Histoire de dix ans,tome 3/Chapitre 4

(IIIp. 141-214).
CHAPITRE IV.


Progrès du parti républicain ; Armand Carrel et Carmer-Pages. — Liste civile prétentions de la cour ; pamphlets de M. de Cormenin. – Procès au sujet de la mort du duc de Bourbon. — Audace de la presse républicaine ; persécutions ; déclaration courageuse d’Armand Carrel. — Conspiration des tours Notre-Dame. — Conspiration de la rue des Prouvaires. — Exaspération de Casimir-Périer ; ses rapports avec ie roi scène de fureur. — Expédition d’Aucône. — Esprit de l’administration sous Casimir-Périer. — Troubies de Grenobie ; l’autorité locale vaincue, débats parlementaires. — Lutte systématique entre les deux chambres. — Vote du budget. — Clôture de la session.


L’année 1832 s’ouvrit, pour le roi, par les félicitations et les flatteries d’usage. Et pourtant, jamais la royauté en France n’avait été plus sérieusement menacée. La révolution que les saints-simoniens cherchaient à introduire dans l’ordre social, le parti républicain la poursuivait, dans l’ordre politique, avec beaucoup de fougue et de succès. Le 2 janvier, M. Armand Carrel se prononça pour la république, dans le National, et, quelques jours après, M. Garnier-Pagès entra comme républicain à la chambre.

Un seul député se leva pour protester contre l’admission de ce nouvel élu : ce fut Casimir Périer. Eclairé par sa haine, il devinait quels ennemis se dressaient devant lui, et ce que pourraient pour la ruine de ses espérances deux hommes tels que MM. Armand Carrel et Garnier-Pagès.

Armand Carrel avait dans toute sa personne quelque chose de chevaleresque. Le balancement de sa démarche, son geste bref, ses habitudes d’élégance virile, son goût pour les exercices du corps, et aussi, une certaine âpreté qu’accusaient les lignes heurtées de son visage et l’énergie de son regard, tout cela était plus du militaire que de l’écrivain. Officier sous la Restauration, conspirateur à Béfort, armé en Espagne contre le drapeau blanc, traîné, plus tard, devant trois conseils de guerre, 1830 l’avait trouvé journaliste. Mais l’homme d’épée survivait en lui. Que de fois, dans la cour de l’hôtel Colbert, ne l’avons-nous pas vu entrer à cheval, dans une tenue sévère, et la cravache à la main ? Quoique plein de douceur et d’abandon dans l’intimité, il apparaissait dans la vie publique, dominateur et absolu. Écrivain, il avait dans son style moins d’éclat que de relief, moins de mouvement que de nerf ; mais il maniait d’une façon inimitable l’arme du mépris ; il ne critiquait pas ses adversaires, il les châtiait et, comme il était toujours prêt à répondre par le sacrifice de sa vie aux ressentiments éveillés par sa parole, il régnait en maître dans le domaine de la polémique, dédaigneux, formidable et respecté. Il était né chef de parti : chef d’école, il n’aurait pu l’être. Il manquait de ce fanatisme froid qui naît des études opiniâtres et fait les novateurs. Voltairien avant tout, il ne paraissait pas avoir souci de marquer sa place dans l’histoire par l’initiative de la pensée. Mais quand la vérité brillait à ses yeux, une vérité jusqu’alors méconnue par lui, il se rendait aussitôt ; car chez lui l’amour du progrès était irrésistible et la modestie pleine de courage. Incapable, toutefois, d’immoler à un vain désir de popularité ce qu’il y avait de modéré dans ses opinions et d’un peu aristocratique dans ses allures, son ascendant sur son parti n’était que celui d’un esprit altier, d’un talent reconnu et loyal. Il possédait au plus haut point le commandement ; il passionnait ses amis : c’était un caractère. A ses ennemis il inspirait une crainte mêlée de confiance ; ils sentaient qu’au jour d’une réaction prévue, leur sauvegarde serait dans la modération de cet homme et dans sa générosité impérieuse. De fait, les systèmes de violence lui répugnaient ; les théories américaines lui plaisaient par tout ce qu’elles accordent à la liberté individuelle et à la dignité de la nature humaine. Il fut long-temps girondin par sentiment ; et il lui en coûta beaucoup pour s’incliner devant la majesté de cette dictature révolutionnaire l’effroi, la gloire, le désespoir et le salut de la France. Bien que l’Empire l’eût tenté par ses côtés glorieux, il se révoltait contre les insolences de la force organisée, et trouvait une sorte de jouissance hautaine à flétrir la brutalité des militaires de cour, que, dans son langage énergique, il appelait « des traîneurs de sabre. » Malheureusement, il croyait trop aux prodiges de la discipline, lui qui, néanmoins, avait été encore plus conspirateur que soldat. Un peuple soulevé peut-il l’emporter sur un régiment fidèle au drapeau ? C’est ce qu’Armand Carrel, même après la révolution de juillet, refusa toujours de croire. D’un autre côté, le besoin de l’action le tourmentait ; il aurait voulu renverser tout ce qui était obstacle à l’agrandissement des destinées de son pays, confondues avec les siennes dans sa haute et légitime ambition. La guerre écrite qu’il avait déclarée au pouvoir ne servait, malgré les périls qu’elle portait avec elle, qu’à consoler son courage et qu’à tromper l’inquiétude de ses désirs. Forcé souvent d’éteindre dans ses amis le feu dont il était lui-même consumé, il s’exaltait et se décourageait tour-à-tour dans cette lutte intérieure, et il s’irritait de sa propre sagesse que sa passion condamnait. En proie à ces incertitudes amères, il lui arriva quelquefois d’improuver des mouvements qui eussent réussi peut-être, secondés par lui. Il est vrai que, quand la bataille qu’il avait déconseillée était perdue, il embrassait la cause des vaincus, sans restriction, sans réticences. Contradiction héroïque, qui est l’inévitable faiblesse des grands cœurs !

Doué d’un genre de supériorité non moins réel, mais différent, Garnier-Pagès se distinguait surtout par sa finesse, par sa pénétration, par sa prudence honnête et calme, par une habileté singulière à mettre aux prises les partis adverses, de manière à les ruiner l’un par l’autre en obtenant l’estime et les applaudissements de chacun d’eux. Garnier-Pagès ne s’était pas laissé insensiblement gagner, comme Armand Carrel, à la cause de la république ; dès ses premiers pas dans la carrière des affaires, et même avant 1830, il s’était déclaré républicain. Sa jeunesse avait été laborieuse ; au sein d’une famille atteinte par d’honorables malheurs, il avait souffert beaucoup, et pour lui, et pour un frère dont la destinée devait à jamais rester unie à la sienne, sous les lois de la plus touchante amitié. « Occupe-toi du soin de notre fortune, avait dit à l’autre l’aîné des deux frères moi, je travaillerai à la gloire de notre nom, » et ils étaient entrés de la sorte dans le monde, forts de leur mutuel dévouement. Les rigueurs du sort ne sont fatales qu’aux natures faibles. Garnier-Pagès apportait dans la carrière politique tout ce que l’adversité donne aux natures d’élite : l’habitude de l’observation, la sérénité dans la lutte, une saine appréciation des obstacles, la connaissance des hommes, le sens pratique des choses. Or, ces qualités sont précisément celles que réclame, dans le régime constitutionnel, l’exercice du pouvoir ; elles auraient appelé au ministère un ambitieux en sous-ordre : elles ne servirent qu’à créer à Garnier-Pagès, dans l’Opposition, un rôle important et original. Affable et insinuant, son esprit vif, sa simplicité, sa grâce familière, son langage dont une naïveté de bon goût tempérait la malice, lui valurent bientôt dans le parlement une influence que semblait lui refuser d’avance la hardiesse solitaire de ses opinions. Il est certain qu’il possédait au plus haut degré l’art d’amener ses adversaires à l’aimer dans ses croyances. Quand il parlait, à la chambre, c’était sur tous les bancs une attention pleine de bienveillance. Et en effet, nul ne méritait mieux que lui d’être écouté. Tantôt, dans un langage simple et facile, mais d’une admirable clarté, il traitait les plus obscures questions d’économie politique ou de finances ; tantôt, armé d’une éloquence agressive et fine, il déconcertait les ministres par des interpellations inattendues, humiliait la cour par des révélations dont chacun s’étonnait, châtiait les interrupteurs par la promptitude de ses réparties, et forçait toutes les fractions d’une chambre monarchique à le désirer sur la brèche et à honorer en lui la république. Au milieu des préventions perfidement répandues contre l’opinion radicale parmi ceux qui la jugeaient sans la connaître, Garnier-Pagès eût été difficile à remplacer. Car il servait avec grâce un parti représenté comme farouche. Il se montrait ennemi de toute violence à des esprits pour qui l’idée de la république était inséparable de celle de l’échafaud, et il confondait par sa science des affaires ces prétendus hommes pratiques qui affectent de regarder comme de pures utopies tout ce qui s’élève au-dessus du niveau de leur intelligence.

Ainsi, l’opinion républicaine avait acquis une puissance réelle. Dans le parlement, il fallait désormais compter avec elle dans la presse, elle était représentée avec éclat, non plus seulement par la Tribune, la Révolution et le Mouvement, mais encore par le National ; enfin elle avait dans M. de Cormenin, brillant émule du fameux Paul-Louis Courier, un auxiliaire qui faisait trembler la cour.

D’autre part, la royauté perdait chaque jour du prestige qu’elle devait à son origine plébéïenne. Lorsqu’un homme est trop haut placé au-dessus des autres hommes, la tête lui tourne : c’est là le vice fondamental de la royauté ; et s’il arrive à un roi de ne pas chanceler sous le poids de sa fortune, ce qu’il conserverait par sa modération, ses courtisans le compromettent par la témérité de leur bassesse. Au moment même où retentissait à Paris le cri de douleur poussé à Lyon par quarante mille ouvriers affamés, la cour ne songeait qu’à gorger la royauté de richesses.

Le roi lui-même, soit qu’il eût cédé en cela aux conseils trompeurs d’un entourage avide de ses largesses, soit qu’il eût appris depuis un an ce que coûtent les frais de représentation d’une monarchie, le roi lui-même semblait prêt à faire aux exigences de sa nouvelle position le sacrifice de ses habitudes bourgeoises, de ses goûts simples, qui avaient été, sous la Restauration, l’objet d’une admiration presqu’universelle. Il y avait bien encore des hommes qui l’auraient voulu voir, devenu roi, tel qu’il leur était apparu n’étant que prince ; il y avait des hommes qui, comme M. Dupont ( de l’Eure ) ou M. Bavoux, se rappelaient avec espérance les paroles qu’ils lui avaient entendu prononcer dans les premiers jours de son avènement : « Il ne doit plus y avoir de cour… Que faut-il à un roi citoyen ? six millions de liste civile, tout au plus. » Mais tant de désintéressement n’avait pas tardé à paraître ingénu à ceux qui comprenaient les nécessités d’une monarchie. On avait donc composé — M. Laffitte, à cette époque, était encore ministre ; — une liste qui ne portait pas à moins de 20 millions le chiffre des dépenses obligées du roi. Cet état des besoins de la liste civile fut communiqué par Louis-Philippe à M. Laffitte, qui ne craignit pas de témoigner sa surprise. Selon lui, c’était assez, c’était trop peut-être de 18 millions ; et comment vaincre, d’ailleurs, l’inflexible austérité de M. Dupont ( de l’Eure ) ? On insista. Une commission avait été nommée par la chambre pour examiner le budget royal ; elle se composait de MM. Thouvenel, Duvergier de Hauranne, Anisson-Duperron, Étienne, Rémusat, Génin, Jacques Lefèvre et Cormenin. Ce fut à cette commission que la note dont nous venons de parler et qu’on n’avait pas osé communiquer au conseil des ministres, fut remise par M. Thiers, chargé de cette mission délicate. L’étonnement des mandataires de la chambre fut extrême ils refusaient de croire que des prétentions aussi exorbitantes fussent celles d’un monarque qu’ils avaient connu duc d’Orléans. A la chambre, lorsqu’on y lut l’étrange note, l’impression ne fut pas moins fâcheuse. Il fallait à tout prix réparer le tort d’une démarche imprudente.

Dans cette extrémité, le roi eut recours au dévouement infatigable de M. Laffitte, son ministre de prédilection. Il fut convenu entre eux que le roi écrirait une lettre dans laquelle il se plaindrait du zèle irréfléchi des courtisans et se déclarerait étranger à la fixation d’un chiffre, évidemment impopulaire que cette lettre, adressée à M. Laffitte, serait censée toute confidentielle ; mais que, par une habile indiscrétion, M. Laffitte aurait soin de la lire aux membres de la commission comme une preuve irrécusable du désintéressement de Louis-Philippe, désintéressement auquel on supposerait que des serviteurs maladroits avaient voulu faire violence. Les choses eurent lieu selon ce petit arrangement : la popularité du roi se vit sauvée d’une première atteinte ; et, pour faire adopter par la chambre un chiffre qu’on désavouait sans y renoncer, on attendit des circonstances plus favorables.

Ces circonstances furent, ainsi que nous l’avons raconté, l’issue non sanglante du procès des ministres de Charles X, la chute de M. Laffitte et son remplacement par M. Casimir Périer. La cour alors se dépouilla de tout scrupule. La chambre, renouvelée, avait nommé une commission moins sévère : on ne parla plus que de doter magnifiquement la couronne. Pour ne pas effrayer prématurément les députés économes des deniers de l’État, les ministres laissèrent en blanc, dans le projet, le chiffre de la liste civile ; mais sous main ils poussaient à l’adoption d’un chiffre très-élevé, et la liste qui courait dans le public menaçait le royaume d’un fardeau de 18 millions 535,500 francs. C’était donner à Louis-Philippe un traitement trente-sept fois plus considérable que celui qu’avait obtenu en France Bonaparte, premier consul, et cent quarante-huit fois plus considérable que celui qui suffit en Amérique au président de la florissante république des États-Unis.

Dans le même temps, un bureau de bienfaisance faisait publier ce qui suit : « 24,000 personnes inscrites sur les contrôles du 12e arrondissement de Paris, manquent de pain et de vêtements. Beaucoup sollicitent quelques bottes de paille pour se coucher[1]. »

Mais c’eût été trop peu qu’une liste civile de 18 millions, au gré des gens de cour. Ils voulaient qu’en outre on assurât au roi, comme dotation immobilière de sa couronne : le Louvre, les Tuileries, l’Élysée-Bourbon ; les châteaux, maisons, bâtiments, manufactures, terres, prés, corps de ferme, bois et forêts, composant les domaines de Versailles, Marly, Meudon, St.-Cloud, Saint-Germain, Fontainebleau, Compiègne, Pau ; la manufacture de Sèvres, celle des Gobelins et de Beauvais ; le bois de Boulogne, le bois de Vincennes, la forêt de Sénart. Sans parler d’une riche dotation mobilière comprenant diamants, perles, pierreries, statues, tableaux, pierres gravées, musées, bibliothèques et autres monuments des arts.

