Histoire de deux peuples/Avant-Propos

Flammarion (p. 5-6).

AVANT-PROPOS

Ce livre est, en somme, une histoire à grands traits de notre pays.

Quand on étudie les rapports de la France avec le reste de l’Europe, on s’aperçoit que la plus grande tâche du peuple français lui a été imposée par le voisinage de la race germanique. Avec nos autres voisins, Anglais, Espagnols, Italiens, s’il y a eu des conflits, il y a eu aussi des trêves durables, de longues périodes d’accord, de sécurité et de confiance. La France est le plus sociable de tous les peuples. Il le faut bien pour qu’à certains moments nous ayons eu, et assez longtemps, l’Allemagne elle-même dans notre alliance et dans notre amitié. Il est vrai que c’était après l’avoir vaincue. Il est vrai que c’était après de longs efforts, de durs travaux qui nous avaient permis de lui retirer, avec la puissance politique, les moyens de nuire. Car le peuple allemand est le seul dont la France ait toujours dû s’occuper, le seul qu’elle ait toujours eu besoin de tenir sous sa surveillance.

Une idée domine ce livre. Nous pouvons même dire qu’elle nous a obsédé tandis que nous écrivions ces pages sous leur forme première.

Le sol de la France était occupé par l’ennemi qui se tenait, dans ses tranchées, à quatre-vingts kilomètres de la capitale. Lille, Mézières, Saint-Quentin, Laon, vingt autres de nos villes étaient aux mains des Allemands. Guillaume II célébrait son anniversaire dans une église de village français. Tous les jours, Reims ou Soissons étaient bombardées. Tous les jours, un frère, un ami tombait. « Fallait-il que nous revissions cela ? » disaient les vieillards qui se souvenaient de 1870. Deux invasions en moins d’un demi-siècle ! Comment ? Pourquoi ? Était-ce l’œuvre du hasard, ou bien une fatalité veut-elle que, tous les quarante-quatre ans, l’Allemagne se rue sur la France ?

Lorsqu’on se pose ces questions, la curiosité historique est éveillée. La réflexion l’est aussi

En suivant la chaîne des temps, nous suivions la chaîne des responsabilités et des causes. Comme nous sommes liés les uns aux autres ! Comme il est vrai, selon le mot d’Auguste Comte, que les vivants sont gouvernés par les morts ! Tour à tour, les Français ont recueilli le fruit de la sagesse de leurs devanciers et souffert de leurs erreurs. Nous n’échappons pas à cette loi de dépendance. Comprenons du moins comment elle agit : c’est l’objet de cet ouvrage.

Nous n’avons eu qu’à continuer l’histoire des deux peuples jusqu’à la date où nous sommes aujourd’hui pour qu’on vît encore que toutes les fautes se payent et que les plus graves tiennent aux idées. Sur l’Allemagne, on a commis méprise sur méprise. Le bilan, pour le passé, en est tragique. Quel sera celui de l’avenir ?

J. B.
Avril 1915-avril 1933.