Histoire de Miss Jenny

Tome I
Œuvres complètesFoucault, Libraire.
HISTOIRE

DE

MISS JENNY.


HISTOIRE
DE
MISS JENNY,

Écrite et envoyée par elle à Miladi, comtesse de Roscomond, ambassadrice d’Angleterre à la Cour de Dannemarck.

PREMIÈRE PARTIE.


Je me vois obligée, Madame, de justifier ma conduite à vos yeux, ou de vous laisser croire qu’elle est très-singulière, peut-être très-blâmable. Par leurs propositions brillantes, deux personnes attirent actuellement sur moi l’attention d’une foule de spectateurs. Chacun me juge au gré de ses idées, et me condamne sur ses propres principes.

Imagine-t-on des motifs raisonnables de dédaigner une grande fortune ? Au sentiment de la plupart des hommes, la modération est une qualité bien petite : elle leur paroît plutôt la marque d’un naturel paresseux, d’une ame sans élévation, que la suite des réflexions solides d’un esprit juste, ou l’effet d’une vertu distinguée.

Ne tenant à rien dans le monde, je n’ai adopté les préjugés d’aucun état ; je ne cherche point la célébrité, et rougirois d’affecter une philosophie sous laquelle on cache souvent plus d’orgueil que de véritable désintéressement. Dans la circonstance qui vous porte à m’écrire avec tant de chaleur, j’agis pour moi seule. Satisfaite de l’approbation de mon cœur, je puis négliger celle du grand nombre ; mais la vôtre ne m’inspirera jamais cette indifférence, Madame, et je mettrai toujours ma gloire à la mériter.

On ne vous en impose point. Un lord riche, puissant, estimé, revêtu de plusieurs dignités, me recherche avec empressement ; il est jeune encore ; on le trouve aimable ; il m’aime depuis long-temps. Une passion conservée près de cinq années, semble le mettre en droit d’attendre, de demander, d’espérer le prix de sa constance. Je refuse de le lui accorder, on s’en étonne, et vous-même, Madame, vous n’approuvez point ce refus obstiné.

Milord Alderson appuie les vœux de cet amant. Le bruit s’est répandu qu’il vouloit m’adopter. À la vérité, il se propose de déshériter en ma faveur sir Henri Lindsey, son parent. D’immenses richesses me sont offertes : on n’exige de moi qu’une seule démarche. Celui qui me presse de la faire, a le pouvoir d’en rendre le succès certain… Ah ! Madame, quelle démarche ! Quel époux veut-on me donner ! et quel protecteur ose me demander de la tendresse et du respect ! Quand vous m’exhortez par vos lettres à ne pas négliger de si grands avantages, savez-vous quel est mon sort ? qui je suis ? connoissez-vous ceux dont les sentimens vous paroissent généreux ? Je m’oppose durement, dites-vous, aux tendres intentions d’un vieillard vénérable. Je ne veux point consentir à cette adoption qui le combleroit de joie. Ah ! c’est de tout mon cœur que je méprise aujourd’hui et le titre de sa fille et le motif qui l’engage à vouloir me le donner. Ce vieillard fut sourd à mes cris, quand ma profonde misère me fit tomber à ses pieds. Il fut insensible à mes larmes dans un temps où ses moindres secours auroient pu fixer ma destinée, la rendre heureuse ; il devoit alors me sauver des dangers auxquels l’indigence expose une fille jeune, libre, indépendante, qui n’a jamais connu le besoin, et s’y trouve abandonnée ; se voit tout-à-coup précipitée d’un état aisé dans la foule des misérables, de ces infortunés condamnés par la pauvreté à rétrécir leur intelligence, à la borner au soin de pourvoir à la pressante nécessité de conserver leur vie : dure condition ! qui oblige de souffrir tout le jour, pour se procurer les moyens de souffrir encore le lendemain.

Je pardonnerois peut-être à milord Alderson les peines que sa cruauté m’a fait sentir ; je ne puis lui en pardonner les suites qu’il auroit dû prévoir. On oublie le malheur ; le temps en affoiblit le souvenir : mais le sentiment de la honte est ineffaçable. C’est milord Alderson, ce sont ses refus cruels, qui m’ont réduite à rougir au seul nom de l’époux qu’il me destine : et je le reconnoîtrois pour mon aïeul ; j’accoutumerois mon cœur à le chérir, à le respecter ? Ah ! comment donner le nom de père à celui dont je fus traitée inhumainement ! Il m’a privée du seul bien que nous ayons vraiment droit d’exiger de nos parens. Ne nous doivent-ils donc pas des soins vigilans, une protection attentive, qui nous maintienne dans l’état où nous naissons, nous conduise à remplir les devoirs de cet état, et nous garantisse des piéges que le vice tend sans cesse sous les pas de l’innocence ?

Un tel langage vous surprend. Vous n’avez jamais imaginé que je dusse un jour m’en servir en parlant de milord Alderson. Mais, Madame, je ne suis point ce que je parois être. Présentée dans le monde sous un nom supposé, on me croit parente de miladi d’Anglesey. De tristes événemens m’ont forcée à recevoir avec reconnoissance un titre qui voiloit à tous les yeux mon état et mes malheurs. En vous les détaillant, je suis bien sûre de ramener votre cœur à cette tendre indulgence que vous avez tant de fois montrée pour mes sentimens. Vous faire connoître quelle a été à mon égard la conduite des deux lords dont les intérêts semblent vous toucher, c’est vous engager à approuver, même à partager le juste mépris que l’un et l’autre m’inspirent.

Vous n’avez point oublié, Madame, l’aimable Sara Alderson. Vous étiez en Irlande quand elle mourut. Vous pleurâtes la compagne de votre enfance, son souvenir vit encore dans le cœur d’une amie. La ressemblance de mes traits avec les siens vous donna le désir de former, d’entretenir cette liaison qui m’est devenue si chère. Eh bien, Madame, je dois le jour à l’infortunée Sara, à cette triste victime du caprice d’un père fier du rang de ses aïeux, mais peu soigneux de faire le bonheur de ses descendans. Que ma confiance n’altère point une estime conservée tant d’années ; suspendez votre jugement. Ma mère fut foible, mais elle ne fut point méprisable. On veut me contraindre à l’accuser moi-même, à révéler sa faute, on me presse d’en produire les preuves ; c’est un nom, des armes, de riches possessions, des titres fastueux, que l’on met en balance avec mon respect pour sa mémoire. Périssent à jamais tous ces vains monumens de l’orgueil, plutôt que d’être acquis par une démarche si coupable. Je hais l’enfant qui, par une réclamation intéressée, déshonore la mère dont il veut être avoué. Non, on ne m’entendra point troubler les cendres de la mienne, par le récit public de ses malheurs. Je puis les répandre dans votre sein, Madame ; mais ils ne deviendront point le sujet d’une basse contestation entre sir Henri Lindsey et moi. Ce parent de milord Alderson vient de s’attirer sa haine, en cédant au penchant de son cœur, en préférant une fille aimable à la riche héritière qui lui étoit destinée. Milord veut lui retirer ses bienfaits. Un acte du parlement rend ses dispositions difficiles à changer. Le désir ardent de punir sir Henri, le porte à m’offrir de me reconnoître, à me presser de l’attaquer à la chancellerie.

Ce lord, dont l’amour obstiné ne se rebute point par mes longs mépris, lui promet le titre de duc, à l’instant où il me recevra de ses mains : ainsi l’ambition et la vengeance tiennent, dans l’ame de milord Alderson, la place de ces sentimens généreux que vous lui supposez. Mais l’infortunée qu’il abandonna si long-temps, ne peut s’y tromper. Non, je ne priverai point sir Henri d’un brillant héritage ; les projets de milord Alderson ne peuvent ni m’intéresser, ni s’accorder avec les miens. Je ne veux rien de lui ; je ne veux ni le voir, ni entrer dans aucune négociation sur ses desseins. Par ce que je vais vous apprendre, vous jugerez, Madame, si mes refus sont fondés, et peut-être cesserez-vous de m’accuser de bizarrerie et de dureté.

Milord Alderson, un des plus riches pairs de la Grande-Bretagne, passa ses premières années à Londres. Il étoit bien fait, d’une figure charmante. Après avoir visité les différentes Cours de l’Europe, il reparut dans sa patrie avec mille nouveaux agrémens. Ses voyages et de longues recherches, lui donnoient un goût particulier pour tout ce qui rend l’extérieur aimable. Il savoit la musique, dansoit parfaitement, avoit assez d’esprit, peu de sens, encore moins de principes. Il parloit bien, pensoit mal, étoit vain, hardi, inconsidéré, s’aimoit beaucoup, négligeoit tout, excepté sa personne. Il ne connut jamais l’amour, se fit une étude d’en feindre, et mit sa gloire à persuader qu’il en inspiroit. Il devint l’objet de l’entêtement de ces femmes, toujours passionnées, jamais sensibles, dont le cœur froid et l’imagination vive voudroient couvrir du nom de tendre foiblesse le goût qui les détermine à chercher le plaisir. Moins condamnables, peut-être, si son attrait seul les guidoit ; et plus heureuses, si elles ne le cherchoient pas souvent en vain.

Milord fut quelque temps à la mode ; mais il cessa de plaire, et rien ne put l’en consoler. Il arrive assez ordinairement à ceux qui se sont fait un mérite de l’espèce du sien, de n’en acquérir jamais de plus solide, de se voir bientôt rebutés par un sexe, et méprisés par l’autre. Milord l’éprouva : sa naissance ni sa fortune ne le mirent point à l’abri de ce sort. Parvenu à l’âge d’exercer les emplois convenables à son rang, il se vit préférer, dans les nominations, des hommes qui sembloient lui être inférieurs, mais dont les qualités justifioient le choix du Prince, et l’estime de la nation. Ayant à peine atteint sa trentième année, il quitta Londres, se retira à Northumberland, où il avoit des terres, résolu d’y vivre, de s’y former une Cour, et de ne jamais reparoître à celle d’Angleterre.