Quant à l’apanage d’Orléans, les courtisans étaient d’avis que les biens composant cet apanage devaient être réunis à la dotation immobilière, oubliant ainsi que les apanages n’avaient jamais été que la constitution alimentaire des branches cadettes, et qu’il était dans leur essence de s’éteindre quand la branche cadette arrivait au trône.

Restait à résoudre une question délicate : Indépendamment des grandes richesses qu’il allait posséder comme roi, Louis-Philippe aurait-il comme simple citoyen un domaine privé ? D’après l’édit d’Henri IV, de 1566, la constitution de 1791 et la loi du 8 novembre 1814, tout prince appelé au trône doit confondre ses biens personnels avec le domaine de l’État. C’était un usage respectable que celui-là et d’un sens profond ; car il semblait élever le roi à la dignité de père du peuple. Mais Louis-Philippe n’en avait pas jugé ainsi, et la veille de son avènement, le 6 août 1830, il avait eu soin de disposer de ses biens personnels en faveur de sa famille.

Le résumé des prétentions de la cour était donc celui-ci : une liste civile de 18 millions, 4 millions de revenu en terres et en forêts ; onze palais magnifiques, un mobilier somptueux, 2 millions 594,912 francs d’apanage, et le domaine privé.

Telles furent les bases proposées. La commission les adopta en réduisant à 12 ou à 14 millions le chiffre de la liste civile, et M. de Schonen présenta le rapport à la chambre.

La stupeur fut grande dans le public. La théorie des libéraux constitutionnels sur les gouvernements à bon marché recevait un démenti brutal et inattendu. La polémique devint enflammée. On avait sous les yeux le compte détaillé des dépenses royales : l’esprit français en fit le sujet de mille commentaires, les uns plaisants, les autres injurieux. Ici, l’on faisait remarquer que l’entretien de la chapelle allait coûter dix fois plus que sous Charles X, quoique Louis-Philippe en usât dix fois moins. Là, on s’étonnait que 80,000 fr. de remèdes par an fussent jugés nécessaires à un roi dont la santé, grâce au ciel, était excellente ; Louis XVIII, goutteux et cassé, se soignait à moins. 4 millions 268,000 fr. paraissaient une somme quelque peu exagérée, dès qu’on l’affectait aux menus-plaisirs d’un roi qui n’était pas sans se piquer de philosophie. On s’expliquait malaisément l’importance des trois cents chevaux à mille écus par tête, qui figuraient dans le compte ; pourquoi traiter chacun de ces chevaux comme un conseiller de cour royale et deux fois mieux qu’un membre de l’Institut ? 200,000 fr. de livrée ! on trouvait que c’était beaucoup pour des galons ; car enfin, il était possible avec cette somme de rétribuer pour leurs fonctions annuelles cent procureurs du roi, ou d’augmenter d’un cinquième la subvention accordée à l’instruction primaire, ou de défrayer, à huit sous par jour, treize cent quatre-vingts pauvres prisonniers. Quoi ! s’écriait le Globe saint-simonien dans un article à la fois spirituel et sensé, « quoi ! on affecte au service personnel du roi 3 millions 773,500 fr. ; et ce roi, chef d’une nation devenue industrielle, d’une bourgeoisie pacifique, n’est entouré que d’hommes ceignant l’épée et chaussant l’éperon ! »

Mais ce fut M. de Cormenin qui porta au projet de loi les coups les plus sensibles. Dans une série de lettres pleines de logique, de raison, d’éloquence, de fine ironie, il rappela que quand le héros d’Italie, le conquérant fabuleux de l’Egypte, le pacificateur de la Vendée, vint siéger sur le trône consulaire, les trois consuls ne coûtaient à la France, frais de table et de maison réunis, qu’un million cinquante mille francs, et qu’on ne demandait pas alors au peuple français, terreur de Pitt et admiration du monde, 1 million 200,000 fr. seulement pour échauffer les fourneaux souterrains de la Bouche. Il prouva que la liste civile de Charles X, de Charles X lui-même, n’allait pas au-delà de 11 millions 210, 865 fr., pour peu qu’on en retranchât les dettes et avances remboursables, les frais de la maison militaire, et tous les services que la révolution de juillet avait annulés, tels que ceux de grand écuyer, de grand veneur, de pages, de grand-maître des cérémonies, etc… Il montra que pour la royauté le meilleur moyen de se faire respecter était de se rendre utile ; que recommander la liste civile comme une caisse de prévoyance ouverte aux malheureux était un sophisme misérable, attendu que c’est le peuple, le menu peuple, qui paie la liste civile, et qu’il est dérisoire de prendre aux pauvres leur argent pour leur faire du bien ; que le prince, irresponsable, ne saurait être un distributeur plus intelligent des deniers publics que des ministres dont la responsabilité garantit la gestion ; qu’une grosse liste civile n’était bonne qu’à entretenir la paresse des mendiants brodés qui pullulent autour des trônes ; que ce qui enrichit une nation n’est pas ce qu’on lui ôte, mais ce qu’on lui laisse ; qu’il était absurde de voir dans l’opulence exagérée du roi une ressource pour le commerce, comme si on créait la richesse en la déplaçant, et comme s’il était juste de chercher toute la nation dans les marchands de la rue Saint-Denis, au lieu de la chercher dans les contribuables réunis : paysans de la Basse-Bretagne, pâtres des Alpes, herbagers de la Normandie, laboureurs du Languedoc, ouvriers de Lyon, de Bordeaux et de Marseille ; que les arts, enfin, vivent moins des encouragements fastueux d’un prince qui en les protégeant les abaisse, que des hautes inspirations de la religion, de la gloire et de la liberté.

La sensation produite par les pamphlets de M. de Cormenin fut universelle et durable. Aussi les débats, à la chambre, remplirent-ils plusieurs séances, débats opiniâtres par qui la majesté royale fut irrévocablement compromise, et qui prouvèrent bien que, pour la fraction libérale de la bourgeoisie, la royauté était un instrument et non pas un principe. « Si le luxe est banni des palais du roi, avait dit M. de Montalivet, il le sera bientôt des maisons des sujets. » À ce mot de sujet, un frémissement d’indignation parcourt l’assemblée. « Les hommes qui font des rois, s’écrie impétueusement M. Marschal, ne sont pas des sujets. Les cris à l’ordre le ministre ! retentissent de toutes parts. MM. Cabet, de Ludre, Clerc-Lasalle, Laboissière, interpellent M. de Montalivet avec vivacité. « Faites votre devoir, crie-t-on au président : il faut que le ministre soit rappelé à l’ordre. La nation est outragée ! — Tenez bon, Messieurs, dit à son tour aux députés du centre le garde des sceaux, dont le trouble égale la colère. » La confusion est au comble. Le ministre, appuyé contre le marbre de la tribune, affecte une contenance altière. Le président est debout et il agite sa sonnette ; mais impuissant à surmonter le tumulte, il se couvre enfin. On déclare la séance suspendue, et les députés se retirent en désordre dans les bureaux. Le lendemain, la presse dynastique presque tout entière tonnait contre l’injure adressée par M. de Montalivet à la nation, et la majorité de la chambre ayant voté l’ordre du jour sur cet incident, M. Odilon Barrot, suivi de cent quatre députés, se rendait dans la salle des conférences pour y rédiger une protestation formelle contre un mot inconciliable, disait-il, avec le principe de la souveraineté nationale. Rien n’était plus propre à faire apprécier exactement les dispositions d’une grande partie de la classe dominante à l’égard de la royauté. La chambre, cependant, finit par accorder à la couronne tout ce qu’on demandait pour elle : dotation immobilière, dotation mobilière, domaine privé ; elle déclara même acquises à la liste civile, les sommes que le roi avait touchées jusqu’alors, et qui lui avaient été payées sur le pied de 18 millions ; un douaire fut attribué à la reine, en cas de décès de son époux ; et la dotation annuelle de l’héritier présomptif fut fixée à un million.

Le triomphe semblait éclatant pour la cour. Mais les débats qui avaient eu lieu dans la presse, les redoutables lettres de M. de Cormenin, les longues discussions dont la chambre avait retenti, le blâme sévère dont un ancien ministre, M. Dupont (de l’Eure), avait publiquement frappé des prétentions qu’il jugeait scandaleuses, le mécontentement manifesté par une grande partie de la bourgeoisie, et 107 boules noires trouvées dans l’urne du scrutin, tout cela laissait la cour sous le coup d’une véritable défaite. Ceux qui adoptaient le principe monarchique avaient tort de refuser au monarque une existence fastueuse. Qui veut un roi, doit savoir le subir.

D’autres affronts attendaient le principe monarchique. Tandis qu’on discutait injurieusement à la chambre et dans la presse les demandes pécuniaires de la cour, le nom du monarque, par une triste coïncidence, retentissait devant les tribunaux, associé au nom de la baronne de Feuchères. La famille de Rohan avait attaqué la validité du testament, qui nommait le duc d’Aumale légataire universel du dernier des Condé, et tous les esprits étaient attentifs au dénoûment de cette lutte judiciaire. Jamais procès n’excita une curiosité plus inquiète, ne souleva plus de passions, n’introduisit plus avant dans les mystères et les souillures de la vie des princes, la foule, toujours avide de scandale. Alors fut à demi tiré le voile qui couvrait des détails hideux. Dans une plaidoirie, remplie de faits accusateurs, M. Hennequin déroula le tableau des violences et des artifices qui avaient empoisonné les derniers jours du duc de Bourbon et vaincu sa faiblesse. Il trouva dans les sentiments bien connus du malheureux prince, rapprochés de la teneur du testament, les. preuves de la captation ; et dans l’impossibilité du suicide, celles de l’assassinat. Il n’hésita pas devant le respect dû à certains noms ; il appela les investigations de tous sur des questions brûlantes ; il fut éloquent, et, dans sa modération, implacable. Bientôt le peuple, avec son impétuosité ordinaire, ne chercha plus qu’un crime dans la fin de ce Condé dont on venait se disputer devant lui les dépouilles sanglantes. M. Hennequin reçut, à cette époque, d’hommes qui lui étaient parfaitement inconnus, une quantité innombrable de lettres. Les uns lui écrivaient pour lui soumettre quelque argument nouveau ; les autres, pour lui reprocher quelque circonstance importante, oubliée ou affaiblie ; tous, pour le féliciter et l’encourager. M. Lavaux, avocat de la baronne de Feuchères, et M. Dupin jeune, avocat du duc d’Aumale, déployèrent tous deux un grand talent dans la défense. Mais on remarqua, malheureusement, qu’à des faits précis et articulés avec netteté, ils répondaient tantôt par des explications tortueuses, tantôt par des récriminations vagues, d’où ils ne surent pas toujours bannir l’injure ; et l’on se tint en garde contre l’habileté de M. Dupin jeune, faisant considérer le procès comme une trame ourdie par les légitimistes contre le duc d’Orléans, comme une ruse de la haine envenimée des partis, en un mot comme un essai de vengeance dont tous les partisans de la révolution de 1830 devaient faire justice. L’intérêt des légitimistes dans le procès était manifeste ; mais, pour combattre des faits confirmés par une masse imposante de témoignages, il fallait autre chose qu’un appel véhément aux souvenirs du mois de juillet. Les Rohan perdirent leur procès devant les juges, et, à tort ou à raison, ils le gagnèrent devant l’opinion publique.

Une circonstance imprévue vint ajouter à l’ardeur des impressions diverses produites par ces débats. M. Dupin jeune, dans sa plaidoirie, avait rappelé avec éloges la jeunesse de Louis-Philippe. Le journal Tribune répondit par un article amer, où l’on rappelait la vie de Louis-Philippe d’Orléans, sa proclamation de Tarragone, le commandement en chef de l’armée de Catalogne que lui avait donné la junte gouvernementale de Cadix, et le retrait de ce commandement sur les instances du duc de Wellington.

M. Germain Sarrut, qui avait eu l’audace de signer cet article, fut mandé devant le juge d’instruction, M. Thomas. Or, à peine M. Sarrut était-il entré dans le cabinet du juge, que des gardes municipaux furent appelés pour se saisir de sa personne. « Je change votre mandat de comparution en un mandat de dépôt », dit le juge d’instruction à M. Sarrut.

L’écrivain arrêté en appela aussitôt à l’opinion publique. Mais le gouvernement voyait dans la presse une puissance ennemie dont il fallait à tout prix avoir raison : il frappa sur elle à coups redoublés. Des saisies presque simultanées atteignirent la plupart des feuilles publiques. La Tribune haletait sous le poids des procès sans cesse renaissants qui lui étaient intentés : désespérant de la dompter, le ministère jura de la détruire. Le spirituel gérant de la Caricature, M. Philippon, et l’auteur de la poétique Némésis, M. Barthélemy, furent poursuivis également, sans qu’on pût parvenir à briser le crayon de l’un et la plume de l’autre. Traînée devant les tribunaux, la Société des Amis du Peuple fut condamnée à l’amende et à la prison dans la personne de MM. Raspail, Bonnias, Gervais, Thouret et Blanqui, mais après des scènes d’audience où avaient éclaté le dédain des accusés pour les juges et leur ferme résolution de ne jamais fléchir. La haine ainsi se montrait, partout, avide de bruit et d’action, persévérante, infatigable.

Casimir Périer s’irritait de tant de résistance et s’en étonnait. Car il n’avait choisi ou accepté pour instruments que des hommes dont les passions étaient les siennes et dont il avait fait des serviteurs frémissants de sa politique. M. Persil, magistrat bilieux et plein d’un courage farouche, était à la tête du parquet. MM. Vivien et Saulnier, écartés successivement de la préfecture de police, avaient fait place à M. Gisquet, que Casimir Périer faisait trembler en l’employant et qu’il traitait comme un homme dont la personne lui aurait appartenu tout entière. Pour tout dire, l’autorité, véritablement assiégée, avait été fortifiée comme une place de guerre, et l’administration n’était plus en quelque sorte qu’une armée en campagne.

