie affreux détruisit en son absence son observatoire, ses instrumens, ses manuscrits et l’édition presque entière du second volume de sa Machine céleste, où il avait consigné toutes ses observations ; il n’en resta qu’une cinquantaine d’exemplaires, dont il avait disposé en faveur de quelques amis et de plusieurs savans. Dans sa vieillesse, il recommença tous ses calculs, refit ses tables du Soleil et prépara l’édition du Firmamentum Sobescianum, qui ne parut qu’après sa mort. Il a combattu l’application des lunettes aux instrumens pour la mesure des angles. Sans la rejeter définitivement, il se borne à proposer ses doutes, fondés sur le nombre d’attentions indispensables pour se prémunir contre les illusions optiques. Il a peine surtout à se persuader que cette invention nouvelle puisse assurer aux observations une précision soixante fois plus grande, et en ce point il a pleinement raison. Les distances observées avec ses pinnules, comparées à celles que Flamsteed avait mesurées avec un sextant à lunettes, prouvent que les erreurs de ses pinnules ne sont pas aussi fortes, ni la précision due aux lunettes aussi considérable qu’on l’assurait. L’avantage de Flamsteed n’est ordinairement que de quelques secondes, et nous sommes bien loin encore de répondre d’une seconde dans nos observations les plus soignées.

Horrockes, qui lui succède, aurait pu se montrer le digne successeur de Képler, dont il est admirateur passionné ; mais il mourut à 23 ans. Sa théorie de la Lune n’a pas été inutile à Newton ; il a développé et rectifié les idées de Tycho sur l’équation annuelle de la Lune ; il a adopté et proposé avec plus de confiance les idées de Képler, dont il a réuni les deux équations, qui dépendaient du même argument, et il en a formé, sans rien changer aux nombres de Képler, une équation qui n’est en excès que de quelques secondes sur l’équation moderne. Le premier il a eu la satisfaction d’observer un passage de Vénus sur le disque du Soleil, en 1639.

Nous glissons plus rapidement sur Roberval, premier auteur d’une explication presque complète de l’anneau de Saturne ; sur Wing et Streete, auteurs de tables qui ont joui d’une certaine réputation ; sur Levera, qui eut la prétention d’être le réformateur de l’Astronomie ; et sur de Billy et Tacquet, qui n’ont été que des professeurs ; sur Duhamel, premier historien de l’Académie des Sciences ; et Lubinietscky, dont l’énorme volume ne nous a fourni qu’une anecdote curieuse. Nous nous arrêterons un peu plus sur Mercator, dont nous avons déjà parlé au sujet des logarithmes, et dont les Institutions astronomiques nous offrent la première explication claire et complète de tous les phénomènes de la libration de la Lune, explication que Mercator dit avoir reçue de Newton. Il est encore auteur d’une méthode pour trouver, dans l’hypothèse elliptique simple, l’apogée et l’excentricité d’une planète, et enfin d’une solution approximative du problème de Képler, par la Section divine. Cette méthode imparfaite n’a jamais joui d’une grande faveur, mais elle est assez curieuse pour mériter sa place dans l’histoire de l’Astronomie. Greenwood, qui vient ensuite, est auteur d’une tentative à peu près de même genre, pour corriger l’hypothèse elliptique de Boulliaud et de Sethward.