Un naturel exigeant, un faste plus capable de révolter la noblesse indigente, que de lui en imposer, aucune attention pour les autres, la plus grande admiration pour lui-même, assez d’humeur, point de complaisance ; le rendoient peu propre à s’attirer l’amitié de ses voisins. Il obtint des gentilshommes de sa province, ces froids respects dûs aux grands. Son rang méritoit des égards ; mais sa personne inspiroit de l’éloignement. Ainsi les devoirs s’étant bornés à de courtes visites, Milord se trouva seul. Il sentit bientôt que la retraite ne fait pas toujours des heureux, et qu’elle ne convient ni à tous les états, ni à tous les caractères.

L’ennui le porta à visiter les différens lieux où il possédoit des biens. Il fit un voyage en Irlande, y vit ladi Onéale, jeune veuve, noble, belle, mais sans fortune. Il l’épousa, revint avec elle en Angleterre, en eut un fils et une fille, et perdit sa femme après cinq ans d’une union qui lui fit goûter si peu d’agrément, qu’en se voyant libre, il jura solennellement de ne plus s’engager. Ladi Sara, sa fille, fut mise dans une pension près de Londres ; et l’héritier de son nom, seul objet de ses attentions, demeura dans le château d’Alderson, où Milord résidoit depuis son mariage.

Ce jeune enfant, enlevé à l’âge de quatorze ans, par une fièvre maligne, laissa sa sœur héritière d’une grande fortune. Je ne vous peindrai point ladi Sara, vous l’avez vue, Madame : élevée avec elle, vous eûtes le temps de connoître les qualités de son ame. Tant de surprise, d’attendrissement dans vos yeux, en apercevant son portrait chez moi, m’ont appris que ses traits n’étoient point effacés de votre souvenir. Ladi Sara joignoit aux grâces de la figure charmante qu’il offre à la vue, des sentimens nobles et généreux. Elle avoit l’humeur égale, le cœur sensible, et le naturel tendre. L’élévation de son esprit la rendoit capable de fermeté ; mais une extrême douceur la portoit vers la complaisance, et lui donnoit ce caractère heureux, aimable, qui fait le bonheur de ceux dont nous sommes environnés, et presque jamais le nôtre.

Milord Alderson regretta beaucoup son fils, non qu’il l’aimât avec tendresse, mais cet enfant devoit soutenir sa maison prête à s’éteindre, et porter un nom auquel Milord étoit fort attaché. La mort du jeune lord, détruisant ses espérances, il rappela sa fille, dans le dessein de la marier. Il la destina d’abord au fils de sa sœur, père de sir Henri. Il vouloit faire passer ses titres sur la tête de ce baronnet, et l’obliger à porter les armes et le nom d’Alderson ; mais ce neveu étant absent, même éloigné du royaume, Milord ne se pressa point d’annoncer ce projet.

Ladi Sara vivoit depuis six mois chez son père, quand milord, comte de Revell, fut habiter Wersterney, terre fort belle qu’il venoit d’acheter, à trois milles d’Alderson. Une blessure considérable le contraignoit à quitter le service. Il ne comptoit pas s’éloigner pour long-temps de la Cour. Sa présence et ses sollicitations y étoient trop nécessaires à un jeune lord dont l’élévation et le bonheur l’occupoient sans cesse. Le Comte aimoit et protégeoit en lui le fils d’un illustre ami, autrefois cher à son cœur, et toujours présent à sa pensée. Vous savez, Madame, que le dernier duc de Salisbury, après s’être efforcé pendant plusieurs années de soutenir un parti, juste peut-être, mais foible et malheureux, paya enfin de sa tête le noble attachement qu’il montroit pour le sang de ses anciens maîtres. Sa chûte entraîna celle de tous les siens. Sa famille désolée chercha un asile loin de sa patrie. Edouard son fils, encore au berceau, déjà privé de sa mère avant ce terrible événement, fut laissé au soin de milord Revell. Ce seigneur, lié de l’amitié la plus tendre avec l’infortuné duc de Salisbury, regarda son fils comme un dépôt précieux, comme l’objet qui devoit réunir toutes les affections de son cœur. Il se proposa de dédommager cet enfant chéri, des biens que le sort venoit de lui ravir. Une véritable générosité rendit le Comte économe, lui apprit à retrancher ces dépenses inutiles qui appauvrissent un grand, et lui ôtent le pouvoir d’être libéral. Milord Revell sacrifia les airs à la bonté. Ses biens augmentèrent considérablement par son application à les régir lui-même ; il mit tous ses soins à rendre son élève accompli. Docile et reconnoissant, Edouard profita si bien d’une excellente éducation, qu’à l’âge de dix-huit ans personne en Angleterre ne l’égaloit. Il en accomplissoit vingt-deux, quand le comte de Revell fit l’acquisition de Wersterney. Revenu depuis six mois de ses voyages, le jeune Lord, nouvellement entré dans le service, passa un peu de temps à son régiment ; et vers le milieu de l’automne il se rendit auprès de milord Revell.

La proximité de leur demeure offrant souvent a Edouard et à Sara des occasions de se voir, les conduisit bientôt à connoître qu’ils étoient formés pour se plaire. Ladi Sara admira Edouard, et il sentit un désir si vif d’être aimé d’elle, que, perdant le goût de tous les amusemens, il tomba dans une mélancolie dont milord Revell s’aperçut. Il s’en inquiéta, et voulut en apprendre la cause. Edouard, naturellement vrai, ne pouvoit manquer de confiance pour un ami si généreux ; il lui ouvrit son cœur avec cette noble franchise qui est inséparable d’une belle ame, avouant à Milord que toutes ses espérances de bon heur étoient détruites, s’il désapprouvoit ses sentimens.

Le Comte auroit souhaité que son penchant se fût déclaré pour une autre. Il n’estimoit pas milord Alderson, et le voyoit rarement ; cependant il rendoit justice au mérite reconnu de sa fille, chérie et respectée de toute la noblesse des environs. D’ailleurs, elle devoit jouir d’une grande fortune ; cette raison détermina le Comte en faveur de ce mariage. Il sollicitoit avec ardeur le rétablissement d’Edouard. Le Roi sembloit porté à lui accorder cette grâce. L’espoir de l’obtenir, une illustre naissance, mille qualités aimables, les dons de milord Revell, l’assurance d’être son héritier, rendoient Edouard un parti si avantageux, qu’il eût été difficile à milord Alderson de former la moindre objection contre une alliance si convenable. Le comte de Revell rechercha son amitié, apprit à l’amant de Sara l’art de se prêter sans bassesse à l’insupportable vanité de ce Lord, et par des préparatifs adroits et des ménagemens doux, il parvint à rendre Edouard si agréable à milord Alderson, qu’à l’instant où il fit l’ouverture de l’union désirée, la proposition reçue avec joie fut acceptée sans difficulté.

On ne consulta point ladi Sara ; mais son cœur fortement prévenu en faveur d’Edouard, se soumit sans résistance à l’ordre de l’aimer. On convint des articles. Le jour qui devoit serrer de si doux nœuds étoit déjà nommé, lorsque le comte de Revell tomba dangereusement malade. Il se trouvoit au château d’Alderson quand la fièvre le prit. Sa blessure se rouvrit, et son mal parut d’abord si considérable, qu’on jugea ne pouvoir le transporter sans péril. Il resta donc à Alderson. Edouard, toujours près de lui, montra tant de sensibilité pour son état, un naturel si tendre, si reconnoissant, si éloigné de ces vues intéressées et basses, dont un héritier amuse ordinairement sa douleur et se fait des consolations, que l’amour de ladi Sara en devint plus vif. Edouard avoit un de ces caractères qui gagnent tant à se développer, et dans lesquels de nouvelles occasions font découvrir de nouvelles vertus.

Tout le temps que milord Revell garda le lit, Edouard et Sara ne quittèrent point sa chambre. Ils se disputoient l’un à l’autre l’avantage de lui adoucir la tristesse de sa situation, de le consoler, de charmer ses maux par des soins caressans, et quand il se trouva mieux, d’inventer les moyens de l’amuser dans sa convalescence. Trois mois se passèrent sans que MiLord pût sortir de son appartement. Pendant ce temps, Edouard et Sara, toujours ensemble, prirent l’habitude de se voir, de s’aimer, de se le dire. Leurs cœurs s’attachèrent par tous les liens que forme l’intimité, et cette douce confiance qui l’entretient, augmente les charmes de l’amour, et réunit à sa vivacité, les sentimens solides de l’estime et de l’amitié.

Leur bonheur dépendoit du parfait rétablissement du Comte ; ils le souhaitoient avec une égale ardeur. Enfin, le jour si désiré fut nommé pour la, seconde fois. La veille de ce jour, milord Alderson voulut revoir les articles, et communiquer au comte de Revell les changemens qu’il projetoit d’y faire. Les notaires étant venus, il leur ordonna de rédiger les actes en conséquence de ses nouvelles idées, et s’en ferma avec le Comte pour les lui détailler.

On étoit alors au commencement du printemps. Ladi Sara, prête à jouir d’un bonheur que rien ne sembloit devoir troubler, confuse, inquiète, osoit à peine lever les yeux sur celui dont les droits alloient être si décidés. Elle l’évitoit sans pouvoir démêler le mouvement qui la portoit à le fuir. En sortant de table, elle entra dans les jardins, et se hâtoit de gagner un bois où elle aimoit à se promener, quand Edouard, courant sur ses pas, la joignit au détour d’une allée. Sara rougit, et se déconcerta si fort en le voyant, qu’il en fut surpris, même affligé. Il lui fit de tendres reproches de l’air d’abattement répandu sur son visage. Mille doutes s’élevèrent dans son ame ; pour la première fois, il craignit qu’en lui donnant la main, elle ne cédât au devoir. Sa tristesse, à l’approche de l’instant où elle alloit être à lui, instant prévu depuis si long-temps, lui paroissoit naître d’une indifférence dissimulée, peut-être, par respect, par soumission. Ces soupçons, qu’il ne cacha pas, touchèrent vivement ladi Sara. Des assurances réitérées de sa tendresse, un aveu naïf des mouvemens involontaires qui l’agitoient, lui inspiroient de la crainte, et l’air de vérité dont ses discours étoient accompagnés, dissipèrent bientôt l’erreur d’Edouard.