Les torts, il faut le dire, ne furent pas toujours du côté du pouvoir. Souvent, les partis attaquèrent avec déloyauté des actes utiles, nécessaires même ; souvent la magistrature fut insultée sans motif par des hommes qui prenaient de la turbulence pour du courage, et une hardiesse triviale pour de la dignité. La guerre était dans l’Etat, et toutes les armes paraissaient bonnes à la haine.

Malgré cela, nul doute que Casimir Périer, ferme et résolu comme il l’était, n’eût fini par assurer à la domination bourgeoise une existence tranquille, si l’étendue de ses idées avait répondu à l’énergie de ses passions. Mais, incapable de concevoir de grands desseins, d’éblouir les esprits par de grands résultats, il rendait le pouvoir violent sans le rendre fort, il tenait les partis en haleine sans les contraindre au respect, et voulant tout réduire au silence, il troublait tout. Sa politique ne pouvant être ni cruelle, à cause des mœurs, ni absolue, à cause des lois, elle paraissait d’autant plus mesquine qu’elle se montrait plus arrogante. C’est un pouvoir malhabile que celui qui affiche des prétentions plus étendues que ses ressources. Ce fut, sous Casimir Périer, le tort du gouvernement. Il en résulta que l’audace des partis ne fit que s’accroître, et bientôt la légalité ne suffisant plus pour les contenir, il fallut recourir soit à des actes arbitraires, soit à des expédients peu honorables. Déjà au dernier anniversaire de la prise de la Bastille, on avait vu des jeunes gens qui voulaient planter un arbre de la Liberté, tomber sous le gourdin d’ouvriers qu’un obscur agent de la police avait enrégimentés en bandes d’assommeurs, en leur promettant trois francs par jour. Ce guet-à-pens avait été dénoncé à la Tribune par MM. Mauguin et Odilon Barrot, et M. Casimir Périer avait repoussé avec beaucoup de hauteur le reproche d’avoir commandé de tels excès. Mais si le gouvernement, comme il est probable, n’avait point trempé dans cette odieuse machination, œuvre d’un fanatisme subalterne et bas, on pouvait au moins l’accuser de n’avoir pas poursuivi les auteurs du désordre, de n’avoir pas ordonné une enquête sévère, et même d’avoir souffert que le Moniteur fit officiellement l’éloge du zèle que les assommeurs avaient déployé contre l’émeute.

Du reste, l’arbitraire grandissait de jour en jour ; les mandats de dépôt lancés contre les écrivains se multipliaient ; sur les indices les plus frivoles, on enlevait la nuit chez eux des hommes qui, souvent, étaient chargés d’une famille que leur profession nourrissait ; enfermés préventivement, mis au secret, ces malheureux, après une longue réclusion, paraissaient enfin devant le tribunal, qui tantôt les déclarait innocents, tantôt les condamnait, non pour le délit imaginaire, prétexte de leur arrestation, mais pour les paroles outrageantes échappées au ressentiment d’une détention injuste et prolongée. La presse s’était élevée presque unanimement contre des abus aussi graves : ses plaintes furent dédaignées. Armand Carrel prit alors une détermination qui honorera éternellement sa mémoire. Dans un article signé, il prouva qu’en matière d’impression et de publication d’écrits, le cas de flagrant délit n’existait que lorsqu’un appel à la révolte, à une levée de boucliers prochaine, immédiate, contre le gouvernement, s’imprime dans un lieu connu à l’avance par les agents de l’autorité ; que le flagrant délit, excepté en cas de révolution, n’était pas possible pour la presse périodique ; qu’il n’y avait pas un seul des écrivains arrêtés depuis un mois sur mandat de dépôt, de qui l’on fut en droit de dire qu’il avait été surpris en flagrant délit ; que le pouvoir, par conséquent, s’était rendu coupable à leur égard d’une tyrannie à laquelle chacun se devait d’opposer son énergie personnelle. L’article se terminait par cette intrépide déclaration :

« Il ne sera pas dit qu’un régime qui intenterait les absurdes, les innombrables procès dont rougissent nos tribunaux, qui permettrait la confiscation de détail exercée sur notre propriété par la poste et le parquet ; un régime sous lequel es écrivains seraient flétris, en attendant jugement, par leur accouplement avec des escrocs, ou tués à petit bruit par les miasmes pestilentiels de Sainte-Pélagie, pourra s’enrichir encore d’un arbitraire illimité qui s’intitulerait la jurisprudence du flagrant délit. Un tel régime ne s’appellera pas de notre consentement la liberté de la presse. Une usurpation si monstrueuse ne prendra pas. Nous serions coupables de le souffrir, et il faut que ce ministère sache qu’un seul homme de cœur, ayant la loi pour lui, peut jouer à chances égales sa vie contre celle non-seulement de sept ou huit ministres, mais contre tous les intérêts, grands ou petits, qui se seraient attachés imprudemment à la destinée d’un tel ministère. C’est peu que la vie d’un homme, tué furtivement au coin de la rue, dans le désordre d’une émeute ; mais c’est beaucoup que la vie d’un homme d’honneur qui serait massacré chez lui par les sbires de M. Périer, en résistant au nom de la loi. Son sang crierait vengeance. Que le ministère ose risquer cet enjeu, et peut-être il ne gagnera pas la partie. Le mandat de dépôt, sous le prétexte de flagrant délit, ne peut être décerné légalement contre les écrivains de la presse périodique et tout écrivain, pénétré de sa dignité de citoyen, opposera la loi à l’illégalité, et la force à la force. C’est un devoir advienne que pourra.

Armand Carrel. » XXX

Ce langage, si ferme et si noble, excita dans la presse le plus vif enthousiasme. M. Cauchois Lemaire, qui, à la veille de la révolution de 1830, avait si hardiment invité le duc d’Orléans à ramasser la couronne, M. Cauchois-Lemaire condamna en termes éloquents le système sur lequel on cherchait à faire reposer la dynastie nouvelle presque tous les journaux applaudirent ; le Journal des Débats lui-même se prononça, quoique timidement, contre une jurisprudence si généralement réprouvée. L’humiliation de Casimir Périer était au comble : il fit saisir le National et des poursuites furent aussi dirigées contre deux journaux qui s’étaient énergiquement associés à sa déclaration : le Mouvement, rédigé par M. Achille Roche, et la Révolution de 1830, rédigée par MM. Charles Reybaud et Antony Thouret. C’était oser trop peu mais les ministres savaient bien qu’Armand Carrel était homme à recevoir, ses pistolets sur sa table, tout agent d’un système violateur des lois : ils ne relevèrent pas le gant que leur avait jeté un des plus fiers représentants de l’opinion républicaine.

À ces luttes qui remplirent les premiers mois de l’année 1832, se mêlèrent des tentatives étranges et des complots. Le 4 janvier, vers cinq heures du soir, on entendit tout-à-coup le tintement du bourdon de Notre-Dame. Le gardien des tours n’en avait donné l’entrée qu’à un fort petit nombre de personnes qui s’étaient présentées deux à deux. Inquiet, il s’élance dans l’escalier ; mais à peine a-t-il franchi vingt marches, au-dessus de la première galerie, qu’une clameur retentit, suivie aussitôt d’un coup de pistolet. Le gardien redescend avec la précipitation de la frayeur, pour prévenir l’autorité. Bientôt des soldats accourent. En même temps, sur l’ordre du préfet de police, averti d’avance, des sergents de ville se dirigeaient vers la cathédrale en toute hâte. Les tours furent envahies, visitées, et, après trois autres décharges qui n’atteignirent personne, on s’empara de six individus, presque tous de la première jeunesse, et tous de la plus humble condition. Un d’eux, nommé Migne, n’était qu’un enfant. Il pleurait, se lamentait, protestait de son innocence et promettait de tout avouer. Comme on l’interrogeait, un incendie s’alluma dans la tour du nord. On parvint à l’éteindre, quoique les flammes s’élevassent déjà à une grande hauteur. Migne déclarait que sept personnes s’étaient introduites dans les tours : on continua donc les recherches, qui long-temps se prolongèrent sans fruit. À neuf heures du soir, plusieurs gardes municipaux s’étant réunis auprès d’une croisée prenant jour sur la galerie de la Vierge, ils crurent apercevoir à une croisée supérieure une tête d’homme qu’éclairait un flambeau. Ils s’élancent dans le clocher et trouvent que le feu vient de prendre aux poutres. La soirée était froide, le vent soufflait avec force : découvert plus tard, l’incendie, peut-être, n’aurait été maîtrisé qu’avec peine. Les agents de la force publique redoublèrent d’activité dans leurs perquisitions. Ils étaient fort irrités, et quelques-uns disaient : il faut le tuer. Soudain, un homme vint s’offrir à eux sur la plate-forme. Il présentait sa poitrine et cria qu’il se rendait. Interrogé sur sa profession, il répondit émeutier. Il se nommait Considère.

Le but de ces singuliers conspirateurs était, en sonnant le tocsin, de donner le signal de la révolte à divers groupes de mécontents répandus dans la capitale et qui se tenaient prêts à marcher.

Les individus arrêtés furent mis en prison et jugés deux mois après. Leur tentative n’avait eu rien de sérieux ; mais leur procès eut beaucoup d’importance, à cause de la lumière qu’il jeta sur les manœuvres de la police. Il résulta, en effet, soit des détails de l’instruction et des interrogatoires, soit de la déposition des témoins, que la police avait été instruite du complot plusieurs jours à l’avance, et par une lettre du général Darriule, confident des dénonciations d’un agent obscur nommé Mathis, et par les révélations d’un galérien nommé Pernot. Or, aucune précaution n’avait été prise pour empêcher l’exécution du complot, quoiqu’il eût suffi pour cela de fermer les portes des tours. Il paraissait même incontestable que M. Carlier, chef de la police municipale, avait dit au gardien Gilbert de ne concevoir aucune inquiétude. D’autres circonstances bizarres furent mises en relief par ce procès. Ainsi, la nouvelle de la conspiration avait été annoncée au journal anglais le Times, par une lettre de Paris datée du 5 janvier. Avant même que les agents de la force publique eussent pénétré dans les tours, il avait été question parmi eux d’une barricade élevée réellement par les accusés. Au moment de l’arrestation de Considère, un sergent lui avait flairé les mains pour s’assurer si elles ne sentaient pas l’essence, d’où l’on pouvait conclure que ce fait particulier d’une bouteille d’essence portée dans les tours n’était pas même ignoré de la police. Enfin, le 4 janvier, comme pour faciliter l’exécution du complot, le sonneur, avait quitté la tour sans permission, dès dix heures du matin, et sa femme, contrairement à une habitude jusqu’alors inviolable, sa femme s’était abstenue ce jour-là d’aller le remplacer.

Les défenseurs des accusés s’emparèrent de ces circonstances pour détourner sur l’autorité l’accusation qui pesait sur leurs clients. Ils reprochèrent à la police la préférence que, suivant de honteuses traditions, elle accordait au système qui consiste à réprimer sur celui qui consiste à prévenir. Ils s’emportèrent contre cette politique de ruse qui, en poussant elle-même aux troubles par de sourdes menées et des agents ténébreux, a pour but de rendre toute opposition odieuse et de rallier au gouvernement, par la peur, tous les intérêts amis du repos.

Ces attaques étaient fondées, dans le cas particulier dont il s’agissait, car il est certain que la police pouvait ici, sans inconvénient, sans difficulté et sans bruit, faire avorter des projets dont la portée d’ailleurs était nulle. Mais il est juste de reconnaître que, dans une société corrompue et sous l’empire d’institutions vicieuses, un système de pure prévention laisserait souvent l’autorité désarmée devant ses ennemis. Avertir les conspirateurs qu’on les surveille et que leur plan est connu, la police ne le pourrait sans les solliciter par cela même à prendre de meilleures mesures, et sans se mettre à leur merci. Les faire arrêter quand il n’y a pas encore eu commencement d exécution, elle ne le pourrait sans s’exposer à des erreurs funestes, et sans encourir le reproche d’avoir déployé contre des citoyens, soupçonnés à la légère, un arbitraire impatient et brutal. Mais, dans l’affaire des tours de Notre-Dame, la police n’était pas seulement accusée d’une tolérance artificieuse, on lui demandait compte aussi du rôle provocateur joué par un de ses agents. Dans une éloquente et vive plaidoirie, M. Dupont raconta comment Pernot avait abusé de l’ignorance et de la misère de deux jeunes gens, pour les exciter à la révolte. Il le montra faisant parade de sa haine pour le gouvernement, parlant de la capitale prête à se soulever au bruit du tocsin, donnant à lire à un ouvrier des articles factieux, y ajoutant de perfides commentaires, et mettant tout en œuvre pour égarer les malheureux qu’il se proposait de trahir.

Tels furent les faits soumis par l’avocat au jugement de l’opinion. Déjà, du reste, dans le cours des interrogatoires, le système flétri par M. Dupont avait été avoué en partie. Appelé devant les juges le chef de la police municipale n’avait pas craint de dire : « J’ai trouvé le moyen de désorganiser les sociétés secrètes c’est en signalant comme des mouchards, les plus exaltés, qui ont été ainsi battus sur les quais par les hommes de leur parti. »

Il était impossible que des déclarations de ce genre ne fissent pas sur le jury une impression profonde. Cinq des accusés furent acquittés ; trois autres furent déclarés coupables, mais seulement pour délit de non révélation ; et si on les condamna à la prison, ce fut moins à cause du complot qu’à cause de leur attitude hautaine devant les juges. De tristes enseignements jaillissaient de cette affaire : la force d’un gouvernement se mesure à la moralité des moyens qu’il emploie pour se défendre.