Galilée avait fait la première lunette astronomique ; il avait aperçu les satellites de Jupiter ; il avait eu la première idée du pendule, et il avait conçu l’espoir que ces découvertes conduiraient à la solution exacte du problème des longitudes. Huygens, comme Galilée, dut sa première réputation à ses lunettes : il surpassa tout ce qu’on avait fait avant lui ; il découvrit un des satellites et l’anneau de Saturne ; il appliqua le pendule aux horloges ; il inventa le ressort spiral, et, avec plus de fondement encore que Galilée, il se flatta qu’il avait donné tout ce qui était nécessaire pour bien déterminer les longitudes. Ses essais n’eurent cependant pas encore tout le succès qu’il en attendait ; mais il ouvrit la route, et si l’on a pu de nos jours atteindre le but, c’est à ses inventions qu’on en est redevable. Ce but était celui de toutes ses recherches ; il ne lit aucune attention au service bien plus important qu’il rendait à l’Astronomie, en lui fournissant un moyen plus précis pour observer les ascensions droites. Mais pour tirer ce parti de son invention, il eût fallu qu’il y joignît ou la lunette méridienne de Roëmer ou tout au moins le mural de Picard. Mais son horloge à pendule n’en est pas moins une de ces découvertes mères à qui l’on doit en grande partie des progrès dont l’auteur lui-même n’avait pas une idée bien complète. Ses théorèmes sur l’horloge oscillatoire lui assurent un rang distingué parmi les géomètres. Newton le citait comme un modèle, sans doute parce qu’il ne faisait de l’Algèbre que l’usage le plus sobre, et qu’il s’éloignait des idées de Descartes pour se rapprocher de celles des anciens. Ses théorèmes sur les forces centrales, ses recherches sur les probabilités, ses fractions continues, lui ont mérité les éloges des plus grands analystes ; il paraît avoir démontré le premier que la Terre est un sphéroïde aplati. S’il ne trouva pas la cause de cet aplatissement, il le prouva du moins par l’expérience, en combinant la direction des graves, perpendiculaire à la surface, avec la force centrifuge qui devrait écarter le pendule de la perpendiculaire. Quoiqu’il n’ait pu se résoudre à admettre la gravitation universelle et réciproque de toutes les particules de la matière, parce qu’elle renversait, comme il le dit lui-même, son explication de la pesanteur, il sut louer avec une noble franchise le rival heureux dont il ne rejetait que les idées, qu’il trouvait trop incompatibles avec ses propres systèmes.

Morin s’était assuré le premier que les lunettes faisaient voir les étoiles en plein jour ; mais, pour les observer, il eût fallu se donner des points fixes dans le champ de la lunette. Il ne put y réussir, et son heureuse expérience était complètement oubliée. On avait trouvé ces points fixes, en partageant le champ de la lunette en petits espaces égaux et carrés, formés par des fils qui se croisaient au foyer. Huygens plaça parallèlement à ces fils de petites lames de différentes largeur, que l’on pouvait substituer les unes aux autres, jusqu’à ce qu'on eût trouvé celle qui couvrait exactement le diamètre d’une planète. Auzout avait donné le premier réticule ; Gascoyne l’avait trouvé plus anciennement, mais il en avait fait mystère. Huygens suggéra la première idée du micromètre ; mais le premier micromètre fut celui de Picard, qui sut mesurer le chemin du curseur d’Auzout, en sorte qu’en enfermant une planète entre ce curseur et l’un des fils immobiles, on avait la mesure du diamètre avec bien plus de certitude que par la petite lame qui le couvrait entièrement. Ces progrès étaient grands ; ils n’étaient encore qu’une amélioration des idées non publiées de Gascoyne. 11 restait à faire un pas plus important : L’application de la lunette à la mesure des angles. Il fallait déterminer exactement la situation de l’axe optique, et le rendre bien parallèle au plan de l’instrument. Picard y parvint, en donnant aux lunettes qu’il appliquait à ses instrumens la forme de la lunette d’épreuve, dont il est le premier inventeur. Ce n’était pas assez que l’axe optique fut parallèle au plan de l’instrument, il fallait ou le rendre parallèle au rayon mené du centre au zéro de la division, ou du moins il fallait trouver l’angle que faisait l'axe optique avec ce rayon, quand la lunette était placée sur le zéro de la division. Picard donna, pour trouver cet angle, le moyen dont on se sert encore aujourd’hui ; il donna même le moyen de rendre cet angle nul, ou de le diminuer à volonté, quand on ne préfère pas d’en tenir compte dans le calcul des observations, car le plus souvent cet angle est d’un petit nombre de secondes. Avec ces moyens tout nouveaux, Picard forma des quarts de cercle et des secteurs avec lesquels il mesura le premier degré qui méritât quelque confiance. Ce degré fournit à Newton l’une des données indispensables pour les calculs de la force qui retient la Lune dans son orbite, et qui ont conduit ce grand géomètre à la première preuve directe qu’on eut de la gravitation universelle supposée par Képler dans sa Physique céleste.