Une petite pluie commençoit à les incommoder. Ils s’avancèrent vers un bosquet entouré d’arbres odoriférans, et rempli des plus belles fleurs de la saison. La sûreté de cet asile les y arrêta. Ils s’assirent sur un gazon, et gardèrent le silence pendant quelques momens. L’agrément de ce lieu, le chant d’un nombre infini d’oiseaux, le murmure d’une cascade qu’ils avoient en perspective, leur rappelèrent cet endroit de Milton, où les deux créatures souveraines du monde levèrent en même temps leurs yeux, pour contempler les merveilles dont elles étoient environnées, et ne furent frappées d’admiration, qu’à l’instant où leurs regards se rencontrèrent.

Sara venoit de reprendre ses esprits, sa contenance paroissoit plus assurée. Son humeur naturellement gaie, lui faisoit déjà mêler les grâces de l’enjouement aux tendres expressions de son cœur, quand elle aperçut Edouard enseveli dans une profonde rêverie. Elle s’en alarma, le pressa de lui dire ce qui l’occupoit. Il s’en défendit, soupira, la conjura de ne point lai montrer une curiosité qu’il n’osoit satisfaire. En lui parlant, il fixoit sur elle des yeux passionnés, dont les regards touchans exprimoient un désir auquel il résistoit. Il prenoit les mains de Sara, les serroit avec ardeur, les couvroit de baisers enflammés. Un moment après, il les repoussoit doucement, sembloit éviter de les toucher, s’éloignoit, détournoit son visage, paroissoit craindre de se laisser pénétrer.

Ces mouvemens étranges redoublèrent l’inquiétude de Sara. « Ah ! parlez-moi, parlez-moi, lui dit-elle : avez-vous des secrets que vous ne puissiez me confier, des chagrins dont mon cœur refuse de partager l’amertume ? Formez-vous des vœux auxquels je ne sois prête à joindre les miens ? Ah ! parlez ; ce silence cruel me fait douter à mon tour de vos sentimens ».

« En douter ! vous, ma chère Sara, s’écria Edouard ! vous, douter de mon amour ! Ah ! répétez-moi cent fois, mille fois ! que vous êtes prête à joindre vos vœux à tous les miens ». Ladi Sara le jura ; elle attesta l’honneur et la vérité du serment qu’elle faisoit.

Edouard transporté, tomba à ses genoux, passa ses bras autour d’elle ; et la pressant tendrement : « On nous marie demain, lui dit-il d’un ton bas et timide ; on vous donne à moi. Je vous devrai à l’acte authentique qui se passe en ce moment, à une cérémonie publique, à l’ordre de votre père, aux bontés d’un ami ! pourquoi ne vous devrois-je pas à présent à votre choix, à l’amour, à nos communs désirs ? La preuve de vos sentimens dépend aujourd’hui de vous. Demain, elle sera la suite indispensable du vœu d’obéissance que vous aurez prononcé au pied des autels. Ah ? si vous m’aimez, partagez mon ardeur, comblez mes souhaits ; que je puisse me dire : Sara, ma chère Sara s’est donnée à son amant ».

« Qu’osez-vous me proposer, interrompit-elle ? Est-ce à moi ! Est-ce à celle dont vous recevez demain la foi, que vous montrez ce désir offensant ? Quand un engagement sacré va remplir vos espérances, voulez-vous ?… Je ne veux rien, dit tristement Edouard ; je demande, et n’exige pas. Je suis téméraire, hardi, condamnable, sans doute, si vous m’opposez un honneur de convention, les préjugés, l’usage chaînes cruelles ! dont la politique et l’intérêt forgèrent le tissu gênant. Un mouvement que la nature inspire à tous les êtres sensibles, un sentiment vrai, mes désirs, la liberté, voilà mes droits. La complaisance, l’amour, la bonté, doivent les faire valoir dans votre cœur. Je n’ai aucune raison contre vos refus ; mais je sens une passion extrême de jouir d’un bien qui me soit donné, et m’assure que je suis vraiment l’objet de votre préférence. Cédez, continua-t-il en redoublant ses caresses, cédez, ma chère Sara ; qu’un doux consentement fasse mon bonheur, mon éternel bonheur ! Ah ! si j’obtiens cette grâce si grande, je verrai sans cesse dans ma femme une maîtresse tendre et généreuse ! Je me répéterai chaque jour avec délice, avec reconnoissance : Elle m’a rendu heureux par sa seule volonté. Je croirai ne vous tenir que des mains de l’amour ; jamais, non, jamais je ne me souviendrai de cette aimable condescendance sans en être touché ; et si, dans le cours de notre vie, un événement troubloit l’union de nos cœurs ; si j’osois résister au plus léger de vos souhaits, rappelez-moi cette preuve d’estime, de confiance ; elle me fera tomber à vos pieds, et tout vous sera accordé ».

Ah ! Madame, quel langage ! l’homme qui a le moins d’art possède bien le talent dangereux de séduire une ame sensible.

Des larmes furent la réponse de ladi Sara. Sa colère excitée par cette proposition, se changea bientôt en une tendre pitié. Elle blâmoit le caprice de son amant ; mais elle gémissoit de lui voir un désir qu’elle ne devoit pas satisfaire. Des prières, de douces représentations, quelques faveurs légères, conditionnellement accordées, augmentoient le feu qu’elle croyoit modérer. Elle vouloit s’arracher des bras d’Edouard, l’éloigner d’elle ; il la retenoit, se soumettoit à ses volontés, renonçoit aux siennes, et n’insistoit plus que sur le pardon de ses témérités. Il exigeoit des preuves de l’oubli de ses projets ; chaque instant rendoit l’indulgence plus nécessaire, et les prétentions moins révoltantes. Sara éperdue, s’écrioit en vain ; son trouble, ses pleurs, son désordre la rendoient plus touchante encore. Edouard, emporté par la violence de sa passion, cessa de l’écouter, de l’entendre ; il ravit, peut-être obtint cette faveur si chère, si précieuse, si vivement souhaitée, demandée avec tant d’imprudence, et refusée avec trop de foiblesse.

Que de joie dans les yeux du jeune Lord ! Quelle tendre confusion dans ceux de ladi Sara ! Quels transports ! Que de promesses, de sermens de n’oublier jamais ce moment flatteur ! Que de plaisirs goûteroit une femme dont la complaisance vient de rendre heureux son amant ; combien elle s’applaudiroit de se voir l’arbitre de son bonheur ; que cet instant seroit doux pour elle, si je ne sais quelle amertume, vivement sentie, mais difficile à exprimer, ne se mêloit à l’agréable prestige ! Elle naît sans doute de l’atteinte que nous avons osé porter à nos principes. Dès que nous quittons le sentier de la vertu, la douleur s’introduit dans notre ame ; ses premiers mouvemens nous inspirent le regret du passé, et la crainte de l’avenir.

Trois heures s’étoient rapidement écoulées, quand ladi Sara avertit Edouard qu’on les attendoit peut-être pour signer, et le pressa de retourner auprès de milord Revell. Il ne voulut point la quitter ; il lui donna la main, et la conduisit à son appartement. En traversant une galerie qui y menoit, elle aperçut en bas des valets en mouvement, un carrosse attelé dans la cour, et vit avec surprise que c’étoit celui du comte de Revell. Bientôt elle entendit la voix de ce Lord. D’un salon au—dessous de la galerie, il appeloit ses gens, et demandoit d’un ton impatient, si l’on n’avoit point encore trouvé Edouard, ordonnant de le chercher partout, et de le lui amener promptement.

L’effroi s’empara du cœur de ladi Sara. Un triste pressentiment lui fit tourner sur son amant des yeux baignés de larmes. « Ah ! qu’est-ce donc qui l’agite, s’écria-t-elle ; que se passe-t-il ? Hélas ! si on nous séparoit » !

« Eh, qui élève ce noir présage dans votre esprit, dit Edouard ? rien ne peut plus nous séparer. Quoi ! l’instant où je me trouve si heureux est marqué par vos pleurs ? Que craignez-vous ? Je jure à ma chère Sara de l’aimer, de l’adorer, de la respecter toujours, de consacrer ma vie à lui prouver ma tendresse et ma reconnoissance. J’en atteste à ses pieds tout ce qu’on révère ». Sara, livrée à ses craintes, l’interrompoit, le conjuroit de descendre, d’aller s’instruire de ce qui engageoit le Comte à le demander avec instance, à le demander șeul. Edouard faisoit quelques pas pour s’éloigner, revenoit à elle, la pressoit dans ses bras, ne pouvoit s’en séparer. Il lui disoit tout ce qu’il croyoit capable de la rassurer ; mais ses dis cours, ses sermens, ses caresses, rien ne calmoit son cœur agité. Sara ne sentoit plus en elle cette pai- sible sécurité, partage de l’heureuse innocence ; le trouble et l’inquiétude avoient déjà versé leurs cruels poisons dans son ame.

Les momens qu’ils venoient de donner à l’amour, étoient les derniers de leur bonheur. Milord Alderson, rempli de cette vanité qui s’étend au-delà même de la vie, d’où naît le désir de perpétuer un nom, trop souvent avili par des héritiers, avoit destiné Sara à faire revivre les branches de Rivers et d’Alderson, réunies toutes deux en lui. Le goût qu’il prit d’abord pour Edouard, la grandeur et l’ancienneté de la maison de Salisbury, le flattèrent et l’engagèrent à renoncer au projet de donner Sara au fils de sa sœur ; mais la longue maladie de milord Revell lui laissa le loisir de s’abandonner à de nouvelles réflexions, et ramena dans son esprit le dessein d’obliger l’époux de Sara à porter le nom d’Alderson.

La situation où se trouvoit le fils du duc de Salisbury, fit penser à Milord qu’il ne devoit pas se regarder au-dessus d’un simple gentilhomme. Tenant tout de l’amitié du comte de Revell, encore incertain d’être replacé au rang de ses pères, peu sûr que le Roi lui permît de porter ses titres, il pouvoit s’estimer heureux d’en recevoir un de la main de Sara. D’ailleurs, son amour étoit un garant de sa complaisance ; ainsi, sans daigner lui parler de ce qu’il méditoit, Milord crut seulement nécessaire d’obtenir l’agrément du Comte. Il n’imagina pas trouver la plus légère difficulté de sa part ; et dans cette confiance, il lui découvrit ses desseins : mais quand il se flattoit de les lui voir approuver, il ignoroit combien le comte de Revell étoit attaché à la mémoire d’un ami malheureux.