Une conspiration bien autrement grave menaçait, à la même époque, tous les pouvoirs constitués. Nous avons dit les ambitieuses espérances que la duchesse de Berri nourrissait au sein de son exil. Pour frayer au fils de cette princesse une route au trône, c’eût été trop peu, sans doute, d’une prise d’armes dans la Vendée, et d’un soulèvement dans les provinces du Midi. Il importait que Paris s’armât pour la querelle des Bourbons aînés. Quelques secours distribués au nom de la duchesse de Berri à des ouvriers malheureux et à d’anciens serviteurs de la royauté proscrite en juillet, fournirent l’idée d’une conspiration, en montrant ce qu’il était permis d’attendre de la reconnaissance du peuple et de sa misère. Un médecin, homme de tête et de résolution, prit l’initiative. Sa profession le mettait en rapport avec un grand nombre d’hommes que la révolution de ~850 avait ruinés ou trompés : il essaya sur eux la domination des bienfaits, et quand il vit tout ce que recèle en ses flancs de désordres possibles, de révoltes en germe, une société souffrante et sans foi, il s’ouvrit à quelques amis. Un plan fut arrêté. Douze chefs furent désignés pour les douze arrondissements de Paris. Chaque chef dut transmettre l’impulsion partie du centre à quatre lieutenants commandant chacun une brigade de dix hommes, et tout membre d’une brigade fut destiné à l’enrôlement de conspirateurs secondaires, qu’on devait employer au triomphe de desseins ignorés de la plupart d’entre eux. Le pouvoir du parti légitimiste étant dans son opulence, l’argent devint le nerf de cette conspiration. Une caisse se forma du produit de diverses souscriptions et de sommes assez considérables apportées d’Italie par un agent de la duchesse de Berri, lequel était attaché à la maison du maréchal Bourmont. Alors commença la mise en œuvre d’un vaste système d’embauchage. L’argent, toutefois, servait moins à salarier régulièrement les recrues de la révolte, qu’à donner aux recruteurs le moyen de s’aboucher avec les gens du peuple, dans des parties de plaisir favorables aux demi-confidences et aux vulgaires séductions. Il est à remarquer que beaucoup de pauvres ouvriers entrèrent dans la conspiration, sans avoir reçu d’autres avances que celles que leur profonde détresse rendait strictement indispensables ou qui servaient à les indemniser de la suspension de leurs travaux. Toujours est-il qu’on distribua des secours de nature à faire ressortir les scandales de l’abandon dans lequel vivait le pauvre. Mais, tout en adoucissant des misères sans espoir, on tenta, par l’appât des promesses, des âmes douées d’une ambition grossière, et en peu de temps on eut une petite armée à mettre en campagne. La chute de Charles X avait entraîné le licenciement de la garde royale et le changement d’un nombreux domestique : la conspiration se recruta de plusieurs officiers et sous-officiers de la garde, de presque tous ceux qui avaient occupé dans l’ancienne maison royale des emplois subalternes, brusquement supprimés et à ceux-ci s’associèrent, par pur attachement à la dynastie déchue, des serviteurs encore en fonctions. Parmi les gendarmes des chasses et les gardes forestiers, beaucoup se laissèrent gagner. On parvint même à se ménager des intelligences dans la quatrième compagnie des sous-officiers vétérans, dans un régiment de ligne caserné à Courbevoie et dans un régiment de dragons caserné à Paris, rue du Petit-Musc. Un maréchal de France, bien connu pour son dévouement au principe de la légitimité, et quatre maréchaux-de-camp, composaient en quelque sorte l’état-major de cette conspiration, dans laquelle ne craignit pas d’entrer un général bonapartiste. « Renversons le gouvernement, avait-il dit, nous laisserons ensuite à la nation le soin de décider entre le successeur de Charles X et celui de l’empereur. »

Ainsi appuyée, la conspiration s’étendit avec une extrême rapidité. Une active propagande avait lieu, non seulement à Paris, mais dans les communes environnantes : à Saint-Germain, à Meudon, à Clamart à Versailles, à Vincennes. il était difficile que des indiscrétions ne fussent pas commises, que la police ne finit pas par pénétrer, au moyen de ses agents, dans un complot dont les ramifications étaient si nombreuses. Cependant, grâce aux divisions et subdivisions multipliées qu’admettait le plan d’organisation adopté, l’autorité ne put obtenir que des renseignements très-vagues, trèsincomplets, et qui laissaient en dehors de son action les personnages qu’il lui aurait importé surtout de connaître et d’atteindre. D’ailleurs, plusieurs agents de police s’étaient sincèrement dévoués à la réussite du complot, ce qui donnait aux conjurés le moyen de contre-miner les manœuvres dirigées contre eux. Ajoutez à cela que, pour prévenir les révélations, on avait fait courir le bruit qu’un coup de poignard attendait tout révélateur reconnu pour tel.

Quoi qu’il en soit, dans un pêle-mêle de conspirateurs dont quelques-uns occupaient une position sociale fort élevée, les hommes appartenant aux conditions les plus obscures se distinguèrent par leur fidélité, leur résolution, et le désintéressement de leur zèle. Parmi ces derniers se trouvait un bottier, nommé Louis Poncelet. Irrité des suites d’une révolution dont le peuple avait si peu profité, il était prêt à se battre pour la légitimité, après s’être vaillamment battu contre elle en 1830. En toute situation difficile, l’inégalité des rangs disparaît, pour faire place à l’inégalité des courages : Poncelet ne tarda pas à acquérir, dans la conspiration, l’importance que le péril assigne à l’audace. Il fut admis auprès du maréchal de France sur qui l’on comptait pour le lendemain d’un succès, et le maréchal lui dit : « Quand vous monterez à l’Hôtel-de-Ville, je serai à cheval, soyez-en sur, et je n’hésiterai pas à me mettre à la tête du gouvernement provisoire. »

Cependant, la nouvelle s’était répandue que, dans la nuit du 1er au 2 février, un grand bal devait avoir lieu à la cour. L’occasion était bonne pour les conjurés ; car ils comptaient des complices jusque dans la domesticité du château, ils étaient en possession de cinq clefs ouvrant les grilles du jardin des Tuileries, et l’entrée du Louvre leur était promise. Il fut donc convenu que, dans la nuit désignée, les uns se réuniraient par détachements sur divers points de la capitale, pour partir de là, au signal convenu, et marcher vers le château, tandis que, se glissant dans l’ombre des ruelles qui conduisent au Louvre les autres pénétreraient dans la galerie des tableaux, feraient irruption dans la salle du bal, et, grâce au désordre de cette attaque imprévue, s’empareraient de la famille royale. Des marrons, espèces de petites bombes, auraient été lancés au milieu des voitures stationnant aux portes du palais ; des chevalets, morceaux de bois garnis de pointes de fer auraient été semés sous les pieds des chevaux ; enfin, on se croyait en droit d’espérer que des pièces d’artifice seraient disposées dans la salle de spectacle, de manière à pouvoir, en mettant le feu à la charpente, augmenter la confusion. Ce plan fut définitivement arrêté par les principaux chefs, dans la rue Taranne ; et Poncelet fut spécialement chargé de l’attaque du Louvre.

Mais une intrigue s’ourdissait au sein du complot, et les fruits de la victoire espérée devenaient déjà l’objet de préoccupations jalouses. L’agent qui s’était donné pour le fondé de pouvoirs de la duchesse de Berri, aurait voulu écarter le maréchal de France dont nous avons parlé, et faire proclamer par les conjurés le nom d’un autre maréchal à la personne duquel il était particulièrement attaché. Poncelet reçut des ouvertures en ce sens ; et les offres les plus brillantes lui furent faites : pour lui s’il survivait à l’entreprise, et s’il succombait, pour ses enfants. Mais il repoussa ces insinuations avec beaucoup de fermeté, ne voulant point retirer sa confiance à un personnage qu’il en avait jugé digne. Dès ce moment, toute unité de direction disparut, et là où la conspiration devait trouver appui, elle ne trouva plus qu’empêchements. Avant le jour fixé pour l’explosion du complot, Poncelet s’était adressé à un certain Dermenon pour avoir des fusils. Des arrangements furent arrêtés, un rendez-vous fut pris pour le lendemain. Mais le 1er février, ceux des conjurés qui s’étaient proposé de faire échouer ou ajourner le complot, attirèrent Poncelet dans un conciliabule où ils surent le retenir, sous différents prétextes. Dermenon, qui avait eu vent d’une conspiration carliste, fut saisi d’une grande inquiétude en ne voyant point paraître Poncelet au rendez-vous. 11 craignit d’avoir été victime d’un espion, il parla de la négociation suspecte dans laquelle il était engagé, au fabricant d’armes qui devait lui fournir les fusils promis ; et celui-ci l’entraîna chez le préfet de police. M. Gisquet, qui, trompé par quelques-uns de ses agents, avait déjà été dupe plusieurs fois des faux avis que les conspirateurs lui faisaient parvenir, M. Gisquet se montra d’abord fort incrédule, et attendit des renseignements plus complets.

Tel était l’état des choses, quand l’heure fatale sonna pour les conjurés. Les diverses brigades se réunirent, comme il avait été convenu, dans leurs quartiers respectifs. Elles comprenaient de deux mille cinq cents à trois mille hommes. Il y avait des groupes à l’Observatoire, à la barrière de l’Étoile, à celle du Roule, aux Champs-Elysées, à la Bastille, au faubourg Saint-Antoine, le long du canal Saint-Martin, et dans le voisinage de plusieurs magasins d’armes, dont le plan avait été dressé et qu’on s’était ménagé les moyens d’envahir sans peine. Un assez grand nombre de gardes forestiers étaient aux barrières, armés chacun d’un fusil à deux coups. De son côté, Poncelet s’était rendu chez un restaurateur de la rue des Prouvaires, et lui avait commandé un repas de plusieurs couverts pour la nuit, en lui remettant un billet de mille francs. Chez ce restaurateur devaient se réunir seulement les principaux conjurés. Aussi la surprise de Poncelet fut-elle extrême lorsqu’il vit accourir à lui successivement beaucoup de conjurés dont la place était ailleurs. « Tout est perdu, lui disait l’un : on a donné contre-ordre. — L’argent que j’attendais, disait l’autre, ne m’est point parvenu ; ma troupe ne saurait sans danger stationner sur la place ou dans la rue, en attendant le signal. — Le chef dont j’avais annoncé la présence à mes hommes, disait un troisième, ne s’est pas encore présenté. Ils s’impatientent, et me prennent pour un traître : que faire ? » Poncelet comprit bien par qui allait avorter le complot ; mais comment reculer ? A onze heures du soir, une centaine de conjurés étaient rassemblés dans la rue des Prouvaires. La réunion comptait des hommes déterminés, et des factionnaires veillaient à la porte du restaurant. Mais la police avait reçu des détails plus précis sur le marché conclu avec Dermenon, elle savait que 6,000 fr. lui avaient été remis, et M. Gisquet lui avait donné l’ordre de livrer un certain nombre d’armes. En effet, vers minuit et demi, un fiacre contenant dix-sept fusils s’arrêtait devant le restaurant de la rue des Prouvaires. Les armes furent distribuées. Un instant après, Poncelet, qui était sorti, rentra ayant deux pistolets à sa ceinture. Une grande exaltation régnait parmi les conjurés, et l’on approchait du moment décisif, lorsque tout-à-coup la rue se remplit de gardes municipaux et de sergents de ville. La maison fut entourée, envahie. Le chef des conjurés s’avança, et voyant un sergent de ville porter la main sur la garde de son épée, il lui cassa la tête d’un coup de pistolet. Ses complices ne purent faire usage de leurs fusils, qui n’étaient pas en état de servir. Il fallut fuir. Un des conjurés tomba percé d’un coup de baïonnette, les autres furent arrêtés. On trouva dans la maison, outre les fusils, des balles, des cartouches, et trois des clefs destinées à ouvrir les grilles des Tuileries. Poncelet fut fouillé ; il avait 140 fr. en argent dans sa poche et 7,000 fr. en billets de banque dans la doublure de ses bottes. Il avait distribué 1,800 fr. le 1er février, et avait eu, durant les cinq jours précédents, le maniement de sommes énormes.

Quant aux détachements répandus dans la capitale, la plupart s’étaient depuis long-temps dispersés, soit par suite du contre-ordre reçu, soit par impatience, défiance et fatigue. Comme les conjurés avaient surpris le mot d’ordre et avaient fait savoir à la police qu’ils se proposaient de lancer dans Paris de fausses patrouilles, l’intervention de la garde nationale était redoutée : on se contenta d’envoyer sur quatre points des gardes municipaux et des sergents de ville. Mais les rassemblements se dissipèrent à leur approche, sans tenter une lutte que les contre-ordres, les malentendus et les défections avaient rendue impossible.

Les voitures qui, cette nuit-là, se croisèrent dans Paris en grand nombre, furent toutes visitées par ordre de la police, dont les agents arrêtèrent non seulement les hommes qu’ils surprirent armés de pistolets ou d’épées, mais encore des citoyens qui regagnaient leur demeure après quelque innocente partie de plaisir, et des jeunes gens sortant du bal et chaussés en danseurs. Confondus avec les coupables, les innocents furent traînés au dépôt de la préfecture, au milieu des injures, des coups, et à travers une nuée d’espions animés de cette colère basse, propre aux passions que ne règle point l’intelligence.

Paris, à son réveil, fut fort étonné d’apprendre les événements de la nuit. Ils n’avaient pas été annoncés par ces rumeurs sourdes qui, d’ordinaire, préparent les esprits aux faits dont on garde le souvenir. Aussi tous les partis s’accordèrent-ils à considérer la conspiration de la rue des Prouvaires comme une tentative folle. Les républicains en prirent occasion de railler les illusions d’une aristocratie qui disait survivre si obstinément son orgueil à ses ressources. Les partisans du régime en vigueur insultèrent de plus belle à la faiblesse de leurs ennemis. Les légitimistes eux-mêmes s’empressèrent de couvrir de leurs dédains la témérité de conspirateurs qui, n’ayant pas réussi, avaient pour contempteurs tous ceux que, dans le cas contraire, ils auraient eu pour complices. Quant à la police, elle ne manqua pas de se faire honneur de sa prévoyance. Elle n’avait pourtant presque rien su du complot ; elle n’en avait pénétré ni l’origine, ni l’organisation secrète ; elle n’en connaissait pas les chefs, et elle en appréciait mal l’importance. Des révélations ultérieures lui apprirent, il est vrai, des choses qu’elle ignorait complètement lors de l’arrestation de Poncelet et de ses camarades ; mais les secrets les plus importants avaient été si bien gardés, que la plupart des meneurs échappèrent aux poursuites de la justice. Et ceux qui, plus tard, furent condamnés, le furent sur des preuves tout-à-fait incomplètes, ou même, comme M. Charbonnier de la Guesnerie, sur des témoignages peu honorables, combattus par des attestations du plus grand poids. Des noms considérables retentirent dans ce procès, tels que ceux du duc de Bellune, du général Montholon, du duc de Rivière, du baron de Mestre, des comtes de Fourmont, de Brulard et de Floirac, de la comtesse de Sérionne. L’attitude des accusés, dans le procès, fut en général énergique. Poncelet s’y fit remarquer, entre tous, par la loyauté de ses réponses, habile à ne point compromettre ses complices et peu occupé de ses propres périls[2].