Alterius sic
Altera poscit opem res et conjurat amice.

Picard est le premier auteur de la méthode des hauteurs correspondantes et de la correction du midi. Il ne lui manquait plus rien pour établir le système d’Astronomie pratique, qu’il avait exposé à l’Académie dès l’an 1669. On lui fit attendre dix ans le quart de cercle mural, qu’il demandait avec des instances continuelles ; il n’eut pas le plaisir de le placer lui-même dans le méridien, il était mourant quand enfin l’instrument fut terminé. En attendant, il avait essayé de faire tourner une lunette dans le plan du méridien. Cette idée fut réalisée par son élève Roëmer, et perfectionnée par les modernes. Elle a fourni l’un des deux instrumens fondamentaux de l’Astronomie. Roëmer construisit donc la première lunette méridienne ; il la plaça dans son observatoire de campagne ; il en fit un usage assez heureux pour déterminer les ascensions droites au moins relatives des étoiles. Il n’a rien imprimé, et ses manuscrits ont péri dans l’incendie de l’observatoire de Copenhague, où ils avaient été transportés après sa mort. Nous n’avons guère de lui que son ouvrage des Trois Jours, Triduum astronomicum, dans lequel on trouve les passages d’un assez grand nombre d'étoiles observées à sa lunette ou roue astronomique. On peut d’autant mieux le juger d’après cet opuscule, que de toutes ses œuvres c’était celle qu’il prisait le plus, et qu’il en avait multiplié les copies, dont plusieurs ont été conservées, et ont pu être comparées à l’original, qui était heureusement entre les mains de son élève Horrebow. Roëmer est surtout célèbre par les preuves qu’il donna du mouvement de la lumière et de la vitesse de ce mouvement, qu’il soutint constamment, du moins pendant son séjour en France, malgré l’opposition non moins constante de D. Cassini ; mais de retour à Copenhague, il parut oublier entièrement cette découverte importante, de laquelle il ne tira aucune connaissance utile, ni aucune amélioration pour les calculs astronomiques. Il semble qu’il aurait du montrer moins d’indifférence, et s’attacher surtout à développer l’idée heureuse de Descartes sur l’aberration des planètes, qui était une conséquence mathématique de la transmission non instantanée de la lumière. Si Roëmer n’eût été rappelé à Copenhague, d’où Picard l’avait amené à Paris, en 1670, il eût été appelé à la succession de Picard, il eût contribué mieux que personne à établir en France le véritable système de l’Astronomie pratique, proposé depuis si long-temps par son maître et son bienfaiteur. Il quitta la France peu de mois avant la mort de Picard, et fut remplacé à l’observatoire par La Hire, qui chercha bien à suivre le plan de ses deux devanciers. Mais il s’occupait de choses trop différentes ; il était à lui seul une académie tout entière, suivant l’expression de Fontenelle ; mais il n’était qu’un astronome du second ordre. Pendant trente ans il observa des hauteurs et des passages à son quart de cercle, dont il ne connaissait assez bien ni les déviations ni les autres erreurs. 11 nantira qu’un catalogue de 64 étoiles, où l’on remarque des erreurs qui ne peuvent avoir été produites ni par l’aberration ni par la nutation, qui étaient encore inconnues. En sorte que, ni pour le nombre, ni même pour la précision, ce catalogue ne peut entrer en comparaison avec celui que Flamsteed composait dans le même temps. Ses tables astronomiques ont joui de quelque réputation, quoiqu’il ne les eût pas assujéties à l’ellipse de Képler, et que toutes ses équations du centre fussent en partie empiriques. Il eût le mérite d’appliquer le calcul trigonométrique à la projection de Képler, pour les éclipses sujettes à une parallaxe, et il trouva un théorème qu’on peut qualifier de fondamental pour cette théorie. Ses observations de la Lune, réduites et calculées par La Caille avec des précautions plus scrupuleuses, sont ce que nous connaissons de mieux à cette époque (1683 — 1685). Elles sont les plus anciennes que l’on puisse employer à déterminer l’accélération du mouvement de la Lune. Les travaux astronomiques de Roëmer et de La Hire sont un appendice naturelle de ceux de Picard, et, pour ne pas les en séparer, nous nous sommes un peu écarté de l’ordre chronologique, qui, après Picard, appelait Cassini. Mais il nous a paru que, malgré sa grande et juste célébrité, le premier des Cassini n’eût jamais, en ce qui concerne la véritable Astronomie, ni des idées aussi saines ni des plans aussi bien raisonnés. Au lieu de s’appliquer à perfectionner les instrumens et les observations, il imagina son gnomon de Bologne, qui n’était qu’un pas rétrograde, quoiqu’il ait été loué outre mesure. A son arrivée en France, il témoigna le regret que l’observatoire n’eût pas été construit de manière à former un vaste cadran solaire. Il