Ce Lord avoit mis toute son ambition à relever une maison dont le chef vivoit encore dans son cœur. Pour prix des longs et utiles services rendus avec zèle à sa patrie, il ne vouloit, il ne demandoit que la réhabilitation d’Edouard ; c’étoit depuis vingt ans, l’unique objet de ses soins, de ses démarches, de ses vœux, peut-être même de sa vanité, si pourtant on peut, sans injustice, donner ce nom aux mouvemens généreux d’une ame fidèle à l’amitié, dont l’orgueil se tourne à l’avantage de l’humanité, et se plaît à faire des heureux.

Jamais surprise n’égala celle du Comte en écoutant milord Alderson. C’étoit à regret qu’il avoit consenti à la recherche d’Edouard. Il se repentit alors de sa condescendance. La proposition de Milord le révolta ; mais sans laisser paroître combien il la trouvoit choquante, il entreprit de le ramener avec douceur à suivre leur premier plan, et à signer les articles tels qu’ils avoient été rédigés trois mois auparavant. Il lui représenta que ce seroit une tache ineffaçable sur la réputation d’Edouard, de quitter le nom d’un père infortuné ; que par cet acte il sembleroit se mettre du parti des ennemis de sa maison, applaudir à l’arrêt funeste exécuté sur le duc de Salisbury ; ôter cruellement aux siens, dispersés dans le monde, l’espérance de revoir jamais leur patrie, dont lui seul pouvoit encore leur rouvrir le chemin. Il lui montra des lettres, qui assuroient l’heureux succès de ses sollicitations auprès du Roi. Elles lui promettoient, qu’au retour de la campagne où l’on alloit entrer, Edouard seroit rétabli à la Cour dans la splendeur d’un des plus anciens pairs du royaume, recouvreroit ses biens, réuniroit sur sa tête les titres de sa maison, et pourroit, avec le temps, prétendre aux charges et aux emplois possédés par son père.

Ces nouvelles avantageuses, ces brillantes promesses, ne changèrent rien aux résolutions de milord Alderson. Il avoit trop mal réussi à la Cour pour l’aimer, et il n’estimoit pas les honneurs militaires une juste compensation des dangers où exposoit le désir de les acquérir. Ainsi, loin de céder à des raisons qui lui paroissoient frivoles, il découvrit dans sa réponse des intentions absolument incompatibles avec celles du Comte. Non-seulement il s’obstinoit à vouloir faire prendre son nom à Edouard, mais il exigeoit encore, que se bornant à la fortune de ladi Sara, aux bienfaits de milord Revell, il laissât le service, et renonçât à toutes les faveurs de la Cour.

Ces points furent long-temps débattus, sans que milord Alderson cédât sur aucun. Sa fille et ses biens étoient à ce prix. Il s’exprima avec tant de hauteur, se montra si déterminé à rompre si l’on contestoit ses volontés, il sembloit faire tant de grâces à Edouard, que le Comte, fatigué d’un orgueil sì déplacé, s’emporta enfin.

« Si celui que j’ai adopté, s’écria-t-il, dont mes leçons ont formé le cœur, répondoit si mal à mon attente ; s’il avoit la bassesse d’accepter votre alliance à ces conditions honteuses, ma fortune ne seroit jamais à lui. C’est à l’héritier du duc de Salisbury, c’est au fils d’un ami que je l’ai destinée. Elevé par moi pour illustrer encore le sang de cet ami, j’aurois la force de l’abandonner, s’il osoit le déshonorer par cette lâche complaisance. Quitter le nom de son père ! renoncer au service ! Et dans quel temps ! Quand la guerre allumée l’oblige à se joindre bientôt aux généreux défenseurs de sa patrie. Si l’amour que ladi Sara lui inspire, étoit capable de balancer dans son cœur des devoirs si saints, je le mépriserois ; oui, continua-t-il en se levant avec vivacité, je le mépriserois, et son sort ne me toucheroit plus ».

Ce discours éleva un mouvement terrible dans l’ame de milord Alderson, mais il s’efforça d’en réprimer la violence ; et prenant la parole avec cette froideur, plus insultante que l’éclat de la colère : « Je ne m’attendois pas, répondit-il, à m’entendre jamais dire, malgré le prix où je voudrois la mettre, que mon alliance pût déshonorer personne. Vous n’avez pas réfléchi sur vos expressions, Milord ; au moins je le suppose. Mais si Edouard consent à mes désirs, êtes-vous déterminé à lui retirer votre amitié, à le priver de vos bienfaits, même à le mépriser ? — Oui, reprit le Comte d’un ton ferme ; si vous l’avez prévenu, s’il se soumet à vos volontés, il a déjà perdu un père en moi, et je ne le connois plus ».

« C’est assez, dit milord Alderson ; Edouard ne sait rien, et vous pouvez lui continuer vos bontés. J’ouvre les yeux, je vous remercie de m’avoir éclairé sur la faute que j’allois commettre ». Et prononçant ces mots, il sortit de son cabinet ; et passant dans un salon où les notaires attendoient, il prit l’acte des mains de celui qui y travailloit, et le déchirant avec emportement : « Je jure, s’écria-t-il, que ladi Sara ne sera jamais duchesse de Salisbury » ; et s’adressant à milord Revell : « Elle ne portera ni le nom, ni le titre d’un vil conspirateur ».

Il parloit encore lorsque le Comte, enflammé de colère, s’avança vers lui d’un air si fier, si menaçant, que les deux notaires crurent devoir se jeter entre lui et milord Alderson. Ce dernier surpris, et peut-être inquiet de cette action, sortit aussitôt de la chambre en lui criant : « Milord, tout est rompu ; j’espère que vous voulez bien recevoir mes adieux ».

Le Comte eût été peu fâché de cette rupture, sans la douleur dont il jugeoit qu’elle alloit pénétrer le cœur d’Edouard. Comment lui annoncer un événement si imprévu, lui dire de renoncer à Sara, à son amour, à l’espoir d’un bonheur si prochain, promis depuis si long-temps à ses désirs ! et comment l’arracher de ce lieu, arrêter les premiers mouvemens d’un cœur passionné ! Ils étoient à craindre dans un homme de l’âge d’Edouard. L’amour pourroit l’emporter sur ce qu’il devoit à l’honneur, à son père, à lui-même. On le cherchoit en vain depuis deux heures : l’erreur d’un de ses gens qui croyoit l’avoir vu dans le parc, faisoit aller tous les valets du côté opposé à celui où il s’étoit retiré avec Sara.

Pendant qu’on préparoit tout pour son départ, milord Revell se promenoit à grands pas dans le salon où la querelle venoit de s’élever. Il rêvoit avec inquiétude aux moyens d’enlever le jeune Lord du château, avant de lui apprendre son malheur. Chagrin, embarrassé, rien ne se présentoit à son esprit, quand Edouard, descendant de l’appartement de ladi Sara, vint enfin s’offrir à ses yeux. La surprise qu’il marqua en le voyant seul, redoubla la peine du Comte. Le trouble de Sara venoit de passer dans le cœur de son amant. Jusqu’à ce moment il se croyoit attendu, demandé pour signer l’assurance de sa félicité. L’air de milord Revell le glaça ; il commença à redouter une explication ; et jetant autour de lui de tristes regards, il n’osa rompre le silence.

Milord Revell s’apercevant de sa consternation, saisit cet instant, vint à lui, prit sa main, et le conduisant hors du salon : « Une fantaisie de milord Alderson, même un défaut de prévoyance de ma part, lui dit-il, me force d’aller tout-à-l’heure à Wersteney. J’ai besoin de vous ; l’affaire qui m’y conduit vous regarde ; elle est pressante ; je ne puis tarder, venez ». En parlant, il le menoit vers son carrosse. Edouard, accoutumé à lui obéir, interdit, et dans cette suspension d’esprits causée par l’étonnement et l’attente d’une nouvelle fâcheuse, se plaça sans résistance aux côtés du Comte. Aussitôt la voiture partit, et s’éloigna avec vitesse.

Ladi Sara, impatiente, agitée, n’avoit pu s’écarter de la galerie où elle attendoit le retour d’Edouard. Que devint-elle, en le voyant monter en carrosse avec le Comte, sortir du château, et prendre la route de Wersteney ? Ses regards suivirent la voiture tant qu’il lui fut possible de la distinguer. En cessant de la voir, elle resta sans mouvement sur le balcon où elle étoit appuyée. Que pouvoit-il être arrivé dans un espace si court ? Où alloit Edouard ? la fuyoit-il ? l’enlevoit-on à elle ? L’incertitude déchiroit son cœur. Une de ses femmes avoit entendu les deux lords parler fort haut. Ladi Sara apprit d’elle que milord Alderson sortant brusquement du lieu où il laissoit le Comte, demandant ses chevaux avec vivacité, venoit de se faire conduire chez le comte de Lenox, où, par les ordres donnés à ses gens, il paroissoit devoir rester plusieurs jours.

Ladi Sara poussa un cri à ce discours. Trouvant à peine la force de regagner son appartement, elle se jeta sur un siége en y entrant ; et couvrant son visage comme pour se cacher à la nature entière, elle resta dans cette espèce d’insensibilité où conduit la violence d’une douleur trop vivement sentie pour être exprimée. Ses femmes, empressées à la secourir, ne purent la rappeler à elle-même ; la pâleur de la mort avoit déjà effacé les couleurs de son teint. On la mit au lit sans qu’elle s’y opposât, ou y consentît. Elle demeura dans cet état, paisible en apparence, jusqu’à neuf heures du soir. Alors Lidy, la plus jeune de ses femmes, lui présenta une lettre. On venoit de l’apporter de la part d’Edouard. Ce nom et la vue de cette écriture, réveillèrent ses sens assoupis par le saisissement de son cœur. Ses larmes commencèrent à couler, à ralentir les mouvemens intérieurs dont elle étoit agitée. Elle ouvrit en tremblant cette lettre, et y trouva ce qui suit :

Lettre de milord Edouard à ladi Sara.