Un événement extérieur, aussi grave qu’inattendu, vint faire diversion à ces querelles intestines. On a vu dans le volume qui précède, comment l’Autriche, au mépris de nos déclarations, avait envahi l’Italie, et comment la Romagne était retombée sous le joug de la cour de Rome. La douleur des Italiens s’était d’abord renfermée dans un morne silence. Mais la révolte était dans les cœurs, et le premier cri de guerre parti de Bologne, pouvait replonger la diplomatie dans les embarras d’où elle n’était sortie qu’avec tant de peine. Pour assurer la tranquillité dans les états du pape, les grandes Puissances comprirent qu’il était indispensable de céder, dans une certaine mesure, aux justes désirs des populations.

Rien de plus triste, en effet, que la situation de l’Italie centrale à cette époque ; une théocratie non soutenue par la foi et réduite à s’imposer par la force ; l’autorité aux mains de prélats ignorants, corrompus, et ne se croyant pas même tenus à ce genre d’hypocrisie qui est la pudeur du vice nulle stabilité dans les lois ; le trésor public en quelque sorte au pillage ; les impôts changés ou accrus selon le caprice du souverain ; les honneurs refusés à la science ; le génie industriel privé d’excitations et d’aliment ; nul respect pour la liberté de l’esprit, pour la dignité de l’homme ; pas de vie publique, en un mot.

Dans cet état de choses, les cinq grandes Puissances, sur l’invitation de la France et de l’Autriche, avaient cru devoir interposer entre le pape et ses sujets leur médiation pacifique. Par une note en date du 21 mai 1831, elles avaient fait connaître au Saint-Siège que le meilleur moyen de rétablir la tranquillité en Italie et d’épargner à l’Europe le danger de commotions nouvelles était d’introduire dans les États-Romains quelques-unes des réformes si impatiemment attendues. Que le principe de l’élection populaire fut admis comme base des assemblées communales et provinciales, qu’une junte centrale fût chargée de la révision de toutes les branches administratives, qu’on admît les laïques a toutes les charges de l’État qu’un conseil d’état fut institué et qu’on eût soin de le composer des citoyens les plus notables ; telles étaient les mesures conseillées au pape dans la note présentée par les ambassadeurs de France, d’Angleterre, d’Autriche, de Prusse et de Russie.

Grégoire XVI répondit à ces conseils par un édit où il se bornait à déclarer que désormais la nomination des conseils appartiendrait au chef de chaque province ; qu’aucune proposition ne pourrait être mise en délibération dans le conseil, sans avoir été préalablement soumise à l’autorité supérieure et qu’il dépendrait toujours du délégué de la province d’approuver ou non le procès-verbal des séances. Le même édit portait que les séculiers seraient exclus du gouvernement des légations, et que chaque province pourrait être déclarée légation. Ainsi, Grégoire XVI repoussait et le principe de l’élection populaire, et l’institution d’un conseil d’état, et la participation des laïques à la gestion des affaires. C’était éluder, sur tous les points, les conclusions du mémorandum des Puissances.

Le mécontentement de la population fut d’autant plus vif qu’elle s’était abandonnée à l’espérance. Dans la Romagne, l’indignation se montra si menaçante que les prolégats n’osèrent pas publier l’édit dans leurs provinces. Mais ce qui mit le comble à l’exaspération des esprits, ce fut, d’une part, l’accroissement des impôts ; de l’autre, la publication de cinq règlements qui, sous prétexte d’améliorer la procédure civile et criminelle, consacraient, entre autres abus, les empiètements du tribunal ecclésiastique sur le tribunal civil, sanctifiaient tous les privilèges des tribunaux ecclésiastiques, établissaient par disposition spéciale qu’à égalité de délit les prêtres devaient être condamnés à une peine moins forte, conservaient enfin cette ancienne et sauvage tyrannie : le tribunal de l’inquisition.

Toutefois, l’ordre, maintenu sévèrement par la garde civique, n’avait pas encore été troublé, lorsqu’on apprit que des troupes soldées se mettaient en mouvement pour occuper les provinces. Ces troupes se composaient en grande partie de brigands réunis aux environs de Rome. La nouvelle de leur entrée à Rimini et des excès auxquels ils s’y étaient livrés ne tarda pas à se répandre. On parlait en même temps d’une conspiration ourdie par des prêtres et ayant pour but le meurtre des principaux chefs du parti libéral. Frappé à la fois de colère et de frayeur, le peuple prit les armes, tandis que des députés partaient de Bologne en toute hâte pour aller demander au pape la retraite des soldats.

Les députés lurent d abord accueillis favorablement, et leur retour ranima l’espoir dans l’âme des malheureux Italiens. Des pétitions circulèrent, signées par les hommes les plus recommandables, et signalant les abus des nouveaux règlements, dont l’exécution fut conséquemment suspendue par les autorités de chaque légation. D’un autre côté, le cardinal Bernetti avait écrit que des députés seraient admis à exposer les vœux des populations ; et les prolégats de Bologne, de Ravenne, de Forli, avaient eux-mêmes indiqué d’après quelles règles l’élection devait être faite. Mais tout-à-coup la scène change. La cour de Rome fait savoir qu’elle désapprouve hautement toutes ces démarches ; qu’aucune députation ne sera reçue que les institutions concédées par le pape sont excellentes ; qu’il faut qu’on s’y soumette. Un emprunt réalisé avec l’aide de l’Autriche expliquait ce langage impérieux qu’allait appuyer un corps de cinq mille bandits.

Le 10 janvier 1832, le cardinal Bernetti notifia aux quatre représentants d’Autriche, de France, de Prusse et de Russie, la résolution prise par sa Sainteté d’envoyer ses troupes dans les légations et de dissoudre les gardes civiques. L’Angleterre réprouva hautement la conduite du pape[3]. Les autres Puissances, au contraire, s’accordèrent, dans leurs réponses, à glorifier la sagesse du souverain pontife, et à blâmer les Romagnols, abandonnés à sa vengeance comme ingrats et rebelles. « S’il arrivait, disait l’ambassadeur de France, M. de Saint-Aulaire, que, dans leur mission toute pacifique, les troupes exécutant les ordres de leur souverain, rencontrassent une résistance coupable, et que quelques factieux osassent commencer une guerre civile aussi insensée dans son but que funeste dans ses résultats, le soussigné ne fait nulle difficulté de déclarer que ces hommes seraient considérés comme les plus dangereux ennemis de la paix générale par le gouvernement français. » Le langage des ambassadeurs d’Autriche, de Prusse et de Russie ne fut pas moins significatif : tous ils promirent au souverain pontife l’appui de leurs Cours, dans le cas où ses ordres ne rencontreraient pas « une soumission immédiate et sans conditions. »

A la lecture de ces réponses publiées dans le journal officiel de Rome, les Romagnols, surpris et désespérés, s’animent à la résistance. Quelquesuns parlaient encore de céder à la force, mais la plupart n’écoutaient déjà plus que les conseils de leur indignation. Ils faisaient remarquer que, non contents de les vouloir opprimer, leurs ennemis les calomniaient. Ne les avait-on pas appelés, jusque dans la note du représentant de la France, de la France de juillet, des insensés, des factieux ? Et pourquoi ? Ce n’était pas probablement parce qu’ils avaient refusé de porter la cocarde pontificale : aucun ordre de Rome, à cet égard, ne leur était parvenu ; et puis, pour quelle raison une garde, qui n’est ni soldée ni enrôlée par le pape, serait-elle soumise à l’obligation de porter sa livrée ? N’avait-on pas osé dire de la garde civique, gardienne si zélée de l’ordre public et des propriétés, qu’elle s’était érigée en corps délibérant, qu’elle avait prêché la désobéissance l’épée à la main, qu’elle avait pillé les caisses publiques ? Qu’attendre d’un pouvoir qui procédait ainsi par le mensonge, comme si ce n’était pas assez pour lui de recruter ses armées dans les prisons de Civita Castellana, du fort Saint-Ange et de Saint-Leo ? Si la liberté italienne était destinée à périr, il ne fallait pas du moins qu’elle mourût sans avoir trouvé de défenseurs. Était-il possible, d’ailleurs, que la France souscrivît au pacte qu’on signait en son nom, pacte odieux que n’avait pas voulu signer le représentant de l’Angleterre ? Les actes se joignant à ces imprécations, les gardes civiques prirent les armes.

Le cardinal Albani avait été nommé commissaire extraordinaire, et il avait chargé un officier autrichien, le baron Marchai, de diriger les opérations militaires. Les troupes pontificales, qui s’étaient portées à Rimini, s’ébranlèrent ; de leur côté les gardes civiques étaient en marche : La rencontre eut lieu dans la plaine de Cesène. De moitié inférieurs en nombre, dépourvus de cavalerie, et n’ayant que trois pièces de campagne, les Romagnols soutinrent le combat avec vigueur, mais la partie était trop inégale : après une résistance opiniâtre, ils durent céder le terrain ; et dans l’espoir d’amener l’ennemi à disséminer ses forces, ils évacuèrent successivement Cesène et Forli. Alors se passèrent, dans le berceau de la chrétienté et au nom du chef miséricordieux des fidèles, des scènes dignes de la barbarie des anciens âges. Les papalins se précipitèrent sur Cesène comme des forcenés, saccagèrent le faubourg, envahirent un couvent où ils commirent des horreurs. Ayant pénétré dans l’église de Saint-Étienne-du-Mont, ils profanèrent les vases sacrés, foulèrent aux pieds les saintes hosties, poursuivirent jusque dans un souterrain de l’église un malheureux qui fut égorgé tenant un crucifix dans ses bras. De là, se répandant sur la ville, ils se firent un jeu du pillage et du meurtre, ne justifiant que trop bien le langage de ceux qui s’étaient écriés à l’approche d’une telle invasion la cour de Rome nous livre à des brigands.

Le lendemain les magistrats de Forli étaient députés au cardinal Albani pour lui offrir l’entrée de la ville. Les pontificaux, en effet, occupèrent Forli, sans qu’on leur opposât la moindre résistance. Les habitants s’étudièrent même à leur faire bon accueil, espérant adoucir par là ces âmes farouches. Mais une rixe s’étant élevée par hasard entre un soldat et un homme du peuple, celui-ci fut tué. Aussitôt un cri terrible s’élève de la place, où les papalins étaient rangés en bataille : Tue ! Tue ! Pille ! Pille ! Ce fut une affreuse boucherie. Le cardinal Albani, qui était attendu dans la soirée, arriva quand le carnage fumait encore. Il fit son entrée à Forli, au milieu des plaintes des mourants et à travers des rues jonchées de cadavres. Puis, dans une proclamation publiée le jour suivant, cet exécrable massacre prit le nom de triste accident, et, pour indemniser tant de pauvres familles plongées dans le deuil, le cardinal n’eut pas honte de proposer une somme de 1,500 francs à prendre sur la caisse de la ville[4].

Comment peindre la fureur qui, à ces nouvelles funestes, s’empara des Romagnols ? Les gémissements des victimes de Forli et de Césène éveillèrent dans toute l’Italie un écho formidable, et malheureusement le nom du gouvernement français se trouvait au fond de chaque cri de malédiction ou d’angoisse.

Le cardinal Albani n’osa pas marcher sur Bologne sans autre armée que celle qui venait de se signaler par de tels exploits. Le secours des Autrichiens fut pour la seconde fois invoqué. Leur intervention était, depuis long-temps, chose convenue entre la cour de Vienne et la cour de Rome. Ils fondirent donc sur Bologne, au nombre de six mille, traînant au milieu d’eux les papalins, devenus l’objet d’une haine si universelle et si juste. La plus sévère discipline avait été prescrite aux troupes autrichiennes : elle fut strictement observée. De sorte que les Autrichiens parurent presque des amis à ceux qu’ils venaient repousser dans la servitude. On fit honneur de ce résultat à la dextérité de M. de Metternich, on lui attribua l’intention d’accoutumer les Italiens à la domination autrichienne, mais sa politique fut soudainement déjouée par une mesure qu’on était loin d’attendre du gouvernement français.

Depuis quelque temps, Casimir Périer avait l’œil fixé sur les affaires d’Italie. Non qu’il fut touché de l’oppression qui pesait sur les états du pape, mais l’ambition de la cour de Vienne l’inquiétait : il aurait voulu prouver au prince de Metternich que, pour mettre le pied en Italie, les Français n’avaient nul besoin de traverser le Piémont, surtout quand l’alliance anglaise leur permettait de tenir librement la mer. Déjà, dès le commencement du mois de février, M. Ditmer avait été envoyé secrètement dans les états de l’Église, pour y sonder les dispositions des esprits et y étudier le véritable caractère des événements. Il n’était pas encore de retour à Paris, lorsqu’on y apprit que les Autrichiens avaient fait leur entrée à Bologne.

Casimir Périer prit sur le champ son parti, au risque de déplaire au roi et de jeter l’alarme au sein de la diplomatie. Le vaisseau le Suffren et deux frégates, l’ Artémise et la Victoire, reçurent ordre de faire voile vers Ancône, et d’y transporter onze cents hommes, sous le commandement du capitaine de vaisseau Gallois et du colonel Combe. Le général Cubières, commandant en chef de l’expédition, dut en même temps partir pour Rome en passant par Livourne, afin de s’entendre avec le pape, sur l’occupation d’Ancône par les Français. L’escadre ayant à tourner toute l’Italie, on calculait que le général Cubières aurait le temps de voir le souverain pontife, de lui communiquer ses instructions, d’obtenir son assentiment, et d’arriver à Ancône avant que le capitaine Gallois et le colonel Combe y eussent paru. Or, il advint que, d’une part, le général Cubières fut retardé dans son voyage par les vents contraires, et de l’autre, que l’escadre fit sa traversée avec une célérité tout-à-fait imprévue. Aussi le général Cubières trouva-t-il, en arrivant à Rome, M. de Saint-Aulaire en proie au plus grand trouble. Le pape venait de tomber dans un violent accès de colère, et le cardinal Bernetti s’était écrié : « Non, depuis les Sarrasins, rien de semblable n’avait été tenté contre le Saint-Père. » On savait, depuis quelques heures, la nouvelle de l’occupation d’Ancône.