aurait voulu en faire un instrument de même genre que son gnomon, et seulement un peu plus complet. Il traita l’Astronomie comme les Grecs traitaient la Philosophie ; il la regardait comme une science purement conjecturale, ou celui qui voulait se distinguer et devenir chef de secte devait avoir des opinions à lui. Toute sa vie il persista dans le mauvais système qu’il s’était formé pour les comètes, d’après les idées de Képler et de Tycho. Jamais il n’eut l’air de faire la moindre attention aux découvertes de Newton. Il crut entrevoir que la Terre était un sphéroïde allongé, et ne réussit que trop à accréditer cette opinion, qui est certainement un des dogmes de son école. Il voulut changer l'ellipse de Képler. Par ces idées et quelques autres, il paraîtrait avoir retardé plutôt qu'accéléré les progrès de l’Astronomie ; mais dans quelques autres parties, moins importantes à la vérité, il s’est acquis une gloire plus solide, et il n’a mérité que des éloges. Le premier il a donné une théorie ingénieuse et déjà fort approchée des réfractions ; il détermina fort passablement la parallaxe du Soleil ; il donna les premières tables des satellites de Jupiter ; elles laissaient beaucoup à désirer sans doute, mais celles du premier satellite furent certainement très utiles à la Géographie. Long-temps il en fit mystère, et ne publia que des éphémérides ; ce mystère même fut peut-être une des causes qui le firent appeler en France. Nous ne parlons pas de ses autres tables, qui n’ont paru que long-temps après sa mort, avec diverses corrections qu’il nous est impossible de juger, et que ses successeurs ont estimées nécessaires. Le premier il découvrit la rotation de Vénus, celle de Mars et celle de Jupiter. Il découvrit quatre des satellites de Saturne, et à cet égard il se montra un digne et brillant successeur de Galilée. Nous avons taché de l’apprécier avec une impartialité que plus d’un lecteur trouvera sans doute un peu sévère. Mais tel est le devoir impérieux de l’historien. Au reste, aucune de nos critiques ne pourra diminuer une réputation si bien établie par des découvertes incontestables. Cette impartialité sévère et historique se trouve également dans les notices que nous avons consacrées à quelques-uns des plus célèbres bienfaiteurs de la science, quand nous avons été forcés de combattre leurs idées ou leurs prétentions. Elle se trouve dans les notices de Ptolémée, de Copernic, de Képler, de Galilée et de Descartes. On la trouvera pareillement dans les articles des grands hommes, que l’abondance des matières nous a forcé à renvoyer au troisième volume de notre histoire. Ce volume est tout prêt, ou du moins il n’y manque que quelques notices courtes et faciles d’auteurs très modernes ; il aura pour titre l’Astronomie du dix-huitième siècle ; nous le commencerons par Newton, Flamsleed et Halley, qui paraîtraient appartenir au siècle précédent ; mais les découvertes de Newton n’ont porté leur fruit que long-temps après la première apparition du livre des Principes : c’est le dix-huitième siècle qui a vu paraître la Cométographie Halley et l’Histoire céleste de Flamsteed. Notre histoire sera terminée par l’examen de tous les ouvrages qui ont pour objet la grandeur et la figure de la Terre, et ce dernier livre sera le seul où pourront être compris quelques auteurs encore vivans. Ainsi notre Histoire de l’Astronomie n’aura pas moins de six volumes. On trouvera sans doute que c’est beaucoup pour une seule science, et c’est ce qui nous avait fait balancer sur le titre que nous devions donner à notre ouvrage. Nous aurions pu lui donner celui de Bibliothèque, à l’exemple de Photius ou de Fabricius. Nous l’avons rédigé principalement pour les astronomes et pour les mathématiciens en général. Nous avons désiré qu’il contînt le tableau complet des différens âges de l’Astronomie ; qu’il fut un répertoire où l’on trouvât toutes les idées, toutes les méthodes, tous les théorèmes qui ont servi successivement aux calculs des phénomènes. Quant aux lecteurs qui n’ont que peu ou point de connaissances mathématiques, l’Histoire de l’Astronomie est renfermée pour eux dans nos discours préliminaires et dans les parties des notices particulières où ils n’apercevront ni calculs ni démonstrations. Aux six volumes de notre Histoire, on pourra joindre les trois volumes de notre Astronomie, ou nous avons taché de renfermer toutes les méthodes dont on se sert aujourd’hui. Il est vrai qu’après la lecture de l’Histoire on pourrait trouver quelques retranchemens à faire dans le Traité. Nous pourrons même, si nous en avons le temps et les moyens, exécuter ces changemens et quelques autres, dont l’objet sera d’en mieux coordonner les parties à celles de l’Histoire, sans que le Traité cesse d’être un ouvrage complet en son genre.