« Ô, ma chère Sara, quel doit être le trouble de votre cœur ! le mien est percé d’un trait mortel. Quoi, nous sommes séparés ! quoi, on m’a entraîné, trompé, arraché d’auprès de vous ! quel affreux revers ! puis-je vivre et penser !… Mon désespoir, mes larmes ne me laissent pas la liberté d’écrire… Qu’ai-je fait, malheureux ! J’ai porté le regret dans votre ame ! J’ai osé…… ah ! j’espérois… mon cœur est déchiré. Retenu de force en ces lieux, gardé à vue, prisonnier enfin, je ne puis aller gémir à vos pieds. Ô, ma maîtresse, ma femme, mon amie ! Ô, toi que j’adore ! ne doute jamais de ton époux, des sentimens éternels qui l’attachent à toi. Non, rien ne brisera les nœuds chers et sacrés dont nos cœurs sont liés. Sara, vous êtes à moi, je suis à vous. J’y serai ; n’importe à quel prix j’achète mon bonheur ! je me soumettrai à toutes les conditions… Mais milord Revell… votre père… je me meurs ».

Ces caractères tracés avec difficulté, dont l’œil pouvoit à peine discerner les traits, que des larmes avoient effacés, firent une douloureuse impression sur le cœur de ladi Sara. Elle pleura amèrement, et se disposoit à écrire quand on lui remit cette seconde lettre d’Edouard.

Milord Edouard à ladi Sara.

« Une cruelle impatience me dévore. J’attends en tremblant votre réponse. Je la crains, mais je la désire avec ardeur. Hélas ! que va-t-elle m’apprendre ? Vous êtes pénétrée d’une douleur égale à la mienne ; vous répandez des larmes ; mais, ma chère Sara, les donnez-vous toutes à l’amour ? Peut-être… idée accablante ! ah ! si le moindre regret se mêloit à vos pleurs ! si vous doutiez… Non, vous n’offenserez point votre amant par d’injurieux soupçons. Eh, qui eût prévu… qui eût dit, pensé… quoi, demain viendra, et je ne vous verrai point ! les heures s’écouleront, et celle qui devoit nous unir, passera….. Ah Sara ! elle passera, et je serai loin de vous !… Funestes préjugés des hommes ! c’est donc la vanité, l’orgueil, de foibles égards qui m’arrachent à vous. Que m’importe les frivoles avantages de la fortune, la faveur de la Cour, le nom de Salisbury, les emplois, le rang, les titres de mes aïeux ! Ah ! qu’on me donne ladi Sara ; son cœur, sa main, sont les seuls biens que j’ambitionne. Puissances du ciel, rendez-moi mes espérances ! unissez-moi à celle qui m’est si chère, et tous mes vœux seront remplis ! Ô, ma charmante amie ! rassurez mon cœur ; des mouvemens terribles viennent l’agiter. Ne me méprisez pas, ne me haïssez pas : ah, je vous adore ! hâtez-vous de me dire, de me répéter, que vous m’aimez, que vous m’aimerez toujours » !

Après avoir baigné de ses pleurs les deux lettres d’Edouard, ladi Sara s’efforça de lui répondre ; elle écrivit ce billet :

Ladi Sara Alderson à milord Edouard.

« Dans l’ignorance où je suis des motifs de votre éloignement, je ne sais si je dois me plaindre de vous, et n’accuse encore que moi de la plus vive de mes peines. Conservez vos jours ; ma vie et mon honneur y sont attachés. Je ne vous hais point. Eh, comment pourrois-je vous haïr, vous, que mon cœur s’est fait une si douce habitude d’aimer ! Ne craignez pas mes reproches ; mais souffrez l’excès de ma douleur. Ali ! Milord, si heureux hier, si dignes d’être respectés, d’être plaints ; aujourd’hui coupables, avilis à nos propres yeux, n’avons-nous pas mérité notre infortune ? Plus d’union entre nous ; je connois trop mon père pour espérer. S’il se croit offensé, il a rompu sans retour… Ah ! comment supporter cette idée, jointe au souvenir… malheureuse témérité ! fatale imprudence ! Mais que servent de vains regrets. Adieu, je vous aime, je vous aimerai toute ma vie. Souvenez-vous de vos promesses, et vivez pour les remplir ».

Ladi Sara passa le reste de la nuit à relire les lettres d’Edouard, à pleurer, à gémir. Le matin, elle se trouva très-mal ; des foiblesses continuelles faisoient craindre à tous momens qu’elle n’expirât, On envoya promptement avertir Milord du danger de sa fille. Il revint et la vit attaquée d’une fièvre brûlante, dont tous les symptômes étoient effrayans. Ses larmes, ses longs soupirs marquoient l’oppression de son cœur, laissoient assez connoître d’où naissoit sa maladie. Mais son état, loin d’attendrir Milord, l’irrita contre elle ; il ne put lui pardonner de sentir une douleur si vive de la perte d’Edouard. Il lui montra un visage sévère, ne lui parla que pour lui reprocher sa foiblesse ; et sans employer la douceur et la complaisance à ramener le calme dans son esprit, à la consoler des peines qu’il lui causoit lui-même, il se contenta de lui procurer les secours d’un art, dont l’ame ne reçoit jamais de soulagement.

La dureté de cette conduite aigrit les chagrins de ladi Sara. Elle vit trop qu’elle ne devoit rien attendre de ce père inhumain ; et cette triste certitude la mit en peu de jours aux portes du tombeau.

Milord Revell n’ayant pu obtenir d’Edouard une promesse positive de ne point aller au château d’Alderson, dans la crainte qu’une passion si vive ne le conduisît à tenter d’imprudentes entreprises, le faisoit garder à vue à Wersteney.

On lui cachoit la maladie de Sara, mais il étoit impossible de la lui laisser ignorer long-temps. Comme il avoit la liberté d’écrire et d’envoyer ses lettres, il passoit tout le jour à conjurer ladi Sara, par les expressions les plus touchantes, de se livrer toute entière à sa foi, de consentir à se marier secrètement avec lui. Le temps de son départ approchoit ; il vouloit emporter le nom de son époux, et l’assurance d’être toujours aimé d’elle. Il formoit tous ces projets vains et satisfaisans, enfans de l’amour et de l’imagination, que le cœur seul croit possibles.

La jeune Lidy recevoit ses lettres, mais ne pouvoit les donner à sa maîtresse, trop accablée pour les lire, et dont la chambre étoit remplie par ses femmes et d’autres personnes que sa maladie rendoient nécessaires auprès d’elle. Les gens d’Edouard, revenant à toute heure, sans réponse, ayant épuisé les excuses, furent enfin obligés de lui avouer la triste situation de ladi Sara.

La connoissance de son mal, et la crainte de l’y voir succomber, se joignant au chagrin extrême qu’il ressentoit déjà, le livrèrent au désespoir. Il s’abandonna aux transports les plus violens. Son imagination, frappée de mille idées funestes, le fit tomber dans une espèce de frénésie qui égaroit sa raison. Il falloit veiller avec soin ses mouvemens, pour le sauver de sa fureur. Il demandoit Sara, l’appeloit, lui parloit, pleuroit, gémissoit, s’accusoit d’avoir violé à son égard les droits les plus saints : il croyoit la voir expirante, lui reprochant sa mort, ou l’invitant à la suivre. Alors il jetoit de grands cris, s’efforçoit d’échapper à ceux qui le retenoient ; il vouloit mourir, et mourir aux pieds de Sara.

Milord Revell, assidu près de lui, pénétré de l’état où il le voyoit, souffroit avec douceur les plaintes touchantes’et souvent amères, qu’il lui adressoit à lui-même. Il cherchoit les moyens de le consoler, s’affligeoit comme lui ; et quand il le trouvoit un peu plus calme, il lui disoit tout ce qu’il croyoit capable de ramener l’espérance dans son cœur. Mais sa tranquillité n’étoit que momentanée. Il recommençoit bientôt à pleurer, à gémir. Le Comte avoit la douleur de le voir retomber dans une aliénation d’esprit, dont les suites le faisoient frémir. Edouard devoit se rendre à l’armée vers la fin du mois, et dix jours de ce mois s’étoient écoulés avant qu’il eût donné aucune marque de rétablissement.

Cependant la fièvre de ladi Sara, devenue moins forte en se réglant, lui laissoit des momens où elle sembloit assez tranquille. Lidy en saisit un pour lui rendre les lettres d’Edouard. Comme il y en avoit plusieurs écrites depuis qu’il la croyoit mourante, le désordre de ses expressions fit connoître à ladi Sara le trouble de son cœur et l’altération de son esprit. Elle en fut attendrie, effrayée ; elle se hâta de lui écrire, et de dissiper ses craintes.

Son billet, porté en diligence à Wersteney, en rassurant Edouard sur des jours si chers, détruisit la cause de ses agitations. Il se prêta aux soins de milord Revell ; sa raison se raffermit ; l’espérance de revoir Sara, le désir de se retrouver près d’elle, la certitude d’en être aimé, lui aidèrent à recouvrer ses forces, et. le rendirent bientôt à lui-même.

Milord Edouard sortoit à peine de ce cruel état ; quand il reçut l’ordre de se rendre au camp. Il ne comptoit partir que douze jours plus tard. Ce temps lui avoit paru suffisant pour exécuter le plus cher de ses projets. Il falloit le remettre à son retour. Quelle nouvelle douleur pénétra son ame ! partir, s’éloigner de Sara, de Sara malade, languissante, affligée ! la laisser au pouvoir d’un père absolu, bizarre, impérieux ! Ne la forceroit-il point à recevoir les vœux d’un autre ; peut-être l’engageroit-il, malgré sa résistance ? Oseroit-elle s’opposer à des volontés qu’elle étoit accoutumée à respecter ? Partir sans la revoir, sans lire dans ses yeux qu’il lui plaisoit toujours, sans lui entendre prononcer encore l’assurance flatteuse d’être à lui, de lui conserver son cœur et sa foi ; c’étoit pour Edouard une peine insupportable. La veille de son départ, il lui envoya son portrait, et lui écrivit cette lettre.

Lettre de milord Edouard à ladi Sara.

« Je pars, ma chère Sara. Hélas ! je pars. Avec quel regret je m’arrache des lieux où vous restez ; quel espace immense va nous séparer, et dans quel temps un cruel devoir me force à m’éloigner de vous. Puisse mon idée vous être toujours présente ; ce portrait offrira sans cesse à vos yeux les traits de votre amant, de votre époux, de l’homme qui vous aime, vous respecte, attend de vous tout son bonheur ! Ô ladi Sara ! prenez soin de vos jours ; conservez-moi la compagne aimable de ma vie. Votre attention sur vous-même sera la plus grande preuve de vos bontés pour l’infortuné qui vous adore.