Cette occupation avait eu lieu dans la nuit du 22 au 23 février 1832, grâce à la résolution du capitaine Gallois et du colonel Combe, qui, ne rencontrant pas à Ancône le général chargé des instructions du gouvernement, n’avaient pas craint de prendre, sous leur responsabilité personnelle, le parti le plus conforme à l’honneur du drapeau. L’escadre étant arrivée à trois milles d’Ancône, une partie des troupes descendit à terre et gagna la ville, au pas de course. Les portes étaient fermées ; sur le refus des pontificaux de les ouvrir, les sapeurs du 66e en enfoncent une à coups de hache, et bientôt les Français, se répandant de toutes parts, désarment les postes, mettent aux arrêts le colonel Lazzarini, qui était tranquillement endormi, et se rendent maîtres de la ville. Le lendemain, à midi, toutes les troupes étaient débarquées, et le colonel Combe, à la tête d’un bataillon, s’avançait sur la citadelle. Les Français se livraient à l’espoir d’un combat avec leur fougue ordinaire et brûlaient de monter à l’assaut. Mais les troupes pontificales cédèrent, et, après quelques pourparlers, les Français furent reçus dans la forteresse sur laquelle flotta aussitôt le drapeau tricolore, si cher aux Italiens.

Ce jour fut pour les habitants d’Ancône un jour de fête et de triomphe. En peu d’instants, les trois couleurs brillèrent dans toutes les rues et sur toutes les places. Vive la liberté ! criaient les Français, et ce cri était répété par les patriotes Italiens avec attendrissement et avec orgueil. Le gouverneur de la province et le commandant de la place, faits d’abord prisonniers, furent relâchés ensuite et sortirent d’Ancône. Les prisons d’état furent ouvertes, la liberté fut rendue à Marco Zaoli de Faenza et à Angelo Angelotti d’Acquaviva. Le soir, le théâtre retentissait de chants patriotiques, et la ville était illuminée. Dans tous les lieux publics, les habitants fraternisaient avec les soldats. Dans un des principaux cafés d’Ancône, un officier d’état-major monta sur un banc, et tenant l’épée nue, il dit que le 66e n’était qu’une avant-garde envoyée par la France pour annoncer l’affranchissement du pays. À ces mots, d’unanimes applaudissements éclatèrent, et l’on vit, comme à l’époque de la révolution du juillet, des citoyens verser des pleurs d’enthousiasme.

Toute l’Europe s’émut de cet événement. Le pape exhala son ressentiment dans une protestation amère. L’ambassadeur d’Autriche en France, M. d’Appony, demanda des explications. Le général Grabowski, commandant les troupes autrichiennes à Bologne, publia une proclamation dans laquelle il disait que les Français étaient certainement venus à Ancône, guidés par les mêmes motifs que les Autrichiens. En Angleterre, les ministres furent vivement interpellés sur la tolérance de leur politique par les chefs du torysme, interprètes infatigables de tous les soucis d’une haine jalouse.

Il semble que cette inquiétude universelle aurait dû devenir, en France, pour Casimir Périer, une cause de popularité. Il n’en fut rien. Ses ennemis rejetèrent tout l’honneur du coup de main sur le capitaine Gallois et le colonel Combe, qui n’étaient parvenus à faire briller dans tout son jour la hardiesse française qu’en outre-passant leurs pouvoirs, et ils reprochèrent au ministère de n’avoir envoyé nos soldats en Italie que pour les y faire servir de sbires au despotisme pontifical, comme le prouvaient et le langage, bien connu, de M. de Saint-Aulaire, et sa réponse à la note-circulaire du cardinal Bernetti, et le voyage du général Cubières à Rome alors que sa place était à la tête de l’escadre, et, tout récemment encore, la proclamation du commandant des Autrichiens campés à Bologne. Les plus modérés d’entre les adversaires du ministre trouvaient sa conduite étourdie jusqu’à l’extravagance ou, plutôt, inexplicable. Ils y voyaient un sujet d’humiliation et de colère pour le souverain pontife, de mécontentement pour l’Autriche, d’alarme pour l’Angleterre, et se demandaient quels avantages on pouvait attendre d’une expédition de ce genre. Forcer les Autrichiens à évacuer l’Italie ? Mais il aurait fallu pour cela plus de douze ou quinze cents hommes. Protéger la liberté des peuples contre les entreprises du Saint-Siège ? Mais le gouvernement français avait pris manifestement parti pour le pape, de concert avec l’Autriche, la Prusse et la Russie. Sous tous ces rapports l’expédition paraissait sans but, et il n’en restait plus alors que l’irrégularité et le danger.

L’attitude hostile prise par la cour de Rome vint donner de l’autorité à ces reproches de l’Opposition. Le général Cubières eut beau annoncer aux habitants d’Ancône, dès son arrivée dans cette ville, que sa mission était de nature à resserrer les liens d’amitié qui existaient entre la France et les Etats de l’Eglise, le pape fit évacuer la ville par ses troupes, et donna ordre qu’on transportât à Osimo le gouvernement de la province. Nous dirons plus bas à quelles tristes conditions le cabinet des Tuileries obtint du pape l’autorisation de prolonger le séjour des Français à Ancône, et quel rôle y fut imposé à nos soldats. La vérité est que l’occupation, prise à son origine, avait eu un résultat utile : celui dé mâter les vues ambitieuses de la cour de Vienne, en lui montrant qu’on n’entendait pas qu’elle changeât eh droit de conquête sa sollicitude pour le souverain pontife.

Quoi qu’il en soit, le redoublement d’attaques auquel l’exposaient, même les mesures dont il espérait le mieux, avait jeté Casimir Périer dans un état d’exaspération qui le rendait pour tous les siens un objet dé compassion ou de terreur. Tantôt abattu et se traînant à peine, tantôt exalté jusqu’au délire, il semblait n’avoir plus de vie que pour la haine. Rien n’avait pu apaiser la soif dé despotisme qui était en lui : ni l’humilité de ses collègues qu’il faisait mouvoir d’un signe, ni son empire sur la chambre dont sa voix soulevait et calmait tour à tour les passions, ni l’insolence des courtisans par lui seul enchaînée, ni les égards du roi lui-même, forcé de subir en silence l’injure de son dévouement. Ainsi martyr de son orgueil, il lui arriva souvent de donner à ceux qui l’approchaient des spectacles singuliers et terribles. Une nuit, mandé par lui secrètement, M. le docteur De Laberge accourt au ministère de l’intérieur. Casimir Périer était au lit. Des bougies brûlaient dans l’appartement du ministre et éclairaient son visage, profondément altéré. « Lisez, dit-il à M. De Laberge, en lui tendant un cahier ; voici ma réponse aux attaques dirigées hier contre moi par M. Laffitte. Lisez, et donnez-moi votre avis. » M. De Laberge trouva le discours empreint d’une animosité blâmable, s’en expliqua franchement, et fut prié par le ministre d’adoucir ce que pouvaient avoir de trop acerbe des expressions échappées à la colère. Tout-à-coup, la porte s’ouvre, un officier de dragons paraît, apportant une lettre du roi. Casimir Périer saisit la lettre, la lit rapidement, la froisse, la roule entré ses mains, et la jetant loin de lui avec violence : « il n’y a pas de réponse, crie-t-il à l’officier, qui se retire interdit. — On croit le président du conseil fou, dit M. De Laberge ; Voici un homme qui pourra le certifier. » Casimir Périer ne s’offensa point de la rudesse de ces paroles, et se tournant vers M. De Laberge, dont il honorait le patriotisme et la franchise : « Si vous saviez ce que contient cette lettre ! Ramassez-la, et lisez. – Dieu m’en garde ! répondit le docteur, qui connaissait l’esprit soupçonneux du ministre ; dans l’état d’irritation où vous êtes, vous pourriez confier ce secret à d’autres, et m’en imputer ensuite la violation. » Alors Casimir Périer parla des chagrins amers et mystérieux dont sa vie politique était semée : « La Chambre ignore, dit-11, à qui j’ai affaire ! », et après quelques instants de silence : « Que n’ai-je des épaulettes ! – Eh ! qu’avez-vous besoin d’épaulettes, s’écria M. De Laberge ? » À ces mots, Casimir Périer se dresse sur son séant, la lèvre pâle, l’œil enflammé, repousse vivement la couverture de son lit, et montrant ses jambes amaigries, dont ses doigts déchiraient la peau. « Eh ! ne voyez-vous pas que je ne suis plus qu’un cadavre ? »

Il était impossible que la politique de Casimir Périer ne se ressentît pas de cet étrange état d’exaltation. Et, comme les subalternes se plaisent toujours à outrer les défauts de leurs supérieurs, le pouvoir avait revêtu, à tous les degrés, un déplorable caractère de haine et de brutalité. Des troubles attristèrent successivement les villes d’Alais, de Nîmes, de Clermont, de Carcassonne. Mais plus les populations se montraient mécontentes, plus l’autorité se montrait impitoyable.

Le 11 mars 1832, une mascarade représentant le budget et les deux crédits supplémentaires, sortit de Grenoble par la porte de France, se dirigeant vers l’Esplanade où le général Saint-Clair passait en ce moment la revue de la garnison. Cette mascarade était interdite par les règlements, mais fondée sur un ancien usage ; elle ne se composait, d’ailleurs, que de dix ou douze jeunes gens dont la plupart étaient seulement déguisés. Après s’être répandus gaîment sur la route de Saint-Martin, ils se disposaient à rentrer dans la ville, suivis d’une foule nombreuse, lorsqu’ils aperçurent, rangés devant la porte, des grenadiers qui leur barraient le passage. Grenoble avait pour préfet M. Maurice Duval, administrateur d’un caractère absolu, élevé à l’école de l’Empire, et fanfaron d’impopularité. Quelques jeunes étourdis parcourant la ville avec des emblèmes politiques, lui avaient paru sans doute une éclatante occasion de faire étalage de force car, sans convoquer la garde nationale, sans avertir le maire, il s’était adressé aux commissaires de police et avait requis le lieutenant-général Saint-Clair de se tenir prêt à faire prendre les armes aux soldats. Sur son ordre, transmis au commissaire de police Vidal, les grenadiers s’étaient mis en mouvement pour empêcher la rentrée des masques. Ceux-ci insistant, les soldats croisent la baïonnette. Pressée entre les soldats les chevaux et les voitures, la foule s’irrite ; des cris retentissent ; quelques pierres sont lancées, et pour éviter une collision, l’adjudant de la place fait fermer la porte. Mais, au-dehors, la foule s’entassait et grondait. Le colonel Bosonier de Lespinasse accourt, ordonne que la porte soit ouverte, et la multitude se précipitant dans la ville, les masques disparaissent.

Le préfet se montra fort irrité de ce dénouement. Un bal masqué était annoncé pour la soirée : il fut prohibé. Le maire combattit en vain une mesure qui, coupant court à des plaisirs promis et attendus, pouvait enfanter un dangereux tumulte. M. Duval persista ; et le bruit ne tarda pas à se répandre qu’il avait dit au maire : « Si le peuple jette des pierres aux soldats, les soldats lui jetteront des balles. » Vraies ou supposées, ces paroles n’étaient point démenties par l’attitude ordinaire de M. Maurice Duval. On y crut : cependant, rien ne faisait présager de prochains malheurs. Le soir, au spectacle, quelques voix s’élevèrent pour réclamer contre la prohibition du bal masqué ; mais la tranquillité publique ne fut pas autrement troublée.

Le lendemain, même calme dans la ville. Seulement, on annonçait pour le soir un charivari dont M. Duval était destiné à recevoir l’outrage. 11 en fut informé dans la matinée, et il écrivit au maire de Grenoble de réunir un bataillon de la garde nationale. Le bataillon devait se réunir à six heures. Or, par une singularité qui est restée sans explication, la lettre du préfet ne fut remise à la mairie qu’entre quatre heures et demie et cinq heures : elle arrivait trop tard, la convocation ne put avoir lieu.

Le commandant de la place, M. Bosonier de Lespinasse, s’était rendu chez le général Saint-Clair pour prendre ses instructions. « Je n’en ai pas à vous donner, lui avait répondu le général. » Plus tard, vers quatre heures, le commandant reçoit l’ordre écrit de consigner les troupes. Inquiet, il court de nouveau chez le général, et lui demande quels ordres il faut transmettre aux soldats. Le général ne répondit rien.

À huit heures du soir environ, un rassemblement dans lequel se trouvaient des enfants et des femmes, se forma devant l’hôtel de la préfecture. La foule criait à bas le préfet ! cri auquel se mêlaient des rires et des huées. Il y avait là certainement un désordre qu’il était dans le droit et du devoir de l’autorité de ne point tolérer. Mais pour le faire cesser, il eût suffi d’une simple sommation, du genre de celles que la loi prescrit. Car, pas une arme ne brillait dans les groupes, et les dispositions du peuple étaient si peu hostiles, que pour lui faire évacuer la cour dans laquelle il s’était répandu, on n’eut besoin que d’y envoyer cinq soldats. Refoulés dans la rue et grossis à chaque instant par le flot des passants et des curieux, les groupes continuèrent à crier : à bas le préfet ! sans essayer toutefois de violer la consigne, et sans changer leur gaité en menace. Ils commençaient même à se disperser, lorsque l’arrestation brutale d’un jeune homme par un agent de police vint donner au tumulte un aliment inattendu.

Cependant, les commissaires de police Vidai et Jourdan étant venus annoncer au préfet que le bataillon de la garde nationale convoqué par lui ne s’est point rassemblé, M. Duval leur enjoint de se rendre à la caserne, d’y prendre chacun une compagnie, et de cerner les perturbateurs. Ordres ~nestes qui ne furent que trop bien compris ! Au moment où, resserrée dans la rue qui la contenait, la foule réclamait à grands cris le prisonnier qui s’était endormi dans le corps-de-garde, parce qu’il était ivre, et que le premier adjoint du maire allait faire élargir, deux compagnies marchaient vers l’hôtel de la préfecture par deux routes diverses, et de manière à ne laisser à la multitude, soudainement attaquée, aucun moyen de se dissiper, ni aucune issue pour s’enfuir. Les soldats marchaient par files et s’avançaient en silence, les tambours portant leur caisse sur le dos. Ici, à travers la place Saint-André, les grenadiers, conduits par le commissaire de police Vidal ; là, le long de la rue du Quai, les voltigeurs conduits par le commissaire de police Jourdan. Tout-à-coup, du côté de la place Saint-André, un cri terrible se fait entendre : « soldats, en avant ! » Le commissaire de police a disparu, aucune sommation n’est faite ; les grenadiers entrent dans la rue au pas de charge et la baïonnette croisée. Saisi d’étonnement et d’épouvante, la foule se précipite du côté opposé ; mais à l’instant même paraissent, à dix pas d’elle, les voltigeurs qui s’avancent rapidement et que le commissaire de police Jourdan ne peut parvenir à arrêter. « Cernez et piquez », tel est l’ordre féroce qui s’échappe de la bouche d’un officier. Les soldats s’élancent, se déployant, des deux côtés, sur toute la largeur de la rue, et perçant de leurs baïonnettes les malheureux qu’ils peuvent atteindre. Ce fut bientôt un spectacle abominable et déchirant. Des femmes sont renversées et foulées aux pieds, des enfants qui fuient sont frappés par derrière. Les cris grâce ! au secours ! on m’assassine ! se font entendre de toutes parts. Les uns cherchent à se glisser le long des maisons, mais ils vont se heurter aux fusils du troisième rang, plantés dans le mur ; les autres se pressent contre les fenêtres d’un cabinet littéraire où un asile leur est promis, mais ils ne peuvent tous échapper au danger. Un conseiller à la cour royale de Grenoble, M. Marion, n’a que le temps de se jeter dans l’allée du magasin Bailly, où il trouve un homme dont la chemise est couverte de sang. Un jeune homme veut protéger une femme, il a le bras percé d’outre en outre. Un ébéniste, nommé Guibert, se voyant entouré, dit au grenadier qui marche sur lui : « je ne fais pas de bruit ; ne me frappez pas. » il reçoit aussitôt un coup de baïonnette dans l’aine, et poursuivi par deux autres grenadiers, il va tomber sans connaissance aux pieds de la statue de Bayard !

