Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 330

Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 475).


M Lovelace à M Belford.

mardi, 15 d’août.

Je te remercie, Belford, et du fond du coeur, de la conclusion modérée de ta dernière lettre. Il me prend envie, par cette considération, de te pardonner tes extraits, que je n’avais pas cessé jusqu’à ce moment de trouver impardonnables. Mais t’entre-t-il dans l’esprit que je puisse jamais consentir à perdre cette divine créature ? Jamais, jamais, tant qu’un reste de chaleur aura la force de m’animer. Implorer la miséricorde du ciel pour un ingrat tel que moi ? Adorable Clarisse ! Que l’excès de ta générosité me perce l’ame ! Mais c’est d’elle que j’attends les premières marques de miséricorde et de pitié. Elle doit m’apprendre, par son exemple, à me reposer avec confiance sur la miséricorde qu’elle implore pour moi.

Hâte-toi, cher ami, de m’apprendre l’état de sa santé, ses occupations, ses entretiens. Que ta diligence réponde à mes transports. Je n’ai pas d’autre maladie que l’amour. Ah ! Que ne puis-je penser qu’elle est à moi ! C’est alors que la maladie même aurait des charmes. Envoyer à la ville, pour la faire prier de revenir près de moi ! Savoir qu’elle est en chemin, sur les aîles de l’amour, pour m’apporter de la consolation ! L’entendre prier pour moi, par devoir, par inclination, et recevoir de sa bouche l’ordre de vivre pour elle ! Dieu tout-puissant ! Quel trésor j’ai laissé sortir de mes mains ! Mais il n’est pas perdu pour moi. Non, je ne la perdrai point. Je suis beaucoup mieux ; je serais tout-à-fait bien, sans ces odieux charlatans, qui ne mettent pas de fin à leurs ordonnances, et qui, pour faire honneur à leur art, veulent que toutes les maladies soient importantes. Je prétends qu’elle soit à moi. J’en ferai ma femme ; et je retomberai malade aussi-tôt, pour acquérir des droits à sa tendresse, à son inquiétude, à sa pitié. Que le ciel la comble à jamais de toutes ses bénédictions ! Hâte, hâte-toi, Belford, de me donner des nouvelles de sa santé. Mon mal n’est que de l’amour. Une bonté si généreuse ! Par tout ce qu’il y a de grand et de bon, je ne la perdrai pas ! Voilà ce que tu dois lui déclarer. Elle ne serait pas capable de cette pitié, dit-elle, s’il lui restait encore quelque dessein d’être à moi. C’est ce que Miss Howe écrit à Charlotte. Mais permets-lui de me haïr, pourvu qu’elle me reçoive. Ma conduite changera bientôt sa haine en amour ; corps et ame, je serai tout à elle.