» J’ose me flatter d’être aimé de vous ; je compte sur vos promesses, et pourtant je pars avec une douleur inexprimable. Dans ces tristes momens il me semble qu’on me ravit toutes mes espérances. Ah ! si votre père vous enlevoit à moi ; si un autre vous obtenoit de lui, si je ne vous voyois plus !… Rassurez un cœur alarmé, éperdu ; promettez-moi, jurez-moi de m’aimer toujours, de résister aux efforts que l’on fera pour vous ôter à votre mal- heureux amant. Daignez, ma chère Sara, daignez vous lier par de nouveaux sermens. Je ne crains point votre inconstance ; je crains seulement cette soumission, ce respect pour un père… Ah ! que j’emporte au moins la douce certitude de vous trouver libre ! Mais l’êtes-vous encore ? N’ai-je pas votre foi ? J’espère beaucoup de la fermeté de votre ame, du temps, de l’amitié de milord Revell… Hélas, j’espère, et je me meurs de douleur en vous quittant. Ô Sara ! ô ma tendre amie ! je vous quitte donc, et sans vous voir ! sans qu’il me soit possible de pénétrer jusqu’à vous ; j’ai tout tenté sans succès. Vos lettres vont être mon unique bien, ma seule consolation, une ligne de vous sera toute ma joie. Ne me négligez pas. Ah ! si vous lisiez dans mon cœur, si vous sentiez… Adieu. Ce papier, mouillé de mes larmes, vous en dit assez. Adieu, adieu, ma chère, mon aimable Sara, aimez-moi, dites-le moi, répétez-le moi tous les jours. Ladi Sara, déterminée à suivre la fortune d’Edouard, l’étoit aussi à résister aux volontés de son père. Il attendoit impatiemment sa convalescence pour disposer d’elle. Il juroit de la déshériter, si elle opposoit ses premiers engagemens aux ordres d’un père ; mais la réparation qu’elle se devoit à elle-même, lui paroissoit bien au-dessus des vaines considérations qui pouvoient l’arrêter dans le projet d’épouser Edouard. Son inquiétude la toucha sans l’offenser ; et voulant calmer le trouble de son cœur, elle lui fit cette réponse.

Ladi Sara à milord Edouard.

« Est-il nécessaire que, des sermens vous rassurent sur mes sentimens. Eh ! mon cher Edouard, les perfides en font. Vous est-il permis de douter ? Comment renoncerois-je à celui qui s’est acquis tant de droits sur mon cœur, et se montre si digne de mon attachement ? Edouard, mon cher Edouard, nous avons osé faire notre destin ; osons le rendre heureux en nous livrant à la confiance que nous méritons tous deux de nous inspirer. La fortune, dont mon père menace hautement de me priver, si je me donne à vous, est, dans ma position, un sacrifice bien léger : avec quelle joie j’en abandonnerai l’espérance, pour vous prouver mon amour ! En quittant l’autel où j’aurai reçu votre foi, une simple retraite où je verrai Edouard, où je porterai sur lui des regards assurés, sera plus agréable, plus riante à mes yeux que ce séjour magnifique où je ne le vois point, où je suis sûre de ne point le voir. Hélas ! nous nous sommes souvent plaints de la longue maladie de milord Revell. Ah ! Dieu ! que ce temps ne peut-il revenir. Nous nous plaignions, et nous étions ensemble. Ma foiblesse ne me permet pas d’écrire davantage : cessez de vous inquiéter ; ma fièvre diminue ; ses accès sont de peu de durée : on m’annonce une prompte convalescence. Partez, mon aimable ami, partez, puisque vous le devez. Mon cœur comptera tous les momens de votre absence ; mes vœux vous suivront partout, chaque jour vous portera des preuves de mon souvenir et de ma tendresse. Adieu ».

Edouard ne put se voir prêt à quitter milord Revell sans donner des marques du plus grand attendrissement. Ses caresses émurent le cœur sensible du Comte. Il lui parla sur la conduite qu’il devoit tenir au camp ; il lui vanta les honneurs qui l’attendoient à la fin de la campagne, son rétablissement à la Cour étant sûr. Edouard, peu flatté en ce moment des grâces du Roi, mais touché de l’amitié de Milord, laissa couler des larmes ; et se jetant dans les bras de cet ami généreux : « Ô mon père ! lui dit-il, vos bontés me seront-elles inutiles ? Depuis que je respire, vous avez daigné vous occuper de mon bonheur, je vous dois tout. Oserai-je l’avouer ? Tant de bienfaits ne peuvent plus me rendre heureux. Pardonnez-moi des sentimens qui, peut-être, me font paroître ingrat. Ah ! je ne le suis point, jamais je ne le serai. Mais en perdant l’espoir de vivre pour ladi Sara, d’obtenir la main de ladi Sara, j’ai perdu celui de chérir d’autres biens. Qu’est-ce que la grandeur, les richesses, de vaines dignités ? L’avide ambition les poursuit, l’orgueil en jouit, et le cœur s’en dégoûte. L’empire de l’univers vaut-il une des douceurs que je regrette » !

« Mais, reprit le Comte, auriez-vous accepté la main de ladi Sara au prix infâme que l’on y mettoit ? Auriez-vous foulé aux pieds la cendre de votre père, méprisé tous vos aïeux ? Auriez-vous renoncé à secourir votre patrie ? — Je ne sais, dit Edouard, mais je ne puis vivre sans Sara. J’estime si sincèrement ladi Sara, continua milord Revell, que j’ai travaillé à vous la rendre. Mes soins n’ont point réussi : j’ai employé un ami auprès de son père, sans paroître prendre part à sa négociation : milord Carlington a proposé des accommodemens ; je me serois prêté beaucoup pour vous tirer du danger où je vous voyois, et vous donner une femme digne de vous : mais, ni votre état vivement représenté, ni le péril où étoit sa fille, ni l’offre de faire porter son nom au premier fils qui naîtroit de votre union avec Sara, rien n’a pu ramener cet esprit altier. On se soumettroit en vain aux conditions qu’il exigeoit auparavant ; jamais, de son consentement, sa fille ne sera à vous ».

« Elle ne sera jamais à moi ! dit Edouard ; et si elle renonçoit à tout pour se donner à l’amant qu’elle aime ; si elle sacrifioit à mon amour les biens qui doivent être son partage ; si son cœur aussi tendre, aussi sensible que le mien, mettoit tout son bonheur à me rester fidèle ; si je lui étois plus cher que sa fortune ; si elle consentoit à m’engager sa foi, si… Je vous entends, interrompit le Comte, et vais m’expliquer sans détour : soyez sûr, mon cher Edouard, que votre satisfaction est le premier de mes vœux : je ne vous la procurerai jamais aux dépens de l’honneur ; mais ne craignez pas d’opposition à vos désirs, quand les démarches qu’ils vous engageront à faire, ne pourront ternir votre gloire. Si ladi Sara conserve les sentimens qu’elle a pour vous, si l’éloignement n’éteint point dans vos cœurs cette passion si tendre, je verrai avec plaisir une union si ardemment souhaitée. En vous sacrifiant sa fortune, ladi Sara me paroîtra encore plus digne de votre attachement : et de mon amitié ».

« Ah ! je ne voulois que ce doux consentement, s’écria Edouard ; en cet instant, Milord, vous comblez la mesure de vos bienfaits : ce dernier augmente le prix de tous ceux que j’ai reçus d’une main si chère. O mon respectable père ! vous venez de répandre le calme et la joie dans mon ame. Le secret que je gardois avec vous sur mes desseins, étoit un poids pour mon cœur. Je pars content, et vais mériter par ma conduite le nom de votre fils ».

Après avoir fait éclater les transports de sa reconnoissance, embrassé mille fois son généreux protecteur, il le quitta pour aller écrire à ladi Sara ; et l’informer des dispositions favorables de milord Revell ; ensuite il partit avec sir Humfroid et deux valets-de-chambre, ses équipages l’ayant devancé depuis longtemps. Sir Humfroid étoit un jeune gentilhomme dont la fortune n’égaloit pas la naissance. Milord Revell l’attacha à Edouard dès son enfance ; il l’avoit accompagné dans ses voyages. Edouard l’aimoit, lui, accordoit toute sa confiance ; et la situation actuelle de son ame lui rendoit bien cher un ami auquel il pouvoit parler sans réserve.

Après deux mois de souffrance, ladi Sara se trouva sans fièvre, mais si abattue, que sa foiblesse la retint encore fort long-temps dans sa chambre. Son père montroit une froideur extrême pour elle. Sa maladie lui prouvoit combien elle aimoit Edouard ; il se sentoit blessé de ne pouvoir bannir du cœur de sa fille un sentiment que ses ordres avoient fait naître, et devoient étouffer à l’instant où il cessoit de lui plaire. Milord passoit des semaines entières sans la voir ; et quand il l’honoroit d’une visite, c’étoit pour lui reprocher avec aigreur les idées qu’elle entretenoit, et l’accablement où elles la plongeoient.

Cependant la rupture du mariage de ladi Sara venoit de ranimer les espérances de tous ceux qui pouvoient prétendre à elle. Le comte de Lenox voyant milord Alderson obstiné à ne point reprendre ses premières vues, lui offrit son fils aux mêmes conditions qui avoient été imposées à milord Revell. Le désir de chagriner Edouard, rendit cette proposition agréable à milord Alderson, il donna sa parole et fixa le temps de cette union au parfait rétablissement de sa fille. En l’attendant, il admit. les visites du nouvel époux qu’il lui destinoit, et la fit avertir par son chapelain de se préparer à recevoir les soins de sir Arthur de Lenox.

Cet ordre affligea ladi Sara ; son projet étoit de passer au château d’Alderson le temps de l’absence d’Edouard. Les importunités du jeune Lenox alloient lui en rendre le séjour fâcheux, la forcer de hâter sa fuite, et la jeter dans l’embarras de se procurer une retraite. Pour prix des bontés de milord Revell, du consentement qu’il donnoit à son mariage avec Edouard, elle ne vouloit pas l’exposer à des affaires désagréables en se mettant ouvertement sous sa protection. Elle regrettoit de n’avoir pu donner la main à son amant avant qu’il partît. Sans cesse occupée de lui, elle lisoit à tout moment les lettres qu’elle en recevoit, lui écrivoit chaque jour ; et mille inquiétudes se joignant à ses chagrins, lui faisoient passer de tristes instans. Cependant les preuves réitérées de la tendresse d’Edouard, d’une passion vive, ardente, que le temps sembloit animer encore, adoucissoient souvent ses peines ; ses idées se portoient quelquefois dans un avenir plus heureux ; et se livrant toute entière à l’amour, au plaisir d’en inspirer, à la douceur d’en ressentir, en pensant qu’elle feroit le bonheur d’Edouard, elle retrouvoit au fond de son cœur l’espérance de voir renaître le sien.