Un long et morne silence suivit cette sanglante aggression. Toutes les places, toutes les rues, avaient été occupées militairement, et l’indignation se renferma d’abord dans les cœurs.

Mais, le lendemain, Grenoble présentait l’aspect le plus sinistre. Dès la pointe du jour, les habitants étaient sortis de leurs maisons : bientôt une foule immense inonda la ville. Sur tous les visages se peignaient à la fois l’Inquiétude et la colère. On disait le nom de chaque blessé, le nombre et la gravité des blessures ; on racontait avec exaltation, dans leurs plus affreux détails, les événements de la veille, et de toutes les bouches sortaient des paroles de malédiction.

Il n’y avait donc plus de sécurité pour les citoyens, s’il était permis à un préfet, au protecteur naturel de la cité, de faire succéder à la licence d’une partie de plaisir les horreurs d’une guerre civile ! Mais quoi ! il n’y avait pas eu guerre ici ; des hommes pour la plupart inoffensifs, des passants, des curieux, s’étaient vus entourés, chargés, sans qu’on les eût avertis, sans qu’on leur eût même laissé le moyen de se disperser. Par quelle fatalité avait-on adressé à la garde nationale un appel si tardif ? On voulait donc faire intervenir les troupes ? Au moins, aurait-on dû prévenir le commandant de place : pourquoi lui avait-on laissé ignorer des mouvements qu’il devait, en sa qualité, connaître et commander ? Pourquoi, enfin, les sommations, rigoureusement prescrites par la loi, n’avaient-elles pas été faites ? Et, l’eussent-elles été, à quoi, hélas ! auraient-elles servi, puisque 1 ordre avait été donné, non de dissiper le rassemblement, mais de le cerner ?

À ces imprécations qui rejetaient sur M. Maurice Duval toute la responsabilité du sang versé, la plupart mêlaient le nom du 35e de ligne, trop fidèle exécuteur d’ordres barbares ; mais ceux qui appréciaient les choses avec plus de calme, voyaient dans les soldats des malheureux plus à plaindre qu’à blâmer. Ils faisaient remarquer que les exigences de la discipline militaire sont absolues, impitoyables ; qu’il est facile d’égarer des hommes rompus à une obéissance passive ; que tant de malheurs provenaient plutôt d’un système qui, pour se défendre, préférait à la garde nationale spécialement chargée du maintien de l’ordre, des bataillons dont les baïonnettes ne devraient jamais être tournées que contre l’ennemi ; qu’il n’était pas juste, d’ailleurs, de rendre tous les soldats responsables d’excès qui n’avaient été, qui n’avaient pu être que le crime de quelques-uns.

Augmentée par ces discours, la colère publique allait croissant et elle était partagée par les autorités elles-mêmes. Le procureur général, M. Moyne, ne se cachait pas pour exprimer son indignation. Une enquête était réclamée de toutes parts : la cour royale évoqua l’affaire. En même temps, sur la réquisition du préfet, qu’avaient devancée leurs propres inspirations, les conseillers municipaux convoquaient la garde nationale, et le rappel battait dans tous les quartiers. Des jeunes gens, non incorporés à la garde, couraient çà et là demandant des armes. Plusieurs d’entr’eux, tous républicains, se réunissent sur la place Saint-André, se donnent pour chef M. Vasseur, connu pour sa résolution, pour son courage, et s’organisent en compagnie franche. L’autorité municipale avait publié une proclamation conciliante et noble : on y applaudit avec transport. Une autre proclamation du préfet, conçue en termes violents, est arrachée avec insulte, et quelques exemplaires, qui passent de main en main, ne servent qu’à exaspérer davantage les esprits. Tout semblait annoncer une lutte terrible. Des voltigeurs paraissent soudain sous la voûte de l’Hôtel-de-Ville, et on reconnaît en eux quelques-uns des soldats de la veille ! La mesure des imprudences était comblée : dans toute la ville s’éleva ce cri menaçant : « nous ne voulons plus du préfet ; nous ne voulons plus du 35e de ligne ! »

Déjà les principaux membres du conseil municipal, MM. Ducruy, Buisson et Aribert, s’étaient rendus chez le préfet, qu’entouraient le lieutenant-général Saint-Clair et ses officiers d’état-major. Le but de cette visite était d’obtenir la remise des postes que le 35e ne pouvait plus occuper, qu’au risque d’une effroyable collision. Pas de concession ! disait le préfet, aveuglé par le fanatisme du pouvoir. Mais le lieutenant général Saint-Clair comprit bien qu’un refus de sa part serait le signal de la guerre civile, et il consentit à remettre à la garde nationale tous les postes de moins de douze hommes, y compris celui qui veillait à la porte de son hôtel. Quelques instants après, on entend un grand bruit dans la cour de la préfecture. La foule s’y est précipitée et frappe la porte à coups redoublés : « Que signifie cela, demande le général ? Cela signifie, répond le préfet, que sous peu vous et moi serons jetés par la fenêtre. » Ils passèrent alors l’un et l’autre dans la salle de la mairie, où s’étaient rassemblés un grand nombre de gardes nationaux. Là, on fit savoir au général que ses concessions étaient insuffisantes ; que, pour éviter une collision, il était urgent de faire occuper par la garde nationale tous les postes, à l’exception de trois portes de la ville, que pourraient occuper conjointement la garde nationale, l’artillerie de la ligne et les sapeurs du génie. Le général dut se rendre aux instances de tant de citoyens, parlant au nom de l’humanité, et comme la cour était remplie d’une multitude impatiente, il fut invité à descendre au milieu d’elle pour la calmer. Le tumulte était immense. A la vue du général, un jeune homme, nommé Huchet, s’avance et prend rapidement la parole. Blessé la veille, il avait le bras en écharpe, et se montrait fort animé. Il rappela en termes passionnés des malheurs dont lui-même était victime ; il représenta les malheurs, plus grands encore, qu’engendrerait une obstination téméraire et que pouvait seul conjurer le renvoi du 35e de ligne. La multitude répondit par des acclamations bruyantes. La compagnie franche stationnait à quelques pas de là : son chef arrive, il aperçoit Huchet blessé, il court à lui et l’embrasse aux applaudissements de tous. On insistait pour le renvoi du 35e : un jeune homme s’avance vers M. Saint-Clair, et le déclare prisonnier. Le général est aussitôt conduit à son hôtel ; la compagnie franche s’y présente, et des factionnaires sont placés a toutes les portes.

La situation était critique. Provoquée par une violation sanglante de la loi, et ne paraissant elle-même qu’un tumulteux triomphe de la légalité, l’insurrection allait devenir maîtresse de la ville. M. Jules Bastide ayant marché droit à la citadelle, accompagné seulement d’un artilleur : « qui êtes-vous, lui demanda le factionnaire ? C’est le commandant de la place, répondit l’artilleur. » On présenta les armes à M. Jules Bastide, il entra, prit possession de la citadelle, et fit sortir une batterie sur la place. Les habitants des campagnes voisines commençaient à se porter sur Grenoble, dont ils épousaient la querelle. Des citoyens en armes cherchaient le préfet qui, gagné par la frayeur, se tenait caché dans son appartement et s’était, disait-on, réfugié dans une armoire. Le tocsin pouvait sonner, et déjà des hommes hardis parlaient de constituer un gouvernement provisoire, projet d’une exécution facile et sûre ; car, en de telles circonstances, qui a l’audace du commandement en acquiert le prestige et en exerce les droits.

Quoi qu’il en soit, les moins ardents s’alarmèrent. Les membres de la compagnie franche, malgré la modération qu’ils avaient déployée, parurent des auxiliaires dangereux à tous les hommes timides. Deux compagnies de la garde nationale marchèrent donc à l’hôtel du gouvernement où elles relevèrent le poste des jeunes gens, après quelques pourparlers entre les deux chefs.

De son côté, le lieutenant-général Saint-Clair s’était décidé à envoyer au lieutenant-général Hulot, qui commandait, à Lyon, la division militaire, une députation chargée de demander le renvoi du 35e. Cette mission fut confiée à M. Julien Bertrand, et à M. Jules Bastide qui, arrivé le 13 au matin à Grenoble, avait joué dans tous ces événements un rôle important et honorable. M. Bress, aide-de-camp du général Saint-Clair, leur fut adjoint, et ils partirent, autorisés par le conseil municipal.

Pendant ce temps, le préfet s’échappait de son hôtel pour aller chercher refuge dans une des casernes, et la garde nationale se faisait délivrer des cartouches par la municipalité. La soirée et la nuit du 45 furent calmes, mais solennelles. Un seul pouvoir était debout, le pouvoir municipal. La bourgeoisie était en possession des arsenaux et de la poudrière. Consigné dans ses casernes, le 35e s’étonnait du silence lugubre dont il était entouré. Toute la population était sous les armes et attendait.

Le 14, pendant que les envoyés des montagnes descendaient à Grenoble, et que des cavaliers partaient en toute hâte de cette ville pour porter dans les communes environnantes les exhortations pacifiques de la municipalité, le 6e régiment de ligne, un régiment de dragons et une demi-batterie d’artillerie partaient de Lyon et se dirigeaient sur Grenoble.

On commençait à y concevoir quelque inquiétude sur le sort de MM. Jules Bastide et Julien Bertrand, représentants d’une ville soulevée. MM. Ducry et Repellin, l’un premier adjoint, l’autre conseiller municipal, se mirent en route pour Lyon, avec mission d’éclairer le général Hulot sur le véritable caractère des événements. En arrivant, ils apprirent que MM. Bastide et Bertrand avaient été accueillis convenablement par le général ; que les réclamations de la ville de Grenoble avaient été chaudement appuyées par le préfet de Lyon, M. Gasparin ; et que le général d’Uzer avait reçu l’ordre d’entrer à Grenoble en pacificateur, d’y faire effectuer le départ du 35e mais seulement après sa réinstallation dans tous les postes. Les conseillers municipaux firent ressortir tout ce que cette réinstallation avait de dangereux. Fallait-il flétrir la garde nationale ? Était-il prudent de mettre de nouveau face à face des soldats et des gardes entre lesquels existait la plus ardente inimitié ? Le général Hulot fut touché de ces considérations, et modifiant ses premières instructions, il décida que le 35e de ligne ferait sortir un de ses bataillons, lequel se placerait à la porte de France ; que cette porte ainsi occupée, le 6e de ligne destiné à tenir garnison à la place du 35e ferait son entrée, se rangerait en bataille sur la place d’armes et relèverait tous les postes ; qu’immédiatement après, le 35e quitterait Grenoble.

Ces instructions furent ponctuellement suivies. Le 16 mars 1832, les soldats du 35e sortirent de cette ville où ils laissaient de si douloureux souvenirs ; ils sortirent au travers d’une population morne, silencieuse, et commandant à sa colère.

A la nouvelle des événements qui venaient de se passer dans sa ville natale, Casimir Périer donna un libre cours à sa fureur. Une défaite de l’autorité était pour son orgueil une humiliation impossible à dévorer. Le 19 mars, et sans attendre que les faits eussent été au moins éclaircis, le Moniteur publia un article où il était dit que le 35e, dont le concours avait été légalement requis, avait fait son devoir avec sagesse et dévouement ; que colonel, officiers et soldats méritaient des éloges ; que toutes sortes d’outrages avaient été adressés aux soldats qui s’étaient trouvés de la sorte dans le cas de légitime défense ; que de graves blessures avaient été reçues par des militaires, et qu’on avait perfidement exagéré le nombre de celles qu’avaient reçues les perturbateurs.

Ces étranges inexactitudes, qu’attendait, comme on le verra plus bas, un inévitable et victorieux démenti, avaient pour effet de calomnier les victimes. MM. Félix Réal et Duboys-Aimé, députés des arrondissements de Grenoble, protestèrent contre des allégations aussi imprudentes que mensongères, dans une lettre dont le Moniteur retarda l’insertion ; et dans la séance du 20 mars, M. Duboys-Aimé se leva pour interpeller à ce sujet le ministère. Les passions étaient vivement excitées, et la lutte qui s’engagea fut terrible. Dans un discours plein d’émotion et de fermeté, Garnier-Pagès repoussa le blâme dont on osait frapper une ville qu’on avait ensanglantée ; il demanda si les sommations avaient été faites, et déclara que, dans le cas contraire, des citoyens ayant été égorgés… à ces mots, il s’élève des clameurs ; Casimir Périer s’emporte et bondit sur son banc ; toute l’assemblée s’agite en sens divers. Mais Garnier-Pagès, reprenant : « oui, dit-il s’il n’y a pas eu de sommations préalables, nul doute que le petit nombre d’hommes qui ont porté les armes contre des citoyens, les ont égorgés. » Une longue interruption succède à ces déclarations énergiques.

