Histoire de Rennes (Villeneuve, Maillet)/Chapitre I

CHAPITRE PREMIER.

INTRODUCTION.

Si la vie des nations a certaines analogies avec celle de l’homme, l’histoire d’une ville n’en offre pas de moins frappantes, et l’on peut tracer sa biographie comme celle d’un être collectif qui parcourt les diverses phases de l’existence humaine dans toutes leurs vicissitudes, depuis la naissance jusqu’à la mort. Combien de cités en effet ont atteint ce dernier période et attestent, par leurs débris encore épars sur le sol, quelle fut la puissance de leur âge mûr ! La Bretagne nous en offrirait plus d’un exemple. L’histoire conserve dans ses pages les noms célèbres de Blabia, Ossismii, Corseul et Kerity-Pen-march.

Rennes, dont l’origine touche à l’existence de ces cités antiques, Rennes a survécu à ses illustres contemporaines ; mais nul ne peut compter les jours que lui réserve la Providence dans l’écoulement des siècles. C’est à nous, ses enfants, d’étudier avec un soin pieux cette longue série des années de l’aïeule, d’interroger ses souvenirs, de suivre dans leur développement séculaire les causes de sa prospérité bu de ses souffrances, et de féconder les enseignements qui en résultent pour le bonheur de son avenir. L’âge d’or, on l’a dit avec raison, est devant nous. L’étude du passé est l’un des guides les plus sûrs qui puissent nous y conduire.

Quelle méthode suivrons-nous dans cette étude ? Quels jalons fixerons-nous pour nous reconnaître dans le vaste champ que nous nous proposons de parcourir ?

Il en est deux principaux qui diviseront d’abord pour nous tout le sujet en deux grandes parties. Le premier, planté à la limite la plus reculée des âges historiques, portera cette inscription sur quelque débris d’armure gauloise : Temps anciens !

Le second jalon s’élèvera à l’entrée de la grande époque révolutionnaire de 1789, qui rompit avec l’ancienne forme sociale, et, préparée elle-même par les âges précédents, ouvrit une nouvelle voie à l’avenir, dont nous développons notre part. L’enseigne aux trois couleurs nous indiquera sur quelque champ de bataille des bords du Rhin, cette seconde limite historique, sous le nom de Temps modernes !

Dans le premier intervalle, les temps anciens, trois divisions frapperont nos regards. Nous y verrons s’agiter successivement, dans leur ordre chronologique, trois peuples différents, auxquels se liera l’existence de notre cité Rennaise. Les Gaulois en feront, sous le nom celtique de Condate, ce que César appela l’oppidum des Rhedones, l’une des premières et des plus importantes cités d’Armorique. Les Romains conquérants y établiront leurs soldats et leurs temples, et occuperont le pays sans le dompter complètement. Les Franks de Clovis, après la chute du grand empire, se jetteront sur ses débris et envahiront à leur tour la cité rennaise, qui s’agitera sans cesse sous leur joug, et s’associera à toutes les luttes pour l’indépendance nationale. Quand les Franks auront passé avec leurs dynasties de rois Mérovingiens ou Carolingiens, et seront devenus des Français sous les descendants de Hugues Capet, de nouvelles divisions se formeront dans les annales de notre cité : les capitaines-gouverneurs, par la nécessité des temps, céderont aux bourgeois qu’ils appelleront au conseil et armeront en milice, une part de leur ancienne autorité militaire, et la communauté de ville prendra naissance ; la religion chrétienne, venue dans notre cité vers la fin de la domination romaine, élèvera ses temples sur les ruines de ceux que le paganisme y avait laissés à son passage ; l’industrie naîtra, et la ville étendra l’enceinte de ses fortifications ; la guerre de Blois et de Montfort lui fera partager les longues souffrances de la Bretagne ; la duchesse Anne, en devenant deux fois reine de France, l’unira à son nouveau royaume, mais sous certaines conditions, que François Ier modifiera plus tard ; la Ligue viendra l’agiter de nouveau jusqu’à ce que Henri IV entre dans ses murs et confirme ses privilèges communaux ; son parlement créé par ses anciens ducs sera confirmé par les rois de France, et lui maintiendra son titre de capitale bretonne qu’elle partageait avec Nantes ; un terrible incendie, en la dévastant, renouvellera sa physionomie physique.

Un changement non moins complet, à cette époque, va s’opérer dans sa physionomie morale, et les luttes du Parlement et des Etats contre les édits bursaux des rois de France indique l’avenir qui se prépare.

Le second intervalle historique, désigné sous le nom de temps modernes, s’ouvre en ce moment. Les journées de janvier 1789 en sont la première date. La cité rennaise qui, l’une des premières, leva le drapeau révolutionnaire, subit bientôt le contre-coup des événements qui surgirent successivement sous l’Assemblée Constituante, la Législative, la Convention et le Directoire. Le Consulat, l’Empire et la Restauration sont autant de chapitres nouveaux de sa biographie, quoique moins remplis sans doute. Enfin un dernier et rapide coup-d’œil jeté sur les faits qui se sont accomplis dans l’intérieur de la cité depuis dix ans, complétera pour nous cette monographie que les siècles et nos descendants continueront toujours inajchevée.

En suivant ce double fil de nos annales rennaises, cette double série d’événements par lesquels notre ville est parvenue au point où nous la voyons aujourd’hui, nous nous demanderons à chaque pas quels progrès sûrs et providentiels elle a faits dans le cours de sa destinée, comment elle a reflété les grands faits de l’histoire générale, de quelle couleur elle les a empreints en les subissant dans sa sphère, sous quelles nuances s’est produite chez elle, à ses divers âges, la triple forme politique, religieuse et littéraire, les trois aspects généraux de la pensée humaine dans tous les cas, dans tous les actes de l’humanité.

Sans cesse préoccupés de la vérité historique, frappés d’une utile crainte pour toute pensée systématique, pour toute vue incomplète ou préconçue, nous chercherons, avec une avidité curieuse et infatigable, dans les documents originaux que nous a laissés chaque époque, la véritable interprétation des événements, l’aspect sous lequel ils se sont produits aux contemporains, et les résultats logiques qu’ils contenaient en germe et qu’ils ont développés.

Mais, nous devons le dire, dans les détails qui se présenteront sur notre route, les palais des grands, les champs de bataille et les mouvements de la place publique, ne nous donneront pas toujours ni exclusivement la véritable explication des choses humaines. Nous chercherons plus haut cette explication, ce revers caché et trop souvent négligé de la médaille. Les croyances, qui font la vie et la destinée des peuples, nous la donneront quelquefois.

Telles seront nos principales bases, notre critérium, pour juger chaque époque historique de notre cité, sans la séparer jamais des idées contemporaines qui motivent et ne justifient pas, sans l’isoler du grand ensemble, dont elle faisait partie physiquement et providentiellement.

Et sous ce dernier aspect, nous n’omettrons pas de signaler, en tenant justement compte des efforts de l’indépendance nationale, la tendance non interrompue de la cité à s’unir au tout Français, à cette chaîne dont la Bretagne n’était naturellement qu’un anneau, et qui, après avoir resserré entre elles les diverses parties de l’antique Gaule y deviendra à son tour un simple chaînon destiné à se rattacher à cette autre plus vaste chaîne qui s’étendra harmonieusement quelque jour sur tout le globe, malgré les efforts inintelligents et aveugles des individualités, qui ne perdront pas leur nationalité pour être confondues dans la même alliance fraternelle, et pour se donner la main, selon la parole du poète.