Près de quatre mois s’étoient écoulés depuis le départ de milord Edouard, quand un jour ladi Sara se sentit assez bien pour sortir de son appartement. Elle descendit avec Lidy dans les jardins. Ses pas se tournèrent par hasard vers ce bosquet où sa tendresse imprudente avoit égaré sa raison. Elle tressaillit en l’apercevant ; et baissant ses yeux remplis de larmes, elle songea en soupirant combien son sort se trouvoit changé depuis le jour fatal où elle y étoit entrée avec Edouard. Blessée par l’aspect de ce lieu, elle s’en éloigna, et continua tristement sa promenade. Chaque allée, chaque détour de ce jardin lui rappeloient des souvenirs bien chers. Elle marcha jusqu’à la nuit ; et se trouvant fatiguée, elle reprit à pas lents le chemin de son appartement.

Soit que cet exercice déterminât la nature, soit que cet instant fûnt marqué par elle pour exciter les premiers mouvemens d’une créature dont l’existence étoit encore ignorée, ladi Sara sentit en elle-même une agitation extraordinaire. Elle n’en pénétra pas d’abord la cause, mais elle la sentit si souvent que, rapprochant plusieurs accidens attribués à sa maladie, et capables de confirmer le doute qui commençoit à s’élever dans son esprit, elle connut enfin un malheur dont elle n’avoit pas même formé l’idée. Un sentiment mêlé d’effroi, de honte, d’inquiétude, la troubla, l’interdit, et cependant l’intéressa vivement à l’objet de cette nouvelle peine. Liée plus fortement à Edouard par la découverte de son état, elle prit courageusement le parti de se regarder comme tenant à lui seul dans l’univers. Les devoirs qui balançoient souvent ses résolutions, cédèrent entièrement à des obligations pressantes et indispensables ; ainsi, dès ce moment, elle prépara tout pour quitter le château d’Alderson.

Forcée d’avouer sa situation et ses desseins à une de ses femmes, la jeunesse et l’attachement sincère de Lidy attirèrent sa confiance. Cette fille avoit une sœur établie à Londres. Elle lui écrivit par ordre de sa maîtresse, et la chargea de louer un appartement propre et commode, dans le quartier le moins fréquenté de la ville, de le retenir au nom de mistriss Hervey, jeune dame mariée depuis un an, dont le mari étoit à l’armée, et que sa tendresse inquiète conduisoit à la capitale, afin d’être à portée d’en avoir tous les jours des nouvelles.

La commission exactement remplie, Lidy enleva peu à peu du château ce que ladi Sara vouloit emporter. Elle déposa tout chez une fermière dont elle étoit sûre ; elle y fit ses cofres, et les envoya à Londres à l’adresse que sa sœur lui avoit donnée. Par le moyen de cette même fermière, elle acheta une chaise, s’assura de deux chevaux et d’un postillon pour aller jusqu’à la première poste. Miladi Albury, parente de milord Alderson, étoit depuis trois mois au château ; elle partoit, alloit passer la mer, et se rendre à Montpellier, où elle espéroit trouver du remède à une maladie de langueur dont elle se sentoit consumée. Ladi Sara fixa son départ au même matin choisi par cette dame, dans le dessein de faire penser qu’elle l’accompagnoit, et d’embarrasser son père sur la route où il devroit commencer ses recherches, s’il vouloit suivre ses pas.

La veille du jour où les espérances d’Edouard et de Sara furent si cruellement trompées, milord Alderson avoit donné à sa fille une riche cassette, contenant les pierreries de sa mère, quantité de bijoux d’or, et deux mille guinées, dont elle devoit répandre une partie le lendemain à l’occasion de son mariage. Lidy se disposoit à transporter ces effets précieux, quand sa maîtresse l’arrêta. « Il ne convient pas, lui dit-elle, à une fille assez malheureuse pour fuir la maison paternelle, de regarder comme à elle des dons qui ne lui ont pas été faits dans l’intention de l’aider à soutenir une démarche honteuse. Rien ne m’appartient ici, et je n’ai plus de droits à des biens dont je mérite d’être privée ». Lidy resta confuse à ce discours ; elle avoit déjà fait passer l’argent à Londres, mais elle n’osa l’avouer. Ladi Sara rassembla ce qui lui restoit de la somme annuelle destinée à son entretien et à ses plaisirs. Elle se trouva environ 500 liv. sterlings, et pour trois fois autant de bijoux à son usage. Ce fut tout ce qu’elle se permit d’emporter d’une maison où elle laissoit l’espoir de la plus grande fortune.

Prête à partir, elle sentit une douleur extrême, en songeant que peut-être elle ne reverroit jamais son père. Elle n’avoit point éprouvé de sa part cette tendre indulgence et ces douces caresses qui changent un respect imposé par l’éducation, entretenu par l’habitude, en une amitié vive et reconnoissante, en une préférence décidée ; sentiment que la nature n’inspire pas toujours. La bonté de nos parens le fait naître dans nos cœurs, et l’y rend chaque jour plus fort. La fierté du caractère de milord Alderson ne lui permettoit pas de se livrer à des mouvemens qu’il traitoit de foiblesse, et dont le charme lui étoit inconnu.

Sara lui écrivit d’une main tremblante ; ses expressions soumises, attendrissantes, imploroient sa pitié pour une fille coupable et malheureuse, qui, se voyant forcée à ne plus vivre sous ses yeux, se trouvoit déjà punie d’une faute irréparable. Elle frémissoit de l’indignation que sa fuite alloit élever dans le cœur d’un père offensé. Sans entreprendre de justifier une démarche dont rien ne pouvoit excuser la témérité, elle lui demandoit humblement pardon, en déplorant la cruelle nécessité de se soustraire à une autorité qu’elle respectoit, même à l’instant où, par sa conduite, elle sembloit la braver. Elle laissa cette lettre sur sa toilette, sortit du château avant le jour, se rendit à la ferme où sa chaise l’attendoit. Après avoir libéralement récompensé la fermière, elle partit avec Lidy, et arriva à Londres le soir du lendemain.

L’éloignement de ladi Sara, et sa lettre portée à milord Alderson, le mirent dans un étonnement dont il ne sortit que pour se livrer à la fureur. La cassette, retrouvée chez sa fille, lui parut une preuve qu’elle s’étoit ménagé un asile où elle ne craindroit pas le besoin. Il la crut retirée à Wersteney, ou auprès de quelque amie du comte de Revell. Cédant à son premier mouvement, il écrivit à ce seigneur avec toute la fierté et l’aigreur qui lui étoient naturelles. Il ne demandoit pas à être informé de la retraite d’une fille trop indigne de lui appartenir ; il ne lui feroit pas l’honneur de chercher à la sauver de sa propre imprudence ; il prioit seulement milord Revell de l’assurer de sa haine, de son mépris, d’un éternel abandon de sa part. « Je ne me souviendrai d’avoir été son père, disoit-il, en terminant cette terrible lettre, que pour prononcer sur elle la malédiction qu’attire sur sa tête un enfant ingrat et rebelle. Je vais détruire à jamais ses espérances temporelles, et je supplie le ciel d’étendre cette exhérédation jusque sur son partage céleste ».

Le comte de Revell ignoroit encore la fuite de ladi Sara, et fut extrêmement surpris de l’apprendre par cette voie. Il envoya un gentilhomme au château d’Alderson pour assurer Milord que, depuis le jour où ils s’étoient séparés, il n’avoit entretenu aucun commerce avec ladi Sara, et ne participoit en rien au chagrin qu’elle venoit de lui causer. Milord refusa de voir personne de la part du Comte ; il répandit dans sa maison, que ladi Albury menoit Sara en France sans sa permission ; il se plaignit hautement de cette dame, dont il supposa une lettre ; il dit ensuite, en paroissant s’appaiser, que si ce voyage rétablissoit parfaitement sa fille, comme sa parente l’espéroit, il leur pardonneroit aisément à toutes deux de l’avoir entrepris malgré sa volonté. Peu de jours après, il fit courir le bruit que ladi Sara se trouvoit dangereusement malade à Calais. Il partit en poste avec un seul valet-de-chambre, pour aller à son secours ; il resta un mois absent : ce temps passé, il retourna à Alderson, affectant une douleur extrême de la mort de sa fille, dont le cercueil le suivoit. Il lui fit des obsèques magnifiques, mit toute sa maison et lui-même dans un deuil profond. Ladi Sara fut tendrement pleurée ; on la regretta long-temps. Milord Revell vit avec indifférence une feinte qu’il trouva basse et ridicule. Il ne s’empressa point à détruire l’erreur de la province ; c’étoit un soin qu’il réservoit à Edouard. Ladi Albury, prévenue par milord Alderson, garda le secret ; ainsi personne ne douta de la mort de ladi Sara.

Arrivée à Londres, elle écrivit à Edouard ; il savoit qu’elle y alloit, mais il ignoroit la raison qui l’obligeoit d’avancer le temps où elle devoit s’y rendre. Elle vouloit la lui apprendre ; mais l’embarras qu’elle trouvoit à s’exprimer sur ce sujet, lui fit de jour en jour remettre cette confidence. Ses occupations dans sa retraite, étoient les mêmes qu’au château d’Alderson ; Edouard, toujours présent à sa pensée, remplissoit tous ses momens, et lui faisoit perdre le souvenir des tristes idées où elle s’abandonnoit à Alderson.

L’amour est la seule passion qui suffise entièrement à notre cœur. Maîtresse souveraine de l’ame, elle en bannit insensiblement tout ce qui lui est étranger. On oublie en aimant, s’il existe d’autres objets que celui de son affection ; l’étendue de l’univers semble diminuer à nos yeux, et nous en apercevons seulement l’espace où se renferment nos désirs.