M. Dupin aîné prend ensuite la parole. Il s’étonne que l’émeute trouve jusque dans le sein du parlement des défenseurs et des apologistes. Insultés, attaqués, sur le point de se voir désarmés, les soldats pouvaient-ils ne pas se défendre ? Et quels étaient les hommes dont on plaidait si chaleureusement la cause, au profit de qui on lançait sans preuves contre le gouvernement une accusation atroce ? C’étaient des hommes qui, dans une criminelle mascarade, avaient figuré l’assassinat du roi ; c’étaient des factieux réunis comme par miracle, comme par un coup de sifflet. Et on appelait population une escouade qui s’était jetée entre la garde nationale et la troupe ! M. Dupin finissait en exprimant l’espoir que le jury ne se laisserait pas intimider, que la cour royale de Grenoble vengerait la société offensée, et qu’on rendrait justice à la justice,

Renchérissant sur les assertions audacieuses de ce discours, auquel M.Odilon Barrot venait de répondre avec beaucoup de sens, de mesure et de dignité, Casimir Périer affirma qu’on avait crié sous les fenêtres de M. Duval : A bas le gouvernement ! Vive la république ! et il adressa hautement à la garde nationale de Grenoble le reproche de n’avoir pas répondu à la convocation qui plaçait l’ordre sous son égide.

En lisant dans le Moniteur le compte-rendu de la séance du 20 mars, la population de Grenoble se sentit calomniée et se répandit en plaintes amères. Une enquête fut ouverte ; une protestation appuyant l’œuvre de la municipalité et démentant les accusations du président du conseil, fut couverte en peu de temps de deux mille cent soixante-six signatures ; le conseil municipal prépara un rapport destiné à faire connaître la vérité à la France ; enfin, M. Maurice Duval lui-même, fut obligé de reconnaître publiquement qu’il avait été induit en erreur, et qu’on n’avait poussé devant la porte de son hôtel aucun des cris séditieux dont Casimir Périer avait entretenu la chambre.

Mais la colère des ministres croissait avec leur confusion. Une ordonnance prononça la dissolution de la garde nationale de Grenoble, et en prescrivit le désarmement. Le lieutenant-général Saint-Clair, qui, pour éviter l’effusion du sang, avait autorisé la remise des postes à la garde nationale, fut brutalement destitué. On mit en disponibilité le commandant de la place, M. Lespinasse. Le colonel d’artillerie Chantron fut admonesté et remplacé. Le lieutenant-général Hulot qui avait donné l’ordre de faire partir de Grenoble le 35e, dut partir pour Metz, où les honneurs du commandement couvrirent mal sa disgrâce. D’un autre côté, M. Maurice Duval fut élevé dans la faveur du maître. Et, pour mieux marquer que la puissance des baïonnettes allait devenir dominante, le maréchal Soult, ministre de la guerre, publia un ordre du jour adressé à l’armée, manifeste hautain qui commençait par des témoignages de satisfaction donnés au 35e de la part du roi, et qui se terminait par ces mots, étonnants chez un peuple libre : « Soldats ! le roi et la France vous remercient. »

Il était temps que la voix de la vérité fut opposée aux inspirations de la violence. Dans un rapport, remarquable par la précision des énoncés et la modération du langage, l’administration municipale de Grenoble prouva péremptoirement que la mascarade du 11 mars ne figurait en rien l’assassinat du roi ; que la garde nationale avait été convoquée trop tardivement pour pouvoir se rassembler[5] ; qu’aucun cri hostile au gouvernement ou au roi, n’avait été poussé sous les fenêtres du préfet ; — le préfet en était lui-même convenu ; que le commandant de place n’avait pas été averti[6] ; que M. Duval avait bien réellement donné aux commissaires de police l’ordre de cerner le rassemblement[7] ; qu’aucune sommation légale n’avait été faite[8] ; qu’un seul militaire du 35e était entré à l’hôpital quatre jours après les évènements du 12, et pour inflammation, suite d’un coup de pied[9] ; que le lieu du rassemblement n’offrait pas de pierres qu’on pût jeter aux soldats ; que, parmi les blessures faites aux citoyens, quatorze avaient été reçues par derrière[10] ; que les événements du 13 étaient le résultat inévitable de l’exaspération des esprits, causée par une flagrante violation des lois ; que la conduite, soit de l’autorité municipale, soit de la garde nationale de Grenoble, avait été non-seulement sans reproche, mais digne de la reconnaissance des citoyens.

Par ce faux point d’honneur, commun à tous les gouvernements qui veulent faire prévaloir dans un pays le culte de la force, le ministère jura de réduire ses adversaires, ne les pouvant convaincre, et il eut recours aux mesures les plus acerbes. Alors parut tout ce qu’il y a de naturellement servile au fond de la plupart des ambitions humaines. Pour être fort, il suffit de le paraître : les hommes pusillanimes coururent à ceux qui disposaient des baïonnettes et parlaient le langage de la dictature ; l’enquête commencée contre les agresseurs fut poursuivie contre la population attaquée. Comme il était impossible de mettre en cause toute la garde nationale de Grenoble, et qu’on voulait se donner la satisfaction d’un triomphe judiciaire, on choisit, pour les faire juger, les deux frères Vasseur, MM. Bastide, Gauthier, Dubost et Huchet. Un d’eux, M : Bastide, était étranger à la ville ; un autre, M. Huchet, était une des victimes de la funeste journée du 12. De leur côté, tremblant de déplaire aux dépositaires de la force, aux dispensateurs de la fortune, des fonctionnaires publics, qui avaient d’abord pris parti pour la ville de Grenoble, se prononcèrent contre elle, à l’aspect des étendards flottants et au bruit des bataillons en marche.

Dans son ordre du jour à l’armée, le maréchal Soult avait dit « Sa majesté n’a point approuvé que le 35e fut retiré de Grenoble. » Le lieutenant-général Delort, chargé du commandement supérieur de la 7e division, se fit précéder à Grenoble par une proclamation menaçante ; et dans cette ville de 24,000 âmes, qu’occupaient 8,000 hommes de toutes armes, le 35e rentra, tambour battant, musique en tête, canons au centre et mèche allumée. Pleins d’une douleur contenue, mais exempte de crainte, les habitants assistaient à cette entrée sinistre et triomphale. Quelques-uns souriaient de pitié à la vue de cet appareil militaire. Un citoyen s’approcha d’un des canonniers qui portait la mèche, et lui dit en tendant son cigarre : « Un peu de feu, camarade, s’il vous plaît. »

Quelques jours après, un événement qui empruntait des circonstances une imposante solennité tenait la ville de Grenoble attentive. Il avait été convenu qu’un combat singulier aurait lieu entre un jeune homme de la ville, nommé Gauthier, et un officier du 35e. A l’heure du duel, toute la population se porta sur le lieu de la rencontre. Un détachement de dragons avait été commandé pour tenir la multitude à distance. D’autres cavaliers et des trompettes furent échelonnés de façon à protéger le champ clos où allait se prononcer, comme au moyen-âge, le jugement de Dieu. Les deux adversaires entrèrent en lice. Rien ne saurait peindre l’émotion, l’anxiété des spectateurs. Car ce n’était pas une querelle particulière qui allait se vider, et l’altération des visages disait assez que dans l’issue de ce duel était engagée la cause d’une ville entière. Le combat avait lieu au sabre. Quoique inhabile à manier cette arme, Gauthier fondit résolument sur son adversaire, évita le sabre levé sur sa tête, et d’un coup de pointe étendit le militaire à ses pieds.

Pendant deux mois, des duels presque quotidiens mirent aux prises les militaires du 35e et les habitants. Et, toujours, ce fut aux habitants que demeura l’avantage du combat : circonstance à laquelle les croyances populaires se plurent à attacher une signification toute providentielle ! Le 9 mai, à la suite d’un nouveau duel et à l’occasion d’un drapeau blanc arboré par un officier du 35e et arraché à celui-ci par un habitant, la querelle devint générale à l’esplanade de la porte de France. Malgré l’intervention conciliante des dragons et de quelques officiers, des soldats et des citoyens furent blessés. L’irritation était aussi grande que dans les journées des 11 et 12 mars : le général Delort fut obligé de consigner, comme l’avait fait le général Saint-Clair, le 35e dans ses casernes, dont des soldats des autres régiments durent garder les avenues. La municipalité écrivit sur-le-champ au ministère une lettre énergique, déclarant que, si le 35e n’était pas immédiatement éloigné, elle était déterminée à donner sa démission. Il fallait un terme à cette cruelle situation. Le 20 mai, le 35e quitta Grenoble pour la seconde et dernière fols.

Le sang du citoyen versé par la main du soldat ; une généreuse cité plongée dans le deuil, poussée ensuite jusqu’aux confins de la révolte ; l’autorité vaincue, et réduite à se dédommager de la perte de sa force morale par l’étalage grossier de sa force matérielle ; une armée loyale et brave détournée violemment de sa mission ; la haine semée entre des citoyens et des militaires, faits pour s’aimer, et tous enfants de la même patrie, voilà par quels résultats la politique de Casimir Périer se recommandait à l’admiration des hommes.

Et à cette humiliante anarchie se joignaient les péripéties d’une lutte opiniâtre entre les deux premiers corps de l’État. Voyant que l’indissolubilité du mariage, combinée avec la séparation de corps, n’était que l’adultère légalisé, la chambre des députés, sur la proposition de M. de Schonen, avait voté le rétablissement du divorce : la chambre des pairs le repoussa. La chambre des députés avait voulu abroger, comme injurieuse à la nation, la fête expiatoire du 21 janvier : la chambre des pairs regarda cette abrogation comme attentatoire à la royauté ; et après des tiraillements pleins de péril, la question, ajournée, laissa dans le doute si le principe monarchique vaut que, pour un roi mis à mort, tout un peuple subisse l’outrage d’une expiation sans fin.

Cette rivalité des pouvoirs, qui accusait si formellement le vice du régime constitutionnel, tendait à rendre impossibles toutes les grandes choses. Aussi, depuis quelques mois, la chambre des députés se tenait-elle pour ainsi dire renfermée dans la discussion du budget, sur laquelle, du reste, un vol fameux appelait l’attention publique. Le caissier général du trésor, M. Kessner, avait disparu, laissant dans la caisse qui lui était confiée un déficit de plusieurs millions. Indépendamment du désordre que semblait révéler dans la comptabilité, ce déficit, dont le public ignora long-temps le véritable chiffre, il découvrait une des plus hideuses plaies de la civilisation moderne. Car M. Kessner, doué de qualités recommandables et connu pour sa bienfaisance, n’avait été entrainé à l’abîme que par la manie des opérations de Bourse. La Bourse, on le sait, n’est pas seulement un hospice ouvert aux capitaux sans emploi, elle est aussi le repaire de l’agiotage. L’occasion était belle pour examiner quelle influence la Bourse exerce sur le mouvement des capitaux, de quelle nature est l’élan qu’elle imprime à l’esprit de spéculation, s’il est bon de la tolérer et, s’il n’appartient pas, du moins, à un gouvernement, digne de ce nom, d’intervenir activement et sous sa responsabilité là où les fureurs du jeu sont si fécondes en malheurs, en fraudes, en succès odieux et en scandales. Nous exposerons dans le cours de cet ouvrage l’état des finances du royaume, sans négliger l’étude des importants problèmes qu’un pareil exposé soulève. Ces problèmes, la chambre aurait dû les résoudre ; mais détruire les abus était au-dessus du courage d’une assemblée dans laquelle siégeaient tant d’hommes dont ces abus même avaient fait la fortune et constituaient la puissance. La chambre vota donc le budget, après une discussion aussi stérile que laborieuse. Le budget des dépenses ordinaires et extraordinaires de l’exercice de 1832 s’élevait à 1 milliard 106 millions 618,270 francs. Le dernier budget de la Restauration ne s’était élevé qu’au chiffre de 985 millions 185,597 francs ! Le vote des lois de finances était attendu comme le terme des travaux de la chambre. Le 21 avril, parut la proclamation royale qui déclarait close la session de 1831. Cette session n’avait fait qu’ajouter les débats irritants de la tribune aux troubles de la place publique, et la chambre se séparait après avoir traversé une période de complots.




  1. Circulaire du bureau de bienfaisance du 12e arrondissement. 1er janvier 1832.
  2. Voir aux pièces justificatives, n° 1.
  3. Voir aux pièces justificatives, n° 2.
  4. De semblables abominations ne seraient pas croyables, au 19e siècle, si les faits ne reposaient ici sur des témoignages irrécusables. On peut voir, à ce sujet, une excellente brochure de M.le comte Mamiani, intitulée : Précis politique sur les derniers événements des États Romains.
  5. « Je soussignée, employé à la mairie de Grenoble, certifie que la lettre adressée par M. le préfet de l’Isère à M. le maire de Grenoble, le 12 mars courant, contenant l’ordre de convoquer un bataillon de la garde nationale, n’est parvenu à la mairie qu’entre quatre heures et demie et cinq heures du soir. En foi de quoi j’ai signé le présent.

    Grenoble, le 15 mars 1832.
    Laborne. » XXX
    (Extrait du rapport de la municipalité de Grenoble.)XX
  6. « C’est avec la plus vive peine que je vois que nombre de mes compatriotes croient que j’ai été chargé du mouvement des troupes, dans la nuit du 12 de ce mois ; je puis attester sur l’honneur qu’aucun avis, qu’aucun ordre ne m’a été donné pour faire agir les troupes, et que, par conséquent, je n’ai pu rien prévoir, ni rien prévenir. L’autorité n’a-t-elle pas eu confiance en moi ? Je l’ignore. Maintenant, que mes compatriotes me jugent.
    Votre dévoué compatriote,
    Le commandant de la place, ------
    Lespinasse.---
  7. « M. le préfet nous ordonna de nous rendre à la caserne ; de prendre, mon collègue et moi, une compagnie chacun, de cerner et d’arrêter les perturbateurs. »
    (Extrait du rapport du 12 au 13 mars 1832, du commissaire de police Jourdan.)

    « M. le préfet nous dit d’aller prendre la troupe de ligne. Mon collègue et moi, nous sommes allés à la caserne de Bonne, nous avons demandé une compagnie chacun, puis nous nous sommes séparés ; mon collègue a passé par le quai d’Orléans et moi par la Grande-Rue pour cerner l’attroupement. »

    (Extrait du rapport du 12 au 13 mars 1832, du commissaire de police Vidal.)
  8. « Les voltigeurs, guidés par je ne sais quel sentiment, et aussi prompts que l’éclair, croisent la baïonnette et refoulent l’attroupement, qui cherchait sans doute à se frayer un passage, et cela sans commandement, de leur propre mouvement, sans attendre les sommations, et malgré mes représentations et mes cris de relever leurs armes. »
    (Rapport du commissaire de police Jourdan.)
  9. Hôpital général de Grenoble. (Salle militaire.) Rapport de MM. Fournier et C. Silvy.
  10. Rapport de MM. Romain Bally et Joseph Breton, docteurs médecine.