NOTE.

Pendant que cette feuille s’imprimait, nous avons eu l’occasion de compulser tous les anciens registres de l’Académie, en ce qui concerne Huygens, Picard, Cassini et Richer, et pour savoir l’époque précise où l’Académie a connu raccourcissement du pendule à Cayenne. Il est résulté de ces recherches que Richer assistait rarement aux séances ; que plusieurs fois on fut obligé de lui écrire pour qu’il envoyât la relation de son voyage ; que son manuscrit a été longtemps entre les mains de Cassini, qui même fut chargé d’en composer la préface. On n’en voit aucune en tête du voyage : il est à croire que Cassini, en donnant plus de développement à ses idées, au lieu de cette préface, aura composé le livre qu’il publia cinq ans après pour commenter ce voyage. On voit dans les registres que Cassini et Picard avaient été chargés de revoir la rédaction de Richer, que le livre ne fut imprimé que plus de cinq ans après le retour de l’auteur ; enfin, que pas une seule fois ces registres ne font la moindre mention de raccourcissement du pendule. Il est donc possible qu’Huygens n’en ait eu connaissance que par la publication du livre en 1679. Huygens demeurait encore en France. Sans doute il dut en recevoir ou s’en procurer un exemplaire. Ce fut alors seulement qu’il put faire à son discours, sur la cause de la gravité, une première addition qui contenait ses idées d’aplatissement. Il n’en pouvait être question en 1669, quand il lut à l’Académie son discours, qui est, comme il le dit, consigné dans les registres. Ainsi, quand dans la préface de ce discours imprimé, Huygens dit : Maxima pars hujus libelli scripta est cum Lutetiæ degerem… ad eum usque locum ubi de alteratione quæ pendulis accidit à motu Terræ, etc. Il nous paraît prouvé que ce fut après son départ de Paris, vers 1682 ou 1683, qu’Huygens a parlé de l’aplatissement de la Terre, et qu’ensuite c’est après la lecture du livre de Newton qu’il composa l’Additamentum de la page 116 du tome II de ses œuvres, publiées à Amsterdam en 1728. Si la partie qui concerne l’aplatissement eût été écrite à Paris, il eût dit : Ad eam usque partem cui titulus ADDITAMENTUM.


  1. Ὁ µὲν ὑποτιθέμενος, ὁδὲ Σέλευκος καὶ ἀποφαινόμενος. (Questions platoniques, p. 1850, édition de H. Étienne.)