On vantoit beaucoup à Londres un peintre italien, dont le talent pour le portrait étoit extraordinaire. Ladi Sara se fit peindre par lui. Elle est si parfaitement représentée dans ce tableau, que vous-même, Madame, l’avez d’abord reconnue. Elle travailla avec application à le copier en petit, et envoya son ouvrage à Edouard. Elle s’amusa ensuite à écrire un journal des événemens où son cœur l’intéressoit ; elle le commença du premier jour qu’Edouard s’étoit offert à ses yeux ; ses sentimens y furent exprimés avec cette aimable naïveté que donnent une ame tendre et un caractère vrai. Peut-être en composant ce journal, vouloit-elle comparer les temps, rappeler à Edouard, si son ardeur se ralentissoit jamais, combien elle avoit sacrifié à sa tendresse, et le prix dont il devoit payer tant d’amour. C’est de ce manuscrit d’où j’ai tiré ce que je viens de vous apprendre ; et Lidy m’a souvent répété dans la suite les circonstances du dernier des malheurs de l’infortunée Sara.

Elle étoit logée chez la veuve d’un officier subalterne, nommée mistriss Larkin. Cette femme avoit l’humeur douce, de l’esprit, et assez d’usage du monde. Ladi Sara passoit dans sa maison pour la femme d’un simple gentilhomme du comté de Kent. Mistriss Larkin, frappée de l’air de dignité répandu sur toute sa personne, sur ses moindres actions étonnée de sa grande retraite, regardant comme un mérite supérieur en elle le peu d’empressement qu’elle montroit à jouir des amusemens de la ville, et la solitude que s’imposoit une dame si jeune, si belle, si propre à briller dans le monde, conçut d’elle la plus haute idée, lui montra bientôt un attachement tendre, respectueux, et s’appliqua à prévenir ses désirs. Ladi Sara fut sensible à ses attentions ; sa société ne lui déplaisant point, mistriss Larkin passoit une partie des jours auprès d’elle.

Plus de six mois s’étoient écoulés depuis l’absence d’Edouard : un long siége avoit retardé les opérations de la campagne. Le passionné lord écrivoit à Sara dans l’attente d’une bataille qui devoit la terminer et le ramener aux pieds de la maîtresse de son cœur. Son impatience augmentoit celle de ladi Sara. Inquiète, troublée, elle adressoit au ciel des vœux ardens pour la conservation d’une tête si chère. Le retard d’un courrier la livroit à des terreurs mortelles ; elle perdoit insensiblement le repos, et ses nuits se passoient à désirer et à craindre les nouvelles du lendemain.

Elle reçut à la fois deux lettres d’Edouard, bien capables de dissiper son effroi. Il l’assuroit qu’on alloit se séparer sans action ; la supplioit d’éloigner de son esprit les tristes idées dont elle s’occupoit. Il se promettoit, il se flattoit de la revoir avant la fin du mois. Toutes ses expressions montroient une extrême gaieté. Elles trompèrent Sara ; son cœur s’abandonna à la plus douce espérance. Le lendemain, le courrier manqua sans lui causer beaucoup d’alarmes. Elle pensa qu’Edouard revenoit peut-être, et vouloit la surprendre.

Mistriss Larkin avoit dans cette même armée un neveu qu’elle aimoit tendrement. Comme elle entroit le soir chez ladi Sara, elle reçut, par un courrier dépêché au prince Thomas, un billet de ce neveu. Elle l’ouvrit, le lut, et jeta un cri perçant. Ladi Sara l’entendit, courut à elle, lui demanda pourquoi elle crioit. Cette femme, consternée, oubliant l’intérêt que la jeune Ladi pouvoit prendre elle-même à de si funestes nouvelles, lui présenta le billet de son neveu. Il contenoit ce peu de mots :

« Nous venons de donner une bataille et de la perdre. Je suis blessé, mais légèrement. Nous fuyons ; je vous écris à six lieues du champ fatal où nous laissons dix mille des nôtres. J’ai vu tomber milord d’Orset, mon protecteur et mon ami. Je voudrois être mort hier je ne puis vous en dire davantage. On m’avertit que nous allons marcher pour nous retirer encore ». Ladi Sara eut à peine fini de lire, qu’elle tomba, saisie de crainte, dans les bras de mistriss Larkin, en prononçant d’une voix basse : « ô Edouard, ô mon cher Edouard » ! On la ranima avec de l’eau et des sels ; mais effrayée, tremblante, hors d’elle-même, le serrement de son cœur ne lui permettoit de s’exprimer que par des exclamations. Levant tristement vers le ciel ses yeux remplis de larmes : « Grand Dieu ! Dieu tout-puissant, s’écrioit-elle, est-il temps ? Est-il encore temps de t’implorer » ?

Elle attendit le lendemain avec une impatience, une agitation, qui ne lui laissèrent pas donner un instant au repos. Aucun courrier n’arriva. On l’assuroit en vain qu’ils ne pouvoient passer. Ce silence funeste lui parut celui de la mort. « Il n’est plus, disoit-elle à Lidy ; non, il n’est plus ; je l’ai perdu pour jamais ».

Plusieurs jours se passèrent dans cette horrible incertitude. Chaque mouvement qui se faisoit autour de la malheureuse Sara, lui causoit une révolution si grande, qu’à peine osoit-on troubler la solitude où elle vouloit demeurer. Elle ne sentoit plus son existence que par les agitations douloureuses qu’excitoit en elle l’attente d’une confirmation désespérante. Seule dans son cabinet, prosternée devant l’Etre suprême, les mains élevées vers lui, ses cris, ses gémissemens, lui demandoient la vie d’Edouard. « Qu’il vive, c’est assez, répétoit-elle avec ardeur ; qu’il vive ; et que je le perde ! que ses jours conservés ne soient plus pour moi ! que je pleure son éloignement, son indifférence, sa haine, ses mépris même ! Mais jamais, jamais sa mort. Abandonnée, avilie, déshonorée, privée de tout, sans amis, sans asile, j’expierai sa faute et la mienne. Dieu des vengeances, tu l’es aussi des miséricordes ! Ah ! ne frappe que moi. Daigne accorder sa vie à mes vœux, aux larmes amères que je répands devant toi ! je mourrai contente, si j’apprends en expirant que ton bras l’a sauvé, qu’il vit, et qu’il est heureux » ! Hélas, l’objet de tant de pleurs, d’un sentiment si tendre, si désintéressé, n’étoit déjà plus. Percé de trois coups mortels, renversé, foulé aux pieds des chevaux, souillé de sang et de poussière, Edouard, confondu dans un monceau de morts, n’avoit pas même été reconnu. On le crut prisonnier, ensuite perdu. Sir Humfroid, pris à côté de son maître expirant, qu’il s’efforçoit de relever, pouvoit seul donner des éclaircissemens sur son sort ; mais dangereusement blessé lui-même, il resta plusieurs jours sans être en état de parler ni d’écrire.

Ladi Sara envoya un exprès à milord Revell. Elle le croyoit informé du destin d’Edouard, et le supplioit de l’en instruire. Le Comte reçut en même temps son courrier et une lettre de sir Humfroid ; la confirmation de la mort d’Edouard le pénétra de douleur, et les expressions de Sara en augmentèrent l’amertume. Sa jeunesse, ses qualités aimables, sa tendresse, son malheur, intéressèrent vivement le cœur sensible de Milord. Elle avoit été si chère à Edouard ; il la regardoit en ce moment comme une partie précieuse de l’ami qu’il pleuroit ; et son ame généreuse et délicate crut pouvoir obliger encore Edouard, en servant l’objet de ses plus douces affections. Il sortoit d’une maladie causée par l’inquiétude et le chagrin, il se trouvoit très-foible ; cependant il écrivit à ladi Sara. « Nous avons perdu, Madame, lui disoit-il, l’ami que nous aimions uniquement tous deux ; unissons nos regrets ; permettez-moi de vous nommer ma fille, de vous montrer les sentimens et de père et d’époux ; disposez de mes soins, de tout ce qui m’appartient ; j’irai apprendre de vous-même quelles sont à présent vos intentions : prêt à m’y conformer, je me rendrai à Londres dans huit jours ; j’y recevrai vos ordres ; il ne me reste plus de désir, Madame, que celui de vous devenir utile ».

Une assurance si positive de la mort d’Edouard, porta le désespoir dans l’ame de la triste Sara. Aucune considération ne fut capable d’en arrêter les mouvemens ; elle s’abandonna aux regrets les plus vifs, aux plaintes les plus touchantes : ces violentes agitations épuisèrent enfin ses forces. Elle resta deux heures sans connoissance, et ne fut rappelée à la vie que par des douleurs aiguës et redoublées. Tant de trouble et d’émotion avoient avancé le temps où elle devoit naturellement les sentir. Je vis le jour, ma naissance aigrit ses tourmens ; mes premiers cris se mêlèrent aux gémissemens de son cœur ; elle les entendit, ils pénétrèrent jusqu’au fond de son ame. « Ô malheureux enfant, s’écria-t-elle, tu ne prononceras jamais doux nom de père » !

Depuis cet instant, elle s’affoiblit de plus en plus. Elle gardoit un morne silence, et ne le rompoit que pour exprimer sa profonde tristesse : tout l’imporPage:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/154 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/155 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/156 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/157 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/158 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/159 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/160 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/161 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/162 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/163 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/164 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/165 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/166 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/167 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/168 Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/169 Page:Riccoboni - 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Mais j’ai trop estimé milord Arundel pour ne pas consentir à lui devoir ma subsistance ; une pension viagère de 1, 000 liv. sterlings suffit ici pour me faire vivre avec aisance. Je me la suis réservée sur ses dons ; ah ! je ne rougis point de le nommer mon bienfaiteur ! Pendant une partie de l’année, mon séjour sera dans cette maison agréable et solitaire. Les amusemens champêtres sont les seuls que je puisse espérer de goûter. Des fleurs, des oiseaux, mes crayons, de riantes promenades, des livres, des souvenirs tristes, mais chers, mais précieux à mon cœur, occuperont mes jours…… Adieu, Madame ; n’oubliez point une amie qui vous aime, vous respecte, et met au nombre de ses idées consolantes la douceur de penser que vous la plaignez ».

FIN DE L’HISTOIRE DE MISS JENNY.